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Révision de la Recommandation sur la situation des chercheurs
scientifique de l’UNESCO
la position de la commission nationale française
Heidi Charvin, secrétaire nationale, Hervé Christofol, secrétaire général et Marc Delepouve, secrétaire
national
Le Colloque « Condition et responsabilité sociale du chercheur », qui s’est tenu au CNAM le 8 septembre
dernier, s’inscrit dans le cadre de la révision de la Recommandation de 1974 de l’Unesco concernant la
condition des chercheurs scientifiques. A l’issue du colloque, la Commission Nationale Française pour
l’Unesco (CNFU) a communiqué la position française en vue d’un vote à New York en novembre 2017
d’une nouvelle version de la Recommandation.
La réflexion menée parmi des représentants du monde scientifique français et étranger s’est organisée
autour de 4 sessions thématiques.
Première session : La Science globale, un défi pour les chercheurs.
Si dans un premier temps, la nécessité de recherche interdisciplinaire mondiale est évoquée, la réflexion
évolue sur la difficulté de travailler dans un système de mise en concurrence des équipes et des
chercheurs. Ewa Bartnik souligne le taux élevé de 60% de non réplication des résultats publiés en
sciences de la vie et l’absence de publication des résultats non significatifs : « Avec la pression sur les
publications, tout le monde veut être le premier et personne ne veut confirmer les résultats ». Philippe
Busquin, rappelle que l’orientation des thématiques vers l’innovation encourage les collaborations entre
les chercheurs publics et les entreprises au détriment du financement de la recherche fondamentale. La
recherche fondamentale reste de la responsabilité des Etats. Les financements européens de la
recherche par appels à projet intègrent une dimension éthique et une charte du chercheur a été adoptée
par l’Union Européenne. Mais la mise en concurrence des chercheurs scientifiques multiplie les écarts
aux règles d’éthique. La course aux classements et aux évaluations quantitatives tend à accélérer le
processus. Les limites bioéthiques sont posées dans le cadre du transhumanisme et des
nanotechnologies. Quand et comment exercer son droit de retrait ? Au final, Claude Huriet précise que
c’est l’argent, la compétition et la mondialisation de la recherche qui ont provoqué ces manquements et
que ce contexte questionne les contraintes de respect des cadres éthiques et déontologiques de la
recherche.
Deuxième session : La Responsabilité du chercheur scientifique
La responsabilité sociale est présentée comme une équation entre celle vis-à-vis de la société et celle visà-vis de l’employeur. Les enjeux scientifiques ont changé depuis 1974. Jean-Yves Le Déaut souligne la
convergences des disciplines scientifiques et l’émergence de nouveaux risques (OGM, électrosensibilité,
transhumanisme, nucléaire, nanotechnologie, …). Le chercheur doit pouvoir exercer son droit de retrait,
garder une indépendance d’expertise et d’alerte et, ne pas utiliser la recherche à des fins de destruction,
en respectant notamment le principe de précaution. Il doit par ailleurs cultiver l’objectif du bien-être
social, rester intègre dans l’exercice de son métier et participer aux débats citoyens, en gardant à l’esprit
que « les scientifiques n’ont ni jamais tout à fait tord, ni tout à fait raison ». Hervé Christofol, présente la
position du syndicat (lien en indiquant que si cette responsabilité sociale est réelle, il ne s’agit pas de
l’amoindrir mais plutôt de la revendiquer pour résister aux dérives managériales et à l’assujettissement
des esprits aux intérêts particuliers. Cette responsabilité doit faire prévaloir l’intérêt général sur les
intérêts particuliers, la responsabilité des collectifs plutôt que l’individualisation de la responsabilité et
une meilleure formation des chercheurs aux pratiques éthiques, aux règles déontologiques et à
l’épistémologie des sciences. Il rappelle qu’une charte nationale de déontologie des métiers de la
recherche a été signée par la CPU et les EPST et qu’elle est préférable à un serment individuel du
chercheur.
Troisième session : La Condition du chercheur
Entre 2010 et 2015, le nombre de chercheurs a progressé de 25% et en 2013, 8 millions de chercheurs
exerçaient dans le monde. Aujourd’hui 20% des chercheurs sont chinois et 16% sont américains. Si la
Finlande, compte 4 chercheurs pour 100 habitants, la France en compte 4 pour 1000. La répartition
mondiale des chercheurs est de 40%/60% entre le public et le privé. La France est en deçà de 40 % dans
le public. La recherche a changé : à Recherche et Développement, le terme Technologie a été ajouté.
Jusqu’il y a peu, la société avait une vision idéaliste du chercheur. Qu’en est-il à présent ? Patrick
Monfort souligne que si la recommandation de 1974 était seulement appliquée, les conditions de travail
des chercheurs s’en trouveraient grandement améliorées. La précarité a explosé et les institutions en
portent une grande responsabilité. La mise en concurrence a développé la hiérarchisation entre
chercheurs et les inégalités de traitement. Il est évoqué également que si une charte nationale devait
exister, elle devrait être collective et non individuelle. La CIRUISEF a d’ailleurs élaboré un serment du
scientifique (www.ciruief.com).
Quatrième session : Egalité et accès à la (re)connaissance
60% des diplômé.es de l’enseignement supérieur sont des femmes; elles représentent 50% des
docteur.es. Mais seulement 28% sont des chercheures.. 3% des prix Nobel scientifiques ont été décernés
à des femmes. Les inégalités de genre sont au cœur des débats avec l’évocation des difficultés de
progression de carrière scientifiques des chercheures. Les législations restent ambiguës. Par exemple, en
France, la parité n’est obligatoire que dans les comités de sélection des professeurs d’université. La
féminisation des textes et en particulier de celui de la charte de 1974 doit être revendiquée.
Quand aux coopérations internationales, malgré quelques initiatives pour construire la paix comme la
création du CERN par l’UNESCO en 1954, la compétition mondiale organise la fuite des cerveaux vers les
pays du nord qui disposent les plus grands équipements de recherche et moyens financiers. Le SnesupFSU a rappelé que l’International de l’Education (IE) a voté en faveur de la création d’un fond
international pour le financement de la recherche avec, dans, par et pour les pays du Sud.
Conclusions
Au final, le président de la CFNU, Daniel Janicot, annonce que la section française sera porteuse d’une
proposition de 5 amendements ayant trait à : l’exploitation des données ; l’accès ouvert aux données
(open-access et loi numérique); la transparence, l’éthique et la déontologie ; la place de la femme dans
la recherche ; la spécificité de la recherche privée.
La CNFU constate que la marchandisation des savoirs a perverti le système de la recherche et
notamment l’éthique sociale et professionnelle d’exercice de la recherche (plagiat, manipulation et vol
des données, …). C’est pourquoi, elle propose de rappeler le chercheur à ses responsabilités sociales.
Ceci se pourrait se traduire par la proposition de la signature par les chercheurs entrant d’un serment
universel. La FSU lui préfère une charte. La CNFU demandera également la mise en place d’un
observatoire mondial de suivi de l’application de la Recommandation. Cette disposition n’avait pas été
obtenue en 1974 et cela a contribué à la faible diffusion de celle-ci.
Au final, il ressort du colloque que le chercheur est mis au centre des responsabilités économiques,
politiques, culturelles et sociales du devenir scientifique de notre société. Si l’alerte devait être donnée
sur les dérives de l’exercice du métier par certains membres de notre communauté, la responsabilité
collective est trop absente des débats et surtout des préconisations qui seront rédigées à l’issue du
travail de la CNFU. La question de la diversité et de l’étendue des responsabilités sociales de chacun des
acteurs-types de la recherche n’aura pas été approfondie. Quid des institutions qui « managent » le
travail des chercheurs ? Quid des effets délétères de la mise en concurrence et de l’insuffisante des
moyens humains et financiers dans la haute mission scientifique qui nous est confiée ? Quid du travail
indispensable de hiérarchisation des responsabilités entre droit de l’Homme, droit du citoyen,
l’individuel, le collectif, le bien commun … Rappelons que l’UNESCO travaille au consensus et qu’il faudra
que l’ensemble des délégations des états s’entendent pour élaborer la nouvelle recommandation. Le
processus est en cours.
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