98 pratiques Pourquoi l’homéopathie en odontostomatologie ? Christine Roess Docteur en chirurgie dentaire [email protected] Résumé Mots-clés Globalité Homéopathie Individualité Médecine buccodentaire Pathologies buccodentaires Prévention Key-words Globality Homeopathy Pourquoi faire de l’homéopathie en odontostomatologie et qu’elle est donc cette espèce curieuse qu’un chirurgien-dentiste homéopathe ? L’odontologie n’est pas seulement réparatrice de caries dentaires et de maladies parodontales, elle est aussi médicale. Le malade est un tout, la dent n’est pas un organe isolé du reste du corps. Demain, l’odontologie sera définitivement médicale ou ne sera plus qu’une activité de techniciens où l’apprentissage du geste primera sur sa compréhension profonde. Why homeopathy in dentistry ? Abstract Why use homeopathy in dentistry and what exactly is this strange species, the homeopathic dental surgeon? Odontology is not only a question of repairing dental caries and periodontal diseases, it is also a medical field. The patient is a whole, the tooth is not an organ isolated from the rest of the body. Tomorrow, odontology must be definitively medical or will be no more than an activity carried out by technicians where the learning of the procedure will take precedence over its understanding. Individuality Oral and dental medicine Oral and dental diseases Prevention Conflit d’intérêts L’auteur n’a pas déclaré de conflit d’intérêts. A u-delà des images stéréotypées de boucheurs de trous, d’arracheurs de dents, de poseurs de plombages et de dentiers, que viennent faire de minuscules granules au milieu de tout ceci ? Notre profession de chirurgien-dentiste est formidable parce que c’est une profession créative. Jusqu’en décembre 2009, on parlait d’art dentaire, dorénavant on parle de médecine bucco-dentaire, ce qui donne une autre dimension à notre exercice. L’odontologie n’est pas seulement réparatrice de caries dentaires et de maladies parodontales, elle est aussi médicale. Les pathologies buccodentaires, qu’elles soient aiguës, subaiguës ou chroniques, sont le reflet de cette « énergie vitale désaccordée », qu’Hahnemann a décrit dans l’Organon en 1810. Le malade est un tout, la dent n’est pas un organe isolé du restant du corps. Notre travail est tout sauf standardisé : chaque bouche est unique, chaque cas est unique, chaque patient est unique. La technique, sans la prise en considération de la dimension humaine du patient, ne sert à rien. Nos patients nous demandent de plus en plus une action préventive, qui fasse partie intégrante de notre activité clinique, qui ne se limite pas à une prévention primaire cherchant à prévenir les affections bucco-dentaires, mais qui évite les récidives et agit sur la prédisposition individuelle © Elsevier Masson SAS, Paris 2010 à certaines pathologies. Cela signifie une prise en charge dans le temps pour un résultat durable plutôt que des actes ponctuels qui ne peuvent aboutir qu’à la récidive ou à l’échec. Les domaines d’application de l’homéopathie en dentisterie sont multiples : traumatismes et lésions bucco-dentaires ; prévention carieuse chez l’enfant, l’adulte et les personnes âgées ; traitement des maladies parodontales ; orthodontie, etc. Notre but est de permettre à nos patients de conserver leurs dents le plus longtemps possible, car leur perte entraîne des problèmes de phonation, mastication, digestion, mais aussi des troubles posturaux et ostéopathiques, sans omettre des problèmes infectieux qui, à distance, peuvent être générateurs de pathologies cardiaques, oculaires entre autres. Cas cliniques Voici trois cas cliniques sur des patientes d’âges différents. Joséphine Joséphine est née en juillet 1993. Je la vois pour la première fois à l’âge de 4 ans, c’est une enfant rêveuse, timide, très gentille. Elle présente une proalvéolie supérieure (figures 1 et 2) due à la tétine et une respiration buccale. L La Revue d’Homéopathie L Volume 1 L n° 3 L Septembre 2010 99 © DR © DR pratiques Figure 1. Proavéolie, vue de profil. Figure 2 . Supraclusie et proalvéolie. En mai 2001 (elle a 8 ans), elle fait une chute en VTT, tombe sur la tête et se luxe légèrement les deux incisives centrales supérieures mais surtout casse les 2/3 coronaire de la première incisive centrale supérieure droite (la 11). Heureusement on évite la dévitalisation. En avril 2003, elle tombe sur le macadam à l’école et recasse l’angle de la 11. Devant ses traumatismes à répétition, je pose quelques questions : Enfant rêveuse, angoissée, elle a peur d’attraper une maladie, peur des histoires tristes et des choses horribles, des chiens, elle parle et bouge beaucoup la nuit (se retrouve à l’envers dans son lit). Elle pleure facilement, est sensible aux mots, adore les câlins, la consolation l’améliore. Elle présente un manque de confiance en elle, n’a pas de patience, commence quelque chose puis passe à autre chose, il faut être avec elle pour commencer un travail. Elle est désordonnée dans son travail, son cartable est une vraie poubelle (dixit sa maman). Elle adore les bonbons (ses poches en sont pleines et elle a des polycaries depuis 2003), elle a horreur des épinards, des moules et du lait. Elle a souvent soif d’eau très froide et boit beaucoup. Elle a toujours trop chaud, même en hiver, et ne transpire pas. Prescription Arnica 9 CH (2 doses à 48 heures d’intervalle pour la chute), puis 8 jours après Phosphorus 9 CH, une dose. Le 7 novembre 2003, elle croque une frite et casse de nouveau sa dent 11 puis, trois semaines plus tard, la casse de nouveau en se cognant avec la brosse à dent ! À la suite de nouveaux traumatismes sur cette dent et aussi parce que ses canines supérieures sont en train de sortir avec des incisives latérales en vestibuloversion, je reprends l’interrogatoire. Prescription Phosphorus D 15, 2 doses à 15 jours d’intervalle. Conjointement, je lui fais porter un écran buccal, pour traiter sa proalvéolie. L La Revue d’Homéopathie L Volume 1 L n° 3 L Septembre 2010 tConsultation août 2004 Elle porte bien l’écran buccal, la proalvéolie supérieure s’améliore, mais il y a encore des signes de Phosphorus. Je lui prescris donc deux doses de Phosphorus D 30 à un mois d’intervalle. tConsultation juin 2005 Les malpositions sont en régression. Joséphine n’est plus dans la lune, est beaucoup plus ordonnée et ne mange pratiquement plus de bonbons. Depuis 2004, elle n’a plus recassé son incisive. Pas de prescription. tConsultation décembre 2005 Je l’ai envoyée chez l’orthodontiste pour démarrer un traitement, car il faut faire de l’expansion maxillaire pour avoir de la place pour les dents postérieures, ce que l’on obtiendra en deux ans. tÉpilogue J’ai revu Joséphine en décembre 2009, elle avait 16 ans, toutes ses dents et un sourire magnifique. Catherine En octobre 2000, je réalise chez Catherine, deux inlays en or sur la première et la seconde prémolaire supérieure droite, les dents sont vita- 100 pratiques Pourquoi l’homéopathie en odontostomatologie ? les. Pendant toute la durée des travaux, tout se passe bien, mais 15 jours après le scellement, la patiente revient, car la première prémolaire supérieure droite (14) est sensible au froid et la dent est mobile. Je fais un contrôle radiographique, vérifie le réglage occlusal, il n’y a rien de particulier. Prescription Je donne Ruta 7 CH et Arnica 5 CH. tAu bout de 15 jours La patiente revient, il n’y a pas d’amélioration, la dent est de plus en plus mobile, ce qui devient très inquiétant. La sensibilité au froid est telle que Catherine ne boit que des choses tempérées et l’air froid extérieur est une vraie torture. Elle ne mord plus sur sa dent. Je lui demande si, depuis que j’ai scellé ces inlays, elle a eu des soucis personnels ou professionnels. Catherine : Je travaille beaucoup en ce moment, j’ai de gros dossiers à terminer (elle s’occupe de formation continue en entreprise), je suis fatiguée, j’ai envie qu’on me laisse tranquille et qu’on ne me parle pas, mais bon ça va quand même ! Moi : Cela fait longtemps que vous travaillez à ce poste ? Catherine : Oui, plus de 10 ans, j’ai progressivement gravi les échelons, pour moi c’était important. Moi : Pourquoi ? Catherine : Mon père m’a toujours cru incapable depuis toute petite, j’ai voulu lui prouver le contraire. Mais ça n’a pas été toujours facile, car j’ai eu dans ma vie beaucoup de soucis (décès brutal d’une sœur ; son fils a failli mourir à l’âge de 3 ans ; son mari a eu plusieurs fois de graves accidents). Moi : Comment êtes-vous dans votre travail ? Catherine : Je suis assez dirigiste et exigeante, il faut souvent que je reprenne le travail des autres car cela ne me convient pas, je n’aime pas que l’on me donne des conseils. Moi : À part cette sensibilité au froid, êtes-vous sensible à autre chose ? Catherine réfléchit et me répond : Ah oui, si je me cogne, je fais des bleus facilement. Répertorisation et prescription La répertorisation donne Arsenicum album, Nux vomica et Arnica. Je prescris Arnica 1 000 K, une dose, sur le contexte d’une personne très travailleuse qui a subi des coups durs (au sens propre et figuré), qui n’accepte pas les conseils et aussi parce qu’elle dit que cela va, même quand elle souffre. tÉpilogue Deux jours après la prise, elle téléphone au cabinet pour dire qu’elle n’a plus mal. Je la revois pour un contrôle 8 jours après, il n’y a ni mobilité, ni douleur. Quelques années plus tard, je lui ai redonné Arnica 30 CH, car elle avait de nouveau une mobilité dentaire de la même dent avec des grincements de dent nocturnes dans un contexte de surmenage professionnel. Au bout de quelques jours, tout est rentré dans l’ordre. Lors d’un contrôle, en septembre 2007, j’ai refait une radio de ses dents, rien n’a bougé depuis octobre 2000. Anne En janvier 2005, Anne, 20 ans, consulte en urgence pour « un problème infectieux sur les incisives centrales supérieures », dit-elle. Elle a dû aller en urgence, le jour de Noël, chez un confrère, ces deux incisives centrales supérieures lui faisaient très mal et bougeaient énormément. Il lui a fait un collage de solidarisation, et l’a mise sous antibiotiques. Il lui dit qu’il faudra peut-être dévitaliser les dents si cela ne va pas mieux et parle même d’extraction ! Je soigne Anne depuis 2001. Elle a eu quelques petits soins à faire sur des molaires, le restant des dents étant impeccable. Aussi, je m’étonne d’un tel tableau clinique (figures 3 et 4). Elle arrive paniquée, parlant sans cesse, et présente un très gros problème parodontal sur le bloc incisif supérieur et inférieur (poches parodontales de 7 mm) ainsi que sur les prémolaires supérieures, mais à un degré moindre. La perte osseuse est alarmante ainsi que la mobilité dentaire, mais il n’y a aucun signe de suppuration, seulement une énorme gingivite avec une hypersensibilité des dents, telle qu’elle ne veut pas que je la touche ou seulement sous anesthésie. Mais là, aussi, avec une grande crainte d’avoir mal, elle me demande « est-ce que la piqûre va me faire mal, est-ce que j’aurai mal après… ». Que s’est-il donc passé pour qu’Anne en arrive à cette situation ? Elle fréquentait un garçon depuis deux ans et ils devaient se marier en 2004, mais le jeune homme L La Revue d’Homéopathie L Volume 1 L n° 3 L Septembre 2010 101 © DR change trois fois la date. Finalement, Anne décide de rompre fin novembre 2004, car leur relation s’envenime. Elle me dit : « Je n’ai jamais voulu accepter que cela ne marche pas, je suis têtue. J’ai mal digéré que cela ne se passe pas comme je le voulais, j’ai honte, j’ai peur qu’il revienne et qu’il me fasse du mal. » Elle est très fatiguée, elle dort beaucoup, elle a toujours faim, mange beaucoup sans grossir, elle préfère le salé et fume plus d’un paquet de cigarettes par jour ! Elle me dit qu’elle a fait un travail sur elle et qu’elle est consciente que sa déception amoureuse peut être en cause. La situation est grave, il faut agir vite. Je fais un détartrage, dépose le collage défaillant, la motive sur l’hygiène buccodentaire et insiste aussi sur l’importance de l’arrêt du tabac ou du moins la réduction du nombre de cigarettes, car pour elle c’est un challenge impossible, vu le contexte actuel. Prescription – Staphysagria 200 K, 1 dose ; – Natrum muriaticum 200 K, 8 jours après ; – Natrum muriaticum 1 000 K, 8 jours plus tard. © DR pratiques tConsultation, début mars 2005 Amélioration spectaculaire au niveau des incisives supérieures, plus de gingivite, pratiquement plus de mobilité, il persiste des poches parodontales de 3 mm sur ces dents. Au niveau inférieur, l’amélioration est moins bonne, bien que la mobilité soit considérablement moindre. Il n’y a plus aucun problème sur les prémolaires supérieures. Anne va mieux, elle fréquente depuis peu un ancien ami d’enfance qui est venu travailler à la ferme et elle me parle de son désir d’avoir des enfants avec beaucoup d’insistance, « si je perds mes dents, je ne pourrai pas avoir d’enfants ». Elle n’a pas réussi à diminuer le nombre de cigarettes ! Répertorisation et prescription Natrum muriaticum 1 000 K, 1 dose. tNouvelle consultation, début mai 2005 Anne va beaucoup mieux, il n’y a plus de mobilité des dents inférieures, il reste encore une légère mobilité des incisives supérieures à la pression. Elle est toujours en manque d’affection (elle ne fréquente plus l’employé de la ferme), elle recherche moins le salé, elle n’est plus autant fatiguée. Elle a repris ses études d’infirmière en Allemagne et se plaint d’avoir mal à la tête de temps en temps après l’école. L La Revue d’Homéopathie L Volume 1 L n° 3 L Septembre 2010 Prescription – Natrum muriaticum 200 K, 2 doses, dont une dose à prendre dans un mois si les problèmes de mobilité persistent. – Calcarea phosphorica D 6 en trituration, 1 cuillèremesure 3 fois par jour pendant 3 mois. Figures 3 et 4. Dans le cas clinique d’Anne, nous sommes en présence d’une jeune fille de 20 ans, mais les radios évoquent un état dentaire d’une personne de 40 ans et plus ! tÉpilogue Je ne revois plus Anne, car elle vit maintenant en Allemagne, mais l’année suivante, j’apprends par sa maman qu’elle est enceinte et qu’elle n’a plus eu de problème dentaire. À ce jour, elle a toujours toutes ces dents, qui n’ont été ni dévitalisées ni extraites, et c’est tant mieux ! Conclusion Par nos actes de prévention et de soins, nous redonnons au patient non seulement une qualité de vie, mais surtout une estime de soi. Il se sent écouté, considéré et responsabilisé. Nous ne sommes plus de simples boucheurs de trous ! Au-delà de nos interventions dentaires, nous poussons nos investigations plus loin afin d’aider notre malade à retrouver, entre autres, sa santé buccodentaire et éviter les récidives. Par cette vision globale, nous nous rapprochons de la définition de l’Organisation mondiale de la santé, établie depuis 1946 : « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. » Demain, l’odontologie sera définitivement médicale ou ne sera plus qu’une activité de techniciens où l’apprentissage du geste prime sur sa compréhension profonde. À nous de savoir ce que nous voulons de mieux pour nos patients, mais aussi pour nous, pour notre activité professionnelle et notre démarche personnelle. Source Communication présentée lors du Congrès national de la Fédération nationale des sociétés médicales homéopathiques de France, au Parlement européen de Strasbourg, en mai 2010.