Séance 4 : La condition du poète Supports : « Bénédiction », « L’Albatros », « Correspondances » + lecture analytique « Elévation » Les quatre premiers poèmes ont pour principal thème la condition du poète. L’auteur se définit et appuie son projet. Dans « Bénédiction », il pose l’idée que la souffrance nourrie sa poésie. L’auteur joue sur la connotation religieuse pour expliquer que sa tristesse, son malheur (notamment durant son enfance) est une « bénédiction ». Il est rejeté du monde des hommes et « sa femme » (comprenez encore la Beauté, l’Idéal) le méprise, mais le voilà transformé : son regard voit au-delà, l’invisible des choses de l’univers et il devient la « lumière » qui transforme la réalité ; la souffrance (une forme du mal, rappelons-le) devient de l’or. « L’Albatros » est une continuité en ce sens : méprisé par les hommes, l’albatros est une métaphore du poète, évidemment. Lorsqu’il chute, lorsqu’il est au sein de la société, il perd toute sa beauté ; mais il retrouve toute sa valeur, lorsqu’il vole. « Elévation » va décrire le cheminement de ce « vol », le but est de quitter le monde du bas pour atteindre l’Idéal ; en tous cas le poème exprime ce désir encore inaccessible qui permet de se libérer des contraintes de la réalité. Le moyen va être davantage expliqué dans les « Correspondances » qui sont les sens cachés du monde, dévoilés grâce aux signes que le poète a pu déchiffrer. « Elévation » pose donc l’ascension vers l’Idéal, ou plutôt la volonté du poète de s’élever. Le mouvement est au cœur du texte et la progression est spirituelle (on retrouve encore cette connotation religieuse). On remarque également que la Nature décrite par le poète est un mélange de spleen (la souffrance) et d’Idéal, comme si ces deux notions s’opposaient ou plutôt se rapprochaient : l’auteur n’a pas de vision manichéenne, le monde est construit ainsi. Et s’il tente de se libérer, il le fait grâce aux « correspondances », déjà évoquées avant le quatrième poème, qui reposent sur un mélange des sensations (je ne rentre pas dans le détail, ce sera à vous de la faire plus tard). Projet de lecture/problématique : On peut voir comment l’auteur, à travers une tension entre spleen et idéal, tente de s’élever grâce à la poésie. 1er mouvement : strophes 1 et 2 = le bonheur de l'esprit, dans un ailleurs lointain et idéal 2ème mouvement : strophe 3 = opposition entre le monde d'en bas, lié à la maladie et à l'obscurité, et l'idéal, lumineux et purificateur 3ème mouvement : strophes 4 et 5 = espérance de réconciliation de l'esprit et du monde grâce à la poésie. 1er mouvement : v. 1 à 8 = le bonheur de l'esprit, dans un ailleurs lointain et idéal Titre : « élévation » polysémie « élévation » comme mouvement ascensionnel, mais désigne également le moment de la célébration où le prêtre lève l'hostie. Ce double sens se retrouve tout au long du poème, où l'on peut interpréter le mouvement vers les hauteurs comme un moment d'exaltation mystique 2 premiers quatrains Enjambement, une seule phrase Mime la facilité d'élévation de l'esprit, son « agilité » (v.5) 1ère strophe Césure à l'hémistiche Rythme régulier = comme une ascension régulière, des v.1 et 3 + harmonieuse régularité du v.2 : 4/2/4/2 Étangs, vallées, montagnes, nuages Accumulation, gradation, pluriel Bois, mers, nuages, soleil, Le poème débute sur une accumulation d'éléments terrestres à dépasser, comme autant d'obstacles à franchir (pluriel = insiste sur le nombre important d'obstacles) Gradation : des éléments bas aux éléments hauts, qui annoncent une forme de liberté éthers, sphères étoilées Vallées/ étoilées mers/ éthers Mots à la rime Ascension des éléments terrestres aux éléments célestes : détachement du monde matériel Au-dessus, par-delà Anaphores Accentuent la gradation : « au-dessus » marque un mouvement horizontal (on plane au-dessus de quelque chose), alors que « par-delà » caractérise un mouvement vertical, un dépassement. Comme si l'on quittait le monde sensible pour aller vers un ailleurs physiquement inaccessible. Par-delà les éthers, hyperboles par-delà les confins des sphères étoilées Renforcent l'impression de lieu inaccessible, idéal : par son éloignement d'une part, mais aussi par sa position dans l'espace : où est-il puisqu'il est encore plus loin que les étoiles ? Mon esprit Apostrophe, sujet des Effet d'attente : on trouve enfin la proposition principale avec le verbes sujet, comme si on avait tout lu d'un seul souffle = envol rapide. La mention de l'esprit corrobore l'idée que l'élévation est une élévation spirituelle et non pas physique, corporelle. Tu te meus avec Verbes de agilité / tu sillonnes mouvement, métaphores de la liberté spirituelle Le poète utilise des images connues pour évoquer des émotions inconnues = correspondances concret / abstrait, corps / esprit comme un bon nageur comparaison Idem : le poète utilise une image de ce qu'on connaît pour évoquer le plaisir de l'esprit. se pâme, mâle volupté lexique du plaisir physique, comme métaphore du bonheur spirituel Le bonheur de l'esprit dans ce lieu idéal est comparable au plaisir du corps sur terre. « mâle volupté » s'apparente à un plaisir érotique procuré par l'immensité, comme s'il y avait acte d'amour entre l'esprit et son environnement. Meus, comme, pâme, gaîment, immensité, mâle Allitération en [m] Douceur, murmure Tu te meus, tu sillonnes Présent d'énonciation Le poète semble décrire son esprit, dans une étrange transe où il s'observe lui-même. Implique cependant l'idée qu'il est divisé en deux : si son esprit vole, son corps est-il resté à terre ? Nageur, onde, profonde Lexique de l'eau L'élément aqueux, souvent lié à l'idée de purification, annonce l'idée qui sera développée dans la strophe suivante + absence de pesanteur, légèreté et liberté de mouvements dans cette « immensité » 2ème mouvement : v.9 à 12 = opposition bas / haut ; spleen / idéal ; maladie / purification Envole-toi Injonctif En décalage avec le présent d'énonciation de la 2ème strophe : idée implicite que l'esprit du poète ne s'est pas encore envolé ce qui met en question les deux premières strophes : s'agit-il d'un rêve du poète ? Envole Lexique du vol À relier à « l'Albatros », le poème précédent dans le recueil : le vol comme lieu de l'idéal, de la plénitude. Ces miasmes Démonstratif déictique Le poète semble désigner ce qu'il voit, ce dans quoi il vit. Miasmes morbides La terre est porteuse de maux (les miasmes = émanations censées diffuser des maladies) et porteuse de mort. Miasmes Antithèse à la rime morbides / espaces limpides Le bas, la terre, représente la maladie, le mal, le spleen ; le haut, l'air, représente la purification, l'idéal. Remarquer l'allitération en [m] qui marque ce monde de la matière et du mal. Purifier, supérieur Insistance sur ces deux termes, placés, en plus, au centre du Diérèses poème (10ème vers sur 20) → importance capitale de l'élévation pour se purifier. Au sol, la maladie envahi tout. Supérieur Polysémie Signifie à la fois « plus haut » et « meilleur », donc ce terme unit chez le poète deux idées intrinsèques l'une à l'autre : on ne peut aller vers le meilleur qu'en montant. Bois, liqueur Comparaison De nouveau une image matérielle pour évoquer une impression spirituelle + rappel l'eau de la strophe précédente → idée que l'esprit s'abreuve dans les hauteurs. Divine liqueur métaphore Référence au nectar des dieux, à l'ambroisie, comme si l'esprit accédait au divin dans cet espace idéal. Purifier, pure, claire, limpide Lexique de la pureté La pureté est associée à la clareté, la lumière, ce que confirme au V.12 le « feu ». Bois, air, feu Lexique des 4 éléments Trois des quatre éléments sont liés, en opposition à la terre, élément morbide à fuir. L'eau, le feu et l'air sont associés à la purification. Bois, remplit les espaces Isotopie du remplissage Comme si l'envol permettait au poète d'atteindre la plénitude. Feu clair métaphore Image de l'inspiration ? De la chaleur du réconfort ? Indécidable pour le moment, mais la fin du poème nous montrera qu'il s'agit plutôt de l'inspiration poétique. Liqueur + feu Isotopie de l'alcool Le feu comme l'alcool de feu + la liqueur → l'esprit est comme enivré. Référence au poème « Enivrez-vous » dans les PPP, où l'ivresse évite de sentir « l'horrible fardeau ». Purifier, supérieur, divine, liqueur, qui remplit, limpides Assonance en [i] Son clair, pur 3ème mouvement : v.13 à 20 = réconciliation de de l'esprit et de la matière grâce à la création poétique Les ennuis, les chagrins pluriel Effet de multiplication de ces ennuis et chagrins Ennui connotation Sens pascalien du terme : angoisse existentielle, spleen Sombres chagrins / antithèse feu clair Tout ce qui est lié au bas, à la terre, est sombre ou n'offre aucune visibilité, contrairement aux hauteurs Chargent de leur poids Métaphore + redondance Insistance sur la pesanteur de ces ennuis, idée que les chagrins nous clouent au sol, nous engluent. En totale opposition avec l'envol ou la nage dans l'onde de la 2ème strophe, dénuée de toute pensanteur. Idée de pesanteur qu'on retrouve dans des poèmes évoquant le spleen, par exemple le « Spleen IV » : « Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle » Brumeuse + miasmes / limpide antithèse Absence de visibilité, aspect flou qui barre l'horizon ; opposé à la limpidité des espaces du v.12 qui permettait une liberté de mouvements des v.5, 6, 7. Heureux celui qui Aile + s'élancer Reprend une formule biblique (les Béatitudes, Matthieu, 5, 312 : « Heureux ceux qui ont une âme de pauvres... ) : formule qui traduit à la fois une certaine mystique et un espoir de bonheur (de béatitude), mais pas grâce à une divinité, plutôt grâce à la poésie. Il y a espoir d'idéal, et c'est ce qui est chanté ici. Métaphore de l'envol A mettre en relation avec tout le lexique de l'envol qui parsème le poème. Celui qui est capable d'un tel envol atteint l'idéal selon le poète. Vigoureuse Champs Adjectif qui marque le dynamisme, la force ; à mettre en lien avec le verbes de mouvement « s'élancer » v.16 ou l' « essor » du v.18 → vie, joie, vitalité. métaphore Lumineux et sereins Celui dont Référence aux espaces limpides de l'idéal. Espace ouvert, représentant la liberté de mouvements, en écho à « l'immensité profonde » du v.7. Mais ici, image concrète et surtout terrestre pour évoquer cet espace spirituel : réconciliation du poète avec la terre, la matière ? Rejoint tout le lexique de la lumière. Comme précédemment avec « le feu clair » qui remplissait les « espaces », ici, lumineux est mis en relation avec « serein », comme si tout élément lumineux était en corrélation avec un sentiment de plénitude. La lumière apparaît alors comme un élément qui comble le poète, en opposition avec l'existence brumeuse du v.14. répétition Les pensers Poursuit la formule « heureux celui qui » → apporte une autre image du poète heureux, pour mieux expliciter sa vision du bonheur. En échos à l'esprit du v.5 → c'est bien d'un point de vue spirituel que le poète cherche l'envol, ou peut-être du point de vue de la création poétique, de l'inspiration. Comme des alouettes Comparaison L'alouette représente la légèreté, la liberté Vers les cieux Lexique religieux En lien avec « divine » + « purifier » + « heureux celui qui » → l'élévation dont il est question ressemble bien à une élévation mystique, à une communion avec le divin, comme si atteindre l'idéal, c'était devenir dieu (idée romantique de la quête d'absolu). Le matin Indicateur temporel Étonnant ici, car marqueur temporel, c'est-à-dire terrestre, comme si les pensées étaient soumises aux mêmes contingences que l'homme... comme si elles partaient travailler le matin pour revenir le soir. Peut-être, encore une fois, réconciliation du poète avec la vie terrestre, les pensées seraient le lien entre le divin et l'humain. Elles font des va-etvient entre l'homme et le monde idéal. Prennent un libre essor Adjectif positif Insiste sur le détachement du poète par rapport au monde. Qui plane Plane sur la vie / chargent de leurs poids l'existence brumeuse Poursuit ici aussi la formule « heureux celui qui » → rythme ternaire amble, majestueux, comme l'envol, le fait de planer. Mouvement horizontal différent des mouvements d'élévation. Ici, mouvement marquant non pas la quête d'idéal mais bien l'idéal trouvé. Liberté de mouvement à mettre en relation avec « tu te meus avec agilité », « tu sillonnes » antithèse Comprend sans effort Le langage des fleurs et des choses muettes Le bonheur consiste en ce mouvement de légèreté, cette sérénité acquise qui permet de ne pas rester englué dans le brouillard du spleen. Réconciliation ici encore avec la terre : l'esprit n'est plus dans un ailleurs lointain, mais il « plane sur la vie » Comme si cet état de grâce permettait une compréhension instinctive et universelle. métaphore La métaphore « langage des fleurs » suggère le langage poétique, le langage capable de traduire l'indicible, celui qui touche les émotions et non pas l'intellect. Les « choses muettes » insistent sur l'idée (symboliste) que seul le poète comprend le sens secret de l'univers, qu'il peut révéler l'indicible (écho au v.8 où l'indicible est pourtant dit dans le poème). Les images de clarté et d'obscurité prennent ainsi tout leur sens : le poète est celui qui voit clair, contrairement au commun des mortels, perdu dans les brumes de l'existence. Le poète comprend les fleurs, un élément terrestre par excellence → harmonie esprit / corps / terre / univers. « Élévation » est donc à comprendre comme alors une élévation spirituelle par la poésie, ce qui permet une relecture du poème : toutes les images de l'idéal baudelairien décriraient un état atteint lors de la création poétique. Ainsi : « tu te meus avec agilité », « comme un bon nageur » suggèrent l'aisance du poète à écrire et le plaisir que cette écriture lui procure. Le « feu clair qui remplit les espaces limpides » représenterait l'inspiration poétique qui remplit les pages blanches... En conclusion : on remarque que la dimension du texte est hautement symbolique. En décrivant les moyens de s’élever, l’auteur pose son projet poétique. Il est un déchiffreur du monde qui nous entoure, il est le seul capable de comprendre les signes : l’Idéal se cache donc au sein du Spleen ; et c’est pour cela que les deux notions sont confondues. De cette manière, l’auteur annonce et anticipe sur les symbolistes (fin du XIX siècle) qui prône que le langage (la poésie) est seul capable de déchiffrer les sens de l’univers. En faisant appel à l’inconscient, à l’imaginaire, à la mélodie, le symbolisme s’oppose au monde matériel, comme le fait Baudelaire dans ce texte. La poésie est une ode à la sensibilité, elle se focalise sur les sensations procurées qui permettent aux auteurs de s’évader du réel (ce qui est une forme de plaisir) et ainsi de déchiffrer le monde ; ces sensations procurées sont ce qu’on appelle les « correspondances ».