C o m m u n i c a t i o n La Fièvre de la Vallée du Rift menace-t-elle l’Europe ? Is Rift Valley fever a threat for Europe ? par Jean-Lou Marié Secteur vétérinaire de Marseille, Caserne Rendu, 35 boulevard Schlœsing, BP 30182, 13276 Marseille Cedex 9 ([email protected]) et Bernard Davoust Direction régionale du service de santé des armées de Toulon, BP 20549, 83041 Toulon Cedex 9, France ([email protected]) RÉSUMÉ La fièvre de la Vallée du Rift est une arbovirose à l’origine d’épizooties et d’épidémies, essentiellement en Afrique subsaharienne et en Égypte. La propagation de la maladie à la Péninsule arabique en 2000 pose la question d’une extension à l’Europe. D’autres arboviroses comme la fièvre catarrhale ovine en Europe et le West Nile aux États-Unis, ont démontré leur capacité à émerger dans de nouvelles régions. L’analyse des causes d’apparition des foyers passés de fièvre de la Vallée du Rift et l’examen des différents modes possibles de transfert de l’agent, conduisent à considérer comme hautement probable l’introduction du virus en Europe, à une échéance impossible à évaluer. Dès lors, il est impératif de préparer cet événement et de faire preuve d’une grande vigilance afin de détecter précocement l’introduction du virus et de mettre en œuvre les actions de lutte appropriées. Mots-clés fièvre de la Vallée du Rift - émergence - arbovirose - réchauffement climatique - mondialisation - Europe 42 B u l l . S o c . V é t . P r a t . d e F r a n c e , a v r i l / m a i / j u i n 2 0 0 9 , T. 9 3 , n o 2 SUMMARY Rift Valley fever is an arbovirose responsible for epizootics and epidemics, mainly in subSaharan Africa and Egypt. The spreading of the disease to the Arabian peninsula in 2000, raises the question of a further extension to Europe. Other arboviroses such as Bluetongue in Europe and West Nile in the USA, have demonstrated their ability to emerge in new areas. The analysis of past Rift Valley fever outbreaks and the study of the potential route of transfer, make the introduction of the virus in Europe highly probable, although it is not possible to predict when it will occur. Consequently, it is necessary to prepare this event and to be aware enough to make an early detection of the virus once introduced, in order to implement adequate control measures. Key word Rift Valley fever - emergence - arbovirose - global warming - globalization - Europe Introduction u cours de la dernière décennie, des maladies infectieuses et parasitaires ont émergé dans de nouvelles régions du monde, principalement sous l’effet de la mondialisation qui accroît les mouvements de personnes et d’animaux et les échanges de denrées et de marchandises mais aussi sous l’effet du réchauffement climatique qui influe sur la biologie des arthropodes vecteurs. A L’introduction de la fièvre catarrhale ovine dans le nord de l’Europe en 2006 et sa diffusion explosive ultérieure dans plusieurs pays démontre la capacité pour certaines arboviroses connues de longue date, de s’implanter puis de se propager dans des régions nouvelles. L’introduction du virus du West Nile à New-York en 1999 et son extension dramatique dans une grande partie du territoire des États-Unis illustre également la capacité d’émergence des arboviroses dans l’espace. La fièvre de la Vallée du Rift (FVR) est une arbovirose zoonotique qui sévit dans une grande partie de l’Afrique subsaharienne, en Égypte et dans la Péninsule arabique. En 2000, la première apparition de foyers à l’extérieur du continent africain, en Arabie Saoudite et au Yémen, a démontré la capacité de la FVR à se propager à d’autres continents. Une étude de la Food and Agriculture Organization (FAO) a montré que la FVR fait partie des principales maladies animales susceptibles de tra- verser les frontières, avec la fièvre aphteuse et l’influenza aviaire hautement pathogène (5). En France, un groupe d’experts de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) a identifié prioritairement six maladies susceptibles d’impacter significativement la santé animale, de par l’intensification des échanges mondiaux et le réchauffement climatique. Il s’agit de la fièvre catarrhale ovine, de la FVR, de l’infection à virus West Nile, de la leishmaniose viscérale, de la leptospirose et de la peste équine (6). Rappels sur cette arbovirose sévère La FVR a pour agent étiologique un virus à ARN du genre Phlebovirus et de la famille des Bunyaviridae. La maladie touche essentiellement les ovins, bovins, caprins et camélidés qui sont aussi les principales espèces présentes dans les zones d’endémie. La maladie se traduit par de la fièvre, une hépatite et un taux d’avortement élevé (10). La mortalité peut atteindre 30 % chez les adultes et 100 % chez les jeunes. Dans les cas moins sévères, les animaux présentent une conjonctivite, des écoulements nasaux, de l’asthénie et des baisses de production laitière. La plupart des cas humains sont bénins (syndrome pseudo-grippal) mais des formes graves peuvent survenir : atteintes oculaires (0,5-2 % des cas), méningoencéphalites (moins de 1 %) conduisant 43 La prévention des épizooties repose sur la vaccination des animaux, réalisable à l’aide d’un vaccin atténué. Il existe aussi un vaccin inactivé, utilisable sur les femelles gestantes, mais qui nécessite deux injections et qui s’avère plus coûteux (10). Un vaccin humain est produit aux États-Unis et peut être utilisé chez les personnes particulièrement exposées (10). Les principaux foyers au cours de l’histoire Figure 1 – Principaux foyers de la Fièvre de la Vallée du Rift (adapté de P. Fromenty, 2008). parfois à la mort ou laissant des séquelles nerveuses et fièvres hémorragiques (moins de 1 %). La transmission de la FVR au sein des populations animales est essentiellement vectorielle. De nombreuses espèces de moustiques ont une compétence vectorielle, notamment Aedes, Culex, Mansonia, Anopheles et Eretmapodites (11). En outre, la maladie peut être transmise mécaniquement par des culicoïdés et des mouches hématophages (12), notamment à la faveur de repas sanguins interrompus. Comme la virémie est généralement élevée chez les animaux, l’infection des vecteurs est facilitée et l’amplification virale entre les ruminants et les arthropodes peut se produire. La transmission à l’homme survient principalement par contact avec du sang, des tissus, produits de sécrétion et d’excrétion d’animaux infectés. Les aérosols générés lors de l’abattage rituel sont également contaminants (10). La maladie touche essentiellement les personnes qui entretiennent des contacts étroits avec les ruminants, comme les éleveurs, les ouvriers d’abattoirs, les vétérinaires et les personnes qui vivent à proximité des animaux. La transmission du virus à l’homme peut également résulter de piqûres de moustiques (11) ainsi que de l’ingestion de lait non pasteurisé (2). Pour le diagnostic, l’anatomopathologie des lésions hépatiques est pathognomonique (10). Néanmoins le diagnostic de certitude passe par la sérologie (ELISA, séroneutralisation) ou la RT-PCR à partir de différents organes (foie, rate, rein…) et du sang. 44 La maladie a été décrite sur du bétail, au Kenya, en 1912. Le virus a été identifié pour la première fois en 1931 au cours de l’investigation de cas humains et animaux, dans une ferme de la vallée du Grand Rift, au Kenya (3). Sur la figure 1 ont été positionnés les principaux foyers de FVR qui sont survenus à ce jour. La maladie est enzootique dans une grande partie de l’Afrique subsaharienne et des épizooties souvent suivies d’épidémies, surviennent périodiquement, notamment après des précipitations abondantes qui favorisent la pullulation des moustiques. La persistance de l’agent étiologique entre les épizooties a pu être attribuée à la transmission verticale du virus aux œufs de moustiques, puis au maintien dans le sol des œufs en état de dormance, pendant des années. À la faveur d’une pluviométrie favorable, les œufs de moustiques peuvent éclore et donner naissance à des imagos infectés, capables d’initier un nouveau cycle épizootique (2). En 1950, une épizootie en Afrique du Sud a provoqué la mort de 100 000 moutons et 500 000 avortements ovins (7). En 1977 et 1978, un important foyer est apparu en Égypte (18 000 cas humains, 600 décès), en rapport avec la construction du barrage d’Assouan qui a provoqué des inondations et des proliférations de moustiques (2). Un second foyer est apparu 15 ans plus tard, en 1993, probablement en rapport avec le commerce de bétail depuis des pays africains d’endémie (2, 10). En Afrique de l’Est, le fardeau humain du foyer de 2006-2007 s’élève à 684 cas (dont 155 mortels) au Kenya, 114 cas (dont 51 mortels) en Somalie et 264 cas (dont 109 mortels) en Tanzanie (7). Dans cette partie du continent africain, il a été démontré une forte corrélation entre une pluviométrie supérieure à la moyenne et l’apparition de foyers de FVR. Pour le Kenya, l’utilisation de données satellites sur la végétation combinée avec les données sur la température des eaux de surface des océans Pacifique et Indien, permettent de prédire de façon fiable, les foyers de FVR (1, 13). Ce modèle ne s’applique néanmoins pas directement dans les autres zones à risque pour la FVR. En Afrique de l’Ouest, il n’existe pas de corrélation entre l’abondance des précipitations et les foyers de FVR (8). Dans cette région, le premier foyer important de FVR est survenu en Mauritanie en 1987, causant 220 décès (8). En 1998, un autre foyer a frappé le sud-est de la Mauritanie, causant 300 à 400 cas humains dont 6 décès (8). Le foyer, qui est apparu en Arabie saoudite en 2000-2001, a touché 882 personnes et provoqué 124 décès (2). Il est fort probable que le virus ait été introduit dès 1998, alors qu’une épizootie majeure touchait l’Afrique de l’Est. En effet, les souches sont génétiquement très proches, l’Arabie Saoudite et le Yémen ont été touchés par des foyers simultanés et des cas cliniques auraient été rencontrés dès 1998. L’explosion de la maladie en 2000 s’explique par une pluviométrie inhabituellement élevée. Une capacité d’extension certaine Le foyer majeur qui est apparu en Égypte en 1993, ainsi que l’extension de la FVR à la Péninsule arabique en 2000, résultent très probablement de l’introduction d’animaux infectés (2, 10). Le foyer humain et animal qui s’est déclaré en Mauritanie en 2003 était dû à une souche proche des souches circulant en Afrique de l’Est et en Afrique Centrale. Il ne s’agissait donc pas d’une résurgence des accès passés mais d’une nouvelle introduction du virus, probablement par l’intermédiaire de mouvements d’animaux ou de personnes infectées (8). Par ailleurs, les moustiques ont une capacité à voler sur plusieurs kilomètres ou peuvent être transportés passivement, sur de longues distances, dans des avions ou des bateaux (15). Le transport de moustiques par le vent, sur des centaines de kilomètres, est à l’origine de l’extension de foyers (10). En raison du large spectre de vecteurs compétents, la propagation du virus, à partir de son point d’introduction, est souvent possible. Une étude entomologique a d’ailleurs montré que des Culex pipiens constituent des vecteurs compétents dans le sud de la France (14). De plus, des mouches hématophages sont capables de réaliser des transmissions mécaniques (12). L’introduction du virus de la FVR en Europe ne peut être écartée. En effet, il est difficile ou impos- sible d’agir sur les facteurs qui sont à l’origine de l’expansion mondiale de la maladie, à savoir le réchauffement climatique et l’accroissement des mouvements de personnes, d’animaux et de marchandises. On peut même affirmer que l’introduction de ce virus en Europe surviendra et que cet événement n’est qu’une question de temps. Une étape intermédiaire pour le virus pourrait être l’atteinte d’îles de la Méditerranée comme Chypre, ou de pays du Maghreb, qui pour le moment et de façon étonnante, ont pu échapper à la maladie. Si le Maroc venait à être touché, les portes de l’Europe ne seraient plus qu’à quelques kilomètres. La densité du transport de passagers entre le sud de la France et les pays du Maghreb, ainsi que l’importation clandestine d’ovins, pourraient permettre un transfert de la FVR en France, depuis la Tunisie, l’Algérie ou le Maroc. Face à ces risques, la plus grande vigilance des professionnels de la santé humaine et animale s’impose, afin de pouvoir identifier le plus tôt possible les premiers cas. L’identification précoce des premiers cas devrait permettre de combattre efficacement la maladie en mettant en place les mesures suivantes : surveillance de l’infection sur les populations humaines et animales, restriction des mouvements d’animaux sensibles, information de la population et des personnes à risque, lutte anti-vectorielle, vaccination des troupeaux indemnes. Habituellement, les cas humains sont précédés de cas animaux. En cas d’introduction en Europe de la FVR, il est probable que le diagnostic soit d’abord réalisé sur des animaux. L’exposition d’animaux naïfs, au plan immunologique au virus de la FVR, devrait conduire à une expression clinique nettement visible (10), ce qui devrait faciliter l’identification précoce de la maladie. L’expérience africaine montre que les cas humains qui peuvent être nombreux, surviennent à l’occasion de contacts étroits avec le sang et les tissus d’animaux infectés. Dans nos pays européens, la proportion de personnes qui seraient ainsi exposées, est faible, ce qui devrait limiter l’impact humain de la maladie. Il n’existe pas en effet de contamination de personne à personne, ce qui limite la propagation, notamment en milieu urbain. Par contre, l’implantation du virus dans un nouvel écosystème peut difficilement être anticipée, en raison du nombre important de facteurs impliqués et de leurs interrelations : densité d’espèces sensibles, présence de vecteurs et données climatiques. 쮿 45 Références bibliographiques 1. Anyamba A., Chretien J.P., Small J., Tucker C.J., Formenty P.B., Richardson J.H., Britch S.C., Schnabel D.C., Erickson R.L., Linthicum K.J. - Prediction of a Rift Valley fever outbreak. Proc. Natl. Acad. Sci., 2009, 106 (3), 955-959. 2. Balkhy H.H., Memish Z.A. - Rift Valley fever : an uninvited zoonosis in the Arabian peninsula. Int. J. Antimicrob. Agents., 2003, 21 (2), 153-157. 9. Fromenty P. - Outbreaks of Rift Valley fever in Africa 2006-2007. Communication orale prononcée le 18 mars 2008 dans le cadre de la conférence internationale sur les maladies infectieuses émergentes, Atlanta, USA. 3. Daubney R., Hudson J.R., Garnham P.C. - Enzootic hepatitis or Rift Valley fever. An undescribed virus disease of sheep, cattle and man from East Africa. J. Pathol. Bacteriol., 1931, 34, 545-579. 10. Gerdes G.H. - Rift valley fever. Vet. Clin. North Am. Food Anim. Pract., 2002, 18 (3), 549-555. 4. Digoutte J.P., Peters C.J. - General aspects of the 1987 Rift Valley fever epidemic in Mauritania. Res. Virol., 1989, 140 (1), 27-30. 11. Gould E.A., Higgs S. - Impact of climate change and other factors on emerging arbovirus diseases. Trans. R. Soc. Trop. Med. Hyg., 2009, 103 (2), 109-121. 5. Domenech J., Lubroth J., Eddi C., Martin V., Roger F. Regional and international approaches on prevention and control of animal transboundary and emerging diseases. Ann. N. Y. Acad. Sci., 2006, 1081, 90-107. 6. Dufour B., Moutou F., Hattenberger A.M., Rodhain F. Global change: impact, management, risk approach and health measures - the case of Europe. Rev. Sci. Tech., 2008, 27 (2), 529-550. 7. Duse A.G. - After the floods… : the Rift Valley Fever (RFV) outbreak, Kenya, 2006-2007. Communication orale prononcée le 14 février 2009 lors de l’International Meeting on Emerging Diseases and Surveillance (IMED), Vienne, Autriche. 46 8. Faye O., Diallo M., Diop D., Bezeid O.E., Bâ H., Niang M., Dia I., Mohamed S.A., Ndiaye K., Diallo D., Ly P.O., Diallo B., Nabeth P., Simon F., Lô B., Diop O.M. - Rift Valley fever outbreak with East-Central African virus lineage in Mauritania, 2003. Emerg. Infect. Dis., 2007, 13 (7), 1016-1023. 12. Hoch A.L., Gargan T.P., Bailey C.L. - Mechanical transmission of Rift Valley fever virus by hematophagous Diptera. Am. J. Trop. Med. Hyg., 1985, 34 (1), 188-193. 13. Linthicum K.J., Anyamba A., Tucker C.J., Kelley P.W., Myers M.F., Peters C.J. - Climate and satellite indicators to forecast Rift Valley fever epidemics in Kenya. Science, 1999, 16, 397-400. 14. Moutailler S., Krida G., Schaffner F., Vazeille M., Failloux A.B. - Potential vectors of Rift Valley fever virus in the Mediterranean region. Vector Borne Zoonotic Dis., 2008, 8 (6), 749-753. 15. Service M.W. - Mosquito (Diptera : Culicidae) dispersal - the long and short of it. J. Med. Entomol., 1997, 34 (6) : 579-588.