LA SENSORIALITÉ ÉVEILLÉE CATHERINE INGRAM Extrait de ‘’Passionate Presence’’ ‘’C’est comme si un éclair parcourait mes veines…’’ - David Gray, ‘’Please forgive me’’, de ‘’White Ladder’’ En état d'éveil, nous existons dans une relation divine avec les sens. L'odorat, le goût, le toucher, le son et les sentiments s'intensifient, parce que notre conscience n'est pas absorbée par des pensées obsessionnelles et est donc libre d'expérimenter toute la gamme des sensations corporelles et émotionnelles. Bien que les pensées continuent de jaillir, elles ne nous subjuguent pas, et notre attention est disponible pour le riche éventail de sensations que la vie nous offre. Notre appréciation sensorielle s'intensifie dans l'état d'éveil et se raffine de plus en plus. Une telle sensorialité diffère d'un attachement glouton ou affamé au monde des plaisirs des sens, comme on l'associe parfois à certaines représentations de la sensualité. Ce que l'on recherche souvent au nom du plaisir des sens, c'est le moyen de noyer le tumulte d'un esprit troublé, les gens s’efforçant parfois de manière téméraire et désespérée de détourner leur attention de leurs projections mentales et de leurs histoires déprimantes. Un jour, dans un train reliant la campagne à Londres, j'étais assise en face d'un jeune homme qui portait des écouteurs stéréo. Le bruit provenant de son casque, destiné à ses seules oreilles, était suffisamment fort pour que tout le monde dans le wagon puisse l'entendre, un bruit crissant comme une foreuse dentaire juste à côté de ses oreilles. Je me demandais si le jeune homme n'était pas partiellement sourd. Quand il a parlé via son téléphone portable, j'ai réalisé qu'il n'était pas sourd, mais je me suis dit qu'il le serait bientôt. Je me suis ensuite demandée ce que le pauvre garçon essayait de submerger dans son esprit en utilisant un niveau de décibels aussi extrême. Lorsque nous sommes très bruyants à l'intérieur, nous avons besoin d'une amplification externe pour nous distraire du tumulte intérieur, et nous recherchons souvent cette amplification au moyen des sens. Au fur et à mesure que la cacophonie intérieure et extérieure augmente, nous devenons encore plus insensibles, et il nous faut un déluge de sensations encore plus fortes pour nous oublier. Nous pouvons constater les effets de la désensibilisation dans notre culture, qui est marquée par sa complaisance à l’égard des films violents, de la musique stridente, de la télévision choc, des rapports sexuels dangereux et de la dépendance à la vitesse et aux substances toxiques. Nous voyons nos jeunes femmes qui ont troqué leur sensibilité pure contre l'obsession de la popularité, les régimes, les médocs et le sexe superficiel, et nos jeunes hommes qui raffolent de la violence dans les jeux vidéo, les sports et les médias. Tout cela signifie un émoussement de la sensibilité, une dissociation de la vie même. La Conscience éveillée, en revanche, célèbre les subtilités des sens et rend plus délicate notre appréciation de toutes choses. Lorsque nous sommes à l'aise et tranquilles, notre capacité à ressentir le plaisir des sens s'accroît, tandis que la quantité de stimulation nécessaire à ce plaisir diminue corrélativement. En d'autres termes, un minimum suffit pour faire un bon bout de chemin. Ce phénomène est particulièrement perceptible pendant les retraites silencieuses. Quand les gens se détendent dans la simple Présence - en se contentant d'être, sans avoir besoin d'être ceci ou cela - ils s'éveillent, comme s'ils revenaient d'entre les morts, dans un monde riche en sensations. Les gens décrivent souvent la nourriture comme n'ayant jamais eu aussi bon goût. Ils peuvent remarquer que le renforcement de leur odorat évoque des sentiments et des souvenirs d'enfance, ou que les couleurs sont remarquablement vives. Se pourrait-il qu'une feuille ait jamais été aussi verte ? Les plaisirs les plus simples comblent nos cœurs d'une grande joie. Une fois, j'étais assise en silence sur un porche en compagnie d'un groupe d'étudiants au cours d'une retraite, et nous observions deux femmes d'âge moyen qui se trouvaient sur la pelouse, des retraitantes. Celles-ci se relayèrent et se poussèrent mutuellement sur une balançoire pendant près d'une heure. Penchées en arrière, les doigts de pied en éventail vers le ciel et le soleil dans les yeux, elles montaient de plus en plus haut, en pouffant de rire de temps en temps. À l'insu des femmes, les observateurs du porche partageaient tous leur plaisir, en souriant et en se faisant des clins d'œil complices. Nous n'avons pas besoin de nous trouver en retraite silencieuse pour ressentir des sensations plus intenses. Nous pouvons permettre à notre conscience de demeurer dans l'aisance et dans la tranquillité, peu importe ce qui se passe autour de nous. La conscience sera alors naturellement éveillée et sensible à l'environnement. À tout moment, nous pouvons faire l'expérience directe d'être touché par le monde – qu’il s’agisse du contact de l'air avec notre peau, de la lumière avec nos yeux, ou du son avec nos oreilles. Au milieu d'une foule, un ami ou un amant nous prend la main, et des milliers de signaux se répercutent dans notre système nerveux. Au sein de la Présence éveillée, nous ressentons l'intensité de ces signaux "comme un éclair qui parcourt nos veines". Quand nous sommes perdus dans nos pensées, nous les percevons à peine. La Conscience éveillée imprègne également notre sexualité d'un sentiment de totalité, et c’est alors un véritable échantillon gratuit d'une expérience mystique — "le goût de Dieu du travailleur", ainsi que l'a dit un jour l'auteur, Georg Feuerstein1. Le mot "sensibilité" vient du latin et signifie "sentir". Nous habitons notre corps et nous comptons sur notre instinct, en nous déplaçant dans le monde comme des animaux "éclairés", avec toutes les portes des sens grandes 1 Auteur allemand, naturalisé canadien, très prolifique, spécialiste du yoga, historien des religions et expert de la métaphysique hindoue, NDT. ouvertes, mais également avec la compréhension de notre place dans ce monde. Nous faisons alors l'expérience d'un sentiment de connexion palpitant tel que nous pourrions songer : "Voilà enfin la vie !" En même temps que nos sens gagnent en acuité, nos réponses aux autres êtres s'affinent. Dans le cadre de l'une de nos retraites, il y a quelques années, un homme appelé Mick décrivit une expérience de sensorialité éveillée qu'il avait un jour partagée avec un colibri. Tandis qu'il travaillait dans son studio dans les bois, il remarqua qu'un colibri avait pénétré à l'intérieur par la porte ouverte, et s'étant retrouvé piégé, celui-ci cherchait le moyen de sortir et se heurtait à la verrière. Mick ouvrit les fenêtres de son studio, mais sans que le volatile ne parvienne à les trouver, et au bout d'un certain temps, l'oiseau sembla fort désemparé. Mick se tenait immobile et regardait l'oiseau, ne voulant pas l'effrayer davantage, lorsque soudain, le colibri s'approcha à quelques centimètres de son visage et resta là en vol stationnaire pendant quelques secondes - les deux créatures, l'homme et l'oiseau, se contemplant mutuellement. Lentement, Mick leva son index et l'oiseau s'y posa, une délicate brise de sensations. Il traversa ensuite la pièce avec précaution et sortit par la porte, en symbiose avec le petit être perché sur son doigt. Une fois dehors, le colibri caressa plusieurs fois son doigt avec son bec avant de s'envoler. Partage-pdf.webnode.fr