Biofilms : implication française dans la production d’articles scientifiques et de brevets Thématique variée et enjeux industriels Les microorganismes sont omniprésents dans l’environnement et il est maintenant largement admis, qu’en conditions naturelles, ils se développent majoritairement au niveau des interfaces sous la forme de communautés multicellulaires appelées biofilms. Il existe de nombreuses définitions pour le terme biofilm. Dans cette préface, le biofilm sera défini comme un ensemble de microorganismes, enchâssés dans une matrice de polymères organiques, colonisant les interfaces sous la forme de films ou d’agrégats. Ce mode de développement a des conséquences importantes sur la physiologie et la survie de ces microorganismes. Il a été montré que les microorganismes se développant sous la forme de biofilm (forme sessile) ne présentent pas le même comportement que les microorganismes libres en solution (forme planctonique). Cela entraine des conséquences sur leur métabolisme, leur résistance aux biocides et, pour certains, leur virulence. Les microorganismes constituant habituellement les biofilms peuvent également coopérer pour améliorer leur survie (utilisation des produits de dégradation d’autres espèces, quorum sensing1, transfert de gènes de résistance…). Il est possible de retrouver des biofilms dans quasiment tous les écosystèmes présents à la surface de la Terre et dans tous les secteurs d’activité développés par l’homme (santé, environnement, procédés industriels...). Ainsi, la figure 1 présente de façon schématique plusieurs exemples de l’implication des biofilms dans la société. Cette représentation montre que la recherche et le développement (R&D) sur les biofilms touchent de nombreux domaines d’activité et que les biofilms sont importants aussi bien par leurs effets négatifs (contamination d’implants, biocorrosion, colmatage…) que pour leurs effets positifs (dépollution, production de molécules…). Il est bien connu que les biofilms induisent des problèmes de santé publique et sont responsables de milliards d’euros de pertes dans l’industrie2. Néanmoins, ils sont également utilisés par l’homme dans de nombreux processus comme ceux permettant de dégrader les polluants. 1 Le quorum sensing est le nom donné à un moyen de communication entre les bactéries qui leur permet d’adapter l'expression de leurs gènes en fonction de la densité bactérienne. 2 La biocorrosion, le colmatage, la contamination des aliments et les infections sont parmi les conséquences négatives les plus couteuses de la présence de biofilms. F IGURE 1 : C LASSIFICATION NON - EXHAUSTIVE DE L’ IMPLICATION DES BIOFILMS EN FONCTION DES DOMAINES D ’ACTIVITES . Cette représentation en fonction des domaines d’activités ne met pas en évidence les enjeux communs à cette thématique. Or, les différents sujets présentés dans la figure 1 partagent des concepts communs et peuvent bénéficier d’un échange d’expériences (par exemple, la prévention de la colonisation par greffage peut s’appliquer à plusieurs domaines d’activités). La figure 2 illustre une autre organisation de la thématique biofilm et met en évidence les enjeux communs à cette thématique. F IGURE 2 : R EPRESENTATION SCHEMATIQUE DES SUJETS DE R&D ET DES ENJEUX LIES A LA THEMATIQUE BIOFILM . Les activités de recherche fondamentale sont essentielles à la compréhension des phénomènes biologiques et physico-chimiques entourant le développement des biofilms. Dans un second temps, les connaissances et les méthodes acquises doivent permettre de répondre à quatre enjeux essentiels de la gestion des biofilms : Utiliser, Prévenir, Eliminer, Mesurer. Recherche et Innovation dans un contexte mondial et européen Malgré l’importance économique des biofilms, les premiers travaux de recherche ont vraiment débuté vers la fin des années 80. Comme le montre la figure 3, le nombre de publications internationales contenant le mot « biofilm » continue d’augmenter de manière importante (> + 12 % par an) avec 3246 publications en 20103. 3000 2500 2000 1500 1000 500 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 0 1988 1989 1990 Nombre de publication scientifique annuelles 3500 F IGURE 3 : N OMBRE ANNUEL DE PUBLICATION SCIENTIFIQUE SUR LA THEMATIQUE BIOFILM ENTRE 1988 ET 2010 ( ARTICLES TOTAUX , ARTICLES D ’ORIGINE FRANÇAISE ). La figure 4 représente la proportion mondiale d’articles publiés annuellement par les trois pays, ou association de pays, les plus actifs dans la thématique. En considérant le nombre d’article scientifiques publiés sur la thématique biofilm, l’Europe4 est le lieu de recherche le plus actif entre 2000 et 2010 (39,9 %), suivie par les États-Unis (28,2 %) et la Chine (5,9 %). Proportion par rapport aux articles mondiaux (en %) 45 40 35 30 25 20 15 10 5 0 Europe Etats-Unis Chine Figure 4 : Origine des articles publiés entre 2000 et 2010 sur les biofilms. 3 Ont été considérées comme appartenant à la thématique biofilm les publications recensées sur la base « ScienceDirect » et intégrant les mots « biofilm » ou « biofilms » dans le titre, le résumé ou les mots clés. 4 Ont été pris en compte les pays membres de l’Union Européenne en 2000 : Allemagne, France, Italie, Pays-Bas, Belgique, Luxembourg, Royaume-Uni, Danemark, Irlande, Grèce, Espagne, Portugal, Suède, Autriche, Finlande. En 2010, avec 1231 articles, l’Europe est la source de 37,9% des articles scientifiques, les États-Unis et la Chine viennent juste derrière avec environ 27,5 % et 9,3 % respectivement. Les autres pays représentent, individuellement, moins de 5 % des publications mondiales (résultats non montrés). Proportion par rapport au total européen (en %) Une analyse plus détaillée des contributeurs européens révèle que, avec 12,7 % des publications européenne, la France fait partie des pays les plus impliqués, juste derrière le Royaume-Uni (20,7%) et l’Allemagne (19,5 %) (Figure 5). 25 20 15 10 5 0 Figure 5 : Origine des articles européens sur les biofilms publiés entre 2000 et 2010 La France possède donc un rôle non négligeable dans la recherche européenne sur les biofilms. Cependant, le nombre de publications générées par des établissements français est stabilisé depuis 2007 à environ 150 publications par an soit environ 4,6 % (en 2010) des publications internationales (figure 3). L’activité de recherche française sur la thématique biofilm a connu pendant quelques années un certain ralentissement. Les structures les plus actives au niveau de la recherche sur les biofilms, entre les années 2000 et 2010, sont présentées dans le tableau 1. TABLEAU 1 : PUBLICATIONS EN FONCTION DE L’ORGANISME ENTRE 2000 ET 2010 Monde Organismes France Publications Organismes Publications Université du Montana (États-Unis) 290 CNRS 93 Université technique du Danemark (Danemark) 241 INRA 73 Université de São Paulo (Brésil) 204 Institut Pasteur, Paris 58 Université de Minho (Portugal) 137 Université Claude Bernard Lyon 1 47 Centre hospitalier universitaire de Groningue (Pays-Bas) 130 Cemagref 42 Université technique de Munich (Allemagne) 126 Université Pierre et Marie Curie 35 Université de Gand (Belgique) 125 Université de Rouen 34 Université de Washington (États-Unis) 120 Inserm 33 Au sein de la classification mondiale, la première position est détenue par l’Université du Montana, aux Etats-Unis. Cette université est le siège du « Center for Biofilm Engineering ». Ce centre, qui a bénéficié en 1990 d’une aide de 7,5 millions de dollars, a réussi à devenir le principal leader dans la thématique biofilm en rassemblant autour de l’Université du Montana de nombreux industriels tels que BASF, Dow, Colgate-Palmolive, Kane biotech, Novozyme, Steris5... Parmi les huit premiers établissements en nombre de publications, cinq appartiennent à des pays de l’Union Européenne ce qui confirme la place importante de l’Europe dans la recherche sur les biofilms. Le premier établissement français est le CNRS, à 5 Ces informations sont disponibles sur le site du CBE : http://www.biofilm.montana.edu/ la 32ième place mondiale, avec 93 publications6 entre 2000 et 2010. L’absence d’établissement français dans les premières structures publiant sur les biofilms pourrait être due à l’absence en France d’une grande structure regroupant la majorité des recherches sur les biofilms comme cela est le cas aux Etats-Unis où dans d’autres pays européens. Un nombre important d’articles scientifiques publiés est synonyme d’une génération importante de nouvelles connaissances. Or, ces nouvelles connaissances, si elles sont utilisées pour développer de nouveaux produits ou services répondants à des enjeux sociétaux, devraient permettre la génération d’innovations et souvent le dépôt de brevets. Ainsi, dans cette préface, les brevets sont considérés comme un signal d’innovation. En effet, ils donnent le droit à leurs déposants de faire respecter un monopole sur l’invention décrite. Grâce à cela, les déposants peuvent développer une nouvelle technologie ou un nouveau produit en sachant qu’ils pourront limiter la concurrence et amortir les frais engagés en R&D. Les dépôts de brevet, comme les publications, continuent à augmenter avec, au niveau mondial, 380 brevets publiés en 20107 dont, depuis ces quatre dernières années, environ 2,7 % ont été déposés par des ressortissants ou des organismes français (Figure 6). 400 Nombre de brevet publiés annuellement 350 300 250 200 150 100 50 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 0 F IGURE 6 : N OMBRE DE BREVET PUBLIES ANNUELLEMENT SUR LA THEMATIQUE BIOFILM ENTRE 1988 ET 2010 ( BREVETS TOTAUX , BREVETS D ’ORIGINE FRANÇAISE ). 6 il est possible que le nombre de publication provenant du CNRS soit sous-estimé. La recherche a été faite sur le nom de la structure. Si certains auteurs notent UMR et non UMR CNRS, leurs publications ne seront pas prises en compte. 7 A été considéré comme appartenant à la thématique biofilm les brevets intégrant le mot « biofilm » ou « biofilms »dans le titre ou le résumé (recherche réalisé à partir d’une base regroupant les brevets de plus de 90 offices). Proportion par rapport aux brevets mondiaux publiés de 2000 à 2010 35 Une analyse plus détaillé de la nationalité des déposants de brevets sur les biofilms montre que la première place est détenue par les Etats-Unis avec 30,2 % des brevets publiés entre 2000 et 2010 (Figure 7). L’Europe est le deuxième lieu de dépôt de brevet avec 21,6 %, suivi par la Chine (7,1 %). 30 25 20 15 10 5 0 Europe Etats-Unis Chine Figure 7 : Origine des brevets publiés de 2000 à 2010 sur la thématique biofilm. Ainsi, alors qu’au niveau des publications, l’Europe est la mieux placée sur l’échiquier mondial (39,9 % des publications), la situation est différente au niveau des brevets (21,6%) De la même façon que pour les publications, une analyse de la contribution individuelle des états membres de l’Europe a été réalisée (Figure 8). La première place est détenue par l’Allemagne avec 33,3 % des brevets d’origine européenne déposés par des structures allemandes. Elle est suivie par le Royaume-Uni à 16,1 % et la France à 13,4 %. Proportion par rapport au total des brevet européens (en %) où elle est placée en deuxième position derrière les États-Unis (publications : 28,2 %; brevets : 30,2 %). 35 30 25 20 15 10 5 0 Figure 8 : Origine des brevets publiés de 2000 à 2010 sur la thématique biofilm. La France, avec 12,7 % des publications européenne et 13,4 % des brevets publiés, possède une place importante dans la génération de connaissances et d’innovations dans la thématique des biofilms. Cependant, au niveau mondial sur ces 4 dernières années, la France est à l’origine de 5,4 % des publications et 2,7 % des brevets. A titre de comparaison, l’Allemagne est à 6,5 % et 7 % respectivement tandis que les Etats-Unis sont à 28,3 % et 30,2 %. Ainsi la France, bien qu’étant dans la moyenne européenne, transforme moins fréquemment les découvertes en brevets par rapport aux Etats-Unis ou à l’Allemagne. Favoriser les interactions public/privé La plus faible valorisation de la recherche européenne en général et française en particulier peut être le signe d’un besoin de renforcement de la coopération entre l’industrie et la recherche publique. Pour l’heure, en France, plusieurs actions ont été menées afin de rassembler les chercheurs associés à la thématique « biofilms » (Tableau 2). Parmi celles-ci, les plus notables ont été engagées par le PNIR-Biofilm8 (dissous fin 2008) et le Réseau National Biofilm9. TABLEAU 2 : P RINCIPAUX COLLOQUES FRANÇAIS DE 2006 A 2010 SUR LA THEMATIQUE BIOFILM . Les biofilms dans l’Environnement : procédés industriels et risques sanitaires Biofilms : Approches expérimentales et moléculaires Journée CNRS Biofilms- Industrie Biofilms & Santé La maîtrise des biofilms en agroalimentaire BRGM / RNB RNB Orléans, 14 et 15 Juin 2006 Dourdan, 24 et 25 juin 2008 ENSCP-Chimie Paris, ParisTech / PNIR 26 mars 2009 ECOMICTH / RNB INRA 8 Pôle de Recherche National à Implantation Régionale (PNIR) "Biofilms" du CNRS 9 https://colloque2.inra.fr/reseau_national_biofilm Poitiers, 11 et 12 janvier 2010 Boulogne sur mer, 16 novembre 2010 Les colloques organisés par ces structures ont rassemblé en grande majorité des acteurs académiques. Ainsi, moins de 10 % des participants des cinq derniers colloques sur la thématique biofilm étaient issus d’entreprises privées (analyse non montrée). La France a donc besoin d’évènements visant à inciter les acteurs académiques et les acteurs privés à partager et éventuellement à s’associer pour relever les défis de la recherche sur les biofilms. Une vocation majeure de l’association Adebiotech est d’intensifier le dialogue entre le monde industriel et la recherche académique française. Cette ambition, Adebiotech la met cette année à disposition des acteurs de la recherche sur les biofilms comme elle l’a fait pour les algues en 2010 à travers le colloque « Algues : filières du futur ! ». Ce colloque a réuni plus de 250 participants (dont 45% du secteur privé) et a abouti à la rédaction d’un document collaboratif contenant, entre autres, des réflexions sur la structuration de la filière algue et le soutien à l’innovation. En quelques pages a été exposé le contexte, en termes de publications scientifiques et de brevets, dans lequel évoluent les acteurs de la recherche française sur les biofilms. Nous souhaitons faire de ce colloque, réalisé en partenariat avec le RNB, la première étape d’une série d’actions visant à favoriser les interactions entre les industriels et les chercheurs du public. Cette journée reposera sur la présentation par les industriels des principaux défis auxquels ils font face, des innovations qu’ils mettent en place et des besoins auxquels pourraient répondre les recherches en cours dans les centres de R&D publics. Elle se veut être un moyen efficace pour renforcer le canevas des acteurs publics et privés impliqués dans la R&D française sur les biofilms et favoriser, sur le long terme, le montage de partenariats privé/public sur des projets de recherche innovants. Nous comptons sur vous pour faire vivre ce colloque par vos échanges et pour partager avec nous sur les besoins de la recherche française sur les biofilms. Nicolas Girardin Dominique Morin