N°1 Mai 2003 DÉTAILS TECHNIQUES Prostatectomie Radicale Retro-Pubienne. La Preservation des Lames Vasculo-Nerveuses Dr Christian Barret Urologue - clinique urologique, St-Sebastien sur Loire longer la face postéro-latérale de l’urètre en restant sur la face antérieure du rectum jusqu’au plancher pelvien. La dissection de ces lames expose à deux risques : la blessure des nerfs caverneux et la création de marges chirurgicales positives. I. LES BASES ANATOMIQUES ET CARCINOLOGIQUES DE LA TECHNIQUE OPERATOIRE Les lames nerveuses longent les parois antéro-latérales du rectum [2]. Elles distribuent à la prostate sur ses deux angles postéro-latéraux sa vascularisation et son innervation. Chacune de ces lames est constituée de deux parties (fig. 1) : - L’une externe, plus ou moins fibreuse qui donne une certaine solidité à la lame : c’est le fascia du releveur [3]. Ce fascia qui est accolé au fascia prostatique sur les bords latéraux de la prostate se sépare de ce dernier au niveau de l’angle postéro-latéral. - L’autre interne, constituée d’éléments vasculo-nerveux noyés dans un tissu fibroconjonctif. Elle contient les vaisseaux et nerfs prostatiques qui vont perforer le fascia prostatique et la capsule pour pénétrer la glande au niveau des pédicules supérieurs et LE RISQUE NEUROLOGIQUE Figure 1 : Coupe transversale au tiers moyen de la prostate. FP = Fascia Prostatique FR = Fascia du Releveur LN = Lame Nerveuse NC = Nerfs Caverneux inférieurs et les nerfs caverneux, branches efférentes du plexus hypogastrique qui vont se rapprocher progressivement de la prostate de la base vers l’apex. A ce niveau ils ne sont plus qu’à quelques millimètres de la glande. Ils vont ensuite 5 L’atteinte des nerfs caverneux peut être réalisée par un traumatisme chirurgical direct de la lame nerveuse mais aussi par le simple étirement des fibres végétatives qui sera d’autant plus important que la traction d’exposition sera grande. LE RISQUE CARCINOLOGIQUE Il fait référence à différents travaux : • Le franchissement capsulaire se fait en plus grande fréquence en situation postéro-latérale, là où s’insèrent les lames nerveuses et plus précisément le long des gaines nerveuses[4]. DÉTAILS TECHNIQUES Prostatectomie Radicale Retro-Pubienne. La Preser vation des Lames Vasculo-Ner veuses • Près de 78% des marges chirurgicalement induites en situation postéro-latérale sont dues à la technique de préservation nerveuse [5]. • Le franchissement capsulaire focal est présent dans 20% des cas [6]. • Lorsque les bandelettes vasculo-nerveuses sont excisées en raison d’une suspicion d’envahissement extra-capsulaire, la tumeur ne pénètre pas plus de 2 mm dans la lame nerveuse dans 75 % des cas [7]. Pour toutes ces raisons, la règle est de créer un plan de dissection à quelques millimètres de la prostate en évitant toujours d’être au contact immédiat du fascia prostatique. Pour ne pas blesser les nerfs érecteurs, cette dissection doit être hyper sélective et isoler des pédicules millimétriques sans jamais s’écarter de plus de 3 ou 4 mm de la prostate [8]. II. LA TECHNIQUE CHIRURGICALE Nous décrirons la dissection adaptée au côté droit, la manœuvre controlatérale étant similaire. Pour l’exposition de ce temps opératoire, il faut positionner sans aucune traction, la sonde urétrale sur le côté gauche de l’incision, l’opérateur réalisant avec sa main gauche une légère pression sur la prostate pour horizon- taliser la lame nerveuse. Deux temps opératoires vont se succéder : - l’incision du Fascia du releveur - la dissection supra sélective de la lame nerveuse 1. INCISION DU RELEVEUR FASCIA DU (F IG. 2) Le fascia du releveur, d’abord accolé au fascia prostatique sur toute la face latérale de la prostate, se sépare de ce dernier au niveau de l’angle postéro-latéral pour recouvrir la lame nerveuse. Sa texture est variable, il est quasi-inexistant à l’apex et devient une véritable aponévrose, souvent dédoublée à la base. Il ne faut donc jamais exercer une traction importante sur la sonde pour exposer l’apex. Le fascia n’ayant aucune solidité à ce niveau, c’est la lame nerveuse, plus fragile qu’un mésentère, qui va se déchirer instantanément. L’incision de ce fascia doit se faire au niveau de l’angle postéro-latéral, là où s’insère la lame nerveuse. Il faut d’abord soulever ce fascia avec un dissecteur à pointe ultra fine, en commençant à quelques millimètres de l’apex, là où il s’individualise(fig. 3a). Ce feuillet toujours pellucide à cet endroit, est décollé doucement de la lame nerveuse en écartant les mors du dissecteur (fig. 3b). Il est incisé secondairement aux ciseaux. Cette manœuvre est répétée plusieurs fois jusqu’à la base où le 6 N°1 Mai 2003 fascia est ici beaucoup plus épais et presque toujours dédoublé. Lorsque cette incision est terminée, les deux berges du fascia s’écartent de 1 à 2 cm ouvrant l’espace de dissection de la lame. A partir de ce moment, les gestes doivent être prudents car la lame a perdu sa relative solidité et elle déchirera à la moindre traction inopportune. L’erreur qu’il faut éviter, est de vouloir inciser ce fascia plus haut, sur le bord latéral voire la face antérieure de la prostate. Cette manœuvre est inutile et dangereuse car il est très facile à ce niveau de décoller en même temps le fascia du releveur et le fascia prostatique sans s’en rendre compte. Le risque de marge est alors maximum. 2. D ISSECTION HYPERSÉLECTIVE DE LA LAME NERVEUSE (F IG. 4) Il faut se reporter à l’apex, et repérer le plan de décollement prostato-rectal médian qui a été créé précédemment. La traction très douce de la sonde va exposer la lame vasculo-nerveuse qui borde latéralement ce plan médian. Un dissecteur spécifique à pointe ultra fine va prendre directement appui sur la face postérieure de l’apex prostatique et isoler à partir de ce plan médian des micro pédicules de quelques millimètres qui se tendent latéralement. Au cours de cette manœuvre l’aide doit faire contre-appui sur la lame avec une pince à disséquer pour éviter des lésions d’étirement. DÉTAILS TECHNIQUES Prostatectomie Radicale Retro-Pubienne. La Preser vation des Lames Vasculo-Ner veuses N°1 Mai 2003 Figure 2 : Incision du fascia du releveur. Figure 3a : Décollement du fascia du releveur au dissecteur fin. Les pointillés indiquent la direction du décollement. Figure 3b : Les mors écartés du dissecteur facilitent l’incision du fascia Figure 4 : Dissection hyper-sélective de la lame nerveuse. 7 DÉTAILS TECHNIQUES Prostatectomie Radicale Retro-Pubienne. La Preser vation des Lames Vasculo-Ner veuses L’hémostase de ces pédicules est réalisée par des mini-clips de 3.8 mm positionnés à 3 ou 4 mm de la prostate. La section du pédicule est réalisée avec des ciseaux à pointe fine au ras du clip de façon à laisser constamment une lame de tissu conjonctif sur la pièce opératoire. Ce tissu conjonctivo-adipeux recouvrant l’angle postéro-latéral doit être retrouvé sur les lames histologiques. Il prévient le risque de marges d’exérèses positives dans les cas de franchissement capsulaire focal. Toute coagulation est proscrite, dès que les premiers millimètres de la lame sont libérés, la dissection devient alors plus facile. Il faut reprendre et développer à nouveau le plan prostato-rectal avec les ciseaux de Metzenbaum, ce décollement permet d’exposer la lame nerveuse latéralement. Cette manœuvre doit être renouvelée plusieurs fois au fur et à mesure de la progression de la dissection. Pour faciliter le travail de l’opérateur, l’aide doit tendre doucement la lame avec une pince à disséquer (sans jamais la pincer), ce qui expose sa zone d’insertion sur la prostate (fig. 5a). L’opérateur peut alors poursuivre très aisément cette ultra dissection Le dissecteur est toujours utilisé de la même façon : il prend appui sur la face postérieure de la prostate et isole des micro pédicules millimétriques qui se tendent latéralement (fig. 5b). La progression se fait en contournant l’angle postéro-latéral et en terminant sur la face latérale. La manœuvre inverse est déconseillée car la dissection risque de s’égarer dans la lame nerveuse voire décoller par inadvertance le fascia prostatique. Cette dissection hypersélective est terminée lorsque la face postérieure de la vésicule séminale, recouverte du Denonvilliers, commence à apparaître. A ce niveau les nerfs érecteurs sont très à distance et le danger neurologique écarté. Il faut alors sectionner les pédicules épais de la base prostatique qui recouvrent la face latérale de la vésicule séminale. Un dissecteur normal peut être utilisé (fig. 6). En général trois à quatre gros pédicules doivent être sectionnés pour que la face latérale de la vésicule séminale soit complètement exposée. Une pince à disséquer saisit la vésicule séminale recouverte du feuillet antérieur du Denonvilliers et les ciseaux de Metzenbaum décollent progressivement cet espace inter-vésicoséminal en restant toujours au contact du plan séminal (fig. 7). Ce décollement entre la face postérieure de la vessie et le bloc sémino-déférentiel est mené le plus loin possible (fig. 8). La manœuvre est alors interrompue pour le côté droit. La préservation nerveuse gauche est réalisée de la même façon. Il faut cependant faire encore plus attention à ne pas tirer sur la sonde vésicale car la lame ner- 8 N°1 Mai 2003 veuse restante est encore plus fragile, et notamment à l’apex. Elle peut déchirer très facilement sur quelques millimètres. Le décollement inter-vésico-séminal est complété à la fin de ce temps opératoire, de la même façon que du côté droit. 3. DISSECTION DU BLOC SEMINO DEFERENTIEL Le col vésical ayant été conservé ou réséqué, la vessie est réclinée par une valve malléable. La traction de la prostate par la sonde de Foley permet d’exposer le bloc sémino-déférentiel recouvert du feuillet antérieur du fascia de Denonvilliers qu’il faut conserver au contact des vésicules séminales. Chaque ampoule déférentielle est sectionnée et ligaturée, le plus à distance possible de la prostate. La dissection du fond des vésicules séminales est réalisée aisément en isolant les différentes artères sémino-déférentielles qui seront contrôlées par des clips, la vésicule séminale devant être enlevée en totalité. Le risque anatomique théorique de lésion des nerfs érecteurs lors de ce temps opératoire s’avère en pratique inexistant, si l’on prend soin de bien tendre la pièce éloignant ainsi le fond des vésicules séminales du danger neurologique et d’autre part si l’on respecte une dissection au contact même de la vésicule séminale sans s’égarer en profondeur et latéralement (fig. 9). DÉTAILS TECHNIQUES Prostatectomie Radicale Retro-Pubienne. La Preser vation des Lames Vasculo-Ner veuses Figure 5a : La lame nerveuse est tendue par une pince à disséquer pour exposer sa zone d’insertion sur la prostate Figure 5b: Hémostase des micro-pédicules par clips de 3.8 mm Figure 6 : Ligature des pédicules de la base prostatique au-dessus du plan de la lame nerveuse Figure 7 : Découverte du plan intervésico-séminal Figure 8 : Décollement entre la face postérieure de la vessie et le bloc sémino-déférentiel. La flèche indique l’axe du décollement. 9 N°1 Mai 2003 DÉTAILS TECHNIQUES Prostatectomie Radicale Retro-Pubienne. La Preser vation des Lames Vasculo-Ner veuses N°1 Mai 2003 Figure 9 : Dissection et hémostase des pédicules sémino-déférentiels III. EXAMEN DE LA PIÈCE OPÉRATOIRE Cet examen attentif de la pièce opératoire est indispensable pour l’analyse critique de la qualité de la dissection. Il faut vérifier macroscopiquement l’absence d’incision capsulaire postéro-latérale. La pièce sera totalement encrée, après l’ablation des différents fils et clips, avant d’être fixée et adressée au laboratoire d’histopathologie RÉFÉRENCES 1 Ba rré (C), Chauveau (P), Prostatectomie radicale rétropubienne. Encycl Méd Chir (Editions Sci entifiques et Médicales El sevier SAS, P aris, tous droits réservés), Techniques chirurgicales – Urologie, 41-295, 2002, 14 p. 2 Wal sh (P.), Anatomic radical retropubic prostatectomy, In : Walsh P, Retik A, Vau ghan E, Wein A, eds. Campbell’S Urology. Philadelphia : Saunders, 1998 : 2565-2588. 3 Myers (R.P.), Radical prostatectomy : pertinent surgical anatomy, Atlas Urol clin North Am 1994 ; 2 :1-18. 4 Villers (A.), Extracapsular tumor extension in prostatic cancer : pathways of spread and implications for radical prostatectomy, Monographs in Urology 1994 ; 15 : 61-77. 5- Rosen (M.A.), Goldstone (L.), Lapin (S.), Wheeler (T.), Scardino (P.T.), Frequency and location of extracapsular extension and positive surgical margins in radical prostatectomy specimens, J Urol 1992 ; 148 : 331-7. 6 Epstein (J.I.), Pizov (G.), Walsh (P.C.), Correlation of pathologic findings with progression after radical retropubic prostatectomy, Cancer 1993, 71 : 3582-93. 7 Quinlan (D.M.), Epstein (J.I.), Carter (B.S.), Walsh (P.C.), Sexual function following radical prostatectomy : influence of preservation of neuro-vascular bundles, J Urol 1991 ; 145 : 998-1002. 10 8 Barre (Ch.), Chauveau (Ph.), Pocholle (Ph ;), Colls (Ph.), « Surgical technique to reduce positive margins in nerve sparing radical retropubic prostatectomy » 25th World Congress of the Societé Internationale d’Urologie, Br J Urol 2000 86 sup. 3 :40.