70e anniversaire de la bataille de Normandie : Montormel Discours de Kader Arif (Montormel, vendredi 22 août 2014) Seul le prononcé fait foi Madame la Maréchale de la diète, Monsieur l’ambassadeur, Monsieur le Préfet, Mesdames et messieurs les parlementaires, Monsieur le Président du Conseil régional, Monsieur le Président du Conseil général, Monsieur le Maire, Mesdames et messieurs les élus, Monsieur Andrzej Maczek, Messieurs les porte-drapeaux, Messieurs les vétérans et anciens combattants qui nous faites l’honneur de votre présence, Le 6 juin dernier, nous avons commémoré le 70e anniversaire du débarquement de Normandie entourés du Président de la République et de 18 chefs d’États et de gouvernements étrangers. 1 Nous avons commémoré ce jour qui annonça la bataille de Normandie dans laquelle près de 155 000 combattants venus des 4 coins du monde se sont unis dans un même esprit de sacrifice, dans un même serment de fraternité et au nom d’un même idéal : la liberté. Le 6 juin s’achève la bataille du débarquement au prix de 9 000 morts. Mais ce n’est que le début de la bataille de Normandie qui durera 78 jours. 78 jours pour amorcer une première vague de liberté sur le sol de France. 78 jours avant que ne s’achève, ici, dans l’Orne, la bataille de Normandie et que commence, selon les dires du général britannique Montgomery « la fin de la guerre ». C’est aussi le chemin de la Libération qui s’ouvre ici, à Montormel, celui qui doit mener les troupes alliées à Paris. Montormel, ville symbole de l’Histoire. Montormel, ville mémoire dont tant de visiteurs viennent se nourrir. 2 Depuis ce mémorial où on domine le « couloir de la Mort » qui a emporté tant d’hommes dont 1 500 Polonais, le Pays d’Auge nous dévoile ses cicatrices creusées dans la terre par les larmes et le sang de milliers de combattants français, américains, britanniques, canadiens, polonais et allemands. Des cicatrices aussi qui nous rappellent le sacrifice des populations civiles : 20 000 Normands sont morts pendant la bataille de Normandie. Mais au-delà de cette fraternité des armes, cette terre est votre maison, chers amis polonais. Car elle est celle où votre sang a coulé. Car elle est celle où beaucoup de vos camarades sont tombés. Car elle est celle où prend chair notre mémoire partagée. Voilà pourquoi nous sommes réunis aujourd’hui, ici, à Montormel. Non pas seulement pour vous dire la reconnaissance de la France ; elle vous est acquise. Elle vous a été rappelée par le Président de la République le 6 juin dernier à Urville-Langannerie. Mais pour dire une nouvelle fois ce que fut votre engagement sans faille. Pour rappeler qu’il y a 70 ans jour pour jour, les soldats polonais, aux côtés des Alliés, ouvraient la route vers la France libérée après des jours de combats acharnés. 3 Nous nous souvenons aujourd’hui de cette terrible bataille. De ce 16 août 1944 où Falaise est prise par les Canadiens et Dreux par les soldats américains. De ce 18 août où la 1ere armée canadienne prend Trun tandis qu’au sud, le 5e corps atteint Chambois. De ce 19 août, au matin, où la 4e division blindée canadienne entre dans Saint-Lambert-Sur-Dives. De ce même jour, à 19h, lorsque, en une poignée de main, le major [Zgojelski] de la 1ère division blindée polonaise et le capitaine Waters de la 90e division d’infanterie américaine, symbolisent la fermeture de la poche de Falaise-Chambois. De ce 20 août 1944 où les Polonais font face à des contre-offensives ennemies. Nous nous souvenons de ces terribles combats au corps à corps qui ont marqué, dans leur chair, dans leur âme, les combattants polonais. De cet esprit de sacrifice qui les jeta dans la bataille avec un courage exemplaire. De ces combats à main nues, à la baïonnette, au couteau, avec le casque. De ces hommes devenus des héros parce que rien ne les aurait fait abandonner un combat si juste : celui pour la liberté. 4 « Il fallait se battre », raconta quelques années plus tard Edouard Podyma. Oui, même sans arme, « il fallait se battre ». C’est ce que leur avait demandé Stefanowicz, commandant du groupe polonais : « combattez jusqu’au bout » ! Et ils l’ont fait. Edouard Podyma avait 22 ans le 20 août 1944. Il s’est cru mort ce jour-là, comme les milliers d’autres camarades qu’il avait vus tomber, entassés dans ce « couloir de la mort ». Il survécut à la faim, à la soif, à la peur, à l’horreur. Il survécut à la bataille de Falaise mais la guerre lui avait déjà volé sa jeunesse. La France honore aujourd’hui comme ses propres fils les soldats polonais tombés en Normandie. Certains le furent dès les premières heures du débarquement ; d’autres en libérant les villes normandes. Au total, 2 500 Polonais furent tués ou blessés en Normandie dont plus de 600 reposent au cimetière d’Urville. Ce sacrifice fut une douloureuse épreuve sur le chemin de la conquête de la liberté. 5 La mémoire commune franco-polonaise s’est construite tout au long de la Seconde Guerre mondiale. J’ai pu en mesurer l’étendue et la richesse au cours de mon déplacement à Varsovie en avril 2013 à l’occasion du 70e anniversaire du soulèvement du ghetto. Cette mémoire s’est construite dès 1939 lorsque le gouvernement polonais se réfugie en France et tout au long des années de guerre. 100 000 Polonais combattent aux côtés de l’armée française : de la Moselle en 1939 à l’Allemagne en 1945 en passant par la Normandie, le Nord-Pas-de-Calais, la Belgique et les Pays-Bas. Cette mémoire s’est construite aussi dans les rangs de la Résistance qui comptaient de nombreux Polonais : le colonel Gilles, commandant les FTP de la région parisienne, un pseudonyme qui cache le nom de Jozef Epstein, Polonais fusillé au Mont Valérien en 1944 ; Robert Witchitz et Marcel [Rayman], deux Polonais du groupe Manouchian ; Marcel Langer, Juif polonais guillotiné le 23 juillet 1944 à la prison Saint-Michel à Toulouse. 6 Cette mémoire s’est construite bien sûr ce 4 août 1944 lorsque les 16 000 hommes du général Maczek débarquent sur les côtes normandes. Le général Maczek dont la détermination, le courage et le professionnalisme ont été reconnus par le général de Gaulle, notamment ce jour où il décide de le faire Grand Officier de la Légion d’honneur. Et je remercie très sincèrement son fils, monsieur Andrzej Maczek, pour sa présence et son témoignage aujourd’hui. Cette mémoire s’est enfin forgée ici, à Montormel, lieu de rendez-vous régulier qui célèbre notre amitié. Cette mémoire doit continuer de vivre pour que les jeunes générations préservent l’héritage de leurs aînés. Messieurs les vétérans, vous avez combattu en France comme si ce pays était le vôtre. Aujourd’hui nous vous accueillons ici comme nos frères. Je vous dis merci, au nom de la France et des Français ! Je vous dis [djienkuyé] ! Vive la Pologne ! Vive la France ! Vive l’amitié franco-polonaise ! 7