LETTRE A L'EDITEUR LE CANCER BRONCHIOLO-ALVEOLAIRE Premier cas congolais J. M'BOUSSA*, J. KOKOLO**, MIEHAKANDA***, NG. THAU****, D. BODZONGO****, J.P.A. MOUKALA****, A. N'GOLET** RESUME Les auteurs rapportent le premier cas de cancer bronchiolo-alvéolaire au Congo chez un homme ayant la cinquantaine d'âge. Ils insistent sur la difficulté de parvenir au diagnostic et font une revue de la littérature à ce propos. Mots-clés : cancer bro n c h i o l o - a l v é o l a i re, clinique, Congo. ABSTRACT The authors re p o rt the first case of bro n c h i o l o alveolar cancer in Congo in a man who is fifty years old. They emphasize the difficulty to succeed in a diagnosis and do a review of the litterature about that. Key-words : Bronchiolo-alveolar cancer, clinical aspect, Congo. Décrit en 1876 par MALASSEZ le cancer bronchioloalvéolaire est une tumeur rare, sa fréquence est de 3 % environ de tous les cancers broncho-pulmonaires. (1) Au Congo où le cancer bronchique est très peu fréquent (2), le premier cas de cancer bronchiolo-alvéolaire a été diagnostiqué dans le service de Pneumo-phtisiologie du Centre Hospitalier Universitaire de Brazzaville. La difficulté de parvenir au diagnostic et la rareté de la tumeur nous ont conduit à faire part de ce cas. OBSERVATION Monsieur M. NG., 49 ans, cadre administratif dans un laboratoire d'analyses médicales est adressé en consultation le 25 août 1988 par son médecin traitant pour une opacité du lobe inférieur droit découverte récemment sur un cliché thoracique demandé à l'occasion d'une douleur ressentie au niveau de la pointe de l'omoplate gauche, donc opposée au siège de la lésion pulmonaire. Il s'agit d'une opacité plus ou moins homogène, mesurant 5 cm sur 5 environ, aux contours flous, se situant au niveau du segment apical du lobe inférieur droit. Des tomographies montraient plutôt une opacité homogène, dense. Il n'y a pas de lyse osseuse, costale ou scapulaire. Le malade ne présente aucun antécédent particulier ; il ne fume pas. Il n'a jamais eu de contact avec des produits chimiques utilisés dans le laboratoire, des huiles notamment. Le malade est apyrétique, il pèse 52 kg et mesure 1,55 mètre. L'examen clinique est normal ainsi que les examens biologiques complémentaires (numération formule sanguine, vitesse de sédimentation, créatininémie, transaminases, phosphatases alcalines, ionogramme sanguin, recherche de bacilles acido-alcoolo-résistants négative dans les crachats). La fibroscopie bronchique pratiquée le 6 septembre 1988 est également normale ; il n'y a aucun bourgeon mais simplement une inflammation de la bronche intermédiaire et segmentaire du Nelson. Le malade est mis sous Céfalexine à raison de 2 grammes par jour pendant neuf jours. Il n'y a pas de modification de l'image radiologique. L'état général du malade reste bon. Il continue de se plaindre de sa douleur scapulaire et de douleurs lombaires également, mais supportables et qui ne l'empêchent pas de travailler. Durant cinq mois le malade ne consulte pas ; il n'y a pas d'hémoptysies. En Février 1989 une radiographie de contrôle montre la même image, stable. Une deuxième fibroscopie est pratiquée ; l'inflammation du Nelson s'est accentuée, mais il n'y a pas un saignement important au contact du fibroscope. Un nouveau bilan biologique ne décèle aucune anomalie, de même que l'échographie hépatique. Les explorations fonctionnelles respiratoires, comprenant une capacité vitale et un VEMS, sont normales. Le malade est alors confié aux chirurgiens pour une thoracotomie à visée diagnostique. L'intervention a lieu le 12 avril 1989, neuf mois environ après la découverte de l'opacité thoracique. On découvre une tumeur ronde mesurant 8 cm sur 6, occupant la totalité du segment apical * Service de Pneumo-phtisiologie CHU Brazzaville BP 32 Congo ** Laboratoire d'anatomie pathologique CHU Brazzaville *** Laboratoire de Santé Publique Brazzaville **** Service de Chirurgie thoracique CHU Brazzaville Médecine d'Afrique Noire : 1990, 37 (6) J. M'BOUSSA, J. KOKOLO, MIEHAKANDA, NG. THAU, D. BODZONGO, J.P.A. MOUKALA, A. N'GOLET 349 et une partie de la pyramide nasale. Les ganglions médiastinaux ne sont pas envahis ; les lobes pulmonaires restants (supérieur et moyen) sont sains. Une lobectomie inférieure droite est pratiquée. L'examen anatomo pathologique de la pièce opératoire conclut à un carcinome brochiolo-alvéolaire. Il s'agit en effet de cellules tumorales cylindriques se développant sur les parois alvéolaires ; la prolifération prend volontiers des aspects papillaires et est mucosécrétante. Le parenchyme avoisinant la tumeur est congestif et renferme des cellules alvéolaires macrophagiques. Les suites opératoires sont simples. Le malade est revu en consultation de pneumologie au 2ème et au 8ème mois après l'intervention. Il est en bon état général et ne se plaint plus de sa douleur dorsale gauche. COMMENTAIRES Aspects épidémiologiques Le cancer bronchiolo-alvéolaire est une tumeur primitive pulmonaire très rare ; en 23 ans GALY et MARCY à Lyon n'en ont diagnostiqué que 29 (3). Les deux sexes sont indifféremment touchés. Notre patient a 49 ans, et se situe donc dans la tranche d'âge de prédilection qui est de 40 à 50 ans. L'adolescent peut être également atteint (4). Aucun facteur favorisant n'a pu être mis en évidence chez notre patient. Le carcinome bronchiolo-alvéolaire est favorisé par des fibroses diffuses et des processus inflammatoires cicatriciels, dont les séquelles tuberculeuses. L'inhalation des huiles minérales est également incriminée. Le rôle du tabac n'est pas prouvé, l'affection s'observant avec une égale fréquence chez les fumeurs et les non-fumeurs. Il en est de même que l'Asbeste. Aspects cliniques, radiologiques, endoscopiques et fonctionnels Notre patient n'a présenté qu'une vague douleur se localisant au niveau de la pointe de l'omoplate gauche alors que l'image radiologique se situait à droite. Classiquement les manifestations cliniques de cancer bronchiolo-alvéolaire, dans les formes localisées, sont réduites ; souvent elles sont totalement absentes et la maladie n'est découverte que lors d'une radiographie d'examen systématique. Ailleurs les signes révélateurs sont Médecine d'Afrique Noire : 1990, 37 (6) communs aux affections respiratoires : toux, dyspnée d'accentuation progressive, vagues algies thoraciques localisées, filets de sang intermittents dans l'expectoration. Dans les formes diffuses les signes généraux ou locaux peuvent être importants : amaigrissement, fébricule, hémoptysie franche, épanchement pleural, voire un pneumothorax. L'expectoration est particulière par son abondance et son caractère muqueux, mais elle est rarement révélatrice. On insiste sur l'importance de la fraction sérum-albumine libre et des glyco-protéines plastiques riches en acide sialique dans cette expectoration. L'hippocratisme digital est très inconstant. Trois aspects radiologiques sont souvent retrouvés (1, 4) : - opacité vaguement arrondie, plus ou moins dense mal limitée en périphérie, d'un diamètre compris entre 3 et 5 cm, - dissémination miliaire ou nodulaire - infiltrats systématisés, plus ou moins denses et homogènes, segmentaires ou lobaires. Ces trois aspects peuvent être associés entre eux et être uni ou bilatéraux. Dans notre cas il s'agissait de la première éventualité. Il faut noter cependant un fait important : au stade précoce une atteinte authentifiée par l'anatomie-pathologie peut être muette radiologiquement. Un seul lit de cellules tumorales dans les alvéoles est insuffisant pour donner une image radiologique ; les alvéoles doivent être remplies de cellules et de sécrétions pour être radio-opaques. La radiographie peut mettre en évidence un épanchement pleural, parfois un pneumothorax. Les adénopathies médiastinales sont exceptionnelles. La bronchoscopie en raison du siège périphérique de la tumeur et de la rareté de l'atteinte bronchique, ne montre pas souvent de lésions caractéristiques. Tel est également notre cas. Cependant des lésions à type de rétrécissement, d'élongation et de rigidité bronchique ont été décrites au cours de tumeurs diffuses. La cytologie permet le diagnostic dans certains cas, mais son taux de positivité est faible (10 à 25 %), pour une tumeur aussi diffuse parfois (4) ; cette positivité n'affirme d'ailleurs que le caractère malin des cellules observées dans les sécrétions. Les explorations fonctionnelles respiratoires montrent un syndrôme restrictif proportionnel à l'extension de la tumeur ; parfois il existe un effet shunt. Dans notre cas, il n'y a pas de trouble de la fonction respiratoire. L'artériographie LE CANCER BRONCHIOLO-ALVEOLAIRE 352 pulmonaire est normale. Le carcinome broncholio-alvéolaire envahit rarement les bronches et respecte la perfusion capillaire, cela le distingue des tumeurs bronchogéniques. Souvent c'est l'examen histologique d'une pièce d'exérèse chirurgicale qui permet le diagnostic ; tel a été le cas pour notre patient. Parmi les 29 cas, rapportés par GALY et MARCY, 25 ont été diagnostiqués sur une pièce opératoire et les 4 autres par biopsie bronchique (3). formes uninodulaires, confirmées sur une pièce d'exérèse, que pour les formes multinodulaires. La survie à 5 ans des formes unifocales varient entre 25 et 60 %, alors qu'aucune forme multinodulaire ne survit plus de 3 ans (3, 4). Notre malade atteint depuis plus d'une année et opéré depuis huit mois est encore en vie et se porte bien. Aspects évolutifs Les aspects macroscopiques se regroupent en trois tableaux (4) : - forme unifocale, s'accompagnant d'une muco-sécrétion abondante sur la tranche de section avec métastases inconstantes ; tel est le cas chez notre patient, mais il n'a pas de métastases. - forme plurifocale, sans muco-sécrétion, sans topographie précise donnant des foyers de taille variable, envahissant un lobe, un poumon ou les deux. Cette forme est plus souvent métastasiante que la première. - des formes diffuses correspondant à une invasion massive des poumons par le processus tumoral. L'évolution spontanée des cancers bronchiolo-alvéolaires localisés peut être lente, dépassant facilement six ans et pouvant atteindre même 15 ans (1, 4). L'apparition de signes cliniques traduit des formes évoluées, diffuses. La d i ffusion peut exister en dehors de toute traduction radiologique. SORS et col. rapportent dans une série de 7 cas, 2 cas où des lésions pulmonaires, qui étaient radiologiquement unilatérales, étaient en fait anatomiquement bilatérales (1). L'extension locale (pulmonaire) de la tumeur se fait essentiellement par métastases bronchogènes, beaucoup moins par voie lymphatique et sanguine. Les métastases à distance, bien que moins fréquentes que dans les autres cancers respiratoires, peuvent être précoces et même exister déjà au moment de la découverte de la lésion radiologique (1). Le foie, les os, les surrénales et le cerveau sont les organes les plus atteints. Dans notre cas il est impossible de dire si les douleurs scapulaire et lombaires sont liées à des métastases éventuelles, les moyens d'investigation tels que la scintigraphie osseuse et la tomodensitométrie faisant défaut. Le cancer bronchiolo-alvéolaire est radio et chimiorésistant. Seule la chirurgie permet d'en améliorer l'évolution. Les délais de survie sont meilleurs pour les Aspects anatomo-pathologiques macroscopiques CONCLUSION Bien que les cancers broncho-pulmonaires soient peu fréquents dans l'ensemble des pays africains, il faut avoir à l'esprit les formes encore plus rares de ces cas même cancers et pousser les investigations le plus loin possible, jusqu'à la thoracotomie exploratrice, afin d'aboutir au diagnostic. Cela est profitable tant au malade, qui peut bénéficier de traitements modernes, qu'au médecin, qui réactualise ainsi ses connaissances par ce genre de découvertes. BIBLIOGRAPHIE 1 - SORS C., CHOMMETTE G., LANCELIN B., BROCHERIOU C., KIGER J.P., AURIOL M. Les carcinomes bronchiolo-alvéolaires primitifs. Etude anatomo-clinique à propos de sept cas. Ann. Méd. Interne, 1970, 121, (2), 163-179. 2 - M'BOUSSA J., NKANGA A., GANTSIALA M., EKOUTOU A., KAOUDI E., MBERE G. : La fibroscopie bronchique à Brazzaville. A propos de 70 cas. Rev. Mal. Resp. 1988, 5, 409. 3 - GALY P., MARCQ M. Le carcinome bronchiolo-alvéolaire (Etude de 29 cas recueillis pendant une période de 23 ans) Etude pronostique. Rev. Fr. Mal. Resp., 1973, 1, 665-683. 4 - BOUTON C., HERSON S., AKOUNG Le cancer bronchiolo-alvéolaire. Le poumon et le coeur, 1976, 32, 153159. Médecine d'Afrique Noire : 1990, 37 (6)