d’études socio-économiques de l’UQAM Note socio-économique #2 : Le salaire minimum! Rédigée par Frédéric Rogenmoser, Décembre 2013 Le salaire minimum vient de franchir le cap du 10$ au Québec soit exactement 10,15$. Bien sûr, les débats enflammés sur le salaire minimum sont nombreux et reviennent à chaque occasion où le salaire minimum augmente. Il va de soi que les économistes néolibéraux et le patronat ressortent leurs mythes bien ancrés dans la perspective de la droite économique. D’abord, le salaire minimum ne toucherait que les jeunes selon eux. En effet, les entreprises seraient prêtes à engager les jeunes s’il pouvait les payer moins chers et ceci, en retour, leur permettrait d’acquérir de l’expérience afin de gagner plus tard un plus gros salaire. Cependant, selon une étude de Statistique Canada publiée en 2007, 36,6 % des 547 000 travailleurs au salaire minimum avait 25 ans et plus. Même s’il compte une majorité de jeunes, l’emploi à temps partiel touche 275 200 Canadiens de plus de 25 ans (Statistique Canada, 2008). En somme, le portrait socio-économique n’est pas composé que de jeunes comme le prétend le patronat et sa suite. Leur argument important reste néanmoins les emplois perdus et la hausse du chômage. Selon leur théorie particulière, l’offre et la demande étant ce qu’elle est, les employeurs engagent. Comme si le modèle d’affaires de toute bonne entreprise « socialement responsable » était d’engager le plus de monde possible. L’économiste de l’UQAM Pierre Fortin ira même jusqu’à avancer que 1% d’augmentation du salaire minimum au Québec réduit le nombre d’emplois de 8 000 postes (Fortin, 2010) Analyser l’effet du salaire minimum n’est pas simple et suppose bien des causes à effet. Il est vrai que certaines entreprises pourraient écoper, mais le problème est que d'autres pourraient en profiter. Un salaire minimum à la hausse augmente aussi le pouvoir d’achat de gens et donc 1 les ventes et profits des entreprises sont aussi à la hausse. Bref, un restaurant aura certes un peu plus de salaires à payer, mais il aura aussi plus de clients. De plus, vous pouvez observer au Tableau 1 qui suit que le niveau du salaire minimum n’est aucunement corrélé avec un haut ou bas taux de chômage. Par exemple, l’Irlande a un salaire minimum élevé et un chômage élevé alors que la Grèce et l’Espagne ont les pires taux de chômage chez les jeunes et pourtant leur salaire minimum est presque la moitié du Québec. Tableau 1 : Comparaison du salaire minimum et du taux de chômage (Population entière et 15 ans à 24 ans) Pays Luxembourg Belgique Irlande Pays-Bas France Canada Japon Royaume-Uni États-Unis Espagne Grèce Portugal Pologne Salaire Taux de Taux de chômage minimum chômage chez les 15-24 ans en 2012 en 2011 en 2011 13,36 $ 4,9% 16,8% 10,92 $ 7,2% 18,7% 10,84 $ 14,6% 30,3% 10,80 $ 4,4% 7,7% 10,57 $ 9,3% 22,1% 9,99 $ 7,5% 14,1% 9,28 $ 4,8% 8,0% 9,23 $ 8,0% 20,0% 7,40 $ 9,1% 17,3% 5,55 $ 21,8% 46,4% 5,07 $ 17,9% 44,4% 4,20 $ 13,4% 31,1% 2,79 $ 9,8% 25,8% Source : (OCDE, 2013; Office des statistiques de Communautés Européenne, 2013) Le salaire minimum est en réalité une question de justice sociale et de redistribution des richesses. La vérité est que la pauvreté est à la baisse dans les pays ayant un salaire minimum élevé comme on peut le voir au tableau 2 qui suit : 2 Tableau 2 : Comparaison du salaire minimum et du taux de pauvreté Luxembourg 13,36 $ Taux de pauvreté (dernière année disponible) 7,2% Belgique 10,92 $ 9,7% Irlande 10,84 $ 9,0% Pays-Bas 10,80 $ 7,5% France 10,57 $ 7,9% Canada 9,99 $ 11,9% Japon 9,28 $ 16,0% Royaume-Uni 9,23 $ 10,0% États-Unis 7,40 $ 17,4% Espagne 5,55 $ 15,5% Grèce 5,07 $ 14,3% Portugal 4,20 $ 11,4% Pologne 2,79 $ 11,0% Pays Salaire minimum en 2012 Source : (OCDE, 2013; Office des statistiques de Communautés Européenne, 2013) En effet, on remarque que les pays ayant un salaire minimum de plus de 10 $ de l’heure, ont des taux de pauvreté de moins de 10%. À un salaire de moins de 10$ de l’heure, le taux de pauvreté se situe à plus de 10%. On pourrait appeler cette formule le 10$-10%, car pour un salaire minimum de 10$ et plus, on a moins de 10% de pauvreté. À moins de 10$, on a un taux de pauvreté de plus de 10%. On peut aussi observer que le cas des États-Unis, pays ayant un salaire minimum bas et donc louangé pour nos économistes « lucides déclarés », ont au taux de pauvreté de 17,4%. Les ÉtatsUnis, dont le 1% possédait en 2010 plus de 50,4% des actifs de placement (Domhoff, 2013). Ceci est le résultat en parti d’un bas salaire minimum qui a permis au monopole du 1% de s’enrichir plus que la classe pauvre et moyenne. Barack Obama l’a encore répété dernièrement qu’au cours des dix dernières années, le gros de l’accroissement de la richesse aux États-Unis a été accaparé par le 1% de nantis. Le cas de la Grèce et de l’Espagne démentent l’idée que leurs problèmes découlent de l’État providence de ces deux pays. Le salaire n’est pas certes le problème principal de leurs problèmes financiers, mais on peut trouver une corrélation entre le taux de pauvreté élevé et un salaire minimum très bas. 3 Le salaire minimum est donc un moyen efficace pour combattre la pauvreté. Gérald Fillion, le journaliste en économie de Radio-Canada avait écrit sur son blogue : « Un travailleur au salaire minimum au Québec, en emploi 40 heures par semaine, vit pauvrement, sous le seuil de faible revenu. À 10,15 $ l’heure, le nouveau salaire minimum au Québec à partir d’aujourd’hui, ce travailleur va toucher 21 112 $ sur l’ensemble de l’année. Selon le Front de défense des non-syndiqués (FDNS), le seuil de faible revenu de Statistique Canada devrait s’établir à 23 647 $ pour 2012. L’écart serait donc de 11 %. » (Fillion, 2013) Le salaire minimum est nécessaire dans plusieurs cas pour permettre de sortir les gens de la pauvreté. Il y a donc un argumentaire sur les inégalités qui touchent l’économie. Le prix Nobel de l’économie l’américain Joseph Stiglitz disait lui-même que les inégalités étaient la cause de la crise de 1929 et de la crise de 2007 dans son livre Le prix des inégalités. Finalement, il est vrai que certains pays comme la Norvège, la Suède ou la Finlande n’ont pas de salaire minimum légal. Néanmoins, étant très syndicalisés, ils n’ont pas besoin de salaire minimum. Bref, bien des outils peuvent combattre les inégalités comme le salaire minimum et la syndicalisation. Références Domhoff, G. William (2012). « Wealth, Income, and Power », Université de la Californie à Santa Cruz. En ligne. <http://www2.ucsc.edu/whorulesamerica/power/wealth.html > Fortin, Pierre (2010). « Salaire minimum, pauvreté et emploi : à la recherche du « compromis idéal ». Regards sur le travail. Volume 7, no 1, Automne 2010. En ligne. <http://www.travail.gouv.qc.ca/publications/revue_regards_sur_le_travail/volume_7_numero_ 1/salaire_minimum_pauvrete_et_emploi_a_la_recherche_du_compromis_ideal.html>. Fillion, Gérald (2013). « Repenser le salaire minimum? », Radio-Canada, 1 mai 2013. En ligne. <http://blogues.radio-canada.ca/geraldfillion/2013/05/01/repenser-le-salaire-minimum/> OCDE (2013). « Distribution des revenus et pauvreté : Taux de pauvreté (50% du revenu median), en pourcentage ». En ligne <http://stats.oecd.org/Index.aspx?QueryId=47991&lang=fr >. OCDE (2013). « LFS par sexe et âge - indicateurs». En ligne <http://stats.oecd.org/Index.aspx?DataSetCode=LFS_SEXAGE_I_R&Lang=fr>. OCDE (2013). « Salaire minimum et rémunérations brutes des salariés à temps plein ». En ligne <http://www.oecd.org/fr/els/lfssalaireminimumetremunerationsbrutesdessalariesatempsplein.htm>. 4 Office statistique des Communautés Européennes (2013). « Salaire minima ». En ligne <http://epp.eurostat.ec.europa.eu/portal/page/portal/labour_market/earnings/database>. Statistique Canada (2008). « Le salaire minimum ». Statistique Canada. En ligne. <http://www.statcan.gc.ca/pub/75-001-x/topics-sujets/pdf/topics-sujets/minimumwagesalaireminimum-2008-fra.pdf>. Stiglitz, Joseph (2012), « Le prix des inégalités » 5