Méthodes qualitatives 23.12.2016 Contrôle continu 2 FURRER Julien, BA 3ème année ès Lettres en Histoire, mineure Science politique FURRER Etienne, BA 2ème année en Science Politique Sujet 2 : “Comparez les critères de validité des méthodes post-positivistes (G.T.) et des méthodes interprétatives.” Au fondement de toute recherche scientifique, dont celles en science sociales, doit se trouver généralement des théories, des concepts, des procédures qui constituent une méthodologie. Ces recherches produisent des savoirs dont il est nécessaire de pouvoir évaluer la pertinence, l’intégrité et la validité. Se définit alors des critères de validité au sein des différentes méthodes en sciences sociales qui permettent d’évaluer la pertinence de ces savoirs produits. Ce travail porte sur ces critères de validités (nommés parfois « critères de qualité » depuis les années 90), appliqués ici à deux courants majeurs de méthodes qualitatives ; les méthodes post-positivistes et interprétatives. La méthode post-positiviste se cristallise en sciences sociales dans la grounded theory, théorie partant du principe que les concepts, et toute la connaissance qui peut en découler, émergent des données de terrain ; les théories s’ancrent donc dans les phénomènes sociaux, d’où le nom de “théorie ancrée”. Quant aux méthodes dites “interprétatives”, elles renient l’idée qu’une vérité discrète attendrait d’être découverte par une processus scientifique objectif ou objectivant, mais bien au contraire qu’ils existeraient une multitude de réalités se construisant à travers la subjectivité des agents qui la composent et l’appréhendent. Le but de ce travail consistera à mettre en perspective ces différents modes de validation des recherches. Comment pouvons-nous donc, en tant que lecteur, évaluer la validité d’un travail de sciences sociales fondé sur la théorie ancrée ? Deux utilisateurs notoires de la grounded theory, Strauss et Corbin, soutiennent l’idée que : « … les méthodes qualitatives, comme leurs cousines quantitatives, ne peuvent être systématiquement évaluées que si leurs canons et procédures sont rendues explicites. » (Strauss & Corbin, 1990). Pour ce faire, Strauss et Corbin mettent en avant plusieurs critères de validités nécessaires aux analyses qualitatives dans la perspective post-positiviste. Avant tout, chaque travail basé sur la grounded theory respecte un certain nombre de canons positivistes inhérents à toutes sciences dites « dures » comme : « … la compatibilité entre théorie et observation, la pertinence, la consistance, la précision, la généralisabilité, la reproductibilité et la vérifiabilité. » (Strauss & Corbin, 1990). En respectant ces canons, les travaux de théories ancrées s’approchent donc déjà d’un traitement de données objectivant les phénomènes sociaux. Mais la grounded theory se définit bien comme post-positiviste, et non simplement positiviste. Ces canons et procédures se caractérisent en effet par une plus grande complexité de par la prise en compte d’autres postulats et leurs implications procédurales. Nous ne pouvons lire d’un seul coup le monde social ; l’hypothético-déductivité est rejetée au profit d’un processus de recherche en « … double mouvement d’engendrement … » (Strauss & Corbin, 1990) des données et en perpétuellement remise en question de ces dernières, processus que l’on décrit alors comme itératif et non-linéaire. Le lecteur doit pouvoir alors questionner les modalités de recueille, d’analyse et de traitement des données ainsi que leur bien fondé. Comme l’explicitent Strauss et Corbin, il : « … doit formuler un jugement sur : 1) la fiabilité et la crédibilité des données empiriques, 2) la plausibilité et la validité des propositions théoriques, 3) l’adéquation du processus de recherche, et 4) l’enracinement empirique des résultats dans la recherche. » Méthodes qualitatives 23.12.2016 (Strauss & Corbin, 1990). La validité dépend donc du respect des règles de la grounded theory, son critère principal est procédural. Comme avancé précédemment dans ce texte, la notion de “validité“ appliquée aux travaux de la théorie ancrée est remise en question à partir approximativement des années 90 avec l’émergence de théories anti-positivistes. Les pratiquants de méthodes interprétatives redéfinissent les critères d’évaluation de leur production de connaissances de “critères de validité” à “critères de qualité”. Selon eux, il n’y a pas de réalité objective, donc pas de “validité” intrinsèque des connaissances développées en sciences sociales. Les travaux se construisent dans des relations d’intersubjectivités constantes. L’autorité d’un travail se base sur des critères de qualité. Cette idée de qualité se développe particulièrement dans le courant dit « herméneutique » (signifie l’art d’interpréter) des méthodes interprétatives. C’est à celui qui interprète le mieux les phénomènes sociaux, et non à celui qui s’évertue à les comprendre dans leur « réalité objective », que revient le “label“ de qualité. La véracité surpasse la vérité, vérité qui n’est qu’utopie ou en tout cas impalpable. L’historien des mentalités James Clifford, au sujet de l’ethnographie, développe de façon argumentée et exemplifiée – à travers les travaux de Ricoeur, Bakhtine, Malinowski et bien d’autres – cette impossibilité d’objectiver des phénomènes sociaux et conclut que : « Des processus expérientiels, interprétatifs, dialogiques et polyphoniques sont à l’œuvre, de façon dissonante, dans n’importe quelle ethnographie » (Clifford, 2003). Selon Clifford, il faudrait aujourd’hui faire, au préalable d’un travail d’interprétation, un « choix stratégique » d’une de ces modalités de processus pour développer, en se positionnant, une forme d’autorité textuelle cohérente en sciences sociales – On retrouve d’ailleurs souvent cette idée en faculté d’histoire de « dire d’où l’on parle » –. Dans l’école herméneutique, les critères de qualité d’un travail de méthodes qualitatives dit « interprétatif » doivent donc s’axer sur la notion de véracité, de crédibilité de l’interprétation et de son pouvoir de persuasion, étant donné l’inexistence de données brutes et de « vérités vraies » : ces interprétations ne sont pas achroniques, elles sont toujours ouvertes à une interprétation plus pertinente. L’école interactionniste développe elle aussi ses propres critères de qualité à travers deux types d’analyses principales : c’est seulement le premier type qui nous intéressera ici, le chercheur se focalisant sur les interactions entre sujets et chercheurs/-euses, ce qui nécessitent une méthode interprétative. Dans le second type, le chercheur se focalise sur l’interaction en elle-même en tant qu’unité d’analyse, ce qui laisse plus de choix méthodologiques, dont par exemple la grounded theory pour Strauss (interactionniste). Dans le premier type d’analyse, l’on observe des critiques générales faites par les pratiquants de méthodes interprétatives aux positivistes et post-positivistes. Comme énoncé plus haut, le courant interprétatif considère la subjectivité des acteurs qui construisent ou consomment les savoirs (participants, chercheurs, sondés, lecteurs, …) comme omniprésente en toute circonstance. Il n’est donc pas étonnant de voir que cette conception là a une place très importante au sein de l’école interactionniste, de par sa proximité à la problématique de l’intersubjectivité. De cette problématique naîtra un des critères de qualité fondamentale de l’école interactionniste ; la reconnaissance du caractère dynamique de l’entretien. Pour Méthodes qualitatives 23.12.2016 paraphraser Mishler, plus le chercheur semble capable de prendre en compte la nature intersubjective du discours, plus son interprétation sera de qualité (Mishler, 1991). Mais de ce premier type d’analyse interactionniste naît une autre ambition ; créer de l’utilité sociale aux travaux de méthodes qualitatives. Il devient donc nécessaire selon eux de décloisonner l’économie du savoir. De fait, le chercheur peut tant qu’il veut “objectiver“ sa position, mais cette objectivation reste inscrite dans un discours : celui de la “scientificité“. Sa recherche sera alors réservée aux initiés et validée par ces derniers. Une recherche ne devrait pas être vouée uniquement aux pairs. Comme le dit Borda : « respectez les savoirs des communautés étudiées et mettez vos savoirs en commun avec les leurs {…} car la science ne devrait pas nécessairement être un mystère, ni le monopole d’experts et d’intellectuels » (Borda, 1995). Par ailleurs, l’idée développée par les interactionnistes est qu’une recherche de qualité (valide) doit être socialement utile, engagée et permettre aux acteurs de vivre un « empowerment » (émancipation / développement personnel) et leur donner la parole (« giving voice »). Cette volonté se ressent dans le le livre d’O’Connell, qui écrit sur les méthodes interprétatives : « all the methods that have been described in this book can be used to supported and reproduce existing structures of inequality, but they can all also be employed in the struggle to reveal, challenge and change them. Our hope is that this book will be of some practical use to those readers whose desire is for change » (O’Connell, 1994). Logiquement, ce n’est pas les dominants qui ont besoin d’empowerment, c’est les dominés : le critère de qualité est donc leur émancipation intérieure (psychologique), ou extérieure (sociale). Pour conclure, nous pouvons dire que les critères de validité/qualité d’une recherche sont fixés en fonction de l’objectif final de celle-ci : soit il s’agit de développer une Science et d’agglomérer des savoirs ; soit il s’agit d’accepter la plasticité sociale, et lutter pour l’adaptation des agents à cette même plasticité. En filigrane, un enjeu en ressort : d’une part la volonté académique, traditionnellement attachée à la recherche fondamentale et à l’élaboration continuelle d’un savoir, ainsi qu’à son accumulation ; de l’autre, la réalité du terrain, qui sans cesse se renouvelle, nécessitant une adaptation du chercheur et s’inscrivant dans la tradition du « travail social ». Par le second enjeu, la recherche académique se voit renouer avec un échange productif – par opposition à la négociation découlant du premier enjeu – avec le terrain et ses agents ; c’est un encouragement à l’ingénierie sociale.