La détente. (62-75). Origines, manifestations, conséquences et limites. Après plus d'une décennie de "guerre froide", les conditions changent dans le monde: la guerre est loin mais la menace nucléaire n'a jamais été aussi proche; les blocs sont moins assurés qu'autrefois. Les hommes aussi ont changé qui aspirent davantage à la paix. Les origines de la "Détente" sont donc multiples. Qu'en est-il ? Comment ce nouvel espoir s'est-il manifesté ? A-t-il vraiment garanti la paix ou, au contraire, la "Détente" n'est-elle qu'une pause dans la guerre froide ? I. La "Détente": des origines multiples. 1. "L'équilibre de la Terreur" est le premier élément objectif expliquant cette évolution: c'est la facteur militaire. a. La situation militaire des "deux Grands" tend à s'équilibrer au profit de l'URSS. (bombe A en 49, bombe H en 53, fusées intercontinentales, satellite artificiel Spoutnik en 1957). L'URSS est désormais une puissance nucléaire à part entière. A l'inverse le retard relatif des Etats-Unis s'accroit, notamment dans le domaine des "forces conventionnelles." b. Des stratégies réalistes, plus modérées se mettent en place: à la stratégie des "représailles massives" inspirée du "Roll-back" (1954) succède en 1962 la stratégie de la "riposte graduée" (réponse à l'adversaire au "coup par coup" en passant progressivement si nécessaire de la guerre classique à la guerre nucléaire). c. La crise des fusées à Cuba en 1962 est une alerte grave qui a conduit les deux Grands au repli: Moscou et Washington brandissent la menace nucléaire pour régler la crise. Mais la sagesse l'emporte: Kroutchev retire les fusées contre la garantie américaine de ne plus intervenir à Cuba). 2. Des blocs moins assurés en second lieu: c'est le facteur politique et diplomatique. a. Difficultés à l'ouest: la puissance américaine contestée §: contestée au sein de l'Alliance Atlantique par la France du général de Gaulle. II s'agit d'une contestation "tous azimuts", à la fois militaire (force de dissuasion nucléaire, retrait de l'OTAN en 66), diplomatique (voyage de de Gaulle au Québec où il prononce "Vive le Québec libre", ainsi qu'en Asie. Discours de Phnom Penh en 1966) et économique (remise en cause du dollar comme monnaie internationale). §: contestée chez elle ou à sa porte: Chez elle par le problème noir ("étés brûlants" des années 60; assassinat de M.L. King en 1968) A ses portes par les révolutionnaires latino-américains (Castro et Che Guevara menacent le continent américain de "plusieurs Vietnam" lors de la réunion dite "tricontinentale" à la Havane en 1966). §: contestée militairement au Vietnam: Kennedy et Johnson engagent massivement les troupes américaines dans une guerre coûteuse, impopulaire et sans issue (1965) b. Difficultés à l'est qui s'aggravent sous Brejnev devenu numéro un de l'Union Soviétique en 1964 après la destitution de Kroutchev. §: des difficultés économiques permanentes liées aux rigidités du système, aux disfonctionnements du CAEM, à la concurrence des pays occidentaux. §: Constestation des démocraties populaires: la réconciliation yougoslave n'est qu'apparente; crises polonaises à répétition, revendication par la Tchécoslovaquie d'un "socialisme à visage humain": c'est le Printemps de Prague de 1968. §: Crise idéologique grave avec la Chine. La rupture officielle intervient en 1961 après que l'URSS a dénoncé l'accord militaire secret conclu avec Mao et rappelé ses techniciens. Ce conflit grave porte à la fois sur les conceptions idéologiques (révolution ouvrière et urbaine contre révolution rurale pronée par la Chine), sur la stratégie du communisme (Mao souhaitait pousser le rapport de force jusqu'au bout), sur des litiges frontaliers ou territoriaux (1969: incidents sino-soviétiques en Mandchourie). 3. Le rôle initial des dirigeants politiques n'est pas à exclure: c'est le facteur humain. a. En URSS, Kroutchev qui succède à Staline en 1953 a besoin de la paix pour asseoir son autorité. Il est l'initiateur de la "coexistence pacifique", la dénonciation du Stalinisme... (XXè congrès en 1956). b. Aux Etats-Unis, Eisenhower qui succède à Truman en 1953 est un modéré, partisan de la paix qui mettra fin à la guerre de Corée et au Maccarhysme. II. La Détente: des manifestations souvent spectaculaires. 1. Dans le domaine militaire. a. Désarmement avec les accords SALT I Nixon-Brejnev en 1972 (gel pour cinq ans des armements stratégiques.) b. Dénucléarisation engagée dès 1959 (dénucléarisation de l'espace et des fonds sous-marins) et amplifiée en 1968 par le traité de non-prolifération des armes nucléaires. c. Fin de la guerre du Vietnam et signature des Accords de Paris en janvier 73 (cessez-le-feu, évacuation des troupes américaines...). Le désengagement américain avait commencé dès 1959 en application de la "doctrine Nixon" ("des armes, pas d'hommes") 2. Dans le domaine politique et diplomatique. a. Détente avec l'URSS §: une mesure spectaculaire: le "téléphone rouge" (1963) installé après la crise de Cuba pour permettre un dialogue direct entre les chefs d'état des deux super-puissances. §: Des mesures de plus grande portée: 1970: début de l' "Ostpolitik" à l'initiative du chancelier Brandt. Un "Traité fondamental" en 1972 accepté par l'URSS reconnaît l'existence de deux Allemagne ("Deux états; une nation") admises l'année suivante à l'ONU. La "ligne Oder-Neisse" est enfin validée ! 1975: "Conférence d'Helsinki". (Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe). Souhaitée par l'URSS, elle confirme les frontières issues du "Partage de Yalta" contre la garantie des soviétiques de respecter chez eux les "Droits de l'Homme." (libre circulation des hommes et des idées). b. Détente avec la Chine, admise à l'ONU en 1971. Richard Nixon se rend à Pékin l'année suivante, inaugurant ainsi une nouvelle diplomatie: "la diplomatie Triangulaire", incluant aussi bien Moscou que Pékin. 3. Dans le domaine économique les échanges Est-Ouest sont en place dès 1963 (biens d'équipements contre matières premières énergétiques) sont amplifiés par l'Accord Céréalier de 1972: le Congrès des Etats-Unis autorise ainsi des livraisons minimales à l'URSS. III. Des effets malgrè tout limités: la "Détente" reste suspecte. 1. la méfiance domine et empèche un dialogue véritable de s'installer. a. Sur le plan militaire, la course aux armements n'a pas cessé sauf dans le domaine stratégique où elle est mieux contrôlée. En 1977, le Congrès américain refusera de ratifier les accords SALT II. b. Sur le plan politique et diplomatique c'est la mauvaise foi soviétique qui l'emporte: la clause relative au respect des Droits de l'Homme annexée aux accords d'Helsinki ne sera pas respectée par Moscou (dissidents emprisonnés...). Brejnev réaffirme la nécessité du combat idéologique: En 1968 il définit la "doctrine de la souveraineté limitée" à l'adresse des démocraties populaires; elle servira de prétexte à l'écrasement du "Printemps de Prague" en août 1968 (A.Dubcek est arrêté, une "normalisation" est imposée.) c. Sur le plan économique les échanges sont faussés par la politique du "Linkage" qui conditionne l'ouverture économique à la bonne volonté de Moscou en matière de Droits de l'Homme. Par ailleurs les transferts de technologie sont exclus des accords. 2. Les conflits périphériques entretiennent la tension entre les "deux Grands" a. La guerre du Vietnam fut un facteur constant de tensions jusqu'en 1973 (intervention directe et massive des Etats-Unis, fourniture d'armes soviétiques au Nord-Vietnam...). Les Accords de Paris n'ont pas empêché la victoire totale des communistes qui s'imposent au Cambodge et à l'ensemble du Vietnam en 1975 (Saïgon devient Ho Chi Minh-ville). b. Le conflit israelo-arabe est en toile de fond et réactive constamment la guerre idéologique. §: 1967: "Guerre des six jours" opposant l'état d'Israël, allié aux américains, aux pays arabes soutenus par Moscou: le problème des "territoires occupés" et le refus d'Israël d'appliquer la résolution 242 de l'ONU constituent le socle d'une nouvelle guerre froide. §: 1973: "Guerre du Kippour" dans laquelle les "deux Grands" s'impliquent directement (Moscou fait savoir qu'il interviendra pour soutenir son allié égyptien. Washington met en alerte ses forces nucléaires...). c. Par ailleurs la guerilla communiste en Amérique latine, soutenue par l'URSS, pèse lourdement sur les relations Est-Ouest: la crise des fusées à Cuba en est l'illustration. Conclusion. Ainsi la "Détente" n'est qu'un espoir de paix constamment menacé par la surenchère idéologique ou les conflits régionaux imprévisibles. Rien d'étonnant alors si la fin des années 70 marque le retour des tensions, l'avènement de la "guerre fraiche", avatar d'une "guerre froide" qui n'avait jamais totalement disparu des esprits. Il reste que la "Détente" s'offre comme un moment aux conséquences incalculables: il ouvre malgrè eux les pays communistes à l'économie de marché; il accélère la décolonisation et l'émancipation politique du Tiers-Monde (Bandoeng date de 1955, le mouvement des "non-alignés" naît en 1961 à Belgrade...). En ce sens, la "coexistence pacifique" est l'annonce d'un "monde nouveau." La beautÈ s'incarne en elle... Qu'en sera-t-il?