Ontologie et langage entre Chrysippe et Agamben Nicoletta Di Vita I. 1 Philosophie et langage De la conjonction qui, dans le monde ancien, noue philosophie et langage, une façon a été depuis longtemps reconnue et copieusement recherchée. Il s’agit de la manière selon laquelle la philosophie a intégré le langage dans ses propres tonalités, et qu’aujourd’hui – à cause d’un oubli que l’on peine à admettre – nous comprenons avec difficulté. L’expression λόγον δίδοναι, que l’on peut retrouver à plusieurs reprises chez Platon1, représente probablement la forme la plus complète dans laquelle cette rencontre est exprimée. Ella a son origine dans le cadre musical duquel descend également toute réflexion sur le langage : comme Johannes Lohmann l’a bien montré, les relations entre tonalités sonores étaient nommées, à l’origine, « logoi »2. Ces derniers, en « donnant la tonalité », créaient une relation harmonique entre la forme musicale et la tonalité émotive, entre le son donné à l’extérieur et les « Stimmungen ». C’est précisément ce « phénomène acoustique-musical », cette exigence d’harmonisation, qui devint bien tôt, selon son hypothèse, un « modèle, parmi les grecs, pour toute connaissance et expérience » (p. 8). C’est une conviction plutôt répandue que toute la philosophie grecque postérieure avait fini par faire du λόγον δίδοναι sa tâche propre3. La conséquence en fut une configuration de toute réflexion philosophique sur le logos comme réflexion sur le logos correct, sur l’ὀρθὸς λόγος, vouée à une ὀρθὴ φιλοσοφία. Quand Platon, dans le Cratyle et dans le Sophiste, désigne mots et énonciations comme objet d’étude, ce qu’il recherche en fait c’est la forme dans laquelle le langage peut être correct : il met à l’épreuve le medium de ses propres dialogues, la forme que l’exercice philosophique assume, – non pas pour évaluer la puissance du langage, mais celle de la ilosophie même, de son rapport avec la réalité. Aussi, lorsque Chrysippe affirme que seulement le διαλεκτικός – c’est-à-dire, au sens large, le logicien – possède la vertu4, et qu’il faut donc travailler sur le langage dans la mesure où il mène à la connaissance, (qui mène au τὸ ὁμολογουμένως τῇ φύσει ζῆν (D.L. VII.87 / SVF I.179, Zénon), c’est-à-dire à la vie éthique en cohérence avec la Cfr. Plat. Phaedr. 95d 7 ; Crat. 426a 2 ; Theaet. 175c 8 ; Resp. 533c 2. J. Lohmann, Musiké und Logos. Ansätze zur griechisch. Philosophie und Musiktheorie, 1970, p. 8s. 3 F. Ildefonse, La naissance de la grammaire dans l’Antiquité grecque, 2004, p. 15 et 38. 4 Διαλεκτικὸν μόνον εἶναι τὸν σοφόν (D.L. VII.83 / SVF II.130). 1 2 1 nature), il est bien possible que le recours au langage ait eu des finalités qui sont au langage même, strictement dit, extérieures.5 Il est possible, comme cela a été fait, d’interpréter le tout comme une avancée agressive vers l’hétéronomie : la philosophie à l’âge classique a imposé au langage ses propres normes d’après ses exigences. On a ainsi parlé d’un « blocage linguistique »6, d’une ombre projetée par la philosophie sur le langage, qui a été remis en question essentiellement en ce qui concerne « die instrumentale Rolle beim Ausdruck des Gedankens », ou la « mediale Funktion bei der Abbildung der außersprachlichen Realität »7, et cela, afin de « pourvoir à un système d’expression qui saisît ‘les choses telles qu’elles sont’ »8. Et c’est une hypothèse bien soutenue que le retard de la naissance des disciplines linguistiques (grammaire, philologie, linguistique), c’est-à-dire des disciplines explicitement vouées à l’enquête sur le langage et en vue de rien d’autre que lui, ait été dû à une telle « mainmise » originaire « de la philosophie sur le langage »9. La circonstance est, sur certains points, tellement évidente, qu’il a été possible de parler d’une sorte de ‘pillage’ des structures fondamentales du langage par la philosophie : Benveniste, dans un très célèbre article de 1958, croyait pouvoir lire à contre-jour, dans les catégories aristotéliciennes, le squelette des formes verbales en usage dans le grec de l’époque : « [Aristote] pensait définir les attributs des objets », dit-il, mais « il ne pose que des êtres linguistiques : c’est la langue qui, grâce à ses propres catégories, permet de les reconnaître et de les spécifier ». « C’est ce qu’on peut dire qui délimite et organise ce qu’on peut penser. La langue fournit la configuration fondamentale des propriétés reconnues par l’esprit aux choses ».10 La mainmise serait donc, pour ainsi dire, indirecte : une tacite mais intense réflexion sur le langage aurait été déguisée en enquête sur les catégories de la pensée, et asservie à celles-ci. Cas d’école : la grammatique. Ildefonse a bien montré comment les stoïciens n’auraient pu que « refuser, empêcher une autonomie » de la grammaire ou d’autres disciplines linguistiques, et ça exactement « pour des raisons philosophiques », liées à leur projet d’une « philosophie systématique » (p. 139). Cfr. aussi M. Frede, The origins of traditional grammar, p. 337, dans Essays in Ancient Philosophy, 1987, où il est bien montré que la grammaire n’était que « une partie de leur philosophie ». 6 H. Joly, « Platon et les grammata », dans Joly (éd.), Philosophie du langage et grammaire dans l’Antiquité, 1992, p. 308, cité par Ildefonse, Grammaire, p. 15. 7 E. Coseriu, Geschichte der Sprachphilosophie von den Anfängen bis Rousseau, 2003, p. 14. (« Le rôle instrumental dans l’expression des pensées »; « la fonction médiale dans la représentation de la réalité extralinguistique »). 8 C. Imbert, Phénoménologie et langues formulaires, 1993, p. 308. 9 Ildefonse, Grammaire, p. 15; cfr. aussi E. Coseriu, Geschichte der Sprachphilosophie, p. 1. 10 E. Benveniste, Catégories de pensée et catégories de la langue (1958), dans Problèmes de linguistique générale I, 1966, p. 70. 5 2 Au-moins deux considérations peuvent s’ensuivre de ces questions. La première est qu’une implication du langage dans la philosophie et dans les choses de la philosophie n’a pas nécessairement déterminé une négligence de ses traits les plus propres. Bien au contraire : elle a chaque fois permis d’en entrevoir la nature éthique, épistémologique, politique, religieuse ; d’aller donc au-delà de l’isolement du langage, tout en le saisissant dans la constellation effective de ses relations. Elle a ouvert la possibilité de considérer le langage dans sa participation au tout, en montrant la complexité de sa nature. Et la seule question philosophique autour du langage n’est-elle pas celle qui, puisqu’elle le conçoit et le saisit dans sa totalité, va finalement au-delà du langage même ? Comme cela a été bien compris, il y a des années, par Eugenio Coseriu, les disciplines qui ont pour objet le langage « beginnen » proprement « dort, wo die Sprachphilosophie aufhört » (p. 13) : elles ont arrêté de se poser la question autour du langage pour commencer à donner, chacune dans sa partialité, des réponses spécifiques. Une telle affection de la philosophie pour le langage contient donc quelque chose de plus. Et cela dégage aussi, avec la seconde des observations, l’autre façon du lien entre logos et philosophie. I. 2 La tâche de la philosophie : une passion « indicible » Dans une affirmation attribuée par Platon à l’Étranger, dans son dialogue Le Sophiste, on trouve une expression plutôt éloquente : « la privation du logos ferait, ce qui serait le plus grave, que nous serons privés de la philosophie même » (260a)11. L’intuition de Giorgio Agamben et sa lecture du monde ancien débutent précisément à partir d’ici : non seulement le langage est compris à travers une perspective philosophique, mais, dans le monde ancien comme dans celui d’aujourd’hui, la philosophie est à comprendre exactement dans le rapport qu’elle instaure avec le langage. L’affirmation est forte et prend immédiatement position, mais d’autant plus intéressante : si l’on admet l’urgence, pour la philosophie et pour le langage, de considérer à nouveau leur lien, et si on veut comprendre dans quelle mesure l’exigence de l’enquêter a traversé l’antiquité jusqu’à notre temps, alors la recherche conduite par Agamben se révèle être une proposition incontournable : en en reconnaissant la matrice originaire dans l’espace théorétique qui lie Platon et le Stoïcisme Ancien, il la pose, en même temps, comme fondement de toute pensée. 11 « Τούτου γὰρ στερηθέντες, τὸ μὲν μέγιστον, φιλοσοφίας ἂν στερηθεῖμεν ». 3 Dans un texte de 1984 Agamben avait posé très clairement la question de la tâche propre à la philosophie, en disant : « La tâche de l’exposition philosophique est de venir, avec la parole, en aide à la parole, pour que, dans la parole, la parole même ne reste pas présupposée à la parole, mais, en tant que parole, vienne à la parole »12. Dans cette curieuse formulation, la référence est au βοηθεῖν du Phèdre (278 c 6). Dans le passage platonicien, y est dit « savant » seulement celui qui sait rendre raison, avec son propre discours, du discours même, même s’il est écrit. Ça veut dire, avec des termes qu’Agamben définie comme « contemporains » : rendre compte du fait même de parler. C’est-à-dire : se rendre compte, parvenir à la connaissance du « fait même du langage » (ibid.) – de ce présupposé qui demeure comme un apriori de chaque acte linguistique. Mais, parce que cette présupposition précède encore et toujours l’homme qui parle et l’acte même de la parole, elle en est le fondement proprement « indicible », inexprimable13. La question est alors la suivante : concevoir philosophiquement et essayer d’exprimer cet avoir-lieu du langage, cette impossibilité originaire. La formulation est certes proche de la maxime wittgensteinienne selon laquelle « was gezeigt werden kann, kann nicht gesagt werden » (Wittgenstein, Tractatus 4.1212) : il n’est pas possible avec le langage de dire le langage même. Et la médiation de Martin Heidegger n’est pas non plus cachée : il avait assigné à cet avoirlieu, qu’on ne peut pas exprimer dans ni avec le langage, l’ouverture du Dasein à soimême : « Die primäre Entdeckung der Welt » (Heidegger, Sein und Zeit, p. 138). « Non pas comme le monde est, mais », dit Agamben, « que le monde est » – non pas ce qu’on dit « dans des propositions à l’intérieur du langage, mais que le langage soit »14. Mais si la question est un caractère propre à la pensée contemporaine, le mérite de la recherche agambenienne consiste, surtout, en le développement de la trace archéologique : la découverte de la matrice de cette exigence, propre au vingtième siècle, dans ce que déjà Platon avait indiqué comme la marque, dit-il, « de l’authentique exposition philosophique », mais que seulement le Stoïcisme, selon sa lecture originale, serait arrivé à exprimer d’une façon exemplaire. Dans le pressentiment d’une impossibilité, Agamben s’adresse en fait une première fois aux Stoïciens. Il s’agit de la théorie stoïcienne des passions, avec une inédite participation à la théorie du Dasein heideggérien. Le Dasein, nous rappelle Agamben, se pose face à l’ouverture – qui est une ouverture au langage – avec Angst, angoisse 12 En italien : « compito dell’esposizione filosofica è quello di venire con la parola in aiuto alla parola, perché, nella parola, la parola stessa non resti supposta alla parola, ma venga, come parola, alla parola », dans La cosa stessa, texte d’une conference à Forlì en 1984, publié dans La potenza del pensiero, 2010, p. 18. 13 Cfr. Agamben, L’idea di linguaggio, dans La potenza del pensiero, p. 30-34. 14 « Non come il mondo è, ma che il mondo è », - non pas ce qu’on dit « in proposizioni all’interno del linguaggio, ma che il linguaggio sia », dans Vocazione e voce, texte d’une conference à Pavia en 1980, dans La potenza del pensiero, p. 80. 4 : « cette ouverture se révèle depuis toujours traversée par une négativité et un malaise » (Vocazione e voce, p. 82), car le « Dasein » n’est jamais maître de cette ouverture, de cet événement qui l’assaille et le détermine (et qui « coïncide avec le lieu propre de l’être de l’homme, avec son da » (p. 83). Or, que l’ouverture originaire soit, pour Heidegger, une tonalité émotive, a sa correspondance dans le monde ancien : Heidegger même signale comment la théorie aristotélicienne des passions fût l’objet de la Rhétorique et non pas d’un traité « psychologique »15, mais, Agamben le souligne, le lieu effectif est finalement à repérer chez les Stoïciens (p. 84). Chez Chrysippe, il retrouve un lien fondamental entre langage et passions, λόγος et πάθη : seulement l’homme est celui qui peut tomber sur les passions, puisqu’elles sont proprement un certain grade du logos, une krisis. Elles sont à définir dans leur relation, et jamais vraiment en contraposition, avec le logos. C’est ici qu’Agamben, avec une radicalisation, entend la théorie stoïcienne des passions comme un excès du λόγος, c’est-à-dire comme son émersion. En tant qu’origine et en tant que « passion », le langage demeure, pour les individus, excessif : les Stoïciens en donnent la définition suivante, citée par Agamben : πάθος δὲ πλεονάζουσα ὁρμὴ ἢ ὑπερτείνουσα τὰ κατὰ τὸν λόγον μέτρα : « la passion est une impulsion excessive qui transgresse la mesure du logos » (Clemens Al., Strom. II, SVF III.377). « Ὁρμή », qui « a la même racine du latin orior et origo » (ὄρνυμι), signifie l’émersion, l’origine, l’apparition toute primaire – qui dépasse donc la mesure du langage (p. 84-5). Et si la passion n’est autre que le logos même, « l’origine excessive ne peut être que celle du langage même » (p. 85)16. Ainsi, Agamben peut conclure que « la théorie des passions, des Stimmungen – est depuis toujours le lieu où l’homme occidental pense son rapport fondamental avec le langage »17. Et cette pensée est toujours la pensée d’une impossibilité : l’origine excédante du langage, qui en contient le fait même d’exister, semble insaisissable. Elle échappe, à cause de son excessivité même, et cependant elle n’arrête pas – pour la philosophie qui l’a posée comme sa propre tâche fondamentale – de manifester sa propre exigence, que la relation aux passions identifie et précise, mais n’arrive pas à accomplir. La question, à l’époque ancienne comme aujourd’hui, peut finalement être ainsi formulée : est-il possible de développer un discours qui, en ne se réduisant pas à une métalinguistique et ne s’arrêtant pas en face de l’indicible, dise le langage et ses limites ? – qu’il soit à la hauteur d’une philosophie comme « vision du langage »18 ? M. Heidegger, Grundbegriffe der Aristotelischen Philosophie, dans Gesamtausgabe, vol. 18. Agamben précise que « dans les fragments des Stoïciens [..] nous ne trouvons nulle part une affirmation aussi explicite ; et pourtant elle est la seule qui ne contredise pas les prémisses de leur théorie des passions » (p. 85). 17 En italien : « La teoria delle passioni è da sempre il luogo in cui l’uomo occidentale pensa il proprio rapporto fondamentale col linguaggio » (1980, p. 95). 18 Agamben, L’idea di linguaggio, p. 29. 15 16 5 « Une ancienne tradition de pensée », avait depuis longtemps annoncé Agamben, « énonce cette possibilité » (ibid., p. 34). I. 3 Le « fait même de parler » Il est peut-être étonnant que, pour éclaircir ce qui est en question dans le « fait même du langage », Agamben ait recours encore au Stoïcisme Ancien. Une première fois, inconsciemment, lorsqu’il retrace l’observation, déjà exposée par Augustin et Gaunilon, concernant la circonstance dans laquelle quelqu’un se trouve à l’écoute d’un mot qui lui est inconnu, et le comprend cependant comme un mot, et non pas comme un simple son19. Dans le cas d’Augustin, l’exemple, tiré du De Trinitate, est relatif à un mot mort (vocabulum emortuum), notamment « temetum » (ancien terme pour vinum). Le désir, argumente Augustin, de se poser à la recherche de la signification du mot, témoigne d’une condition fondamentale : que ce terme soit supposé être un signe signifiant – qu’on soit conscients d’être en présence de quelque chose dotée de signification. D’une manière similaire, Gaunilon aurait reproposé, dans sa réponse à Anselme, le cas de celui qui, même en ne connaissant pas la signification de la voix écoutée, l’aurait cependant reconnue en tant que signifiante. La « cogitatio secundum vocem solam » (Pro insipiente, 0345B), qu’Agamben ne manque pas de citer, signifierait précisément la compréhension de la vox en tant qu’indication d’un évènement de langage. Mais l’observation, comme on se souviendra, avait déjà été faite par Chrysippe, qu’Agamben ne cite pas directement : selon un témoignage de Sextus Empiricus, de l’Adversus Mathematikos (I.154-58=FDS 514), le philosophe stoïcien, pour comprendre ce qu’est le λόγος, aurait imaginé la circonstance dans laquelle des étrangers (βάρβαροι) ou des ἰδιῶται, ayant été à l’écoute de la langue locale, n’auraient rien saisi quant à la signification. Mais, néanmoins, ils n’auraient pas douté d’être en présence d’un évènement de langage – et cela parce qu’ils ont entendu la voix. Encore Diogène Laërce, dans le livre VII des Vies, attribuait aux Stoïciens la réflexion sur le fait qu’un terme, βλίτυρι, bien que privé de toute signification, cependant – et parce qu’il s’insérait dans une réflexion linguistique – fût facilement reconnaissable comme part d’un acte linguistique.20 Mais qu’est-ce que cette conscience d’un niveau qui, bien que linguistique, demeure en deçà de toute question du langage pour le reconnaitre en tant que tel ? – qui n’est pas encore dans le langage et toutefois le comprend et l’exprime ? Quel est, c’est-à19 20 L’idea di linguaggio, p. 28, et Il linguaggio e la morte, 1982, p. 45-47. Cfr. D.L. VII. 57=SVF III.20, p. 213, et Sextus, Adv. Math., 8.133. 6 dire, le lieu de ce qui, comme est bien exprimé dans un travail récent, « n’est ni linguistique ni simplement factuel »21 ? II.1 Le « dicible » entre pensée et chose Dans un texte à paraître, et que l’auteur m’a gentiment offert à la lecture, la question semble recevoir une configuration décisive. Cela se passe à travers, d’un côté, le repérage et l’approfondissement d’une interprétation de l’Idée platonicienne, à laquelle Agamben avait déjà dédié un essai en 1984 ; d’un autre côté, avec l’analyse de l’un des lieux les plus importants de la réflexion stoïcienne, notamment la théorie du lekton ou du dicible. La raison est simple : l’indicible est, déjà selon une affirmation de Walter Benjamin, à « éliminer dans le langage »22 – il ne peut pas rester « au-dehors du langage comme une obscure présupposition ». « L’élimination de l’indicible dans le langage coïncide » – continue-t-il – « avec l’exposition du dicible ». Clarifions tout de suite que rien, dans la lecture d’Agamben, ressemble aux lectures de la question auxquelles nous sommes habitués. La théorie du lekton n’est enquêtée ni à partir de son inclusion parmi les incorporels, ni dans la difficile composition des lekta dans la théorie propositionnelle. Elle est envisagée, on dirait, du point de vue de son exigence – en fonction de son encadrement dans la conception philosophique générale. Agamben est évidemment fasciné par une certaine indécidabilité avec laquelle le quatrième incorporel est à situer, et la conclusion atteinte est, même pour cette raison, particulièrement intéressante : à son avis, ce sont les Stoïciens anciens qui ont, même si non accompli, au moins reconnu la tâche fondamentale de la philosophie. Ils ont su trouver une expression – « exposition » est le terme dont on fait usage – du fait du langage, de l’exigence d’une présupposition et d’une thématisation philosophique. L’interprétation proposée est d’autant plus intéressante, puisqu’elle n’est pas du tout le produit d’une analyse de seconde main ou d’un coup d’œil hâtif sur les témoignages. L’appropriation des réflexions stoïciennes est, au contraire, toujours conduite avec une extraordinaire attention philologique. Le soupçon que les Stoïciens puissent proposer une perspective décisive pour la question est transmis à Agamben par un passage du commentaire d’Ammonius au Perì hermeneias aristotélicien. Ammonius écrit, avec des accents évidemment polémiques : 21 22 Agamben, L’avventura, 2015 : « non è né linguistico né semplicemente fattuale ». Lettre à Buber de 1916, dans Briefe, 1995, p. 325-7. 7 « Aristote nous apprend ce que sont les choses signifiées (σημαινόμενα) et les concepts (νοήματα) et, par leur médiation, les choses (πράγματα) ; et il affirme qu’il n’est pas nécessaire de penser à un autre medium au-delà de ces derniers, comme ce que les Stoïciens supposent avec le nom de ‘lekton’ » (In Aristotelis de interpretatione commentarium, 17, 24 ; SVF II.168). Les Stoïciens auraient posé, à côté de langage, concepts et choses, un élément ultérieur : le lekton. C’est-à-dire quelque chose d’autre, qui ne peut s’intégrer ni parmi les choses ni parmi les pensées, ni proprement parmi les mots. Tout lieu en demeure indéterminé et il est donc nécessaire, comme Agamben même l’écrit, qu’on en trace une « cartographie ». Pour argumenter une intuition qui l’accompagne vraisemblablement depuis longtemps23, l’auteur a recours au très célèbre passage de Sextus Empiricus, de l’Adversus Mathematikos (VIII, 11-12)24, qu’il définit comme « la source la plus complète et en même temps la plus problématique » pour notre question. Dans ce passage, que l’historiographie récente a considéré comme un véritable « locus classicus »25, Sextus distingue clairement « trois aspects » qui, dit-il, « se rejoignent » (τρία φάμενοι συζυγεῖν) : le σημαῖνον, ou signe signifiant, c’est-à-dire la φωνή ou son vocal, qu’il précise être un « corps » ; le τυγχάνον, c’est-à-dire l’objet, ce qui chaque fois est posé en question, bien sûr corps lui aussi ; et enfin le σημαινόμενον, le « signifié », ce i. qui n’est pas un corps, ii. qui « παρυφισταμένου », subsiste à côté de la pensée, et iii. que les barbares ne comprennent pas, même en écoutant le son vocal. Il s’agit proprement, selon Sextus, du τὸ σημαινόμενον πρᾶγμα, de la « la chose signifiée », qui est i. ἀσώματον, incorporelle, ii. τὸ ὑπ’αὐτῆς δηλούμενον, manifestée par la φωνή, iii. vraie ou fausse, et iv. que, enfin, les Stoïciens appellent λεκτόν.26 La sélection du passage est bien avisée : Sextus exprime, sans devoir recourir à un « quatrième », toute la complexité contenue dans ce qui n’est ni mot ni chose, mais quelque chose qui, selon le témoignage d’Ammonius, a à faire avec les deux. Le passage est aussi intéressant parce qu’il constitue, dans un certain sens, un résumé 23 En effet, il avait depuis longtemps compris que les Stoïciens auraient pu constituer un point décisif dans la question : cfr. La potenza del pensiero, p. 20. 24 SVF II 166 = LS 33B = FDS I 67. 25 Frede, loc. cit., p. 118. 26 « ἦν δὲ καὶ ἄλλη τις παρὰ τούτοις διάστασις, καθ' ἣν οἱ μὲν περὶ τῷ σημαινομένῳ τὸ ἀληθές τε καὶ ψεῦδος ὑπεστήσαντο, οἱ δὲ περὶ τῇ φωνῇ, οἱ δὲ περὶ τῇ κινήσει τῆς διανοίας. καὶ δὴ τῆς μὲν πρώτης δόξης προεστήκασιν οἱ ἀπὸ τῆς Στοὰς, τρία φάμενοι συζυγεῖν ἀλλήλοις, τό τε σημαινόμενον καὶ τὸ σημαῖνον καὶ τὸ τυγχάνον, ὧν σημαῖνον μὲν εἶναι τὴν φωνήν, οἷον τὴν ,,Δίων“, σημαινόμενον δὲ αὐτὸ τὸ πρᾶγμα τὸ ὑπ' αὐτῆς δηλούμενον καὶ οὗ ἡμεῖς μὲν ἀντιλαμβανόμεθα τῇ ἡμετέρᾳ παρυφισταμένου διανοίᾳ, οἱ δὲ βάρβαροι οὐκ ἐπαῖουσι καίπερ τῆς φωνῆς ἀκούοντες, τυγχάνον δὲ τὸ ἐκτὸς ὑποκείμενον, ὥσπερ αὐτὸς ὁ Δίων. τούτων δὲ δύο μὲν εἶναι σώματα, καθάπερ τὴν φωνὴν καὶ τὸ τυγχάνον, ἓv δὲ ἀσώματον, ὥσπερ τὸ σημαινόμενον πρᾶγμα, καὶ Λεκτόν, ὅπερ ἀληθές τε γίνεται ἢ ψεῦδος ». 8 bien défini d’une théorie des parties du logos qu’on dirait « classique »27, qui en reconnait une tripartition encore, à grands traits, admissible, et qui, surtout, a des correspondances dans beaucoup d’auteurs anciens. Mais en proposant de nouveau le passage, Agamben accomplit des opérations importantes : il traduit le τὸ de τὸ ὑπ’αὐτῆς δηλούμενον avec « en tant que » – « la chose en tant que manifestée par la φωνή » – et insiste sur la définition, donnée dans un premier temps par Sextus, de τὸ σημαινόμενον πρᾶγμα comme αὐτὸ τὸ πρᾶγμα, la « chose même ». Or, il est bien connu qu’il n’y a pas, aujourd’hui, parmi les interprètes, une lecture unique ni de ce passage, ni, en général, du lekton. Dans la formulation de Sextus, il est entièrement réduit au σημαινόμενον, qui en absorbe beaucoup des traits que les sources assignent généralement seulement à l’incorporel. Isnardi Parente a montré que, quant à la « signification » posée comme incorporel, « on ne saurait pas exactement reconnaître ce qui la distingue d’un simple concept »28. Et que le passage soit plutôt obscure, est confirmé par Michael Frede, qui, dans son toujours actuel The Stoic Notion of a lekton29, remarquait que « there must be something wrong with Sextus’ account » (p. 119). La difficulté, ensuite montrée comme apparente, ne dériverait non pas de la coïncidence entre lekton et signifié, mais, comme Frede même le dit et comme Brunschwig aussi le clarifie30, du fait qu’il soit « the only text which attributes to the Stoics the view that there is also a lekton corresponding to an expression like ‘Dion’ ». Au lieu de « Dion » Sextus aurait dû écrire, sur la base d’une proximité avec un texte de Sénèque31, quelque chose comme « Δίων περιπατεῖ, ‘Dion is walking’ », afin de satisfaire au caractère propositionnel accordé par les Stoïciens au lekton32. Mais on conviendra que, quant au statut effectif du lekton, il n’y a pas vraiment d’accord. On pourrait proposer, par exemple, comme cela a été fait, une lecture d’inspiration, pour ainsi dire, frégéenne33, selon laquelle les λεκτά seraient des contenus objectifs de pensée, c’est-à-dire des entités indépendantes soit de la 27 M. Foucault a situé chez les Stoïciens l’invention même du système ternaire des signes, cfr. Les mots et les choses, 1966, p. 57. 28 M. Isnardi Parente, La notion d’incorporel chez les stoïciens, dans Dherbey/Gourinat, Les stoïciens, 2005, p. 180. 29 Dans S. Everson (éd.), Companions to Ancient Thought, 3 : Philosophy of Language, 1994, p. 109-28. 30 Brunschwig, Remarques sur la théorie stoïcienne du nom propre, dans Étude sur les philosophies hellénisiques, 1995, p. 8. 31 Ep., 117, 13=FDS 892. 32 Gourinat objecte, en citant Priscien, que « dans l’Antiquité un nom propre isolé, employé comme réponse, désigne une proposition complète », dans La dialectique des stoïciens, 2000, p. 112. 33 Frege, « Über Sinn und Bedeutung », Zeitschrift für Philosophie und philosophische Kritik, 100, 1982, p. 22-50. 9 pensée soit du langage34. Par contre, on a insisté aussi, comme c’est le cas de Long35, sur la dépendance ontologique des λεκτά, qui eux-mêmes dépendent des λογικαὶ φαντασίαι, autrement dit de ce que les Stoïciens posent comme lieu et origine de toute connaissance humaine. Une résonnance de cette controverse arrive également jusqu’à Agamben, qui, en fait, en suivant l’argumentation de Schubert36, n’hésite pas à se demander lui-même dans quelle mesure le σημαινόμενον devrait être entendu comme contenu objectif de la pensée, à la manière de Frege, ou comme contenu subjectif, notamment pensée ou concept – donc proche du noema d’Ammonius. Cela équivaut, en détournant un peu la question et en l’orientant selon nos intérêts, à se demander si le lieu du lekton est à situer parmi les pensées ou parmi les choses – si son lieu est un lieu logique ou exclusivement ontologique. Mais, bien que Sextus ait intégré l’incorporel dans la signification de la chose, cependant, et comme disait encore Émile Bréhier qu’Agamben cite à ce moment, « si le ‘signifié’ est un ‘exprimable’, nous ne voyons nullement que tout exprimable soit un signifié »37 – que le fait d’être dicible soit identique au fait d’être signifié. Une coïncidence n’a pas lieu d’être et la situation reste, comme Agamben le dit, « aporétique ». Elle serait restée comme telle jusqu’à Augustin, qui en distinguant res (la chose), dictio (verbum et per verbum, c’est-à-dire la parole dans son aspect sémantique) et dicible, aurait dit de ce dernier qu’il est « parole et non pas parole », pas proprement verbum mais ex verbum – en ne réussissant donc pas à sortir de la confusion. La proposition d’Agamben alors – ce qui, peut-être, nous étonne un peu – est qu’une analyse « philologiquement correcte » du passage de Sextus est la seule qui contienne une véritable réponse. Nous pouvons en suivre l’argumentation en distinguant deux moments, dont la présupposition fondamentale est l’indication d’Ammonius concernant la présence d’un quatrième élément, et la conclusion est : le lekton n’appartient pas au domaine des pensées. Une première observation, c’est que Sextus avait distingué expressément les Stoïciens de ceux qui avaient posé « le vrai et le faux » (τὸ ἀληθές τε καὶ ψεῦδος) dans « le mouvement de la pensée » (περὶ τῇ κινήσει τῆς διανοίας). Mais alors le lekton, auquel, selon la dernière phrase de Sextus, vrai et faux appartiennent, ne peut en aucun cas coïncider avec la pensée. Et d’ailleurs, Sextus a placé le lekton « à côté » 34 Cfr. Frede, loc. cit., passim. 35 A. A. Long, Stoic psychology and the Elucidation of Language, dans Manetti (éd.): Knowledge through Signs, 1996, p. 109-131. 36 A. Schubert, Untersuchungen zur stoischen Bedeutungslehre, 1994, p. 15-16. 37 E. Bréhier, La théorie des incorporels dans l’ancien stoïcisme, 1928, p. 15. 10 de la pensée – il « subsiste à côté de la pensée » (παρυφισταμένου διανοίᾳ), il avait dit, tout en le séparant des choses de l’esprit. La deuxième observation concerne l’insolite formulation du lekton comme « αὐτὸ τὸ πρᾶγμα », que Sextus avait évoquée presque à l’ouverture du passage, quand il dit : « la signification est la chose même (αὐτὸ τὸ πρᾶγμα) en tant que manifestée par la voix ». Or, Agamben traduit intentionnellement avec « la chose même » : mais est-ce que cela veut dire que le lekton appartient au monde des choses ? La solution est à trouver, encore une fois, dans une certaine attention philologique : en choisissant le mot πρᾶγμα, Sextus n’a pas utilisé un équivalent de τυγχάνον, l’événement ou objet réel. Le πρᾶγμα est certes « chose » mais contient, dans son sémantique, aussi, précise Agamben, le sens de « ce dont on parle », « ce qui est en question », qui est « in causa » (comme dans le latin « res », qui signifie « ce dont il s’agit dans une discussion ou bien dans un procès, ce qui est en cause »).38 Également, le verbe utilisé – ὑφεστάναι, verbe que, on pourrait ajouter, Chrysippe emploie pour le passé et le futur par opposition au présent (SVF II 509) – indique expressément qu’il ne s’agit pas d’une chose au sens propre du terme, en tant qu’existant (dotée de ὕπαρξις). C’est pour cela que la traduction de la conclusion du passage est bien justifiée : le lekton est, bien sûr, la « chose », mais seulement en tant qu’elle est manifestée par la φωνή – et cela veut dire : dans son être-manifestée par la φωνή, considérée uniquement en tant que, dans la mesure où la φωνή l’exhibe. Lorsque Sextus spécifie que le lekton est « la chose en tant que manifestée par la voix », il indique proprement, dit Agamben, avec une clarté inattendue, « ce qui est en question dans la parole et dans la pensée ; la res qui, à travers la parole et la pensée, mais sans coïncider avec ceux-ci, est en question entre l’homme et le monde ». Le secret du lekton est entièrement caché dans un tel, bien sûr encore plus mystérieux, « être en question » du langage dans le langage même. Quel est, demandons-nous encore une fois, le lieu de cet « en tant que » ? Qu’est-ce que veut dire que le lekton exprime précisément « ce qui est en question » dans la parole humaine ? Il est à noter ici que, pour affirmer la nature ontologique du lekton, Agamben n’a pas eu besoin de recourir à la thèse heideggerienne, qu’il connait bien, de la valeur ontologique, et non pas logique, du verbe grec « λέγειν ». Cfr. aussi P. Hadot, Sur divers sens du mot ‘pragma’ dans la tradition philosophique grecque, dans Hadot/Aubenque, Concepts et catégories dans la pensée antique, 1980. 38 11 II. 2 L’Idée platonique comme dicibilité Une lueur arrive de Platon. Agamben n’a pas choisi au hasard le passage de Sextus ; tout comme son insistance sur l’auto to pragma, qui se trouve dans une position somme toute négligeable dans le passage considéré, n’est privée de sens. La raison est, à bien voir, plutôt évidente : il avait déjà abordé, dans le texte sur Platon de 1984, la question de l’Idée comme de « la chose même »39. Je ne retracerai pas ici l’argumentation bien articulée de l’auteur, que, peut-être, quelqu’un parmi vous connait déjà ; il sera suffisant de résumer brièvement la confrontation qu’il fait du passage cité de Sextus sur Chrysippe avec un passage de la VII Lettre de Platon (342 a8-d1). Le texte platonicien est assez célèbre. Platon y indique les cinq éléments nécessaires pour obtenir l’ἐπιστήμη, la science ou la connaissance de « chaque étant », en prenant l’exemple d’un cercle. L’episteme même, comme le texte l’explique, est le quatrième élément. Les autres sont ainsi indiqués : ὄνομα, λόγος, εἴδωλον, et un curieux « ce à travers lequel chaque étant est connaissable (γνωστόν) et est vraiment ». Il est à noter que, encore une fois, la traduction d’Agamben s’écarte intentionnellement de celle qui est communément admise : le passage original dit : πέμπτον δ’αὐτὸ τιθὲναι δεῖ ὃ δὴ γνωστόν τε καὶ ἀληθῶς ἐστιν ὄν : « en tant que quinzième, il faut poser cela même qui est à connaitre et qui est vraiment étant ». Mais dans le texte de 1984 Agamben avait beaucoup discuté la nécessité de revoir le texte des éditions Burnet et Souilhé, en restituant la leçon des manuscrits, qui était encore la version utilisée par Marsile Ficin. Si on maintient, en fait, le passage dans sa forme actuelle, en résulterait que le quinzième est simplement la chose qui est l’objet de la connaissance, bref : l’objet, l’« étant »40. Mais cela créerait une inutile structure circulaire, en situant à la quinzième place ce qui était la présupposition du discours entier (c’est-à-dire le « chaque étant »). Et cela corroborerait aussi l’interprétation d’Aristote qui « voit dans l’Idée une sorte d’inutile duplication de la chose ». Au contraire, la leçon des manuscrits, selon l’auteur qui s’appuie sur le travail d’autres chercheurs41, envisage en vérité un « δι’ὁ » au lieu de « δεῖ ὃ », c’està-dire « à travers lequel », « par lequel » (p. 14). Le quinzième élément est alors, dit Agamben, l’Idée, dont la dénomination « technique » dans le passage est « αὐτὸς ὁ κύκλος », « le cercle même, ce cercle-là » - une manière, on dirait, assez spéciale d’être « chose ». Le cadre interprétatif est bientôt clarifié : afin d’analyser la formule choisie par Platon pour l’Idée, Agamben en relève un fort caractère d’anaphore : dans « αὐτὸς ὁ cfr. La cosa stessa, dans La potenza del pensiero, p. 20. Ibid., p. 13. 41 Les manuscrits principaux pour les deux philologues étaient le Parisinus graecus 1807 et le Vaticanus graecus 1. La leçon a été restituée seulement en 1923 par Andreae, dans « Philologus », n. 78, p. 34s. 39 40 12 κύκλος », dit-il, l’« αὐτὸς » désigne quelque chose seulement, comme d’ailleurs tous les pronoms anaphoriques le font, « dans la mesure où cette chose a été déjà signifiée par la médiation d’un autre terme doté de sens ». Le pronom anaphorique, privé de toute référence virtuelle, en acquis une grâce à la relation avec le terme qui le précède. La référence serait, en ce cas, l’article même : le ὁ de l’αὐτὸς ὁ κύκλος, à l’origine pronom anaphorique lui-même. Il est à lier, selon une minutieuse analyse du passage, avec l’expression « κύκλος ἐστι τι λεγόμενον » : « le cercle est quelque chose de dit ». Il peut pour autant conclure : « l’αὐτὸς, puisqu’il se réfère à un terme déjà anaphorisé par l’article, reprend le cercle dans et par son être-dit, dans et par son être dans le langage […] Le cercle même – l’Idée – n’est ni l’un des quatre éléments ni cependant simplement un autre. Il est ce qui est chaque fois en question dans chacun d’eux et il reste à eux, au même temps, irréductible : il est ce à travers lequel le cercle est dicible et connaissable ». Sortons-nous un moment de ce labyrinthe philologique et demandons-nous : qu’estce que nous dit le passage de la VII Lettre, ainsi interprété, en relation au lieu du lekton ? Selon Agamben, le passage montre de curieuses affinités avec le texte de Sextus : l’incipit sur les éléments est similaire, et l’exemple à travers le nom de Dion, présent dans Sextus, rappelle le Dion de la VII Lettre – tandis que, précise Agamben, Aristote y avait substitué dans ses argumentations les noms de Corisco ou Callia. La correspondance est d’ailleurs linéaire : à la φωνή/σημαῖνον de Sextus correspond l’ὄνομα de Platon, qui est dit justement « ἐν φωναῖς » ; au τυγχάνον l’εἴδωλον, les deux caractérisés par leur statut occasionnel. Il reste à situer le σημαινόμενον/λεκτόν. Nous avons déjà exclu qu’il est pensée, donc il n’est pas possible qu’il corresponde à l’ἐπιστήμη de la VII Lettre. Le lekton ne peut que correspondre au quinzième élément du passage platonicien – à l’Idée. Comme c’est souvent le cas dans les textes d’Agamben, la boucle est bouclée avec une impeccable cohérence : Sextus n’avait-il pas défini le lekton par l’expression « auto to pragma » ? Si la conviction d’Agamben, pour laquelle l’Idée est exprimée par Platon dans le mouvement anaphorique de l’autos ho kyklos, est admise, alors l’opération accomplie est extraordinaire : pour lui, les Stoïciens situèrent le dicible à la même place de l’Idée. Cela ne signifie pas qu’ils équivalurent lekton et Idée, mais qu’ils conçurent pour le dicible, ce quatrième curieux élément, le même lieu entre langage et réalité que 13 Platon avait attribué à l’Idée. Un lieu inconfortable, à l’expression difficile, et cependant fondamental aussi bien pour le platonisme que pour le Stoïcisme. L’histoire de la philosophie post-platonicienne, dit Agamben, peut être lue, à partir d’Aristote, comme l’histoire de l’élimination ou de la tentative de penser autrement l’Idée. Dans le Peri hermeneias, par exemple, cela se passe dans une tractation du langage, dont la démarche est très proche de celles qu’on a jusqu’ici analysées, mais en ajoutant comme quatrième le gramma, et en omettant intentionnellement précisément l’Idée (cfr. Arist. De interpr. 16 a 3-7). Les chercheurs contemporains – la référence explicite est encore à Schubert (p. 15)42 – ont évoqué négativement cette proximité entre l’Idée et le dicible. Cela renforce la conviction d’Agamben : les Stoïciens ont repris de Platon le mode d’existence de l’Idée, en modelant sur lui celle du lekton. Et d’ailleurs, comme le lekton, à l’instar de chaque incorporel, est ce qui a « être » comme παρυφίστασθαι, le « subsister » à côté de la pensée, ainsi l’Idée platonicienne est avant tout paradigme - παρα-δειγμα, ce qui se montre à côté des choses. « La chose même – avait dit Agamben en discutant de l’Idée platonique – n’est pas une chose – elle est la dicibilité même, l’ouverture même qui est en question dans le langage, qui est le langage, et que dans le langage nous présupposons et oublions constamment» (La cosa stessa, p. 18). Le mérite des Stoïciens est donc d’avoir donné, à ce quatrième qu’ils avaient réhabilité, la dénomination qui lui revient : le « dicible ». Il est facile de remarquer, ici, comment non seulement la théorie stoïcienne du lekton, mais également celle platonique de l’Idée, acquit une nouvelle possibilité d’interprétation. N’était-il pas dit, dans le même passage de la VII Lettre, que l’Idée n’est pas « rheton », « dicible » comme les autres mathemata ? Mais Agamben nous invite à relire le passage du Parménide (135 e 3), où Platon, en parlant des Idées, avait dit qu’elles sont « ce qu’on peut prendre le plus avec le logos » (ekeina ha malista tis an logoi laboi). L’Idée, dans sa proximité au lekton, est donc ce qui est malista dicible, le lieu où dicible et indicible se rencontrent – et il est le mérite des Stoïciens d’avoir clarifié, avec leur choix lexical, le lieu paradoxal du fait de parler, de cet « en tant que », cette inexprimable exprimabilité. Que le lekton soit un fait, expression d’un événement – cela était bien connu ; Agamben précise de quel fait il s’agit : le fait de parler. 42 Long, Socrates in Hellenistic Philosophy, dans Stoic Studies, 1996, p. 18-19, a noté comment la lecture de Platon, au-moins pour Zénon, était obligatoire ; mais qu’il, probablement en suivant Antisthène, avait montré une certaine méfiance, surtout à l’égard de la nature séparée des Idées et de l’immatérialité de l’âme. 14 III. Objections On peut essayer, au moment où nous en sommes, de soulever certaines objections. Elles dérivent, presque toutes, du fait que la question originaire ne semble pas vraiment être, avec le rapprochement entre le lekton et l’Idée, complètement résolue. Le lieu qui a été identifié pour le lekton reste, malgré tout, une position problématique, qui montre bien ce qu’on avait compris, au début de notre analyse d’aujourd’hui, comme excès du logos, comme impossibilité de saisir ce qui nous précède toujours. A. La valeur logique du lekton On objectera – c’est la première et peut-être la principale des objections – que le lekton est en tout cas à comprendre dans la matière linguistique des tractations logiques dans lesquelles il apparaît effectivement, et sur laquelle se modèle son nom même.43 Il est bien connu que Chrysippe a toujours eu tendance à parler du lekton comme d’un ἀξίωμα aussi dans le cas où c’est un ἀξίωμα incomplet (je pense, par exemple, à un texte de Sextus, dans l’Adversus Math., où l’ἀσώματον est dit ἀξίωμα et l’ἀξίωμα est immédiatement défini λεκτόν44), en ne manquant donc jamais d’en souligner la valeur logique. Et, d’autre part, la définition ancienne la plus célèbre de toutes et, on dirait, fondatrice de notre interprétation du lekton stoïcien est la suivante : « Le lekton est ce qui subsiste d’après une représentation logique (κατὰ λογικὴν φαντασίαν ὑφιστάμενον) » (Adv. Math. VIII. 70) et la « représentation logique » est celle « d’après laquelle il est possible de représenter discursivement (λόγῳ) l’objet de la représentation (τὸ φαντασθὲν) » (ibid.) 45 Cela veut bien dire que le lekton, qu’une part des lecteurs modernes entend et traduit comme « ce qui est dit »46, est à comprendre à peu près comme « le sens de l’énoncé qui l’expose discursivement » et qui n’existe que « dans l’actualité de la Hülser disait: « von Hause aus ist die Lekton-Theorie kein Thema der Physik, sondern eins der Dialektik », p. 833. 44 VII, 38, SVF II 132 ; cfr. aussi Isnardi Parente, p. 183. 45 Λεκτὸν δὲ ὑπάρχειν φασὶ τὸ κατὰ λογικὴν φαντασίαν ὑφιστάμενον, λογικὴν δὲ εἶναι φαντασίαν καθ’ἣν τὸ φαντασθὲν ἔστι λόγῳ παραστῆναι (SVF II 187 = LS 33 C = FDS II 699). 46 A. A. Long, Language and thought in Stoicism, dans Long (éd.), Problems in Stoicism, 1971, p. 77. 43 15 profération » (Ildefonse, p. 138). Mais ni le sens du « κατὰ » ni la place du φαντασθὲν et celui de son rapport avec le lekton n’ont été vraiment clarifiés.47 Mais qu’est-ce qu’assigner le lekton au « lieu logique » veut dire ? Il faudra admettre que la lecture agambenienne reste extrêmement fidèle à la structure unitaire de la philosophie des Stoïciens, en écartant toute projection moderne de distinguer ce qui a à faire avec le langage de ce qui participe à un autre domaine. Il n’y a pas d’extériorité possible dans le système stoïcien : avoir non simplement déclaré mais accompli cette démarche c’est, sans aucun doute, la grande valeur de l’analyse d’Agamben. Et si cela ne garantit pas encore que le lekton ait eu cette valeur onto-logique qu’Agamben propose de lui attribuer, il le rend évidemment au-moins admissible. Il est intéressant, en tout cas, que l’auteur ait eu bien conscience de l’objection. Il argumente, en fait, que, bien que le contexte, dans lequel le dicible apparaît, soit presque partout linguistique, il est nécessaire de prêter attention aux traces de son statut non-linguistique que les témoignages conservent. Il y a deux passages qui sont rappelés dans cette circonstance. Le premier, encore de Sextus (VIII, 80 ; SVF II, 167), soutient que, selon les Stoïciens, le lekton « λέγεσθαι δεῖ », doit être dit. Est-il donc possible de dire quelque chose de linguistique ? Un passage de Diogène Laërce suggère une réponse, et Agamben nous le rappelle. Dans le livre VII des Vies (VII, 57 ; SVF III. 20), il spécifie, en parlant de Chrysippe, que « λέγεται τὰ πράγματα », mais « προφέρονται αἱ φωναί » – les choses sont dites (dans le sens de πρᾶγμα), les mots, par contre, sont proférés ; et « πράγματα », continue Laërce, sont les lekta48. La conclusion d’Agamben est immédiate : « l’acte de parole », dit-il, « et ce qui chez lui est en question, sont différents ». B. L’origine métaphysique du lekton Je voudrais ici rappeler encore, très brièvement, quelques positions sur le lekton qui, au-moins apparemment, semblent être proches de celle d’Agamben. Que le lekton n’ait pas été d’emblée interne à des tractations linguistiques, a été bien remarqué, il y a longtemps, par certains interprètes : Michael Frede, par exemple, avait montré comment l’usage prédominant du mot parmi les choses du langage s’était imposé seulement avec Chrysippe, dans la double direction de l’ἀξίωμα et du κατηγόρημα. Il parle, pour le lekton, d’une « metaphysical notion, the notion of a fact » (p. 113), au-moins pour ce qui concerne les toutes premières occurrences. Cléanthe, le premier des Stoïciens qui, selon le témoignage de Clément Cfr. Alessandrelli, Il problema del lekton nello stoicismo antico, 2013, p. 65-75. Agamben aurait peut-être pu ajouter, en plus de cela, ce que dit Plutarque, qui, en parlant du γένος τῶν λεκτῶν, l’associe à l’οὐσίαν τῷ λόγῳ παρέχον; cfr. Alessandrelli, p. 102. 47 48 16 d’Alexandrie49, avait fait usage du terme, en aurait fait un usage « métaphysique », en le reconnaissant avant tout comme effet incorporel d’une cause (corporelle)50, et en n’identifiant pas encore cette circonstance avec un « lekton incomplet » dans le sens linguistique – bien que la présence, dans un contexte physique, d’un terme logique soit évidemment au-moins « remarquable »51. On se souviendra, encore, que Brunschwig reconnaissait le lekton comme « défini en termes physiques, et non en termes logiques, dialectiques ou sémantiques, du moins à l’origine » (p. 91). Mais, attention, même cela est en vérité hétérogène à la reprise agambenienne : il considère le lekton en tant que relatif à des questions linguistiques, bien qu’il soit quand même quelque chose de plus. Sa tentative d’en repérer la nature nonlinguistique et, dans le sens qu’on a vu, objective, ne peut pas être confondue avec ce que les chercheurs ont voulu dire en parlant de la « métaphysique » du terme « lekton ». Chez Agamben, le lekton reste le dicible, ce qui peut ou qui doit être dit, la chose, certes, mais dans sa dicibilité et en tant que comprise dans l’acte d’être dite. Il a comme la valeur d’une annonce : loin de constituer quelque chose de proprement existant ou d’avoir la fonction de signifier, il est signe – le signe qu’il est possible de parler ; que la chose, en entrant dans le langage, laisse et exprime la trace de sa propre dicibilité. Quelque chose de similaire a été exprimée par Frédérique Ildefonse lorsque, en précisant la nature du lekton incomplet (le λεκτὸν ἐλλιπές), elle l’avait comparé à une « maison qu’on bâtit » : la maison « n’est pas encore », dit-elle, « une maison – à moins d’anticiper la maison complète, qui seule permet de reconnaître la maison incomplète » (p. 147). L’attribution de « complétude » témoigne, évidemment, de la « primauté de la proposition » (du λεκτὸν αὐτοτελές, complet) sur le prédicat. Mais alors le lekton incomplet, cette « innovation proprement stoïcienne »52, contient en soi une annonce, l’indication de la possibilité de complétude, de la possibilité de la proposition, de la possibilité du vrai et du faux. Quelque chose de proche doit représenter le lekton dans la lecture d’Agamben : il est au-deçà de toute action dans le langage et simple annonce de cette possibilité même, indice du fait de la parole. Si, bien que saisissant et développant la convergence de langage et mode d’existence – c’est-à-dire l’un des aspects du Stoïcisme les plus intéressants pour un lecteur contemporain : la nature verbale de l’événement –, il a complétement négligé l’extension du lekton – de la notion du κατηγόρημα jusqu’à celle du λεκτόν 49 Strom., VII.9=SVF I.488=FDS 763. 50 Chrysippe avait éclairci, contrairement à Zénon qui le laisse indéterminé, que l’effet – ce « dont une cause est cause » – n’est pas un corps (SVF I, 89). Il avait aussi assuré une quelque réalité au prédicat non encore attribut (συμβεβηκός), en parlant d’entités subsistantes (SVF II 509); cfr. Sedley, Hellenistic Physics and Metaphysics, dans The Cambridge Historie of Hellenistic Philosophy, 1999, p. 398. 51 Ildefonse, loc. cit., p. 189. 52 M. Baratin, La naissance de la syntaxe à Rome, p. 384-5, cité par Ildefonse, p. 146-7. 17 αὐτοτελές de Chrysippe –, c’est, évidemment, parce qu’elle est superflue en vue de sa recherche. Il nous veut proposer un lekton dans sa fonction, avant tout, de signe de l’exigence – et qui seulement successivement est à décliner dans les possibilités effectives, toutes internes au langage, que nous connaissons. Sa lecture choisit donc d’être un regard préliminaire, presque fondateur, sur le dicible – marque et signe de la dicibilité. IV. Conclusion Le fait que Chrysippe ait agi consciemment ou pas en exprimant l’exigence de l’indicible est-il marquant pour la pensée d’aujourd’hui ? Ce qu’Agamben a voulu montrer est clair : les Stoïciens avaient su saisir le fait du langage avant de se plonger dans son analyse pour le comprendre. Mais qu’ils aient remis au lekton, ce quatrième qu’Aristote ne comprendrait pas, l’annonce de l’exigence, n’est peut-être mieux démontrable qu’à travers l’argumentation par lui proposée et ici retracée. Il a, bien sûr, repéré un lieu très incertain de l’histoire de la pensée philosophique et a tenté de le comprendre, pour ainsi dire, de l’extérieur. Son approche, qui ne veut pas comprendre le lekton, mais plutôt la philosophie à travers le lekton, est peut-être justifiée par une conviction de Hülser, et qui est propre à beaucoup : à savoir, que les témoignages relatifs au lekton stoïcien ne fournissent qu’une formulation assez simplifiée de la théorie53. Cela incite en effet à regarder au-delà de la lettre, à saisir la position de la théorie dans l’intérêt plus général de la philosophie ancienne et, avec lui, de la philosophie entière, à partir d’une urgence contemporaine. Et cependant, le trait le plus marquant de la proposition de l’auteur en est, ce qui est évident, l’insistance philologique : toutes les réponses sont recherchées dans le texte, et toute correspondance qui pourrait apparaître illégitime sur le plan historiographique (comme l’est, peut-être, celle entre le dicible et l’Idée) est, pour ainsi dire, justifiée sur le plan littéral. Il n’y a pas de regard extérieur qui n’épouse pas, ou qui ne soit pas déterminé par, l’attention philologique la plus tenace – toute interne, toute immanente aux témoignages. Dans le court texte intitulé Programma per una rivista de Infanzia e storia, et qui devait servir d’éditorial pour un projet de revue longtemps suspendu, Agamben avait indiqué dans la « philologie » un chemin de réappropriation du passé. « La philologie » nous y lisons, « réveille le mythe de sa rigidité archétypique et de son isolement, et le rend à l’histoire »54. Elle est ce qui se réapproprie « de manière 53 Ils seraient : « sehr bloß und wenig befriedigend; was sie ausführen, ist wesentlich unvollständig », dans FDS II, p. 832. 54 Agamben, Programma per una rivista, dans Infanzia e storia. Distruzione dell’esperienza e origine della storia, 1978, p. 139-148. 18 critique » de la « fracture de la parole », qui coïncide avec l’écart entre le « contenu » et sa « transmission historique ». La contribution qu’Agamben donne à la compréhension de la pensée antique est à comprendre dans cette perspective : une philologie critique qui vise à l’« arché » opérant dans l’histoire – non pas, selon la célèbre formulation de Walter Benjamin, dans le sens d’une origine chronologique, mais en tant que présence qui se propose encore et toujours et qui se rend visible dans le déroulement historique sans jamais, toutefois, coïncider avec lui. Le travail archéologique recherche ainsi les lieux où la pensée – cette unique pensée qui lie et institue l’histoire de l’occident – se rend finalement intelligible, libérée de ce qui en empêche l’accès, la durcit dans des catégories fixées et en enferme toute potentialité cachée. Avec Agamben, il ne s’agit pas simplement d’un dialogue – entre nous et les anciens, entre l’exigence contemporaine de l’indicible et l’expression stoïcienne du dicible. Le Stoïcisme devient concrètement plus proche, « contemporain » lui aussi, actuel pour les questions qu’il pose et pour les réponses qu’il donne. Dans la suspension, pour la pensée, de toute conformisation à la succession chronologique, il est reconnu comme interlocuteur à l’instar d’autres et plus avisé que d’autres. Non seulement il est fait vivant, mais aussi décisif, « fondateur », certes, comme le disait Pohlenz, « de la philosophie occidentale du langage »55, mais par une perspective inédite et débordante. La « révolution stoïcienne de la logique » dont les raisons sont, comme le disait Émile Bréhier, à trouver « dans la physique » (p. 13), devient avec Agamben une apparition exceptionnelle, toute première, toute fondatrice, aux raisons « ontologiques ». M. Pohlenz, Die Begründung der abendländischen Sprachlehre durch die Stoa, dans « Nachrichten der Göttinger Gesellschaft », 6, 1939. 55 19 Bibliographie AGAMBEN, G., La cosa stessa (1984), dans La potenza del pensiero, 2010 AGAMBEN, G., L’idea del linguaggio (1984), dans La potenza del pensiero AGAMBEN, G., Vocazione e voce (1980), dans La potenza del pensiero AGAMBEN, G., L’avventura, 2015 AGAMBEN, G., Il linguaggio e la morte, 1982 AGAMBEN, G., Programma per una rivista, dans Infanzia e storia. Distruzione dell’esperienza e origine della storia, 1978 ALESSANDRELLI, M., Il problema del lekton nello stoicismo antico, 2013 BENJAMIN, W., Brief an Martin Buber vom 17. 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