Échocardiographie et valvulopathies liées au benfluorex (Mediator®)

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PHYSIOPATHOLOGIE CARDIOVASCULAIRE
Échocardiographie et valvulopathies
liées au benfluorex (Mediator®)
Ch. Tribouilloy
Centre hospitalier universitaire, Hôpital Sud, Amiens
[email protected]
L
a possibilité que des médicaments
soient inducteurs de valvulopathie
à type de fuite valvulaire a été évoquée dès les années 1960 pour des alcaloïdes de l’ergot de seigle, utilisés comme
anti-migraineux : d’abord le méthysergide
(Désernil®) puis l’ergotamine (Gynergène®).
En 1997, le risque d’atteinte valvulaire lié
à la prise de deux anorexigènes, la fenfluramine (Pondéral®) et la dexfenfluramine (Isoméride®) est mis en évidence
par l’équipe de la Mayo Clinic [1]. Ces
deux médicaments étaient par ailleurs
déjà connus pour leur possibilité d’induire des hypertensions artérielles pulmonaires (HTAP) pré-capillaires. Ils ont
été retirés du marché en 1997. Le même
type d’atteinte valvulaire à type de fuite
a été rapporté en 2002 avec des agonistes
dopaminergiques ergotés, le pergolide qui
vient d’être retiré du marché (Célance®)
et la carbergoline (Dostinex®), puis avec
une drogue dite « récréative », le 3,4
méthylène-dioxy-méthyl-amphétamine ou
MDMA, plus connue sous la dénomination d’ecstasy [1, 2]. Enfin, le 30 novembre
2009, le benfluorex (Mediator®), apparenté
à la fenfluramine, a été retiré du marché
en France suite à l’évaluation de données
sur le risque de valvulopathie. Ce produit,
au moment de son retrait, était indiqué en
France comme adjuvant du régime adapté
chez les personnes diabétiques présentant
une surcharge pondérale, l’indication d’adjuvant du régime adapté dans les hypertriglycéridémies ayant été retirée en 2007
en raison de nouvelles données d’efficacité
jugées très insuffisantes. Il a aussi été largement prescrit pour traiter le surpoids.
Les autorités de santé de notre pays ont alors
recommandé aux patients ayant été traités
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mai 2011
par benfluorex de consulter leur médecin
traitant pour un examen clinique comprenant un interrogatoire et une auscultation
cardiaque pour envisager, au moindre doute
d’atteinte valvulaire ou sur demande des
patients, une consultation cardiologique spécialisée pour réaliser un examen clinique
et une échocardiographie transthoracique.
Environ 200 000 patients étaient sous benfluorex lors du retrait en novembre 2009 et
plus de 2 millions de personnes ont été traitées en France depuis la commercialisation
(1976). Les cardiologues ont ainsi été amenés
ces derniers mois à effectuer de très nombreuses échocardiographies pour rechercher
des atteintes valvulaires ou une hypertension
artérielle pulmonaire secondaires à la prise
de benfluorex. On ne connaît pas précisément aujourd’hui la fréquence des atteintes
valvulaires ou des hypertensions artérielles
pulmonaires rencontrées lors de la prise de
benfluorex, mais les valvulopathies sévères
paraissent rares [3] alors que les fuites modérées sont plus fréquentes.
Les signes
échocardiographiques
L’échocardiographie est la méthode de choix
pour rechercher une atteinte valvulaire
médicamenteuse et évaluer sa sévérité [2].
La sémiologie échocardiographique de ces
atteintes valvulaires médicamenteuses, qui
ressemblent un peu à celle du rhumatisme
articulaire aigu, est peu décrite dans la littérature et donc pas toujours bien connue. Il
nous a paru utile de rappeler les principaux
éléments du diagnostic échocardiographique
qui n’est pas facile. Il doit être basé avant tout
sur l’étude de la texture et de la cinétique
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valvulaire et l’analyse de l’appareil sous valvulaire pour la mitrale. De plus, l’imputabilité médicamenteuse de l’atteinte valvulaire
peut être difficile, car on ne dispose pas dans
l’immense majorité des cas d’un écho de référence avant le traitement. En présence d’une
fuite valvulaire, le retentissement sur le ventricule et l’oreillette gauches et la quantification
de la régurgitation, basés sur les paramètres
classiques, seront évalués systématiquement.
Les quatre valves peuvent être touchées, mais
l’atteinte prédomine sur les valves aortique
et mitrale [3]. Les atteintes pluri-valvulaires
sont possibles et une double fuite mitro-aortique restrictive est à elle seule évocatrice [3].
Classiquement, ces atteintes médicamenteuses ne donnent pas de sténose significative et sont à type de fuite par remaniement
fibreux des valves et de l’appareil sous valvulaire. Le principal diagnostic différentiel est
celui d’une atteinte rhumatismale qui comprend habituellement un certain degré de
fusion commissurale et des remaniements valvulaires souvent plus francs.
Classiquement, on note un épaississement valvulaire habituellement minime ou modéré,
sans calcification, ni fusion commissurale
(à la différence du rhumatisme articulaire
aigu). Néanmoins, l’atteinte valvulaire médicamenteuse peut probablement se développer sur un remaniement fibro-calcaire
valvulaire préexistant ou inversement, des
calcifications pourraient apparaître secondairement très à distance. C’est la restriction
des mouvements valvulaires, responsable de
la fuite, qui est l’élément le plus caractéristique [2]. L’atteinte aortique paraît plus fréquente que l’atteinte mitrale. Dans les fuites
sévères qui sont rares, on peut observer le
défaut de coaptation valvulaire à l’origine
de la fuite en échocardiographie bidimensionnelle (figure 1).
Figure 1. Insuffisance mitrale restrictive, chez un patient
traité par benfluorex.
Incidence 4 cavités en échocardiographie 2D : les feuillets
mitraux ont perdu leur souplesse (aspect en « baguette
de tambour ») et l’on visualise un défaut de coaptation
de la valve mitrale en systole (fuite mitrale sévère),
lié à la restriction systolique des mouvements valvulaires
des 2 feuillets.
Figure 2. Franc remaniement de l’appareil sous valvulaire
mitral chez une patiente traitée par benfluorex, avec discret
épaississement des 2 feuillets.
Dans les atteintes mitrales
L’épaississement des feuillets valvulaires est
souvent minime et s’associe volontiers à un
remaniement et un raccourcissement des
cordages (figures 2 et 3), à l’origine de la
restriction des mouvements valvulaires en
systole. Il existe une perte de souplesse des
feuillets avec dans les atteintes sévères un
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Figure 3. Fuite mitrale restrictive centrale modérée avec
diamètre du jet à l’origine mesuré à 4 mm en Doppler couleur.
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aspect typique « en baguette de tambour des
valves » (figure 1). La restriction prédomine
souvent sur la valve postérieure qui peut être
quasiment immobile.
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parasternale transverse. Ce signe doit aussi
être recherché dans les fuites modérées. Cet
aspect est plus facilement individualisé en
échocardiographie transœsophagienne, mais
cet examen est rarement indiqué.
Dans les atteintes aortiques
Les atteintes tricuspide et pulmonaire
On visualise parfois un aspect en dôme de la
valve aortique en systole, associé à une restriction des mouvements valvulaires en diastole.
La fuite aortique est habituellement centrale
avec souvent épaississement du bord libre
des sigmoïdes en coupe parasternale gauche
longitudinale (figures 4 et 5 ). Dans les fuites
sévères, un défaut de coaptation centrale
« triangulaire » est souvent visible en coupe
Figure 4. Insuffisance aortique chez une patiente traitée
par benfluorex. Les sigmoïdes aortiques sont discrètement
épaissies, d’allure fibreuse, restrictives, avec défaut
de coaptation centrale.
Elles paraissent plus rares. Elles sont du même
type que les atteintes mitrale et aortique et ressemblent à des atteintes carcinoïdes a minima.
Au cours de l’échocardiographie, on s’attachera aussi à estimer le plus soigneusement
possible le niveau de pression artérielle pulmonaire en Doppler continu, à partir de la
vitesse maximale de l’insuffisance tricuspide
(qui est loin d’être facile à enregistrer dans
cette population de patients souvent en
surpoids), mais aussi à partir du flux d’insuffisance pulmonaire. On recherchera aussi des
signes indirects d’HTAP (cinétique septale,
temps d’accélération pulmonaire…).
En terme de diagnostic différentiel, des éléments en faveur d’une fuite restrictive liée
à une autre étiologie doivent être recherchés (remodelage ventriculaire gauche des
insuffisances mitrales ischémiques, atteinte
rhumatismale, maladie inflammatoire, fuite
tricuspide des syndromes carcinoïdes…).
Inversement, si l’on découvre une valvulopathie mitrale restrictive inexpliquée ou une
fuite aortique centrale inhabituelle, l’interrogatoire devra être fouillé à la recherche
d’une prise de benfluorex, mais aussi d’un
autre anorexigène (fenfluramine et dexfenfluramine retirés depuis 1997), d’un alcaloïde
de l’ergot de seigle ou de pergolide.
Le suivi
Figure 5. Fuite aortique centrale, en Doppler couleur :
diamètre du jet à l’origine au niveau de la vena contracta
mesuré à 6 mm.
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Les atteintes valvulaires médicamenteuses,
comme toutes les valvulopathies chroniques,
peuvent évoluer « à bas bruit ». Ainsi, les
patients, même en présence d’une fuite
importante, demeurent parfois asymptomatiques pendant une longue période. Ces
fuites valvulaires peuvent donc être découvertes tardivement en l’absence d’échocardiographie effectuée depuis l’arrêt du
traitement. L’HAS dans un document récent
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de mars 2011 a actualisé la conduite à tenir
recommandée chez les patients qui ont été
traités par benfluorex, en fonction du résultat de la première échocardiographie Doppler
transthoracique (http://www.has-sante.fr) :
oen l’absence d’anomalie valvulaire constatée après l’interruption définitive du benfluorex, aucun suivi échocardiographique
systématique n’est recommandé ;
oen cas d’anomalie valvulaire pouvant être
liée au benfluorex (ou en cas de doute), une
échocardiographie de suivi systématique à
1 an, puis en fonction de l’évolutivité, est
recommandée pour les fuites initialement
de grades I et II. Pour les fuites de grade
III et IV asymptomatiques, une échocardiographie transthoracique de suivi tous les
6 mois est préconisée. Le suivi échocardiographique des patients atteints d’une fuite
sévère à l’origine d’une symptomatologie
fonctionnelle n’est pas précisé, car dans ce
cas, une indication chirurgicale doit être
discutée et le suivi adapté au cas par cas ;
oune vitesse de fuite tricuspidienne supérieure à 2,8 m/sec conduit à suspecter une
HTAP. Dans ce cas, il est recommandé
d’adresser le patient au centre régional de
compétences de l’HTAP et de signaler le cas
au centre national de référence de l’HTAP
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(http://www.reseau-htap.fr/reseau-françaishtap/carte-de-france.asp).
Rappelons enfin que le cardiologue doit déclarer au Centre régional de pharmacovigilance de
rattachement géographique (coordonnées disponibles sur le site internet de l’AFSSAPS www.
afssaps.fr ou dans le dictionnaire Vidal) toute
fuite valvulaire de grade > 1 ou toute HTAP
susceptible d’être liée à la prise de benfluorex.1
Remerciements aux Drs Brochet, Monin et Jobic pour leur
relecture du manuscrit.
Déclaration d’intérêts : rémunérations dans le
cadre d’enseignements post-universitaires par
les laboratoires Astra Zeneca, Sanofi Aventis
et Boehringer Ingelheim.
Références
[1] Bhattacharyya S, Schapira AH, Mikhailidis DP, Davar J.
Drug-induced fibrotic valvular heart disease. Lancet
2009;374:577-85.
[2] Droogmans S, Kerkhove D, Cosyns B, Van Camp G. Role of
echocardiography in toxic heart valvulopathy. Eur J
Echocardiogr 2009;10:467-76 .
[3] Le Ven F, Tribouilloy C, Habib G, et al Valvular heart
disease associated with benfluorex therapy : results from
the French mutlicenter registry Eur J Echocardiog
2011;12:265-71.
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