DEUXIÈME SECTION DÉCISION Requête no 51476/12 Serpil SÖZEN contre la Turquie La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant le 3 septembre 2013 en un Comité composé de : Peer Lorenzen, président, András Sajó, Nebojša Vučinić, juges, et de Atilla Nalbant, greffier adjoint de section f.f. Vu la requête susmentionnée introduite le 8 juin 2012, Après en avoir délibéré, rend la décision suivante : EN FAIT La requérante, Mme Serpil Sözen, est une ressortissante turque, née en 1943 et résidant à Konya. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par la requérante, peuvent se résumer comme suit. Le 19 septembre 2008, la fille de la requérante se rendit à la clinique H.Ş. (« la clinique ») pour un essai de fécondation in vitro. Les 21 septembre et 19 novembre 2008, elle se fit implanter cinq embryons, dont trois avec succès. Le 19 novembre 2008, les médecins de la clinique effectuèrent une opération de réduction du nombre d’embryons à deux, intervention à la suite de laquelle l’état de santé de la patiente se dégrada. Le 2 janvier 2009, souffrant d’une perte intensive de liquide, la fille de la requérante se rendit au service des urgences de la clinique. Son médecin traitant la fit transférer vers l’hôpital de la faculté de médecine de l’Université d’Ankara. 2 DÉCISION SÖZEN c. TURQUIE Le 8 janvier 2009, la patiente perdit l’un des deux embryons et subit une suture vaginale afin d’empêcher la perte du second embryon. Le 9 janvier 2009, suite à une complication, la fille de la requérante perdit le deuxième embryon. Le 10 janvier 2009, l’intéressée décéda. A une date non précisée, la requérante déposa une plainte auprès du parquet d’Ankara à l’encontre des médecins de la faculté de médecine de l’Université d’Ankara pour négligences ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Le 26 janvier 2010, un comité d’expertise de l’Université d’Ankara composé de trois professeurs de droit décida d’autoriser l’ouverture de poursuites à l’encontre des médecins accusés. Le 29 avril 2010, le Conseil d’Etat accueillit le recours en opposition introduit par les médecins mis en cause et annula l’autorisation. La haute juridiction estima qu’un comité exclusivement composé de juristes, c’est-à-dire de personnes n’ayant aucune compétence médicale, ne pouvait à bon droit autoriser des poursuites en se contentant de recueillir les dépositions des plaignants et des personnes mises en cause et sans avoir au préalable obtenu une expertise médicale pour déterminer si les médecins avaient agi dans les règles de l’art, ni même consulté le rapport d’autopsie de l’Institut de médecine légale. Par ailleurs, un tel comité devait être composé de personnes extérieures à l’université à laquelle les personnes mises en cause étaient rattachées. Le 4 juillet 2011, un nouveau comité composé de trois professeurs en gynécologie-obstétrique d’une autre université refusa d’autoriser les poursuites au motif que les médecins n’avaient fait preuve d’aucune négligence. Le 1er décembre 2011, le Conseil d’Etat rejeta le recours en opposition introduit par la requérante contre cette décision. Cette décision fut notifiée à la requérante le 23 décembre 2011. GRIEFS Invoquant les articles 6 et 13 de la Convention, la requérante reproche aux instances judiciaires de ne pas avoir conduit d’investigations au sujet du décès de sa fille qui serait dû aux négligences du personnel médical. DÉCISION SÖZEN c. TURQUIE 3 EN DROIT La Cour, maîtresse de la qualification juridique des faits, estime que les griefs de la requérante, tirés des articles 6 et 13, appellent un examen sur le terrain de l’article 2 de la Convention. Dans le contexte spécifique des négligences médicales, l’obligation positive découlant de l’article 2 de mettre en place un système judiciaire efficace n’exige pas nécessairement dans tous les cas un recours de nature pénale. Pareille obligation peut être remplie aussi, par exemple, si le système juridique en cause offre aux intéressés un recours devant les juridictions civiles/administratives et/ou un recours disciplinaire, seul ou conjointement avec un recours devant les juridictions pénales, aux fins d’établir la responsabilité des médecins en cause et, le cas échéant, d’obtenir l’application de toute sanction civile appropriée (Calvelli et Ciglio c. Italie [GC], no 32967/96, § 51, CEDH 2002-I). La jurisprudence de la Cour n’exclut pas la possibilité d’intenter un recours pénal dans le contexte des négligences médicales. Toutefois, la Cour considère qu’en droit turc, le recours à user par les requérants se plaignant de négligences médicales est, en principe, de nature civile et/ou administrative (voir, Karakoca c. Turquie (déc.), no 46156/11, CEDH 21 mai 2013). En l’espèce, la requérante ne s’est pas prévalue de la possibilité d’entamer une action en réparation, recours qui lui était ouvert en droit turc et qui aurait permis d’établir la responsabilité éventuelle des médecins mis en cause et, le cas échéant, d’obtenir un dédommagement. À cet égard, la Cour n’aperçoit, dans le dossier, rien, qui permette de conclure qu’une telle action n’aurait présenté aucune perspective raisonnable de succès, ou qu’elle serait vouée à l’échec. Il s’ensuit que la requête doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention, pour motif de non-épuisement des voies de recours internes. Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité, Déclare la requête irrecevable. Atilla Nalbant Greffier adjoint f.f. Peer Lorenzen Président