La diversité est-elle un bien ? http://isyeb.mnhn.fr/Seminaire-La-diversite-est-elle-un http://www.ehess.fr/fr/enseignement/enseignements/2015/ue/1155/ Etablissements EPHE (master, diplôme, formation continue) EHESS Michel Veuille : Directeur d’étude à l’EPHE Claudine Cohen: directrice d’études à l’EHESS directrice d’études cumulante à l’EPHE Michel Veuille : UMR 7205 MNHN-CNRS-UPMC-EPHE, Muséum National d’Histoire Naturelle, 75005 Paris PROLOGUE La systématique une science de la diversité La systématique traite de l’inventaire et de la classification des espèces : - leur donner un nom (taxonomie); - trouver les caractères discriminants permettant de les identifier; - déterminer leur place dans la diversité des espèces (classification ou phylogénétique). La reconnaissance des espèces à toujours existé. Sauf au pôles et dans les déserts il n’y a pas un m2 dans le monde sans être vivant. Dans sa présentation de l’éthologie (étude du comportement animal), Niko Tinbergen note que tout animal doit apprendre reconnaître trois types d’organismes: ses proies ,ses prédateurs, et ses partenaires sexuels ou sociaux. Chez l’homme, le même problème se pose (en particulier chez les chasseurs-cueilleurs). Le nom des espèces fait partie du lexique de toutes les langues. Nous ferons commencer la systématique à la renaissance, bien qu’elle n’ait ce nom que depuis le XVIIIème siècle. Comment voit-on la parenté des êtres vivants aujourd’hui ? Arbre phylogénétique des espèces: données moléculaires (ADN) Eubactéries Archébactries 13,8 x 109 4,6 x 109 LUCA Last universal common ancestor 3,5 x 109 Eucaryotes Combien d’espèces ont aujourd’hui un nom linnéen? 1,8 millions d’espèces animales et végétales Combien en existe-t-il réellement ? Selon les estimations, il existerait de 10 à 15 millions d’espèces, en majorité des insectes et des champignons Vertébrés Mollusques Autres animaux Autres arthropodes Crustacés Insectes Plantes à fleurs Autres « plantes » 1 carré : 10.000 espèces Ressources taxonomiques:. Collections du Muséum national d’histoire naturelle 1. Herbier L’inventaire des espèces se poursuit sans discontinuer, et sans qu’on en envisage la fin 6 Ressources taxonomiques:. Collections du Muséum national d’histoire naturelle 2. Entomologie L’inventaire des espèces se poursuit sans discontinuer, et sans qu’on en envisage la fin La collection d’insectes de Linné à Uppsala 7 Phylogénie des plantes à fleurs par le consortium APG (Angiosperm phylogeny group). Les relations entre les familles d’angiospermes ne sont connues que depuis quelques années par l’étude de l’ADN (dernier état : APGIII: 2009) De 1862 à 1883, Bentham et Hooker publièrent une classification des plantes à fleurs sans prétention évolutive, basée seulement sur la commodité du système (des familles faciles à délimiter). Les affinités évolutives des familles étaient virtuellement impossibles à élucider. La systématique va traverser quatre âges de la science: 1540-1700: les herboristes 1700-1800: la systématique (Cf. Linné 1707-1778) 1859-1942 : l’évolutionnisme (Darwin, Haeckel, le néo-lamarckisme) 1942-aujourd’hui :la synthèse évolutive (Cf. la biologie des populations) Comment construire une science de la diversité sur des bases changeantes ? Deux concepts-clés posent des difficultés dans les transitions : - La notion d’espèce - Les relations entre les grands types d’organismes (Cf. débat Saint-Hilaire / Cuvier) En quoi la théorie intervient-elle dans l’interprétation de la diversité? Quatre grands types d’explications discontinuistes, très différents: 4 conceptions discontinuistes de l’histoire de la science 1. Bachelard, Canguilhem (révolution épistémologique): "En fait, on connait contre une connaissance antérieure, en détruisant des connaissances mal faites, en surmontant ce qui, dans l’esprit même, fait obstacle à la spiritualisation. (..) Quand il se présente à la culture scientifique, l’esprit n’est jamais jeune. Il est même très vieux car il a l’âge de ses préjugés. Accéder à la science, c’est, spirituellement, rajeunir, c’est accepter une mutation brusque qui doit contredire un passé". Dans cet esprit, Canguilhem oppose deux étapes successives : les idéologies de savants et la science. 2. Kuhn (structure des révolutions scientifiques): "Aucune théorie ne résout jamais toutes les énigmes auxquelles elle se trouve confrontée à un moment donné; et les solutions trouvées ne sont pas toujours parfaites (176). Les révolutions scientifiques commencent avec le sentiment croissant, souvent restreint à une petite fraction du groupe scientifique, qu’un paradigme a cessé de fonctionner e manière satisfaisante pour l’exploration d’un aspect de la nature sur lequel ce même paradigme a antérieurement dirigé les recherches (116) (..) il est impossible que le choix [entre des paradigmes concurrents] soit déterminé simplement par les procédés d’évaluation qui caractérisent la science normale, puisque ceux-ci dépendent en partie d’un paradigme particulier, lequel, précisément, est mis en question. (..) Chaque groupe se sert de son propre paradigme et y puise ses arguments de défense". (117) 3. Foucault (épistémè): "Ce qui rend possible l’ensemble de l’épisthémè classique, c’est d’abord le rapport à une connaissance de l’ordre. Lorsqu’il s’agit d’ordonner les natures simples, on a recours à une mathesis dont la structure universelle est l’algèbre. Lorsqu’il s’agit de mettre en ordre des natures complexes (les représentation en général, telles qu’elles sont données par l’expérience), il faut constituer une taxinomia et pour ce faire instaurer un système de signes (p. 86) (..) C’est dans cette région qu’on rencontre l’histoire naturelle, science des caractères qui articulent la continuité de la nature et son enchevêtrement (p. 87). (..) si la biologie était inconnue, il y avait à cela une raison bien simple: c’est que la vie elle-même n’existait pas. Il existait seulement des êtres vivants, et qui apparaissaient à travers une grille du savoir constituée par l’histoire naturelle (p. 139).(..) A l’âge classique – Locke et Linné, Buffon et Hume en portent témoignage -, la question critique, c’est celle du fondement de la ressemblance et de l’existence du genre (p. 175)". 4. Marx (idéologie dominante): L’idéologie est une superstructure, l’infrastructure étant représentée par les rapports de production. Estime que Darwin s’inspire de l’idéologie bourgeoise la plus réactionnaire (Malthus), tandis qu’Engels y voit le grand théoricien de l’histoire de la nature, donc un scientifique. Pour résumer Bachelardiens : deux étapes seulement : un processus rationnel interne à la science par lequel elle s’abstrait de l’idéologie qui l’environne. Kühn : un nombre infini d’étapes, de détermination entièrement interne à la science, mais avec des décisions sociologiques autant que rationnelles. Foucault: un nombre indéterminé de périodes marquées par les conditions du discours scientifique, donc extérieures à telle discipline particulière. Marx: une idée forte de la science et de l’idéologie, prises dans une lutte à deux. L’idéologie (superstructure) change avec la classe dominante. Proche de l’idée bachelardienne. Des thèses entre lesquelles nous ne choisirons pas, mais que nous convoquerons ici ou là pour les éprouver. Retour au XVIème siècle. Vers 1500, on brode la tapisserie de la Dame à la licorne. Les fleurs ornementales illustrent la diversité du jardin, pour le plaisir des dames. Que voyait-on dans cette diversité florale au XVIème siècle ? Un dessein de Dieu ? Un message ? La fonction des fleurs restait inconnue. Les représentations sont sans souci de fidélité. Plus esthétiques, certes ,que ne seront les figures botaniques, ou celles des artistes de la renaissante La sexualité des plantes a été démontrée expérimentalement en 1716 par Vaillant, professeur au Jardin du Roi. Brodée entre 1484 et 1500 Sébastien Vaillant 1669-1722 Démontre la sexualité des végétaux en 1716 l’humanisme de la renaissance est l’une des sources de la systématique . La représentation réaliste s’exprime notamment dans les arts graphiques. Ici des œuvres de Dürer datant des premières années du XVIème siècle La systématique naît une génération plus tard de la rencontre entre imprimeurs, médecins, apothicaires (herboristes, souvent voyageurs), et artistes. Comme Luther avait mis la Bible à portée de tous, ils mettent la médecine à portée du public . "Médecine" signifie: "Dioscoride", médecin grec du 1er siècle. 1. Les herboristes 1540-1700 Otto Brunfels (1488-1534) médecin. Herbarum vivae eicones (1530-1536) Illustrations Hans Weiditz, considéré comme un élève de Dürer. Pierre Belon du Mans (1517-1564) Apothicaire. Histoire de la nature des oyseaux, avec leurs descriptions et naïfs portraicts retirez du naturel (1555). Grâce aux peintres, graveurs et imprimeurs, les systématiciens font appel aux meilleurs techniciens de leur époque Leonhart Fuchs Un livre qui fera date: De Historia Stirpium commentarii insignes (1542) 519 plantes de la flore européenne , par ordre alphabétique, toutes figurées, avec leurs vertus par Dioscoride, Pline et Galien Avec gravures sur bois peintes à la main Addition Pour le iourdhuy, la plus part des medecins s’abuse grandement, n’ayans honte de maintenir & affermer que la troisiesme espèce de Ioubarbe soit de côplexion froide. C’est pour s’esbayr comment Dioscoride ne les ha peu retyrer de ceste faulte qui dict & escript asses clerement ceste troisiesme espece de Ioubarbe, auoir vertu deschaulfer vlceres & escorcher. Et combien qu’ilz ne volussent se soulcyer de ce qu’en auait escript Dioscoride, le goust toutesfois les deuoit faire saiges: par lequel si n’ont la langue & le palat fort empesché ou gasté, deuoyent cognoistre qu’elle est acre, poignante & mordicatiue. Pour le jourd’hui, la plupart des médecins s’abuse grandement, n’ayant honte de maintenir et affirmer que la troisième espèce de joubarbe soit de complexion froide. C’est pour s’ébahir comment Dioscoride ne les a pu retirer de cette faute qui dit et écrit assez clairement cette troisième espèce de joubarbe avoir vertu d’échauffer ulcères et écorcher. Et combien qu’ils ne voulussent se soucier de ce qu’en avait écrit Dioscoride, le goût toutefois les devait faire sages: par lequel si n’ont la langue et le palais fort empêché ou gâté, devaient connaître qu’elle est âcre, poignante et mordicative. Traduction en français du livre de Fuchs (1549) Histoire des plantes, avec les noms Grecs, Latins, & Francoys. Augmentees de plusieurs portraictz, avec ung extraict de leurs vertuz (en lieu et temps) des plus excellens Autheurs a Paris, chez la Veusve Arnould Byrkman. 1549. Ex. les géranium : le premier bec de cigogne, l’autre bec de cigogne ou bec de grue, le tiers bec de cigogne ou bec de grue, le quatriesme bec de grue ou bec de cigogne le cinquiesme bec de cigogne ou bec de grue, le sixiesme bec de grue ou bec de cigogne. On note que la nomenclature n’est pas très claire. L’ordre est alphabétique. Dans d’autres ouvrages, il reprend les livres de Dioscoride (basés sur les propriétés). Avec les frères Bauhin, il est constitué de 12 livres basés sur la ressemblance Ex. les orchidées cinq noms d’espèces : - Le satirion masle à fueuilles estroictes, - Le couillon de chien à fueuilles estroictes, - L’autre satirion à fueuilles estroictes, - Le satirion à trois couillons - L’ophrys ou ellebore blanc, etc. Ces plantes sont connues comme les "couillons de chien" (cynosorchis en grec) parce que la pharmacopée se base sur leur racine (vendue chez les herboristes), dont la forme suggère le nom. Elle est censée agir sur l’appétit sexuel, le sexe des enfants à naître, et diverses maladies. Ruel 1549. Edition de Dioscoride Met le gland et la galle sur le même plan comme productions du chêne : les deux sont utilisés dans la pharmacopée, avec des vertus différentes. Mattioli 1544. Commentaires sur Dioscoride Sycomore, figuier et figuier de barbarie (Opuntia) Oursin, hérisson et porc-épic Pour reconnaître un plante, il faut compulser un livre où tout est censé être mentionné Chabrey 1678 : Stirpium, scagraphia et Icones ex musaeo Dominici Chabraei 25 Les herboristes pré-linnéens, montrent, qu’au moins pour la botanique : - La systématique est une science appliquée. Les espèces sont des ressources naturelles. - Les botanistes sont des médecins ou des apothicaires. - Toutes les espèces ont des vertus thérapeutiques. Celles qui n’en ont pas sont des cas particuliers. - Le monde des espèces est clos : il est délimité par le savoir des anciens. Avec ~ 600 espèces nommées, on est loin d’imaginer que le monde comprendra un jour 350.000 espèces connues de plantes à fleurs. - L’ordonnancement des espèces varie selon les auteurs : selon les nécessités médicales (livres de Dioscoride), l’ ordre alphabétique (Fuchs, etc.) , l’aspect (les 12 livres de Bauhin: tige herbeuse, bulbes, fleurs en ombelles, plantes potagères, arbres, arbustes, lianes, ..) - Après Bauhin, on commence à examiner les plantes, à les regrouper selon leurs ressemblances, à intercaler dans les livres des espèces nouvellement ramenées des Indes. La pharmacopée des hospices de Beaune Est entièrement reprise de Dioscoride Ex. Poudre de cloportes Éther de cantharides Yeux d’écrevisses Poudre de castor Huile d’aspic Marché de Brazzaville, Congo 2009). Marché de Brazzaville, Congo 2009). 01.02.2016 Un institut français accusé de « piller » les savoirs traditionnels L’affaire est à la fois sensible et exemplaire, parce qu’elle met en cause un organisme public, l’Institut de recherche pour le développement (IRD), et qu’elle illustre la question de l’exploitation des savoirs ancestraux et des ressources biologiques puisés chez les peuples autochtones par des firmes pharmaceutiques ou cosmétiques. C’est là l’un des enjeux de la future loi sur la biodiversité que les sénateurs ont adoptée, mardi 26 janvier. Les faits ont été dénoncés par la Fondation France Libertés-Danielle Mitterrand qui traque depuis une dizaine d’années les pratiques de biopiraterie. Elle affirme que le brevet délivré en mars 2015 à l’IRD sur une molécule issue d’un petit arbre tropical, le Quassia amara, est un cas d’école. « C’est un exemple caractérisé d’accaparement, une injustice flagrante à l’égard des peuples autochtones de Guyane », estime Emmanuel Poilâne, le directeur de France Libertés. La fondation a fait opposition auprès de l’Office européen des brevets. Les feuilles de Quassia amara ont des propriétés insecticides et des vertus médicinales bien connues en Amérique latine, où elles sont en particulier utilisées pour traiter des accès de paludisme. Les chercheurs de l’IRD en ont isolé une molécule, la simalikalactone E (SkE), qu’ils destinent à enrichir la pharmacopée antipaludique. Mais avant de se concentrer sur cette plante, ils ont auparavant interrogé des communautés Kali’na, Palikur et des créoles en Guyane, pour connaître leurs remèdes traditionnels, leur technique, leurs effets. Le petit arbre tropical Quassia amara dessiné dans un ouvrage 2. Les systématiciens 1700-1800 La botanique devient une institution scientifique. 1635, création du Jardin du Roi par Louis XIII. La botanique reste une science de médecins et de droguistes Le Jardin du Roi en 1700 à l’époque de Tournefort Le principal ouvrage de Tournefort Joseph Piton de Tournefort (1656-1708), médecin du Roi Louis XIV, part au levant pour examiner les plantes décrites par Dioscoride Il crée un système botanique fondé sur la forme de la corolle. Les figures de sa flore sont un modèle de description, guidant le lecteur à travers la dissection des parties florales. Tournefort est l’auteur des noms de genre des flores qui seront repris presque intégralement par Linné. Par sa méthode de classification et de nomenclature, Tournefort annonce Linné Ce système ignore la sexualité des fleurs. Ce sera la principale critique que lui fera son élève (et ennemi) Sébastien Vaillant, qui démontre la sexualité de végétaux. Linné créera un système sexuel : la classification des plantes dépend du nombre d’éléments mâles vs. femelles dans la fleur. Linné oppose le système aux classifications synoptiques (dichotomiques) La botanique s’appuie sur des figures schématiques des caractères de la plante. C’est une combinatoire non-hiérarchisée, en accord avec la vision de Linné: les espèces sont comme des points sur une sphère L’alternative était la série des êtres, inspirée de l’ordre de la dégénération d ’Aristote. L’alternative de Darwin était hors de l’imagination (les êtres ne forment pas une série quelconque, ils sont reliés par des ancêtres lointains) 37 Pourquoi la systématique de Linné a-t-ele survécu jusqu’à nos jours ? Il renomme toutes les espèces de manière définitive. Il énonce les principes pour donner un nom aux nouvelles espèces. Il est illimité: il permet d’accueillir des plantes inconnues Il est organisé: procédant par une hiérarchie, il permet de trouver où placer une plante inconnue à côté d’une autre. Longtemps après sa mort, les congrès internationaux de botanique adoptent des règles de nomenclature: les noms de toutes les plantes commencent en 1753 (les ouvrages plus anciens sont ignorés), et ceux des animaux en 1758. Les règles linnéennes sont toujours rigoureusement appliquées La systématique de Linné révolutionne le naturalisme, car elle offre un outil de nomenclature qui permet l’exploration du monde et de la biodiversité. Il connaissait 10.00 espèces. La systématique permettra d’en nommer 700.000 La systématique est ouverte, contrairement à l’herboristerie qui était un savoir clos 3. Les évolutionnistes 1859-1942 Linné qualifie son système de système artificiel, par opposition aux méthodes naturelles, qui n’existent pas. Le système artificiel de Linné ne lui survit pas. Création des familles Subordination des caractères A la fin du XVIIIème siècle, les botanistes français (Adanson, A-L de Jussieu) mettent en évidence la "subordination des caractères", qui permet de regrouper les genres en familles par une série de caractères emboités : les espèces ne sont plus distribuées sur une sphère, mais selon une arborescence. La série des êtres Au XVIIIème siècle, êtres sont souvent figurés comme composant une série. Cette idée est ancienne : c’est l’idée d’une dégénération progressive allant de l’homme, le plus parfait des animaux, aux autres. Elle va de pair avec l’idée que les espèces que nous voyons sont à peu près les seules qui puissent exister. Bien que l’étude de fossiles montre qu’une partie de la création a disparu. L’idée de Darwin est que ce qui relie les êtres n’est pas leur succession dans une série, mais des ancêtres communs disparus. Ainsi, l’homme ne descend pas du singe, dit-il, mais les primates partagent des ancêtres communs qui furent des mammifères. Charles Darwin, notebooks : premier schéma d’une généalogie d’espèces, inspirée de la croissance du corail Darwin 1859 : Origine des espèces par le moyen de la sélection naturelle Comment une espèce se divise en variétés dont certaines survivent pour donner trois espèces. Il y a beaucoup de choses dans ce schéma qu’il faut regarder comme un modèle théorique: * La continuité entre variation intraspécifique et diversité interspécifique. * La disparition des variations * La descendance commune des êtres à partir d’ancêtres communs. * La tendance à la divergence perpétuelle. Ce schéma inspirera peu de recherches sur la sélection ou l’hérédité, en berne jusqu’au 20ème siècle. Mais il sera fondateur pour interpréter les données d’anatomie comparée, et lancera les diverses opinions néo-lamarckiennes. 42 Ernst Haeckel 1866: généalogie des organismes On notera: * Première représentation monophylétique du vivant * Au-delà de la constitution des grands groupes , la phylogénie des organismes est négligée. * Les principales formes d’organisation forment une hiérarchie 43 Haeckel : généalogie des crustacés. On notera: * Les principales divisions des crustacés descendent les unes des autres * Les principales formes d’organisations forment une hiérarchie La conception haeckelienne reste majoritaire pendant un siècle. Elle est confortée par l’anatomie comparée et l’embryologie comparée. Elle est remise en cause dans les années 1960, d’abord par la synthèse évolutive, puis la cladistique, puis l’évolution moléculaire : les systématiciens réalisent en 1966 qu’ils ont trahi Darwin pendant un siècle ..! 1942. La synthèse évolutive. Principaux théoriciens : Ernst Mayr, George Gaylord Simpson Theodosius Dobzhansky Mayr (systématicien des oiseaux) adopte une nouvelle conception de l’espèce. Il décrit l’espèce comme un « pool génique ». Il insiste sur la spéciation allopatrique, qui valorise la créatio nprogressive des espèces et le critère d’interfécondité. il fustige l’essentialisme de la systématique classique Simpson (paléontologue) réinterprète l’évolution du cheval en termes de biologie des populations gradualiste La biologie des populations aura peu d’impact sur les taxonomistes et les paléontologues: - La nouvelle définition de l’espèce ne s’adapte pas aux données paléontologiques. - Le gradualisme de Simpson lui est reproché - La paléontologie cherche à se renouveler avec la cladistique et l’évo-dévo. Hans Hennig : l’analyse cladistique La cladistique est à la fois une méthode et une représentation graphique. A B C D autapomorphie Elle exclut la notion de caractères "ancestraux" et "dérivés". Elle décrit les caractères comme "informatifs " ou non pour la m »thode synapomorphies Elle est orientée cladogramme Elle consiste à détecter les caractères informatifs (: dont chaque état alternatif est présent au moins deux fois) et à regrouper les synapomorphies Le cladogramme se représente sous forme d’un cladogramme ou d’emboitements A B C D Le livre de Hennig est traduit en anglais en 1966 et la cladistique devient immédiatement la norme en matière d’analyse phylogénique, jusque vers 2000 48 Cette conception est compatible avec celle de Darwin 49 Le paradigme de la cladistique: Les poissons n’existent pas. Un paradoxe fondateur : la vache, le dipneuste et le saumon. La saumon et le dipneuste sont tous deux des poissons, mais le dipneuste est plus proche de la vache que du saumon . Désormais les relations phylogéniques sont privilégiées sur les plans d’organisation et autres archétypes. Cladogramme des vertébrés; à gauche : morphologique; à droite : moléculaire. La topologie est affectée par les homoplasies (ressemblances fictives) Principe de parcimonie. On prend l’arbre le plus court, parmi les nombreux arbres de même probabilité. On a souvent objecté que rien ne permet de penser que l’évolution était parcimonieuse. A la même période (1965) Zuckerkandl et Pauling découvrent l’horloge évolutive à partir des premières séquences protéiques (globines des cordés : myoglobine et hémoglobines) Kimura et Ohta en concluent que l’évolution neutre prédomine parmi les séquences macromoléculaires. On va alors remplacer les phylogénies d’espèces par le phylogénies de gènes. Alors que les cladogrammes sont basés sur les nouveautés évolutive, les phylogénies moléculaires sont en général basées sur les distances, et sur des allèles neutres. Il en existe de nombreuses méthodes concurrentes, de même existe-t-il de nombreuses méthodes d’évaluation des distances. A partir des années 2000, le développement des méthodes bayésiennes entraîne qu’on ne peut plus identifier sur quels caractères repose une topologie particulière. Comme les cladogrammes, ces méthodes ne sont pas une représentation "exacte" de l’évolution, mais une interprétation approchée. Il existe de nombreuses méthodes pour évaluer la probabilité qu’une topologie donnée est compatible avec les données. Motoo Kimura 1983 : arbre phylogénique neutre des hémoglobines des vertébrés La Commission internationale de nomenclature zoologique (International Commission on Zoological Nomenclature : ICZN, 1895). Le Code international de nomenclature botanique (International Code of Botanical Nomenclature, ICBN), géré par les congrès internationaux de botanique depuis 1867. Ils reposent sur la nomenclature linnéenne et la hiérarchie des catégories supraspécifiques, qui n’ont cependant pas de rapports avec les arbres évolutifs. Que doit la systématique au darwinisme ? La darwinisme a démontré que la vie avait une histoire unique, et que toutes les espèces étaient reliées par des ancêtres communs . La classification tente d’être compatible avec une figure arborescente, mais n’est pas dichotomique, sauf cas particulier, ou dans des clés taxonomiques, qui ne sont qu’un outil. Le succès de la cladistique fut tel qu’en 1998, un groupe de systématicien lança le projet Phylocode, consistant à changer le nom de catégories supra-spécifiques pour les adapter à la phylogénie vraie. Ce projet a eu peu de succès, car les noms actuels sont difficiles à modifier, et parce qu’il faudrait modifier toute la nomenclature chaque fois qu’une meilleure phylogénie est publiée. Par ailleurs, la cladistique n’étant plus une méthode utilisée, il serait difficile de définir des caractères discriminants, par exemple suite à une analyse numérique recherchant la solution la plus probable. Famille Genre Espèce Nom linéen Nom linéen Nom linéen Nom linéen Nom linéen Nom linéen Nom linéen Nom linéen Contradiction formelle entre la classification hiérarchique et la phylogénie des espèces: Les branchements profonds sont regroupés avec les branchements récents : le Nom linéen Nom linéen Nom linéen Nom linéen Nom linéen Nom linéen Nom linéen Nom linéen Deux autres raisons font que la systématique n’est pas proprement "darwinienne ": 1. Le fait que les phylogénies de gènes ne sont pas des phylogénies d’espèces, mais des phylogénies de traits issus de la variabilité intra-spécifique. Or, au sein des espèces, la transmission des caractères est modifiée par le sexe. A partir de 1942, la biologie évolutive est basée sur les population et l’étude de leur variabilité. Du fait que le processus de spéciation est une étape longue, intermédiaire entre variabilité intra et inter-spécifique, elle est riche de situation où l’on change de paradigmes entre diversité gééntique et diversité des espèces. 2. Le fait qu’on ne sache jamais si la sélection naturelle est intervenue dans l’apparition d’un caractère. Selon les cas, la phylogénétique utilise des caractères neutres, des innovations évolutives, des changements morphologiques dont on ne sait la fonction. Elle est donc "a-biologique" ou "pré-biologique« , car elle potentialise et précède la recherche en biologie. Elle en définit les quanta. La systématique précède l’étude biologique, il lui est donc difficile de prendre en compte le contenu biologique des caractères qu’elle étudie. Elle ignore les débats sur la spéciation, et donc, paradoxalement, les débats sur l’espèce. La notion d’espèce est pour elle une question "tout ou rien". Deux autres raisons font que la systématique n’est pas proprement "darwinienne ": 1. Le fait que les phylogénies de gènes ne sont pas des phylogénies d’espèces. Les phylogénies de gènes se poursuivent à l’intérieur de l’espèce-mère. Elles remontent plus loin que l’événement de spéciation. Taux de discordance dans la trifurcation Homme-Gorille-Chimpanzé (Homme-Chimpanzé) Gorille (Homme-Gorille) Chimpanzé (Chimpanzé-Gorille) Homme 24 14 9 Pdis = 0.49 3 N e = T / 2 ln Pdis 2 Effectif efficace de la population ancestrale commune à l’homme et au chimpanzé : Ne = 162.000 2. Le fait qu’on ne sache jamais si la sélection naturelle est intervenue dans l’apparition d’un caractère. Les quatre livres de Darwin sur les plantes montrent une image toute différente de l’évolution de la morphologie végétale : - La fécondation des orchidées par les insectes Les mouvements des plantes Les plantes insectivores Les formes des fleurs Les différence morphologiques entre les plantes sont associées à des changements fonctionnels. Ils montrent une autre vision de la diversité des plantes : basée sur l’adaptation. DISCUSSION Une question du séminaire est de savoir pourquoi et comment se fonde une science de la diversité En particulier, une théorie est-elle indispensable ? La systématique a eu au cours des temps modernes (depuis le XVIème siècle) de nombreuses motivations : savoir médical, contemplation de la création, étude de l’évolution, inventaire de la biodiversité pour les politiques de conservation. Son contexte de réflexion a été le, fixisme puis le darwinisme. Elle a préservé une autonomie en tant que discipline. Elle a développé des méthodes propres et une approche originale de l’organisme, distincte des autres sciences de la vie. Elle a gardé peu de choses de Linné, et peu de choses de Darwin Elle conserve un rôle efficace en tant que science d’avant la biologie (n’en déplaise à Foucault): elle est le point d’entrée de la diversité naturelle dans la science. Nominaliste par nature, elle n’apprend rien sur la biologie de telle ou telle espèce. Les noms sont arbitraires Jusqu’à un certain point, elle est utile à la biologie évolutive, jusqu’à un certain point, elle entre en conflit avec elle. Il n’y a donc pas une science unique de la diversité en biologie, il y en a au moins deux, qui ne coexistent qu’au prix de principes différents. A la question : faut-il une théorie pour étudier la diversité, la réponse est "oui". Mais cette théorie n’a pas à être juste. Elle peut délibérément "oublier" certains aspects.