La diversité est-elle un bien - UMR 7205

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La diversité est-elle un bien ?
http://isyeb.mnhn.fr/Seminaire-La-diversite-est-elle-un
http://www.ehess.fr/fr/enseignement/enseignements/2015/ue/1155/
Etablissements
EPHE (master, diplôme, formation continue)
EHESS
Michel Veuille : Directeur d’étude à l’EPHE
Claudine Cohen: directrice d’études à l’EHESS
directrice d’études cumulante à l’EPHE
Michel Veuille : UMR 7205 MNHN-CNRS-UPMC-EPHE, Muséum National d’Histoire Naturelle, 75005 Paris
PROLOGUE
La systématique
une science de la diversité
La systématique traite de l’inventaire et de la classification des espèces :
- leur donner un nom (taxonomie);
- trouver les caractères discriminants permettant de les identifier;
- déterminer leur place dans la diversité des espèces (classification ou phylogénétique).
La reconnaissance des espèces à toujours existé.
Sauf au pôles et dans les déserts il n’y a pas un m2 dans le monde sans être vivant.
Dans sa présentation de l’éthologie (étude du comportement animal), Niko Tinbergen note que
tout animal doit apprendre reconnaître trois types d’organismes: ses proies ,ses prédateurs, et
ses partenaires sexuels ou sociaux.
Chez l’homme, le même problème se pose (en particulier chez les chasseurs-cueilleurs). Le nom
des espèces fait partie du lexique de toutes les langues.
Nous ferons commencer la systématique à la renaissance, bien qu’elle n’ait ce nom que depuis
le XVIIIème siècle.
Comment voit-on la parenté des êtres vivants aujourd’hui ?
Arbre phylogénétique des espèces: données moléculaires (ADN)
Eubactéries
Archébactries
13,8 x 109
4,6 x 109
LUCA
Last universal common ancestor
3,5 x 109
Eucaryotes
Combien d’espèces
ont
aujourd’hui un nom
linnéen?
1,8 millions
d’espèces animales
et végétales
Combien en
existe-t-il
réellement ?
Selon les
estimations, il
existerait de 10 à
15 millions
d’espèces, en
majorité des
insectes et des
champignons
Vertébrés
Mollusques
Autres animaux
Autres arthropodes
Crustacés
Insectes
Plantes
à fleurs
Autres
« plantes »
1 carré : 10.000 espèces
Ressources taxonomiques:.
Collections du Muséum national d’histoire naturelle
1. Herbier
L’inventaire des espèces se
poursuit sans discontinuer, et
sans qu’on en envisage la fin
6
Ressources taxonomiques:.
Collections du Muséum national d’histoire naturelle
2. Entomologie
L’inventaire des espèces
se poursuit sans
discontinuer, et sans
qu’on en envisage la fin
La collection d’insectes de Linné à Uppsala
7
Phylogénie des plantes à fleurs par le
consortium APG (Angiosperm phylogeny
group).
Les relations entre les familles d’angiospermes
ne sont connues que depuis quelques années
par l’étude de l’ADN (dernier état : APGIII:
2009)
De 1862 à 1883, Bentham et Hooker publièrent une
classification des plantes à fleurs sans prétention évolutive,
basée seulement sur la commodité du système (des familles
faciles à délimiter). Les affinités évolutives des familles
étaient virtuellement impossibles à élucider.
La systématique va traverser quatre âges de la science:
1540-1700: les herboristes
1700-1800: la systématique (Cf. Linné 1707-1778)
1859-1942 : l’évolutionnisme (Darwin, Haeckel, le néo-lamarckisme)
1942-aujourd’hui :la synthèse évolutive (Cf. la biologie des populations)
Comment construire une science de la diversité sur des bases changeantes ?
Deux concepts-clés posent des difficultés dans les transitions :
- La notion d’espèce
- Les relations entre les grands types d’organismes (Cf. débat Saint-Hilaire / Cuvier)
En quoi la théorie intervient-elle dans l’interprétation de la diversité?
Quatre grands types d’explications discontinuistes, très différents:
4 conceptions discontinuistes de l’histoire de la science
1. Bachelard, Canguilhem (révolution épistémologique):
"En fait, on connait contre une connaissance antérieure, en détruisant des connaissances mal faites, en
surmontant ce qui, dans l’esprit même, fait obstacle à la spiritualisation. (..)
Quand il se présente à la culture scientifique, l’esprit n’est jamais jeune. Il est même très vieux car il a l’âge
de ses préjugés. Accéder à la science, c’est, spirituellement, rajeunir, c’est accepter une mutation brusque
qui doit contredire un passé".
Dans cet esprit, Canguilhem oppose deux étapes successives : les idéologies de savants et la science.
2. Kuhn (structure des révolutions scientifiques):
"Aucune théorie ne résout jamais toutes les énigmes auxquelles elle se trouve confrontée à un moment
donné; et les solutions trouvées ne sont pas toujours parfaites (176).
Les révolutions scientifiques commencent avec le sentiment croissant, souvent restreint à une petite
fraction du groupe scientifique, qu’un paradigme a cessé de fonctionner e manière satisfaisante pour
l’exploration d’un aspect de la nature sur lequel ce même paradigme a antérieurement dirigé les
recherches (116)
(..) il est impossible que le choix [entre des paradigmes concurrents] soit déterminé simplement par les
procédés d’évaluation qui caractérisent la science normale, puisque ceux-ci dépendent en partie d’un
paradigme particulier, lequel, précisément, est mis en question. (..) Chaque groupe se sert de son propre
paradigme et y puise ses arguments de défense". (117)
3. Foucault (épistémè):
"Ce qui rend possible l’ensemble de l’épisthémè classique, c’est d’abord le rapport à une connaissance de
l’ordre. Lorsqu’il s’agit d’ordonner les natures simples, on a recours à une mathesis dont la structure
universelle est l’algèbre. Lorsqu’il s’agit de mettre en ordre des natures complexes (les représentation en
général, telles qu’elles sont données par l’expérience), il faut constituer une taxinomia et pour ce faire
instaurer un système de signes (p. 86) (..)
C’est dans cette région qu’on rencontre l’histoire naturelle, science des caractères qui articulent la
continuité de la nature et son enchevêtrement (p. 87).
(..) si la biologie était inconnue, il y avait à cela une raison bien simple: c’est que la vie elle-même n’existait
pas. Il existait seulement des êtres vivants, et qui apparaissaient à travers une grille du savoir constituée
par l’histoire naturelle (p. 139).(..)
A l’âge classique – Locke et Linné, Buffon et Hume en portent témoignage -, la question critique, c’est celle
du fondement de la ressemblance et de l’existence du genre (p. 175)".
4. Marx (idéologie dominante):
L’idéologie est une superstructure, l’infrastructure étant représentée par les rapports de production.
Estime que Darwin s’inspire de l’idéologie bourgeoise la plus réactionnaire (Malthus), tandis qu’Engels y
voit le grand théoricien de l’histoire de la nature, donc un scientifique.
Pour résumer
Bachelardiens : deux étapes seulement : un processus rationnel interne à la science par lequel elle
s’abstrait de l’idéologie qui l’environne.
Kühn : un nombre infini d’étapes, de détermination entièrement interne à la science, mais avec des
décisions sociologiques autant que rationnelles.
Foucault: un nombre indéterminé de périodes marquées par les conditions du discours scientifique, donc
extérieures à telle discipline particulière.
Marx: une idée forte de la science et de l’idéologie, prises dans une lutte à deux. L’idéologie
(superstructure) change avec la classe dominante. Proche de l’idée bachelardienne.
Des thèses entre lesquelles nous ne choisirons pas, mais que nous convoquerons ici ou là pour les
éprouver.
Retour au XVIème siècle.
Vers 1500, on brode la tapisserie de la Dame à la licorne.
Les fleurs ornementales illustrent la diversité du jardin, pour le plaisir des dames.
Que voyait-on dans cette diversité florale au XVIème siècle ? Un dessein de Dieu ? Un message ?
La fonction des fleurs restait inconnue. Les représentations sont sans souci de fidélité.
Plus esthétiques, certes ,que ne seront les figures botaniques, ou celles des artistes de la renaissante
La sexualité des plantes a été démontrée expérimentalement en 1716 par Vaillant, professeur au Jardin du Roi.
Brodée entre 1484 et 1500
Sébastien Vaillant 1669-1722
Démontre la sexualité des végétaux en 1716
l’humanisme de la renaissance
est l’une des sources de la
systématique .
La représentation réaliste s’exprime
notamment dans les arts graphiques.
Ici des œuvres de Dürer
datant des premières années du
XVIème siècle
La systématique naît une génération plus tard de la rencontre
entre imprimeurs, médecins, apothicaires (herboristes, souvent
voyageurs), et artistes.
Comme Luther avait mis la Bible à portée de tous, ils mettent la
médecine à portée du public .
"Médecine" signifie: "Dioscoride", médecin grec du 1er siècle.
1. Les herboristes
1540-1700
Otto Brunfels (1488-1534) médecin.
Herbarum vivae eicones (1530-1536)
Illustrations Hans Weiditz, considéré
comme un élève de Dürer.
Pierre Belon du Mans (1517-1564)
Apothicaire.
Histoire de la nature des oyseaux, avec
leurs descriptions et naïfs portraicts
retirez du naturel (1555).
Grâce aux peintres, graveurs et imprimeurs, les systématiciens font appel aux meilleurs techniciens de leur époque
Leonhart Fuchs
Un livre qui fera date:
De Historia Stirpium
commentarii insignes
(1542)
519 plantes de la flore européenne ,
par ordre alphabétique,
toutes figurées,
avec leurs vertus par Dioscoride, Pline et Galien
Avec gravures sur bois peintes à la main
Addition
Pour le iourdhuy, la plus part des medecins s’abuse grandement, n’ayans honte de maintenir
& affermer que la troisiesme espèce de Ioubarbe soit de côplexion froide. C’est pour s’esbayr
comment Dioscoride ne les ha peu retyrer de ceste faulte qui dict & escript asses clerement
ceste troisiesme espece de Ioubarbe, auoir vertu deschaulfer vlceres & escorcher. Et combien
qu’ilz ne volussent se soulcyer de ce qu’en auait escript Dioscoride, le goust toutesfois les
deuoit faire saiges: par lequel si n’ont la langue & le palat fort empesché ou gasté, deuoyent
cognoistre qu’elle est acre, poignante & mordicatiue.
Pour le jourd’hui, la plupart des médecins s’abuse grandement, n’ayant honte de maintenir
et affirmer que la troisième espèce de joubarbe soit de complexion froide. C’est pour
s’ébahir comment Dioscoride ne les a pu retirer de cette faute qui dit et écrit assez
clairement cette troisième espèce de joubarbe avoir vertu d’échauffer ulcères et écorcher.
Et combien qu’ils ne voulussent se soucier de ce qu’en avait écrit Dioscoride, le goût
toutefois les devait faire sages: par lequel si n’ont la langue et le palais fort empêché ou
gâté, devaient connaître qu’elle est âcre, poignante et mordicative.
Traduction en français du livre de Fuchs (1549)
Histoire des plantes, avec les noms Grecs, Latins, & Francoys. Augmentees de plusieurs portraictz, avec ung
extraict de leurs vertuz (en lieu et temps) des plus excellens Autheurs
a Paris, chez la Veusve Arnould Byrkman. 1549.
Ex. les géranium :
le premier bec de cigogne,
l’autre bec de cigogne ou bec de grue,
le tiers bec de cigogne ou bec de grue,
le quatriesme bec de grue ou bec de cigogne
le cinquiesme bec de cigogne ou bec de grue,
le sixiesme bec de grue ou bec de cigogne.
On note que la nomenclature n’est pas très claire.
L’ordre est alphabétique. Dans d’autres ouvrages, il
reprend les livres de Dioscoride (basés sur les
propriétés).
Avec les frères Bauhin, il est constitué de 12 livres
basés sur la ressemblance
Ex. les orchidées cinq noms d’espèces :
- Le satirion masle à fueuilles estroictes,
- Le couillon de chien à fueuilles estroictes,
- L’autre satirion à fueuilles estroictes,
- Le satirion à trois couillons
- L’ophrys ou ellebore blanc, etc.
Ces plantes sont connues comme les "couillons
de chien" (cynosorchis en grec) parce que la
pharmacopée se base sur leur racine (vendue
chez les herboristes), dont la forme suggère le
nom. Elle est censée agir sur l’appétit sexuel, le
sexe des enfants à naître, et diverses maladies.
Ruel 1549. Edition de Dioscoride
Met le gland et la galle sur le même plan comme productions du chêne : les deux sont utilisés dans la
pharmacopée, avec des vertus différentes.
Mattioli 1544. Commentaires sur Dioscoride
Sycomore, figuier et figuier de barbarie (Opuntia)
Oursin, hérisson et porc-épic
Pour reconnaître un plante, il faut compulser un livre où tout est censé être mentionné
Chabrey 1678 : Stirpium, scagraphia et Icones ex musaeo Dominici Chabraei
25
Les herboristes pré-linnéens, montrent, qu’au moins pour la botanique :
-
La systématique est une science appliquée. Les espèces sont des ressources naturelles.
-
Les botanistes sont des médecins ou des apothicaires.
-
Toutes les espèces ont des vertus thérapeutiques. Celles qui n’en ont pas sont des cas
particuliers.
-
Le monde des espèces est clos : il est délimité par le savoir des anciens. Avec ~ 600
espèces nommées, on est loin d’imaginer que le monde comprendra un jour 350.000
espèces connues de plantes à fleurs.
-
L’ordonnancement des espèces varie selon les auteurs : selon les nécessités médicales
(livres de Dioscoride), l’ ordre alphabétique (Fuchs, etc.) , l’aspect (les 12 livres de
Bauhin: tige herbeuse, bulbes, fleurs en ombelles, plantes potagères, arbres, arbustes,
lianes, ..)
-
Après Bauhin, on commence à examiner les plantes, à les regrouper selon leurs
ressemblances, à intercaler dans les livres des espèces nouvellement ramenées des
Indes.
La pharmacopée des hospices de Beaune
Est entièrement reprise de Dioscoride
Ex.
Poudre de cloportes
Éther de cantharides
Yeux d’écrevisses
Poudre de castor
Huile d’aspic
Marché de Brazzaville, Congo 2009).
Marché de Brazzaville, Congo 2009).
01.02.2016
Un institut français accusé de « piller » les savoirs
traditionnels
L’affaire est à la fois sensible et exemplaire, parce qu’elle met en cause un organisme
public, l’Institut de recherche pour le développement (IRD), et qu’elle illustre la
question de l’exploitation des savoirs ancestraux et des ressources biologiques puisés
chez les peuples autochtones par des firmes pharmaceutiques ou cosmétiques. C’est
là l’un des enjeux de la future loi sur la biodiversité que les sénateurs ont adoptée,
mardi 26 janvier.
Les faits ont été dénoncés par la Fondation France Libertés-Danielle Mitterrand qui
traque depuis une dizaine d’années les pratiques de biopiraterie. Elle affirme que le
brevet délivré en mars 2015 à l’IRD sur une molécule issue d’un petit arbre tropical, le
Quassia amara, est un cas d’école. « C’est un exemple caractérisé d’accaparement, une
injustice flagrante à l’égard des peuples autochtones de Guyane », estime Emmanuel
Poilâne, le directeur de France Libertés. La fondation a fait opposition auprès de
l’Office européen des brevets.
Les feuilles de Quassia amara ont des propriétés insecticides et des vertus médicinales
bien connues en Amérique latine, où elles sont en particulier utilisées pour traiter des
accès de paludisme. Les chercheurs de l’IRD en ont isolé une molécule, la
simalikalactone E (SkE), qu’ils destinent à enrichir la pharmacopée antipaludique. Mais
avant de se concentrer sur cette plante, ils ont auparavant interrogé des communautés
Kali’na, Palikur et des créoles en Guyane, pour connaître leurs remèdes traditionnels,
leur technique, leurs effets.
Le petit arbre tropical Quassia amara
dessiné dans un ouvrage
2. Les systématiciens
1700-1800
La botanique devient une institution scientifique.
1635, création du Jardin du Roi par Louis XIII.
La botanique reste une science de médecins et de droguistes
Le Jardin du Roi en 1700 à l’époque de Tournefort
Le principal
ouvrage de
Tournefort
Joseph Piton de Tournefort (1656-1708),
médecin du Roi Louis XIV, part au levant
pour examiner les plantes décrites par
Dioscoride
Il crée un système botanique fondé sur la
forme de la corolle.
Les figures de sa flore sont un modèle de
description, guidant le lecteur à travers la
dissection des parties florales.
Tournefort est l’auteur des noms de genre
des flores qui seront repris presque
intégralement par Linné.
Par sa méthode de classification et de
nomenclature, Tournefort annonce Linné
Ce système ignore la sexualité des fleurs.
Ce sera la principale critique que lui fera son
élève (et ennemi) Sébastien Vaillant, qui
démontre la sexualité de végétaux.
Linné créera un système sexuel : la
classification des plantes dépend du
nombre d’éléments mâles vs. femelles dans
la fleur.
Linné oppose le système aux classifications synoptiques (dichotomiques)
La botanique s’appuie sur des figures
schématiques des caractères de la plante.
C’est une combinatoire non-hiérarchisée, en
accord avec la vision de Linné: les espèces sont
comme des points sur une sphère
L’alternative
était la série des
êtres, inspirée
de l’ordre de la
dégénération
d ’Aristote.
L’alternative de
Darwin était
hors de
l’imagination
(les êtres ne
forment pas une
série
quelconque, ils
sont reliés par
des ancêtres
lointains)
37
Pourquoi la systématique de Linné a-t-ele survécu jusqu’à nos jours ?
Il renomme toutes les espèces de manière définitive.
Il énonce les principes pour donner un nom aux nouvelles espèces.
Il est illimité: il permet d’accueillir des plantes inconnues
Il est organisé: procédant par une hiérarchie, il permet de trouver où placer une plante inconnue à côté
d’une autre.
Longtemps après sa mort, les congrès internationaux de botanique adoptent des règles de
nomenclature: les noms de toutes les plantes commencent en 1753 (les ouvrages plus anciens sont
ignorés), et ceux des animaux en 1758.
Les règles linnéennes sont toujours rigoureusement appliquées
La systématique de Linné révolutionne le naturalisme, car elle offre un outil de nomenclature qui permet
l’exploration du monde et de la biodiversité.
Il connaissait 10.00 espèces. La systématique permettra d’en nommer 700.000
 La systématique est ouverte, contrairement à l’herboristerie qui était un savoir clos
3. Les évolutionnistes
1859-1942
Linné qualifie son système de système artificiel,
par opposition aux méthodes naturelles, qui
n’existent pas.
Le système artificiel de Linné ne lui survit pas.
Création des familles
Subordination des caractères
A la fin du XVIIIème siècle, les botanistes
français (Adanson, A-L de Jussieu) mettent en
évidence la "subordination des caractères", qui
permet de regrouper les genres en familles par
une série de caractères emboités : les espèces
ne sont plus distribuées sur une sphère, mais
selon une arborescence.
La série des êtres
Au XVIIIème siècle, êtres sont souvent figurés comme composant une série.
Cette idée est ancienne : c’est l’idée d’une dégénération progressive allant de l’homme, le plus parfait des
animaux, aux autres.
Elle va de pair avec l’idée que les espèces que nous voyons sont à peu près les seules qui puissent exister.
Bien que l’étude de fossiles montre qu’une partie de la création a disparu.
L’idée de Darwin est que ce qui relie les êtres n’est pas leur succession dans une série, mais des ancêtres
communs disparus.
Ainsi, l’homme ne descend pas du singe, dit-il, mais les primates partagent des ancêtres communs qui
furent des mammifères.
Charles Darwin, notebooks : premier schéma d’une
généalogie d’espèces, inspirée de la croissance du corail
Darwin 1859 : Origine des espèces par le moyen de la sélection naturelle
Comment une espèce se divise en variétés dont certaines survivent pour donner trois espèces.
Il y a beaucoup de choses dans
ce schéma qu’il faut regarder
comme un modèle théorique:
* La continuité entre variation
intraspécifique et diversité
interspécifique.
* La disparition des variations
* La descendance commune des
êtres à partir d’ancêtres
communs.
* La tendance à la divergence
perpétuelle.
Ce schéma inspirera peu de recherches sur la sélection ou l’hérédité, en berne jusqu’au 20ème siècle.
Mais il sera fondateur pour interpréter les données d’anatomie comparée, et lancera les diverses
opinions néo-lamarckiennes.
42
Ernst Haeckel 1866: généalogie des organismes
On notera:
* Première représentation
monophylétique du vivant
* Au-delà de la constitution des
grands groupes , la phylogénie
des organismes est négligée.
* Les principales formes
d’organisation forment une
hiérarchie
43
Haeckel : généalogie des
crustacés.
On notera:
* Les principales divisions des
crustacés descendent les unes
des autres
* Les principales formes
d’organisations forment une
hiérarchie
La conception haeckelienne reste majoritaire pendant un siècle.
Elle est confortée par l’anatomie comparée et l’embryologie comparée.
Elle est remise en cause dans les années 1960, d’abord par la synthèse
évolutive, puis la cladistique, puis l’évolution moléculaire : les
systématiciens réalisent en 1966 qu’ils ont trahi Darwin pendant un
siècle ..!
1942. La synthèse évolutive.
Principaux théoriciens : Ernst Mayr, George Gaylord Simpson Theodosius Dobzhansky
Mayr (systématicien des oiseaux) adopte une nouvelle conception de l’espèce.
Il décrit l’espèce comme un « pool génique ».
Il insiste sur la spéciation allopatrique, qui valorise la créatio nprogressive des espèces et le
critère d’interfécondité.
il fustige l’essentialisme de la systématique classique
Simpson (paléontologue) réinterprète l’évolution du cheval en termes de biologie des
populations gradualiste
La biologie des populations aura peu d’impact
sur les taxonomistes et les paléontologues:
- La nouvelle définition de l’espèce ne s’adapte
pas aux données paléontologiques.
- Le gradualisme de Simpson lui est reproché
- La paléontologie cherche à se renouveler avec
la cladistique et l’évo-dévo.
Hans Hennig : l’analyse cladistique
La cladistique est à la fois une
méthode et une
représentation graphique.
A
B
C
D
autapomorphie
Elle exclut la notion de
caractères "ancestraux" et
"dérivés". Elle décrit les
caractères comme "informatifs
" ou non pour la m »thode
synapomorphies
Elle est orientée
cladogramme
Elle consiste à détecter les
caractères informatifs
(: dont chaque état alternatif
est présent au moins deux fois)
et à regrouper les
synapomorphies
Le cladogramme se représente
sous forme d’un cladogramme
ou d’emboitements
A
B
C
D
Le livre de Hennig est traduit en anglais en 1966 et la cladistique devient immédiatement la norme en matière
d’analyse phylogénique, jusque vers 2000
48
Cette conception est compatible avec celle de Darwin
49
Le paradigme de
la cladistique:
Les poissons
n’existent pas.
Un paradoxe fondateur : la vache, le dipneuste et le saumon.
La saumon et le dipneuste sont tous deux des poissons, mais le dipneuste est plus proche de la vache que
du saumon .
Désormais les relations phylogéniques sont privilégiées sur les plans d’organisation et autres archétypes.
Cladogramme des vertébrés; à gauche : morphologique; à droite : moléculaire.
La topologie est affectée par les homoplasies (ressemblances fictives)
Principe de parcimonie. On prend l’arbre le plus court, parmi les nombreux arbres de même probabilité.
On a souvent objecté que rien ne permet de penser que l’évolution était parcimonieuse.
A la même période (1965) Zuckerkandl et Pauling découvrent l’horloge évolutive à partir des premières
séquences protéiques (globines des cordés : myoglobine et hémoglobines)
Kimura et Ohta en concluent que l’évolution neutre
prédomine parmi les séquences macromoléculaires.
On va alors remplacer les phylogénies d’espèces par le
phylogénies de gènes.
Alors que les cladogrammes sont basés sur les nouveautés
évolutive, les phylogénies moléculaires sont en général
basées sur les distances, et sur des allèles neutres. Il en
existe de nombreuses méthodes concurrentes, de même
existe-t-il de nombreuses méthodes d’évaluation des
distances.
A partir des années 2000, le développement des méthodes
bayésiennes entraîne qu’on ne peut plus identifier sur quels
caractères repose une topologie particulière.
Comme les cladogrammes, ces méthodes ne sont pas une
représentation "exacte" de l’évolution, mais une
interprétation approchée.
Il existe de nombreuses méthodes pour évaluer la
probabilité qu’une topologie donnée est compatible avec
les données.
Motoo Kimura 1983 : arbre phylogénique
neutre des hémoglobines des vertébrés
La Commission internationale de nomenclature zoologique
(International Commission on Zoological Nomenclature : ICZN, 1895).
Le Code international de nomenclature botanique (International Code of
Botanical Nomenclature, ICBN), géré par les congrès internationaux de
botanique depuis 1867.
Ils reposent sur la nomenclature linnéenne et la hiérarchie des catégories
supraspécifiques, qui n’ont cependant pas de rapports avec les arbres
évolutifs.
Que doit la systématique au darwinisme ?
La darwinisme a démontré que la vie avait une histoire unique, et que
toutes les espèces étaient reliées par des ancêtres communs .
La classification tente d’être compatible avec une figure arborescente,
mais n’est pas dichotomique, sauf cas particulier, ou dans des clés
taxonomiques, qui ne sont qu’un outil.
Le succès de la cladistique fut tel qu’en 1998, un groupe de systématicien
lança le projet Phylocode, consistant à changer le nom de catégories
supra-spécifiques pour les adapter à la phylogénie vraie.
Ce projet a eu peu de succès, car les noms actuels sont difficiles à
modifier, et parce qu’il faudrait modifier toute la nomenclature chaque
fois qu’une meilleure phylogénie est publiée.
Par ailleurs, la cladistique n’étant plus une méthode utilisée, il serait
difficile de définir des caractères discriminants, par exemple suite à une
analyse numérique recherchant la solution la plus probable.
Famille
Genre
Espèce
Nom linéen
Nom linéen
Nom linéen
Nom linéen
Nom linéen
Nom linéen
Nom linéen
Nom linéen
Contradiction formelle entre la
classification hiérarchique et la
phylogénie des espèces:
Les branchements profonds sont
regroupés avec les branchements
récents : le
Nom linéen
Nom linéen
Nom linéen
Nom linéen
Nom linéen
Nom linéen
Nom linéen
Nom linéen
Deux autres raisons font que la systématique n’est pas proprement "darwinienne ":
1.
Le fait que les phylogénies de gènes ne sont pas des phylogénies d’espèces, mais des
phylogénies de traits issus de la variabilité intra-spécifique. Or, au sein des espèces, la
transmission des caractères est modifiée par le sexe. A partir de 1942, la biologie évolutive
est basée sur les population et l’étude de leur variabilité. Du fait que le processus de
spéciation est une étape longue, intermédiaire entre variabilité intra et inter-spécifique, elle
est riche de situation où l’on change de paradigmes entre diversité gééntique et diversité des
espèces.
2.
Le fait qu’on ne sache jamais si la sélection naturelle est intervenue dans l’apparition d’un
caractère. Selon les cas, la phylogénétique utilise des caractères neutres, des innovations
évolutives, des changements morphologiques dont on ne sait la fonction.
Elle est donc "a-biologique" ou "pré-biologique« , car elle potentialise et précède la recherche en
biologie. Elle en définit les quanta.
La systématique précède l’étude biologique, il lui est donc difficile de prendre en compte le
contenu biologique des caractères qu’elle étudie.
Elle ignore les débats sur la spéciation, et donc, paradoxalement, les débats sur l’espèce.
La notion d’espèce est pour elle une question "tout ou rien".
Deux autres raisons font que la systématique n’est pas proprement "darwinienne ":
1.
Le fait que les phylogénies de gènes ne sont pas des phylogénies d’espèces.
Les phylogénies de gènes se poursuivent à l’intérieur de l’espèce-mère. Elles remontent plus
loin que l’événement de spéciation.
Taux de discordance dans la trifurcation Homme-Gorille-Chimpanzé
(Homme-Chimpanzé) Gorille
(Homme-Gorille) Chimpanzé
(Chimpanzé-Gorille) Homme
24
14
9
Pdis = 0.49
 3

N e = T / 2 ln Pdis 

 2
Effectif efficace de la population ancestrale commune à l’homme et au chimpanzé : Ne = 162.000
2. Le fait qu’on ne sache jamais si la sélection naturelle est intervenue dans l’apparition d’un caractère.
Les quatre livres de Darwin sur les plantes montrent une image toute
différente de l’évolution de la morphologie végétale :
-
La fécondation des orchidées par les insectes
Les mouvements des plantes
Les plantes insectivores
Les formes des fleurs
Les différence morphologiques entre les plantes sont associées à des
changements fonctionnels.
Ils montrent une autre vision de la diversité des plantes : basée sur l’adaptation.
DISCUSSION
Une question du séminaire est de savoir pourquoi et comment se fonde une science de la diversité
En particulier, une théorie est-elle indispensable ?
La systématique a eu au cours des temps modernes (depuis le XVIème siècle) de nombreuses motivations :
savoir médical, contemplation de la création, étude de l’évolution, inventaire de la biodiversité pour les
politiques de conservation.
Son contexte de réflexion a été le, fixisme puis le darwinisme.
Elle a préservé une autonomie en tant que discipline. Elle a développé des méthodes propres et une approche
originale de l’organisme, distincte des autres sciences de la vie.
Elle a gardé peu de choses de Linné, et peu de choses de Darwin
Elle conserve un rôle efficace en tant que science d’avant la biologie (n’en déplaise à Foucault): elle est le point
d’entrée de la diversité naturelle dans la science.
Nominaliste par nature, elle n’apprend rien sur la biologie de telle ou telle espèce. Les noms sont arbitraires
Jusqu’à un certain point, elle est utile à la biologie évolutive, jusqu’à un certain point, elle entre en conflit avec
elle.
Il n’y a donc pas une science unique de la diversité en biologie, il y en a au moins deux, qui ne coexistent qu’au
prix de principes différents.
A la question : faut-il une théorie pour étudier la diversité, la réponse est "oui". Mais cette théorie n’a pas à
être juste. Elle peut délibérément "oublier" certains aspects.
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