L’enfant dyspraxique et les apprentissages Coordonner les actions thérapeutiques et scolaires Chez le même éditeur Du même auteur : Conduite du bilan neuropsychologique de l'enfant, par M. Mazeau. 2e édition. 2008, 304 pages. Neuropsychologie et troubles des apprentissages, par M. Mazeau. 2005, 320 pages. Dans la même collection : Neuropsychologie de la sclérose en plaques, par Gilles Defer, Bruno Bréchet, Jean Pelletier. 2010, 208 pages. Handicap mental : approche transdisciplinaire – somatique, psychiatrique, psychopédagogique, par Claude-André Dessibourg. 2009, 232 pages. Démarche clinique en neurologie du développement, par C. Amiel-Tison, J. Gosselin. 2e édition, 2008, 256 pages. Neuropsychologie du vieillissement normal et pathologique, par K. Dujardin, P. Lemaire, 2008, 256 pages. Neurologie du comportement, par A. Schnider. 2008, 272 pages. Conduite du bilan neuropsychologique chez l'enfant, par M. Mazeau. 2e édition, 2008, 304 pages. Neuropsychologie de la maladie de Parkinson et des syndromes apparentés, par K. Dujardin, L. Defebvre. 2e édition, 2007, 184 pages. L'infirmité motrice d'origine cérébrale, par C. Amiel-Tison. 2e édition, 2005, 336 pages. Autres ouvrages : Rééduquer dyscalculie et dyspraxie. Méthode pratique pour l'enseignement des mathématiques, par A. Crouail. Collection Orthophonie, 2009, 184 pages. Atlas interactif de neuroanatomie clinique. Atlas photographique + CD-ROM interactif Encéphalia, par L. Thines, F. Lemarchand, J.-P. Francke. 2008, 144 pages. Pratique de l'EEG. Bases neurophysiologiques, prinicipes d'interprétation et de prescritpion, par J. Vion-Dury et F. Blanquet. Collection Abrégés de Médecine. 2008, 224 pages. Évaluation neurologique de la naissance à 6 ans, par J. Gosselin, C. Amiel-Tison. Éditions CHU Sainte-Justine. 2e édition, 2007, 208 pages. Les Nerfs crâniens, par D. Doyon, K. Marsot-Dupuch, J.-P. et al. Francke. 2e édition, 2006, 304 pages. Neuropsychologie, par R. Gil. Collection Abrégés de Médecine. 4e édition, 2006, 432 pages. Neurologie, par J. Cambier, M. Masson, H. Dehen. Collection Abrégés de médecine. 11e édition, 2004, 576 pages. Neuropédiatrie, par G. Lyon, P. Evrard. 2000, 2e édition, 568 pages. L'enfant dyspraxique et les apprentissages Coordonner les actions thérapeutiques et scolaires Michèle Mazeau Claire le Lostec Avec la participation de SANDRINE LIRONDIÈRE DANGER LE PHOTOCOPILLAGE TUE LE LIVRE Ce logo a pour objet d'alerter le lecteur sur la menace que représente pour l'avenir de l'écrit, tout particulièrement dans le domaine universitaire, le développement massif du « photocopillage ». Cette pratique qui s'est généralisée, notamment dans les établissements d'enseignement, provoque une baisse brutale des achats de livres, au point que la possibilité même pour les auteurs de créer des œuvres nouvelles et de les faire éditer correctement est aujourd'hui menacée. Nous rappelons donc que la reproduction et la vente sans autorisation, ainsi que le recel, sont passibles de poursuites. Les demandes d'autorisation de photocopier doivent être adressées à l'éditeur ou au Centre français d'exploitation du droit de copie : 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris. Tél. 01 44 07 47 70. Tous droits de traduction, d'adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. Toute reproduction ou représentation intégrale ou partielle, par quelque procédé que ce soit, des pages publiées dans le présent ouvrage, faite sans l'autorisation de l'éditeur est illicite et constitue une contrefaçon. Seules sont autorisées, d'une part, les reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d'autre part, les courtes citations justifiées par le caractère scientifique ou d'information de l'œuvre dans laquelle elles sont incorporées (art. L. 122-4, L. 122-5 et L. 335-2 du Code de la propriété intellectuelle). © 2016, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés ISBN : 978-2-294-74480-8 e-ISBN : 978-2-294-74547-8 Elsevier Masson SAS, 65, rue Camille-Desmoulins, 92442 Issy-les-Moulineaux cedex www.elsevier-masson.fr Introduction praxie et syndrome dysexécutif », quand ce n'est pas un « multi-dys- » fourre-tout qui recouvre une litanie de symptômes dont on méconnaît la source ou les interrelations : dyspraxie + dyslexie + dyscalculie + …, soit, comme l'avait fort bien résumé une maman, une dysscolarité ! Paradoxalement, c'est donc maintenant contre la diffusion d'un savoir superficiel, parfois stéréotypé, voire caricatural (dysgraphie = dyspraxie = ordinateur !) qu'il nous faut batailler, afin de réintroduire la complexité du réel et l'indispensable analyse clinique dans la perception, la compréhension des difficultés de cet enfant-là [3]. Mais le seul véritable intérêt d'un diagnostic précis et fiable réside dans le fait qu'il permet de construire le projet thérapeutique, de se projeter dans l'avenir (actions à mettre en œuvre, évolution, pronostic). En effet, le diagnostic émerge de la compréhension des mécanismes défaillants derrière le symptôme : alors, il peut servir de fil rouge pour penser les actions les plus efficaces pour aider l'enfant tout au long de son évolution. C'est ce versant thérapeutique qui nous motive ici : nous souhaitons donner des clés aux différents professionnels qui gravitent autour de l'enfant dyspraxique pour l'aider au mieux, en particulier pour lui permettre de faire des apprentissages de qualité, à hauteur de ce que justifient sa motivation, son intelligence générale, ses capacités verbales et mnésiques. Presque trois décennies d'interventions auprès de ces enfants – en séances de rééducation, à leur domicile, mais surtout en classe, dans leur école, en lien étroit avec leur enseignant – nous ont en effet instruites d'une expérience irremplaçable. Mais il ne s'agit pas pour nous de prescrire ce qu'il convient de faire : non seulement nous n'avons « guéri » aucun de ces jeunes (même si nous espérons en avoir soulagé beaucoup), mais encore nous plaidons avec force pour que chaque enfant bénéficie d'un projet « sur mesure », ce qui ne peut coexister ni avec des recettes ni avec des L'enfant dyspraxique et les apprentissages © 2016, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés Tout comme la langue d'Ésope, le diagnostic de dyspraxie1 [1, 2] peut être la meilleure ou la pire des choses pour l'enfant concerné. Nous sommes en effet passés ces dernières années d'une situation où ce diagnostic n'était pratiquement jamais évoqué à une situation de surdiagnostic où il est souvent affirmé de façon erronée. Il y a quelques années, le risque était que le trouble soit méconnu, négligé, confondu avec de la mauvaise volonté, une absence de motivation, de la paresse (?), voire une forme d'opposition aux apprentissages ou même… de la déficience mentale. Cette attitude, reposant souvent sur l'ignorance, était extrêmement préjudiciable à nos jeunes patients, concentrant sur eux opprobre et image dévalorisée d'eux-mêmes, sans qu'aucune aide ne puisse leur être proposée. Depuis quelque temps, c'est la tendance inverse que l'on observe. Tout graphisme lent à s'installer selon les règles de l'art, tout ce qui pourrait être interprété comme une maladresse, même légère, fait évoquer une éventuelle dyspraxie. Et pour faire bonne mesure, ces troubles du développement du geste – qu'on les appelle TAC ou dyspraxie2 – sont désormais réputés n'être que rarement isolés : l'enfant ploie alors sous les diagnostics cumulés (quelquefois motivés mais souvent fallacieux) de « TAC et TAD-H » ou « dys1 2 Il n'est question dans cet ouvrage que de la dyspraxie « manuelle » et/ou oculaire (ou « dyspraxie visuo-spatiale »), à l'exclusion de la dyspraxie buccofaciale, buccophonatoire ou de la parole qui fait partie intégrante des troubles de la parole et du langage. Nous nous sommes maintes fois expliqués sur le choix du terme de « dyspraxie », en dépit des DSM successifs qui n'envisagent que les troubles d'acquisition de la coordination (TAC). Nous estimons en effet que TAC et dyspraxie ne sont pas synonymes, ne recouvrent pas exactement les mêmes pathologies et répondent à des actions thérapeutiques sensiblement différentes. L'argumentaire qui sous-tend ce choix est développé en particulier dans [1] et [2]. 1 L'enfant dyspraxique et les apprentissages préconisations générales. Pourtant, le recul et le retour d'expérience de toutes ces années où nous avons vu grandir et évoluer ces jeunes nous ont appris : • d'une part, ce qu'il ne faut pas faire, ce qui « ne marche pas », quelles voies sont inutiles – qui prennent souvent l'allure de « solutions de pseudo-bon sens » –, les impasses dans lesquelles il ne faut pas engager l'enfant sous peine d'épuiser sa bonne volonté, ses espoirs et même de compromettre son avenir ; • d'autre part, quelles sont les pistes utiles, les directions prometteuses dont il pourra tirer profit pour contourner les obstacles que son « dys- » dresse sur sa route, pour vivre avec dans les meilleures conditions. Ces orientations thérapeutiques, longuement développées, décrites, explicitées dans ce livre, doivent être adaptées au cas par cas. Il ne s'agit pas d'un « mode d'emploi », ni de recettes, ni de prescriptions figées ou de recommandations systématiques, mais plutôt d'un état d'esprit qui doit prendre corps et réalité en fonction de chacun, selon la mosaïque particulière d'incapacités qui caractérise tel ou tel, selon aussi son âge, son histoire personnelle – aussi bien familiale que scolaire –, ses projets, ses valeurs, sa personnalité… Enfin, au-delà de l'ajustement du projet thérapeutique à chaque jeune, il faudra savoir, à chaque nouvelle étape (de la scolarité, de la vie professionnelle ou personnelle), faire face à de nouveaux défis, résoudre des problèmes inédits. Seule cette adaptation « à la carte » et dans la durée pourra aider chacun, d'abord à grandir, puis à se réaliser. C'est dans cet état d'esprit que nous avons repris, complété, modifié et entièrement revu cette seconde édition de L'enfant dyspraxique et les apprentissages. Après avoir rappelé des notions clés concernant les dyspraxies (chapitre 1) et le projet thérapeutique (chapitre 2), nous abordons successivement les grandes questions qui se posent aux thérapeutes et aux enseignants : • dans une première section, nous traitons des obstacles que rencontrent les jeunes dyspraxiques dans les apprentissages fondamentaux et transversaux qui sont le socle de l'ensemble de la scolarité. Si l'écriture et les mathématiques sont toujours sévèrement impactées par la dyspraxie, la lecture est touchée de manière plus inconstante mais aussi plus inhabituelle. C'est pourquoi : – les chapitres « Écrire » (chapitre 3) et « Compter » (chapitre 4) décrivent les difficultés des jeunes dans ces domaines, – puis le chapitre 5, « Lire », traite à la fois des particularités quelquefois déroutantes de ces dyslexies et des remédiations (« Lire autrement »). • dans une seconde section, les chapitres 6 à 10 traitent des propositions d'adaptation et des compensations, en précisant leurs indications et leurs modalités de mise en œuvre : « Écrire autrement » (chapitre 6), « Les mathématiques autrement » (chapitre 7), repérer les obstacles masqués dans les disciplines où les compétences praxiques et/ou visuo-spatiales sont méconnues et proposer les aménagements adéquats (chapitre 8). Nous avons ensuite rassemblé les informations liées aux diverses utilisations de l'ordinateur en classe et ce que cela implique aussi bien pour l'enseignant que pour un éventuel auxiliaire de vie scolaire (« L'ordinateur pour l'école », chapitre 9). Puis nous analysons les préalables nécessaires à toute démarche de compensation, constituant ainsi un véritable cahier des charges pour concevoir les aides utiles à cet enfant-là (chapitre 10). Enfin, nous concluons cette section en abordant la réalisation des actes de la vie quotidienne et en exposant les moyens de faciliter la vie sociale de ces jeunes, tant dans leur vie personnelle qu'à l'école (chapitre 11). Nous espérons que cette nouvelle édition pourra aider tous ceux qui, en amont, doivent énoncer des préconisations (médecins, neuropsychologues, équipes des centres référents), évaluer le handicap de l'enfant dyspraxique, penser les compensations véritablement utiles (équipes des MDPH) et en assurer le suivi. Nous souhaitons surtout que cet ouvrage réponde au mieux aux besoins actuels des professionnels du soin (ergothérapeutes, psychomotriciens, orthophonistes, neuropsychologues) et de la pédagogie (enseignants, enseignants spécialisés, enseignants référents). Certains parents pourront trouver ici des éléments qui leur permettront de mieux comprendre les indications ou conseils dispensés à leur enfant et ainsi de l'accompagner de façon plus adéquate. 2 Qu'est-ce qu'un « dys- » ? Qui sont les enfants dyspraxiques ? Chapitre 1 « Ainsi, en France, l'enseignement public obligatoire vise à construire un accès égal aux chances. Si le résultat produit néanmoins une hiérarchie, la faute en incomberait alors à l'individu responsable, ou encore à quelque facteur environnemental susceptible d'entraver l'épanouissement du potentiel humain. Ce dernier, en revanche, serait le même pour toutes et tous, selon cette croyance. Mais partout, on se heurte à des situations gênantes pour la thèse égalitaire (la taille, la force musculaire…). C'est précisément parce que l'inégalité existe qu'il importe et urge de construire une société juste. » J.-C. Guédon3 L'enfant dyspraxique et les apprentissages © 2016, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés Fonctionnement cérébral cation ? Comment ne pas immédiatement conclure de ces performances et ­contre-­performances paradoxales que « Quand ils veulent, ils peuvent » ? Il serait d'ailleurs bien sûr ridicule de vouloir nier – ou même de minimiser – le rôle de l'implication personnelle dans l'échec ou le niveau de réussite à une tâche donnée. Mais certains enfants, malgré leur bonne volonté et leur application, ne peuvent pas, en raison d'une organisation cérébrale atypique, réaliser certaines tâches, alors que d'autres activités, qui intuitivement paraissent proches – ou même plus complexes –, leur restent normalement accessibles. En effet, le fonctionnement cérébral défie la logique supposée de l'expérience quotidienne. • « On me dit que mon fils ne peut pas orienter ses yeux comme il convient, ce qui le gêne pour la lecture, mais lorsqu'il joue avec sa console de jeux vidéo, où pourtant les éléments défilent à toute vitesse, alors là, il n'est pas du tout gêné par ses yeux ! » • « Ma fille est en échec scolaire parce que, me disent les spécialistes, elle n'a pas une bonne mémoire. Mais s'il s'agit de chansons de la Star Academy, de ses vacances ou des confidences de ses amies, sa mémoire est plus qu'excellente ! » • « Quand il parle, mon enfant prononce très mal certains mots, à tel point que souvent on ne comprend pas ce qu'il veut dire, mais lorsqu'on lui fait répéter des mots, il les prononce alors très bien. » • « Mon fils de 9 ans écrit très mal, ses cahiers ressemblent à des brouillons à peine lisibles ; on me parle de dyspraxie. Pourtant, quand il s'applique et que je suis derrière lui à la maison, il est parfaitement capable de former ses lettres à peu près convenablement, en tout cas bien mieux. » Comment ne pas d'abord interpréter ces difficultés étonnamment ciblées et variables comme un problème de motivation, de bonne volonté, d'appli- « Les études par imagerie cérébrale montrent qu'il existe de fait des modules spécialisés dans le cerveau […]. Elle a permis de détecter la différence entre processus mentaux qui paraissent très proches, comme celle qui existe entre calculer le résultat exact d'une addition ou l'estimer approximativement : deux zones différentes du cerveau réalisent ces deux tâches. 3 3 Guédon JC. « Chroniques ». La Recherche 2002. L'enfant dyspraxique et les apprentissages À l'inverse, elle montre les points communs entre tâches qui semblent bien différentes. » G. Chapelle4 Exemple Lors de la lecture, nous croyons avoir la sensation que nos yeux suivent régulièrement chaque ligne de gauche à droite… Il n'en est rien. Nos yeux effectuent une suite de minuscules sauts (ce dont nous n'avons aucune conscience), les saccades. Les régulations en amplitude, durée et direction des saccades sont automatiquement ajustées par notre cerveau. C'est seulement durant les brèves pauses entre deux sauts, les fixations, que nous saisissons les informations visuelles qui font l'objet d'un traitement cérébral de type « lecture », que nous identifions et comprenons les mots écrits. La neuropsychologie est une branche de la neurologie qui s'intéresse au fonctionnement intellectuel normal et pathologique, au diagnostic et à la rééducation des troubles des fonctions « supérieures » (ou fonctions « cognitives », troubles secondaires à un dysfonctionnement cérébral [1]). Ces troubles (du langage, de la mémoire, du geste, de l'espace, de la lecture, etc.) peuvent soit survenir après une lésion cérébrale très précoce (IMC5 ou toute autre lésion cérébrale survenue durant la petite enfance), soit, le plus souvent, résulter d'une atypie du développement cérébral dans un secteur très focalisé de la cognition (troubles dits « développementaux »), générant alors un trouble spécifique des apprentissages (dyspraxie, dyslexie, dysphasie, dyscalculie…), dont les répercussions scolaires peuvent être sévères chez ces enfants à l'intelligence préservée. Ces enfants, pour des raisons encore souvent inconnues, ne disposent donc pas, pour développer certaines de leurs fonctions cognitives, du même répertoire de compétences que les autres. Ils se trouvent alors en butte à des difficultés, des échecs, des impossibilités qu'ils ne comprennent pas et qui peuvent donner lieu, de la part des adultes (parents, enseignants, soignants), à des interprétations erronées qui ajoutent encore à la confusion de l'enfant. Ainsi, la neuropsychologie infantile nous enseigne que le « naturel » et le bon sens ne sont généralement pas, en la matière, bons conseillers. Au contraire, il nous faut très souvent accepter d'aller résolument contre le sens commun si l'on veut apporter quelque soulagement à ces enfants ! Le fonctionnement cérébral foisonne d'illustrations qui discréditent beaucoup de tentatives d'introspection conçues, à tort, comme une possibilité d'approcher par soi-même, sans connaissances spécialisées dans le domaine, notre propre fonctionnement intellectuel. En effet, l'essentiel de nos savoir-faire de base est complètement automatisé et échappe tout à fait à notre conscience. Ils sont donc hors de portée de notre auto-analyse 4 5 et la réalité est souvent très éloignée d'une description triviale des phénomènes consciemment ressentis. D'autres troubles cognitifs peuvent alimenter ce propos. En effet, certaines pathologies défient l'expérience commune [14–16], telles les agnosies visuelles. Nous avons tous la sensation, l'expérience de ce que c'est que voir : on voit net ou l'on voit flou, ou l'on ne voit pas du tout. C'est vrai si l'on ne considère que l'œil et les pathologies ophtalmologiques. Mais on oublie souvent qu'il n'y aurait pas de vision sans le cerveau qui analyse, décrypte, décode et reconnaît les stimuli imprimés sur la rétine. Lors de certaines anomalies du fonctionnement des réseaux de neurones dédiés au traitement de l'image rétinienne, il peut y avoir des « ratés ». L'enfant voit bien, net, il peut décrire ou copier ce qu'il voit, mais il ne sait pas donner sens à ce qu'il voit. C'est un peu comme si une photographie argentique – parfaite sur le négatif (la rétine) – devenait ininterprétable du fait d'erreurs dans l'atelier de développement du photographe (le cerveau). Alors, là où nous voyons un chat, l'enfant voit un lapin ; là où nous voyons le dessin d'une marguerite, l'enfant voit une danseuse en tutu… D'autres fois, l'enfant voit la même chose que tout le monde. Le problème, c'est qu'il n'a aucun moyen de savoir – et nous non plus – s'il voit comme le reste de l'humanité ou différemment, et comme il n'a jamais vu autrement, il ne sait pas (ne peut imaginer ni comprendre) que nous voyons (parfois et de façon imprévisible) différemment de lui. Pour en venir plus précisément aux enfants dyspraxiques qui sont le centre de notre ­propos, Chapelle G. Le cerveau et la pensée. Auxerre : Sciences humaines ; 2003. IMC : infirmité motrice cérébrale ou paralysie d'­origine cérébrale, d'origine périnatale, souvent liée à la prématurité. 4 Chapitre 1. Qu'est-ce qu'un « dys- » ? Qui sont les enfants dyspraxiques ? c­ ertains étonnent parce qu'ils n'arrivent pas à enfiler leur anorak ou qu'ils ne peuvent pas se servir d'un crayon, alors qu'ils peuvent parfaitement jouer au ping-pong ! Certes, tous les enfants dyspraxiques sont maladroits : le développement de leurs coordinations motrices et de leurs habiletés est tardif et incomplet. Mais certaines activités gestuelles ne sollicitent pas les mêmes compétences cérébrales, ne se développent pas selon les mêmes processus, ne reposent pas sur les mêmes réseaux de neurones et peuvent donc être atteintes (ou respectées) isolément, ce qui explique ces apparents paradoxes. Mais, justement, l'enfant dont nous parlons ici – qui souffre de troubles cognitifs focalisés – n'a pas pu acquérir ces habiletés dans les mêmes délais que ses pairs, en dépit d'un entraînement identique ou même déjà renforcé… C'est d'ailleurs ainsi que les problèmes de l'enfant ont d'abord été repérés. Malgré une expérience ou un apprentissage comparables à ceux de leurs pairs, ces enfants ne peuvent pas faire certaines acquisitions : parler de façon f luide, intelligible et académique, produire rapidement des signes graphiques harmonieux, lire, calculer, acquérir certaines habiletés gestuelles. Ce n'est donc ni la qualité, ni l'intensité de l'entraînement, ni la méthode pédagogique, ni les efforts, ni la bonne volonté de l'enfant qui sont en cause, mais bien son aptitude, ses capacités cérébrales (neurodéveloppementales) à développer cette performance-là… Poursuivre les entraînements habituels ne consisterait alors qu'à proposer, sans cesse et sans fin, « toujours plus de la même chose qui ne marche pas ». Par exemple, si l'enfant écrit mal (chapitre 3), beaucoup pensent qu'il est « logique » de lui proposer des exercices graphiques – dessiner des vagues, des « ponts », des boucles, des hampes, des lettres –, de l'inscrire à un atelier de calligraphie, d'insister pour qu'il s'applique plus et mieux. De fait, il progresse un peu, mais toujours insuffisamment au vu des exigences scolaires qui, elles, croissent exponentiellement avec les années (cf. figure 3.2, p. 52) et toujours beaucoup plus vite que les capacités de l'enfant. Augmentons alors les entraînements, amplifions encore les rééducations de la motricité fine ou de l'organisation spatiale, multiplions les prises en charge en psychomotricité ou en ergothérapie, achetons des cahiers de graphisme qu'il réalisera les mercredis ou durant les vacances… et l'enfant, confiant et plein d'espoir, engage toute son énergie dans ce combat, pourtant perdu d'avance. Mais lorsqu'il en prend conscience – souvent en même temps que les adultes qui l'entourent –, il est trop tard, l'échec scolaire est consommé et bien souvent définitif. Pire, l'échec n'est pas rattaché au problème graphique et l'enfant ne bénéficiera pas d'adaptations adéquates. « Toujours plus de la même chose qui ne marche pas6 » • « Si un jeune enfant prononce mal les mots, c'est parce que sa mère (ou sa grande sœur) le comprend trop bien : il n'a pas besoin de faire des efforts pour se faire comprendre. » • « Si celui-là ne sait pas ses tables de multiplication malgré de très nombreuses tentatives d'apprentissage, c'est bien la preuve qu'il faut encore poursuivre et intensifier cet apprentissage. » • « Si tel autre a une écriture très malhabile et lente, c'est qu'il bâcle et/ou qu'il a besoin de plus d'entraînement pour aboutir à un résultat acceptable. Il faut donc le motiver et/ou renforcer l'entraînement en graphisme pour qu'il acquière souplesse et rapidité. » Ces assertions, bien banales, sont toutes soustendues par une même idée : l'effort et la motivation, l'enseignement explicite et l'entraînement répétitif doivent forcément conduire à des progrès dans la réalisation de la performance visée. Cette idée simple et « évidente » vient du fait, incontestable, que l'enfant « standard » ou « typique » acquiert ces habiletés à la suite d'un entraînement régulier, plus ou moins long selon les individus (plus ou moins « doués »). 6 La formule est empruntée à Paul Watzlawick, psycho­logue, psychanalyste et sociologue contemporain (États-Unis, école de Palo Alto). 5 L'enfant dyspraxique et les apprentissages Cette stratégie délétère s'appuie souvent aussi sur une confiance déraisonnable dans les « pouvoirs » de la plasticité cérébrale. Ce terme désigne la capacité du cerveau humain à reconfigurer certains réseaux de neurones sous l'effet de l'expérience et de l'entraînement, ce qui constitue le support des apprentissages. Cette capacité est d'autant plus importante et influente que l'enfant est plus jeune et qu'elle intervient au décours d'une période critique7. On a aussi montré que la plasticité cérébrale peut être à l'origine de récupérations (rares et partielles) après des lésions cérébrales secondaires et focalisées : de là à imaginer que l'entraînement intensif de fonctions déficitaires pourrait provoquer une réorganisation neuronale « réparatrice », il n'y a qu'un pas que certains franchissent aisément. Or, la plasticité cérébrale n'est pas un phénomène magique qu'il suffirait de convoquer… au prix de centaines d'heures de travail de l'enfant ! Non seulement augmenter sans fin les entraînements est inutile, mais c'est dangereux. Ainsi, pendant que l'enfant engage toute son attention et son énergie dans le difficile dessin des lettres – geste que l'enfant dyspraxique n'automatisera jamais suffisamment, eu égard aux exigences scolaires (figure 3.2, p. 52) –, il ne lui reste plus assez de ressources pour écouter l'enseignant, prêter attention au sens ou à l'orthographe, mémoriser les informations. Les résultats scolaires s'en ressentent dans toutes les matières, même celles où il aurait pu faire normalement des apprentissages si on lui en avait laissé le loisir… Autre situation courante (cf. chapitre 4) : l'enfant fait des erreurs lors du comptage d'une ­collection d'objets… Cela semble montrer qu'il n'a pas encore bien compris la procédure de dénombrement. On lui propose donc – encore et encore – de compter des jetons, des bûchettes ou des haricots. Et la persistance des erreurs conduit à intensifier encore et encore cet entraînement, en dépit de l'évidence que « ça ne marche pas ». La répétition de ces procédures erronées non seulement n'apporte rien à l'enfant, mais perturbe le concept de nombre en cours de constitution. Et malgré ses excellentes compétences en raisonnement logique et en calcul mental (qui ne sont jamais valorisées ni prises en compte), malgré les premiers redoublements, on ne sait pas lui proposer une autre stratégie, faute d'avoir analysé, compris, diagnostiqué les processus pathologiques en œuvre derrière ce symptôme. On pourrait ainsi multiplier les exemples. Les conséquences nocives de cette attitude apparemment logique (« toujours plus de la même chose qui ne marche pas ») se manifestent dans tous les domaines : • l'enfant perd espoir et, plus grave encore, perd confiance en ses propres capacités, car, malgré toutes les rééducations et les efforts fournis, il ne peut que constater son échec ; • la responsabilité de ces échecs, incompréhensibles également pour les professionnels qui ont mis en place les entraînements et les rééducations, lui est toujours attribuée (il ne s'investit pas assez, ou bien il n'est pas si intelligent qu'on le disait, ou bien il « fait un blocage »), aggravant son sentiment de culpabilité et d'impuissance ; D'une part, la plasticité cérébrale n'est pas illimitée : elle n'a d'effet que sur l'organisation synaptique locale (et non sur les fibres longues, dites « associatives », qui relient entre eux différents centres cérébraux spécialisés). D'autre part, plus on s'éloigne de la période critique pour la fonction considérée, plus la plasticité cérébrale des réseaux concernés est réduite. En outre, ces réorganisations peuvent aussi générer des aspects négatifs (hyperexcitabilité locale avec épilepsie, désorganisation de réseaux adjacents plus immatures mais initialement intacts…). Enfin, en ce qui concerne les « dys- » développementaux, il ne faut pas oublier que l'organisation cérébrale est d'abord sous influence génétique, les aspects environnementaux (qui gouvernent la plasticité) n'intervenant qu'à la marge. 7 Fenêtre temporelle durant laquelle un apprentissage est particulièrement efficace chez l'enfant. Selon les fonctions considérées, ces périodes favorables sont différentes. Bien connues pour certaines fonctions sensorimotrices ou certains aspects du développement langagier, elles restent plus hypothétiques pour les fonctions de plus haut niveau, qui se développent plus lentement, sur de longues périodes. 6 Chapitre 1. Qu'est-ce qu'un « dys- » ? Qui sont les enfants dyspraxiques ? • ses compétences préservées, intactes, efficientes sont négligées, méconnues, sous-utilisées. Loin d'être exploitées pour favoriser suppléances et compensations, elles sont au contraire utilisées comme une arme contre l'enfant ! Ainsi, s'il ne « fait » rien et parle beaucoup – le langage oral est le point fort des enfants dyspraxiques –, on juge que son langage très élaboré est un verbiage, ou qu'il fait illusion, ou qu'il s'agit d'un vernis ou d'une fuite et, de toute façon, cela est retenu contre lui (« S'il parlait moins, il ferait plus attention à écrire convenablement ») ; • les orientations (scolaires, professionnelles) qu'on lui propose sont de plus en plus éloignées de ses capacités et de ses espérances, voire complètement contre-indiquées (orientation vers des métiers manuels, nécessitant des capacités gestuelles et spatiales complexes, alors que l'enfant est dyspraxique). Au bout de quelques années, son avenir est définitivement compromis. On parle de dyspraxie lorsque ces couplages et/ ou ces coordinations ne se mettent pas en place dans les délais habituels et/ou se développent d'une façon déficitaire, anormale, inefficace, et ce en l'absence d'une déficience mentale et/ou de troubles psychiatriques (du moins susceptibles à eux seuls de rendre compte du trouble gestuel) et d'un trouble neuromoteur, neurosensoriel, neuromusculaire (du moins susceptible à lui seul de rendre compte du trouble gestuel), alors que l'enfant a été soumis à un apprentissage habituel. On parle aussi, selon les auteurs, de retard psychomoteur ou de trouble d'acquisition de la coordination (TAC) [17, 19]. Quoi qu'il en soit, la réalisation de certains gestes est difficile, malhabile, disharmonieuse, lente et fatigante. Cette anomalie est rapportée soit à une lésion cérébrale qui interrompt certaines des voies cérébrales qui gèrent la conception et/ou l'exécution des gestes (leucomalacies périventriculaires dans le cas de jeunes IMC), soit (le plus souvent) à une atypie du développement cérébral dans le secteur des aires pariétales (ou sous-pariétales, ou des circuits fronto-pariétaux…) chez les enfants sans aucun antécédent neurologique, alors appelés dyspraxiques « développementaux ». L'enfant « typique », en cours d'acquisition d'une notion, n'est aucunement comparable à l'enfant empêché d'y accéder du fait d'un handicap cognitif : les méthodes pertinentes pour les premiers ne le sont pas pour les seconds, elles peuvent même s'avérer désastreuses à moyen et long terme (cf. p. 26, 51). Un diagnostic fiable Poser un diagnostic fiable [18] est un préalable à tout projet d'aide en direction de ces enfants. Commencer un « traitement » (proposer un ordinateur, un AESH8, des séances de psychomotricité ou d'ergothérapie, etc.) sur une simple présomption, sans s'assurer du diagnostic, est une erreur grave dont de nombreux enfants (et parents) font la douloureuse expérience [20]. Décidées à partir du symptôme observable (l'enfant écrit, compte ou lit « mal »), ces prises en charge ne sont licites que si elles sont de courte durée (6 mois par exemple), permettant à la fois une observation attentive de l'enfant et la vérification que le trouble est intense et durable (critères d'inclusion du diagnostic de « dys- »). Ensuite, il faut absolument déclencher une démarche diagnostique C'est pourquoi il faut savoir reconnaître (dépister et diagnostiquer) ces anomalies trompeuses et déroutantes : elles requièrent des prises en charge spécifiques, c'est-à-dire différentes des propositions habituellement faites à l'enfant tout-venant. Chacun doit donc préserver sa capacité à s'étonner, à regarder et à écouter autrement, à sortir des sentiers battus. Assurer et préciser le diagnostic Les dyspraxies sont un trouble du développement des apprentissages gestuels. Les gestes sont un ensemble de mouvements (de couplages sensori-moteurs) coordonnés dans le temps et dans l'espace dans l'intention de réaliser une action finalisée. 8 7 AESH : accompagnant des élèves en situation de handicap. Les AESH reçoivent une courte formation en cours d'emploi et doivent aider un ou plusieurs enfants, sous la responsabilité de l'enseignant. L'enfant dyspraxique et les apprentissages Trouble moteur ou neuromusculaire Déficience intellectuelle Reflet problème psychodynamique Dysgraphie Dyspraxie Syndrome dys-exécutif Trouble visuel Etc. Figure 1.1. Dysgraphie : exemple de symptôme isolé pouvant renvoyer à différents diagnostics. Un symptôme ne représente qu'un des éléments constitutifs du diagnostic. précise. En effet, une imprécision ou une erreur de diagnostic risque, à l'insu de tous, d'engager l'enfant dans une impasse thérapeutique, suscitant découragement et nouvelles erreurs interprétatives en cascade. On peut repérer deux principaux types de scénarios qui constituent des situations « à risque » sur le plan diagnostique. (légitime, à partir de tel ou tel symptôme ou de tel ou tel bilan bien conduit) et diagnostic. Aucun signe, isolément, n'est pathognomonique (caractéristique) de la dyspraxie. C'est pourquoi le diagnostic ne peut actuellement émerger que de la confrontation de plusieurs examens dépendants de divers professionnels (tableau 1.1), ne peut s'évoquer qu'à partir d'un faisceau concordant d'éléments, dont certains sont des éléments d'élimination – l'enfant n'est pas atteint de troubles neurosensoriels ou neuromoteurs, ni de déficience intellectuelle, ni de troubles envahissants du développement, du moins suffisants pour rendre compte des symptômes observés – et d'autres sont des signes positifs – l'enfant présente certaines caractéristiques ou associations de troubles très évocatrices (tableaux 1.1 et 1.2). Bien sûr, cette démarche est modulée en fonction de l'âge de l'enfant et de l'association de symptômes qu'il présente. Par exemple, si l'enfant présente des troubles de l'apprentissage de la lecture (cf. chapitre 5), il est très important de demander aussi un bilan orthoptique et un bilan orthophonique. Un examen incomplet Trop souvent encore, le diagnostic est porté par un seul professionnel qui conclut sur la foi d'un symptôme – par exemple, au décours d'un bilan psychomoteur ou ergothérapique, on constate que l'enfant écrit mal (figure 1.1) – ou d'une seule évaluation – dissociation importante aux échelles de Wechsler9 entre les épreuves verbales bien réussies et les épreuves non verbales ratées. Il s'agit là de la confusion – trop fréquente – entre hypothèse 9 Échelles de Wechsler adaptées à l'âge du jeune (WPPSI, WISC, WAIS) : tests psychométriques dits « d'intelligence », indispensables au diagnostic de « dys- », mais insuffisants à eux seuls. 8 Chapitre 1. Qu'est-ce qu'un « dys- » ? Qui sont les enfants dyspraxiques ? Tableau 1.1. Les quatre temps du diagnostic de dyspraxie. 1 Plaintes dans le secteur des gestes, de l'espace, du graphisme, de la maladresse, des AVQ* = suspicion 2 Élimination de troubles neuromoteurs et/ou sensoriels Hypothèse forte = dyspraxie 3 Échelles de Wechsler : préservation de l'intelligence générale (facteur G), réussite aux épreuves verbales et mnésiques, contrastant avec l'échec aux épreuves visuopracto-spatiales 4 Bilans psychologue, psychomotricien, ergothérapeute +++ = troubles spécifiques = affirmer diagnostic * AVQ : activités de la vie quotidienne. Tableau 1.2. Critères qualitatifs complémentaires. 1. Antécédent de prématurité* (inconstant). 2. L'enfant critique de façon pertinente sa contre-performance : il a une bonne représentation du résultat qu'il devrait obtenir. 3. Fluctuation de la performance : il a différentes façons d'échouer. 4. Présence de troubles visuo-spatiaux (constante) et/ou du schéma corporel et/ou gnosiques visuels (inconstants). 5. Dissociation au sein des performances praxiques (inconstante) : gestes signifiants vs gestes arbitraires ; mimes d'action vs manipulation d'outils… (cf. p. 10, 18). * Des études longitudinales (EPIPAGE) montrent clairement la corrélation statistique entre intensité de la prématurité et fréquence des troubles praxiques et visuo-spatiaux. Cf. Deforge H, Toniolo AM, Andre M, et al. « Déficits visuo-spatiaux à l'âge préscolaire chez des enfants anciens grands prématurés ». ANAE 2007 ; 93 : 191-7. Comme on le voit, ce diagnostic impose la passation de nombreux bilans, dont les résultats et conclusions doivent être confrontés les uns aux autres (lors de la consultation d'un médecin expérimenté en neuropsychologie ou d'un neuropsychologue compétent dans ce domaine) afin d'aboutir à un diagnostic. Il s'agit donc d'une démarche exigeante… et obligatoirement longue. Les bilans réduits – par exemple la BREV – sont très utiles dans une optique de dépistage, pour effectuer un premier screening et repérer les enfants qui auront effectivement besoin de l'ensemble de ce bilan diagnostique, mais ils ne peuvent se suffire à eux-mêmes. signalement à la MDPH11 dont dépend l'attribution d'aides techniques ou humaines pour la prochaine année scolaire, réunion de PPS ou ESS12, etc. Or, s'il se confirmait ultérieurement que l'enfant soit en effet dyspraxique, il serait toujours loisible de modifier et de réajuster – désormais avec ­pertinence – les décisions prises antérieurement. Pour les décisions qui doivent intervenir dans l'intervalle de temps qui sépare la suspicion de la confirmation du diagnostic, il faut accepter qu'elles soient prises sur les éléments dont on dispose à ce moment-là : c'est essentiellement l'évaluation scolaire qui constitue une photographie fiable des capacités/­incapacités fonctionnelles du jeune à ce moment-là de son ­évolution, sans préjuger des causes. Le sentiment d'urgence 11 Une fois le terme de dyspraxie évoqué, on constate souvent un sentiment « d'urgence » alimenté par des échéances datées, au cours desquelles les différents acteurs craignent de prendre une décision qui engage l'avenir et s'avérerait par la suite mal adaptée : orientation scolaire, rédaction d'un PAP10, 10 12 PAP : plan d'accompagnement personnalisé, cf. c­ hapitre 9. 9 MDPH : maison départementale des personnes handicapées, où sont regroupés tous les services dont dépend la mise en œuvre des aides et compensations liées au handicap. PPS : projet personnalisé de scolarisation, qui réunit les différents acteurs (parents, école, rééducateurs et/ ou services de soins) pour déterminer de quels aménagements (pédagogiques, d'emploi du temps), de quelles aides techniques et/ou humaines l'enfant doit bénéficier au cours de l'année scolaire. ESS : équipe de suivi de scolarisation. L'enfant dyspraxique et les apprentissages S'il est évidemment important de mettre en place le plus précocement possible les diverses aides nécessaires, cela ne doit cependant pas conduire à s'arrêter à une simple présomption diagnostique : les dangers encourus seraient alors pires que le remède escompté. En effet, si l'enfant se révèle ensuite effectivement « dyspraxique », cela signifie qu'il est né dyspraxique et… qu'il restera dyspraxique. Il n'y a donc jamais aucune réelle justification à faire ce diagnostic dans l'urgence et, bien sûr, encore moins à faire une erreur ou une approximation diagnostique dont les conséquences délétères ne feraient que s'ajouter aux troubles initiaux. tique ne permet jamais de « rattraper » le retard diagnostique et ne fait au contraire que compliquer inutilement la situation, déjà difficile. Un diagnostic précis La méthodologie suggérée plus haut (cf. tableaux 1.1 et 1.2) est indispensable pour finaliser le projet individuel de l'enfant. Préciser la place relative de chaque symptôme La dyspraxie est constituée d'un ensemble de symptômes qui peuvent, chez chaque enfant, réaliser une mosaïque particulière et unique du fait de la présence ou de l'absence (ou de l'intensité très variable) de chacun des signes [3]. Les bilans des différents professionnels visent donc à préciser l'existence et l'importance : • du trouble constructif proprement dit ; • des anomalies des traitements spatiaux, quelquefois au tout premier plan de la pathologie ; • d'anomalies du développement des fonctions du regard (fixation, saccades, exploration, poursuite) ; • d'un éventuel déficit en attention visuo-spatiale ; • d'éventuelles anomalies de constitution du schéma corporel (y compris notions de droite et de gauche et gnosies digitales) ; • de possibles troubles gnosiques visuels ; • quelquefois d'anomalies comportementales, voire de troubles de structuration de la personnalité (traits du spectre de l'autisme). Les prises en charge, comme nous aurons l'occasion de le redire, ont pour objectif de diminuer la gêne ressentie par l'enfant, de limiter les répercussions négatives de la dyspraxie dans les différents secteurs de la vie de l'enfant, de réduire le handicap (scolaire, psychologique et social) et non de guérir la dyspraxie. C'est normalement en moyenne ou grande section de maternelle (éventuellement en CP-CE1 lorsque le trouble est discret) que le retard graphique et la maladresse doivent alerter. Lorsque la suspicion est plus tardive (CM, voire collège), cela peut résulter : • soit d'un trouble léger chez un enfant très compétent sur le plan du raisonnement verbal et qui a mis spontanément en œuvre des compensations efficaces. Ces dernières vont, un temps, plus ou moins masquer les conséquences de la pathologie praxique. Cependant, les exigences scolaires augmentant, le trouble finit par se dévoiler, mais plus tardivement ; • soit d'une méconnaissance ou erreur diagnostique ; • soit d'un déni du trouble (de la part des parents et/ou des enseignants et/ou des médecins). Vouloir sauter des étapes diagnostiques parce que l'enfant est déjà grand et/ou parce que se jouent des échéances scolaires (passage en sixième, orientation…) est une erreur fréquente (impression que l'on a « perdu du temps » et qu'il faut maintenant « faire vite »). Or, ce n'est pas en quelques semaines ni en quelques mois que l'on règle un problème qui mine la scolarité et la vie de l'enfant depuis des années. Une erreur ou une insuffisance diagnos- Rechercher d'éventuelles dissociations Leur présence permet de mieux cibler le type de gestes qui pose problème à l'enfant et les modalités gestuelles qui lui restent accessibles (cf. chapitre 2) : • trouble touchant électivement les gestes enseignés (culturels) et épargnant les gestes sélectionnés par l'évolution, c'est-à-dire dyspraxie isolée, sans signe de « retard psychomoteur » ni TAC. Les premiers stades de développement moteur se sont manifestés normalement, qu'il s'agisse du ramper, de la station assise, du quatre pattes, de la marche… ; • trouble touchant uniquement l'utilisation d'outils (et respectant les gestes symboliques, tels que faire « au revoir », « chut »…). 10 Chapitre 1. Qu'est-ce qu'un « dys- » ? Qui sont les enfants dyspraxiques ? concevoir tous les volets. Ayant tenté de bien comprendre l'enfant et de bien analyser l'éventail de ses capacités/incapacités, il faut aussi, en regard, bien comprendre et analyser ce que l'on peut attendre de telle ou telle action pédagogique, éducative, rééducative ou palliative. Signes associés Il faut aussi faire le point sur la présence éventuelle de signes associés dont l'influence est majeure tant sur le pronostic que sur les choix rééducatifs : • troubles de l'attention et/ou hyperactivité. Bien qu'elle ne soit pas du tout systématique, cette association est très fréquente [20] ; • dyslexie, dont il faut alors bien préciser les déterminants (phonologique et/ou visuoattentionnelle). En effet, si elle est uniquement ou essentiellement « visuelle », la dyslexie fait alors partie intégrante de la dyspraxie visuo-spatiale avec troubles du regard (cf. chapitre 5). Mais l'enfant peut également souffrir d'une dyslexie imputable à un trouble phonologique, ou à un déficit de la mémoire de travail, ou à une association « troubles de l'attention, syndrome dysexécutif et déficit de la mémoire de travail », toutes ces situations constituant alors un trouble associé (comorbidité) ; • déficit de la mémoire de travail, isolé ou au sein d'un syndrome dysexécutif ; • immaturité (déficience) intellectuelle… Rééducations et scolarité : deux pôles en interactions réciproques La scolarité – depuis la première année de maternelle jusqu'au niveau universitaire – fait constamment appel aux savoir-faire praxiques et visuospatiaux des enfants, et ce de façon habituellement masquée, implicite, le plus souvent à l'insu des enseignants (cf. chapitre 8). L'enfant dyspraxique est ainsi très souvent mis en difficulté par la méthode d'enseignement, les procédures préconisées et/ou le matériel pédagogique utilisé (et non par les connaissances ou le concept à acquérir). C'est pourquoi l'échec scolaire est si fréquent (et souvent sévère) chez ces enfants intelligents13, de bon niveau verbal, ayant généralement d'excellentes capacités mnésiques, curieux et motivés par les apprentissages scolaires. Leur venir en aide, c'est reconnaître et nommer leur trouble, leur en expliquer simplement les mécanismes et les répercussions. C'est aussi mettre en place avec eux un « plan de bataille » (le projet thérapeutique), dont ils attendent légitimement des effets dans leur vie quotidienne et leur vie scolaire. C'est pourquoi les actions à visée thérapeutique doivent toujours associer des soins ciblés (dispensés par les thérapeutes spécialisés) et des adaptations pédagogiques très spécifiques (mises en place dans le cadre scolaire). Dans les textes officiels, cette indispensable coordination est souvent désignée sous le terme de « partenariat » qui doit s'instaurer Capacités préservées Enfin, évaluer précisément le niveau de performance dans chacune des fonctions préservées est une démarche fondamentale pour penser le projet thérapeutique : langage, mémoires (mémoire de travail, à long terme, visuelle, auditivo-verbale), raisonnement et conceptualisation, fonctions sur lesquelles on s'appuie pour conduire les rééducations et/ou proposer un contournement du trouble, ou encore l'utilisation d'un palliatif. Lorsqu'on ne dispose pas de l'ensemble de ces éléments, le projet ne peut pas vraiment être personnalisé ni adapté. Il s'agit donc là d'enjeux majeurs qui déterminent la qualité et l'efficacité des propositions ultérieures. 13 Mais si porter un diagnostic fiable et rigoureux est indispensable pour entamer une démarche thérapeutique, cela est très loin de suffire à en 11 L'intelligence de l'enfant est attestée par la réussite à une ou plusieurs épreuves verbales dites de facteur G ou « intelligence générale » (épreuve de catégorisation, de classification, de raisonnement logique). L'enfant dyspraxique et les apprentissages (­naturellement ?) entre les structures de soins et l'Éducation nationale. Pourtant, au quotidien, cette coopération, qui n'est en rien préparée et dont les modalités ne sont jamais précisées, peut s'avérer difficile à mettre en œuvre, malgré toutes les bonnes volontés, du fait : • du côté de l'école : – d'une méconnaissance des mécanismes pathologiques qui sous-tendent la dyspraxie (trop souvent réduite à la notion de « maladresse » et/ou de dysgraphie), – de la non-conscience des constituants praxiques et/ou visuo-spatiaux infiltrant les différents apprentissages proposés (cf. chapitre 9), du souhait de « normaliser » l'enfant différent (« En classe, il est comme les autres », ou bien : « Il faut bien qu'il arrive à faire comme les autres »), – des difficultés concrètes à concevoir et à mettre en œuvre des aménagements très individualisés au sein d'un grand groupe, – de l'absence de temps de concertation, de réunion, de partage avec d'autres intervenants (rééducateurs libéraux, services de soins dits SESSD ou SESSAD et, au sein même de l'école, médecin et psychologue scolaires), – de la grande difficulté à concevoir des évaluations « justes » en dépit des adaptations préconisées (par rapport aux autres enfants de la classe, mais aussi en fonction des savoirs exigés par le programme). C'est souvent la marque d'une confusion entre « égalité » et « justice » et d'une mauvaise appréhension de la notion de « compensation du handicap » ; • du côté des équipes de soins et des rééducateurs : – d'une méconnaissance des exigences liées aux programmes scolaires, de l'ignorance des contraintes inhérentes à la pédagogie de groupe, – de la non-conscience de l'intrication forte entre la forme (la méthode) et le fond (le savoir ou le concept visé) lors de certains apprentissages, – de la sous-estimation de l'impact psychologique du diagnostic lui-même (souvent vécu comme un handicap intellectuel et/ou mental) et des adaptations (toujours stigmatisantes) qui doivent prendre effet au sein d'un groupe de pairs (les autres élèves de la classe), générant des réactions de déni ou de prestance, qui, de fait, rendent impraticables certaines suggestions proposées, etc. Pourtant, quel sens peuvent avoir deux séances de rééducation par semaine (si bien conduites, si bien adaptées, si efficaces soient-elles) si ces deux séquences hebdomadaires de trois quarts d'heure ne trouvent pas d'écho lors des 24–26 autres heures hebdomadaires (en moyenne) que l'enfant passe en classe, en situation « écologique » d'apprentissage ? On voit donc d'emblée que le choix de telle ou telle stratégie thérapeutique (de rééducation ou de réadaptation) ne peut advenir qu'au terme d'investigations et de synthèses qui s'intéressent autant au trouble (la dyspraxie, isolée ou non, son type, son intensité…) qu'à l'enfant (ses capacités de compensation, ses projets, sa personnalité), à ses parents (leurs propres projets, leur acceptation ou leur refus de considérer leur enfant comme « handicapé » et de solliciter la MDPH, leur soutien ou leurs exigences…) ou à l'école (« tolérance » de l'échec dans certains secteurs, proposition de classe spécialisée ou ULIS14, acceptation des aides techniques ou humaines, stigmatisation ou non de l'enfant « à besoins spécifiques », capacité à travailler avec des intervenants extérieurs, tels les rééducateurs libéraux ou les services de soins15). Conscientes de la variété et de l'importance de toutes ces difficultés intriquées, nous tentons donc d'aborder ici l'ensemble de ces questions qui sont interdépendantes et inséparables : les soins, les rééducations, les adaptations, l'utilisation d'aides techniques ou de palliatifs, mais aussi les 14 15 12 ULIS : unités localisées pour l'inclusion scolaire en primaire ou au collège. SESSD ou SESSAD : services de soins dits « à domicile », qui interviennent sur le lieu de vie de l'enfant (domicile, crèche, école…). Ces structures, légères et souples, disposent d'équipes pluridisciplinaires très complètes (médecins, psychologues, kinésithérapeutes, ergothérapeutes, orthophonistes, psychomotriciens, éducateurs, assistants sociaux…) et assurent les soins, les rééducations et l'aide à la scolarisation pour un public spécifique (il existe des services de soins pour enfants handicapés mentaux, moteurs, auditifs ou visuels). Pour des raisons historiques et du fait des compétences accumulées dans ces structures, les jeunes dyspraxiques sont le plus souvent admis dans les SESSD pour jeunes handicapés moteurs. Plus récemment, quelques rares services de soins se sont orientés vers la prise en charge d'enfants porteurs de troubles des apprentissages. Chapitre 1. Qu'est-ce qu'un « dys- » ? Qui sont les enfants dyspraxiques ? aménagements à prévoir en ce qui concerne les méthodes pédagogiques, les supports d'apprentissages, les évaluations scolaires et enfin les rôles des AESH. Ainsi, nous espérons que cet ouvrage puisse constituer une base pour un réel partenariat entre les différents professionnels qui doivent, ensemble, sur le terrain, œuvrer à la réussite scolaire de ces enfants dyspraxiques. Pour cela, il nous faut d'abord nous pencher sur les processus qui président aux différents apprentissages chez l'enfant tout au long du développement (cf. chapitre 2) et sur la conception du projet thérapeutique, lequel doit intégrer les impératifs scolaires. 13 Les préalables au projet thérapeutique Chapitre 2 L'enfant dyspraxique et les apprentissages © 2016, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés « Les qualités objectives (physiques et intellectuelles) des hommes peuvent être différentes, cela n'atteint pas ces hommes dans leur être même. Ils ne sont ni inégaux ni différents, ils sont incomparables. » A. Pichot16 Processus présidant aux Concevoir le projet et ses multiples implications pratiques au jour le jour – outre le fait qu'il faut avoir réalisé un diagnostic fiable et précis – suppose d'avoir constamment en tête trois notions qui fondent véritablement le sens de toutes les mesures qui sont prises pour cet enfant-là : • les procédures utilisées en rééducation constituent des apprentissages explicites justement ciblés sur les secteurs où l'enfant est, structurellement, en grande difficulté : le contenu et les méthodes employées durant les séances d'une part et les résultats escomptés d'autre part doivent en permanence tenir compte de cette réalité ; • le projet thérapeutique ne peut pas être constitué d'une accumulation de projets « locaux » ou partiels (même apparemment bien conçus) juxtaposés : c'est pourtant encore le cas de loin le plus fréquent ; • c'est le pronostic scolaire qui est l'élément unificateur et déterminant de l'ensemble des actions proposées dans le domaine cognitif, celui des « troubles spécifiques des apprentissages ». En effet, c'est le projet scolaire et le niveau d'exigence qu'il requiert (en termes de contenu et de contraintes temporelles) qui calibrent le niveau d'exigences et justifient le choix de la stratégie thérapeutique. Or, on constate souvent soit que cette donnée est totalement méconnue, soit qu'elle reste sans influence sur les propositions thérapeutiques. apprentissages et à la rééducation Ces trente dernières années ont mis l'accent, dans le domaine de la neuropsychologie, sur certains processus liés aux apprentissages. Ces derniers (y compris les rééducations, qui font partie intégrante des apprentissages proposés à l'enfant) peuvent être implicites ou explicites, contrôlés ou automatisés : selon les cas, les performances peuvent ne pas être mobilisées dans les mêmes conditions (accès aux acquis, niveau de performance atteignable…), et cela impacte grandement le niveau de performance atteignable par l'enfant. Apprentissages implicites versus explicites Il faut distinguer : • d'une part, les apprentissages « obligés » qui reposent sur des fonctions sélectionnées par l'évolution et génétiquement programmées ; • d'autre part, les apprentissages neurologiquement « facultatifs », culturellement dépendants, dont l'acquisition dépend entièrement d'un enseignement explicite des adultes en direction des enfants (ou des experts en direction des novices). Dans les deux cas, ce ne sont pas les mêmes processus cognitifs qui sont sollicités. 16 15 Pichot A. « Opinions ». La Recherche 1997. L'enfant dyspraxique et les apprentissages cognitifs spécifiques » qui peuvent toucher les différentes fonctions : langage (dysphasies), coordinations gestuelles complexes (TAC), traitements spatiaux (troubles visuo-spatiaux), attention, fonctions d'inhibition et de stratégie (syndromes dysexécutifs), identification sensorielle (agnosies visuelles), mémoires (dysmnésies), etc. [1]. Acquisitions liées à l'espèce Les bébés naissent « équipés » de différentes « boîtes à outils » spécialisées (pour la socialisation et la communication, les coordinations motrices, oculo-motrices et oculo-manuelles, le langage, les traitements spatiaux, les gnosies…), qui leur permettent de développer certaines fonctions (le langage oral, la marche, les manipulations fines, etc.), du moins s'ils peuvent disposer du libre jeu des systèmes sensori-moteurs concernés et d'inter­actions (spontanées et implicites, le plus souvent non organisées intentionnellement) avec l'environnement et les adultes. Ces acquisitions liées à l'espèce reposent sur des réseaux et des proto-compétences, certes très immatures, mais déjà présents en germe et fonctionnels dès la naissance ou les premières semaines de vie17 (compétences précoces). Pour manifester plaisir ou déplaisir, pour se déplacer en rampant, puis à quatre pattes, puis debout, pour développer leur poursuite oculaire et orienter leurs fixations, pour coordonner œil et main, pour comprendre, puis développer un langage communicationnel, pour utiliser une pince pouce-index, les enfants tout-venant n'ont besoin ni d'un enseignement explicite ni de démonstration. Le temps (la maturation) et les interactions (spontanées) avec un environnement adapté (physique, affectif et social) permettent de renseigner les systèmes adéquats et contribuent à leur développement progressif, en spirale (le développement de chaque fonction, en interdépendance avec les autres, autorise des interactions de plus en plus complexes et sophistiquées avec l'environnement). Ce type d'acquisition est reconnaissable au fait qu'il s'agit de performances (sensori-motrices et/ou cognitives) qui se développent selon un rythme éminemment prévisible, dans toutes les cultures, sous toutes les latitudes, la chronologie de ces acquisitions constituant un repère fiable18 pour suivre le développement de tous les enfants. Leur atteinte élective, leur atypie ou anomalie de développement donne lieu aux « troubles 17 18 Apprentissage dépendant d'un enseignement culturel Au contraire, d'autres apprentissages sont entière­ ment dépendants de l'environnement et de l'éducation prodiguée. Ils ne se produiraient pas (ne se produiraient jamais) sans l'intervention volontariste, consciente et systématisée des adultes. Pour y accéder, les enfants doivent subir un enseignement explicite de la part des adultes (ou les novices de la part des experts). Ces apprentissages sont rendus possibles (et sont limités) par notre équipement de base (sélectionné par l'évolution), mais ne sont pas inscrits tels quels dans notre patrimoine génétique : un effort intentionnel et conscient, souvent assorti d'un entraînement gradué, est nécessaire pour que : • de nouveaux réseaux se constituent (« recyclage neuronal » [22]), supports de ces nouvelles aptitudes ; • ces nouvelles aptitudes s'automatisent. Ces apprentissages nécessitent que les « outils » initiaux dont est génétiquement doté le bébé soient réorientés (par l'apprentissage, l'entraînement) vers la création de novo de réseaux originaux qui aboutissent à des performances nouvelles : la lecture [21] et l'écriture, le calcul, la transmission et l'accumulation des savoirs académiques, la réalisation de gestes « appris culturellement » (praxies), etc. L'automatisation de ces nouvelles habiletés est la marque que leur apprentissage est terminé et réussi. Ces capacités inédites sont rendues possibles par les impressionnantes capacités d'apprentissage dont les humains sont dotés (cf. plasticité cérébrale, p. 6). Elles constituent le fondement de la variété des cultures humaines et sont systématiquement exploitées par l'éducation d'une part et par la scolarisation d'autre part. Cf. sur le site de l'INSERM : Le développement cognitif de l'enfant : clés de compréhension ; texte et vidéos :http:// www.inserm.fr/associations-de-malades/seminairesde-formation-ketty-schwartz/fonctions-cognitiveschez-l-enfant-cles-de-comprehension Il s'agit bien sûr de fourchettes d'âges (médiane ± 1 écart type) au sein desquelles ces capacités doivent se manifester. 16 Chapitre 2. Les préalables au projet thérapeutique Le non-accès à ces apprentissages (ou un accès déficitaire ou qualitativement anormal) caractérise le groupe des « troubles spécifiques des apprentissages », à savoir : les dyslexies, les dysorthographies, les dyscalculies, les dysgraphies et les dyspraxies. La dénomination même de ces troubles, neurodéveloppementaux, reflète la force du lien qui unit ces pathologies et la scolarité. Manger (avec des baguettes, une fourchette et un couteau, les doigts…). S'habiller (avec un sari, un blue-jean, un soutien-gorge, des bandes molletières, une cravate, des lacets, une fermeture Éclair, des boutons, des fibules…). Écrire (avec un calame, un pinceau, une plume, un stylo à bille ; de haut en bas ou de droite à gauche…). Conduire une voiture (ou un carrosse, un âne bâté, un rickshaw, un char à voile…). Changer une roue (ou ferrer un cheval), utiliser une perceuse (ou un fléau, un silex, un laser, une souris d'ordinateur, un rouleau de scotch…). Jouer de la trompette (ou de la harpe, du violon, de la batterie, de la viole de gambe, de l'harmonica…). Allumer la lumière (ou une bougie, le gaz, un feu de bois…). Éteindre son réveil (ou sonner les cloches, retourner un sablier, construire un cadran solaire). Se faire un brushing (ou des nattes, un chignon…), se raser, se tailler la barbe, se couper les ongles, se maquiller… Jouer à la marelle (ou avec des cubes, en construisant une cabane, avec un diabolo, une console de jeux). Tisser, tricoter ou broder, etc. Apprentissage gestuel En ce qui concerne les gestes (ensemble intentionnel de mouvements coordonnés dans le temps et dans l'espace en vue de réaliser une action finalisée), comme pour toutes les capacités sensorimotrices et cognitives, certains ressortent de mécanismes « obligés », sélectionnés par l'évolution, et d'autres dépendent strictement d'un enseignement et d'un entraînement spécifiques, en fonction de l'environnement culturel particulier dans lequel le sujet se développe, puis évolue. Le développement des coordinations sélectionnées par l'évolution suit un rythme chronologiquement contraint et hautement prévisible, connu sous le terme de « développement psychomoteur » : tenue de tête, ramper, station assise, quatre pattes, prise fine pouce-index, station debout, marche libre, équilibres statiques, équilibres dynamiques (sauts), réception de mobiles (balles), etc., développement intégrant également les coordinations oculo-motrices et oculo-manuelles. Classiquement, c'est un retard (ou une anomalie qualitative) dans ce développement-là qui est désigné par le terme, toujours très employé, de retard psychomoteur (ou TAC). Ces gestes, qui emplissent notre quotidien, dépendent étroitement de l'époque, de la région du monde et même de la famille dans laquelle nous sommes nés. Certains savent jouer du piano, faire du tennis ou gaver les oies, d'autres utilisent habilement une scie, un vilebrequin ou une poêle à crêpes. D'autres encore ne savent pas et ne sauront jamais faire ces gestes de façon habile : cela dépend de choix personnels et/ou de l'environnement dans lequel nous avons grandi et dans lequel nous évoluons. D'autres gestes au contraire, « facultatifs » au regard de l'évolution, sont cependant indispensables dans une communauté ou une société donnée : leur enseignement progressif par les adultes contribue à inscrire l'enfant dans son environnement social et culturel. Cependant, au-delà de cette variété, certains gestes doivent être acquis, à certains âges, dans certaines cultures, sous peine de constituer, dans cet environnement-là, un handicap. Exemples Gestes culturels (et variabilité en fonction de l'époque et du lieu) Ainsi, se laver et prendre soin de son apparence (se raser, se coiffer, se moucher…), manger et s'habiller conformément aux habitudes de son groupe d'appartenance, mais aussi, dans les pays i­ndustrialisés, Se saluer (en faisant un salut de la main, en joignant les deux mains et en inclinant le tronc, en faisant une bise, en baissant les yeux, en faisant la révérence…). 17 L'enfant dyspraxique et les apprentissages traverser la rue, conduire une voiture, lire, écrire, utiliser les outils scolaires (trousse, cartable, règle, compas, classeur, bâton de colle…) et l'ordinateur sont, entre autres, des acquis indispensables. tisé, il sera produit sans effort, avec un haut degré de réussite. Mais suffit-il de « voir faire » (observation, démonstration) ou bien le geste s'apprend-il essentiellement en s'exerçant, en l'effectuant, en expérimentant par essais et erreurs successifs jusqu'à la constitution du « bon geste », celui qui, harmonieux et efficace, peut s'automatiser et s'effectuer avec un minimum de contrôle attentionnel ? En outre, lors de l'entraînement, comment prendre en compte les différents éléments susceptibles de faciliter l'apprentissage : réalisation du geste dans des contextes variés (sollicitant l'adaptation à l'environnement), nature et importance des feedback (informations en retour) restitués à l'apprenti sur sa performance, simulation et convocation consciente de l'image motrice, description verbale de certains aspects du geste, etc. ? Ces questions sont évidemment cruciales en rééducation. De très nombreux travaux, issus aussi bien des neurosciences que des techniques d'entraînement pour des sportifs de haut niveau, cherchent à éclaircir ces points ou à définir leur importance réciproque [22]. Nous renvoyons le lecteur à ces études et publications qui constituent un corpus théorique pour comprendre comment les sujets tout-venant acquièrent un nouveau geste. Les études chez le sujet dyspraxique – c'est-à-dire chez lequel certaines des stratégies efficaces chez le sujet « normal » se révèlent inutilisables – sont plus rares et plus parcellaires [23]. Nous rappelons ici simplement certaines données concernant les « neurones miroirs ». La mise en évidence, dans les années 1990, de neurones bimodaux, visuo-moteurs, a en effet considérablement modifié notre perception des mécanismes qui régissent l'apprentissage gestuel. Ces études font état de deux sortes de neurones visuomoteurs [24] : • les neurones dits « canoniques » – les voies pour l'action (le « comment faire ? ») – réagissent à la présentation d'objets « manipulables ». Ils assurent une association systématique et adéquate entre la vision et les caractéristiques fonctionnelles de l'objet. Ils codent la représentation motrice d'une interaction correcte avec l'objet. Ils précisent donc comment attraper, saisir l'objet et comment agir (cf. la notion d'affordance selon Gibson [25, 26]). Ainsi, voir un crayon ou un marteau (ou un téléphone ou une poêle à frire) active de façon automatique, non Les anomalies de constitution et d'automatisation de ces gestes appris (alors que l'enfant a bénéficié d'un enseignement habituel) sont la caractéristique clinique qui spécifie le groupe des dyspraxies. C'est lorsqu'elles se manifestent en l'absence de tout retard psychomoteur que les dyspraxies sont les plus typiques, mais aussi les plus difficiles à diagnostiquer. Au contraire, lorsque tous les gestes se développent de façon anormale (retard psychomoteur et dyspraxie), le diagnostic est plus précoce et alors plus souvent dénommé TAC (trouble d'acquisition des coordinations). Différents mécanismes sous-tendent ces apprentissages gestuels (y compris un dosage en proportions variées de ces différentes procédures), également utilisés en rééducation : • l'observation (spontanée ou organisée délibérément comme dans la démonstration) : on montre le geste à accomplir (ou un élément caractéristique ou une séquence de ce geste) que l'enfant doit regarder attentivement ; • l'imitation : l'enfant observe dans l'intention de reproduire ensuite le modèle le plus exactement possible ; • l'entraînement : l'enfant tente de réaliser le geste (ou l'enchaînement gestuel). À chaque essai, il conçoit et planifie le geste (sa finalité, sa réalisation, son contrôle proactif), puis, lors de sa réalisation effective, il perçoit (proprioception, kinesthésie) les caractéristiques du geste accompli (réglages posturaux, amplitudes, force, configuration des différents segments corporels, trajectoires…) et il introduit des corrections en fonction de l'appréciation (jugement : fonctions exécutives) du résultat obtenu (boucle de contrôle efférences/réafférences, régulation rétroactive). Au cours des essais successifs (apprentissage par essais et erreurs), un « schéma moteur » de plus en plus performant émerge normalement peu à peu, dont les caractéristiques se rapprochent de plus en plus du geste expert. Une fois ce dernier engrammé (inscrit cérébralement, mémorisé) et automa- 18 Chapitre 2. Les préalables au projet thérapeutique consciente et simultanément, non seulement la signification de l'objet que je regarde (je reconnais que c'est un marteau ou un téléphone), mais aussi son usage : je sais comment le saisir, quels gestes je dois effectuer pour l'utiliser ; • les neurones dits « miroirs » – les voies pour la perception et la signification de l'action (le « pour faire quoi ? ») – s'activent lors de l'observation d'une action faite par autrui (certains neurones ne répondent qu'à un type d'action). G. Rizzolatti a montré que l'observation d'une action provoque, chez l'observateur, l'activation des mêmes réseaux de neurones que la réalisation effective du geste chez l'acteur (aires frontales prémotrices et pariétales). Leurs propriétés en font (entre autres) des candidats de choix pour contribuer à l'apprentissage par observation et imitation. Cependant, pour activer cette classe de neurones, l'action observée doit répondre à certains critères : – impliquer principalement les mains et/ou la face, – se rapporter à des postures corporelles, des mouvements de type biologique (par opposition à des mouvements produits par des objets manufacturés ou des mécanismes). Ainsi, les nouveau-nés distinguent les mouvements biologiques des mouvements mécaniques d'un robot humanoïde (l'expérimentation, faite dans le noir, ne laisse visibles que les capteurs posés aux différentes articulations), – concerner une action finalisée dont l'observateur comprend le but, la signification, l'intention. A contrario, cela implique que le mime, les gestes arbitraires ou une action qui n'est pas porteuse de sens pour l'observateur ne déclenchent pas de réponse des neurones miroirs : un apprentissage préalable est donc nécessaire à leur mise en route. Les gestes connus et les gestes nouveaux (du point de vue du sujet) ne sont pas traités par les mêmes voies [22, 27, 28]. Ceci est corroboré par des travaux en imagerie fonctionnelle [29, 30] : l'imitation de gestes arbitraires active des réseaux partiellement différents de l'imitation de gestes signifiants, reconnaissables et (re)connus par le sujet. Cela rend bien compte de certaines dissociations observées en pathologie, chez certains jeunes dyspraxiques : certains peuvent imiter des gestes signifiants et sont incapables d'imiter des gestes sans signification (configurations digitales ou manuelles arbitraires) ; d'autres ne peuvent pas imiter des gestes que par ailleurs ils reconnaissent et identifient parfaitement et qu'ils peuvent même produire sur consigne verbale. Cette distinction (entre gestes connus ou inconnus du sujet) est fondamentale, en particulier lorsqu'on envisage un apprentissage gestuel intentionnel (ce qui est le cas pour les gestes « culturels », spécifiquement praxiques) [22]. Enfin, les neurones miroirs ne sont impliqués que par le but (la signification, la finalité, l'intentionnalité) de l'action : ils ne codent pas les détails (morphologiques, cinématiques) de la réalisation du geste et l'observateur n'est pas sensible aux caractéristiques fines du modèle. C'est la raison pour laquelle voir autrui réaliser un geste (observation, démonstration) aide peu l'observateur naïf à réaliser avec habileté (ou précision) ce même geste. C'est encore plus vrai chez l'enfant qui évalue encore mal sa propre posture et qui maîtrise mal l'organisation des différents segments corporels entre eux et par rapport à l'axe. Par ailleurs, Michel Desmurget insiste sur l'intérêt de distinguer différents types de gestes, dont la réalisation impose des contraintes d'apprentissage différentes : les morphocinèses et les chronocinèses d'une part et les téléocinèses d'autre part. Les morphocinèses (organisation morpho­ logique du geste réclamant des coordinations spatiales) et les chronocinèses (organisation chronométrique du geste réclamant des coordinations rythmiques et temporelles) sont des gestes dans lesquels les trajectoires et la forme finale du geste sont parfaitement spécifiées. Cela permet, lors des essais successifs et de l'entraînement progressif, l'émergence d'une représentation codée (abstraite, amodale) stipulant les caractéristiques du geste. Ainsi, pour ce type de gestes, une représentation abstraite de la forme et/ou de la structure temporelle (ou rythmique) s'élabore, spécifiant les rapports topologiques et/ ou chronologiques des différentes composantes du geste. L'apprentissage consiste alors à approcher, puis à acquérir (à stocker en mémoire) « le bon geste ». 19 L'enfant dyspraxique et les apprentissages Exemples variables, de la forme et l'emplacement relatif de l'interrupteur (se hisser sur la pointe des pieds et étirer le bras vers le haut ou, au contraire, se mettre accroupi et orienter le bras semi-fléchi vers le bas…), mais, dans tous les cas, on peut définir la « règle » comme la combinaison de deux impératifs : situer l'axe corporel et un bras de telle façon que l'interrupteur touche (entre en contact avec) l'extrémité du membre supérieur choisi ; isoler une partie de la main (le plus souvent l'index) pour exercer une pression. Ces deux contraintes (« règles ») permettent de réaliser l'action (« allumer, appuyer sur l'interrupteur »), quelle que soit la forme gestuelle sous laquelle l'action est effectivement réalisée. Exemples donnés par M. Desmurget Morphocinèses : l'écriture, mais aussi la danse, l'utilisation de certains outils ; Chronocinèses : la dactylographie, les lancers, le piano… Ainsi, le geste « dessiner la lettre /n/ » (morphocinèse), au-delà des infinies variations individuelles, impose un schéma commun minimum qui permet justement d'y reconnaître la lettre /n/ et, au-delà des innombrables réalisations possibles, de la ­différencier de /r/, ou de /h/, ou de /u/. Les caractéristiques significatives de ces gestes sont imposées par la forme finale à obtenir. Il en est de même pour la plupart des gestes d'utilisation d'outils (on apprend la bonne prise, le bon geste, dont la forme optimale est définie par les experts). Ces distinctions (gestes liés à l'espèce/gestes culturellement appris, morphocinèses/téléocinèses) sont certainement au cœur des dissociations fréquentes chez les jeunes dyspraxiques, qui étonnent et font même quelquefois douter de la réalité de leurs troubles (cf. p. 5 et 114). De façon habituelle, nous constatons que certains gestes leur sont accessibles quasi normalement (enfoncer les touches d'un interrupteur, taper sur un clavier), alors que d'autres (plus morpho­logiques et dans lesquels les facteurs spatiaux sont généralement prééminents) ne peuvent pas être réalisés correctement… Les téléocinèses consistent en une action sur l'environnement. Seul le résultat final est spécifié (et non la configuration gestuelle en elle-même, qui, pour produire le résultat voulu, peut être d'une infinie variété) : « l'enveloppe morphologique » du geste n'étant pas caractéristique, il est impossible (contrairement aux cas précédents) de construire une ­représentation abstraite qui engramme les caractéristiques générales (spatiales et temporelles) du geste. Dans ces cas, il faut donc essentiellement connaître et comprendre la signification du geste, qui peut être réalisé de mille manières, toutes pertinentes si le résultat attendu se produit : le sujet doit donc construire un ensemble de règles qui lui permettent d'atteindre le but en toutes circonstances, règles qui sont actualisées au cas par cas, en fonction des conditions (corporelles et environnementales) du moment. On voit donc qu'il ne s'agit pas des mêmes procédures d'acquisition du geste selon le type de geste (devant conduire à une représentation abstraite ou à la construction d'un système de règles), selon son caractère (déjà connu ou nouveau)… Si l'on y ajoute la notion que certaines coordinations sensori-motrices émergent « spontanément » lors du libre jeu des systèmes sensori-moteurs (gestes sélectionnés par l'évolution, apprentissage implicite), alors que d'autres nécessitent des instructions explicites et des entraînements progressifs particuliers (gestes enseignés) ; si l'on n'oublie pas le fait (évident) que la simulation comme la réalisation gestuelle sont profondément ancrées dans les compétences spatiales (espace corporel, espace de préhension, espace lointain, espaces coordonnés dans un système de repères ego- et allocentrés que le sujet doit pouvoir ­manipuler) ; si on Exemples Exemples de téléocinèses donnés par M. Desmurget : appuyer sur le bouton de l'ascenseur, pointages Le geste « allumer la lumière » (téléocinèse) peut consister à appuyer sur (enfoncer) un interrupteur (un bouton). Ce geste peut nécessiter des organisations gestuelles très différentes à partir de positions corporelles 20 Chapitre 2. Les préalables au projet thérapeutique Cette gestion automatisée de l'essentiel de l'activité cérébrale concerne l'ensemble des tâches habituelles, routinières pour le sujet, laissant ainsi disponibles d'importantes ressources attentionnelles qui peuvent être allouées à d'autres activités simultanées : • des activités non encore automatisées, qui requièrent donc le contrôle et la régulation de différents paramètres encore non suffisamment maîtrisés. Toutes les tâches nouvelles pour le sujet nécessitent attention et contrôle volontaire. C'est la raison pour laquelle elles sont perçues comme « difficiles » et fatigantes par le sujet. C'est le cas de toutes les tâches en cours d'apprentissage (par définition non encore automatisées) et de toutes celles qui sollicitent des fonctions pathologiques (gestuelles et spatiales en cas de dyspraxie, linguistiques en cas de dysphasie/dyslexie, etc.) ; • des activités dites de haut niveau (résolution de situations-problèmes au sens très large du terme, compréhension…), qui réclament la coordination et le contrôle de divers paramètres dont la conjonction est rare ou que le sujet rencontre pour la première fois (adaptation à des situations nouvelles). Dans ces deux cas, on parle de processus contrôlés (par les fonctions attentionnelles et exécutives). On dit aussi que ces tâches requièrent une importante charge mentale. prend en compte l'importance fondamentale des fonctions exécutives, qui jouent un rôle à plusieurs niveaux de l'action (décision et pertinence à déclencher tel geste, motivation, anticipation des conséquences, planification et stratégie pour la réalisation de l'action, comparaison entre le projet et le résultat) ; si on réalise que, à tous les niveaux, les systèmes de régulation (sensorimoteurs et cognitifs) du geste peuvent intervenir en amont de la réalisation (contrôle proactif) et/ou en aval de son déclenchement (contrôle rétroactif) ; alors, on comprend la grande variété des troubles du développement gestuel, chaque élément cité ci-dessus pouvant potentiellement se développer de façon atypique et/ou anormale, et ce isolément ou en combinaison avec d'autres… « Le TAC se caractérise par une grande hétérogénéité tant dans ses manifestations symptomatiques que dans l'ampleur de celles-ci. » J.-M. Albaret, P. de Castelanu19 Sur un plan clinique, il est plus efficace de distinguer : • des dyspraxies « de conception » ou encore de planification, souvent associées à des troubles des fonctions exécutives ; • des dyspraxies « de production » ou « d'exécution » (Stamback, et al. [32] parlent de dyspraxie « motrice »), qui s'accompagnent de troubles visuels et spatiaux, de loin les plus fréquentes lorsque la dyspraxie est isolée (sans autre « dys- » associé). Notion de double tâche Les performances attentionnelles (au sens ­neuropsychologique du terme) caractérisent un ­individu donné, à un moment donné de son développement : l'attention se développe et évolue, comme toutes les autres fonctions cognitives, avec l'âge (se reporter aux tests d'attention étalonnés chez l'enfant, tels que ceux de la NEPSY ou TEACh, éditions ECPA). Processus contrôlés versus automatisés La grande majorité des processus perceptifs, sensori-moteurs et cognitifs, une fois la décision prise de les mettre en œuvre, se déroule normalement, sans intervention volontaire de la part du sujet, hors de notre champ de conscience et sans que nous ne puissions exercer intentionnellement un contrôle sur leur déroulement. 19 Surtout, l'attention est une fonction aux multiples facettes, dont « la quantité et la qualité » ne sont pas extensibles à volonté : on parle de réservoir à capacité limitée. Albaret JM, Castelanu P (de). « Démarches ­iagnostiques pour le TAC ». In : Geuze RH. d Le trouble de l'acquisition de la coordination. ­Marseille : Solal ; 2005. Cette notion, fondamentale, signifie qu'on ne peut pas « toujours plus » (plus longtemps ou plus intensément) faire attention. Lorsque le réservoir 21 L'enfant dyspraxique et les apprentissages attentionnel est vide, aucun contrôle ne peut plus être exercé sur l'activité en cours et il faut attendre un délai minimal « de récupération » avant de pouvoir de nouveau solliciter les fonctions attentionnelles (pause, récréation, interclasse…). Par ailleurs, lorsqu'on doit conduire deux (ou plusieurs) tâches simultanément, ce qui est le cas le plus fréquent aussi bien en classe que dans la vie quotidienne, il est nécessaire qu'au moins une des deux tâches soit automatisée pour permettre leur réalisation dans de bonnes conditions. Si aucune des deux tâches n'est automatisée, les deux tâches sont ratées (alors que chacune, séparément, aurait pu être conduite de façon satisfaisante). En effet, toute tâche non automatisée (donc non routinière pour le sujet, qu'il s'agisse d'un problème, d'une activité en cours d'apprentissage ou d'une rééducation) absorbe une grande partie (voire la totalité) des ressources attentionnelles disponibles. On dit aussi qu'elle a, pour le sujet, un « coût cognitif » important. Une conséquence immédiate de ce fait est que lorsqu'une tâche requiert d'importants contrôles attentionnels (tâche nouvelle, en cours d'acquisition ou qui sollicite des systèmes pathologiques de type « dys- »), alors cette tâche ne peut être réalisée qu'isolément, souvent partiellement, durant un temps réduit, avec lenteur et fatigue, tout en faisant l'objet d'une exécution médiocre. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, lorsqu'ils enseignent une nouvelle notion (une nouvelle procédure, un nouveau concept), les pédagogues s'appuient sur des tâches antérieures que l'enfant ­maîtrise déjà parfaitement (automatisées), de façon à concentrer les efforts attentionnels sur les aspects nouveaux qui font l'objet de la leçon actuelle. Cependant, il arrive fréquemment que les rééducateurs et les enseignants, à leur insu, mettent l'enfant « dys- » en double tâche. En effet, certaines compétences (visuelles, gestuelles…) sont habituellement acquises bien avant l'âge de la scolarité et/ou normalement se développent sans intervention volontariste ni consciente des adultes (apprentissages implicites). Il est alors très difficile aux non-spécialistes (parents, enseignants…) d'imaginer que certains enfants qui, sur le plan moteur, intellectuel et comportemental, apparaissent comme « normaux » ne possèdent pas ces compétences « de base ». Exemples Lors de la lecture : de nombreux enfants atteints d'une dyspraxie visuo-spatiale (DVS) ne peuvent acquérir ni automatiser le « geste oculaire » précis nécessaire pour une saisie automatique et efficace des informations. De ce fait, la toute première opération nécessaire à la lecture – la saisie visuelle fine et précise des indications littérales et textuelles – réclame de leur part une attention et un contrôle volontaire de leurs mouvements oculaires, contrôle épuisant, méconnu de tous, qui génère lenteur et fatigabilité anormale (cf. p. 102). Surtout, cela met l'enfant en double tâche, à l'insu des adultes non informés : l'enfant ne peut pas, simultanément, contrôler ses gestes oculaires et les opérations liées au déchiffrage du texte. La compréhension en est très négativement affectée. Si l'on ignore ce problème et que, face aux difficultés de lecture de l'enfant, on lui propose une rééducation « classique » (plus d'entraînement à la lecture, cf. p. 5), on engage le jeune dans une voie sans issue (du fait de son handicap neurovisuel) et l'on organise à la fois son découragement (les efforts fournis ne seront jamais gratifiants) et son échec scolaire… Lors de la production d'écrits (cf. p. 50) : à partir du CE1-CE2, les enfants toutvenant commencent à automatiser suffisamment le dessin des lettres (écriture manuscrite), ce qui leur permet de dégager des ressources attentionnelles pour l'orthographe, la signification ou l'élaboration d'un texte. Ce n'est jamais le cas des enfants dysgraphiques, obligés d'engager une grande partie (voire la totalité, selon l'intensité du trouble) de leurs ressources attentionnelles dans la gestion et le contrôle du geste graphique : non seulement ils s'y épuisent (lenteur et fatigabilité), mais, surtout, ils sont en double tâche dès qu'ils prennent leur stylo ou leur crayon, ce qui compromet gravement leur accès aux notions essentielles pour lequelles pourtant la tâche a été conçue (orthographe et/ou apprentissage de vocabulaire et/ou élaboration d'un texte…). 22 Chapitre 2. Les préalables au projet thérapeutique Ainsi, ce n'est pas la même chose, pour un jeune atteint de dysgraphie dyspraxique, de pouvoir dessiner à peu près correctement les lettres durant la séance d'ergothérapie (le graphisme manuel et le dessin des lettres sont alors la seule tâche visée), ou bien durant une dictée en classe, ou lors de la prise de notes, ou lors d'une rédaction. Dans ces derniers cas, les tâches visées par l'enseignant supposent obligatoirement une certaine automatisation du graphisme. Sinon, l'enfant est en double tâche et c'est toujours la tâche de bas niveau (ici, la réalisation du dessin des lettres) qui le mobilise et vide l'essentiel de son réservoir attentionnel, aux dépens de la tâche de haut niveau (orthographe, compréhension, élaboration et planification d'un texte…) qui ne peut donc pas être traitée (ou, dans le meilleur des cas, seulement partiellement). Les « dys- » : le surhandicap de la double tâche On voit par les exemples précédents qu'un des problèmes essentiels que ces enfants « dys- » rencontrent lors de tous les apprentissages et tout au long de leur scolarité réside dans le fait qu'ils ne peuvent réaliser facilement ni « routiniser » des traite­ments dits de « bas niveau » (sensori-moteurs, gestuels et spatiaux), traitements qui font normalement l'objet d'une acquisition implicite précoce, puis d'une automatisation chez les enfants tout-venant. De ce fait, des tâches élémentaires restent « coûteuses » pour les jeunes dyspraxiques. Elles sont à l'origine de situations quasi permanentes de double tâche, le plus souvent à l'insu de tous. Exemple Il faut donc, après avoir analysé les troubles aussi finement que possible (cf. p. 10), être en mesure de lister les activités dans lesquelles ces capacités déficientes sont normalement (et souvent implicitement) sollicitées (cf. chapitres 8 et 10). Ensuite, il faut en informer l'enfant et les parents pour l'en libérer au maximum, mais aussi les rééducateurs et les enseignants afin que les mesures proposées soient réellement comprises et acceptées de tous. Beaucoup de parents (ou d'adultes en général) signalent combien ils sont dépités de constater que l'enfant peut faire certaines choses à certains moments, ponctuellement, sans arriver à les effectuer systématiquement à chaque occurrence. Ils sont alors persuadés que l'enfant fait preuve d'une certaine mauvaise volonté (« Quand il veut, il peut ») ou qu'il se complaît dans la dépendance à l'adulte (« Il veut rester bébé »). Or, la plupart du temps, il s'agit de gestes acquis en rééducation (lacets, habillage (cf. chapitre 11), diverses constructions, graphisme manuel, etc.). L'enfant peut produire ces gestes (avec même une bonne réussite) si et seulement si : il ne fait que cela et peut concentrer toute son attention uniquement sur cette tâche ; il n'est pas fatigué ; il dispose d'un temps suffisant (généralement plus long que la normale). Mais s'il veut suivre la conversation en même temps qu'il coupe sa viande (double tâche), alors il doit choisir : ou couper la viande (geste non automatisé, appris et réalisable en rééducation), ou suivre la conversation. De même, s'il doit finir de copier au tableau et écouter les explications de l'enseignant, mettre son manteau et répondre à son copain, tirer un trait et réfléchir à la conversion des millimètres en centimètres, écrire à la main et planifier sa phrase… Rééducations, apprentissages explicites et processus contrôlés L'objectif de la rééducation est de tenter de réduire les symptômes et/ou leurs répercussions en ­proposant un enseignement explicite, là où les autres enfants développent normalement un savoir ou un savoir-faire implicite, secondairement automatisé. Par définition, chez l'enfant souffrant d'un handicap, les activités travaillées en rééducation restent sous contrôle attentionnel (comme une activité « en cours d'apprentissage ») : il ne faut jamais l'oublier lorsqu'on propose à l'enfant d'utiliser telle ou telle stratégie en classe (c'est-à-dire lorsqu'un autre apprentissage est simultanément requis), puisqu'on le mettra alors en situation de double tâche. 23 L'enfant dyspraxique et les apprentissages Il faut donc savoir évaluer le « coût » imposé au jeune « dys- » lors de la réalisation de telle ou telle tâche et savoir préciser quand, à quelles doses et dans quel cadre on peut demander telle ou telle performance à l'enfant. en effet formé pour évaluer les troubles (chaque professionnel dispose de bilans spécifiques), puis mettre en œuvre les remédiations, rééducations et entraînements qu'il juge utiles. Ces rééducations font appel à différentes techniques, généralement en fonction de la formation et des convictions du professionnel, proposant des entraînements variés, souvent présentés sur un mode ludique et ciblés sur les échecs de l'enfant lors du bilan. Il faut aussi évaluer la pertinence d'une rééducation qui donne des résultats visiblement satisfaisants en situation « artificielle », mais qui, de façon masquée, induit un surhandicap caché en situation « écologique ». Méthodes traditionnelles ou « classiques » Il s'agit de méthodes dites sensori-motrices, ou encore globales, qui visent à entraîner (restaurer) simultanément les fonctions sensorielles (proprioception, kinesthésie, fonctions vestibulaires, tactiles), motrices (équilibres, coordinations statiques et dynamiques avec jeux de ballon, de cerceaux, de sauts, de grimper, coordinations œilmain), spatiales (parcours sous diverses formes), schéma corporel…, toutes fonctions impliquées, à divers degrés, dans la réalisation et la régulation du geste [33, 37]. En effet, s'il n'est pas a priori très grave de ne pas bien dessiner les lettres lorsqu'on écrit pour soi-même un court pense-bête (du moment qu'on peut laisser une trace écrite durable et de qualité), il peut être dangereux de favoriser le graphisme manuel si cette performance se réalise, tout au long de la scolarité, aux dépens des tâches de haut niveau normalement liées à l'écrit (orthographe, prise de notes, écoute de l'enseignant, constitution de liens, compréhension, mémorisation, rédaction de textes…). L'enfant écrit de mieux en mieux et, croit-on, « comme tout le monde » (partie visible de l'iceberg, cf. figure 3.2), mais, en fait, plus il écrit à la main, plus il perd d'informations (partie cachée de l'iceberg). Le choix de l'écriture manuelle, dans le cas (malheureusement fréquent) où cette dernière reste sous contrôle attentionnel (double tâche), peut donc constituer un grave surhandicap, à l'origine d'un échec scolaire global indu. « Ces techniques peuvent certes donner des résultats positifs (par exemple, l'enfant progresse dans les exercices travaillés, comme l'équilibre, ou la réception de ballons, ou l'organisation spatiale…), mais sans que ne puissent être réellement mis en évidence des résultats concernant l'aspect fonctionnel, le handicap. » H.J. Polatajko, N. Cantin Dans ce cadre, certaines techniques ont insisté sur tel ou tel aspect plus particulier de la rééducation, faisant porter les efforts sur les processus sous-jacents supposés déficitaires. • La méthode d'intégration sensorielle ou IS [34] est directement issue de l'hypothèse selon laquelle les troubles de régulation du geste de ces enfants seraient secondaires à des troubles d'intégration sensorielle. Le travail porte alors surtout sur les modalités sensorielles dites « proximales », à savoir vestibulaires, proprioceptives et tactiles. Pour ce faire, le thérapeute fait appel à des mouvements de balancement, d'équilibre, d'entraînement tactile et proprioceptif (gestes effectués dans le sable ou d'autres matériaux, sans contrôle visuel). Méthodes de rééducation La prescription des rééducations prend racine dans le diagnostic (de maladresse gestuelle, de dyspraxie, de retard psychomoteur ou de TAC), le plus souvent à raison d'une ou deux séances par semaine durant une durée indéterminée (souvent plusieurs années). Mais outre le fait que la situation de double tâche – pourtant centrale – est habituelle­ment méconnue (ou négligée), la prescription de rééducations individuelles (psychomotricité, ergothérapie) spécifie rarement les objectifs et le contenu des séances, laissés à l'initiative des différents professionnels. Chacun d'entre eux est 24 Chapitre 2. Les préalables au projet thérapeutique C'est le cas de la rééducation graphomotrice habituellement pratiquée par des psychomotriciens. Il s'agit de techniques sensori-motrices globales qui visent expressément, par une progression qui s'inspire de l'évolution normale de l'enfant valide, l'amélioration du geste graphique. Les progrès observés n'ont malheureusement que pas ou peu de répercussion fonctionnelle (en milieu scolaire), du moins dans les pathologies du graphisme qui nous intéressent ici. La méthode Jeannot (ou sa version verbalisée : « le petit chien » [38]) est plus volontiers pratiquée par les ergothérapeutes. Il s'agit de soutenir le graphisme manuel par l'évocation verbale des différentes parties du « petit chien » (oreille, dos, queue…), qui représentent des éléments de chaque lettre à dessiner, éléments qu'il faut enchaîner. À ce jour, à notre connaissance, les effets fonctionnels (scolaires) de cette méthode n'ont jamais été évalués… À noter également, les résultats très décevants d'un programme d'écriture multisensorielle proposé par Lockhart et Law en 1994 [39] : les auteurs eux-mêmes constatent que leurs résultats ne sont pas probants. « Cela fait trente ans qu'aucune preuve convaincante de l'efficacité de l'intégration sensorielle n'a été trouvée. Étant donné le grand nombre d'études échouant à prouver son efficacité, les théories en faveur de cette méthode thérapeutique doivent donc être considérées de manière critique… […] Les résultats cumulatifs de sept études indiquent que l'IS n'est pas plus efficace qu'un placebo dans l'amélioration des performances scolaires qui constituent pourtant l'objectif thérapeutique majeur de l'IS […]. Vis-à-vis des habiletés motrices, l'IS est, dans de nombreux cas, aussi efficace que l'absence de tout traitement. » H.-J. Polatajko, N. Cantin [33]. • L'approche de M. Frostig [35], proche de la précédente, insiste davantage sur les aspects visuels, la coordination œil-main et la ­précision gestuelle (visuo-spatiale, visuo-graphique…). • La méthode « le bon départ » [36] utilise aussi des stimulations sensori-motrices globales, mais propose de façon spécifique de se centrer sur les aspects rythmiques de l'exécution des mouvements (figures géométriques, chansons, mouvements corporels, gestes graphiques…). • De même, la méthode d'entraînement kinesthésique de Laszlo, et al. (1983, 1985, 1988) ne convainc guère : pas ou peu de différence entre les performances des enfants rééduqués selon ces principes et ceux qui reçoivent un traitement « classique », voire… aucun traitement [33]. Exemple Y., jeune dysgraphique de 10 ans, bénéficie d'une prise en charge en graphomotricité à raison de deux séances par semaine. Après 18 mois de prise en charge, le psychomotricien indique (extraits du bilan de suivi d'­évolution) : « Amélioration du graphisme se traduisant par un gain de 4 points au BHK 20, amélioration en qualité et en vitesse […], mais on note une dégradation de la production avec le temps et la fatigue […]. Par ailleurs, les enseignants n'ont pas constaté de modification majeure de son écriture […] ; cela soulève le problème de la généralisation des acquis en situation, en regard de l'importance du travail rééducatif proposé. » Et de conclure : « On note donc des améliorations sur certains des aspects de l'écriture, mais ces dernières restent fragiles et encore incertaines […]. Il semble donc important de continuer et de renforcer ce travail. » En résumé, ces méthodes ont fait l'objet d'études récentes qui sont très décevantes. Aucune de ces méthodes, pour lesquelles nous avons désormais plus de trente ans de recul, n'a obtenu de résultats convaincants [33, 34]. Rééducations du graphisme Là encore, ces techniques, utilisées depuis les années 1970, n'ont pas fait leurs preuves. Les évaluations montrent certes une amélioration discrète, mais qui a tendance à se détériorer à l'arrêt de l'entraînement. 20 25 BHK : Charles M, Soppelsa R, Albaret JM, ECPA ­éditions. L'enfant dyspraxique et les apprentissages mance « plancher » pour cet âge ou ce niveau scolaire. On doit alors s'interroger sur la signification de ces « pseudo-progrès » et sur la justification des rééducations dont ils seraient issus. Cette observation est tout à fait caractéristique, emblématique de toute une série de rééducations, à la fois sans fin (il faut encore et encore « renforcer ce travail », faire « toujours plus de la même chose qui ne marche pas » !) et sans efficacité fonctionnelle puisque le handicap scolaire, le « trouble spécifique des apprentissages » n'est pas amélioré du tout. Méthodes « dynamiques » (ou « écologiques ») Ces approches s'appuient sur une conception dite « dynamique21 » du développement des coordinations gestuelles chez l'enfant. Les systèmes complexes, comportant de multiples variables indépendantes, évoluent toujours vers un état stable, prévisible. Il en serait de même de la gestuelle de l'enfant, dont l'évolution dans le temps serait liée à l'émergence d'une auto-organisation perceptivo-motrice (les patrons de coordination) qui se mettrait en place spontanément sous l'influence du libre jeu des différents systèmes concernés et des contraintes (biomécaniques, environnementales…) dans lesquelles ces systèmes évoluent [40]. Il s'agit donc essentiellement de mettre l'enfant « en situation », en graduant les difficultés via les contraintes qu'il doit gérer : nombre de coordinations et degrés de liberté concernés par le geste, force, amplitude, vitesse… [41]. Idéalement, on propose des exercices dans des situations les plus naturelles possible (« écologiques »), intégrés au mieux dans la vie quotidienne (au domicile ou à l'école, impliquant les parents et les enseignants), de façon brève mais fréquente (séances de 20 minutes, trois à quatre fois par semaine), en visant une tâche précise (saut, lancer, écriture, habillage…) et en variant les contextes de l'action (il s'agit de varier les contraintes pour lesquelles la réalisation du geste est requise afin de gagner en souplesse de réalisation, de favoriser la possibilité de transferts vers d'autres gestes proches mais non travaillés). Les études évaluatives [44] montrent une amélioration statistique notable des performances du groupe rééduqué selon ces techniques par rapport Plus récemment, en 2012, Barray [84] propose une méthode centrée sur l'entraînement à la cursive et conclut sur des résultats positifs concernant 3 des 4 jeunes étudiés. Mais, en réalité, 2 des 4 participants restent en difficulté : l'un reste peu lisible et pratique l'écriture-clavier ; l'autre reste en difficulté lors des activités de copie (double tâche ?) et anormalement lent. Surtout, cette étude ne dit rien de l'amélioration fonctionnelle, de ce pour quoi est utilisé le graphisme en situation scolaire, à savoir permettre et faciliter les apprentissages… Des « progrès » (attestés par les scores à tel ou tel bilan) laissent penser qu'on est sur la bonne voie, alors qu'enfant et rééducateur ne font que courir après un horizon qui semble toujours atteignable et qui recule pourtant au fur et à mesure de l'avancée de la rééducation… et de l'augmentation des exigences scolaires et sociales. Ainsi, Jolly, et al. [4], en 2012, étudient un cas unique, une fillette porteuse d'un TAC (enregistrement de divers paramètres du graphisme via une tablette graphique) : « Les résultats montrent que l'écart entre l'enfant TAC et les contrôles [les auteurs comparent à 5 contrôles appariés selon différents critères] s'accroît avec le temps en dépit des rééducations (figure 3.1). » Rappelons à cette occasion que : • tout enfant atteint d'une pathologie stable (non évolutive) progresse, avec ou sans rééducation. Si les progrès (relatifs) sont plus lents que ceux des enfants valides durant la même période, ils sont concomitants d'une aggravation de l'écart à la norme (cf. figure 3.2) ; • les progrès de l'enfant (y compris à des tests étalonnés) ne sont pas forcément productifs ni fonctionnels si l'enfant reste au-dessous d'un certain seuil qui constitue la perfor- 21 26 Théorie du développement gestuel chez l'enfant inspirée de la théorie physique de l'évolution des systèmes dynamiques et sous-tendant la notion de TAC (trouble d'acquisition des coordinations). Chapitre 2. Les préalables au projet thérapeutique aux groupes témoins (auxquels on a proposé une rééducation « classique », inspirée des principes décrits ci-dessus). Mais, là encore, l'amélioration est mesurée par le score obtenu à un test gestuel, le M-ABC [42], alors que les auteurs soulignent une importante ­faiblesse : ces progrès ne sont pas toujours perçus par les enfants eux-mêmes ni surtout par leurs enseignants, posant toujours la question (primordiale pour nous et pour le jeune) de la fonctionnalité, de la finalité, de la signification des progrès obtenus. Les différentes évaluations de ces pratiques [47, 48] concluent à une amélioration significativement plus importante qu'avec les méthodes contrôle (méthode classique, Ayres), avec des résultats qui se maintiennent après l'arrêt des rééducations et qui peuvent se transférer à d'autres habiletés non travaillées. « Les analyses montrent également une amélioration significative au niveau d'habiletés non ciblées par la prise en charge. […] La CO-OP conduit à des améliorations statistiquement plus importantes que l'ergothérapie traditionnelle. » H.-J. Polatajko, N. Cantin [33] Méthodes cognitivo-verbales Il s'agit d'approches qui font appel, consciemment, à des stratégies cognitives de type analyse de tâche et résolution de problèmes. ­S 'appuyant explicitement sur le raisonnement, la mémoire et le langage et s'inspirant des travaux de Meichenbaum en 1977 [43], elles ont été à l'origine de différentes méthodes, tels l'autoguidage ou les auto-instructions verbales, ou encore, plus récemment, la méthode CO-OP (Cognitive Orientation to Daily Occupational Performance) [45, 46]. On délivre des instructions verbales et l'on fournit des feed-back précis, fondamentaux dans cette approche, pour permettre à l'enfant de juger de sa performance et d'en modifier les ­éléments jugés maladroits, insuffisants ou ratés. Le jeune, lui, est mis en situation de résolution de problème (but, planification, action, vérification), concrètement sollicité par une série de questions : • que dois-je faire ? Quel est mon problème ? (Déterminer et énoncer le but poursuivi) ; • comment vais-je m'y prendre ? (Déterminer la stratégie) ; • que dois-je faire ? (Énoncer précisément les étapes, leur contenu et leur organisation) ; • ai-je bien réussi ? (Comparaison entre la réalisation, le résultat final et le projet initial, feed-back.) Et, le cas échéant, qu'ai-je raté et pourquoi ? (Analyse et repérage explicite du problème rencontré, énonciation des solutions à mettre en œuvre pour y remédier.) On prévoit une série limitée de séances (12 à 15 séances) d'une heure chacune, à raison d'une ou deux fois par semaine. Ce sont, à ce jour, les seules méthodes aux résultats positifs nets, et ce probablement pour trois raisons : • ce sont des méthodes dans lesquelles l'enfant est acteur (c'est lui qui produit l'analyse de la tâche, des erreurs…) ; • on met en avant ses compétences, on utilise les « points forts » du jeune dyspraxique : le langage, le raisonnement, la séquentialisation de la tâche ; • on lui apprend à raisonner sur ses difficultés, ce raisonnement étant facilement généralisable (la tâche actuelle n'en étant qu'une particularisation). Notons encore, au sein des méthodes cognitives, le recours à l'imagerie motrice [49]. Il s'agit de la capacité à s'imaginer et à se représenter en train d'agir, en simulant mentalement une action réelle effectuée par soi-même ou par autrui. Très utilisées pour les apprentissages moteurs dans le cadre de la performance sportive de haut niveau ou en milieu scolaire, ces techniques ne peuvent guère être mises en œuvre avec efficacité avant l'âge de 7–8 ans. En effet, des études récentes [23] ont montré que ce n'est que très progressivement, entre 5 et 7 ans, que ces capacités d'imagerie motrice émergent. En résumé, ces méthodes : • visent à réduire tel ou tel symptôme précis, particulièrement gênant dans la vie de l'enfant (méthode orientée vers la tâche). Elles ne prétendent nullement restaurer la fonction gestuelle et encore moins agir sur un (ou des) 27 L'enfant dyspraxique et les apprentissages • restaurer (au moins partiellement) les processus pathologiques sous-jacents (approches orientées vers le déficit). Ces approches, très critiquables, sont actuellement abandonnées : – d'une part, comme nous l'avons montré plus haut, elles n'ont jamais fait leurs preuves, – d'autre part, les processus déficitaires possiblement en cause sont très nombreux, mal connus dans leurs interrelations et probablement différents selon les enfants (cf. [31, 51] et p. 20–21), – enfin, même si les processus pathologiques en cause pouvaient être précisés, il n'est pas certain que ces déficits primaires soient accessibles à la rééducation ; • limiter le handicap : il s'agit dès lors de réadaptation. C'est bien sûr l'option la plus rationnelle et, de loin, la plus efficace. Le handicap résulte de l'intersection entre une incapacité (ici gestuelle et/ou visuo-spatiale) et l'environnement. Une même incapacité (par exemple, incapacité à se repérer sur un plan) n'a pas la même répercussion fonctionnelle selon le contexte dans lequel elle s'exprime : très gênante si le jeune se promène en ville et se perd, elle devient négligeable s'il dispose d'un GPS… Il en va de même pour : – la dysgraphie : peu gênante pour écrire une liste de courses, tranquillement, au domicile, un dimanche matin ; catastrophique s'il s'agit de prendre des notes durant un cours et que ces notes s'avèrent ensuite être lacunaires et illisibles, – l'habillage, où le handicap peut résulter d'une contrainte particulière, tels la rapidité ou encore le fait que le corps soit humide (sortie de piscine), etc. p­rocessus déficitaire(s) supposé(s) à l'origine des troubles [50] ; • surtout, sollicitant explicitement et intentionnellement les fonctions verbales et raisonnementales du jeune, elles mobilisent ipso facto une part importante de ses ressources attentionnelles. Ces stratégies cognitivo-verbales sont certainement les mieux adaptées à l'enfant dyspraxique, à condition qu'elles ne ­ concernent que : • un petit nombre d'activités, bien ciblées, dont la réalisation est socialement ou scolairement indispensable (cf. chapitre 11) ; • des activités ponctuelles, qui peuvent être réalisées isolément, du fait des importantes ressources cognitives (attentionnelles) qu'elles requièrent, ce qui exclut qu'elles puissent être utilisées pour améliorer le graphisme manuel en situation scolaire… Car, in fine, la véritable question n'est pas celle des méthodes de rééducation, mais bien celle des objectifs auxquels elles sont censées répondre. Objectifs des rééducations Théoriquement, on peut viser trois sortes d'objectifs, isolément ou en association : • réduire le (ou les) symptôme(s) (approches orientées vers la tâche) : c'est une stratégie qui n'a de sens que si elle s'applique à quelques rares symptômes, ponctuels, bien circonscrits, à des tâches bien répertoriées et peu nombreuses, qui induisent une gêne particulièrement humiliante et incontournable (par exemple, le fait de savoir se rhabiller en sortant des toilettes, cf. p. 204). Dans ces cas, une stratégie séquentielle et verbale (petite comptine à savoir par cœur, stratégie CO-OP) est, comme nous venons de le montrer, le choix le plus efficace et le plus judicieux. Cependant, cette stratégie a des limites : réclamant un important contrôle conscient, elle ne peut pas être mise en œuvre en permanence ni dans toutes les circonstances (double tâche, fatigue, impératif de rapidité…) ; Cela suppose donc de repérer les situations de handicap : à l'école, ou au domicile, ou lors de telle activité et, précisément, dans telle ou telle circonstance. On peut alors, selon le cas, l'efficacité et le type de résultat recherché, tenter de rééduquer le jeune (en choisissant préférentiellement une approche cognitivo-verbale) et/ou aménager les conditions environnementales. Le projet thérapeutique individuel comprend donc toujours trois grands axes, qui doivent être clairement identifiés : 28 Chapitre 2. Les préalables au projet thérapeutique • rééduquer (méthode cognitivo-verbale) un ou deux gestes, une ou deux tâches dont la réalisation apparaît incontournable et indispensable dans le contexte actuel ; • aménager (adapter, pallier, compenser) les situations génératrices de handicap. Pour les enfants qui nous occupent, ce handicap peut être social (repas, habillage, sports et loisirs) ou scolaire (apprentissages). Entre 4 et 16–20 ans, dans nos cultures, l'essentiel du projet se concentre autour de l'école, lieu d'apprentissage, mais aussi, par la confrontation permanente avec les pairs, lieu où se forgent les identifications, l'image de soi, la personnalité ; • contourner, éviter… Il faut renoncer à tout rééduquer ! Il faut savoir éviter certaines ­situations, renoncer à certaines habiletés « facultatives ». Bien sûr, c'est au cas par cas, lors de discussions avec l'enfant et sa famille, en fonction de son projet, de sa personnalité, de ses goûts et intérêts qu'il faut négocier pour faire accepter certains renoncements… ou ergothérapie, d'un auxiliaire de vie scolaire (AVS, AESH). Pourtant, s'il est certain qu'il y a, comme dans toute pathologie, des indications types qui répondent au noyau commun justifiant que tous soient réunis sous le même vocable « d'enfants dyspraxiques », il est indispensable de penser la thérapeutique comme une prescription « sur mesure », extrêmement individualisée. En effet, sur le plan purement clinique, le diagnostic de dyspraxie s'actualise au sein d'histoires individuelles et familiales particulières : quoi de commun entre un enfant qui présente une dyspraxie isolée, sans aucun autre signe associé, de très bon niveau verbal, très soutenu par des parents informés et étayants, et un autre atteint de l'association d'un déficit attentionnel, de compétences verbales « limites » et dont les parents sont dépassés, ou encore de cet autre qui souffre aussi de troubles gnosiques visuels sévères associés à des troubles du comportement ? Chaque mosaïque de symptômes, chaque histoire ­familiale, chaque ­trajectoire représente une situation unique qui doit donner lieu à un projet au plus près des besoins de chaque enfant, de chaque famille. Ce projet doit en permanence (au moins une fois par an) être évalué (au regard des objectifs et sous-objectifs explicitement visés), puis réajusté, en fonction des résultats obtenus (ou non) et de l'évolution des exigences environnementales (elles-mêmes variables en fonction de l'âge de l'enfant, du projet scolaire luimême, etc.). Ce n'est pas une juxtaposition de projets « locaux » Mais, le plus souvent, des prises en charge démarrent sans aucun diagnostic précis ou sur une simple suspicion, à partir de la constatation d'un symptôme (maladresse, retard psycho­ moteur, dysgraphie, dyslexie, voire trouble d ­ 'accès au calcul…), c'est-à-dire d'une anomalie qui, « logiquement », apparaît comme « à rééduquer ». Le symptôme est considéré comme « à éradiquer » avec l'idée (plus ou moins implicite) que si l'anomalie peut être gommée ou réparée par une action rééducative adéquate, d'une certaine façon l'enfant sera plus ou moins « guéri », ou du moins ne souffrira plus de son trouble. Au fur et à mesure que des symptômes sont repérés, en cascade, les rééducations se multiplient, souvent sans profit ni amélioration ­f lagrante. Ce que n'est pas le projet thérapeutique individuel À partir des éclairages et exemples précédents, il apparaît donc, comme en négatif, ce que ne doit pas être le projet thérapeutique. Ce n'est pas une réponse stéréotypée à un diagnostic Quelquefois, le diagnostic de dyspraxie, émergeant à la fin d'une démarche bien conduite, déclenche, comme une réponse automatique, « la » prise en charge ou la demande d'un ordinateur, de rééducation en psychomotricité et/ 29 L'enfant dyspraxique et les apprentissages Exemple Quel bilan, après deux ans de cette prise en charge intensive, mais sans aucune cohérence globale ? L'enfant est épuisé (ses parents aussi), mais, malgré cette débauche d'aides matérielles et humaines, en dépit des efforts consentis, nonobstant les progrès pourtant réalisés (en particulier en graphisme manuel – désormais lisible – et un peu en habillage), M. n'a pas pu apprendre à lire et ne peut suivre le rythme imposé par un CP ordinaire. Il est saturé, découragé et en échec sévère. Il a pourtant déjà un an de retard. L'école suggère alors de continuer les apprentissages au sein d'une CLIS… Ni l'enfant ni les parents ne comprennent pourquoi les « choses ne s'arrangent pas », puisqu'« on a tout fait » et que M. est intelligent (ce qui est attesté par l'examen psychométrique pratiqué en cours d'année par la psychologue scolaire). Tout ce qu'il a appris, au terme de ces deux années, c'est qu'il a besoin d'aide « pour tout », qu'il faut qu'il produise toujours plus d'efforts (dont il ne perçoit aucun résultat en retour) et qu'il ne peut pas suivre ses copains qui passent en CE1. En fait, on a juxtaposé, sans logique ni cohérence d'ensemble, des rééducations « locales » qui, isolément, semblent répondre à un besoin, mais qui forment un patchwork disparate et sont de fait sans efficacité. En particulier, la difficulté de M. à apprendre à lire n'a pas été reliée à ses problèmes de regard (cf. chapitre 5). Les « aides » mises en place sont inadaptées. Les liens entre les rééducations et les apprentissages scolaires sont opaques et M. n'est confronté en permanence qu'à ses difficultés dans lesquelles il s'enlise. Le jeune M., 7 ans et demi, en fin de CP, présente une dyspraxie visuo-spatiale (DVS), isolée mais sévère, s'accompagnant d'importants troubles du regard. Lorsque nous le rencontrons, les parents organisent eux-mêmes le suivi de leur enfant en un ballet continu de rééducations en libéral (six séances hebdomadaires). Ils sont allés de spécialiste en spécialiste (psychomotricien, ergothérapeute, graphothérapeute, ophtalmologiste, orthoptiste, orthophoniste, pédopsychiatre), au gré des difficultés et anomalies notées par l'école ou par tel ou tel professionnel. On leur a d'abord signalé le retard graphique : M. « bénéficie » d'une séance par semaine de psychomotricité (proposée par la psychomotricienne qui avait fait le bilan initial), d'une séance de graphomotricité (sur le conseil d'une amie) et d'une séance d'ergothérapie (car on leur a parlé de dyspraxie et ils se sont renseignés sur Internet). Il dispose aussi d'un ordinateur demandé par les parents à la MDPH, dont il ne sait que faire, car M. est très fier de ses progrès en graphisme manuel (cf. p. 52), ordinateur qui embarrasse aussi l'enseignante, mais qui est quand même « un peu » utilisé par l'ergothérapeute pour entraîner M. à des jeux constructifs et spatiaux. La psychomotricienne propose également, durant une partie des séances, un travail centré sur l'habileté corporelle et sur les notions spatio-temporelles. L'ergothérapeute de son côté s'intéresse aussi aux activités de la vie quotidienne (en particulier l'habillage). L'orthoptiste (consultée sur les conseils de l'ophtalmologiste), qui a constaté un important déficit de la poursuite oculaire et une grande difficulté à produire des mouvements saccadiques, a préconisé, pour commencer, une série de 20 séances. Enfin, vers le milieu du CP, désarçonnée devant les grandes difficultés de M. pour apprendre à lire, la maman, sur les conseils de l'enseignante, a mis en place une rééducation orthophonique. À noter aussi que, depuis la grande section de maternelle (date à laquelle, devant l'importance du retard graphique, le diagnostic de dyspraxie a été évoqué par le médecin scolaire), M. a été signalé à la MDPH et dispose d'une AESH à mi-temps. Or, le symptôme n'est qu'un signe. Rester au niveau du symptôme, c'est faire deux types d'erreurs qui pèseront lourd sur l'évolution de l'enfant : • proposer « toujours plus de la même chose qui ne marche pas », car cela conduit à proposer plus d'entraînement, plus d'exercices, plus de démonstrations, plus d'activités préliminaires (les prérequis, les préalables ou les supposés « stades antérieurs »), bref plus d'efforts qui, mal choisis et mal orientés, n'atteignent pas leur but ; 30 Chapitre 2. Les préalables au projet thérapeutique • isoler chaque difficulté : si chaque symptôme est traité comme un trouble autonome, cela empêche de voir (et de traiter) le dysfonctionnement commun qui, en amont, les relie. Chaque symptôme doit être intégré dans un projet global. de « rater une chance » pour leur enfant, ce qui les incite, bien naturellement, à « tout essayer ». Malheureusement, même dans des structures spécialisées (SESSD, SESSAD, IEM, CMPP, CMP…), le projet global reste encore trop souvent la juxtaposition des projets des différents acteurs. Ces structures bénéficient d'un plateau technique très complet et chaque professionnel ­procède – soit à l'admission de l'enfant, soit ultérieurement – à une évaluation spécifique de son domaine. Ces examens, qui permettent de recenser précisément les compétences et incompétences de l'enfant dans différents domaines au regard de son âge, doivent être utilisés pour en faire une synthèse, d'où le diagnostic, puis le projet global doivent émerger. Mais, le plus souvent, la conclusion de ces différents examens – dont une partie est spécifique à chaque domaine professionnel et dont une partie se recoupe (figure 2.1) – consiste en une sorte de listing d'incapacités assorties des rééducations censées réduire chacune : ces pseudo-projets sont alors réduits à une succession d'exercices conçus comme des entraînements progressifs qui doivent faire reculer indépendamment chacun des différents symptômes. La dyspraxie n'est pas la conséquence d'un défaut d'enseignement ni d'une insuffisance d'entraînement (cf. p. 6) : c'est une anomalie neurodéveloppementale, un handicap qui distord ou interdit certains apprentissages gestuels et/ou certains traitements spatiaux. Seul le projet global permet d'attribuer à chaque symptôme sa place dans la mosaïque de problèmes qui assaillent l'enfant, puis de décliner précisément les objectifs d'un projet individuel en termes de priorités, d'objectifs et de sous-objectifs. On comprend que cela est difficile (voire impossible) pour les parents qui doivent (ou qui souhaitent) gérer eux-mêmes les différentes thérapies, d'autant qu'ils sont souvent envahis par l'angoisse Kiné Psychomot. – Motricité – Coordinations motrices et oculomotrices – Structuration temps – Image du corps Ergo – Vie quotidienne – Aides techniques APPRENTISSAGES – VPS – schéma corporel Neuropsychologue ECOLE Enseignant – Facteur G – Fonctions attentionnelles et exécutives – LE – LO – Mémoires Ortho Figure 2.1. La complémentarité des différents professionnels : le risque d'une juxtaposition. Ortho : orthophonie ; Psychomot. : psychomotricité ; Ergo : ergothérapie ; Kiné : kinésithérapie ; VPS : activités visuopracto-spatiales ; LE : langage écrit ; LO : Langage oral. 31 L'enfant dyspraxique et les apprentissages Ces prises en charge se trompent d'objectif : s'il est vrai que l'enfant (au prix d'un entraînement cinq à dix fois plus important que l'enfant tout-venant) peut (partiellement) améliorer (lentement) tel ou tel symptôme (par exemple, graphisme), à quoi lui sert ce graphisme désormais lisible si, durant cette période de rééducation et de « progrès », il prend un retard scolaire rédhibitoire (cf. doubles tâches, p. 21, 51 et 100) ? Il faut donc, en permanence, lutter contre cette tendance « naturelle » à juxtaposer les actions du fait : • des rééducateurs eux-mêmes, qui s'y résolvent souvent faute de réel projet global qu'ils ne peuvent concevoir seuls : un coordinateur, qui effectue la synthèse des données, doit être le pivot du projet ; • des parents, qui espèrent que la disparition de chacun des symptômes sera synonyme de retour à « la norme » ; • des enseignants enfin, qui assimilent volontiers (à tort) le trouble « dys- » à une insuffisance d'entraînement ou d'efforts (cf. p. 6). C'est pourquoi il arrive quelquefois que cela débouche sur une véritable « coalition objective » (involontaire) des différents acteurs. Cette situation déstabilise le rééducateur qui se sent isolé et n'ose plus défendre son projet thérapeutique, redoutant de heurter les parents et d'induire un conflit avec l'enseignant. D'autant que ces conflits, ouverts ou latents, insécurisent gravement l'enfant. Ils rendent compte du refus fréquent des jeunes de faire différemment (c'est l'enfant, nous dit-on, qui veut écrire à la main, qui veut faire comme tout le monde, cf. p. 76) et in fine de ses faibles résultats scolaires en dépit de ses « progrès » en rééducation et de ses excellentes capacités raisonnementales, verbales et mnésiques. Ensuite, il faut disposer de temps de rencontres avec les autres intervenants (rééducateurs, enseignants) et les parents pour expliciter les objectifs poursuivis, tracer les grandes lignes des buts visés et des axes des rééducations et réadaptations, les argumenter, les justifier. Établir un pronostic scolaire Tenter de déterminer le pronostic scolaire est fondamental pour construire le projet thérapeutique, car c'est le fil d'Ariane qui relie entre elles les conséquences des différents symptômes, c'est le cœur du projet thérapeutique pour les enfants souffrant d'un « dys- », c'est ce qui permet de donner force et cohérence aux différentes propositions de ­rééducations et de réadaptations qui sont avancées. C'est en effet le pronostic scolaire qui justifie de faire certains choix thérapeutiques plutôt que d'autres, qui permet de hiérarchiser les actions à entreprendre. Il s'agit de tenter de se projeter, en termes d'évolution, dans un avenir scolaire à moyen et long terme permettant de calibrer les attentes dans les différents domaines et de proposer des aides en adéquation avec ces attentes. C'est, chez l'enfant de 4–16 ans, le projet scolaire et le niveau d'exigence qu'il requiert (en termes de contenu et de contraintes temporelles) qui justifient les choix thérapeutiques. Il ne s'agit pas d'enfermer l'enfant dans un avenir qui serait écrit à l'avance ! Tout pronostic est éminemment hypothétique et ­ doit en permanence être réajusté en fonction de l'évolution réelle constatée au fil du temps, des é vénements particuliers qui jalonnent l'his­ toire de cet enfant-là, etc. S'il est illusoire de croire qu'un pronostic est ce qui va se réaliser (ce n'est qu'un des possibles), il est tout aussi dangereux, lorsqu'on a en charge de jeunes enfants, de refuser toute projection dans l'avenir et de les enfermer dans un « ici et maintenant » stérile. Convaincre de la nécessité d'actions non évidentes pour le grand public, lutter contre le sens commun et obtenir la confiance et l'adhésion des différents acteurs est donc indispensable : cela suppose en premier lieu d'être soi-même bien au clair avec la justification et la motivation des différentes propositions thérapeutiques. 32 Chapitre 2. Les préalables au projet thérapeutique Diagnostic précoce (5–8 ans) et dyspraxie isolée Car l'objectif, en matière de « dys- », c'est de permettre à l'enfant, en dépit de son trouble, de faire des apprentissages (et si possible une scolarité) qui lui offrent un épanouissement personnel, puis ultérieurement une inscription sociale et professionnelle satisfaisante. Lorsque le diagnostic est fait entre 5 et 7–8 ans (grande section de maternelle → début ou mi-CE1), les aides adaptées peuvent être mises en route précocement, autorisant ainsi la poursuite d'une scolarité standard de qualité, dans les temps normalement impartis. Ceci est envisageable si : • l'enfant fait la preuve d'un bon niveau intellectuel (cf. note 13, p. 11), mnésique et verbal, avec une attention auditive de bonne qualité ; • la dyspraxie est isolée : les différentes évaluations ont exclu tout trouble de l'attention, tout déficit de la mémoire de travail, tout trouble gnosique visuel susceptible d'interférer notablement avec les apprentissages ; • il n'y a pas de graves troubles du comportement ou bien ceux-ci, modérés, peuvent être rapportés à l'échec scolaire et/ou directement liés à la dyspraxie (troubles secondaires, induits). Enfin, l'attitude des parents, réalistes quant au trouble mais positifs et étayants, est également un facteur qui peut s'avérer décisif, favorisant l'acceptation des aides et augmentant leur efficacité. En effet, la poursuite d'une scolarité au rythme habituel et visant des diplômes va demander à l'enfant des efforts sur le très long terme, avec des moments difficiles prévisibles, des déceptions, des échecs partiels qu'il faudra pouvoir surmonter. La personnalité de l'enfant et la qualité du soutien parental peuvent être déterminantes tout au long de ce qui peut être vécu comme une véritable course d'obstacles. Tenter d'établir un pronostic scolaire vraisemblable et réaliste représente donc un préalable indispensable à la conception d'un véritable p­ rojet thérapeutique si l'enfant souffre d'une dyspraxie avérée (mais aussi, d'ailleurs, s'il souffre d'un autre « dys- »). En effet, c'est de l'évaluation du handicap scolaire que doit dépendre l'aide (en nature et intensité) à la scolarisation : les moyens déployés, tant en rééducation individuelle qu'en situation scolaire, dépendent étroitement des objectifs visés. De façon forcément très schématique, nous distinguons quatre grands types de pronostics scolaires, selon qu'une scolarité longue peut – ou non – être envisagée : • scolarité longue et si possible diplômante (brevet, baccalauréat) ; • classe spécialisée (ULIS) ; • scolarité courte (CFG22, SEGPA, CAP) ; • pas de projet scolaire, mais un projet éducatif visant l'indépendance sociale dans un environnement adapté (IEM, ESAT, IMP/IMPro, appartement thérapeutique…). Pronostic de scolarité longue Les enfants dyspraxiques – du fait de leur échec prévisible dans les matières scientifiques (cf. chapitres 4 et 8) et de leur incapacité à effectuer des métiers « manuels » – doivent, s'ils en ont les capacités, s'orienter préférentiellement vers des carrières littéraires (philosophie, langues, lettres, droit, histoire, commerce…) qui nécessitent de bonnes performances scolaires et l'accès à des études supérieures diplômantes. On peut succinctement repérer deux grands types de situations qui incitent à considérer comme tout à fait prioritaire le projet scolaire, et ce dans cet objectif de scolarité longue. 22 Paradoxalement, plus il est licite de penser un projet scolaire ambitieux, plus il sera justifié de proposer précocement des palliatifs et des compensations pour répondre aux besoins de l'enfant et faire face aux exigences scolaires. Diagnostic tardif (≈ 11–12 ans), mais chez un enfant « très doué » Une autre situation peut inciter à faire le même pari, celui d'une scolarité diplômante en temps voulu, en dépit du diagnostic tardif. CFG : certificat de formation générale. 33 L'enfant dyspraxique et les apprentissages L'histoire est souvent celle d'un enfant qui est adressé en milieu ou fin de CM2, ou lors de la première année de collège. C'est en effet la prise de conscience des exigences du collège qui incite à consulter, alors même que l'enfant a généralement été repéré depuis longtemps comme étant en difficulté. Mais durant toute la scolarité maternelle et primaire, soit on a banalisé les troubles (« Il n'est pas motivé, il est fainéant, il bâcle, il ne s'applique pas… »), soit on les a interprétés a priori en termes psychodynamiques triviaux 23 (« Il n'a pas le désir d'apprendre, il n'a pas le désir de grandir, il est “bloqué” par des conflits inconscients non résolus… »). C'est souvent la proximité de l'entrée au collège qui met en évidence l'écart entre les possibilités de l'enfant et ce qui va lui être demandé, tant en termes de connaissances que d'autonomie et d'organisation. Mais il est déjà bien tard : toute la scolarité s'est déroulée sous le signe non seulement de l'échec, mais aussi des exhortations inutiles (« Appliquetoi, entraîne-toi davantage »), des conflits (avec les enseignants, avec les parents lors des devoirs à faire…), des déceptions et des découragements. L'enfant s'est construit une image négative de lui et a perdu confiance aussi bien dans ses propres capacités que dans l'aide que les adultes peuvent lui apporter. C'est pourquoi habituellement ces diagnostics tardifs sont de mauvais pronostics : reflétant souvent les dénégations persistantes des adultes, le diagnostic est posé lors de la préadolescence ou l'adolescence, à une époque particulièrement difficile pour gérer la différence (négative) chez un jeune en grand échec scolaire, dont on a largement épuisé les velléités d'efforts et annihilé tout espoir en la scolarité. Pourtant, si l'enfant est d'une part très motivé et d'autre part exceptionnellement doué sur le plan du raisonnement verbal et de la mémoire (notes standard dans ces secteurs supérieures ou égales à 14–15, niveau verbal aux échelles de Wechsler faisant évoquer une précocité intellectuelle…), alors on peut tenter de remettre sur pied un projet scolaire ambitieux. 23 Il est cependant impératif, dans cette configuration, que les parents manifestent une grande motivation : en effet, il faut réussir assez vite (en un an ou deux maximum : au-delà, le projet ne peut plus prendre forme dans les délais impartis par l'Éducation nationale) à convaincre cet adolescent blessé de s'investir de nouveau dans la scolarité, dans les rééducations et dans des adaptations. Lui redonner confiance en ses possibilités, le persuader de prendre encore le risque d'échouer – mais aussi, bien sûr, celui de réussir. Les objectifs et surtout les sous-objectifs du projet, en termes d'acquisitions scolaires, les moyens que l'on veut mettre en œuvre doivent faire l'objet d'explications répétées. Le jeune doit sentir un fort consensus sur ce sujet entre tous les adultes. L'adhésion du jeune et de ses parents à ce projet qui sera semé vraisemblablement d'embûches est un élément absolument fondamental. Au-delà de ces deux situations assez caricaturales et quel que soit le cas particulier de tel ou tel enfant pour lequel on pense justifié de tenter ce challenge – s'engager (l'engager) dans la voie d'une scolarité diplômante –, il faut être conscient que ce type de projet est à la fois très gratifiant (on pense l'enfant « capable de », on envisage pour lui un avenir socialement valorisant) et aussi très difficile concrètement à mettre en œuvre et à réaliser. En effet, cela implique : • des conditions temporelles très contraignantes ; • des capacités (pour les professionnels) à anticiper de façon permanente les besoins de l'enfant et l'évolution des exigences scolaires. Contraintes temporelles Il faut que l'enfant soit capable de faire les acquisitions scolaires prévues par les programmes scolaires, dans les temps impartis. La pression temporelle est intense et ininterrompue : le projet et la manière de le conduire (choix rééducatifs, stratégie de prise en charge) doivent en tenir compte en permanence. Cela implique en particulier de privilégier clairement les principaux objectifs scolaires à atteindre au fil des ans et donc de choisir des méthodes d'accès à ces savoirs rapidement accessibles aux jeunes en dépit de leur dyspraxie. C'est pourquoi on fera plus souvent et plus précocement le choix de palliatifs efficaces pour permettre l'accès aux savoirs. L'erreur, évidemment, n'est pas l'interprétation psychodynamique en soi (dans de nombreux cas, elle peut être pertinente), mais le fait qu'elle intervienne a priori comme « explicative » de l'échec scolaire et soit souvent évoquée par des non-spécialistes… 34 Chapitre 2. Les préalables au projet thérapeutique Cette contrainte temporelle est malheureuse­ ment assez souvent négligée ou sous-estimée par les rééducateurs, uniquement préoccupés des « progrès » apparents de l'enfant (indépendamment de leur efficacité pour réduire le handicap scolaire) et de « respecter le rythme de l'enfant » (rythme malheureusement toujours trop lent), avec l'espoir qu'il puisse ainsi mieux s'épanouir. Or, outre le fait que l'échec scolaire est rarement épanouissant, permettre l'accès de ces jeunes à un diplôme valorisant est exigeant. Il ne suffit pas qu'ils « poursuivent leurs progrès », ni qu'ils « fassent des apprentissages », ni qu'ils finissent plus ou moins par « faire comme tout le monde ». Deux années de décalage négatif dans les savoirs entre 4 et 16 ans ruineront définitivement tout projet scolaire et professionnel de ce type, et ce quelles que soient leur motivation et leurs capacités potentielles. Pour ces enfants, c'est là tout le challenge : il faut réussir à transformer leurs potentialités en performances effectives, et ce dans un délai imposé par l'école. Il faut donc être très vigilant lorsqu'on évoque un maintien en maternelle, surtout si ce dernier est uniquement (ou essentiellement) motivé par un retard graphique et/ou un « manque d'autonomie ». En effet, si ces problèmes sont ­d irectement en lien avec la dyspraxie, le redoublement améliorera peu et seulement très temporairement les performances de l'enfant (simplement du fait qu'il aura un an de plus), mais la dyspraxie demeurera, toujours accompagnée de son même cortège de difficultés scolaires ­s'accumulant au fil des ans. C'est aussi tout l'enjeu d'un diagnostic précoce (en moyenne ou grande section de maternelle, cf. p. 9), qui permet de prendre des décisions pertinentes, en toute connaissance de cause et en protégeant l'avenir. Un « maintien » injustifié peut compromettre l'opportunité ultérieure d'en faire bénéficier l'enfant si (du fait de la lenteur, de la double tâche, des adaptations nécessaires, de la fatigabilité ou d'autres événements intercurrents) son niveau scolaire (en termes de niveau des acquisitions) se trouvait à certains moments trop loin de ce qui est attendu pour son âge. Il vaut donc mieux, si possible, se réserver la possibilité ultérieure d'effectuer une année scolaire sur deux ans. Exemple Assez souvent, c'est l'intensité du déficit en numération et calcul (cf. chapitre 4) qui fait prendre la décision d'une année en deux ans au décours du CM2 ou lors de l'entrée en sixième. Le jeune G. n'a aucun antécédent particulier. Pourtant, il est très pataud (il évoque son humiliation lors des cours d'éducation physique ou d'une classe externée au ski), très maladroit et en échec scolaire depuis sa première année de maternelle (dysgraphie majeure). En CE2, à la suite d'un bilan psychométrique pratiqué par la psychologue scolaire, le diagnostic de dyspraxie développementale est évoqué. Lorsque nous voyons G. pour la première fois, il est en CM1, sous la menace d'un redoublement. Il se présente comme un garçon très inhibé, en grande souffrance, persuadé qu'il « est bête et nul », se défendant ­douloureusement d'être « un gogol » (un débile !). Les différentes évaluations ­ confirment une DVS sévère chez un garçon intelligent (score de 14 aux ­similitudes24), beau parleur et bon lecteur. C'est dans le domaine du nombre et du calcul que les difficultés de G. culminent : il s'avère avoir un niveau… de grande section de maternelle ! Nous préconisons alors une admission dans notre SESSD, avec un projet sur deux ans pour préparer au mieux son entrée au collège. Peu à peu, la confiance s'établit entre l'enfant, les parents et nous au fur et à mesure que G. se rassure et reprend confiance. Nous déclinons le projet dans différents domaines : rééducation très ciblée autour du nombre, l'objectif n'étant pas l'obtention d'un « niveau de CM2 » qui paraît peu réaliste, mais simplement l'accès à un savoir de base. Après deux ans, G. sait lire, écrire et ordonner les nombres au-delà de 100 000 et il peut résoudre des problèmes de niveau CE2 avec l'aide d'une calculette ; mise en place des aides qui vont le l­ibérer du graphisme et de la double tâche (cf. p. 21 24 35 Épreuve verbale du WISC, épreuve de catégorisation reflétant le niveau d'intelligence générale du jeune. L'enfant dyspraxique et les apprentissages Les nécessaires anticipations et chapitres 3, 6 et 9) : apprentissage du clavier et de l'ordinateur, de logiciels spécialisés (Cabri Géomètre®), contrôles oraux, limitations des écrits, demande d'AESH ; travail de mise en valeur de ses capacités (lecture, récits, raisonnement) et soutien psychologique. Après ces deux années, G. intègre une sixième avec le soutien d'une section ULIS et d'un AESH. Le suivi du SESSD se poursuit dans l'objectif de favoriser une scolarité de qualité, même s'il est prévisible que les résultats dans les matières scientifiques resteront très faibles. Ce jeune a obtenu son bac L avec mention et s'est inscrit en faculté de lettres. En outre, par définition, il s'agit d'un projet à long terme, qui réclame endurance et détermination : il faut « tenir la distance » et ceci concerne aussi bien le jeune et ses parents que l'équipe de rééducation. Il faut sans cesse savoir anticiper et prévoir aujourd'hui les adaptations dont le jeune aura besoin demain, voire après-demain. Attendre que l'enfant soit confronté à un problème pour commencer à chercher ou proposer une solution (ou un contournement) est une stratégie inappropriée en termes de délai de mise en œuvre et donc vouée à l'échec. Engager le jeune et sa famille dans l'espoir d'une scolarité longue et diplômante est donc une décision importante qui doit être discutée à plusieurs reprises, avec franchise et réalisme, avec le jeune et ses parents, en en soulignant les points positifs, mais sans minimiser les éventuels points de fragilité du projet. Des entretiens avec le psychologue peuvent être très utiles. Il faut ensuite préparer soigneusement – et réajuster sans relâche –, des années durant, chaque élément du projet thérapeutique. Car ce type de projet est très exigeant : il mobilise une énergie importante de la part du jeune, mais aussi une disponibilité et une expérience suffisantes de la part des équipes, et ce sur le long terme. Un échec serait à l'origine d'une déception à la hauteur des espoirs que l'on aurait fait naître. Le programme de soins et de rééducations de l'enfant est alors très dépendant du projet qui va dicter ses impératifs : moyens particuliers à mettre en œuvre pour que l'enfant puisse lire et écrire en dépit de son trouble neurovisuel, par exemple, ou stratégies originales d'accès au nombre (cf. chapitre 7), et ce dans des délais brefs (un ou deux ans). Les choix thérapeutiques (rééducatifs et pédagogiques) doivent donc s'ordonner autour de ces priorités. Lorsque l'enfant a deux ans ou plus de décalage scolaire par rapport aux camarades de son âge, outre l'arrêt qui est donné à son projet scolaire et professionnel, il est également en difficulté pour se construire (on lui demande, implicitement, de s'identifier à un groupe de plus jeunes), pour partager des jeux, des intérêts et des préoccupations avec ses copains de classe (figure 2.2). Scolarité spécialisée (ULIS) Traditionnellement, les classes spécialisées de l'Éducation nationale (EN) sont destinées aux SCOLARITE « NORMALE » = Contraintes temporelles Se socialiser, partager, appartenir au groupe +++ Apprendre un métier Obtenir des diplômes Apprendre Figure 2.2. Un projet scolaire exigeant doit intégrer les contraintes temporelles. 36 Chapitre 2. Les préalables au projet thérapeutique élèves qui ne peuvent pas (plus) suivre une scolarité normale, ordinaire. Réservés aux enfants en grand échec scolaire cumulant des troubles et des retards de toutes sortes, ces petits groupes (10–12 élèves) permettent à l'enfant de se libérer du rythme imposé par les programmes et de ­bénéficier d'un enseignement « à la carte » adapté à ses besoins particuliers. Les enfants inscrits dans ces classes, situées dans des écoles de quartier, bénéficient aussi de temps d'inclusion dans les classes ordinaires de l'école, temps choisis en fonction de leur planning et des matières enseignées dans la classe d'intégration, ce qui favorise leur socialisation et leurs relations avec des pairs de leur âge. On distingue des ULIS-école (niveau primaire) et des ULIS-collège. Mais il faut savoir qu'il n'existe plus actuellement de classes dédiées à ces troubles du geste et des traitements spatiaux. Les ULIS sont habituellement polyvalentes, rassemblant des jeunes présentant des troubles des apprentissages variés (spécifiques et non spécifiques), déficients intellectuels, ou dysphasiques, ou « multi-dys- », ou présentant des troubles du comportement, voire un trouble du spectre de l'autisme (TSA). Ces ULIS accueillent donc de fait des publics très hétérogènes. Il est vrai que les ULIS « polyvalentes » facilitent une meilleure proximité géographique par rapport au domicile des familles. Mais c'est aux dépens de la spécificité des actions qui peuvent y être entreprises sur le plan pédagogique. Or, s'il est légitime de ne pas créer de « filières » scolaires à partir d'un diagnostic médical, il est au contraire très important de regrouper les enfants, pour les apprentissages, en fonction de leurs besoins pédagogiques particuliers, surtout lorsqu'on s'adresse à ceux qui, du fait de l'intensité et/ou de la particularité de leur handicap, ne peuvent pas (ou plus) suivre une scolarité standard. Sur le plan pédagogique, on peut en effet distinguer grossièrement : • les enfants qui, en raison de leurs troubles, ont besoin que les informations leur soient essentiellement fournies sous forme de schémas, dessins (ou pictogrammes) ou vidéos, car ils sont en difficulté avec le langage (oral et/ou écrit). Le langage employé doit être simple, largement redondant, favorisant les reformulations, les phrases courtes, les consignes réduites. Les méthodes pédagogiques doivent valoriser l'observation, la manipulation, l'expérimentation active. Cela concerne les jeunes dysphasiques, dyslexiques, mais aussi une partie des enfants malentendants avec troubles associés ; • les enfants qui, à l'inverse, ont besoin de s'appuyer sur le langage pour construire leurs savoirs et qui ne peuvent tirer aucun enseignement des schémas, tableaux, dessins, manipulations et expérimentation d'aucune sorte qui, au contraire, les parasitent. Cela concerne les enfants souffrant de dyspraxie et/ou de troubles neurovisuels, mais aussi certains jeunes malvoyants avec troubles associés, certains IMC porteurs de DVS, etc. Il est évidemment très difficile, pour un enseignant en charge de ces enfants intelligents, dont les troubles neurodéveloppementaux interfèrent directement avec la scolarité, de prévoir une pédagogie qui privilégie à la fois le verbal pour les uns et le non-verbal pour les autres25, le tout au sein d'un petit groupe d'une douzaine d'enfants d'âges variés et dont le niveau scolaire s'étage, selon les matières, sur 4 ou 5 années scolaires. D'autant que, dans certains domaines, les apprentissages scolaires réclament des stratégies très élaborées et tout à fait inusitées en milieu ordinaire (chapitres 6 à 8). C'est la nécessité de ces stratégies pour certains de ces enfants qui rend indispensable le maintien de ces classes spécialisées, sous forme de dispositifs légers et souples, permettant de constituer, ponctuellement, des regroupements en fonction de besoins pédagogiques communs. La loi du 11 février 200526 favorise l'inclusion scolaire : c'est un progrès indéniable. Cependant, cela ne doit pas conduire à réduire drastiquement les structures intermédiaires et spécialisées : il est très 25 26 37 On pourrait d'ailleurs s'interroger sur la formation de ces enseignants, qui devraient être « spécialisés en tout » ! Loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. L'enfant dyspraxique et les apprentissages important de conserver un large éventail de structures, dispositifs et services capables de répondre à la diversité des cas cliniques, des évolutions, des besoins. Dans tous les cas, les jeunes dyspraxiques (contrairement aux jeunes déficients mentaux) ont besoin que leurs capacités préservées, leur intelligence et leur raisonnement soient utilisés comme leviers pour favoriser leurs apprentissages. Dans le même temps, la façon dont leur fonctionnement intellectuel est affecté par leur(s) trouble(s), les mécanismes qui gênent ou favorisent les apprentissages doivent être bien connus des enseignants qui, en collaboration avec les services de soins, sont en charge de prévoir, au cas par cas, les adaptations spécifiques (puis les progressions) indispensables. Faute de quoi, l'ULIS risquerait de n'être qu'une classe où l'on proposerait à l'enfant « différent » de faire « comme les autres », mais plus lentement et plus longtemps ! Quelle serait alors la finalité de ces classes ? Le projet de socialisation est, pour les jeunes dyspraxiques, nécessaire mais très insuffisant. Le projet scolaire doit rester un véritable projet d'apprentissages. Idéalement, il faudrait donc disposer d'ULIS spécifiquement dédiées aux jeunes dyspraxiques et pathologies assimilées27, des classes officiellement étiquetées « troubles des fonctions non verbales ». Quels enfants faut-il envisager d'orienter vers une ULIS ? On peut distinguer, là encore de façon schématique, trois cas de figure : • l'enfant qui, mal orienté ou dont le diagnostic a été trop tardif, a pris un retard trop important et ne peut plus, en l'état, prétendre suivre une scolarité « normale » ; • l'enfant « multi-dys- » (cf. p. 38) ; • l'enfant dyspraxique dont les capacités raisonnementales (facteur G, cf. note 13, p. 11) sont normales mais faibles (notes standard 27 aux épreuves de facteur G verbales ≈ 7–8), n'autorisant pas les compensations indispensables nécessitées par la présence du trouble « dys- ». Dans ces conditions, la poursuite de la scolarité en inclusion peut être vécue comme un véritable harcèlement, alors même que l'on sait que cela ne permettra pas au jeune une réelle orientation scolaire ou professionnelle satisfaisante. L'orientation vers une ULIS peut permettre des apprentissages dans un climat moins exigeant, mais autorisant cependant une bonne autonomie sociale. L'enfant « multi-dys- » Le petit groupe, une bonne appréhension des troubles par un enseignant formé et la mise en œuvre de techniques, méthodes et matériels particulièrement adaptés permettent certains apprentissages qui ne sont envisageables que dans une classe spécialisée. Cela concerne, par exemple, au sein de la population des jeunes dyspraxiques : • les jeunes qui souffrent d'une dysphasie et d'une dyspraxie : sauf exception, le trouble du langage doit être pris en compte en priorité, mais la présence de la dyspraxie complique notablement la mise en œuvre de certaines compensations habituellement utilisées pour les jeunes dysphasiques/dyslexiques (cf. cidessous exemple 1) ; • ceux chez lesquels s'associent dyspraxie et agnosie visuelle, du moins si l'agnosie visuelle est handicapante et s'accompagne de traits psycho­tiques (cf. ci-dessous exemple 2) ; • tous ceux qui présentent des troubles importants des fonctions exécutives et/ou de l'attention (avec ou sans hyperactivité), troubles insuffisamment maîtrisés par le traitement médical ; • tous ceux dont le déficit de la mémoire de travail auditivo-verbale – indépendamment de tout trouble attentionnel et de toute pathologie dysexécutive – est sévère : en effet, privés de cet important outil d'apprentissage et de compensation de leur dyspraxie, ces jeunes ne peuvent pas faire des apprentissages selon les méthodes habituelles ni surtout dans un cadre ou des délais habituels. Sous ce terme, nous désignons tous les enfants souffrant d'une « dys- » qui épargne la sphère linguistique : dyspraxiques bien sûr, mais aussi enfants souffrant de troubles gnosiques visuels, de troubles visuo-spatiaux, de troubles de l'attention, quelquefois regroupés sous le vocable : « troubles non-verbaux [3] ». 38 Chapitre 2. Les préalables au projet thérapeutique avec intolérance aux changements, stéréotypies, langage « décalé », intérêts particuliers…). Pourtant, il fait aussi montre de bonnes capacités verbales et raisonnementales (score aux similitudes = 15) et d'un intérêt (électif) pour certaines activités scolaires : il apprend à lire seul à l'âge de 4 ans (alors que sa sœur aînée est en CP), puis se passionne (de façon excessive mais efficace !) pour les nombres et leur organisation. La scolarité en ULIS permet la mise en place progressive de l'outil ordinateur pour pallier son agraphie (qui reste totale). La prise en compte adaptée de ses troubles gnosiques visuels d'une part et l'instauration d'une psychothérapie régulière d'autre part permettent de faire nettement baisser son niveau d'angoisse et d'améliorer notablement son comportement. Simultanément, il fait des apprentissages (sélectifs) d'excellent niveau (concordants avec son âge réel ou au-delà), en particulier en arithmétique, en français et en anglais. Ces acquisitions contribuent également à ancrer A. dans le réel. Il est actuellement en troisième, bénéficiant d'un dispositif ULIS, aidé d'un AESH, et son évolution positive se poursuit, tant sur le plan scolaire que relationnel et comportemental. Exemples Exemple 1 S. est une petite fille vive et intelligente qui présente une hémiparésie droite congénitale et, sur le plan cognitif, un manque du mot (dysphasie mnésique), intense et très handicapant. Sur le plan scolaire, à partir du CE2, on constate une difficulté particulièrement sévère en numération et calcul. En explorant cette impossibilité à progresser en numération, nous découvrons que S. est incapable d'associer un mot oral précis à une quantité ou à un nombre écrit en chiffres arabes : elle ne peut ni nommer les nombres ni apparier (désigner) un nombre donné oralement à sa représentation analogique ou à son écriture arabe. Mais S. peut sérier, classer et comparer des collections et des nombres écrits. Elle a parfaitement compris le principe de la numération, son lien avec la quantité, le principe de la base 10 et la construction de la numération écrite arabe. C'est pourquoi Sandrine Lirondière suggère de lui proposer une progression arithmétique qui évite la dénomination verbale des nombres et qui utilise au contraire toutes les propriétés de la numération écrite arabe (logique, régularité parfaite, mise en exergue de la base 10) : ce type de travail, si particulier, ne peut s'envisager que dans le cadre d'une scolarité très spécialisée, en petit groupe, au décours d'une étroite collaboration entre les services de soins (ici, son ergothérapeute) et l'enseignante. Ce travail porte ses fruits : en fin de primaire, on envisage la poursuite de sa scolarité au collège avec le support d'une ULIS, Ainsi, dans un milieu adapté et spécialisé, ces enfants ont l'opportunité de faire certaines acquisitions qui peuvent leur donner accès, malgré leurs troubles, à des apprentissages et une formation professionnelle (qui doit bien sûr être choisie en fonction de l'éventail particulier des compétences/incompétences de chaque jeune). Là encore, on comprend bien en quoi ce type de pronostic gouverne le projet rééducatif : l'objectif ici n'est pas la « rapidité » d'accès au « programme » de tel ou tel niveau scolaire, mais bien le fait même que des notions de base puissent être acquises et utilisées à bon escient par le jeune, de façon à ­préserver à l'avenir son autonomie sociale d'une part et sa formation professionnelle ultérieure d'autre part. Exemple 2 Le jeune A., né prématurément, est victime d'hémorragies cérébrales néonatales responsables d'importantes lésions cérébrales pariéto-occipitales. Il présente une hémiparésie droite, une dyspraxie massive à tous les modes et une grave agnosie visuelle aux images et aux visages, dans le contexte de troubles relationnels avec traits autistiques (anxiété diffuse majeure 39 L'enfant dyspraxique et les apprentissages Enfant dyspraxique aux potentialités intellectuelles normales/faibles Pronostic de scolarité courte Par scolarité courte, on entend ici une scolarité qui vise à donner accès, dès 16 ans, à une formation professionnelle. Il peut s'agir d'une SEGPA (jeunes ne pouvant entrer au collège) ou encore d'orientation préprofessionnelle en fin de troisième (ou à 16 ans, fin de la scolarité obligatoire). Ce type de projet scolaire a différentes conséquences, qui doivent être prises en compte dans le projet de soins : • absence de pression temporelle en ce qui concerne les apprentissages : les objectifs concernent les savoirs de base (lire, écrire, compter), dans l'optique de préparer une bonne indépendance sociale ultérieure. Un parcours préprofessionnel, un CAP peuvent ensuite être envisagés ; • l'indépendance sociale, l'autonomie personnelle (et éventuellement financière en cas de projet professionnel) sont au centre du projet thérapeutique à moyen et long terme. Cela concerne schématiquement soit : • des jeunes dont le niveau de raisonnement (facteur G) est limite ou faible (note standard aux épreuves de facteur G égale ou inférieure à 7) et qui présentent une association de troubles (DVS + troubles du langage, mémoire de travail faible, syndrome dysexécutif important, etc.), éventuellement avec une personnalité limite ; • des « grands » (12–15 ans), dont le niveau scolaire est en décalage négatif de plus de 2 ans, ou qui sont en rupture scolaire, ou dont l'échec scolaire est ancien et massif, et ce quels que soient leur niveau intellectuel ou leurs potentialités (cf. ci-dessous exemple 1) ; • toute situation, même théoriquement favorable à une scolarité longue, s'il y a un déni persistant et un refus non négociable des aides proposées, que ce soit de la part du jeune, de ses parents ou de l'école. Ces refus, ces dénis, lorsqu'ils perdurent, sont souvent le signe d'une fragilité particulière de l'enfant et/ou de l'ensemble familial (cf. ci-dessous exemple 2). La dyspraxie impose des stratégies de compensation, de contournement du trouble, qui utilisent les capacités raisonnementales, mnésiques et verbales des jeunes. Si l'enfant, par ailleurs d'intelligence normale, ne dispose pas de « réserves » ­suffisantes dans ce domaine pour pallier son trouble, il risque fort, en milieu ordinaire, d'accumuler progressivement des retards qui, à moyen terme, vont s'avérer irrattrapables. Dans un premier temps, les familles refusent souvent cette orientation en ULIS, car elles sont rassurées par le fait que leur enfant puisse poursuivre une scolarité en intégration, en milieu standard. Pourtant, à terme, le jeune dyspraxique, en échec, épuisé et découragé, finit par être orienté par défaut et dans une relative urgence vers une scolarité spécialisée et/ ou courte qui, faute d'avoir été convenablement préparée, est habituellement très mal vécue, car il quitte brusquement le cursus « normal » auquel il a cru pouvoir prétendre, souvent au prix d'efforts importants. Au contraire, une scolarité bien préparée et « à la carte » au sein d'une ULIS permet d'alléger le contenu des programmes, de se centrer sur les fondamentaux avec l'aide de matériels et techniques spécifiquement adaptés en fonction de la dyspraxie et ainsi autorise une scolarité de meilleure qualité (qui se prolonge le plus souvent par une ULIS-collège) et débouche sur une formation plus compatible avec les aspirations et les possibilités du jeune. Souvent pensées par les parents (et même certains professionnels) comme des lieux de relégation pour les enfants qui ne peuvent pas suivre une scolarité (d'où l'extrême inquiétude des parents ou leur refus de ces ULIS), ces classes spécialisées peuvent aussi être quelquefois des lieux d'excellence où se conjuguent professionnalisme (de l'enseignant et d'un service de soins) et expérience, autorisant chez ces enfants aux troubles si particuliers des apprentissages et des parcours scolaires qui, sinon, auraient été impossibles. 40 Chapitre 2. Les préalables au projet thérapeutique redoublé son CE1. Intelligent et vif, R. est diagnostiqué « dyspraxique » alors qu'il entre en sixième au collège de son secteur. Le père, très autoritaire et très directif, ne peut accepter le diagnostic (son fils, intelligent, doit « s'appliquer et faire comme les autres »), alors même que la mère, en conflit avec le père, elle-même dépassée et démunie, ne peut soutenir R. Ce dernier refuse le diagnostic avec force et, malgré l'aggravation régulière de ses problèmes scolaires (il redouble sa cinquième), il banalise ses difficultés (« c'est parce que je n'ai pas assez travaillé ce trimestre, c'est parce que je n'aime pas telle matière, c'est parce que tel professeur ne m'aime pas ») et refuse toutes les aides que nous proposons, aussi bien en rééducation individuelle qu'au collège. Le suivi psychologique mis en place dès l'admission dans notre SESSD n'avance guère et, au contraire, nous assistons à une décompensation sur un mode paranoïde avec phobie scolaire. Nous demandons alors l'aide d'un service de pédopsychiatrie voisin, tandis que nous rediscutons en équipe de la pertinence de notre intervention chez ce jeune adolescent dont nous avons probablement sous-estimé la fragilité et que le diagnostic et nos propositions ont peut-être contribué à déstabiliser. Exemples Exemple 1 Le jeune B., sans aucun antécédent particulier, est en grand échec scolaire « depuis toujours ». Il nous est signalé par le médecin scolaire alors qu'il redouble son CM2. De ce fait, il s'est vu proposer une évaluation par la psychologue scolaire. Le diagnostic de DVS est établi alors que B. entre en sixième au collège de son quartier (une ZEP). Le diagnostic est très mal accueilli par cet adolescent fragile et blessé : il refuse le diagnostic (et les aides que nous proposons) jusqu'à son exclusion du collège pour raisons disciplinaires, alors qu'il a plus de 16 ans et redouble sa quatrième. En réalité, son niveau scolaire est très faible dans toutes les matières (grossièrement, proche d'un CE2) : débordé par les demandes scolaires auxquelles il n'est pas du tout en mesure de répondre, fragilisé par une très mauvaise estime de lui, déstabilisé par le diagnostic (que, malgré nos explications, il assimile à une déficience mentale dont son échec scolaire serait la preuve…), il se réfugie dans une dépression larvée émaillée de réactions de prestance et de provocations. Nous proposons alors d'une part un soutien psychologique et d'autre part une remise à niveau via un quasi-préceptorat assuré dans nos locaux par Votre école chez vous28. Cette association accepte de travailler en étroite collaboration avec nos services (ergothérapeute) pour mettre en place les adaptations pertinentes en fonction de la DVS. B. s'investit très positivement dans ce projet et, au terme d'une année scolaire, il passe et réussit le CFG. Il est ensuite accepté dans une filière préprofessionnelle où il prépare un CAP de vente. Projet non scolaire : projet éducatif et, si possible, indépendance sociale Enfin, pour certains enfants, la sévérité et l'intrication des troubles ne permettent pas d'envisager raisonnablement une scolarité. C'est souvent la conjonction de troubles moteurs et/ou sensoriels avec les troubles cognitifs multiples qui oblige à renoncer à une scolarité. Exemple 2 Le jeune R., sans aucun antécédent particulier, a eu une scolarité chaotique et a déjà 28 Exemple F. est un jeune IMC qui présente une quadriplégie spastique. Il présente aussi un important trouble visuo-spatial pour lequel Votre École Chez Vous : association loi de 1901, sous contrat avec l'Éducation nationale – 29, rue Merlin, 75011 PARIS. 41 L'enfant dyspraxique et les apprentissages C'est la conjonction d'informations issues de différents domaines (antécédents neurologiques, éventail particulier de fonctions préservées ou atteintes, intensité de telle ou telle pathologie, compensations déjà spontanément mises en place ou non, personnalité de l'enfant, attitude et projets de ses parents, parcours de vie et parcours scolaire antérieur, âge au moment de la consultation, etc.) qui permet d'envisager tel ou tel avenir scolaire, tel pronostic scolaire et donc tel ou tel projet thérapeutique. il bénéficie de deux séances par semaine d'ergothérapie. C'est un enfant d'intelligence normale (similitudes au WISC-IV = 10). Très fatigable, à 6 ans, il est admis simultanément dans notre SESSD et en CLIS. À l'issue de la première année d'école, il ne sait pas lire du tout : nous reprenons alors les bilans antérieurs qui s'étaient beaucoup focalisés sur les problèmes moteurs et practospatiaux et nous mettons en évidence un important déficit de la mémoire de travail auditivo-verbale. À 9 ans, il peut lire quelques syllabes simples et déchiffrer (laborieusement) des mots réguliers de deux syllabes. Le calcul mental est impossible. Nous préconisons donc une réorientation vers un institut d'éducation motrice. C'est le rôle du médecin (compétent en neuropsychologie infantile) et/ou du neuropsychologue de rassembler les éléments nécessaires et d'en faire la synthèse pour avoir une vue d'ensemble de cette mosaïque unique dont l'enfant est porteur, pour construire son projet thérapeutique individuel. Dans nos cultures, entre 4 et 20 ans, pour les enfants souffrant de troubles « dys- », ce projet est obligatoirement organisé en corrélation étroite avec le projet scolaire. Le projet thérapeutique est alors d'abord un projet de soins (de rééducation), de confort et, autant que possible, d'épanouissement personnel et d'autonomie ou d'indépendance partielle. Le ­projet scolaire est centré sur la socialisation et l'épanouissement personnel, tandis que les apprentissages sont limités aux savoirs fondamentaux (lire, compter), lesquels ne sont malheureusement que partiellement atteignables. Un établissement spécialisé (dans les troubles moteurs, tels les IEM, ou, selon chaque cas particulier, dans les troubles sensoriels, ou dans les troubles intellectuels, tels les IME, ou dans les pathologies psychiques, tels les hôpitaux de jour) peut être alors une bonne orientation, permettant de prendre en charge de façon coordonnée à la fois les soins, les activités éducatives, les loisirs, la socialisation et les activités scolaires ou parascolaires (selon l'âge et les possibilités de chaque jeune), ce qui permet à l'enfant de se développer au mieux de ses capacités. En effet, les fonctions cognitives – celles qui nous permettent de nous connaître et de prendre connaissance du monde – interfèrent directement avec les apprentissages : le plus souvent, « rééduquer » l'enfant atteint de troubles cognitifs spécifiques consiste à l'aider à faire malgré tout des apprentissages et à réduire ses difficultés scolaires pour préserver au mieux son avenir. Il faut donc savoir renoncer non seulement à « guérir » l'enfant, mais aussi à « tout » rééduquer, soit que l'on sache la rééducation de certains symptômes sans effet, soit parce que ce serait aux dépens d'objectifs plus déterminants à moyen ou long terme pour l'avenir du jeune. Analyser les difficultés de l'enfant, les obstacles qu'il rencontre en termes de handicap est indispensable. C'est le premier défi du projet thérapeutique, puisque c'est à partir de cette analyse que pourront être mis en place palliatifs, contournements, aménagements, adaptations efficaces. Mais comment les choisir ? À quel moment les introduire dans la vie et/ou la scolarité du jeune ? Comment les faire accepter (au jeune, à ­l'entourage) ? C'est là un second défi, tout aussi déterminant dans la constitution du projet thérapeutique. C'est Conclusion On voit donc que ce n'est pas du tout « le symptôme » (il est malhabile, il écrit mal, il est « nul » en calcul…) qui est directement à l'origine des options rééducatives. 42 Chapitre 2. Les préalables au projet thérapeutique pourquoi, après avoir détaillé les stratégies adaptées à tel ou tel handicap scolaire particulier, nous brosserons les contours d'un véritable « cahier des charges » de la démarche de compensation du handicap (chapitre 10). Il faut aussi accompagner les parents dans ce cheminement difficile qui favorise l'émergence d'objectifs fonctionnels, atteignables et réalistes. Bien sûr, les troubles ne se limitent pas au secteur scolaire et se manifestent aussi dans « la vraie vie » (cf. chapitre 11), à la maison et durant les loisirs. Mais ces manifestations de la dyspraxie qui affectent la vie quotidienne se retrouvent aussi à l'école (à la cantine, durant les cours d'éducation sportive, les sorties, les classes externées) et leur expression, face à des pairs souvent peu compréhensifs, induit honte et isolement. Elles doivent donc être prises en compte et faire partie intégrante du projet. Nous nous attachons surtout, dans la suite de cet ouvrage, aux indications et pratiques qui ont fait leurs preuves auprès de jeunes atteints de dyspraxies isolées (même si nous évoquons les adaptations à prévoir en cas de troubles attentionnels associés), dont le pronostic scolaire est a priori favorable, car c'est pour eux que le projet est à la fois le plus complexe, le plus exigeant… et souvent le moins « évident ». Enfin, c'est aussi à partir de ces pratiques que l'on peut chercher à adapter les projets de ceux qui sont plus atteints. 43 Écrire Chapitre 3 « L'écriture assemble des signes dont la première caractéristique est qu'ils diffèrent d'un système à l'autre. À l'intérieur même d'un système, il se trouve que le signe d'écriture varie encore sensiblement selon le style du moment ou les hasards de l'histoire. D'où proviennent donc ces constantes variations dans le tracé des signes ? Des supports et des outils : les signes aigus en forme de clous imprimés par le calame sur l'argile mésopotamienne ne ressemblent pas aux traces rapides laissées par le pinceau chinois sur la soie ou le papier. Derrière ce foisonnement de graphies et de tracés, nous pouvons dégager une constante : la volonté de transmettre un message. » L'enfant dyspraxique et les apprentissages © 2016, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés A. Zali, A. Berthier29 Le « retard30 » graphique – la dysgraphie – est certainement « le » signe le plus précoce et le plus constant des pathologies dyspraxiques. De ce fait, certains ont cru (à tort) qu'il pouvait être un « marqueur » de la dyspraxie, réduisant le diagnostic au symptôme. De ce fait également, c'est fréquemment sur ce symptôme (cf. p. 25) que se centrent nombre de rééducations : graphomotricité (psychomotricité), rééducation graphique (ergothérapie), graphothérapie (psychologie), etc. Or, la dysgraphie peut être le symptôme de très nombreuses pathologies, neurologiques et/ ou psychodynamiques (cf. figure 1.1, p. 8), et même se manifester en dehors de toute pathologie proprement dite. Elle ne constitue donc qu'un des éléments du puzzle dont le clinicien doit recueillir toutes les données. Rappelons succinctement quelques notions cliniques : • les troubles neuromoteurs (dont les patho­ logies cérébelleuses, même discrètes ou soft) 29 30 sont la cause neurologique la plus fréquente de dysgraphie ; • si toutes les dysgraphies ne sont pas secondaires à une dyspraxie, à l'inverse il n'y a pas de dyspraxie sans dysgraphie ; • au contraire, les troubles visuo-spatiaux isolés (sans dyspraxie) n'entraînent pas obligatoirement de dysgraphie ; • d'autres troubles « dys- » génèrent aussi des troubles du graphisme : – les troubles de l'attention et des fonctions exécutives (les lettres sont mal formées, mais le geste graphique fluide est trop rapide, brusque, impulsif, avec irruption d'itérations et de persévérations, cf. p. 135). Il s'agit là d'un diagnostic différentiel très important, d'une part pour proposer des interventions véritablement adaptées (ce qui ne sera pas le cas s'il y a erreur diagnostique) et d'autre part pour éviter la confusion avec une comorbidité de type « dyspraxie (ou TAC) + TDA-H », Zali A, Berthier A. L'aventure des écritures. Bibliothèque nationale de France ; 1997. Ce terme, toujours très utilisé, est bien mal choisi puisque, de fait, il ne s'agit pas d'un « retard » (un simple décalage chronologique), mais bien d'une pathologie, d'une impossibilité de développer cette capacité, aussi bien en ce qui concerne les critères chronologiques que qualitatifs. 47 Partie I. Les obstacles aux apprentissages scolaires – les troubles gnosiques visuels génèrent aussi des troubles du graphisme. Il s'agit souvent d'une agraphie quasi complète avec absence d'intérêt pour la trace graphique31, et non d'une écriture lente, cabossée, mal lisible, – les troubles du langage (dysphasie, dyslexie) peuvent aussi s'accompagner de troubles graphiques dont la nature et l'intensité (et donc la remédiation) sont très différentes (cf. p. 135), – certains enfants à haut potentiel présentent des troubles graphiques isolés, sans dyspraxie [3]. Rappelons quelques caractéristiques de la dysgraphie dyspraxique : • lenteur graphique, avec impossibilité d'accélérer, ce qui reflète la non-automatisation du graphisme (le geste reste sous contrôle attentionnel et conscient, ce qui limite les capacités d'accélération). L'enfant cherche le « bon geste », fait des essais successifs avec ratures, essais de corrections… Ceci contraste avec l'attitude de l'enfant qui présente une dysgraphie secondaire à un TDA-H, dont le geste est rapide et brusque, sans ajustements correctifs. La lenteur de l'enfant avec TDA-H résulte de difficultés de mise en route et de nombreuses interruptions liées à des distracteurs ; • fluctuation de la performance : l'enfant réalise la même lettre de diverses manières, selon le contexte graphique et selon les moments, il a différentes façons de réussir ou de rater (surtout s'il est jeune, car, plus tard, avec l'expérience, il finit par fixer la forme graphique la plus économique pour lui) ; • déstructuration des lettres, réalisées en plusieurs « morceaux » qui ne constituent pas des sous-éléments naturels de la lettre (telles hampe, boucle, attache…) ; • écriture et lettres « attachées » moins bien réalisées que les lettres « détachées » : on note une nette aggravation du trouble en cursive ou en anglaise (meilleure réalisation relative des lettres bâtons et des majuscules d'imprimerie) ; • dessins encore plus altérés que le graphisme. Aucun de ces signes, pris isolément, ne peut suffire à faire le diagnostic (cf. tableau 1.1). C'est dire qu'en présence d'un trouble ou d'un retard 31 g­ raphique avéré et significatif (c'est-à-dire attesté par au moins un test étalonné, normé), c'est d'abord une démarche de diagnostic différentiel [18] qui s'impose. Une fois la dyspraxie affirmée, décider sous quelle forme doit s'effectuer la prise en charge de la dysgraphie reste complexe : il faut d'abord bien prendre conscience de la double signification, en français, du mot « écrire » et de la place du graphisme manuel dans les apprentissages scolaires. Ensuite, il faut établir quelles sont les différentes fonctions de l'écrit afin de déterminer, au plus près des réalités de chaque enfant, quelles situations d'écrits constituent pour lui un handicap, de quelle nature et de quelle intensité. Enfin, nous détaillons dans quelles conditions l'ordinateur peut constituer une aide efficace à l'école. Les deux versants du terme « écrire » Le terme français d'« écriture » est très ambigu, désignant à la fois : • le geste graphomoteur (et donc la praxie correspondante) : il s'agit de « dessiner » les lettres. « Écrire bien », dans cette acception, signifie écrire joliment, de manière lisible et agréable, voire esthétique (lettres bien formées, présentation conforme aux standards culturels). On félicite les très jeunes enfants qui réalisent de « beaux cahiers », agréables à regarder. Celui qui fait de jolies lettres à la main et réalise une belle mise en forme (aspect visuel et artistique) fait de la calligraphie ou, s'il s'agit d'imprimerie, de la typographie (choix de la police, de la casse, de la couleur, mise en forme…) ; • l'activité intellectuelle (élaboration de la pensée), associée à une activité linguistique (production d'un texte) : il s'agit là de traduire en mots et en phrases bien formées linguistiquement une pensée dont la trace permanente en permet la transmission à distance (géographique ou chrono­ logique). Un texte « bien écrit », dans cette acception, réfère à une langue claire et/ ou qui traduit au plus près la pensée de l'auteur, ses émotions, ses opinions, ses expériences. Le contenu (la pensée) autant que les choix linguistiques contribuent à la qualité du texte. On parle d'un « beau texte » quand auteur et lecteur Mazeau M, Pouhet A. Neuropsychologie et troubles des apprentissages chez l'enfant : du développement typique aux « dys- ». Paris : Masson ; 2014. p. 161–163. 48 Chapitre 3. Écrire peuvent en partager le contenu linguistique, idéique et émotionnel. Celui qui produit un texte est un auteur (ou un poète). Lorsqu'il s'agit d'écriture, il faut donc toujours préciser clairement si l'on évoque : • soit la forme de surface, le graphisme manuel, la calligraphie, c'est-à-dire le geste graphomoteur, la praxie qui consiste, à l'aide d'un outil scripteur, à tracer les lettres ; • soit le contenu, l'aspect linguistique et sémantique de l'écrit, transmission de la pensée, à l'aide de symboles arbitraires mais conventionnels, dont la trace est durable32. Le contenu (le fond) de ce qui est écrit est en effet tout à fait indépendant de la forme de surface, de la façon dont les lettres sont réalisées. Que nous importe comment le Prix Nobel de littérature a matériellement laissé trace de son texte : avec un feutre, un stylo ou une craie, en anglaises avec des pleins et des déliés ou en majuscules d'imprimerie, en lettres latines ou cyrilliques, en tapant sur le clavier de son ordinateur, en utilisant ou non son correcteur orthographique, ou même en dictant à son secrétaire ou à son ordinateur. Pour éviter toute confusion, nous appelons désormais la forme de surface (le geste de tracer les lettres à la main) le graphisme manuel. L'activité intellectuelle et linguistique qui conduit à produire un texte est, elle, désignée par le terme de production d'écrits. Certains, tel Lurçat [52], supposent un lien obligé entre le geste graphomoteur et l'activité linguistique attachée à la production d'écrits, le premier étant conçu comme facilitateur de la seconde, aussi bien dans la phase d'apprentissage de l'écrit qu'ultérieurement dans les activités de planification de texte et de production d'écrits. Cette croyance a d'ailleurs alimenté certaines techniques pédagogiques au décours du CP. Il est montré en effet que, chez l'enfant valide, la réalisation du geste graphomoteur associé à la lecture des graphèmes correspondants contribue, par la multiplication des stimuli cohérents et convergents (kinesthésiques, proprioceptifs, visuels et phonologiques), à faciliter l'intégration et l'automatisation du lien oral-écrit. Ainsi, récemment [85], Graham et Hebert (2011) ont montré un lien 32 de réciprocité, en spirale, entre apprentissage de l'écriture et de la lecture. Ceci est incontestable chez le sujet typique. La question se pose cependant très différemment chez les enfants atteints de troubles du geste, puisqu'il est très peu probable que leurs gestes – mal coordonnés et mal contrôlés – leur apportent des informations cohérentes avec celles fournies par leur vision et la phonologie ou puissent faciliter tout autre apprentissage, qu'il s'agisse de lecture ou autre. Nous verrons au contraire à quel point l'écriture manuelle (par le biais de la double tâche, cf. p. 21) constitue pour eux un obstacle à tout apprentissage. On peut même avancer que la réalisation gestuelle imparfaite du jeune dyspraxique va d'une part parasiter les informations visuelles et phonologiques qui, isolément, auraient été pour lui des informations fiables et d'autre part accaparer l'essentiel de ses ressources attentionnelles, aux dépens des informations visuelles et phonologiques. Enfin, nous disposons, depuis plus de cinquante ans, de l'expérience de jeunes qui, incapables d'aucune réalisation gestuelle (jeunes quadriplégiques, enfants souffrant d'amyotrophie spinale infantile [ASI], etc.), apprennent à lire, puis à écrire (avec un matériel adapté) avec facilité, souvent même précocement, alors même qu'ils n'ont jamais pu tracer la moindre lettre ni faire aucun geste approchant. « Les résultats ont pointé, chez ces enfants ASI, la force du raisonnement hypothético-déductif sans avoir recours aux manipulations. […] [L'ensemble des études] a mis ici en évidence chez ces jeunes enfants une supériorité du développement des cognitions spatiales par rapport à la population témoin du même âge. » P. Jouinot, et al. [53] Cependant, il est indéniable que, chez l'adulte tout-venant, la façon la plus commune mais aussi la plus facile, la plus simple et la plus courante de donner une forme concrète à une production C'est cette permanence de la trace qui distingue langue écrite et langue orale. 49 Partie I. Les obstacles aux apprentissages scolaires pratiquement sans contrôle attentionnel, libérant ainsi des ressources cognitives suffisantes pour assurer les tâches de haut niveau. écrite, c'est de la réaliser par graphisme manuel. Actuellement, de plus en plus de personnes produisent de l'écrit à partir de leur ordinateur, mais ces scripteurs peuvent aussi écrire à la main lorsque le besoin s'en fait sentir : l'ordinateur est pour eux une alternative choisie, qui répond à certains besoins, mais qui ne remet pas en cause l'utilité, la simplicité et l'efficacité du graphisme manuel au quotidien. Mais celui-ci ne se développe pas « spontanément » ni par une simple exposition à l'écrit. Le graphisme manuel résulte d'un enseignement particulier qui s'inscrit au tout début de la scolarité et qui débouche, normalement, sur l'automatisation du geste graphique. Pourquoi apprendre le graphisme manuel ? Place du graphisme dans les apprentissages Le graphisme manuel est une praxie complexe Le graphisme manuel nécessite un enseignement explicite, intentionnel et systématisé de la part des adultes en direction des enfants, enseignement sans lequel cette habileté ne se développerait pas : c'est bien une praxie (cf. p. 16–18). Cet apprentissage dépend d'un entraînement progressif et intensif : souvent débuté en moyenne section de maternelle, systématique et pluri-­ hebdomadaire en grande section, il se poursuit tout au long de la première année de primaire (CP) et souvent même encore en CE1. Ces exercices soutenus et réguliers durant en moyenne trois années consécutives sont indispensables, car les enfants doivent acquérir une gestuelle fluide et précise. Il leur faut effectuer des enchaînements gestuels rapides, au tracé parfaitement déterminé et rigoureux : ils doivent être capables de produire les détails pertinents et significatifs du dessin de chaque lettre (permettant de distinguer le a du d, le n du h, le n du p, le e du c, le k du h, etc.). Les enfants tout-venant, selon leur habileté, commencent à automatiser (en partie) leur graphisme manuel dans le courant du CE ou en début de CM. Ensuite, le graphisme subit une dernière transformation à l'adolescence, se personnalisant et reflétant alors le style de chacun. Ce n'est donc habituellement qu'à partir du CE que le geste peut être produit de façon routinière, 50 Contrairement à la lecture, les mathématiques et les connaissances académiques, le graphisme manuel est le seul des apprentissages scolaires à n'être pas enseigné pour lui-même : il n'a donc pas du tout le même statut que la lecture ou les mathématiques. Son apprentissage n'est pas motivé par l'intérêt qu'il y a à écrire joliment, puisque notre enseignement n'inclut nullement la calligraphie dans les programmes. La motivation du long apprentissage du tracé des lettres réside uniquement dans l'obtention d'une automatisation (totale ou relative jusqu'en fin de primaire) de leur réalisation graphomotrice, puisque c'est là la condition d'un graphisme utile et efficace. En effet, le graphisme manuel sert « d'outil pour » (pour prendre des notes, produire des textes, disposer d'une mémoire externe, cf. p. 62) et il ne peut remplir ce rôle que s'il est parfaitement maîtrisé et automatisé (ne réclamant pas ou peu de ressources attentionnelles). Le graphisme manuel, une fois automatisé, est en effet le support de la réalisation de tâches de haut niveau permettant les apprentissages. Car c'est la production d'écrits, la trace écrite qui est visée par la scolarité et non le graphisme manuel en tant que tel. L'importance attribuée au graphisme manuel au tout début de la scolarité tient donc essentiellement au fait qu'il est capital de disposer d'un outil fiable, performant et automatisé pour produire de l'écrit. C'est ce statut particulier qui incite, en cas de handicap graphique, à mettre rapidement à disposition de l'enfant tout autre outil qui lui permette de remplir les mêmes fonctions. C'est ce statut particulier du graphisme manuel à l'école qui autorise l'usage d'un ersatz, d'un palliatif (l'ordinateur) ou même qui justifie qu'on s'en passe chaque fois que possible (recours à l'oralisation, à un secrétaire, aux photocopies). Chapitre 3. Écrire Progrès en graphisme manuel et écart à la norme Car un outil peut facilement en remplacer un autre, à condition qu'il soit bien maîtrisé (cf. chapitre 9) et qu'il remplisse parfaitement les objectifs visés (cf. tableau 3.2, p. 52). Cette formulation (pathologie stable et définitive) doit être explicitée. Elle signifie que l'anomalie initiale (le déficit) ne va spontanément ni guérir ni s'aggraver : elle est une particularité du développement neurocognitif de cet enfantlà et constitue une caractéristique de son économie p­ sycho-intellectuelle. Au contraire, les conséquences de l'anomalie initiale (le handicap), elles, peuvent évoluer au cours de la vie, en fonction de l'âge et de la maturation d'une part et des exigences scolaires et sociales d'autre part. La maturation et l'expérience de l'enfant permettent habituellement une diminution relative et partielle de l'intensité des symptômes. L'enfant, en grandissant, est moins malhabile, réalise à peu près correctement de plus en plus de gestes : « il fait des progrès ». Mais, simultanément, avec l'âge, les exigences sociales et scolaires augmentent et donc, paradoxalement, le handicap (résultante de la confrontation de la particularité délétère du sujet et des nécessités sociales) s'aggrave. Tant que cette praxie n'est pas acquise, l'enfant qui doit écrire est en double tâche Ce n'est en effet qu'une fois le geste graphomoteur (visuo-practo-spatial) suffisamment automatisé que l'enfant sera disponible pour les tâches intellectuelles et linguistiques de haut niveau (orthographe, syntaxe, élaboration d'un texte, ­compréhension, mémorisation…) qui sont in fine la véritable motivation de la scolarité. D'ailleurs, en fin de grande section de maternelle et en tout début de primaire, les enseignants savent bien, par expérience, qu'il leur faut séparer les deux tâches, celles qui concernent le savoir-faire (exercices de graphisme) et celles qui concernent les aspects conceptuels, à savoir l'attention au sens (sémantique) ou aux aspects linguistiques (production d'écrits). Ce n'est qu'à partir du CE que la trace écrite commence à être utilisée, très progressivement, comme support pour un autre apprentissage (l'orthographe). Auparavant, l'entraînement graphique est demandé isolément, les exercices graphomoteurs (lignes de boucles, de telle ou telle lettre, de tel ou tel mot…) réclamant pour eux-mêmes l'entièreté de l'attention de l'enfant. Durant cette période, où ces praxies sont en cours d'apprentissage, le graphisme manuel est lent, laborieux, de médiocre qualité et génère une importante fatigabilité. Normalement, après une longue phase d'entraînement, ces défauts disparaissent pour laisser place à un geste harmonieux, fluide, rapide et ne nécessitant pas (ou peu) de contrôle attentionnel. Exemple Citons le très intéressant travail de Jolly, Huron et Gentaz [4], où l'évolution du graphisme d'une jeune dysgraphique (TAC) est comparée à des groupes contrôles de fin de grande section de maternelle, de CP et de CE1 (figure 3.1). Leurs résultats montrent qu'en dépit des rééducations, l'écart entre les productions manuscrites de l'enfant TAC et des enfants typiques tend à s'aggraver avec l'âge. Les auteurs concluent : « Notre observation suggère (i) que l'enfant avec TAC atteint un niveau stable qui reflète son habileté graphique maximale et (ii) qu'au-delà de ce niveau plafond, la remédiation n'apportera pas de bénéfices. » Or, certains enfants ne pourront jamais acquérir ces praxies, c'est-à-dire automatiser leur geste graphique : ces enfants ne souffrent pas d'une insuffisance d'enseignement ni d'entraîne­ ment, ils souffrent d'une pathologie neuro­ développementale stable et définitive, une dyspraxie. Car si les « progrès » ne permettent pas à l'enfant de se rapprocher du niveau d'efficience habituel de ses pairs, au contraire l'écart à la norme peut s'accroître (figure 3.2). 51 Partie I. Les obstacles aux apprentissages scolaires Nombre de pauses 0,60 0,50 Nombre de moments statiques 0,40 15,00 0,30 0,20 10,00 0,10 0,00 5,00 GS 0,00 GS CP CP CE1 CE1 durée du crayon en l’air (m) 1,00 Nombre de mouvements lents 0,80 10,00 0,60 0,40 5,00 0,20 0,00 GS CP 0,00 CE1 GS Nombre de pics de vitesse CP CE1 distance (cm) 15,00 8,00 6,00 4,00 2,00 0,00 10,00 5,00 0,00 GS CP GS CE1 CP CE1 Figure 3.1. Évolution du graphisme d'une jeune fille dysgraphique (traits noirs) et d'un groupe contrôle (traits grisés). Évolution moyenne, « normale » Niveau de performance L’écart à la norme s’accroît Évolution de l’enfant DVS L’enfant progresse T1 T2 Temps, âge… L’enfant est proche de la norme … Le décalage à la norme se constitue et se creuse Figure 3.2. Interpréter les progrès de l'enfant. 52 Malgré les progrès, l’écart à la norme s’accroît Chapitre 3. Écrire il s'agit d'une épreuve étalonnée d'accélération du graphisme (« Je respire le doux parfum des fleurs »). La capacité à accélérer reflète la capacité à tracer les lettres sans (ou avec très peu de) contrôle attentionnel. L'enfant qui ne peut pas accélérer montre qu'il a besoin d'un important temps de contrôle (ou d'ajustement) sur son geste. Il faut donc bien distinguer, dans les performances de l'enfant, celles qui représentent un progrès de l'enfant par rapport à lui-même et celles qui lui permettent de progresser par rapport à la norme. Exemples Un enfant de 5 ans qui ne sait pas s'habiller ne se trouve pas en très grand décalage avec les autres du même âge (cela ne constitue donc pas un handicap notable). Mais si, à 8 ans, il arrive à mettre seul son pantalon et son anorak (ce qui constitue pour lui un progrès important), il est cependant très marginalisé par rapport à ses camarades s'il doit demander de l'aide au sortir de la piscine pour mettre ses chaussettes, boutonner sa chemise et fermer sa fermeture Éclair. En dépit de ses progrès, le handicap s'est aggravé. Un enfant de 5 ans très dysgraphique qui écrit maladroitement son prénom en grosses lettres majuscules mal formées est peu marginalisé en début de grande section de maternelle. Si, en CE2, il progresse suffisamment pour produire un graphisme lisible en cursive, mais qu'il est lent et en permanence en double tâche (cf. p. 21, 70), le handicap scolaire est bien plus important qu'il ne l'était à 5 ans, en dépit des « progrès ». En outre, écrire en permanence en classe à sa vitesse maximale est générateur d'épuisement rapide et ne laisse aucune disponibilité pour les tâches de haut niveau. Comprendre et limiter le handicap scolaire lié à la dysgraphie Évaluer le handicap secondaire à la dysgraphie, la gêne induite et les répercussions prévisibles dans les apprentissages est un temps capital pour guider les choix rééducatifs. Car le « savoir écrire » indispensable pour effectuer une scolarité convenable se décline en fait sous de nombreux aspects. En effet, le graphisme manuel peut se réaliser dans différentes conditions, ressortant d'objectifs très variés : il faut donc évaluer dans quelle mesure certains de ces objectifs peuvent être compromis par la dysgraphie et comment y remédier au mieux. Enfin, ces écrits doivent généralement être réalisés en temps limité et la lenteur peut avoir aussi des conséquences sur la qualité des apprentissages. C'est donc par rapport à la norme et aux exigences (sociales et scolaires) auxquelles l'enfant est soumis que l'on doit interpréter l'intensité du handicap et juger des progrès constatés – qu'il s'agisse de progrès spontanés ou après rééducation (cf. figure 3.2). Ainsi, il faut évaluer (selon l'âge, le niveau et le projet scolaire) non seulement la qualité du graphisme, sa lisibilité et sa vitesse (la lenteur est en soi un handicap scolaire très invalidant, cf. p. 70), mais surtout son automatisation, critère fondamental pour justifier l'utilisation du graphisme manuel lors des apprentissages. Les cliniciens ne disposent pas actuellement de tests étalonnés leur permettant d'apprécier directe­ment le degré d'automatisation du graphisme manuel auquel est parvenu un enfant. Nous disposons cependant d'un reflet indirect de cette capacité à automatiser le tracé des lettres : Différentes conditions de production de l'écrit On peut distinguer différentes manières de réaliser de l'écrit ou différents contextes dans lesquels l'écrit s'actualise à l'école : • la copie (directe ou différée) ; • la complétion de phrases ou de textes (phrases à trous) ; • la dictée ; • la prise de notes (pour les plus grands) ; • la production à partir de la pensée de l'élève (expression écrite). 53 Partie I. Les obstacles aux apprentissages scolaires copie directe, puisque seule une exploration du modèle est requise (celle-ci peut s'effectuer avec quelques fixations plus ou moins précises). Mais cette stratégie sollicite davantage la mémoire de travail visuelle et visuo-spatiale. Dans les deux cas (copie directe ou différée), il faut distinguer les modèles situés sur un support dont la distance et l'orientation sont fixes (tableau) ou au contraire manipulables au gré de l'enfant (étiquette, fiche, cahier ou livre posé à son côté) : ceci a d'importantes implications sur le plan visuel (en termes d'acuité visuelle, d'oculomotricité, de stratégie du regard) et donc sur la performance que l'enfant peut réaliser. De même, le fait que le modèle soit disposé horizontalement (cahier ou livre posé sur le bureau) ou verticalement (tableau, écran de l'ordinateur, page ou manuel posé sur un pupitre, cf. figure 3.3, « Cahier couleur » en fin d'ouvrage) peut avoir une influence déterminante chez certains jeunes atteints de DVS, en fonction d'éventuelles anomalies de leur champ visuel et/ou de difficultés particulières à calibrer leurs saccades dans un plan ou l'autre de l'espace. Il est très important en effet de distinguer ces différentes conditions de réalisation du graphisme, car si toutes demandent de tracer des lettres, elles ne requièrent cependant pas les mêmes capacités sensori-motrices et cognitives. Certaines situations peuvent mettre l'enfant en très grande difficulté, alors que d'autres peuvent au contraire lui autoriser une performance beaucoup plus proche de la normale (cf. p. 10–11). Copie C'est un exercice scolaire extrêmement fréquent, surtout en primaire, car il est utilisé à de nombreuses fins, telles que focaliser l'attention de l'enfant (sur une consigne, l'orthographe, un concept) ou lui procurer les écrits dont il aura besoin pour apprendre ou réviser. Chez les plus jeunes, il s'agit aussi de les entraîner aussi bien à la lecture (du texte à copier) qu'à la rapidité et à la qualité du graphisme manuel. La copie peut être (cf. p. 128) : • une copie directe : le modèle est sous les yeux de l'enfant. Les plus jeunes (en primaire) effectuent souvent alors une copie lettre à lettre ou élément par élément. Sur le plan neurovisuel, cette copie impose de nombreux allers-retours avec des fixations très précisément calibrées (sur telle lettre, puis sur la suivante, etc.). Pour les enfants souffrant de DVS avec troubles du regard (troubles de l'oculomotricité et/ou de la stratégie du regard), c'est une tâche épuisante qu'ils ne réalisent souvent que partiellement, avec une grande lenteur et de nombreux oublis de lettres et/ou de mots (cf. p. 105). Les effets positifs attendus via la tâche de copie sont alors illusoires ; • une copie différée : l'enfant doit observer le modèle qui est ensuite soustrait à sa vue. Il doit ensuite le reproduire en mémoire immédiate. Habituellement, il s'agit de mots entiers, de segments de phrases ou de phrases entières. La charge neurovisuelle est alors beaucoup moins importante. Nota. – Les exercices de transformation de phrases ou de textes (exercices de grammaire ou de style) s'apparentent à une copie (de phrases et/ ou de textes), qui peut être directe ou différée, copie à laquelle s'ajoute le travail linguistique ou grammatical. Cependant, l'oculomotricité est beaucoup moins sollicitée que dans le cas d'une Des dissociations dans les performances en copie selon les conditions matérielles et le contexte doivent donc être recherchées : elles doivent être systématiquement exploitées et servir de base à la conception personnalisée des adaptations à l'école. Que proposer ? Pour de nombreux enfants, en particulier ceux qui présentent des troubles du regard et/ou une pathologie neurovisuelle, la copie : • est rapidement épuisante ; • réclame un coût attentionnel prohibitif, ne permettant pas de réaliser les objectifs pour lesquels la copie est instituée. Dans ces cas, il faut donc bannir cette activité : si l'enfant a besoin d'un écrit pour apprendre (résumé de la leçon, poésie…), on peut, selon les cas, soit lui fournir des photocopies, soit utiliser un secrétaire. Il faut aussi toujours se rappeler que, chez ces jeunes dyspraxiques, la focalisation de l'attention passe d'abord par l'écoute : il est donc capital que cette écoute, en classe, ne soit pas obérée par une 54 Chapitre 3. Écrire tâche concurrente (la copie), qui, pour eux, n'a aucune justification (puisque ni l'amélioration du graphisme, ni la focalisation de l'attention, ni aucun apprentissage n'est favorisé par la copie). Il est cependant difficile, concrètement, de dispenser l'enfant de toutes les tâches de copie qui peuvent occuper en classe un temps très important : l'enfant accepte mal de ne pas faire comme ses camarades et l'enseignant peut avoir l'impression que l'enfant est inoccupé. La question de savoir quelles activités lui proposer durant les temps de copie est donc importante. On peut suggérer, selon les cas et le projet de l'enfant, des exercices d'entraînement à l'ordinateur, ou de commencer l'apprentissage de la leçon si des photocopies ont pu lui être fournies, ou de terminer un travail que l'enfant (lent) n'aurait pas pu finir en temps utile, ou de commencer ses devoirs, etc. Enfin, si la copie s'avère incontournable, on aménage la situation : apprentissage de stratégies plus économiques sur le plan visuel, telles que la copie différée, entraînements visuels (et rééducation orthoptique si nécessaire), aménagements structurant le modèle et guidant le regard (repères de couleur, augmentation de la taille de la police, augmentation des espaces intermots et interlignes…), utilisation de pupitre pour verticaliser le modèle (figure 3.3, cf. « Cahier couleur » en fin d'ouvrage), etc. Dans tous les cas, la mise en place de ces aménagements suppose une anticipation des activités prévues. Il faut scanner les textes et les reconfigurer, les surligner, les coloriser (cf. figures 3.3, 3.4, 3.5 et 3.6, « Cahier couleur » en fin d'ouvrage), préparer les photocopies, puis les numéroter et les classer, etc. Ces adaptations, très utiles, voire indispensables aux jeunes dyspraxiques, demandent donc au quotidien beaucoup de temps de préparation. Complétion de phrases (ou de textes) Souvent utilisés pour des exercices de vocabulaire, de grammaire et de conjugaison, les exercices à trous constituent une facilité pour ceux qui sont lents ou très dysgraphiques, puisqu'ils n'ont que très peu de mots à réaliser en graphisme manuel. C'est donc un bon choix, aussi bien pour un entraînement (en orthographe, en grammaire) que pour les contrôles de connaissances dans de nombreux secteurs des apprentissages. Que proposer ? Favoriser les exercices à trous demande que les exercices ou contrôles soient spécialement préparés – par l'enseignant, les parents ou l'AESH – pour permettre une complétion en graphisme manuel ou, le plus souvent, sur ordinateur. Il faut alors prévoir des présentations type « formulaire » qui permettent de remplir des espaces prévus à cet effet (cf. figure 8.1). Cela suppose que du temps puisse être consacré à la préparation du travail de l'enfant DVS par des personnes suffisamment compétentes et bien formées aux différentes possibilités et utilisations des traitements de texte (parent, enseignant, AESH formé, souvent par l'ergothérapeute). Figure 3.3. Exemple d’adaptation pour la copie en classe. Cette figure est reproduite en couleur en fin d’ouvrage. 55 Partie I. Les obstacles aux apprentissages scolaires Ce soir, monsieur Lapin a peur d'aller se coucher. Il vient de lire dans son journal Une nouvelle terrifiante ! LE LOUP EST REVENU ! Figure 3.4. Adaptation du modèle en vue d'une tâche de copie. De Pennart G., Le loup est revenu !, Kaléidoscope, 1994. Cette figure est reproduite en couleur en fin d’ouvrage. a Figure 3.5a. Mélanie, la petite souris noire. Cette figure est reproduite en couleur en fin d’ouvrage. 56 Chapitre 3. Écrire b Figure 3.5b. Un séjour à la montagne. Cette figure est reproduite en couleur en fin d’ouvrage. Figure 3.6. Colorisation alternée de lignes. De Pennart G., Le loup est revenu !, Kaléidoscope, 1994. Cette figure est reproduite en couleur en fin d’ouvrage. 57 Partie I. Les obstacles aux apprentissages scolaires solution parmi différentes propositions orthographiques). Bien sûr, cela limite au minimum la production écrite de l'élève (il entoure ou se contente d'un signe qui marque la bonne réponse), mais on risque aussi de favoriser la mémorisation des formes orthographiques fautives qu'il doit lire, analyser et comparer à la bonne forme. En ce qui concerne l'orthographe grammaticale, l'apprentissage oral, puis la récitation des règles remplacent avantageusement leur copie. Ensuite, il faut, comme pour l'orthographe d'usage, proposer l'épellation, la complétion ou la transformation de phrases (en graphisme manuel ou à l'ordinateur). Dictée Exercice traditionnel d'apprentissage et de contrôle des connaissances orthographiques, la dictée a ceci de particulier, par rapport à la copie, qu'elle ne réclame aucune afférence visuelle préalable : c'est pourquoi, paradoxalement, beaucoup de jeunes qui présentent des troubles neurovisuels sont moins gênés en dictée (ou en expression écrite) qu'en copie. Rappelons cependant que la construction du lexique orthographique est sous la dépendance des compétences de calibrage des saccades de fixation lors de la lecture (cf. p. 101) et peut donc être compromise chez certains enfants dyspraxiques présentant des troubles neurovisuels [54, 55]. S'il est en effet très important que l'enseignant valorise et favorise l'usage de l'ordinateur qui permet aux enfants de faire leur scolarité, il est tout aussi important, en ce qui concerne les apprentissages eux-mêmes, d'avoir vis-à-vis d'eux des exigences qui sont les mêmes que celles imposées à leurs pairs : c'est cette exigence qui donne sens aux adaptations proposées, mais aussi qui en favorise leur acceptation par le jeune lui-même et par ses camarades de classe. Par contre, la dictée réclame impérativement de suivre le rythme du dicteur : l'enfant dysgraphique peut soit « décrocher » (ne pouvant plus gérer, en mémoire immédiate, l'accumulation de son retard), soit tenter d'accélérer et devenir alors de plus en plus illisible. Enfin, la relecture et la correction des erreurs éventuelles dépendent du niveau de lecture du jeune (cf. chapitre 5) et supposent : • outre des connaissances orthographiques et grammaticales explicites, • de bonnes capacités neurovisuelles, • et d'excellentes fonctions exécutives (inhibition d'une lecture par adressage exclusif et des aspects purement sémantiques de la lecture), qui ne sont vraiment efficaces dans ce type de fonction que très progressivement à partir du CM. Que proposer ? L'apprentissage de l'orthographe d'usage peut être proposé oralement : dire et répéter les caractéristiques orthographiques du mot, apprendre par cœur des listes de mots qui partagent la même particularité orthographique ou la même étymologie, favoriser l'épellation, etc. Pour contrôler les connaissances, on peut recourir selon les cas à l'épellation, aux phrases à trous à compléter (cf. supra), ou à une dictée réduite en longueur sur l'ordinateur (cf. chapitre 6). Il est déconseillé de proposer un contrôle en choix multiple (l'enfant doit choisir la bonne Prise de notes La prise de notes est un exercice très exigeant, qui sollicite de nombreuses fonctions cognitives. C'est la raison pour laquelle ce n'est guère demandé aux enfants qu'à partir du collège : il faut en effet écouter (attention) et comprendre (facteur G, connaissances antérieures mobilisables en mémoire à long terme), suivre le plan de l'orateur, puis trier et hiérarchiser les informations « on line », les r­ ésumer et les synthétiser (fonctions exécutives, fonctions linguistiques) et enfin les écrire, éventuellement en abrégé (style télégraphique, abréviations). Le tout doit être rapide (c'est une exigence fondamentale de la prise de notes) et, pour être utile, doit pouvoir être relu avec un maximum de fiabilité. La dysgraphie et la lenteur graphique p­ erturbent considérablement l'ensemble de ce processus, dans lequel les tâches de haut niveau réclament un fort coût cognitif. Si la tâche de bas niveau n'est pas parfaitement et efficacement automatisée, la prise de notes est impossible ou parcellaire et donc inefficace. 58 Chapitre 3. Écrire Que proposer ? Il est généralement plus efficace, afin de permettre à l'enfant d'effectuer les opérations de haut niveau (planification, synthèse, compréhension, mémorisation…), de le libérer de la tâche graphique dans la fonction prise de notes. Le jeune doit cependant pouvoir disposer des mêmes informations que ses camarades, les notes servant normalement de « mémoire externe ». Il doit alors disposer des notes d'un camarade (photocopies) ou de celles de l'enseignant si celuici y consent ; c'est le palliatif le plus efficace. Le manuel scolaire, si l'enseignant s'y réfère, peut aussi constituer un palliatif, à lui seul ou en complément des photocopies. Cependant, il faut vérifier que la mise en pages du manuel ne soit pas trop surchargée d'informations et soit, sur le plan typographique et visuo-spatial, accessible à l'enfant dyspraxique. Enfin, il faut, lorsqu'elle est accessible, privilégier la version numérique. Le jeune peut également enregistrer le cours (si l'enseignant y consent). Dans ce cas, il faut savoir que la bande-son ainsi constituée peut être utilisée comme mémoire externe (nombre de ces jeunes souffrant de DVS apprennent beaucoup mieux en écoutant et en réécoutant qu'en lisant ou en écrivant…). Mais la réécoute est longue et souvent fastidieuse (car complète, ou nécessitant des avances rapides bien calibrées à la recherche de telle ou telle information précise). Par ailleurs, le travail de planification et synthèse reste à faire, oralement, par le jeune. Ce doit donc rester une méthode exceptionnelle, plutôt adaptée à des conférences, des sorties, une panne de la photocopieuse, etc. Dans tous ces cas, le jeune, libéré du souci du graphisme manuel (et même, plus généralement, de la gestion de la trace écrite), est disponible durant le cours pour une écoute de qualité, surtout si le plan est disponible simultanément : inscrit au tableau ou entré dans l'ordinateur ouvert devant l'enfant durant l'écoute. Cependant, il n'est souvent pas évident, ni pour le jeune ni pour l'enseignant, d'accepter une apparente inactivité durant le cours, alors que l'ensemble de la classe est en train d'écrire : on peut alors lui demander d'inscrire le plan ou, s'il dispose de photocopies (ou du manuel), de surligner les informations importantes, de noter quelques mots clés ou éléments particulièrement pertinents. Enfin, si le jeune est réellement très performant à l'ordinateur et qu'il peut produire une frappe rapide et automatisée, il peut effectuer la prise de notes à l'ordinateur, du moins si l'orateur ne parle pas trop vite, si les notes ne sont pas trop abondantes et/ou s'il sait utiliser efficacement une ­écriture abrégée (cf. p. 182). Cependant, à partir de la quatrième, de la troisième ou de la seconde (selon les matières et les professeurs), le volume des notes, l'importante planification qu'elles réclament et leur importance dans les apprentissages ne permettent souvent plus d'envisager l'ordinateur comme unique palliatif (cf. p. 191). Expression écrite (ou « production d'écrits ») Les exigences sont presque les mêmes que pour la prise de notes, à ceci près que : • la notion de vitesse et de rapidité n'est pas du tout au premier plan de cette activité (même si elle est en temps limité) ; • c'est la pensée du sujet lui-même qu'il faut mettre en forme (et non celle d'un locuteur). Produire un écrit demande différentes opérations mentales, en particulier la mise en forme sémantique, puis linguistique de la pensée, une planification, une organisation et un déroulement chronologique (ou logique) de cette pensée, puis une vérification et des ajustements (du plan, de la chronologie, de la syntaxe, de l'orthographe). Ces révisions successives constituent les brouillons qui marquent l'élaboration et la construction progressive du texte. Dans cet exercice, le jeune dyspraxique est surtout gêné par ses difficultés spatiales qui interviennent pour mettre en œuvre et rendre visible le plan. En effet, ratures et surcharges peuvent rendre le brouillon inexploitable par le jeune luimême. Dans la production finale, normalement le plan se marque par des arrangements spatiaux du texte (paragraphes, retours à la ligne) qui lui sont très difficiles ou impossibles à gérer, à s'approprier. « D'autres procédés autonomisent l'écriture [par rapport à l'oral]. Techniques typographiques surtout : alinéas, blancs, chapitres, majuscules, titres et sous-titres. En arrachant la parole au temps par la spatialisation, elles en font un objet en deux dimensions de page et trois dimensions de volume. » C. Hagège33 33 59 Hagège C. L'homme de paroles. Paris : Gallimard ; 1987. Partie I. Les obstacles aux apprentissages scolaires En outre, la dysgraphie elle-même contribue à appauvrir la production de différentes façons : • la fatigabilité peut rendre rapidement le brouillon illisible. De facto, cela peut limiter drastiquement la production d'écrits, alors même que le jeune a beaucoup de connaissances ou d'idées. On peut s'en assurer en comparant productions orales et écrites sur le même sujet. Exemple : le jeune S., lors des épreuves de sciences économiques et sociales du baccalauréat (section SES), obtient 8/20 aux épreuves écrites et 16/20 aux épreuves orales ; • l'attention portée au graphisme est soustraite aux étapes d'élaboration du texte, de recherche des idées, des liens, de la mise en forme linguistique et de la planification de l'ensemble (double tâche, cf. p. 21), donnant quelquefois des textesfleuves mal conçus (associations d'idées non organisées) et plus ou moins hors sujet ; • la lenteur ne permet souvent pas de rédiger un brouillon détaillé, puis de le recopier : soit le devoir est anormalement court par manque de développements, soit il est amputé de toute sa partie finale ; • enfin, si le jeune n'a pas eu le temps de faire la relecture et la dernière révision de son texte, le devoir est entaché de fautes d'orthographe souvent grossières au sein de phrases à la syntaxe médiocre (mal planifiées). Que proposer ? Il est important de préparer précocement les enfants à la conception de plans, d'abord linéaires, puis plus complexes, et de leur enseigner la réalisation spatiale d'un plan (mise en pages, paragraphes, pagination, niveaux de titres) et d'un brouillon (utilisation des fonctions couper, copier, coller…) sur ordinateur où les modifications ne donnent lieu ni à des ratures ni à des surcharges. Cet apprentissage, long, doit se mettre en place très progressivement, dès le primaire, car le jeune doit pouvoir disposer d'un outil efficace pour produire de l'écrit dès le CM2 ou le début du collège. Or, en règle générale, ces enfants dyspraxiques sont beaux parleurs, ils ont de bonnes connaissances générales et raisonnent bien : ils sont donc souvent très performants dans les activités de langue française durant le primaire, y compris en expression écrite, car les productions demandées sont courtes et ne réclament ni réelle mise en forme de la pensée ni élaboration d'un plan complexe. Beaucoup de professionnels et de parents sont alors rassurés par ces premiers succès et orientent l'essentiel de la rééducation sur les difficultés apparentes, visibles (graphisme, calcul, géométrie, habillage, etc.). Mais les progrès en graphisme (modestes et qui ne libéreront jamais l'enfant de la double tâche, cf. p. 51) et en mathématiques (qui ne seront jamais suffisants pour autoriser une orientation dans les filières scientifiques) sont sans effet réel sur l'avenir du jeune. Car à partir du collège et à long terme, ce sont en général les résultats dans les matières littéraires qui règlent le pronostic scolaire, puis les choix professionnels des élèves avec DVS : il est donc fondamental d'anticiper les difficultés à venir dans les activités de planification, de rédaction, de commentaires de texte et de dissertation. Le travail rééducatif préparatoire à l'élaboration de textes doit commencer dès le CE2 et comprend deux volets à mener de front : • apprentissage de la verbalisation et travail de tous ses corollaires (mémoire de travail auditivo-verbale, regroupement catégoriel et organisation des informations en mémoire à long terme, hiérarchisation des idées…) ; • apprentissage de la mise en plan et mise en forme de textes à l'ordinateur. Enfin, de nombreux jeunes doivent utiliser un secrétaire (leur AESH ou une personne inconnue lors des contrôles et examens) : ces personnels doivent être formés à ces techniques de construction et d'élaboration du texte en plusieurs temps, en spirale (cf. figure 8.1, p. 146). Il leur faut en effet savoir tenir leur rôle d'aide en lien avec le handicap (ici, le trouble spatial et graphique), mais sans intervenir dans la production du jeune, ce qui est à la fois complexe et délicat. Schématiquement, on peut conseiller d'utiliser la trame suivante, en cinq points34 : • évocation en vrac, par le jeune, des idées, citations, auteurs, liens logiques, qui surgissent à la lecture du sujet choisi. Le secrétaire doit les noter tels quels (mots isolés, phrases avortées, 34 60 Cette stratégie ne peut pas être utilisée telle quelle en cas de trouble neurovisuel entravant la lecture (se reporter au chapitre 5). Chapitre 3. Écrire ébauche de paragraphes formés de plusieurs phrases reliées, etc.), sous forme d'une liste sérielle mise sous les yeux du jeune. À ce stade, il faut que l'élève ait appris à contrôler les éventuelles diffluences par association d'idées qui conduisent à des devoirs « fleuves » sans plan ni structure interne, ou à des hors-sujets ; • le jeune effectue une première ébauche de classement des items précédemment énoncés (pré-plan) : dans cette phase, le secrétaire doit constituer différentes zones dans la page ou prendre différents feuillets pour marquer chacun des regroupements conceptuels en cours d'élaboration. Il peut, au fur et à mesure de cette phase, biffer les items nommés dans la première « liste ». Il peut ainsi signaler oralement au jeune tout item qui n'apparaît dans aucun de ces regroupements, se faire préciser si l'item est abandonné ou a été simplement oublié. Des ajouts se font jour habituellement à ce stade, sous forme d'idées nouvelles ou complémentaires à développer, de citations, d'auteurs, etc. ; • le plan est désormais en cours de constitution : le jeune nomme les différentes parties de son devoir, signale quels éléments sont des sousensembles d'autres paragraphes, comment il pense ordonner ses idées et les différentes parties du devoir. Le secrétaire doit, sur les indications orales du jeune, noter très clairement ce plan sur une feuille spécialement dédiée, en laissant des « blancs » qui permettront si besoin, au fil du temps, de compléter, de complexifier ou de préciser les différentes parties, leur position relative et leurs enchaînements. Cette page (qui peut souvent être une double page) doit ensuite en permanence rester sous les yeux de l'élève35. S'il suggère des modifications, une nouvelle page doit être rédigée, afin qu'il ait toujours sous les yeux la dernière mise à jour de son plan, propre, bien présenté et clair (il peut être utile d'utiliser des couleurs différentes pour les différents niveaux de titres36, surtout si le secrétaire écrit à la main). Si le secrétaire effectue ce travail à l'ordinateur, le dernier 35 36 plan mis à jour par le jeune doit être imprimé en temps réel, afin d'être disponible sous ses yeux durant toute la rédaction du texte et, le cas échéant, être modifié et précisé (cf. p. 144) ; • la phase de rédaction proprement dite peut alors commencer : à partir des différents éléments déjà notés, il élabore son texte, son argumentaire, sa réflexion et les met en forme et en phrases qu'il dicte à son secrétaire. Celui-ci lui relit chaque phrase ou paragraphe au fur et à mesure, à la demande. Il effectue les modifications demandées par le jeune, relit la version modifiée, et la production progresse ainsi pas à pas, avec aussi des retours en arrière (précisions sur un thème antérieur, prise de conscience d'une redite ou d'une malposition d'un argument dans le plan, etc.). C'est le secrétaire qui effectue, au fur et à mesure, la mise en forme spatiale du texte (paragraphes, retours à la ligne) en fonction du plan déterminé par le jeune précédemment (et/ou sur les indications de l'élève) ; • lorsque le texte est rédigé, le secrétaire propose à voix haute une (ou plusieurs) relecture(s) d'ensemble, permettant une révision générale et les derniers ajustements (formulations, liens entre les paragraphes, déplacements de certaines phrases ou paragraphes, précisions à ajouter…). On comprend bien que ce travail doit être extrêmement personnalisé. Il atteint son apogée au cours de l'épreuve anticipée de français, puis de l'épreuve de philosophie du baccalauréat, mais concerne aussi les épreuves d'histoire, de sciences sociales, d'économie, de langues, etc. Il doit être longuement et très progressivement préparé avec le jeune et donne lieu simultanément à une formation spécifique en direction des secrétaires (et AESH). Une bonne coordination avec les rééducateurs d'une part (apprentissage des fonctions de mise en forme de textes à l'ordinateur, stratégies orales de planification, entraînement de la mémoire de travail qui est surutilisée dans ces stratégies…) et avec les parents d'autre part (encouragements à utiliser précocement ce type de méthodologie) est indispensable pour assurer une bonne efficacité à ces techniques à la fois inhabituelles, longues et complexes. Cependant, on voit bien, lorsque ce travail n'est pas fait, que les bons résultats en français de ces élèves dyspraxiques ont tendance à se déliter au fil des années (au fil des exigences scolaires). Le passage au lycée signe souvent le À ne pas confondre avec la stratégie de mind maping (ou cartes heuristiques, ou cartes mentales), qui sollicite de bonnes compétences spatiales… Certains jeunes, atteints de troubles visuo-spatiaux importants, ont besoin que chaque partie soit portée sur des feuilles de couleur différente. 61 Partie I. Les obstacles aux apprentissages scolaires basculement dans l'échec dans ces matières où justement c'est l'excellence qui est attendue. Ce travail, qui ne s'impose pas comme « évident » lors de la première enfance puisqu'il ne correspond alors à aucun symptôme « visible » (simplement du fait qu'il n'y a pas encore d'exigences scolaires en ce domaine), est pourtant le garant d'une scolarité longue (compte tenu de l'échec prévisible dans les matières scientifiques, cf. p. 96) et d'une orientation professionnelle gratifiante. Il doit donc être entrepris assez tôt (aux alentours du CE2-CM) et faire partie intégrante du projet thérapeutique si le pronostic scolaire est bon, visant une scolarité longue et diplômante (cf. p. 33). Différentes sortes de textes à produire Outre les textes argumentatifs et de réflexion (commentaires, rédaction, dissertations) abordés plus haut, il peut être intéressant de repérer les contraintes spécifiques liées à des types de textes particuliers. Ainsi : • les textes descriptifs réclament une représentation mentale figurative détaillée de nature visuo-spatiale, précise et juste de l'objet (ou de la situation) à décrire. Ces traitements visuo-­ spatiaux peuvent être difficiles, erronés ou impossibles pour de nombreux jeunes dyspraxiques (cf. figure 8.2, p. 147) ; • les textes narratifs peuvent être demandés soit à partir de connaissances et de l'expérience du sujet, soit à partir d'illustrations, voire d'histoires en images : dans cette dernière hypothèse, c'est encore la prise d'information visuelle et/ou spatiale qui peut quelquefois constituer le handicap premier à la réalisation de l'écrit ; • les textes discursifs (conversationnels, théâtre, courriers) requièrent une bonne utilisation de la ponctuation, tirets, guillemets, etc., toutes marques qui organisent spatialement l'écrit et peuvent constituer un obstacle pour ces jeunes ; • les textes prescriptifs (recette, mode d'emploi, règle d'un jeu) doivent être informatifs : choix et hiérarchisation des informations à transmettre, impor- 62 tance de la chronologie d'apparition des informations au sein du texte, de la précision de certaines informations (dont certaines peuvent être très spatiales, fournies sous forme de dessins ou schémas) ; • les textes poétiques supposent de pouvoir jouer avec le langage, les sons, la présentation typographique ; • légender ou commenter une carte, un schéma, un graphique (cf. tableaux 8.2, 8.3 et 8.4, ­p. 147–148, 149, 151 ; figures 3.7 et 3.8, « Cahier couleur » en fin d'ouvrage) : il s'agit là d'un type d'écrit particulièrement dépendant des traitements visuo-­spatiaux. Mais, contrairement aux textes descriptifs, c'est ici sur les deux versants, afférent (analyse et/ou représentation mentale du sujet à traiter) et efférent (l'écrit produit doit être placé correctement, situé précisément sur la carte ou le graphique), que les compétences spatiales sont requises. C'est la raison pour laquelle il s'agit souvent d'activités tout à fait irréalisables pour les jeunes dyspraxiques. Lorsqu'il s'agit d'un contrôle de connaissances, on propose généralement que le jeune puisse remplacer l'aspect figuratif par un commentaire dans lequel il donne (oralement ou par écrit) les explications nécessaires. Lorsqu'il s'agit d'exercices destinés à faire acquérir un nouveau concept ou de nouveaux savoirs, on est alors obligé de reconfigurer le matériel, qui doit être présenté sous forme d'un texte (à lire ou à entendre, cf. p. 159). Il est d'ailleurs à noter que ces aménagements sont expressément prévus lors de la passation des examens : l'élève dyspraxique peut disposer d'un texte rédigé à la place d'une carte ou d'un schéma. De même, plutôt que de dessiner ou de légender une carte (ou un schéma), il est autorisé à disserter sur le même sujet. En résumé : Les compétences cognitives sollicitées selon le type de tâche sont résumées dans le tableau 3.1. On comprend facilement que les performances de l'enfant peuvent être variables selon la tâche, mais aussi en fonction du temps imparti, de la longueur de l'écrit à produire, de la fatigue. Ces fluctuations ne peuvent pas être rapportées de façon faussement simplificatrice à la bonne volonté ou à la motivation du jeune (« Quand il veut, il peut »). Par ailleurs, selon les fonctions plus ou moins préservées ou plus ou moins défaillantes chez chacun, on peut prévoir des aides ciblées portant Chapitre 3. Écrire Mer Méditerranée Tropique du Cancer MAGHREB Arabie saoudite Égypte Soudan Mer Rouge Équateur Tropique du Capricorne Méridien de Greenwich Océan Atlantique Océan Indien Figure 3.7. Leçon : Les cinq continents, chap. III : L'Afrique. Objectif : Présentation du continent africain, situation, principaux reliefs. Cette figure est reproduite en couleur en fin d’ouvrage. Air riche en O2 et pauvre en CO2 O2 CO2 CO2 O2 O2 Sang pauvre O2 Sang riche O2 O2 CO2 CO2 Figure 3.8. Rôle des alvéoles pulmonaires. Cette figure est reproduite en couleur en fin d’ouvrage. plus particulièrement sur telle ou telle situation d'écrit, on peut moduler les adaptations en fonction des besoins repérés et choisir au mieux les tâches durant lesquelles on laisse éventuellement l'enfant « en autonomie » sans le pénaliser. Différents objectifs de la production d'écrits Les écrits produits à l'école remplissent différentes fonctions, qui doivent toutes être préservées en 63 Partie I. Les obstacles aux apprentissages scolaires Tableau 3.1. Principales compétences cognitives sollicitées par les diverses formes d'écrits. Copie Complétion : phrases, textes Dictée Prise de notes Expression écrite + ± ± (grammaire) +++ +++ +++ + +++ Relecture 0 0 Mémoire de travail visuelle ± +++ 0 0 0 0 Fonctions exécutives/ planification 0 + 0 Relecture, corrections +++ +++ Regard/ neurovision +++ ± +++ 0 0 0 Connaissances orthographiques 0 + Selon l'exercice +++ 0 + Connaissances grammaticales 0 + +++ 0 + Compétences spatiales + 0 + 0 0 ++ Compétences linguistiques 0 ± ++ ++ ++ +++ Influence du facteur temps + + + +++ +++ + Directe Différée Facteur G. + Attention visuelle Compétence sollicitée : 0 : pas du tout ; + un peu ; ++ beaucoup ; +++ essentiellement. cas d'impossibilité de graphisme manuel. Selon les rôles que remplit telle ou telle forme d'écrit, on peut proposer des palliatifs différenciés, adaptés à l'objectif poursuivi (cf. tableau 3.2). Il faut absolument rassurer les parents (et l'enfant lui-même) : • d'une part, le graphisme manuel de ces enfants s'améliore toujours un peu spontanément (cf. figure 3.2, p. 69), même en l'absence de toute action rééducative en ce sens ; • d'autre part, il n'existe aucun jeune dyspraxique qui ne soit pas capable d'écrire à la main, du moins si : – l'écrit peut être réalisé en un temps non limité, – l'écrit est court, réduit à quelques mots ou quelques phrases, – le sujet a le choix de la police, en particulier s'il peut écrire en « non-attaché » (lettres bâtons, majuscules d'imprimerie), – aucune autre tâche (en particulier de haut niveau) n'est requise simultanément. Écrire pour communiquer à distance C'est l'essence même de l'écrit que de constituer une trace linguistique transmissible à distance (géographique ou temporelle). À l'école, il peut s'agir de faire un courrier, tenir un journal, rédiger un mode d'emploi, un compte rendu d'expérience, etc. Que proposer ? L'ordinateur répond parfaitement à ces impératifs, du moins en classe (chapitre 9). Mais la plupart des familles redoutent que, utilisant ­l 'ordinateur, l'enfant ne soit pas capable, ultérieurement, de remplir des formulaires, de laisser un petit mot ou de remplir un chèque, toutes situations indispensables à la vie sociale. On note que ces quatre conditions sont exactement à l'opposé de celles qui sont exigées à l'école… 64 Chapitre 3. Écrire Les cours de l'enseignant, déjà sous format numérique, peuvent aussi, grâce à une clé USB, être directement accessibles via l'ordinateur, ce qui règle alors le problème. Écrire pour disposer d'une mémoire externe Copier un mot (mémoriser l'orthographe), un texte, un résumé, un plan, prendre des notes (et se relire) à partir d'un discours oral ou d'un texte écrit, mais aussi, dans la vie courante, faire une liste, un aide-mémoire… Ce sont là les fonctions principales des écrits scolaires : l'enfant doit disposer de traces des informations et explications fournies par l'enseignant, de façon à pouvoir y revenir, faire des révisions, apprendre. Aussi, si ses cahiers (ou classeurs) ne lui permettent pas de se relire, si ses copies ou ses notes sont incomplètes ou erronées, ces écrits seront inutilisables et sans objet. Que proposer ? Disposer de traces propres, lisibles, complètes et bien organisées (typographie et mise en pages adaptées aux troubles neurovisuels éventuels, cf. p. 100–104), auxquelles l'enfant peut se référer facilement (notes datées, rangées, classées…), est indispensable s'il doit poursuivre une scolarité. Ces écrits peuvent être constitués de photocopies (de bonne qualité graphique, d'une présentation simple, claire et aérée) titrées, datées, numérotées, classées, ou de textes écrits à l'ordinateur par le jeune et collés par une tierce personne dans les cahiers (ou classeurs), ou encore de textes écrits (à la main ou à l'ordinateur) par la personne qui fait office de secrétaire. En l'absence d'un AESH, il est actuellement facile et rapide de se procurer, via une tablette ou un smartphone, une photo du texte qui, après aménagement, pourra ensuite être soit relu par une synthèse vocale, soit transféré sur l'ordinateur du jeune, soit imprimé. Dans tous les cas, il faudra rendre accessibles les textes (sur le plan typographique, présentation spatiale, illustrations et schémas, mise au format formulaire, etc.). C'est bien évidemment le travail de l'AESH de faire le secrétariat, de faire les photocopies, de scanner les textes pour en permettre l'aménagement en ce qui concerne la typographie et l'organisation visuo-spatiale, de les classer, de coller les textes produits à l'ordinateur dans les cahiers, de surligner…, travail chronophage et permanent, au quotidien. Il faut en effet vérifier chaque jour que l'enfant dispose bien de l'ensemble des informations nécessaires, en des formats facilement accessibles pour lui, pour apprendre ses leçons, faire ses devoirs, réviser. Écrire pour focaliser l'attention Chez l'enfant tout-venant, recopier (le texte du problème, la consigne, la poésie, un mot nouveau…) est un moyen fréquemment utilisé pour mobiliser son attention visuelle sur l'information nouvelle ou pertinente. C'est d'autant plus indispensable que la situation de classe, en grand groupe, génère facilement une certaine dispersion attentionnelle. La copie, au contraire, concerne chaque enfant personnellement, l'oblige individuellement à une attention ciblée, puis à une action qui le recentre, pour sa part, sur le travail demandé collectivement. Mais chez beaucoup d'enfants dyspraxiques, l'attention visuo-spatiale, le contrôle oculomoteur, l'analyse spatiale de l'organisation du modèle, puis enfin le tracé des lettres lui-même constituent un imbroglio de difficultés majeures qui compromettent d'emblée les tâches de bas niveau, premiers maillons de la chaîne des fonctions cognitives sollicitées. Dans ces conditions, loin de focaliser l'attention de l'enfant dyspraxique sur l'information pertinente, la copie la dilue au contraire dans l'invisible mais indispensable contrôle du regard et du geste. Que proposer (cf. p. 128) ? La copie doit donc être bannie, ou du moins évitée au maximum : elle épuise l'enfant dyspraxique sans qu'il puisse en tirer aucun des bénéfices attendus. Cependant, il doit, comme les autres, être aidé pour focaliser son attention. Pour lui, les aides attentionnelles sont alors centrées sur l'écoute et ne peuvent être efficaces que si la collaboration médico-pédagogique est étroite, chacun réutilisant en partie les stratégies dont l'enfant peut s'emparer, tout en les appliquant dans des contextes très différents. En rééducation, ces méthodes sont individuelles et visent un renforcement des fonctions attentionnelles ellesmêmes. En classe, elles doivent être utilisables en groupe et servir les apprentissages. En rééducation, d'emblée, on évalue, puis on entraîne les capacités d'attention auditive de l'enfant puisqu'on sait que ce sont ces compétences-là qui, avec le niveau de facteur G, régleront in fine le 65 Partie I. Les obstacles aux apprentissages scolaires pronostic scolaire. En outre, capacité en mémoire de travail auditivo-verbale et attention auditivoverbale sont intimement liées. On propose [8], entre autres, des jeux de focalisation sur des cibles (auditives, visuelles, combinées) avec des consignes de plus en plus complexes, un travail de répétition de syllabes, de logatomes, de « parler verlan », de repérage d'un mot dans un discours, de répétition de fins de phrases, etc. [57]. De nombreux logiciels, sur ordinateur, proposent également des jeux d'attention verbale et d'entraînements de la MT auditive [58, 59]. La situation individuelle permet d'évaluer la fatigue de l'enfant et de calibrer les attentes en fonction de la disponibilité et de ses progrès. Il est très important, lors de ces exercices, de lui signifier clairement quel est le lien entre ce travail et celui demandé en classe. En classe : après avoir attiré l'attention de l'enfant (on convient d'un « signal », par exemple l'adulte pose sa main sur l'épaule de l'enfant), on peut demander à l'enfant de reformuler la consigne, ou bien c'est l'AESH qui reformule (informations, consignes, explications), en individuel et à voix basse, les dires de l'enseignant. De la sorte, le discours ou la consigne collective devient individuel, s'adressant à ce seul enfant : il est ainsi mis en situation d'apprentissage. L'adulte veille également à limiter au maximum les distracteurs (enfant situé près de l'enseignant et du tableau) et à rehausser au mieux les informations ciblées, sur lesquelles doit porter l'effort attentionnel : isolement de l'information ciblée par un surlignage de couleur, demande de répétition des mots clés de la consigne avant de débuter la tâche, utilisation de pictogrammes focalisant l'attention [56]. D'une façon générale, il ne faut pas oublier qu'à côté des éléments auditivo-verbaux (prééminents), on peut aussi utiliser certains stimuli visuels pour capter ou recentrer l'attention de l­'enfant (ces enfants y voient bien !), à condition que l'enfant n'ait pas à produire simultanément une tâche graphique et qu'il ne soit pas nécessaire d'en faire une analyse spatiale. C'est pourquoi l'usage – plus ou moins systématique – de pictogrammes et/ou de couleurs est très efficace pour focaliser l'attention. Écrire pour maîtriser la langue écrite Il s'agit là d'apprendre à mettre en forme sa pensée sous une forme linguistique appropriée (au thème, au destinataire) et conforme aux usages culturels de la langue. C'est un travail qui s'étend sur l'ensemble de la scolarité, prenant de multiples formes (commentaires de textes, rédactions, ­dissertations), se complexifiant progressivement. C'est donc un objectif qui se décline en différents sous-objectifs, concernant : • d'abord les outils de base de la langue, tels que le vocabulaire, l'orthographe, la grammaire et la conjugaison. Dans ce but, on propose souvent aux enfants de copier, compléter, transformer ou produire des mots, des phrases ou de petits textes. Que proposer ? – il faut favoriser la verbalisation, l'oral, l'épellation (orthographe lexicale), l'apprentissage par cœur de règles (grammaire, conjugaison, syntaxe), – il faut aussi limiter, voire supprimer les situations de copie, – limiter les écrits (souligner, répondre par vrai/faux, etc.), – recourir à l'usage de l'ordinateur, de formulaires… ; • puis ces éléments linguistiques sont progressivement inclus dans des productions d'écrits qui sollicitent la syntaxe, les différents styles et niveaux de langue et les connaissances sur le monde physique et social. Que proposer ? On conseille de commencer précocement la dictée à l'adulte qui entraîne l'enfant à la transposition de l'oral à un texte écrit dont les règles et contraintes sont différentes, y compris sur le plan typographique ; On note, là encore, combien la présence permanente, à temps plein, d'un AESH bien formé peut jouer un rôle décisif dans la scolarité de l'enfant dyspraxique, non que l'auxiliaire fasse « à la place de l'enfant » comme on l'entend dire quelquefois, mais parce que ses interventions méthodologiques, bien adaptées, libèrent l'enfant de toute entrave en lien direct avec son handicap et lui permettent de valoriser ses capacités d'intelligence et de langage pour faire les mêmes acquisitions scolaires que ses pairs. Il s'agit donc bien de compenser le handicap. 66 Chapitre 3. Écrire • enfin, l'élève doit être capable de produire une rédaction ou une dissertation, c'est-à-dire récupérer en mémoire à long terme les idées et connaissances en lien direct ou indirect avec le thème, faire un plan, élaborer sa pensée, choisir le style linguistique (en tenant compte de la consigne, du sujet à traiter, de l'occasion, du lecteur éventuel…), effectuer la mise en mots et en phrases, ajuster la syntaxe (phrastique et textuelle) et l'orthographe. Cela demande de grandes compétences en sémantique, pragmatique, facteur G, fonctions exécutives… L'élève atteint de DVS est donc en difficulté non dans l'exercice proposé en tant que tel, mais plutôt dans l'appropriation des formes orthographiques [65], la conception et la réalisation d'un plan (cf. p. 58, 59). Que proposer ? Des pistes de travail rédactionnel sont présentées p. 59–61. Chez les plus grands, on utilisera aussi la dictée vocale (cf. p. 194), après apprentissage et dans des conditions particulières (nécessité d'isolement ou devoirs à la maison). En effet, son utilisation requiert d'excellentes fonctions de planification (fonctions exécutives). En outre, la forme de surface du plan (paragraphes, retours à la ligne, sauts de ligne) devra le plus souvent être gérée par l'adulte. texte (du problème, de l'exercice, de la consigne, de l'expérience…) et, chaque fois que le devoir s'y prête, l'autoriser à répondre par un mot, un résultat, une marque graphique économique : surligner la bonne réponse dans le texte, ne mettre que l'initiale du mot, cocher la bonne réponse, n'écrire que la terminaison du verbe, répondre par « vrai/faux », etc. ; • utiliser, chaque fois que possible, les QCM (questions à choix multiple) et les complétions de phrases, qui minimisent la part d'écrit (cf. p. 55), que celui-ci soit réalisé à la main ou à l'ordinateur (on rappelle cependant que les propositions en choix multiple ne sont pas adaptées pour l'apprentissage de l'orthographe lexicale, cf. p. 103) ; • recourir surtout au verbal qui permet répétitions et apprentissage par cœur (orthographe, listes lexicales, règles grammaticales, faits numériques…). Cependant, cela suppose impérativement la disponibilité d'un adulte (parent, enseignant, AESH, éducateur scolaire ou autre) capable de s'assurer que l'enfant s'est bien approprié le savoir visé et de faire les corrections éventuellement nécessaires. Il faut aussi veiller à ce que le temps mis pour faire ces exercices (cf. p. 70) soit à peu près du même ordre que le temps que les autres enfants y consacrent en moyenne : au-delà, la fatigue (particulièrement rapide et intense chez les jeunes dyspraxiques) rend ces exercices inutiles ou même nocifs, car l'enfant ne peut plus assimiler de nouveaux savoirs. Il peut alors produire de nombreuses erreurs qui risquent de parasiter la mémorisation de la notion et de compromettre l'assimilation de l'item correct. Écrire pour faire des exercices, faire ses devoirs Les exercices ont pour objectif d'amener l'élève à s'entraîner, de façon à ce qu'il parvienne peu à peu à automatiser une production de qualité (lexicale, orthographique, syntaxique, mathématique, etc.) selon son âge et son niveau scolaire. C'est pourquoi l'attribut principal de ces exercices est d'être répétitif et ciblé sur un élément précis. Par ailleurs, le fait que les exercices soient écrits permet à l'adulte un contrôle (cf. infra) sur leur réalisation effective, la compréhension ou l'appropriation par l'enfant de la notion travaillée et d'éventuels ajustements ou corrections à prévoir. Que proposer ? Nous l'avons dit, écrire à la main (mais aussi, quoique dans une moindre mesure, à l'ordinateur) épuise l'enfant sans pour autant lui permettre de faire les apprentissages prescrits, au contraire. Nous conseillons donc de : • limiter au maximum la charge de l'écrit et dispenser l'enfant de recopier la consigne ou le Il faut donc réduire la quantité d'exercices d'application, en proportion de ce que l'enfant peut réaliser dans les mêmes délais que ses camarades de classe. D'autant que ces enfants, intelligents, très suivis et très accompagnés sur le plan scolaire, ont souvent besoin de moins de séances d'entraînement que certains de leurs pairs valides pour s'approprier certaines notions… Écrire pour effectuer un contrôle (passer un examen) Évaluer les connaissances acquises, la façon dont l'élève peut ou non les réemployer à bon escient, 67 Partie I. Les obstacles aux apprentissages scolaires les stratégies utilisées, repérer les méconnaissances, mais aussi les incompréhensions, les quiproquos, les erreurs, tout cela, en grand groupe – le « groupe-classe » –, ne peut se réaliser que par l'intermédiaire de l'écrit. minimales sur le plan rédactionnel (mot isolé, surlignage, résultat brut, phrases en style télégraphique…) ; • lorsque l'élève utilise le graphisme manuel (pour des mots isolés, des phrases à trous, des chiffres), la qualité du tracé (grossier, difficile à lire) et la présentation (sale, brouillonne, désordonnée) ne doivent pas entacher la notation. Une indulgence particulière doit être demandée en ce qui concerne l'orthographe et la qualité rédactionnelle (prise en compte de la situation de double tâche) ; • s'il utilise l'ordinateur (cas le plus souhaitable), l'indulgence ne doit plus porter que sur les aspects spécifiquement spatiaux (présentation et mise en forme), l'enfant étant dispensé des épreuves intrinsèquement spatiales (cartographie, schéma, légende, graphique, géométrie) ou bien ces dernières étant spécialement aménagées pour lui (cf. p. 10–11 et figure 3.8, « Cahier couleur » en fin d'ouvrage) ; • s'il fait appel aux services d'un secrétaire (avec ou sans le recours à l'ordinateur), les tâches que celui-ci doit remplir doivent être très précisément listées avant l'examen. Pour la passation des examens (cf. p. 186), nous conseillons la rédaction d'une fiche très détaillée qui justifie et précise toutes les aides techniques et humaines nécessaires à ce jeune-là, pour ces épreuves-là, fiche soumise préalablement au médecin scolaire et/ou au médecin du rectorat qui décide des aménagements autorisés. En effet, il existe des directives au plan national concernant l'aménagement des examens et concours pour tous les enfants handicapés, dont les jeunes « dys- » : le médecin scolaire doit être contacté dans le courant de l'année scolaire (souvent dès la rentrée scolaire de l'année de l'examen pour lequel les aménagements sont sollicités), car c'est lui qui recommande les démarches à effectuer et contacte les autorités compétentes. Il est également souhaitable d'informer l'enseignant référent, à la MDPH, des aménagements qui sont demandés. En règle générale, les aides (humaines et/ou matérielles) que le jeune utilise régulièrement en classe depuis plusieurs années sont agréées si elles sont justifiées par le handicap et par un certificat médical descriptif et argumenté. Enfin, pour certaines évaluations (lors de brefs contrôles inopinés en classe), l'élève peut être interrogé oralement par l'enseignant lui-même, Lorsque le graphisme manuel est, en soi, une difficulté qui interfère négativement avec les activités de haut niveau (double tâche, cf. p. 21, 51), les contrôles écrits n'évaluent plus les connaissances de l'enfant, mais seulement sa capacité – ou son incapacité – à gérer son handicap visuo-practospatial. Que proposer ? Comme pour les exercices et les devoirs, on choisit une présentation de phrases à trous, des réponses courtes et précises, on favorise l'usage de l'ordinateur, de la fonction formulaire (cf. figure 8.1) et des logiciels spécialisés dont l'enfant a la maîtrise. Chaque fois que possible, on propose un contrôle oral. Par ailleurs, on octroie au jeune un tiers-temps supplémentaire pour tenir compte des contraintes imposées par le handicap, le matériel, la lenteur. Lorsque, au cours de contrôles informels, pour des raisons matérielles d'organisation et de planning, il n'est pas possible d'octroyer ce temps supplémentaire : • l'enseignant diminue la charge de travail d'environ un tiers (ce qui oblige, dans la grande majorité des cas, à repenser les consignes, les sujets ou les questions spécifiquement pour l'élève dyspraxique, car il est rare que la simple suppression du dernier tiers des exercices permette de faire une évaluation des mêmes items que pour ses pairs). Le barème de notation s'en trouve modifié et doit être notifié à l'élève ; • selon les disciplines et le type de contrôle, on applique un coefficient de notation tenant compte de la lenteur de l'élève. Il ne peut s'agir là que d'expédients ponctuels. En effet, les jeunes doivent apprendre à utiliser ce tiers-temps : il faut donc mettre en place les conditions de cet entraînement régulièrement, lors des contrôles, et ne pas attendre le jour de l'examen pour en faire la proposition au jeune ; • comme pour les exercices et devoirs, il faut autoriser explicitement le jeune à ne pas recopier le texte ou la consigne et accepter des réponses 68 Chapitre 3. Écrire pendant que les autres enfants répondent au contrôle écrit. Lorsque c'est nécessaire, l'enseignant peut aussi remplir les fiches et cahiers en lieu et place de l'enfant qui donne ses réponses oralement. Dans certains cas, lorsqu'il s'agit de contrôles plus informels, l'AESH peut aussi remplir ce rôle de secrétaire. On note donc (tableau 3.2) que l'ordinateur peut remplir toutes les fonctions de l'écrit. Cependant, ce n'est qu'un ersatz, dont il faut bien connaître les exigences particulières et les limites (cf. chapitres 6 et 9). Écrire pour noter les devoirs à faire C'est souvent en fin de journée, ou au collège à la fin de chaque cours, que les devoirs doivent être très rapidement notés dans le cahier de textes, quelquefois alors même que la sonnerie retentit et que tous commencent à ranger leurs affaires. L'enfant lent est là dans une situation d'une difficulté extrême, dont les répercussions vont se faire sentir en cascade d'une activité sur l'autre : sortir le cahier de textes et l'ouvrir à l'endroit pertinent Tableau 3.2. Principales fonctions de l'écrit à l'école. Types d'écrits Communiquer à distance Disposer d'une mémoire externe Focaliser l'attention Mémoriser l'orthographe lexicale Courriers Résumés Copies Mode d'emploi Prise de notes Copies itératives Copies de mots Dictées Dictées Phrases à trous Plans Copies Caracté­­ ristique essentielle à préserver Trace durable À disposition Consultable par autrui Consultable par le sujet Modalités palliatives envisageables Ordinateur Transformation de phrases – livre de référence – Internet 2. Photocopies : notes du professeur (+ clé USB) ou d'un camarade Produire des textes Phrases ou textes à compléter ou à transformer Textes prescriptifs, narratifs, descriptifs, argumentatifs : rédactions, dissertations, journal… Présentation adéquate Focalisation de l'attention sur la forme orthographique Focalisation de l'attention sur la forme syntaxique Disposer d'un brouillon modifiable pour la mise en forme des différentes phases (élaboration, planification, production, révision) À BANNIR (l'écrit, très coûteux pour ces enfants sur le plan attentionnel, est, en soi, un distracteur !) 1. Lettres mobiles (jusqu'au CP environ) Oral + épellation des flexions Ordinateur et/ ou secrétaire formé Organisation interne (titre, pagination, classement, rangement) 1. Manuel : Grammaire et conjugaison 3. Magnétophone Ordinateur +++ 69 2. Épellation orale, recours à l'étymologie, lecture « flash » (cf. p. XXX) Partie I. Les obstacles aux apprentissages scolaires est déjà compliqué, laborieux et lent. Lorsque l'enfant est enfin prêt, c'est l'activité de copie ellemême qui le met alors en difficulté. Souvent, la transcription est illisible (précipitation) et incomplète, donc inutilisable (les parents et l'enfant rapportent qu'ils doivent très fréquemment téléphoner à un camarade pour avoir les informations utiles aux devoirs). Mais il doit encore ramasser et ranger ses affaires et soit changer de salle (au collège), soit sortir et préparer le matériel (livres, cahier, trousse, ordinateur…) nécessaire à l'activité suivante : il a déjà pris là un retard notable par rapport à ses pairs, alors qu'il n'a même pas pu, contrairement aux autres enfants, bénéficier des quelques minutes de pause nécessaires pour passer d'une activité à l'autre. Si l'enfant dyspraxique s'octroie ces quelques instants d'interclasse – ou de fin de journée – pour se détendre, « décrocher » ou discuter avec ses copains, alors cela lui est reproché, car cela s'ajoute à son retard déjà important… Aussi, on préconise que ce soit un camarade (dans certaines classes, une sorte de rotation entre les enfants est instituée, évitant que ce travail ne repose toujours sur le même camarade), l'enseignant ou l'AESH qui inscrive les devoirs à faire, de façon que l'enfant dispose des informations nécessaires. Dans certaines classes, l'accès aux devoirs se fait via un site propre à la classe, ce qui règle le problème… sur des copies de 5 minutes, ce qui, là aussi, est loin de refléter la réalité scolaire. Par ailleurs, nous avons déjà signalé un test (« Je respire le doux parfum des fleurs », cf. p. 70) qui, outre la vitesse graphique « habituelle » de l'enfant, mesure ses réserves d'accélération, celles qui reflètent en partie l'automatisation du graphisme, celles qui permettent ponctuellement de rattraper un retard, de se mettre à jour. Or, l'enfant qui ne peut pas accélérer son graphisme manuel : • montre qu'il a besoin d'un important temps de contrôle (ou d'ajustement) de son geste : c'est un indice fiable pour soupçonner qu'il est en double tâche, même si le graphisme manuel est d'apparence satisfaisante, lisible ; • écrit en permanence en classe, toute la journée, à sa vitesse maximale : cette situation est génératrice d'un épuisement rapide, ne lui laisse aucune disponibilité pour aucune autre tâche intellectuelle et, de fait, s'avère ingérable pour l'enfant. Implications générales La lenteur est à l'origine de plusieurs éléments défavorables : • elle met l'enfant en décalage permanent et cumulatif entre les activités sur lesquelles il focalise son attention à un moment donné et le discours (ou l'activité) de l'enseignant et du reste de la classe. Cette désynchronisation fréquente, sinon continue, ne permet à l'enfant de bénéficier ni des explications et consignes orales que prodigue l'enseignant ni du travail qu'il est en train de produire avec retard ; • elle révèle et aggrave la situation de double tâche, en une relation circulaire très négative : c'est la situation de double tâche qui contribue (aussi) à ralentir l'enfant, et lorsqu'il a pris du retard, il n'a plus d'autre choix que de se focaliser sur la tâche de bas niveau (le graphisme manuel) pour essayer d'accélérer le geste, de se mettre à jour ; • elle compromet paradoxalement les indispensables temps de repos, de détente et de socialisation si l'enfant doit finir son travail durant les pauses ou les récréations. Lors de la scolarité primaire, l'enseignant peut plus facilement d'une part remédier au fil de la journée aux retards pris par l'enfant et d'autre part éventuellement réguler l'alternance des temps de Lenteur graphique La lenteur graphique est définie par des tests étalonnés de vitesse d'écriture : cette dernière doit être rapportée à l'âge de l'enfant et à son niveau scolaire. Il s'agit de la vitesse du graphisme manuel37 (selon les tests, il peut s'agir de copie, de répétition de mots, de dictée) évaluée dans des conditions nettement plus favorables que la situation habituelle de copie à l'école. En effet, lors de ces épreuves, l'enfant est en simple tâche (puisque aucune autre tâche intellectuelle ne lui est demandée simultanément), ce qui est rarement le cas en situation scolaire. En outre, les épreuves de dégradation avec le temps et la fatigue ne portent que 37 Il est souvent intéressant, lorsque l'enfant est initié à l'ordinateur, de comparer vitesse en graphisme manuel et vitesse de frappe au clavier. 70 Chapitre 3. Écrire travail et de repos sur la journée. À partir du collège, cette régulation est plus difficile du fait de l'organisation par disciplines : les retards ou les manques passent plus facilement inaperçus, alors qu'ils s'avèrent plus graves, cumulatifs et plus difficiles à rattraper ; • l'enfant travaille souvent avec précipitation, aux dépens de la réflexion : il s'épuise à noircir du papier aussi vite qu'il peut, sans rien en apprendre… ; • enfin, la lenteur et le retard constants génèrent une anticipation de l'échec et un découragement profond, qui s'ajoutent au sentiment d'incompétence. peut s'agir de dispenses de certains cours ou de certaines matières qui ne compromettront pas le cursus ultérieur38 ou bien de répartir les apprentissages d'une année scolaire sur deux années. Cette dernière solution est particulièrement intéressante et trop peu souvent utilisée. Étaler les apprentissages sur deux ans, c'est d'abord reconnaître les difficultés de l'enfant et les prendre en compte, permettant à l'élève de faire des apprentissages de qualité, partiels, mais qu'il complète l'année suivante. Il faut bien sûr choisir avec soin le moment de cette proposition qui ne peut être renouvelée, au mieux, qu'une seule fois dans le cursus scolaire, afin que le jeune ne soit pas en trop grand décalage d'âge avec le reste de sa classe. L'ensemble compromet donc inévitablement les apprentissages, et ce d'une façon masquée, car la gravité provient de la répétition et de la chronicité de cette situation. Exemple P., 14 ans, jeune fille dyspraxique, est en grande difficulté en troisième, malgré son excellent niveau de raisonnement et l'importance de l'aide parentale. Elle rêve d'être journaliste et elle possède a priori les capacités pour effectuer un cursus littéraire. Son histoire scolaire est assez caractéristique : excellente élève en primaire, elle est progressivement mise en difficulté par sa lenteur. Les résultats deviennent médiocres, puis, à partir de la quatrième, franchement inquiétants : c'est dans toutes les matières, y compris en français et en langues (où elle était antérieurement performante), que les notes fléchissent, puis s'effondrent. Sur notre suggestion, le collège lui propose alors d'effectuer sa troisième en deux ans, afin de tenter de préserver ses chances d'admission en seconde générale actuellement très compromises. P. et ses parents acceptent cette proposition qui sera assortie de : rééducations ciblées – aide à la rédaction de textes élaborés (cf. p. 60) – et intensification de l'usage de l'ordinateur ; dispenses de certains cours (dessin, mais aussi latin et mathématiques, dans l'optique d'une orientation vers un baccalauréat option littéraire ou langues). Dans le cas où l'on a l'espoir d'une scolarité longue et diplômante (cf. p. 33), la lenteur d'écriture constitue en soi un handicap grave qui doit être précocement pris en compte, sous peine de ruiner définitivement à bas bruit le pronostic scolaire. Que proposer ? D'une façon générale, il faut limiter les écrits (à la main et/ou à l'ordinateur), ainsi que cela a déjà été dit précédemment (procurer des photocopies, des résumés, demander à l'enfant de ne pas recopier les énoncés et de fournir des réponses écrites minimales, etc.). Il faut surtout adapter la charge de travail dans toutes les activités proposées ou presque (nombre des exercices, longueur des dictées ou des devoirs), de telle sorte que le travail puisse être fait dans le temps imparti à ses camarades de classe. Mais si ce temps en fin de primaire (CM) dépasse le tiers-temps prévu par les textes (cf. p. 67), il faut alors prévoir également des allégements d'emploi du temps en fonction du projet scolaire et du projet de vie du jeune dyspraxique. Ces aménagements du planning scolaire de l'enfant peuvent prendre différentes formes et être adaptés, au cas par cas, aux besoins. Les aménagements d'emploi du temps sont décidés en réunion de PPS, avec l'accord de l'enseignant référent à la MDPH, des enseignants et des parents. L'objectif est d'aménager un temps de répit à l'enfant, tout en organisant une remise à niveau pour lui permettre de reprendre ensuite une scolarité satisfaisante. Il 38 71 Les dispenses de l'enseignement de telle ou telle discipline ne peuvent être prises en compte que si l'enfant est reconnu « handicapé » par la MDPH et décidées par la CDAPH. Attention cependant : certaines disciplines sont obligatoires lors de certains examens, et l'enfant en pourra pas en être dispensé le jour de l'examen (cf. note 60, p. 142). Partie I. Les obstacles aux apprentissages scolaires imparti est trop court pour lui et qu'il n'a pas terminé, il laisse alors l'activité inachevée. L'enfant doit savoir qu'il sera autorisé à finir (ou à compléter) ultérieurement, ou encore qu'« on » (l'A ESH, l'enseignant, un camarade) lui fournira la suite et la fin (du cours, du corrigé…). Cette situation, qui ne peut être que ponctuelle, permet au jeune de conserver sa sérénité et d'effectuer un travail certes partiel, mais dans de bonnes conditions de disponibilité et donc d'apprentissage. À l'issue de la première troisième, P. passe le brevet en histoire-géographie : elle peut garder ses notes pour l'année suivante où elle passera les épreuves complémentaires. Il est possible que P. ait de nouveau besoin, au cours des années de lycée, d'un tel dispositif, mais son âge le lui permettra. Loin de compromettre son avenir, cela peut lui donner les moyens d'aller au bout d'un projet professionnel gratifiant. Croire que plus l'enfant fournit de travail, plus il est en situation de réussite est une erreur fréquente, et lorsque les résultats scolaires de l'enfant « décrochent », il est difficile de résister aux arguments apparemment de bon sens, du type : « Il échoue parce qu'il fait moins d'exercices, moins d'entraînements que les autres et/ou parce qu'il rate certains cours » (du fait des rééducations et/ ou des allégements d'emploi du temps). Or, l'expérience nous montre régulièrement que de nombreux enfants handicapés moteurs non dyspraxiques sont scolarisés à temps partiel sans aucune influence négative sur leur cursus scolaire. A contrario, de nombreux enfants dyspraxiques ne sont dispensés d'aucune tâche et s'enfoncent peu à peu inexorablement dans l'échec scolaire. L'important est surtout que, durant les heures scolaires, l'enfant soit réellement disponible pour comprendre, mémoriser, apprendre, faire des liens et qu'il rentre au domicile en ayant les éléments (cahiers, textes, informations, documents, concepts…) nécessaires pour réviser. C'est le travail du médecin, des rééducateurs, des parents, des enseignants (et de l'AESH) que d'y veiller, et cela passe, chez l'enfant lent, par le choix d'acquisitions prioritaires (celles qui conditionneront son cursus ultérieur, ou son indépendance sociale, ou qui permettront la réalisation de son projet professionnel), choix qui détermine la dispense d'un certain nombre d'activités dans d'autres secteurs. Enfin, il faut apprendre à l'enfant à gérer, en classe, les situations résiduelles dans lesquelles sa lenteur peut le gêner : il faut lui apprendre à maîtriser le stress que cela représente et il faut qu'il arrive à s'atteler à son travail initialement sans précipitation, à son rythme. Puis, lorsqu'il constate que les autres ont fini ou que le temps Mise en route d'une activité Les adultes signalent souvent que l'enfant dyspraxique se met en retard dès le début de l'activité : décrit comme rêveur, peu attentif, lent à commencer la tâche, l'enfant doit être sollicité à de nombreuses reprises pour se mettre au travail. Là encore, rappelons les différents éléments qui se cumulent et rendent compte de cette difficulté à initier l'activité : • chercher, trouver, ouvrir à la bonne page ou disposer le matériel demandé, après l'avoir extrait du cartable, de la trousse, de la case, du vestiaire ou du bureau de l'ordinateur, constitue un véritable challenge pour l'enfant dyspraxique (cf. p. 93), tâche ardue dont la réalisation le laisse souvent perplexe, perdu, désemparé. C'est pourquoi, chez les plus jeunes, c'est encore le camarade, l'enseignant ou l'AESH qui doit sortir le livre, ouvrir le cahier, préparer règle et crayons, cliquer et ouvrir le dossier concerné sur l'ordinateur… Chez les plus grands, c'est l'organisation du bureau de l'ordinateur qui doit être conçue non comme cela paraît « logique » aux adultes performants, mais comme cela est utile aux jeunes dyspraxiques. L'étayage dans ce domaine est généralement indispensable jusqu'à la fin du collège ; • l'enfant, presque toute la journée en double tâche, est souvent anormalement fatigué sans que les adultes en aient toujours nettement conscience. Le jeune dyspraxique, du fait de sa lenteur, ne bénéficie d'aucun des temps de repos qui s'offrent normalement aux autres enfants, que ce soit en cours de travail ou brièvement entre deux activités. Pour toutes ces raisons, l'enfant dyspraxique doit souvent être aidé matériellement à se mettre en route. Ensuite, il peut effectuer le travail demandé, du moins à la mesure de sa dyspraxie. 72 Chapitre 3. Écrire Les principales réticences (au mépris des résultats de bilans) qu'il s'agit d'une dysgraphie banale qui pourrait peut-être s'arranger avec du temps et de l'entraînement. Certains proposent même de faire un essai (d'un ou deux ans, ou jusqu'en fin de primaire) d'amélioration du graphisme manuel et de ne passer à un autre procédé (en général, l'ordinateur) qu'en cas d'échec. Cette attitude, apparemment de « bon sens », est particulièrement dangereuse : il est difficile d'engager l'enfant dans un travail de rééducation du graphisme durant plusieurs années (et d'encourager ainsi son espoir de devenir plus ou moins apte à « faire comme les autres »), puis, à l'adolescence et en dépit de ses progrès (cf. p. 52), de lui proposer d'y renoncer (cf. p. 132). Par ailleurs, il faut compter environ deux années scolaires d'un travail rééducatif pluri-hebdomadaire (cf. p. 115) avant que l'enfant ne soit réellement efficace en classe avec un ordinateur : si l'on commence tard, alors que l'enfant est déjà en échec scolaire ou en phase de décrochage, l'échec scolaire sera consommé d'ici là… Nos homologues anglo-saxons préconisent souvent un usage beaucoup plus tardif de l'ordinateur (fin de primaire, début de collège), arguant qu'un apprentissage plus tardif est aussi plus rapide du fait d'une plus grande maturité de l'enfant, ce qui est tout à fait évident. Mais le statut du graphisme y est très différent. Les jeunes écrivent indifféremment en scripts, en lettres bâtons, en majuscules d'imprimerie ou en cursives, souvent un mélange de plusieurs polices. L'écriture cursive n'est enseignée que tardive­ ment (en milieu de primaire) et de façon accessoire. D'une façon générale, au cours de la scolarité, peu d'attention est portée à la calligraphie et à la présentation, peu de remarques sont faites aux enfants dans ce domaine, peu d'exigences sont exprimées sur la forme de surface des écrits produits. Aux États-Unis, depuis la rentrée de 2014, 45 États ont complètement supprimé l'enseignement de l'écriture cursive. La plupart des enfants (et des adultes) écrivent en un mélange de scripts et de majuscules d'imprimerie. Seuls l'efficacité, la rapidité, l'intention et le contenu de l'écrit sont pris en compte. En France, au contraire, il existe toujours un consensus très fort pour maintenir l'apprentissage du graphisme manuel et en particulier de la police dite « anglaise » ou « cursive » (les lettres « attachées », comme disent les petits). Une attention extrême est portée à la qualité du graphisme, à la tenue des cahiers, à la présentation des devoirs et exercices. aux adaptations Disposer d'écrits et être capable d'en produire est absolument indispensable tout au long de la scolarité. Mais les modalités à l'aide à partir desquelles sont réalisées les traces écrites peuvent être variables : seuls comptent l'efficacité du procédé et le respect des objectifs visés en termes d'apprentissages. Il ne faut donc prendre aucun risque scolaire sous prétexte de préserver la calli­ graphie. Dans ce but, et quel que soit le moyen adopté, doivent être prises en compte : • la vitesse à laquelle l'enfant peut réaliser la trace écrite (à la main, à l'ordinateur, en dictée à l'ordinateur ou à un secrétaire…), la lenteur constituant un surhandicap sévère ; • la qualité des écrits obtenus (lisibilité, présentation, complétude…), ce qui en permettra la réutilisation ; • la disponibilité du jeune aux tâches de haut niveau (automatisation) qui sont les seules réellement visées par la scolarisation, sur lesquelles in fine l'enfant est jugé et qui seules déterminent son avenir. Ce sont ces trois critères simultanément qui qualifient la gravité et l'importance des répercussions fonctionnelles, c'est-à-dire le handicap lié à la dysgraphie, et donc qui déterminent les mesures à prendre. Cependant, lorsqu'il apparaît que, pour préserver la scolarité, il faut « renoncer » au graphisme manuel (à le rééduquer et/ou à en faire le mode habituel de réalisation de l'écrit en classe), beaucoup de réticences se manifestent bien naturellement. Du côté des professionnels du soin Les rééducateurs croient souvent, à tort, que leur mission consiste à réduire ou à « gommer » au mieux les symptômes. En outre, il faut souvent se décider tôt, alors que l'enfant est jeune, idéalement en grande section de maternelle ou en début de primaire. Les parents (et quelquefois l'enseignant ou les professionnels) espèrent alors encore 73 Partie I. Les obstacles aux apprentissages scolaires laissant sidérés des parents qui n'étaient préparés ni à l'un ni à l'autre. En outre, lorsque l'enfant est jeune, les familles sous-estiment le problème d'accès au graphisme, le réduisant souvent à une question de bonne volonté et de surcroît d'entraînement, méconnaissant les conséquences délétères engendrées par le problème de la double tâche dont ils ignorent tout (cf. p. 21). Enfin, c'est souvent à cette occasion qu'ils réalisent à quel point il s'agit d'un véritable handicap, avec les effets de stigmatisation inévitable que cela induit : ils luttent alors contre cette idée insupportable en minimisant le problème, en le banalisant ou en espérant des professionnels une « guérison » (qui consisterait ici en une amélioration suffisante du graphisme manuel). Dans cette quête, ils sont souvent leurrés, d'une part par des professionnels bien intentionnés, mais disposant d'une expérience ou d'un recul insuffisant en matière de scolarité (cf. p. 24, 25), d'autre part par les « progrès » que leur enfant ne manque pas de faire (cf. figure 3.2). C'est la raison pour laquelle le délai qui est consacré aux tests et évaluations diverses en vue du diagnostic (plusieurs mois, voire une année scolaire) n'est pas, comme le pensent beaucoup, du temps « perdu » (cf. p. 7, 8) : non seulement cela permet de poser le diagnostic et d'assurer les préconisations thérapeutiques, mais cela donne aussi aux parents et aux différents professionnels l'occasion d'échanger, de mieux appréhender les faces cachées du handicap, de se préparer à des décisions difficiles mais, à terme, porteuses d'espoir et gratifiantes. C'est la raison pour laquelle, à déficit praxique équivalent, le handicap scolaire lié à une dysgraphie est beaucoup plus sévère et précoce en France. C'est cette situation de handicap, particulièrement marquée et génératrice d'échec scolaire global, qui justifie la préconisation d'une écriture clavier beaucoup plus tôt dans notre scolarité, avant que ne survienne l'échec scolaire. Bien sûr, cela impose que le diagnostic de dyspraxie ait été clairement posé, que la nature et l'intensité du handicap soient bien évaluées avant toute décision (cf. p. 32). Ce sont ces éléments qui doivent guider la décision, et non une attitude attentiste « par essai et erreur », dont l'enfant scolarisé en France, finalement, devra seul assumer les errements. Enfin, en cas de doute persistant, on peut se demander quelle erreur serait la plus dommageable à l'enfant si les décisions prises précocement s'avéraient ultérieurement erronées : • se tromper en proposant le graphisme manuel à un enfant qui ne pourra pas le maîtriser et l'automatiser suffisamment : cela aura des conséquences gravissimes, souvent irrécupérables à moyen et long terme sur le plan de sa scolarité ; • au contraire, se tromper en proposant une écriture clavier à un enfant qui se révélerait ensuite capable d'exploiter efficacement le graphisme manuel : cela a beaucoup moins d'inconvénients et ces derniers sont moins définitifs. Le jeune disposera, outre de l'écriture manuelle, de la maîtrise de l'ordinateur, ce qui ne peut être, au xxie siècle, qu'un avantage. Au total, lorsque l'enfant est très jeune (fin de maternelle, début de primaire), si le handicap semble « limite » et que le diagnostic et/ou le pronostic sont encore mal assurés, on doit choisir l'ordinateur : le graphisme manuel est de toute façon travaillé à l'école et l'ordinateur sera enseigné en rééducation, ce qui préserve l'avenir. Cela permet à l'enfant de disposer des deux possibilités, de lui laisser un réel choix ultérieur, sans jamais prendre le risque de compromettre sa scolarité. Du côté de l'enseignant Accepter que l'enfant n'écrive pas à la main peut être difficile. Une information sur le handicap que constituent la dyspraxie et la situation de double tâche est un minimum indispensable à l'enseignant qui accueille l'enfant dans sa classe. En particulier, il faut éviter la confusion, fréquente, entre un enfant qui souffre d'une dysgraphie dyspraxique, et qui présente donc un handicap, et celui qui a simplement besoin d'un entraînement supplémentaire (cf. p. 5) ou bâcle son travail. Mais cela peut s'avérer très insuffisant du fait de convictions de l'enseignant… Du côté des parents Les réticences tiennent à différents sentiments : il arrive que l'annonce du diagnostic de dyspraxie et la proposition de l'ordinateur se télescopent, 74 Chapitre 3. Écrire type : « Ce qui ne remet pas en cause le diagnostic » ou « Je ne suis pas médecin », affirmations qui ne font en fait que souligner le scepticisme du professeur). Dans quels autres domaines de la médecine cela serait-il possible ? Comment comprendre que les handicaps cognitifs, explicitement cités dans la loi du 11 février 2005 et qui interfèrent directement avec les apprentissages (troubles spécifiques des apprentissages ), puissent être niés par une partie du corps enseignant, alors même que des équipes de soins spécialisées interviennent ? • confusion sur les buts et objectifs visés : l'enseignant semble être très satisfait du fait que l'écriture manuscrite du jeune C. soit lisible. Mais l'école est-elle le lieu légitime de la rééducation d'une dysgraphie dyspraxique, six heures par jour ? L'enseignant mesure-t-il les conséquences délétères, à terme, de l'effet double tâche (cf. p. 21) si ce jeune était sommé d'écrire à la main en permanence ? Dans d'autres cas, les professeurs qui acceptent le diagnostic avancent leur crainte de stigmatiser40 l'enfant dans le groupe par l'utilisation d'un matériel inhabituel, ce qui leur semble aller à l'encontre de leur mission, qui consiste à traiter de façon « égalitaire » tous les enfants. Mais l'équité, pour l'enfant handicapé, ne consiste-t-elle pas justement à lui fournir la juste compensation du déficit induit par sa pathologie ? Ne s'agit-il pas là d'une confusion entre égalitarisme et équité, entre égalitarisme et justice ? L'enseignant peut être leurré par d'apparents progrès graphiques au cours de l'année scolaire (figure 3.2) : n'ayant pas de recul sur l'évolution au-delà d'une année scolaire, il ne peut prendre conscience du devenir à moyen et long terme de l'enfant. L'enseignant peut également être mis en difficulté par l'enfant qui veut « faire comme les autres » (cf. infra) ou encore par les questions de ses camarades qui interrogent devant l'ordinateur ou les adaptations dont « bénéficie » le jeune dyspraxique, dont ils ne perçoivent pas le handicap. Le jeune dyspraxique peut alors être perçu comme profitant de « passe-droits », de faveurs indues et, de ce fait, être ostracisé par ses camarades. Exemple Extrait du courrier du professeur principal du jeune C. (en cinquième), adressé au service de soins qui a diagnostiqué la dyspraxie, alors que plusieurs réunions d'équipes éducatives ont déjà eu lieu au collège : « Il semble qu'il y ait un écart entre ce que vous traduit C. et ce qui se joue ici : il est peut-être plus facile de dire qu'on n'a pas les feuilles que de s'efforcer (même si c'est dur…) d'avoir ses affaires, ses livres, feuilles et photo­copies, qu'on essaiera de classer, ne pas perdre, ne pas oublier. Quand ces efforts sont faits (ce qui a été le cas aujourd'hui notamment), une dictée a pu être manuscrite de manière lisible et prati­ quement sans faute, ce qui ne remet aucune­ ment en question le diagnostic posé (je ne suis pas médecin), mais qui permet juste de pointer qu'un dispositif ne peut fonctionner sans le travail du principal intéressé. Le portable ne fera pas tout39… » Cet exemple, pris dans un collège standard où l'ensemble de l'équipe éducative a manifesté intérêt et volonté de s'adapter face au handicap du jeune C., est assez caractéristique à plusieurs titres : • méconnaissance des difficultés d'organisation du jeune : on suppose qu'avec un peu de bonne volonté, il pourrait avoir ses affaires, ses feuilles et photocopies, les classer, etc. ; • valorisation mal comprise « des efforts, du travail » qui amèneraient à une sorte de « normalisation » (dictée manuscrite). Cette attitude est clairement une négation du handicap. Qui penserait à valoriser les efforts d'un enfant qui chercherait à voir sans ses lunettes ? Pourtant, d'autres handicaps sont admis sans contestation (si l'on signale à l'école un enfant diabétique et que l'on donne des conseils nutritionnels, ces derniers sont en général pris très au sérieux). Donc, cette attitude reflète non seulement l'invisibilité du handicap praxique, mais aussi (ou surtout) un refus du diagnostic, qu'on s'autorise à réfuter, à nier (malgré les dénégations, du 39 Ayrault AD. Dyspraxie et précocité : limites de la prise en charge : étude de cas [Mémoire pour l'obtention du DU de psychopathologie des troubles intellectuels et cognitifs chez l'enfant et l'adolescent, Pr Mazet P]. Paris : université Paris VI ; 2009. 40 75 Rappelons que ce n'est pas tant la compensation qui stigmatise l'enfant que le handicap lui-même… Partie I. Les obstacles aux apprentissages scolaires Lorsque cette question se pose, il est important de proposer une intervention destinée à l'ensemble de la classe, effectuée par le médecin scolaire, le médecin ou un rééducateur du SESSD, l'infirmière ou le psychologue (selon la personne qui se trouve la plus à l'aise avec la notion de dyspraxie, la plus expérimentée). Les grands enfants (fin du primaire, collège) souhaitent quelquefois faire eux-mêmes cette information à leurs camarades : on peut alors les aider, s'ils le souhaitent, en préparant avec eux cette intervention. Enfin, plus concrètement, l'enseignant se pose la question de savoir ce que va faire l'enfant durant les temps consacrés par les autres aux exercices de graphisme manuel ou de copie. Rappelons d'abord que l'enfant dyspraxique auquel on préconise l'usage de l'ordinateur n'est pas « interdit de graphisme » ! Ce n'est que dans les applications où le graphisme manuel est utilisé comme support à une tâche d'apprentissage qu'il lui est formellement déconseillé. Il peut donc écrire à la main pour signer son dessin, remplir un exercice « à trous » ou envoyer une carte postale à sa grand-mère… En classe (surtout en maternelle), il peut donc aussi participer à certains exercices de graphisme41, à condition que les exigences (de rapidité, de qualité) soient adaptées à son trouble. À condition aussi d'éviter d'insister sur cette activité et sur l'importance des éventuels « progrès » de l'enfant, c'est-à-dire de ne pas en prendre prétexte pour le leurrer et lui donner de faux espoirs de « normalisation ». On peut aussi, durant ces temps, proposer une activité alternative : produire des mots avec des lettres mobiles, s'entraîner en lecture, terminer un exercice en retard, commencer ses devoirs… et, dès que l'ordinateur est introduit à l'école (cf. p. 181), inciter à un exercice de frappe au clavier (si possible, en lien avec le travail effectué par l'ergothérapeute). anomalie dont il est porteur, voire même avec le cerveau : il redoute la déficience mentale autant que la folie et ne sait comment comprendre ce trouble étrange et invisible qui l'entrave, le limite en faisant de lui un être « à part ». Le refus du diag­ nostic, de son statut de « handicapé », du matériel qui le symbolise et le désigne aux autres en tant que tel représente souvent la première ligne de défense derrière laquelle l'enfant tente de se ­réfugier. Dans cette configuration, l'enfant se trouve en permanence en situation de compétition négative avec les autres enfants. Il s'épuise à tenter de masquer son handicap. Il ne lui reste que peu ou pas de ressources pour valoriser ses compétences préservées. Ainsi, à long terme, il n'aura acquis aucune des stratégies qui lui auraient permis de réussir en dépit de sa dyspraxie. Exemple Le jeune Q., né prématurément (grossesse gémellaire, son jumeau est indemne), présente une IMC très discrète, se traduisant par une très légère asymétrie de la marche. En moyenne section de maternelle, l'important retard graphique fait entreprendre une évaluation qui conclut à une dyspraxie. Le niveau verbal et raisonnemental supérieur (QIV au WISC-III = 130–135 ; similitudes, note standard = 15), l'attention et la mémoire excellentes, le comportement de l'enfant, curieux, motivé par les apprentissages et d'excellent contact, tout incite à faire le pari d'une scolarité longue (cf. p. 33). De ce fait, nous préconisons d'emblée la limitation des écrits manuels et l'apprentissage du clavier de l'ordinateur. Les parents sont très réticents. Notre raisonnement pour tenter de les convaincre repose sur deux arguments, que nous déclinons sous différentes formes à chacune de nos rencontres : c'est parce que nous sommes persuadés du potentiel et des capacités scolaires de leur enfant que nous faisons cette proposition qui leur semble si inhabituelle (mise au clavier dès la grande section de maternelle) : il ne faut prendre aucun risque avec les apprentissages de Q. et surtout pas pour un objectif aussi secondaire que le dessin des lettres ; plus tard, il sera toujours temps, si le besoin s'en fait sentir ou si l'enfant le réclame, Du côté de l'enfant lui-même Inquiet des mots qui lui sont attachés (désormais, il est « dyspraxique », « handicapé »), l'enfant comprend que cela a quelque chose à voir avec une 41 Il faut savoir que les exercices de coloriage (qui impliquent précision et contrôle du geste durant une durée assez importante) sont souvent très redoutés de l'enfant dyspraxique… 76 Chapitre 3. Écrire En fait, l'enfant veut surtout « être comme tout le monde », effaçant ainsi son handicap. Mais s'il est assez facile de comprendre ce qui anime l'enfant (et ses proches), s'il est possible de partager leurs inquiétudes et leur sentiment d'injustice, il faut cependant prendre conscience que cette attitude n'est protectrice qu'à très court terme et provoque rapidement échecs et désillusions. de reprendre un travail sur le graphisme manuel : si celui-ci s'avérait efficace (ce dont nous doutons, mais qui ne peut être écarté par les parents), Q. disposerait alors des deux modalités d'écriture, manuelle et informatique, ce qui ne peut constituer qu'un avantage. Auprès de l'enfant, nous développons un argumentaire complémentaire : un enfant de petite section qui sait dessiner avec sa main des ronds et des traits sait-il écrire ? Non… Tenir un crayon n'est pas le gage que l'on écrit. Moi-même, qui rédige son dossier sur l'ordinateur, peut-on dire que je ne sais pas écrire ? Celui qui sait écrire n'est pas forcément celui qui tient un crayon : c'est celui qui connaît les lettres et sait lesquelles choisir et dans quel ordre il faut les arranger. Nous insistons sur le fait que « l'école, ce n'est pas pour les mains, c'est pour la tête », tête qu'il a plutôt bien faite. Il serait bien dommage que ses mains, assez maladroites, parasitent sa réflexion, ses apprentissages, ses acquisitions. L'excellence de ses performances scolaires contribue, dès le début du primaire, à rassurer tout le monde, libérant Q. et ses parents de tout doute sur la légitimité de nos interventions. Q. utilise toutes les adaptations que nous proposons avec une grande efficacité tout au long de sa scolarité. À 17 ans, il a obtenu son bac (section ES) avec une mention « bien » et s'est inscrit à la faculté de droit. Tous les aménagements proposés doivent être clairement expliqués à l'enfant et soutenus par les parents. Ils doivent aussi être explicitement exposés et encouragés par l'enseignant, qui, du point de vue de l'enfant, est le seul à posséder la légitimité pour tout ce qui se passe en classe. Faute de quoi, l'enfant aura toujours l'impression de tricher, de transgresser une loi implicite ou encore, paradoxalement, de bénéficier indûment d'un traitement de faveur. Dans ce cas, la situation est rapidement intenable pour l'enfant : quand il réussit, qu'il a de bons résultats, ces derniers sont implicitement attribués aux aides dont il bénéficie (ordinateur, temps supplémentaire, AESH, etc.), alors que les échecs et les insuffisances sont de sa seule responsabilité… C'est souvent ce sentiment (cf. p. 133, 134), associé à celui de décevoir les adultes (parents, enseignants), qui sous-tend ce désir manifesté par l'enfant « d'écrire à la main ». Y répondre immédiatement, sans réflexion ni discussion, c'est rendre un bien mauvais service à l'enfant, qui le paiera rapidement d'un échec scolaire obérant son avenir. En résumé, la dysgraphie est donc loin d'être un symptôme secondaire ou négligeable. Elle constitue au contraire un problème complexe, dont les conséquences se manifestent en permanence – y compris sous des formes rampantes et invisibles (la double tâche) –, exhibant aux yeux de tous le handicap, symptôme sur lequel risquent de se focaliser les espoirs, les exigences, les conflits… Il arrive que parents et enseignants, luttant eux aussi contre la réalité insupportable du handicap, se confortent alors mutuellement, souvent encouragés initialement par les progrès graphiques de l'enfant (cf. p. 51, 52). Lorsque les uns et les autres prennent conscience de l'échec scolaire constitué, il est alors souvent trop tard pour y remédier. C'est généralement dans ce contexte que l'enfant, très insécurisé, « veut écrire à la main », que les adultes (enseignants, parents, rééducateurs…) déclarent qu'ils ne sont pas opposés à l'utilisation de l'ordinateur dont ils comprennent l'intérêt, mais qu'ils souhaitent aussi répondre au désir de l'enfant qui « veut écrire à la main »… 77 Compter Chapitre 4 « Comme pour tout objet de pensée, le mode premier d'expression des nombres est celui des mots. […] Il importe de se souvenir que les nombres, tout d'abord, se parlent. » S. Baruk [70] Beaucoup de parents et d'enseignants supposent que l'apprentissage de la numération et du calcul repose uniquement sur les capacités logiques de l'enfant, d'où la croyance socialement bien établie que la réussite en mathématiques refléterait « l'intelligence », avec son corollaire que l'échec dans cette discipline serait la marque d'une intelligence médiocre. Ainsi, l'arithmétique est-elle investie d'une auréole particulière et les contre-performances de l'enfant dans ce domaine donnent lieu à des interprétations particulièrement négatives et blessantes. Or, s'il est vrai que les capacités intellectuelles, la logique et les capacités de déduction, de raisonnement, de classification et catégorisation (facteur G, cf. note 13, p. 11) sont indispensables pour comprendre et progresser dans ce domaine, d'autres capacités sont également sollicitées, qui peuvent mettre l'enfant intelligent en échec. intrapariétaux (l'aire VIP ou aire ventrale de ce sillon et l'aire LIP ou aire latérale de ce même sillon). De nombreuses études [7] ont confirmé cette forte corrélation entre les performances à des tâches spatiales et les performances en mathématiques. C'est aussi la raison pour laquelle la plupart des méthodes d'enseignement proposent de commencer par des activités sensori-motrices – telles que regarder (observer), manipuler, expérimenter –, activités visuo-practo-spatiales supposées soutenir « l'accès à l'abstraction » et systématiquement utilisées comme une base qui serait indispensable pour amener progressivement l'enfant aux concepts visés. L'accès au concept de nombre (ou d'opérations) à l'école est ainsi presque toujours médiatisé par la manipulation de divers matériels (jetons, bûchettes, etc.) et/ou par des représentations figuratives des quantités et des transformations de collections (dessins, schémas, flèches indiquant les relations entre les divers éléments, dispositions particulières des éléments symbolisant les dizaines et les unités, etc., cf. p. 85). L'apprentissage scolaire de la numération et du calcul fait donc appel, de façon massive et systématique, d'une part aux capacités de traitement spatial de l'enfant et d'autre part à ses capacités praxiques. Relations entre capacités visuoL'enfant dyspraxique et les apprentissages © 2016, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés spatiales et apprentissages Depuis une vingtaine d'années [5], on sait qu'il existe un lien fort entre capacités de localisation spatiale et représentation de la grandeur numérique d'un nombre : évaluer la magnitude d'un nombre (sa taille, sa grandeur, c'est-à-dire sa signification), c'est situer ce nombre sur une ligne mentale virtuelle (imaginaire) sur laquelle on place les nombres d'autant plus à droite qu'ils sont plus grands (et d'autant plus à gauche qu'ils sont plus petits). Ces résultats ont depuis été vérifiés et complétés, en particulier par la mise en évidence de l'implication du sillon intrapariétal. En effet [6], on a montré que l'association nombre-espace repose sur les interactions entre deux réseaux C'est dire à quel point les enfants souffrant de dyspraxie visuo-spatiale se trouvent littéralement empêchés d'accéder au nombre, non du fait de capacités insuffisantes dans le domaine de l'abstraction, de la logique, du raisonnement (ces facultés sont normalement développées chez ces enfants), mais du fait de leur impossibilité à traiter les aspects practo-spatiaux inhérents à l'objet mathématique. 79 Partie I. Les obstacles aux apprentissages scolaires Et lorsque l'enfant échoue dans ces activités manipulatoires et/ou graphiques, on en déduit presque toujours qu'il faut les renforcer puisqu'elles « ne sont pas encore maîtrisées » ou sont « en cours d'acquisition » : c'est un domaine où, une fois encore, au nom du bon sens commun, on risque de proposer sans fin à l'enfant « toujours plus de la même chose qui ne marche pas » (cf. p. 5). Nous envisageons ici la remédiation dans ce domaine selon deux axes différents qui, selon les enfants (l'importance de leur trouble practo-­ spatial, leur âge et leur niveau scolaire, « l'urgence » relative d'accéder à telle ou telle performance pour poursuivre la scolarité), peuvent être proposés soit isolément, soit simultanément, plus ou moins mêlés en des proportions variables : • la première stratégie tente de prendre en compte la spécificité du fonctionnement intellectuel de ces enfants et propose un abord de la notion de nombre (et d'opération) différent et adapté, c'est-à-dire essentiellement adossé au verbal, au linguistique. C'est certainement le choix le plus pertinent pour permettre à ces jeunes d'accéder dans de bonnes conditions au concept de nombre, à la numération et aux premières opérations sur le nombre. Cependant, si ces stratégies sont envisageables en prise en charge (rééducative ou pédagogique) individuelle, il faut bien reconnaître cependant qu'il est peu réaliste de proposer ce style d'apprentissage à 1'enfant au sein d'une classe qui disposerait d'une méthode d'apprentissage plus classique, reposant sur le visuo-spatial ; • la seconde stratégie consiste à partir des méthodes d'apprentissage habituelles, utilisées en classe. Il s'agit alors de leur appliquer des aménagements de forme, afin que leur présentation soit mieux adaptée aux faibles possibilités de traitements spatiaux de l'enfant (cf. p. 10). Ce choix ne représente donc qu'un ersatz, mais il reste probablement le plus facile à mettre en œuvre et à faire accepter en classe, en milieu ordinaire. Proposer un apprentissage adossé au linguistique Les connaissances arithmétiques concernent des concepts abstraits, des connaissances formelles, des symboles et des opérations mentales de haut niveau : les manipulations (de jetons, de 80 bûchettes…) et les représentations figuratives habituellement employées (tableaux, schémas, dessins…) ne sont que des stratagèmes (certes efficaces pour le plus grand nombre) utilisés pour en faciliter l'abord. En aucun cas, ces artifices pédagogiques ne constituent l'objectif visé : ils peuvent donc légitimement être abandonnés au profit d'autres techniques susceptibles d'aboutir au même résultat. Or, pour cette population d'enfants dyspraxiques, il est logique de favoriser une pédagogie qui s'appuie sur le sens, qui insiste sur les aspects langagiers, tout en se dégageant au maximum des aspects manipulatoires (praxiques) et visuo-spatiaux, puisque ces derniers, inutilisables pour ces jeunes, ne constituent de toute façon pas le but de l'apprentissage. Des travaux par tomographie d'émission de positrons (TEP) confirment que les représentations mentales que nous construisons sont peu dépendantes des stratégies et modalités initialement choisies, ce qui légitime, pour ces enfants, l'utilisation du verbal (cf. figure 4.1). Évidemment, pour la population qui nous intéresse, la question de fond est de savoir si ces jeunes peuvent (ou non) construire ce type de représentation et si les informations verbales peuvent leur permettre de les construire. Cependant, pour ceux qui le peuvent, ces travaux (tout comme la clinique et les progrès des jeunes) nous confortent dans notre démarche d'utiliser la verbalisation. Les travaux de Stella Baruk [68–70] répondent précisément à ces exigences. Nous ne connaissons pas d'autre pédagogue qui ait travaillé, expérimenté et écrit autant sur les rapports entre le nombre et la langue, qui ait analysé aussi finement les erreurs courantes des enfants « typiques » face aux stratégies pédagogiques « classiques ». Enfin, elle a formalisé une progression pédagogique destinée aux enfants du primaire, Comptes pour petits et grands [70], dont le sous-titre est particulièrement explicite : « Pour un apprentissage du nombre et de la numération fondé sur la langue et le sens », manuels pratiques particulièrement utiles pour conduire les apprentissages initiaux. Bien sûr, nous n'allons pas paraphraser cette auteure et nous renvoyons le lecteur aux ouvrages Chapitre 4. Compter Visuel A B C D E F G Verbal Figure 4.1. Activations cérébrales observées durant l'inspection d'une image mentale de structures tridimensionnelles. Lorsque des sujets apprennent des structures géométriques complexes, les uns par mémorisation visuelle (les figures, dessinées en 3D, leur sont présentées visuellement), les autres par description verbale, les zones cérébrales activées lors de la récupération de l'image mentale (on demande ensuite aux sujets, par exemple, si D est plus haut que F ?) sont très similaires, quoique subtilement différentes, dans les deux formes d'apprentissage. Cette figure est reproduite en couleur en fin d’ouvrage. Houdé O, Mazoyer B, Tzourio-Mazoyer N. Cerveau et psychologie. Paris : PUF ; 2002, 431 p. • compter, c'est dire le nom des nombres que l'on obtient en partant de un, et en ajoutant encore un, encore un, et ainsi de suite ; • les nombres sont organisés. Ainsi, 4, c'est « 3 et encore 1 » ou « 2 et encore 1 et encore 1 », etc., d'où la suite ordonnée de la comptine numérique. Ils sont aussi organisés en groupements (de 5 = une main ou de 10 = les deux mains) ; après 9, les mots organisent les nombres en paquets de dix, de cent, de mille, et ainsi de suite ; • comme tous les mots, tous les nombres se lisent et s'écrivent. Mais ce sont les seuls mots qui ont deux écritures (en lettres et en chiffres arabes : douze ou 12). Pour aborder les nombres à deux chiffres, elle conseille d'éviter l'utilisation précoce des termes « unités » et « dizaines », au profit d'une compréhension de la signification de ce qui est dit. Insistons aussi sur la confusion que peut induire, chez l'enfant, le vocable « unité » : en effet, tout peut être unité, y compris des dizaines ou des centaines. Par ailleurs, une unité peut être la référence (l'étalon) en matière d'argent (unité monétaire = l'euro) ou de mesure (le mètre, le litre…), etc. Outre le recours aux configurations manuelles (cf. p. 82), Stella Baruk exploite avec constance les relations entre : entendre/dire ←→ dire/écrire : cités, très explicites et très concrets. Cependant, ces livres n'ont pas été conçus pour des jeunes dyspraxiques et nous présentons ici, très succincte­ ment, certains principes ou adaptations fondamentaux pour les jeunes dyspraxiques. La numération : une construction linguistique La numération, son organisation, la place particulière de la base 10 et de la sous-base 5 et les premières opérations sur le nombre reposent sur des instructions verbales, assorties de commentaires qui explicitent clairement la signification mathématique de chaque étape de cette construction. Ainsi, le tout début de l'apprentissage (nombres de 1 à 9) s'ancre dans des notions de base qui doivent être dites, explicitées, assorties bien sûr d'exemples, d'exercices. Citons en particulier : • les numéros, ça sert à repérer ; ils sont souvent déjà écrits (sur les maisons, les autobus, les maillots des joueurs…) ; • les nombres, eux, donnent une idée de quantité ; ils servent à se souvenir, à imaginer, à se représenter une quantité ; un nombre, ça sert à dire « combien de », et quand on peut dire « combien de », c'est qu'on a compté ; 81 Partie I. Les obstacles aux apprentissages scolaires trente sept ↓ ↓ 3 7 manuelles particulières) ni de les dessiner (incapacité dans toutes les activités grapho-spatiales). Mais ces jeunes peuvent parfaitement choisir et utiliser des cartons sur lesquels figurent ces configurations. Ces représentations analogiques sont très importantes pour soulager la mémoire de travail, faciliter le calcul mental, accéder à la signification des opérations (ajouts, retraits) et à celle des retenues lors des premiers calculs. Nota. – La suite des mots-nombres, dans cette représentation, se fait toujours à partir du petit doigt et dans le sens de la lecture (de gauche à droite ou, pour les enfants qui nous occupent, du vert vers le rouge, cf. p. 90, 119, 148, 149) : à ce stade, les difficultés d'orientation droite/gauche propres à la numération arabe sont donc en partie levées, puisque tout ce qui s'écrit (lettres ou nombres en écriture arabe) s'écrit de gauche à droite (figure 4.2). Le fait de lire (les « paquets de 10 » ou les configurations de 10 représentées par les deux mains) en commençant par le haut est une aide majeure pour les jeunes qui nous occupent ici (figure 4.3a). Pour la lecture/écriture des nombres à deux (ou plusieurs) chiffres, Stella Baruk propose de dire, par exemple, que le nombre 57 est organisé en 5 paquets de 10 (5 fois les deux mains), ce qui s'écrit avec un « 5 qui vaut 50 », et d'un 7, qui lui, est un « vrai 7 » (il dit « la vérité », car il vaut « 7 uns »). Cette formulation évite de caractériser « les unités » comme le chiffre écrit à droite (ou « du côté de la porte », comme on l'entend souvent dire par les enfants). Elle conduit à une écriture correctement spatialisée simplement en écrivant les chiffres selon les conventions propres à l'écriture et dans l'ordre (séquentiel) où on les entend (où on les dit), ce qui reflète leur ordre de grandeur (le 5 qui vaut 50, puis le 7 qui vaut 7). Cette façon de travailler permet non seulement de lire et d'écrire les nombres à deux chiffres, de comprendre la réelle signification de chaque chiffre sans référence explicite à sa position spatiale au sein du nombre (à droite de ou à gauche où le « tr… » qui s'écrit 3 vaut 30 (3 fois les deux mains) et le 7 « dit la vérité », c'est-à-dire qu'il représente bien sept éléments (bien sûr, le 3 ne « ment pas » ! Mais il dit autre chose que 3 « uns »). On analyse les nombres à deux chiffres en disant que le premier chiffre, qui dit les « paquets de 10 », s'appelle une dizaine, alors que le second chiffre dit les « uns » (« la vérité »). En ce qui concerne la signification du zéro, elle le présente comme « le chiffre du silence ». Si au lieu de dire /trente-sept/ ou /trente-quatre/, on a besoin de dire /trente/, le zéro marque alors la place vide, « le silence » : trente … (silence) ↓ ↓ 3 0 Ce n'est qu'ensuite que sont abordés les nombres à deux chiffres tels 10, 20, 70, 80, 90, joliment soustitrés : « Quand les mots ne rendent plus comptes », c'est-à-dire quand on entend (on parle) autrement que l'on écrit. Un travail explicite est fait pour que l'enfant comprenne et engramme ces particularités. Utilisation des configurations manuelles La notion de quantité et les premiers calculs sont étayés par l'organisation des doigts. Concernant les jeunes dyspraxiques, il n'est pas ni possible ni souhaitable de leur demander de produire eux-mêmes ces configurations (gêne fréquente à la dissociation des doigts, fréquents troubles du schéma corporel et/ou agnosie digitale, difficulté practo-spatiale à reproduire des configurations Trois Deux Huit Quatre Sept Un Neuf Dix Cinq Six DIX UN Figure 4.2. Configuration manuelle et comptage. 82 Chapitre 4. Compter 1. Tu as vu avec les étiquettes que pour additionner trente-deux et vingt-cinq 3 2 + 2 5 on les avait mis côte à côte pour figurer leur somme. 2. Pour savoir « combien ça fait ». il suffit de disposer les étiquettes comme d’habitude, les « dix » ensemble, et les « uns » ensemble. a 5 qui vaut 50 et 7 qui « dit la vérité » b et on trouve : 5 7 Figure 4.3. Utilisation des configurations de doigts pour de petites opérations sur le nombre. a. Ici, réalisation de 50 + 7. b. Ici, réalisation de 32 + 25. Extrait de Baruk S. Comptes pour petits et grands : pour un apprentissage du nombre et de la numération fondé sur la langue et le sens. Volumes 1 et 2. Paris : Magnard ; 2003. de), mais aussi de soutenir les premières opérations (après bien sûr en avoir expliqué la signification) et d'effectuer de petits calculs mentaux : ainsi, l'exemple ci-dessus (figure 4.3a) peut être conçu comme l'ajout de 7 à 50, ou la réalisation de l'addition 50 + 7. Là encore, Stella Baruk utilise « ce qui s'entend », en attirant explicitement l'attention sur ces nombres déjà organisés en sommes oralement, puisque /cinquante-sept/, c'est cinquante et sept ou 50 + 7. Simultanément, un travail systématique est consacré à la connaissance et à la mémorisation (en mémoire à long terme) des doubles, des nombres pairs et impairs, des petits ajouts… Lorsque additionner nécessite un calcul (figure 4.3b : 32 + 25 = ?), elle propose d'utiliser la représentation organisée « en mains et doigts ». Quelle que soit la présentation (y compris lors d'une pose de l'opération en colonnes), le calcul consiste toujours à mettre « les dix » ensemble et « les uns » ensemble (cette formulation évite encore tout recours à une représentation d'abord spatialisée, comme le fait d'en référer à la notion de « colonnes »). Enfin, le problème de la retenue, née « du choc de deux calculs », est abordé : il arrive en effet que « les uns », lus ensemble, dépassent dix… Pour des calculs plus complexes ou sur de plus grands nombres, on utilise soit une aide informatisée à la pose des opérations (cf. figure 4.8, « Cahier couleur » en fin d'ouvrage), soit (de préférence) une calculette. Utilisation de la calculette L'expérience montre que faire accepter à l'école l'utilisation précoce et systématique de la calculette pour les enfants dyspraxiques reste encore très problématique. Divers types d'arguments peuvent rendre compte de ce refus à l'école primaire. Ambiguïté opération/calcul En français, le terme d'opération a une double signification qui peut induire, chez certains, des 83 Partie I. Les obstacles aux apprentissages scolaires confusions de sens. On parle en effet d'opération soit pour faire référence à l'opération mentale (décider que, dans tel cas, il s'agit d'un ajout, d'un retrait, d'un partage…), soit pour évoquer la procédure qui permet de trouver le résultat chiffré de l'opération mentale préalable (addition, soustraction, multiplication, division). La décision – le choix de l'opération adéquate en fonction du problème soumis – est de l'ordre de la réflexion, de la logique, du raisonnement : c'est bien évidemment cet aspect conceptuel qui est recherché lors de la résolution de problèmes, la compréhension de la signification des transformations et des opérations mentales en jeu (cf. p. 91). Valeur pédagogique de la pose des opérations De nombreux enseignants disent utiliser les procédures de calcul (algorithme de résolution de l'opération posée) pour enseigner le principe de position de la numération arabe (grâce aux alignements en colonnes des unités, dizaines, centaines…) et/ou pour expliciter le principe de la retenue. Pourtant, l'expérience montre que la plupart des enfants (et des adultes !) utilisent avec succès ces procédures sans toujours en comprendre la signification ni les raisons sous-jacentes. D'ailleurs, dans d'autres pays, d'autres dispositions spatiales et d'autres algorithmes spatiaux sont utilisés pour effectuer les calculs (pour résoudre une addition, une multiplication, une division, etc.), et il n'a jamais été fait mention que les enfants de ces pays présentent des difficultés spécifiques et/ ou durables pour accéder à la numération écrite en chiffres arabes, au système décimal ou à la signification des retenues… De ce fait, il est fort douteux que telle ou telle procédure ait des vertus pédagogiques particulières, qu'il s'agisse de la pose des opérations « en colonnes », en lignes ou autre. Mais, pour des enfants souffrant de troubles, ou d'anomalies, ou de déficits des traitements spatiaux, ce sont évidemment les stratégies verbales et logiques ou le contournement (calculette) décrits par Stella Baruk qui sont les plus appropriés. L'exécution du calcul, dite encore technique ou procédure de calcul, peut être conduite de multiples façons. Selon la nature du calcul à effectuer et les nombres à manipuler, telle ou telle stratégie peut être plus appropriée, plus pratique ou plus rapide, mais… seul le résultat compte ! On peut ainsi trouver le « combien ça fait » par calcul mental, par une procédure spatiale de pose et l'application d'algorithmes spécifiques (inaccessible aux jeunes dyspraxiques, car ces algorithmes sont très spatiaux), par un calcul dit « réfléchi », etc. Le calcul peut aussi ne pas être effectué du tout – exemple : P = 2 (L + l) – ou… être délégué à une calculatrice. Nous citons de nouveau Stella Baruk pour ­clarifier cette distinction [70] : Instructions officielles Les programmes scolaires sont clairs : « La maîtrise d'une technique opératoire pour chacune des quatre opérations est indispensable. » Dès le CE1, il est spécifié que l'élève doit « connaître et utiliser les techniques opératoires de l'addition et de la soustraction (sur des nombres inférieurs à 1 000) et connaître une technique opératoire de la multiplication ». Dès le CE2, s'y ajoute la connaissance de la technique opératoire de la division avec un diviseur à un chiffre. Mais les programmes sont conçus pour les enfants tout-venant. Pour les jeunes dyspraxiques, du fait du handicap spatial dont ils souffrent, cet objectif est non seulement inatteignable, mais surtout sans signification ni utilité. Rappelons d'ailleurs que ces jeunes bénéficient d'aménagements pédagogiques (via le PAP ou le PPS, cf. chapitre 9, p. 186) qui doivent « Une opération est la mise à exécution d'une décision : celle qui consiste, à partir de deux nombres, à en constituer un troisième, qui lui est supposé répondre à la question préalablement posée. […] Le “combien ça fait” peut, si on le souhaite, être confié à une machine qui exécutera docilement les ordres. Cette machine, habile à trouver “combien ça fait”, s'appelle une calculette et a donc pour fonction d'effectuer des calculs. […] D'abord, l'opération/décision et ensuite, s'il est possible et souhaitable de l'effectuer, le calcul. […] Autrement dit, une fois que l'on a, soi, opéré, décidé d'appuyer sur une touche (+, −, ×…), ce que la machine ne saurait faire toute seule, on peut alors lui donner l'ordre de calculer. » 84 Chapitre 4. Compter permettre de respecter l'esprit du programme (les acquis conceptuels), tout en les autorisant à en adapter la méthodologie ou la forme de surface. C'est pourquoi il est tout à fait possible (et souhaitable) d'anticiper la directive proposée pour le cycle des approfondissements (CE2, CM1, CM2) qui précise aussi que l'élève doit savoir « organiser ses calculs pour trouver un résultat par calcul mental, pose ou à l'aide de la calculatrice ». Si les objectifs à atteindre par les élèves et les contenus à enseigner par les enseignants sont fixés par les « programmes » et s'imposent à tous, en revanche le maître est pleinement responsable du choix des méthodes pédagogiques qu'il va utiliser pour aider les élèves à maîtriser les objectifs prévus dans les programmes42. Les jeunes dyspraxiques, eux, ne peuvent tirer profit de la pose et de la résolution des opérations via des algorithmes spatiaux, du fait de leur handicap spatial : ils doivent donc en être dispensés. Ces impossibilités, directement en rapport avec la nature du handicap, doivent être : • clairement notifiées aux enseignants (et aux rééducateurs43) par les médecins ou le neuropsychologue ; • explicitement notées dans le PAP ou le PPS ; • puis prises en compte lors de la préparation des adaptations à prévoir pour les évaluations nationales et les examens. D'autant que, comme presque toujours, il s'agit d'adapter la forme (la technique, la procédure, la méthode : ici, l'exécution du calcul, du « combien ça fait ») et non le fond (la notion, le concept : 42 43 ici, la compréhension de l'organisation de la ­numération, sa signification et le sens des opérations sur les nombres) qui reste l'objectif visé. L'impression de « favoriser » l'enfant dyspraxique L'enseignant signale souvent combien il lui est difficile, au sein du groupe-classe, de gérer un traitement spécial pour l'enfant dyspraxique, souvent pensé comme « un traitement de faveur ». Les autres enfants de la classe, eux, ne sont pas autorisés à utiliser la calculette et doivent appliquer (souvent laborieusement et avec de nombreux risques d'erreurs) les techniques opératoires dont le jeune dyspraxique est dispensé. De ce fait, cette permission d'utiliser la calculette est souvent vécue par tous (l'enseignant, les camarades de classe, l'enfant dyspraxique) comme une injustice ou la marque d'un favoritisme. L'enfant lui-même traduit cet état d'esprit en disant qu'il a l'impression de « tricher » (cf. p. 134). Des explications simples, claires et précises doivent donc être dispensées tant auprès de l'enfant lui-même que des adultes (enseignants, rééducateurs, parents) et de ses camarades de classe : il s'agit, pour lui, de la compensation de son handicap (et non d'une quelconque « tolérance » ou d'un passe-droit). En résumé : D'une façon générale, chaque fois que possible, il faut choisir des stratégies raisonnementales verbales, dégagées au maximum des traitements visuo-spatiaux et/ou practomoteurs, peu ou non accessibles. Lorsque ces derniers s'avèrent cependant incontournables, il faut, selon les cas, soit prévoir des aménagements qui en facilitent l'accès au jeune dyspraxique, soit en dispenser l'enfant. Le Guide des parents publié par l'Éducation nationale pour la rentrée de septembre 2012–2013 stipule ceci : « Les programmes nationaux de l'école primaire définissent pour chaque domaine d'enseignement les connaissances et compétences à atteindre dans le cadre des cycles ; ils indiquent des repères annuels pour organiser la progressivité des apprentissages dans la plupart des domaines d'enseignement. Ils laissent cependant libre le choix des méthodes et des démarches, témoignant ainsi de la confiance accordée aux maîtres pour une mise en œuvre adaptée aux élèves. Dans ce cadre, les maîtres proposent un accompagnement de tous les élèves, notamment ceux qui connaissent des difficultés, en personnalisant les aides aux apprentissages afin de favoriser la réussite scolaire de tous. » En particulier si une orthophoniste – ou tout autre rééducateur – est chargée de rééduquer les troubles du calcul. Aménager les aspects visuo-praxiques Ce n'est pas un hasard si les méthodes habituellement utilisées par les pédagogues valorisent tant la manipulation et les aspects visuo-­spatiaux, à tel point que certains ont pu croire que c'était là l'essence même du « savoir compter ». En effet, les enfants tout-venant – du moins dans leur immense majorité – sont normalement très performants dans les activités visuo-spatiales, et ce 85 Partie I. Les obstacles aux apprentissages scolaires bien avant de l'être dans les activités logiques et/ou langagières : la population des enfants dyspraxiques (surtout ceux qui présentent des troubles des traitements spatiaux) constitue donc une minorité qui contredit l'expérience commune. Pour tous les pédagogues et les éducateurs, manipuler est considéré comme un moyen ludique qui permet progressivement à l'enfant, par l'expérimentation, d'extraire des régularités, de comprendre les relations entre collections ou entre nombre et quantité, de passer du concret à l'abstrait, du perceptif au conceptuel : là encore, si l'on s'adresse à ces enfants dyspraxiques, non seulement cette stratégie n'est pas motivée (le sensorimoteur, l'expérientiel, le « concret » ne sont pas, pour eux, un support pertinent à leur réflexion, à la conceptualisation, à l'abstraction), mais, au contraire, ce choix méthodologique est nocif, délétère : les « enseignements » que ces jeunes dyspraxiques tirent de ces expériences détruisent ou parasitent leur réflexion et constituent alors pour eux, au contraire, un obstacle à leurs apprentissages. Nous envisageons ici certains moments clés de cet apprentissage numérique (notion de nombre, numération et opérations sur le nombre), qui en réalité s'interpénètrent. En fait, ce sont surtout les activités le plus souvent proposées aux enfants pour mettre en place ces acquisitions qui nous intéressent. Nous devons : • y débusquer toutes les sollicitations visuopracto-spatiales, explicites ou non, • concevoir des aménagements qui minimisent ces exigences en traitements spatiaux et praxiques, afin d'en faciliter l'accès aux enfants DVS, et ce sans que cela affecte la signification fondamentale de l'apprentissage, le concept développé, l'objectif visé par l'activité telle qu'initialement prévue. désigne et son écriture, travail habituellement limité aux petits nombres, jusqu'à 10–15 ou 20). Opérations logiques Sériation On propose habituellement aux enfants de mettre en ordre du matériel, par exemple une série de bûchettes de tailles croissantes. Or, les enfants qui présentent des troubles du regard ont souvent de grandes difficultés à apprécier les tailles relatives des objets, et ce d'autant que ces différences sont minimes. Par ailleurs, ils ont beaucoup de difficultés à aligner les origines : de ce fait, ces exercices leur sont inaccessibles. Paradoxalement, il leur est plus facile de sérier… les nombres (!) que n'importe quel autre matériel qu'il faut ensuite organiser spatialement. De ce fait, l'activité ne répond à aucun objectif d'apprentissage chez ce type d'enfant. Cependant, si l'on souhaite absolument qu'ils participent au même type d'activités que les autres enfants de la classe, ils peuvent éventuellement sérier des œufs (ou des cubes) gigognes, objets moins « linéaires », dont ils apprécient mieux, visuellement, les proportions relatives. Classification On demande aussi fréquemment aux enfants de classer divers matériels selon différents critères (couleur, forme, taille s'il s'agit de matériel type « plaques logiques », ou animaux versus légumes, animaux de la ferme versus animaux du zoo, etc.). Ces exercices ne comportent pas de difficultés particulières pour les enfants souffrant de dyspraxie visuo-spatiale, du moins s'ils ne sont pas présentés sous des formes graphiques qui leur en interdisent l'accès : tableaux à double entrée, tracés de traits enchevêtrés impossibles à suivre des yeux ni du doigt… (figure 4.4). Dans ces cas, il convient d'aménager la présentation de ces exercices (éviter la mise en relation via des flèches, des traits intersectés…) ou de les proposer oralement. S'il s'agit d'ôter un intrus dans un regroupement déjà existant, il faut s'assurer que l'enfant a bien exploré du regard l'ensemble des éléments présentés (objets, images, dessins disséminés sur une page…), aussi bien pour en déduire la catégorie déjà construite que pour repérer l'intrus. Sinon, il faut adapter la présentation du matériel, s'assurer En maternelle : les activités « prémathématiques » Dès la moyenne section, mais surtout en grande section de maternelle, on rencontre différentes activités dites « prémathématiques », centrées soit sur les opérations logiques (classification, sériation, combinatoire), soit sur le nombre (la comptine, le lien entre le mot-nombre, la quantité qu'il 86 Chapitre 4. Compter Figure 4.4. Deux présentations visuo-spatiales difficiles à analyser et à utiliser par des jeunes dyspraxiques. attributs qui sont énoncés verbalement, tels que les lunettes, une moustache ou un chapeau, diversement combinés chez les différents personnages présentés). de la stratégie d'exploration visuelle ou la faciliter (suivi du doigt, repérage grâce à des couleurs, description verbale ou dénomination successive de tous les éléments…). Enfin, rappelons que toutes les épreuves dites « de facteur G » sollicitent ces mêmes capacités à classer et à catégoriser (cf. note 13, p. 11) et que celles qui utilisent un matériel verbal sont nettement plus pertinentes pour ces enfants. Numération et nombres Comptage et dénombrement Pour être pertinent et aboutir à un nombre cardinal qui qualifie précisément une collection, le comptage doit répondre à différents critères dont le premier concerne le fait de regarder et de désigner (du doigt, du regard, en barrant, en coloriant, en déplaçant) chaque élément de la collection une fois et une seule, sans oubli aucun. C'est là une des grandes difficultés des jeunes dyspraxiques qui souffrent de troubles du regard44 : leur regard parcourt la collection de façon désorganisée, aléatoire, anarchique. C'est ainsi que certains éléments sont comptés à plusieurs reprises (il est facile d'y remédier en « marquant » les éléments déjà comptés : les déplacer, Combinatoire Ces tâches sont généralement proposées sous forme de tableau à double entrée. Le repérage de l'endroit précis (case, point d'intersection), où une ligne donnée et une colonne donnée (ou bien une abscisse et une ordonnée) se recoupent, est souvent très difficile à réaliser pour l'enfant qui est atteint de troubles du regard, voire impossible. Ainsi, l'opération mentale que constitue la combinatoire doit être réalisée en proposant : • soit des jeux n'utilisant pas de tableaux, de lignes ni de repérage de coordonnées (exemple : habiller le petit ours de toutes les façons possibles en disposant de tee-shirts, de pantalons, de chaussures de différentes couleurs) ; • soit des combinatoires à partir d'éléments verbaux (comme dans le jeu « Qui est-ce ? » : les personnages possèdent – ou non – certains 44 87 Ces difficultés concernent tous les enfants dyspraxiques qui souffrent de troubles du regard, mais elles peuvent aussi concerner d'autres enfants souffrant d'autres types de troubles (troubles visuoattentionnels ou syndromes dysexécutifs…), qui peuvent présenter des difficultés d'organisation du regard cliniquement très semblables. Partie I. Les obstacles aux apprentissages scolaires les entourer, les barrer, les colorier…), alors que d'autres ne sont pas vus et donc oubliés (il n'y a aucun moyen de pallier ces oublis, sinon de conduire chaque comptage avec l'enfant). Par ailleurs, du fait de la nature aléatoire des doubles comptages et oublis, chaque nouvel essai de comptage conduit l'enfant à un résultat différent, ce qui est exactement l'inverse de l'objectif de ce type d'activité (qui est de faire prendre conscience à l'enfant de l'invariance du nombre !). En outre, lorsque l'enfant dénombre de petites quantités (ce qui est souvent le cas en maternelle ou en début de primaire), un double comptage peut compenser un oubli, donnant alors un résultat exact, confortant à tort l'adulte dans l'idée que l'enfant est « étourdi » ou que la procédure est « en cours d'acquisition ». dispose alors, pour ces petits nombres (mais aussi pour la base 10 et la sous-base 5), d'un référent analogique facilement exploitable. Bien sûr, ces représentations doivent être associées à une quantité donnée d'un seul coup d'œil, sans en recompter les éléments un à un (sinon, on reproduit les difficultés liées au comptage). Leurres perceptifs Le travail sur le principe d'ordre indifférent, les épreuves piagétiennes d'invariance du nombre, les leurres perceptifs consistent en comparaison, évaluation et/ou comptage de collections diversement agencées. L'objectif est de faire constater à l'enfant que le cardinal d'une collection donnée est stable, invariant, indépendant de l'apparence figurative, de la disposition spatiale, de la surface ou du volume occupé par la collection. Ce type d'exercice est proposé aux enfants standards parce que ces derniers sont performants sur le plan visuo-spatial, et ce bien avant d'être performants sur le plan conceptuel et numérique. Il s'agit donc de prendre en compte leurs « évidences » visuo-spatiales précocement et solidement construites (deux collections qui occupent la même « surface », disposées en « terme à terme », sont perceptivement égales) et de les inciter à s'en dégager pour différencier clairement le visuo-spatial (la configuration ou l'espace occupé par la collection) du numérique (le cardinal de la collection). Or, du fait de leur trouble du regard et du déficit du développement de leurs fonctions spatiales, les enfants DVS ne construisent absolument aucune certitude ni apprentissage pertinent par voie visuo-spatiale (dont ils ne retirent que des informations aléatoires, fluctuantes et imprévisibles) : il est donc tout à fait paradoxal de tenter d'utiliser ces fonctions, inefficaces chez eux, pour ensuite les inciter à les distinguer des concepts numériques. C'est pourquoi cette classe d'exercices n'a guère de justification chez l'enfant dyspraxique, chez lequel il faut toujours préférer un apprentissage centré d'emblée sur le nombre. Or, dans ces conditions, plus l'enfant compte et dénombre, plus il trouve des résultats différents pour une même collection d'objets : il ne peut ni contrôler ses erreurs ni en apprendre quoi que ce soit. En effet, il ne s'agit pas d'erreurs d'étourderie ni d'une mauvaise compréhension de la procédure de comptage (cette interprétation ne conduit qu'à poursuivre les comptages, à faire « toujours plus de la même chose qui ne marche pas »), il s'agit d'un handicap qui consiste en une exploration visuelle anarchique du matériel. Il faut donc : • soit proposer des comptages en relation individuelle (parents, AESH, rééducateur, tutorat par un autre élève…) en s'assurant que tous les éléments de la collection sont bien désignés une fois et une seule, sans aucun oubli ; • soit renoncer à ce type d'activité. Si l'on veut que l'enfant dispose d'une représentation analogique pour les petites quantités, on peut utiliser les représentations prototypiques, telles celles des dés, des dominos, et les configurations manuelles (cf. figures 4.2 et 4.3), du moins si on les utilise en reconnaissance et non en production par l'enfant : l'enfant dyspraxique doit disposer de cartons sur lesquels ces différentes configurations sont dessinées, cartons qu'il utilise et choisit en fonction de ses besoins. L'enfant Lecture et écriture des chiffres • La lecture des chiffres arabes, à ce stade, ne pose pas de problème particulier à l'enfant dyspraxique. 88 Chapitre 4. Compter (apprendre) que les nombres qui sont dits « avant » dans la litanie sont plus petits que ceux qui sont dits « après ». 43 18 Dans la mesure où l'on peut anticiper les difficultés ultérieures, il est fondamental de conduire (dès la maternelle) un apprentissage systématisé et très solide de cette suite numérique orale, qui servira de base ultérieure pour compenser (partiellement) les difficultés de l'enfant. Figure 4.5. Écritures de chiffres en « miroir ». • Leur écriture est souvent grossière et maladroite (comme l'ensemble du graphisme manuel), avec de nombreuses graphies en miroir, sans que cela n'en perturbe la lisibilité (figure 4.5). Il faut simplement veiller à ce que cela n'induise pas d'ambiguïté (par exemple, entre le 1 et le 7 : on peut apprendre aux enfants à réaliser le 7 avec une barre horizontale pour bien le différencier). En effet, initialement, il y a peu de bénéfice à utiliser le clavier d'un ordinateur pour l'écriture des chiffres et des nombres. Il faut automatiser cette suite le plus tôt et le plus loin possible, favoriser l'habileté à s'y déplacer virtuellement : à partir d'un nombre donné, on avance ou on recule45, on compte de 2 en 2, de 5 en 5, de 10 en 10, etc., ce qui prépare à la fois un travail systématique de calcul mental, puis l'utilisation raisonnée de la file numérique écrite (figure 4.6). Si l'enfant présente une faible mémoire de travail ou si la dyspraxie est associée à un syndrome dysexécutif, ce travail doit être soutenu simultanément par la présentation de la file numérique écrite (figure 4.6), assortie éventuellement d'aides de couleurs (au passage des dizaines). Dans ces cas, il est important que cette suite puisse être séquencée (sinon l'enfant s'y perd). En CP-CE Nombres et calcul Suite orale des mots-nombres La suite des mots-nombres (acquise progressivement entre 3 et 5–8 ans) est précocement connue pour les nombres de 1 à 10, puis souvent jusqu'à 20, sous forme d'une récitation automatisée (une litanie, une comptine). En français, de 1 jusqu'à 17, cette suite orale est tout à fait opaque puisqu'il s'agit de mots différents et arbitraires, suite au sein de laquelle le terme « dix » n'occupe même pas une place particulière. Il en est de même en ce qui concerne le nom de la seconde dizaine (vingt). Mais ensuite, le nom des dizaines suivantes est directement dérivé du nom de la pile correspondante (trois dizaines → trente ; quatre dizaines → quarante ; cinq dizaines → cinquante ; etc.). Les irrégularités des séries « soixante-dix », « quatre-vingts » et « quatre-vingt-dix » peuvent être soit contournées (en utilisant initialement la terminologie belge : septante, octante, nonante), soit explicitées : soixante + 10 → soixante-dix (logique !) ou septante ; septante + 10 → octante ou quatre paquets de vingt → quatre-vingts, etc. (cf. p. 82). Lorsque la dyspraxie est isolée, l'enfant dispose de bonnes capacités verbales et mnésiques, il apprend rapidement cette comptine orale des mots-nombres. Il peut aussi comprendre Organisation de la numération écrite La numération écrite en chiffres arabes (contrairement à la comptine orale) met explicitement en évidence la base 10 et est construite régulièrement, sans aucune exception, de façon parfaitement logique. Elle est donc d'un soutien très important pour permettre la compréhension de l'organisation du système numérique. Mais elle est souvent présentée sous forme d'un tableau à double entrée. Or, c'est justement cette présentation qui met en difficulté beaucoup d'enfants dyspraxiques, qui ne peuvent suivre des yeux (ni du doigt) une ligne et/ou une colonne et encore moins cibler la case (ou le point) précis de leur intersection fig. 4.4. 45 89 Compter à rebours n'est jamais automatisé. Cela réclame donc de très bonnes compétences en mémoire de travail et un excellent contrôle de l'administrateur central. Partie I. Les obstacles aux apprentissages scolaires 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 Etc ... Figure 4.6. File numérique. ENCADRÉ 4.1. C'est la raison pour laquelle il faut associer explications et apprentissages oraux, combinés à l'utilisation de la file numérique écrite assortie de couleurs (cf. figure 4.6 et encadré 4.1). Par contre, chercher à tout prix à leur donner des repères « spatiaux » ne constitue ni une aide ni une rééducation : cela ne fait qu'ajouter à leur confusion. Ainsi, on entend fréquemment des enfants qui déclarent : « Les unités, c'est le chiffre qui est du côté de la porte », enseignement dont on peut douter d'une part de la fiabilité et d'autre part de la signification mathématique ! Le repère de couleur (ici, marqué en gras sur la figure 4.6) donne immédiatement au jeune dyspraxique un indice fiable et facilement utilisable sur la signification du chiffre. Il ne s'agit donc pas là d'un détail, mais bien d'une indication majeure dont l'enfant ne peut se passer. Utilisation de la file numérique (normalement en couleurs pour en faciliter la lecture). Cette file (qui peut être très longue et alors soit enroulée, soit segmentée…) est scotchée sur le bureau de l'enfant. Limites : cette présentation présente l'inconvénient majeur de ne pas marquer (visuellement, par la disposition spatiale) la réitération des dizaines, le rôle fondateur de la base 10 dans cette construction. On peut alors : � marquer (par la couleur) et expliciter clairement la place du 10 et son rôle dans l'organisation des nombres ; � marquer d'une couleur différente, sur la suite écrite des nombres en chiffres arabes, les chiffres qui « disent la vérité » (et représentent les unités) et ceux qui disent les dizaines, les « paquets de dix » (cf. p. 82). C'est pourquoi il est capital que le code couleur adopté soit constant, afin d'utiliser les automatismes déjà acquis en langage écrit. Il faut en outre que ce code couleur soit respecté par tous, en particulier tout au long des années scolaires successives. Intérêts : l'enfant peut s'y référer pour y « avancer ou reculer » linéairement (éventuellement en s'aidant, pour décider de la direction de ses déplacements, des repères de couleur rouge et verte marqués sur sa table) ou pour faire de petits ajouts (3 + 2 : « à partir de 3, j'avance de 2 cases et j'arrive sur le 5 ») ou de petits retraits (12 − 5 : « à partir de 12, je recule de 5 cases et j'arrive sur le 7 »). Noter l'importance de placer le 0 en tout début de file : si, à partir de 3, je recule de (je retranche) 3, j'obtiens 0. On peut aussi facilement faire remarquer qu'en ajoutant 1, on tombe sur le successeur immédiat du nombre, et qu'en opérant ainsi de manière itérative, on construit la suite des nombres, ou encore que si à partir de 4, j'avance de 3, puis je recule de 3 (je recule d'autant), je me retrouve sur la case du départ, etc. Ce matériel va servir de support pour lire et écrire les nombres, les comparer (le plus grand ou le plus petit, plus petit que ou plus grand que, N de plus que ou N de moins que, etc.), encadrer un nombre, effectuer de petites opérations d'ajouts ou de retraits. Lecture/écriture des nombres À partir du moment où la position des chiffres dans le nombre devient significative (nombres à 2 chiffres ou plus), ces enfants sont notablement gênés, car soit ils ne peuvent interpréter la position relative de chaque chiffre dans le nombre (120, 201, 210, etc.), soit il s'agit de nombres miroirs droite/gauche, telles des anagrammes chiffrées (exemple : 12/21 ou 172 et 271). C'est pourquoi ils doivent être aidés d'emblée par des stratégies de verbalisation (cf. p. 81) et des ­systèmes de colorisation (cf. p. 119, 147). La difficulté persiste cependant dans la lecture et l'écriture des grands nombres et/ou le placement des zéros intercalés, car cela nécessite en effet de pouvoir traduire la signification de chaque chiffre en une organisation spatiale rigoureuse. En début de scolarité, pour les petits nombres (ou ceux qu'il peut maîtriser facilement), on peut 90 Chapitre 4. Compter demander à l'enfant de dire le nombre qui est écrit par l'adulte (en utilisant le code couleur). Par exemple, pour 53 : un trois rouge (ou « un trois qui dit la vérité », cf. p. 82) et un cinq vert (« qui vaut 50 »), ou pour 503 : un trois rouge et un cinquante vert, qui « vaut 50 paquets de dix ». On peut également proposer des programmes adaptés sur l'ordinateur, qui disposent automatiquement les couleurs et les chiffres successifs de droite à gauche (cf. chapitre 9). ciel de pose des opérations sur leur ordinateur : ceci n'a guère d'intérêt autre que de donner à l'enfant l'illusion qu'il « fait comme les autres », sauf peut-être en ce qui concerne les divisions, car cela permet aux enfants de visualiser « le reste » (cf. figure 4.8, « Cahier couleur » en fin d'ouvrage). Utilisation des fichiers, manuels et livres d'arithmétique dans le primaire Opérations sur les nombres Il faut ici clairement distinguer (cf. p. 83) : • l'opération mentale : c'est l'aspect intellectuel, qui permet de conceptualiser la nature de la transformation en jeu dans le problème posé, en termes d'ajouts, de retraits, de partage, de distribution, etc. Cet aspect ne pose aucun problème particulier aux enfants dyspraxiques, pour autant qu'on ne surcharge pas leur réflexion par des manipulations et/ou des représentations figuratives et spatiales intempestives qu'ils ne peuvent interpréter, qui les parasitent et qui perturbent gravement leur réflexion ; • et la procédure opératoire, le calcul proprement dit, qui permet, par une stratégie particulière, de trouver le résultat de l'opération : « combien ça fait ». Ce sont ces procédures qui sont problématiques. Elles peuvent consister, selon le type de calculs à réaliser, en : • calcul mental : les enfants dyspraxiques (s'ils ne présentent ni trouble mnésique ni syndrome dysexécutif associé) y sont normalement compétents. Ils doivent même être surentraînés en ce domaine, et ce assez précocement (cf. p. 89) : savoir compter de 2 en 2, de 5 en 5, de 10 en 10, leur enseigner les différents « trucs » facilitateurs de calcul mental, etc. En effet, c'est à partir de ce matériel mémorisé qu'ils pourront (partiellement) compenser leurs difficultés à résoudre des calculs par la pose des opérations ; • calculs posés : du fait de leur nature (liée à la numération de position), ces procédures sont uniquement et entièrement spatiales. Il faut donc leur proposer d'emblée une calculette qui effectue pour l'enfant les aspects mécaniques du calcul (cf. p. 83). On peut aussi prévoir un logi- Il faut être particulièrement vigilant en ce qui concerne la typographie et surtout la présentation visuelle de ces manuels scolaires ou des contrôles (figures 4.4, 4.7 et 8.7, p. 87, 92, 154). Les stratégies visuo-spatiales y sont généralement surutilisées (dessins, schémas, représentations figuratives illustrant des expérimentations). La présentation, pour être attrayante pour l'ensemble du jeune public, propose souvent des chevauchements entre les différents exercices, des bulles qui évoquent celles des bandes dessinées, des flèches pour mettre en relation différents éléments d'une même page, etc. Ces feuillets surchargés sont inutilisables pour la plupart des enfants dyspraxiques, qui ne peuvent souvent même pas repérer l'entièreté des explications ou de l'exercice ni où sont les parties laissées vierges pour qu'ils écrivent la réponse ! Il faut donc d'abord proposer à l'enfant des photocopies (de bonne qualité) ou des documents scannés sur lesquels on isole systématiquement un seul exercice par feuillet. En ce qui concerne l'explication du concept, la réalisation des différents exercices et les éventuelles réponses à fournir, il faut concevoir des adaptations graphiques, la colorisation, ­l'évitement ou la transformation des données en tableaux, graphes ou schémas et, bien sûr, la verbalisation (cf. p. 102, 147, 149, 159, 160, 161). Grandeurs et mesures Si les jeunes souffrant de DVS peuvent très bien comprendre le concept d'unité de mesure et juger de l'ordre de grandeur de certaines mesures, ils ne peuvent effectuer, réaliser eux-mêmes la plupart des mesures. 91 Partie I. Les obstacles aux apprentissages scolaires Figure 4.7. Coloriage mathématique. (Cf. aussi figure 8.7.). Yvrard P. Perfectionnement au calcul CE2 : coloriages codés. Paris : MDI ; 2006. 92 Chapitre 4. Compter Addition avec retenues Soustraction avec retenues 1 1253 + + 9 12 1 7 5 − 946 14 19 9 2 4 2 8 3 2199 Division avec calcul intermédiaire Multiplication avec retenues 1 4 2 − 3 1 2 5 3 − x 2 8 6 1 − 1 5 1 8 2 0 2 4 0 − 5 0 6 0 0 7 2 3 5 8 Figure 4.8. Formulaire de pose d'opération (exemples). Cette figure est reproduite en couleur en fin d’ouvrage. n'est pas réduit à l'expérimentation directe, la manipulation ou la réalisation effective de mesures. Mesure de la longueur d'un segment En ce qui concerne la mesure de la longueur d'un segment, ces enfants ne peuvent matériellement : • ni manipuler correctement une règle graduée, à savoir faire concorder l'origine du segment à mesurer et le zéro de la règle, puis l'orienter de telle façon qu'elle soit plaquée contre le segment (sans le recouvrir) et enfin l'immobiliser ; • ni repérer précisément la graduation qui correspond à l'extrémité du segment concerné (lire le résultat, la longueur du segment). Certains peuvent donner des instructions verbales et séquentielles à l'adulte (AESH, enseignant, parent) ou à l'ordinateur (logiciel adapté, cf. chapitre 9) qui réalise la tâche à sa place. Sinon, l'enfant dyspraxique doit être dispensé de cette activité. Le travail conceptuel concernant la notion de mesure étalon et d'unité de mesure, l'apprentissage des ordres de grandeur des éléments habituels de notre environnement, la compréhension de l'organisation décimale des unités de mesure et de leurs rapports réciproques, les opérations mentales, les formules et les calculs mettant en jeu ces mesures sont normalement accessibles à ces enfants (compréhension, apprentissage, mémorisation), du moins si leur apprentissage Les volumes et les masses Outre les difficultés signalées plus haut pour les longueurs, les jeunes dyspraxiques sont souvent confrontés à des dessins représentant la troisième dimension, lignes de fuite qu'ils ne peuvent pas interpréter du tout ou pas de façon fiable. En outre, les leçons concernant ces notions consistent souvent en expérimentations et manipulations que les enfants DVS contrôlent mal : ils consacrent alors l'essentiel de leurs ressources cognitives à tenter d'éviter quelques catastrophes (renverser le matériel, le briser…). Au contraire, libres de toute manipulation, de toute nécessité d'analyse d'un dessin, de toute contingence liée à une réalisation graphique ou à l'effectuation d'une mesure, ces jeunes peuvent alors raisonner avec pertinence sur les concepts qui leur ont été explicités. Organisation et gestion des données Comme nous avons déjà eu l'occasion de le signaler, les tableaux, graphes, schémas sont des 93 Partie I. Les obstacles aux apprentissages scolaires é­ léments que ces enfants ne peuvent ni interpréter ni réaliser. Ces objectifs (organisation et gestion de données) et ces activités (tableaux, graphiques) sollicitent donc exactement et entièrement les fonctions cognitives défaillantes des jeunes dyspraxiques. D'ailleurs, tous les « outils » de rangement, de classement requièrent des compétences spatiales, qu'il s'agisse des données d'un problème, des classeurs ou des cahiers, et même du cartable, de la trousse, du bureau (y compris le bureau de l'ordinateur), etc. La lutte contre la désorganisation permanente est constante… et durablement à la charge des adultes (cf. p. 199, 200). C'est même la raison qui fait dire que ces enfants ne sont « pas autonomes » (à l'école, à la maison). Il faut trouver pour certaines activités des ersatz ou des palliatifs et, pour l'essentiel, accepter… de faire à leur place ! Ces jeunes sont aidés par la description verbale et/ou un listing séquentiel des éléments à classer (ou des actions à faire), appris par cœur, affiché sur leur bureau ou collé sur leur ordinateur (cf. encadré 6.1, p. 134). Des stratégies associées, de type CO-OP (cf. p. 27), sont très efficaces. Il faut cependant veiller à ne pas surcharger leur mémoire (ou leur bureau) de suites d'indications, de fiches ou d'instructions, à les limiter au minimum indispensable pour toujours privilégier les apprentissages conceptuels et les connaissances, sans jamais les sacrifier aux procédures et savoirfaire. C'est souvent ce déficit persistant et rebelle concernant l'organisation, l'autonomie et la gestion (du matériel, des connaissances) qui fait assimiler à tort handicap et mauvaise volonté, absence d'application, fainéantise ou travail bâclé. Attention de ne pas confondre causes et conséquences : certains, ignorant le handicap fondamental qui sous-tend la dyspraxie, interprètent à tort les difficultés organisationnelles de ces enfants comme résultant d'un défaut d'attention, de motivation ou d'efforts. Ces personnes pensent alors que l'enfant « se repose entièrement » sur l'adulte (c'est souvent l'AESH, voire la mère, qui est visé) et qu'améliorer son autonomie suppose de le mettre en situation de faire seul. C'est un argument souvent avancé pour limiter le temps d'intervention de l'AESH auprès du jeune dyspraxique (cf. p. 122, 169, 170, 201). Il est bien évident que si, libéré de l'aide d'un tiers, l'enfant pouvait réaliser les actes et traitements spatiaux exigés (à juste titre) des autres enfants, il ne serait pas dyspraxique ! Et si pour guérir ou améliorer notablement le handicap, il suffisait de supprimer l'aide humaine… cela serait miraculeux ! Bien sûr, c'est prendre le problème exactement à l'envers (comme pour l'habillage, cf. p. 204, le graphisme ou la lenteur) : c'est parce qu'il est incapable, du fait de son handicap, de réaliser certaines actions (ranger, classer, utiliser certains outils, certains matériels, lire ou construire des tableaux et graphiques, etc.) qu'il a besoin d'une aide humaine qui réalise pour lui ces actes, de façon à éviter que sa désorganisation permanente ne se répercute dans tous les secteurs de la scolarité. En CM et au collège C'est le moment où l'enfant aborde : • les nombres entiers et naturels jusqu'au milliard ou plus ; • les nombres décimaux et les fractions : là, il s'agit de nouveaux apprentissages, qui posent de nouveaux problèmes aux jeunes dyspraxiques et dont certains aspects leur resteront inaccessibles, du moins sous leur forme « habituelle » : valeur des chiffres en fonction de la position de la virgule et de leur position dans le nombre, écriture fractionnaire (position des nombres par rapport au trait de fraction), correspondances entre nombres à virgule et écritures fractionnaires, repérage des valeurs sur une droite graduée… ; • grandeurs et mesures : les apprentissages concernent les longueurs, les masses, les volumes (mesures, calculs, conversions, périmètres…), les aires, les angles, le repérage dans le temps et les durées, la monnaie ; • organisation et gestion de données : il leur faut produire des tableaux, des graphiques et les analyser. La proportionnalité est abordée à partir de notions faisant intervenir les notions de pourcentage, d'échelle… On prend conscience que la plupart de ces apprentissages sont en grande partie inaccessibles à l'enfant 94 Chapitre 4. Compter dyspraxique non pour des motifs conceptuels, mais bien en raison de la complexité des traitements spatiaux réclamés par la plupart de ces apprentissages. Il est donc de plus en plus important de chercher à distinguer, pour chaque nouvelle acquisition, quels sont les aspects conceptuels que le jeune doit (ou peut) acquérir de ce qui revient à la méthodologie ou à la présentation spatiale habituelle qu'il faut chercher à contourner, du moins lorsque c'est possible. Notons que la stratégie est identique à celle qui consiste à transformer un plan (une carte spatiale) en un trajet constitué d'une suite d'instructions verbales, telles que fournies par les GPS (cf. p. 159). Exemple On peut décrire de façon détaillée la suite séquentielle des actions à exécuter pour utiliser une équerre ou un compas [71]. On peut aussi transformer une information holistique, visuo-spatiale, en une suite séquentielle d'instructions verbales : A. Crouail propose de transformer les données spatiales (souvent réalisées sous forme de dessin) en un récit (donc une verbalisation) qui décrit très précisément les déplacements d'une fourmi qui se déplace le long des parcours requis, en fonction de l'énoncé. Ceci permet à l'élève de résoudre un problème de périmètre, d'intervalles… Les stratégies utilisées (récits, contes) visent à enrichir l'énoncé d'éléments concrets (histoire mise en scène par l'enfant) afin que l'élève se construise et s'approprie une représentation mentale (sous forme discursive, sémantique) de la situationproblème qu'il doit résoudre. Exemple Les règles de priorité des calculs, l'algèbre et la résolution d'équations, même simples, réclament aussi des compétences neurovisuelles et spatiales. En effet, le jeune ne doit pas oublier (visuellement) certains éléments, qu'il s'agisse d'un nombre, d'une lettre, d'un signe opératoire ou d'une parenthèse (équivalent du saut de mot en lecture, cf. p. 104), surtout lorsqu'il effectue ses calculs successifs, d'une ligne à l'autre : chaque report avec retour à la ligne peut être l'occasion d'oublis, d'erreurs, d'interversions… L'aide de couleurs (par exemple) peut être déterminante. Ainsi, au cas par cas, on peut combiner différentes stratégies : proposer des aménagements pour certaines dispositions spatiales (il peut s'agir de couleurs, de présentations linéaires ou d'autres simplifications) et/ou enseigner des procédures verbales. Mais il faut insister sur certaines contraintes liées à la verbalisation : • le choix de la verbalisation suppose que l'on se soit préalablement assuré des capacités du jeune en attention et mémoire de travail auditivo-­ verbale, mais aussi en mémoire à long terme ; • la formulation des instructions verbales ne peut pas être improvisée. Elle doit être très précise (les éléments visuo-spatiaux ne sont en effet pas faciles à décrire dans leurs relations fines, puisque, justement, leur rôle est de donner une information multifactorielle à partir d'une perception globale, ce qui doit en éviter la description verbale !). C'est pourquoi cette technique requiert des personnels formés à ces techniques, sachant anticiper les formulations à employer dans les diverses circonstances, en fonction des programmes scolaires ; • par ailleurs, l'enfant doit être entraîné spécifiquement à utiliser cette méthode, souvent durant plusieurs mois avant d'être véritablement efficace. Il peut s'agir de descriptions Enseigner des procédures verbales Pour cette partie, nous nous inspirons directement des travaux d'Alain Crouail [71], professeur de mathématiques dans un collège mixte recevant des jeunes valides et dyspraxiques : il est donc sans objet de les reproduire ici, nous invitons donc le lecteur à se reporter à ses ouvrages. Le principe général vise à traduire les informations visuo-spatiales, simultanées et globales en informations verbales, séquentielles. C'est une stratégie de choix lorsqu'il s'agit de définitions, d'explicitations conceptuelles, de règles et même de procédures spatiales. 95 Partie I. Les obstacles aux apprentissages scolaires v­ erbales de procédures, de récitation par cœur de définitions ou de récits (des « contes » selon la formule de A. Crouail) qui actualisent le problème sous une forme séquentielle que l'enfant DVS peut alors résoudre. Faute de quoi, on peut se trouver devant des récits ou contes très intéressants, mais qui n'aident en rien la résolution de problèmes, au sens scolaire du terme ; • l'enfant doit enregistrer sa verbalisation et ses commentaires doivent ensuite être écoutés, puis corrigés individuellement (importance du feed-back, comme pour tout ­apprentissage) : ceci nécessite à la fois une prise en charge individuelle ou en très petit groupe et une disponibilité importante en temps de la part de l'enseignant. • mais il ne faut pas se leurrer : l'enfant dyspraxique ne pourra jamais généraliser ces techniques (c'est là l'essence même de sa pathologie) ; • ces stratégies ont un coût très important pour l'enfant, en temps, en énergie… Or, si cela permet certains apprentissages, il est cependant loin d'être acquis que les résultats soient toujours à la hauteur des efforts investis dans ce domaine. Certaines notions mathématiques sont indispensables à une certaine autonomie sociale (notion de nombre, comparaisons de quantités, petites opérations…). D'autres n'ont comme motivation que de permettre la poursuite de la scolarité à un certain niveau et de permettre une orientation ultérieure vers des métiers « scientifiques » : pour de nombreux jeunes, ces objectifs-là resteront inatteignables. Il faut en prendre la mesure rapidement afin d'éviter d'engager l'enfant (sa famille et les enseignants) dans des projets dévoreurs de temps et d'énergie, mais sans réelle efficacité à moyen et long terme. Il faut donc bien cibler le projet en calcul et en mathématiques en général et ne pas oublier qu'un entraînement, même bien pensé en fonction du trouble visuo-spatial que présente l'enfant, comporte ses limites, inhérentes au handicap. Conclusion Nous voulons insister sur quelques éléments inhérents au choix d'adapter au « moins mal » pour les jeunes dyspraxiques les procédures visuo-spatiales habituellement mises en œuvre en mathématiques : • ces aménagements requièrent un enseignement individualisé : chaque cours doit être, idéalement, préparé à l'avance pour en permettre l'aménagement (présentation, mise en pages, colorisation…) et/ou la verbalisation, qu'il s'agisse de la notion à acquérir ou des exercices d'application. Ceci impose une prise en charge individuelle ou en très petit groupe, ou bien en classe ordinaire, mais avec l'aide d'un AESH très bien formé à ces techniques ; • ces adaptations comportent leurs propres limites. Il est possible : – de coloriser certains éléments pour aider les enfants à les situer « à droite de » ou « à gauche de », ou bien, comme le propose A. Crouail [71], – de tracer à l'avance les barres de fraction pour que l'enfant repère numérateur et dénominateur, – de transformer un problème aux données spatiales (déterminer le périmètre d'un champ d'après un dessin coté) en un problème séquentiel (cf. « la petite fourmi »), – d'enseigner à l'enfant une procédure verbale d'utilisation de l'équerre ou du compas dans telle ou telle circonstance précise ; Il faut se garder d'engager de manière trop importante les ressources de l'enfant (et des rééducateurs) dans des batailles partiellement mais inéluctablement perdues d'avance, alors même que ces jeunes ne s'orienteront pas vers des métiers scientifiques. Un entraînement dans des matières où ils sont moins en difficulté (domaine littéraire, langues, droit, histoire et connaissances générales…) est souvent beaucoup plus efficace et constitue une stratégie à long terme nettement plus profitable pour la grande majorité des jeunes dyspraxiques : c'est l'objet même du projet individuel (cf. p. 33) que de préciser les priorités, la hiérarchie des actions à entreprendre et leur place relative. D'autant que la géométrie, autre branche des apprentissages mathématiques, mettra ces jeunes (et leurs enseignants) dans des difficultés encore plus complexes (cf. chapitre 8)… 96 Chapitre 4. Compter Il ne s'agit pas de rééduquer tous les symptômes ni de donner au jeune des « trucs » pour répondre « comme les autres » et encore moins, devant l'échec en mathématiques et le retard cumulatif que prennent habituellement ces enfants dans cette matière, de faire « toujours plus de la même chose qui ne marche pas » (cf. p. 5). les apprentissages. Certaines de ces rééducations sont tout à fait sans objet si la « dyscalculie » n'est pas rapportée à sa cause première, le trouble spatial du jeune dyspraxique. D'une façon générale, les objectifs d'une rééducation du calcul ne peuvent pas être décidés isolément, en ne tenant compte que des anomalies constatées dans le bilan mathématique. Souvent utile lorsqu'elle est bien adaptée, cette rééducation doit être précisément déterminée (objectifs, techniques à favoriser, méthodes à proposer, aménagements à mettre en place en milieu scolaire, directives à suggérer à l'AESH, limites à se fixer…), en tenant compte de l'ensemble des troubles dont souffre l'enfant et en lien étroit avec le pronostic prévisible et le projet scolaire envisagé (cf. p. 32). Or, la grande majorité des enfants dyspraxiques, au vu de leur échec habituel, précoce et intense en calcul, bénéficient de rééducations dites « logico-mathématiques », généralement pratiquées par des orthophonistes formés aux troubles du calcul. Le terme de « logico-mathématique » est particulièrement mal choisi, car ces jeunes disposent de compétences logiques intactes, qui serviront même de support préférentiel pour permettre 97 Lire Chapitre 5 L'enfant dyspraxique et les apprentissages © 2016, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés « L'écriture est un message à regarder, une constellation de signes qui s'offrent dispersés dans un espace, celui de la page ou ce qui en tient lieu, écran, mur, paroi ou firmament, « page » de sable, de bois, de terre ou de pierre. L'alternance de vide et de plein, de noir et de blanc y organise un champ visuel aux rythmes singuliers. » Zali A. « L'écriture, art du visible ». In : L'aventure des écritures. Paris : Bibliothèque nationale de France • ce terme désigne aussi le diagnostic neuropsychologique, c'est-à-dire l'identification d'un déficit (ou d'une anomalie développementale) touchant un (ou plusieurs) des processus cognitifs sollicités lors de l'apprentissage de la lecture. En effet, différentes grandes f­onctions cognitives peuvent être en cause. La déficience ou l'anomalie de développement de chacune d'entre elles peut déterminer un tableau ­pathologique différent, une forme de dyslexie particulière, chacune répondant à des stratégies thérapeutiques spécifiques [1]. Différents mécanismes peuvent expliquer des difficultés (ou des performances significativement insuffisantes) en lecture chez l'enfant dyspraxique et il faut considérer ici deux situations bien distinctes : • soit la dyslexie est sans rapport direct avec la dyspraxie : la dyslexie est la conséquence d'un trouble phonologique, d'un déficit de la mémoire de travail, d'un syndrome dysexécutif [8]… C'est alors un trouble associé. Les dyslexies phonologiques représentent, de loin, les plus fréquentes des dyslexies (environ les {2/3} de l'ensemble des dyslexies), ce qui rend compte du fait que de nombreux professionnels, à tort, assimilent la dyslexie-symptôme (constatation d'un trouble de la lecture) avec le diagnostic de dyslexie « phonologique ». Bien sûr, l'association d'une dyslexie phonologique avec une DVS constitue une comorbidité et modifie considérablement la prise en compte et le pronostic du problème de l'accès à la lecture (cf. p. 38) ; La grande majorité (environ les deux tiers) des enfants qui sont atteints d'une dyspraxie isolée apprennent à lire sans aucun problème particulier, puis développent des compétences en lecture comparables à celles de leurs pairs. C'est pourquoi, lorsque ce n'est pas le cas, il convient de reprendre les explorations à la recherche d'une cause qui rende compte des symptômes : seul le diagnostic du type de dyslexie dont souffre l'enfant permet de lui proposer des aides, des rééducations et des adaptations efficaces. En effet, le terme de dyslexie recouvre deux significations très différentes : • souvent, il ne s'agit que d'un constat : l'enfant ne peut pas apprendre à lire et/ou le niveau de performance atteint en lecture est très inférieur à ce qu'il devrait être46, ce qui se traduit par un décalage de deux années ou plus par rapport aux acquis des enfants du même âge ou du même niveau scolaire ou par un écart supérieur à 1,6 déviation standard (ou − 2 DS47 si l'on est plus exigeant) par rapport à la norme lors de tests étalonnés. C'est alors un symptôme, c'est-à-dire un signe observable qui peut être la résultante de différentes pathologies sous-jacentes. Ce constat doit donc absolument déboucher sur une seconde étape, diagnostique ; 46 47 Après avoir éliminé : une déficience mentale, un trouble envahissant du développement, une insuffisance d'apprentissage (non-scolarisation, difficultés psychosociales sévères…). Déviation standard (DS) ou écart-type (ET) : caractérisent l'écart à la norme dans les tests dont les résultats ont une distribution « normale » (en cloche, courbe de Gauss). 99 Partie I. Les obstacles aux apprentissages scolaires • soit la dyslexie résulte de troubles neurovisuels en lien direct avec la dyspraxie, gênant la phase de prise d'information visuelle de la lecture : on parle de dyslexie « visuelle » ou « visuoattentionnelle » [64]. Cela semble concerner, de façon plus ou moins intense, environ un tiers des jeunes dyspraxiques, ceux qui présentent des troubles neurovisuels importants. Dans de rares cas (environ 10 % ?), elle peut même être au premier plan, révélant une dyspraxie gestuelle très discrète passée inaperçue. Certains [9] ont montré un lien entre processus visuels inhérents à la lecture, dyslexie visuelle et anomalies pariétales (ces dernières étant aussi le support des fonctions visuo-spatiales et praxiques). Seules ces dyslexies visuelles sont l'objet de ce chapitre : il ne s'agit pas de comorbidité, mais bien des répercussions de la dyspraxie dans l'accès à la lecture. (de haut en bas), avant même de pouvoir exercer ses capacités de conversion grapho-phonologique, de déchiffrage, puis d'identification des mots et de compréhension de texte. Cet acte visuel de saisie du texte est complexe. Il s'agit d'un « geste » oculaire : • qui repose sur le développement initial de capacités innées : fixation d'une cible, poursuite d'une cible mobile, exploration d'une scène visuelle grâce à une succession de saccades. Ces habiletés se mettent en place aux alentours de l'âge de 4 mois, puis elles s'affinent progressivement au fil des mois et des années ; • et qui, sur ces bases, est secondairement appris entre la grande section de maternelle et le CE2 (stade habituel de la lecture courante). L'entraînement à la lecture enseigne (apprentissage implicite) au système neurovisuel comment organiser les saccades linéairement de gauche à droite (de droite à gauche pour des lecteurs arabes ou israéliens) et comment calibrer les saccades oculaires afin qu'elles tombent précisément presque au milieu du mot. C'est pourquoi de nombreux spécialistes [73] dans le domaine de l'apprentissage de la lecture préconisent depuis longtemps un entraînement visuel systématique en CP pour favoriser l'apprentissage de la lecture chez des enfants tout-venant [73]. Ces « praxies oculaires pour la lecture » peuvent ne pas se mettre correctement en place chez certains jeunes dyspraxiques qui présentent une importante imprécision des gestes oculaires. La gêne à la lecture, selon l'intensité des troubles, peut se manifester à différents moments de la scolarité et sous différentes formes. Mais c'est toujours une dyslexie-symptôme [1] qui alerte dans un premier temps : l'enfant ne lit pas comme il est attendu pour son âge, son niveau intellectuel, son niveau scolaire. Il faut alors rechercher les éléments qui relient cette dyslexie et la dyspraxie : le bilan orthophonique étonne, car il montre de bonnes capacités en phonologie et métaphonologie et l'enfant connaît bien les correspondances sons-graphies. Il lit beaucoup mieux les mots isolés que les mêmes mots inclus dans un texte. Un bilan orthoptique peut étayer ce diagnostic. Cependant, il doit être confronté aux bilans des autres professionnels (psychologue ou neuropsychologue, ergothérapeute, psychomotricien, orthophoniste) pour déboucher sur une conclusion fiable. Dyslexie « visuelle » dans le cadre d'une dyspraxie Lorsque les difficultés en lecture du jeune sont directement en lien avec la dyspraxie [72], selon l'intensité des troubles, les difficultés peuvent se manifester soit d'emblée (lors de l'apprentissage en CP-CE1), soit ultérieurement lorsque la lecture courante est requise (CE2). Dans les deux cas, l'avis de l'orthoptiste est requis en complément du bilan neurovisuel : d'importantes anomalies sont toujours présentes, concernant la fixation, les capacités de poursuite oculaire et, surtout, le déclenchement, le calibrage et l'organisation des saccades oculaires. L'exploration visuelle du texte (organisation linéaire et régulière des saccades, essentiellement de gauche à droite, exploration en lignes ou colonnes, calibrage des grandes saccades de retour à la ligne, balayage d'un texte à la recherche d'une information précise) est défectueuse. Il peut s'agir d'un trouble de la régulation spatiale automatique de l'organisation exploratoire (une diffusion du trouble praxique aux gestes oculomoteurs) et/ou de troubles de la stratégie du regard (déficit des fonctions exécutives). Lire est en effet d'abord un geste visuel : il faut pouvoir s'emparer du texte avec ses yeux, de la suite linéaire des lettres/syllabes/mots (de gauche à droite, en français) et des lignes successives 100 Chapitre 5. Lire Difficulté d'accès à la lecture ­(CP-CE1) Elles rendent surtout beaucoup plus efficaces et plus « rentables » les stratégies d'aménagements des textes (adaptations typographiques et de présentation) qui doivent toujours être simultanément utilisées. Il s'agit de très jeunes enfants (6–8 ans) pour lesquels il est légitime de mener simultanément des actions de rééducation et des actions de réadaptation. Aménagement spécifique de l'apprentissage Réels mais lents et laborieux, les progrès liés à la rééducation ne sont jamais assez rapides ni assez fonctionnels pour permettre de suivre le rythme scolaire (cf. p. 34). C'est pourquoi, d'emblée, afin de préserver des apprentissages de bonne qualité, il faut prévoir aussi des adaptations et des palliatifs efficaces dans des délais satisfaisants. La rééducation est conduite par un professionnel qualifié. Les outils de compensation préconisés par les spécialistes sont utilisés pour tous les apprentissages, en particulier en classe. Rééducation de l'organisation du regard (orthoptiste, ergothérapeute) En complément du travail effectué par l'ortho­ ptiste et/ou en collaboration directe avec lui, les rééducateurs (ergothérapeute, orthophoniste) peuvent proposer un entraînement fonctionnel des saccades, en vue d'améliorer la prise d'informations visuelles lors de la lecture. Pratiqué en individuel ou en petit groupe lors des séances de rééducation (ergothérapie), cet entraînement prend des formes différentes selon l'âge de l'enfant et l'intensité des troubles [74]. Les exercices (sur papier, sur tableau, ou sur écran d'ordinateur, ou, en groupe, sur écran grâce à un vidéoprojecteur) portent principalement sur trois domaines : • l'organisation linéaire des saccades, de gauche à droite ; • la grande saccade de retour à la ligne ; • le calibrage des saccades et l'augmentation de l'empan visuel, dit aussi « fenêtre visuo-­ attentionnelle » [10]. Ces rééducations ne conduisent pas à une « normalisation » des mouvements du regard lors de la lecture, mais peuvent limiter la fatigabilité et autoriser la lecture sur de courts textes. 101 L'enfant, du fait de ses mouvements désorganisés du regard, explore visuellement les mots (ou le texte) de façon aléatoire. La nécessité permanente, lors de la tâche de lecture, de contrôler plus ou moins intentionnellement les mouvements de ses yeux induit une fatigabilité anormale, car elle met le lecteur débutant en double tâche quasi permanente (cf. p. 21), situation qui aggrave ses difficultés de déchiffrage et d'assemblage. C'est la raison pour laquelle il est très important, en phase d'apprentissage, de simultanément : • favoriser tous les autres processus linguistiques sous-jacents à la lecture : surentraînement des habiletés métaphonologiques, automatisation des conversions graphophonologiques, en particulier les di- et trigraphes, syllabes, et ce préalablement à la lecture de mots et de petits textes ; • soulager au maximum la tâche visuelle : colorisation syllabique alternée (cf. infra), surlignage alterné des lignes, retour auditif pour effectuer un contrôle sur la production écrite et la frappe à l'ordinateur (et en éviter le contrôle visuel)… ; • porter une grande attention à la présentation du texte (typographie, présentation spatiale), et ce de façon systématique et permanente. Toutes ces adaptations imposent une vigilance constante, car elles doivent concerner l'ensemble des écrits proposés à l'élève : cela constitue une part très importante du travail de l'AESH, travail qui doit être suffisamment anticipé chaque fois que possible (en lien avec l'enseignant), afin que l'enfant puisse disposer de textes réellement exploitables, et ce en même temps que ses camarades. Partie I. Les obstacles aux apprentissages scolaires sation. Dans ce but, la méthode par imprégnation syllabique [76] est un choix privilégié : en isolant les syllabes, en focalisant l'attention de l'enfant sur ces groupements fréquents de lettres, on favorise leur repérage ultérieur dans le mot et l'automatisation de leur conversion. Par ailleurs, cela donne sens et renforce grandement l'efficacité des adaptations visuelles simultanément mises en œuvre (colorisation alternée des syllabes, cf. infra). En outre, l'automatisation des conversions graphophonologiques favorise un apprentissage « sans erreur » : la vocalisation toujours correcte des syllabes ou petits mots transcrits favorise un appariement parfait et automatique entre le stimulus visuel qu'est le graphème et son correspondant phonologique. Maximiser l'efficacité des processus linguistiques sous-jacents (orthophoniste) Il s'agit d'utiliser et de valoriser au mieux les compétences langagières – de bon niveau – de ces enfants pour faciliter l'apprentissage de la lecture et compenser (ou contourner) les difficultés ­auxquelles ils vont se heurter du fait de leurs troubles du regard. Entraînement phonologique Il est très important de proposer à l'enfant dyspraxique un entraînement métaphonologique parti­culièrement soutenu. Cette activité fait souvent déjà partie des exercices que font normalement tous les enfants en GSM, mais, dans la grande majorité des cas, ce travail reste relativement ponctuel et limité. Il est donc important de l'intensifier et d'être très vigilant sur l'évolution des compétences du jeune dyspraxique dans ce domaine. En règle générale, ces enfants (qui n'ont pas de troubles phonologiques) progressent rapidement et de façon très efficace dans ces exercices (du moins en l'absence de déficit de la mémoire de travail et/ou des fonctions exécutives). Si la mémoire de travail auditivo-verbale est « limite », un entraînement spécifique dans ce ­secteur [58, 59, 75] est rapidement profitable et permet d'utiliser avec profit les stratégies compensatrices proposées ici. Alléger les contraintes visuelles (ergothérapeute, AESH, enseignant) Plusieurs stratégies sont employées, s'appuyant sur l'oral, la colorisation alternée des syllabes et/ou des lignes, l'utilisation de logiciels adaptés, l'aménagement typographique et spatial des textes. Nous conseillons, là encore, de privilégier la syllabe, principal constituant du mot en français. La colorisation alternée de syllabes fait partie des stratégies d'aide au repérage visuel des frontières syllabiques. Faible efficience en lecture (à partir ou au-delà du CE2) Épellation Ce travail doit être couplé à l'apprentissage de la reconnaissance des lettres dans les polices usuelles (majuscules, minuscules, cursives) et de leur dénomination. Cela permet assez souvent (en lien avec l'entraînement de la mémoire de travail), dès la fin de CP, l'épellation de syllabes et de mots courts et fréquents et, réciproquement, la reconnaissance de mots courts et fréquents épelés par l'adulte. Cette compétence leur est ensuite très utile pour reconnaître visuellement une syllabe ou un mot dont ils ont déjà construit une représentation orthographique par voie auditivo-­verbale (traitements « descendants » ou top → down) et pour l'apprentissage du clavier (cf. p. 119). Il s'agit de jeunes qui ont initialement appris à lire sans problème manifeste, mais qui ne parviennent pas à une lecture courante fluide et rapide et/ou : • qui présentent une fatigabilité anormale à la lecture, limitant leurs possibilités à quelques lignes ; • leur compréhension de texte est insuffisante ou lacunaire. C'est souvent à partir du CE2-CM que leur efficience en lecture s'avère insuffisante au point d'inquiéter, et leur écart à la norme ne cesse de se creuser, avec des performances qui les situent à deux ans ou plus du niveau de lecture attendu pour leur âge ou leur niveau scolaire. En fait, les troubles neurovisuels empêchent ces enfants de progresser normalement, de se saisir visuellement de façon efficace du texte et ils atteignent précocement un « plafond », ­ généralement au niveau CP-CE1 : ils Conversions graphophonologiques (graphèmes, di- et trigraphes, syllabes) Ces conversions sont également systématiquement entraînées, afin de favoriser leur automati- 102 Chapitre 5. Lire Là encore, l'idée apparemment de bon sens que, pour acquérir une solide orthographe d'usage (lexicale), il faut lire « plus » ressort de la logique du « toujours plus de la même chose qui ne marche pas » ! Au contraire, c'est parce qu'ils sont porteurs d'un handicap neurovisuel que ces jeunes ne peuvent pas bénéficier de la lecture pour construire leur lexique orthographique, pour améliorer leur orthographe. Il faut donc leur proposer d'apprendre l'orthographe par voie auditive (épellation) et/ou visuellement, mais en éliminant (ou limitant) la nécessité de calibrer les saccades et de les organiser : apprentissage par voie auditivo-verbale ou « mots flashs » apparaissant toujours au centre de l'écran. Enfin, si une dysorthographie gênante persiste, on proposera d'utiliser un correcteur orthographique (cf. p. 104, 123). c­omprennent et peuvent appliquer les règles d'assemblage, peuvent identifier un mot ou même lire une petite phrase, voire quelques lignes (laborieusement), mais ils ne peuvent pas lire un texte de façon fluide et rapide (lecture dite « courante »). L'objectif essentiel est alors de donner à l'enfant une possibilité de s'emparer du contenu des textes, d'une façon fiable et rapide, d'utilisation facile et souple, afin qu'il puisse poursuivre sa scolarité, apprendre, réviser, réfléchir. En complément, la rééducation en vue d'améliorer les capacités de lecture de l'enfant peut aussi être utile (+ essai de rééducation orthoptique si cela n'a jamais été fait). Mais l'urgence est désormais d'éviter que les difficultés neurovisuelles de l'enfant ne diffusent dans l'ensemble des apprentissages, générant un échec scolaire global. Les propositions doivent donc tenir compte de l'importance du trouble lexique, de la nature des écrits, de leur longueur, de leurs objectifs (un texte de problème ne s'aborde pas comme une œuvre littéraire…) et, bien sûr, du pronostic scolaire global (cf. p. 32). Voie auditivo-verbale Lors des premières années d'école primaire, les apprentissages systématiques de l'orthographe des mots usuels se font sous forme de dictées dites « préparées », par l'intermédiaire de listes de mots. Il faut en encourager un apprentissage par cœur et oral (épellation), en regroupant les mots partageant la même particularité orthographique, ou la même étymologie, ou le même champ sémantique (cf. p. 58). Lutter contre la dysorthographie associée (orthophoniste) Les anomalies de calibrage des saccades lors de la lecture ont une autre conséquence : la fixation oculaire ne se fait pas (ou tout à fait exceptionnellement, par hasard) précisément où elle devrait pour permettre une perception globale efficace de la forme orthographique des mots. De ce fait, ces jeunes DVS ne peuvent pas construire un lexique orthographique fonctionnel [54] (cf. p. 58). Lecture « flash » On présente à l'enfant des mots isolés (de préférence des mots d'occurrence fréquente) qui s'inscrivent au centre de l'écran de l'ordinateur. L'enfant sait où ils vont apparaître, il n'a pas à faire de recherche visuelle ni à calibrer ses saccades ; il doit juste fixer brièvement le centre de l'écran. Chaque mot doit apparaître très brièvement (d'où le terme de lecture flash), un temps insuffisant pour autoriser une lecture par voie indirecte (assemblage), afin de ne pas solliciter une succession de saccades oculaires. Cette technique tend à favoriser la lecture par adressage et, du même coup, l'engrammation implicite (cf. p. 15) de la forme orthographique du mot. Il est évidemment nécessaire d'utiliser les paramétrages spécifiques de lecture propres à l'enfant : police, taille, casse, crénage, contrastes… Or, cette dysorthographie peut avoir un impact d'autant plus négatif sur leur scolarité que ces jeunes s'orientent, pour la plupart, vers des sections littéraires (cf. p. 59, 96). Il faut donc être vigilant précocement (dès le CE1) sur la qualité des apprentissages orthographiques des jeunes dyspraxiques qui présentent des anomalies du regard et de médiocres performances en lecture. 103 Partie I. Les obstacles aux apprentissages scolaires La lecture, dès lors qu'elle n'est pas fluide et véritablement automatisée, est source de fatigue anormale, voire d'incompréhension du texte. Il faut alors la remplacer par une oralisation des textes (appelée rétroaction vocale par nos homologues canadiens). Quand l'enfant est jeune, c'est un adulte qui lira pour lui, adaptant son rythme de lecture aux capacités, besoins et rythme de l'élève. La lecture est cependant encore favorisée et améliorée par des adaptations, comme (par exemple) la colorisation alternée des syllabes. Correcteur orthographique Il faut disposer d'un correcteur orthographique très performant, en particulier : • capable de repérer les erreurs transformant la forme globale du mot et/ou les graphèmes initiaux de début de mot, tout en respectant la phonologie du mot (automne écrit / otone/). Ce respect de la forme phonologique du mot est en effet habituel dans ces dyslexies visuelles ; • ne faisant pas de trop nombreuses propositions dans lesquelles le jeune risque de se perdre et de passer beaucoup de temps. Il peut aussi contenir des mots en écriture abrégée (tjrs → toujours, bcp → beaucoup) ou initiale (ortg → orthographe) concernant des mots fréquents ou utilisés dans les programmes de l'année scolaire en cours, abréviations inscrites telles quelles dans le correcteur orthographique automatique de l'ordinateur de l'élève (cf. p. 180) qui restituera la forme ­c omplète du mot. Bien sûr, ces propositions peuvent être plus ou moins combinées et elles doivent évoluer en fonction de l'importance de la dysorthographie, de l'âge et du niveau scolaire du jeune, de son projet d'orientation et d'avenir. Colorisation alternée des syllabes (figure 3.5, cf. « Cahier couleur » en fin d'ouvrage) Il s'agit d'aider l'enfant à repérer visuellement les frontières syllabiques et donc les syllabes (dont il a préalablement automatisé le correspondant phono­logique) au sein des mots écrits. Il peut ainsi utiliser les procédures acquises antérieurement (imprégnation syllabique, logiciel de retour vocal paramétrable, etc.) avec efficacité et rapidité. C'est la condition fondamentale pour effectuer l'assemblage dans de bonnes conditions et aboutir à du sens. Par convention, les lettres muettes sont laissées en gris ou noir (les petits mots-outils, qui ne doivent pas être déchiffrés mais lus par adressage, sont en noir et soulignés). Cette préparation des textes doit être réalisée par l'orthophoniste, l'AESH, l'enseignant ou les parents (il existe des logiciels qui automatisent cette tâche). Mais elle doit être poursuivie en classe (et à la maison lors de devoirs) tant que la lecture n'a pas atteint une certaine efficacité (en rapidité et fluidité) comparable à celle qu'on observe habituellement en fin de CE1-CE2. Ce n'est que progressivement que ces aides visuelles sont partiellement omises, puis tout à fait abandonnées. Lire autrement La lecture peut rester laborieuse et épuisante pour un élève dyspraxique, même bien rééduqué. En fonction de la sévérité des troubles, la lecture est plus ou moins fortement impactée. Dans ces ­cas-là, nous préconisons de restreindre au maximum les tâches de lecture en les limitant à quelques mots, voire de courtes phrases. Dès lors que la lecture est sollicitée pour les apprentissages et que l'enfant se trouve en double tâche, il faut trouver des palliatifs permettant aux élèves dyspraxiques d'acquérir les mêmes connaissances que leurs camarades. Il est très important que les différents écrits soient préparés et colorisés à l'avance pour que l'enfant dyspraxique puisse, lors des différentes séquences, disposer des mêmes supports pédagogiques et répondre aux mêmes exigences que ses camarades. Seul le support est modifié, il s'agit donc bien d'adapter la forme et non le fond, c'est-à-dire de respecter l'essence même de l'apprentissage tout en en modifiant la modalité d'accès. 104 Chapitre 5. Lire plus nombreuses, cela modifie les informations perçues lors de chaque fixation (limite l'empan visuel) et réclame une organisation du regard encore plus importante ! Colorisation alternée des lignes (figure 3.6, cf. « Cahier couleur » en fin d'ouvrage) Lorsque l'enfant n'a plus besoin de l'aide syllabique, les textes qu'il peut (doit) lire seul croissent en longueur et en densité. Les jeunes présentant des troubles du regard doivent alors être aidés pour : • suivre la ligne sans que leur regard ne s'égare (saut de mots) ; • effectuer les retours à la ligne (éviter les sauts de lignes). Le surlignage de chaque ligne, en couleurs alternées, aide considérablement l'enfant en réduisant sa fatigue (le contrôle volontaire qu'il doit exercer sur les mouvements de son regard) et en limitant les regards erratiques qui ralentissent la lecture et perturbent la compréhension (cf. figure 3.3, « Cahier couleur » en fin d'ouvrage). Il est très important que ce surlignage ne masque pas le texte. Nous préconisons d'utiliser des fluos transparents de couleur claire dont l'alternance permet une bonne discrimination des lignes. Attention aux couleurs trop proches dans la gamme chromatique. L'alternance choisie doit être toujours la même, de façon à ce que l'enfant acquière la régularité de cet algorithme et puisse anticiper, à chaque retour à la ligne, la couleur de la ligne suivante. Pour certains enfants, il est également nécessaire de marquer le début (et la fin) de chaque ligne : dans ce cas, on choisit un repère vert en début de ligne et rouge en fin de ligne (cf. figure 3.4, « Cahier couleur » en fin d'ouvrage). Bien sûr, tout cela doit être en place préalablement à l'utilisation scolaire du ou des textes. Adapter la présentation spatiale et typographique Plusieurs éléments concourent à rendre plus accessibles les différents écrits : • très peu d'informations par page : un ou deux paragraphes, un seul problème ou un seul exercice, etc. Il s'agit de limiter la recherche visuelle sur le support, activité qui réclame une excellente stratégie d'exploration du regard. Ces aménagements doivent concerner les feuillets, les pages, le tableau, l'écran de l'ordinateur et les murs de la classe souvent surchargés d'informations ; • une présentation classique, claire, aérée : les présentations touffues, complexes, souvent jugées attrayantes par les autres enfants (bulles imitant les bandes dessinées, imbrication de dessins et de textes, typographies originales, textes en colonnes, flèches ou traits emmêlés reliant des éléments éloignés…) sont souvent inaccessibles pour les enfants DVS (figures 8.5a et 8.5b). Il faut alors scanner ces ouvrages (facilité par l'utili­sation d'une souris scanner, le plus souvent réalisé par l'AESH) et en réaménager les informations (ou les exercices), ou bien c'est l'AESH (ou le secrétaire) qui doit recopier chaque élément pertinent sur l'ordinateur de l'enfant… Bien sûr, toutes ces opérations seront grandement facilitées lorsque les supports numériques seront réellement répandus (l'Éducation nationale cherche à favoriser les supports numériques). La numérisation des supports scolaires, l'utilisation de plus en plus fréquente des smartphones, tablettes et ordinateurs toujours plus performants facilitent grandement ces adaptations. Ainsi, la numérisation peut se faire par photo, couplée à un logiciel de reconnaissance de caractères… L'adaptation personnalisée (typographie : police, taille, casse, espacement des caractères et des lignes) peut se paramétrer. C'est pourquoi nous nous attachons à décrire les besoins des élèves et non les solutions techniques qui sont en perpétuelle évolution et qui doivent progressivement entrer à l'école, être acceptées lors des contrôles et examens. Augmenter l'espacement des lignes Chaque fois que possible, on choisit des interlignes 1,5 ou doubles, qui facilitent le retour à la ligne et limitent les sauts de ligne. Ceci est possible si le texte à lire est informatisé ou si l'on peut le scanner et en modifier la présentation. Attention cependant à ne pas trop augmenter la police de caractères ni les interlignes (cf. figure 3.5a, « Cahier couleur » en fin d'ouvrage). La lecture du texte nécessite alors des saccades 105 Partie I. Les obstacles aux apprentissages scolaires Quoi qu'il en soit, ces aides doivent toujours prendre place dans une stratégie globale de simplification et de clarification de tous les écrits, car cela constitue le premier et le principal des allégements visuels. Dès lors qu'il s'agit de suppléer à une fonction déficitaire, seul un partenariat étroit entre les différents intervenants permet une utilisation justifiée, acceptée et efficace de cette aide palliative. Plusieurs logiciels de retour vocal existent dans le commerce. Il faut prendre le temps de bien évaluer les besoins de l'enfant, c'est-à-dire : • les répercussions de ses troubles, donc ses difficultés, voire ses incapacités ; • mais aussi ses ressources, ses capacités ; • le contexte dans lequel le jeune évolue ; • la situation d'apprentissage concernée et ses enjeux dans le projet de vie de ce jeune. Il s'agit donc d'évaluer la situation de handicap dans son ensemble afin de choisir le palliatif le plus adéquat et de définir ses conditions d'utilisation. Ces logiciels ont l'avantage de permettre à l'enfant d'être plus autonome dans l'activité, une fois le matériel informatique installé et branché par une tierce personne, car il ne faut pas ­sous-­estimer les troubles d'organisation et de planification gestuelle qui vont interférer dans l'installation et la préparation du matériel. Un casque est également prescrit et fourni en même temps que le logiciel pour permettre au jeune DVS de se faire lire les textes par son logiciel en classe, sans déranger les autres élèves. En parallèle, il faut essayer au maximum de recourir aux livres « à écouter », audio et numériques permettant soit une écoute directe, soit une écoute par l'intermédiaire du logiciel de retour vocal. « Ouïe-lire », un autre accès à la lecture Il s'agit là non de lire avec les yeux, mais de lire « avec les oreilles » (!), c'est-à-dire de contourner le handicap pour permettre au jeune de s'emparer du contenu des différents écrits en dépit des limitations ou d'impossibilités induites par les troubles neurovisuels inhérents à la dyspraxie. On est bien là dans une logique palliative : le jeune est capable de lire de courts textes, une consigne, mais il ne peut pas lire un texte long, prendre connaissance d'une pleine page d'instructions ou d'un roman. Pour toutes ces applications, il faut lui proposer un logiciel de lecture puissant et performant (cf. p. 192). Il faut choisir des logiciels susceptibles de lire tous les textes, sur des supports variés, dans différentes langues (ce qui est indispensable à partir du collège : langues vivantes). Le choix de ces logiciels doit donc satisfaire à un cahier des charges répondant à différents critères, en fonction des troubles de l'élève, de son âge, de son niveau scolaire et des tâches à effectuer. L'utilisation de logiciels permettant un retour vocal pour une lecture oralisée de textes requiert de bonnes capacités en mémoire auditive, qui doivent donc être précédemment validées lors du bilan neuropsychologique. Il est indispensable de surentraîner la mémoire auditive des élèves dyspraxiques dès leur plus jeune âge, puisqu'elle est la condition d'une utilisation fonctionnelle et efficace de la lecture oralisée (par un tiers ou un logiciel). Il ne suffit pas de prescrire et d'installer ces matériels. Il faut entraîner l'enfant à utiliser ces logiciels de lecture vocale. L'apprentissage est généralement effectué en séance individuelle avec l'ergothérapeute qui : • montre et explique les différentes fonctionnalités du logiciel ; • définit avec l'enfant, l'enseignant et la famille les conditions et modalités d'utilisation du logiciel. Contourner les difficultés de lecture n'empêche pas l'enfant de progresser en lecture et ne contrarie en rien la rééducation orthophonique. Mais il faut clairement dissocier les moments où l'enfant dyspraxique est en situation de rééducation (séances d'orthophonie et séquences de lecture bien délimitées en classe ou au domicile) et les situations où l'enfant est un élève en cours d'apprentissage, où la priorité est l'acquisition de nouvelles connaissances. 106 Chapitre 5. Lire Ainsi, le jeune peut prendre connaissance des œuvres étudiées en classe, construire les mêmes savoirs, disposer des mêmes bases de connaissances que ses camarades, d'éléments de réflexion pertinents et répondre aux mêmes questions ou exercices que les élèves de sa classe. Réduire la quantité de lecture Limiter les textes à lire reste absolument fondamental et pourtant très difficile à faire accepter : la réaction la plus courante est en effet de penser que, puisque l'enfant lit mal, il faut qu'il s'entraîne plus et qu'il lise plus. Certains (qui ignorent ce handicap ou le nient) renversent même la proposition et pensent que c'est parce que ces enfants lisent peu qu'ils lisent mal ! On confond alors causes et conséquences. On est encore dans la logique du « toujours plus de la même chose qui ne marche pas » (cf. p. 5)… Or, lorsqu'ils fatiguent (du fait de leur handicap neurovisuel, souvent méconnu), ces enfants n'apprennent plus rien : la lecture ralentit, de nombreuses erreurs de déchiffrage et d'identification de mots se produisent, la compréhension devient de plus en plus déficitaire. Ces efforts sont donc non seulement inutiles, mais contre-productifs. Pour les textes longs (romans, œuvres littéraires…) qui doivent être lus dans des délais imposés, on propose : • une lecture alternée avec les parents (ou un adulte). On évalue grossièrement la quantité de lecture que l'enfant peut fournir dans de bonnes conditions de fluidité, de rapidité et de compréhension (six lignes, ou un paragraphe, ou une demi-page). Cette quantité sert d'étalon approximatif. L'adulte prend le relais : il lit à haute voix environ le double de texte étalon, puis le jeune reprend à son tour sur un signe de l'adulte qui désigne où continuer ; • l'écoute de livres, œuvres littéraires, poèmes… Désormais, de très nombreuses œuvres sont enregistrées, en audio ou en numérique, qu'il s'agisse de livres pour les très jeunes, de romans modernes récemment publiés, de classiques, etc. Dans certains cas, le jeune peut aussi prendre connaissance de l'œuvre par d'autres moyens : films, pièces de théâtre ; • pour ce qui concerne certaines leçons ou certains exposés qui nécessitent que le jeune recherche des informations sur différents supports, il faut aussi penser aux supports audio (vidéos, CD, documentaires, émissions TV ou radio, podcasts, etc.) très nombreux et très bien faits, qui lui permettent d'accéder à des savoirs de bon niveau, en concordance avec ceux de ses pairs. Tous les textes, sur tous les supports, doivent être aménagés, de telle sorte que l'enfant dispose de documents pédagogiques utilisables en même temps que ses camarades (AESH, enseignant, parents). Il est capital de réduire de façon drastique la quantité de lecture. Signalons la difficulté particulière liée aux écrits au tableau et aux affichages : ces écrits lui sont souvent inaccessibles et doivent donc être adaptés au cas par cas. (cf. chapitre 7) Cas particuliers : dyslexie liée à un trouble associé (co-occurrence de « dys- ») Dyspraxie et trouble phonologique Dyslexie phonologique Souvent, le diagnostic de dyspraxie est connu depuis les classes maternelles, l'enfant est déjà suivi et rééduqué, et c'est avec surprise que l'on découvre, en fin de CP, les difficultés qu'il présente pour apprendre à lire. Dans d'autres cas, c'est la dyslexie qui alerte en fin de CP ou en cours de CE1 et, au décours du bilan, on découvre une dyspraxie associée, jusqu'ici méconnue ou négligée. Accès à la lecture (orthophoniste) Quoi qu'il en soit, la dyslexie doit être prise en compte en priorité, ce qui nécessite la mise en œuvre en moyenne de deux séances hebdomadaires d'orthophonie centrées, comme c'est classique48, sur un travail de conscience phono­ logique, les conversions graphophonologiques et l'assemblage. 48 107 Nous renvoyons le lecteur intéressé aux ouvrages consacrés à la rééducation de la dyslexie phonologique. Partie I. Les obstacles aux apprentissages scolaires C'est pourquoi cela peut justifier la proposition de la poursuite de la scolarité en ULIS, où l'on peut intensifier les rééducations (orthophonie et ergothérapie pluri-hebdomadaires) et surtout coordonner étroitement les projets des rééducateurs entre eux et avec ceux des enseignants, adapter le contenu, les méthodes et le rythme des apprentissages (cf. p. 38). Le diagnostic repose sur la mise en évidence – chez un jeune déjà repéré comme étant dyspraxique – d'une dyslexie « classique » (phono­ logique) caractérisée par un déficit en conscience phonologique et la présence de troubles visuoattentionnels (cf. p. 100) avec leur cortège de troubles orthoptiques, de confusions visuelles, de sauts de mots, de sauts de lignes, d'anomalies dans les épreuves de barrage… Production d'écrits et ordinateur (ergothérapeute, orthophoniste, enseignant) En conséquence, la prise en compte de la dyspraxie doit être allégée (une seule séance d'ergothérapie par semaine) et entièrement orientée vers des adaptations efficaces en situation scolaire. Il faut aussi prendre la mesure des répercussions de cette dyslexie sur l'usage de l'ordinateur : en effet, l'enfant progresse d'abord normalement dans l'apprentissage du clavier (cf. p. 114), puis dans l'automatisation de la frappe en dictée de lettres (cf. p. 122), mais il reste anormalement lent en situation d'utilisation scolaire de son ordinateur (dictées, prise de notes, exercices et devoirs…). En effet, l'enfant dyslexique qui doit écrire un mot cherche les sons qui le composent, les lettres, les digraphes, les règles orthographiques ou grammaticales… et c'est cette recherche, lente, laborieuse, souvent infructueuse ou fautive, qui ralentit grande­ment (voire inhibe) la frappe. C'est pourquoi ces jeunes refusent souvent avec force l'ordinateur et revendiquent d'écrire à la main, ce qui n'est finalement guère plus lent, leur maladresse pouvant leur permettre (pensent-ils) de masquer certaines hésitations, incertitudes ou fautes. En ergothérapie Les difficultés d'accès au clavier sont souvent importantes lors de la mise en situation scolaire (lenteur, fautes de frappe, erreurs phonologiques, erreurs de segmentation, multiples essais de corrections plus ou moins appropriées…), et ce en raison de la dyslexie, ainsi qu'exposé ci-dessus. Il faut alors insister pour utiliser les autres fonctions de l'ordinateur avec ce type d'enfants : ce sont eux en effet qui vont avoir précocement besoin en classe de logiciels spécialisés en lecture, correcteur orthographique, dictée à l'ordinateur, etc. (cf. p. 130–131). C'est donc la dyslexie qui perturbe la frappe et non le fait d'écrire à l'ordinateur ou d'être dyspraxique : on peut en faire la preuve en constatant des performances correctes en copie et surtout en dictée de lettres (tâches qui ne réclament pas de connaissances phonologiques ni de compétences en langage écrit), qui contrastent avec des capacités très faibles en production d'écrits et dictée. En orthophonie Sur le plan rééducatif, concernant l'accès à la lecture, nous préconisons : • un travail métaphonologique systématique (conscience phonologique) ; • le choix d'une méthode syllabique (par exemple : méthode par imprégnation syllabique) [76] ; • un aménagement visuel soigneux et très systématique de tous les textes : élargissement des interlignes, colorisation alternée des syllabes (cf. p. 102)… Il est donc indispensable de leur fournir précocement les compensations nécessaires à la scolarité (logiciel de lecture, dictée à l'adulte ou à l'ordinateur…). Dyslexie mixte (visuelle et phonologique) En classe Si le jeune poursuit une scolarité normale en inclusion (bon ou excellent niveau verbal, bonne motivation, absence de troubles du comportement et/ou de fragilité psychologique, soutien familial Ce cas de figure se présente probablement chez environ 10 % des élèves dyspraxiques et représente une forme particulièrement rebelle de d ­ yslexie. 108 Chapitre 5. Lire adapté, cf. p. 33), il faut précocement (dès l'école primaire) proposer des logiciels d'oralisation des textes (cf. p. 192) qui lui permettent de disposer des mêmes documents que ses camarades de classe et de faire les apprentissages ­auxquels il peut prétendre. Lorsque le syndrome dysexécutif est réel et complet, outre les troubles attentionnels (assortis ou non d'une hyperactivité), l'enfant souffre également de faibles capacités en mémoire de travail et d'une médiocre gestion de toutes les tâches d'inhibition des automatismes, de sélection et de stratégie [77, 78]. L'association des deux lignées de troubles conduit, de fait, à prévoir une scolarité purement orale, donc avec des aménagements très importants tant en ce qui concerne les aides techniques que les aides humaines (dictée vocale et logiciels de lecture, AESH et secrétaire pour la prise de notes qui doivent être relues par le logiciel de lecture…). Or, ces fonctions sont utilisées de façon intense lors des apprentissages pour pallier les troubles praxiques et visuo-spatiaux. L'association « dyspraxie + troubles de l'attention » ou « dyspraxie + déficit de la mémoire de travail auditivo-verbale » est donc particulièrement ­ délétère, compromettant la mise en œuvre des compensations efficaces de la dyspraxie. Dyspraxie et syndrome dysexécutif [3] De fait, toutes les activités d'apprentissage sont affectées par le trouble attentionnel (et/ ou exécutif) qui perturbe l'engrammation des éléments pertinents, leur gestion en mémoire à long terme et en mémoire de travail, l'inhibition du parasitage de la pensée par des routines antérieurement acquises ou des éléments distracteurs. On note alors une impulsivité, des persévérations, des irruptions d'automatismes et, dans le langage oral, des diffluences et/ou des coq-à-l'âne. L'ensemble de ces dysfonctionnements peut conduire à des difficultés d'apprentissage dans tous les domaines, dont l'apprentissage de la lecture. Une scolarité en ULIS est souvent p­ réconisée (cf. p. 35, 38), permettant des interventions rééducatives plus fréquentes et la poursuite des apprentissages en petits groupes avec un enseignant au fait des stratégies les mieux adaptées [77, 78]. Troubles de l'attention associés ? L'association « dyspraxie + troubles de l'attention » est souvent évoquée. Cependant, il faut être vigilant, car cette association recèle deux pièges diagnostiques assez subtils : • d'une part, la dyspraxie elle-même (en raison des situations de double tâche qui « vident » littéralement le réservoir attentionnel du jeune, cf. p. 21) et son cortège habituel de troubles neurovisuels peuvent facilement donner l'impression de troubles attentionnels, surtout si ce sont des tests d'attention visuelle qui sont utilisés pour porter le diagnostic (par exemple, épreuves dites « de barrage »). Aussi, on n'évoque la ­co-occurrence « dyspraxie + troubles attentionnels » que lorsque ces derniers sont intrinsèques et touchent donc aussi (ou principalement) les tâches auditivo-verbales ; • d'autre part, et symétriquement, un trouble des fonctions exécutives peut, s'il prédomine nettement dans le secteur non verbal, donner à lui seul l'impression d'une dyspraxie : en effet, la dysgraphie et le trouble de la planification du geste peuvent en imposer pour une « pseudodyspraxie » (cf. p. 10, 65). On doit cependant être alerté, dans ce cas, par un geste rapide et impulsif, qui s'oppose nettement au geste lent, hésitant et laborieux de l'enfant dyspraxique. Lorsque l'enfant présente cette association « dyspraxie + syndrome dysexécutif », il convient d'abord de prendre en charge, de traiter, de rééduquer et de contrôler (au moins partiellement) les troubles de l'attention, l'impulsivité et le défaut d'inhibition. Ce n'est que dans un second temps que les troubles praxiques peuvent faire l'objet d'indications spécifiques. 109 Partie I. Les obstacles aux apprentissages scolaires t­ ravail (avoir sous les yeux ce qu'on ne peut garder en mémoire), etc. In fine, en situation d'apprentissage et plus encore de contrôle ou d'examen, seul le recours à un secrétaire (AESH) – qui pourra contrôler en temps réel impulsivité et distractibilité – permettra des productions qui reflètent les réelles compétences intellectuelles de l'enfant, masquées par le syndrome dysexécutif. Prise en charge en rééducation (ergothérapie, orthophonie) On peut noter, là encore, les répercussions de ces troubles sur l'apprentissage du clavier, lorsque ­celui-ci a été motivé par une importante dysgraphie dyspraxique. Les frappes itératives sur une touche ou les frappes désordonnées au hasard sur n'importe quelle touche peuvent en compromettre l'utilisation. Il peut alors être souhaitable de « décacher » le clavier (cf. p. 116), l'enfant dysexécutif bénéficiant malgré tout souvent d'un contrôle visuel (en dépit du trouble visuo-spatial lié à la dyspraxie). On peut assortir ce contrôle visuel d'un précontrôle auditif (épellation, dénomination de la lettre à frapper) et/ou d'un post-contrôle oral (retour vocal sur la frappe exécutée, qui peut concerner la lettre, la syllabe, le mot ou la phrase). Il faut également (cf. p. 65) [59, 78] : • lutter contre l'impulsivité et les persévérations lors de l'utilisation de l'ordinateur et imposer un délai de réponse, convenir avec l'enfant d'un signe (geste, carton vert…) avant lequel il doit « retenir » sa réponse ou son action (lutte contre l'impulsivité) ; • canaliser l'attention (cf. p. 65) : peu de matériel sur la table, une seule consigne ou tâche à la fois, mise en exergue (par des couleurs ou par l'apparition successive d'icônes ou pictogrammes) des éléments pertinents ou utiles à ce moment-là. Le travail en individuel ou en très petit groupe (ULIS) est un atout fondamental pour permettre les apprentissages ; • soulager au maximum la mémoire de travail [58] : choix d'une méthode syllabique (imprégnation syllabique [76]), utilisation de quelques pictogrammes (simples et dépouillés), images ou chiffres écrits (selon la tâche en cours) pour soutenir l'attention et libérer la mémoire de Conclusion On voit donc qu'il ne suffit pas « de faire lire l'enfant » plus longtemps ou plus souvent : il faut d'abord tenter de comprendre quels sont les troubles sous-jacents qui font obstacle à l'accès à la lecture courante. Chez l'enfant dyspraxique, toute pathologie d'accès à la lecture doit être soigneusement analysée afin de déterminer quelle stratégie doit être mise en œuvre : il peut s'agir d'une conséquence directe de la dyspraxie (via les troubles neuro­ visuels) ou bien de l'association (comorbidité) avec d'autres pathologies perturbant l'accès à la lecture (trouble phonologique, déficit en mémoire de travail auditivo-verbale, TDA-H ou syndrome dysexécutif). En général, ces troubles de la lecture nécessitent de conjuguer mesures rééducatives (plurihebdomadaires) et pédagogiques bien ciblées et d'adapter les exigences et le rythme scolaire aux possibilités effectives de l'enfant. Lorsque plusieurs « dys- » se conjuguent, il faut souvent préférer une orientation en ULIS, où l'on peut trouver un enseignant formé à la prise en compte de ces troubles et facilitant un partenariat soins-école sur plusieurs années scolaires consécutives. 110 Écrire autrement Chapitre 6 L'enfant dyspraxique et les apprentissages © 2016, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés « [Michel Butor] compose cet objet littéraire non identifié, qui procure un bonheur sans égal à quiconque se laisse enchanter […]. On apprend au passage que le clavier d'un ordinateur peut être aussi sensuel que le grain d'une page ou le crissement d'un stylo. » F. Busnel [11] La Finlande, souvent citée en exemple pour ses méthodes pédagogiques qui la placent loin devant la France dans le classement PISA, a décidé d'abandonner l'écriture manuelle en primaire, au bénéfice de l'écriture clavier, et ce dès la rentrée 2016. L'écriture manuelle pourrait être proposée seulement en option. En France, une concertation nationale est engagée jusqu'en mars 2015 dans la perspective de la généralisation du numérique à l'école (education.gouv.fr). L'utilisation de l'ordinateur à l'école est largement encouragée depuis plusieurs années (le plan « Informatique pour tous » qui devait permettre d'initier tous les élèves à l'informatique date de 1985). On peut lire sur le site Éduscol49 (dans l'onglet « Enseigner avec le numérique ») : « Élément clé de la refondation de l'école, la diffusion des usages du numérique dans l'enseignement constitue un puissant levier de modernisation, d'innovation pédagogique et de démocratisation du système scolaire. Elle est également un formidable outil d'inclusion des enfants en situation de handicap » (cf. « Enseigner avec le numérique », eduscol.education.fr). Les compétences en ce domaine sont évaluées à l'école, au collège et au lycée sous la forme de B2i (brevet informatique et Internet)50. Le guide pratique des parents (année 2012–2013, www.education.gouv.fr) insiste sur l'acquisition des compétences informatiques : équipée par la commune, se doit de former les élèves à utiliser les ressources et les outils numériques de manière raisonnée, responsable et sûre. Ces derniers sont également utilisés à l'école et servent de support aux enseignements : ils permettent de mieux individualiser l'enseignement et de faciliter le travail autonome des élèves. Leur usage est un puissant levier au service des apprentissages fondamentaux. » La « refondation de l'école » comprend un volet appelé « l'école numérique », projet porté par la ministre de l'Éducation nationale, Mme Najat VallaudBelkacem. On peut trouver sur le site http://www. gouvernement.fr/action/l-ecole-numerique le calendrier suivant de mise en place du numérique à l'école : « Le plan numérique issu de la concertation nationale sur le numérique est déployé progressivement dès cette rentrée pour que la jeunesse soit de plain-pied dans le monde numérique. Dès la rentrée 2015, 500 établissements pionniers expérimentent les nouvelles formes d'enseignements et d'apprentissages passant par les outils numériques avant que le plan n'entame la première phase de déploiement général à la rentrée 2016. » On peut pourtant s'interroger : pourquoi cet outil accessible à tous est-il tellement difficile à mettre en place à l'école, alors qu'il est indispensable aux jeunes dyspraxiques pour écrire ? Bien que des améliorations soient à noter, il reste des progrès à faire dans la compréhension de l'aide que cet outil peut procurer et son acceptation comme alternative à l'écriture manuscrite. « Le numérique est probablement déjà très présent dans la vie de votre enfant. L'école, 49 50 eduscol.education.fr. Le brevet informatique et Internet (B2i) école-collègelycée et CFA : les référentiels. 113 Partie II. Propositions thérapeutiques et mise en œuvre Plus l'enfant est jeune et plus il est important de privilégier l'accès à une écriture dactylographiée, c'est-àdire l'utilisation de l'ordinateur avec l'apprentissage en clavier caché. En parallèle, lorsque le rythme est trop rapide ou que la quantité d'écrits devient plus importante, il faut également recourir au secrétariat, c'est-à-dire la dictée à un adulte, à une tierce personne. Quand les enfants sont plus grands (au collège), on privilégie soit l'écriture informatique si l'enfant est suffisamment rapide au clavier, soit la dictée vocale associée au secrétariat. Le problème de la dictée vocale est qu'elle n'est guère utilisable en situation de classe, puisque le jeune doit parler à haute voix. En outre, au sein d'une classe, les conditions d'enregistrement de la voix sont loin d'être optimales et la reconnaissance vocale est souvent médiocre par rapport à ce qu'elle peut être à domicile ou dans une salle à part. Le secrétariat, quant à lui, nécessite la présence d'une tierce personne, ce qui pose aussi souvent problème lors de la scolarité : manque d'AESH, AESH à temps partiel, mais dyspraxie à temps plein, AESH non formé à ce type très particulier de travail (cf. p. 201), présence de l'adulte mal supportée par le jeune… Les photocopies des cahiers des camarades de classe peuvent être envisagées si l'on prend toujours le même cahier (même écriture) pour en faciliter la relecture. Les nouvelles technologies favorisent cette copie rapide des cahiers des camarades : les tablettes ou smartphones permettent de photographier rapidement les pages. Par la suite, un traitement de cette photographie est possible, intégrant d'autres fonctionnalités logicielles le cas échéant. Il existe aussi des solutions technologiques permettant une reconnaissance de l'écriture manuscrite (après paramétrage) et un transfert en écriture dactylographiée. On peut aussi demander les cours sur clé USB aux professeurs qui les préparent sur informatique. L'essor des nouvelles technologies, l'équipement de plus en plus fréquent des établissements scolaires, notamment en tableau interactif, permettent d'envisager de nouvelles solutions. Dans un premier temps, et si son indication, son apprentissage et sa mise en œuvre ne sont pas réfléchis au cas par cas, l'ordinateur constitue un outil supplémentaire à gérer pour l'enfant (cf. chapitres 9 et 10). Du fait de sa dyspraxie, il ne pourra s'en emparer par les méthodes habituelles, banalisées. C'est particulièrement vrai en ce qui concerne l'apprentissage du clavier. Taper sur une touche (appuyer sur un bouton) ne réclame pas du tout les mêmes compétences gestuelles que tracer les différentes lettres et les enchaîner rapidement et précisément (cf. p. 19–20). C'est la raison pour laquelle la quasitotalité des jeunes dyspraxiques est en situation de pouvoir devenir performant à l'ordinateur. Mais cela ne prend sens que si l'enfant peut automatiser la frappe, totalement ou partiellement, de façon plus efficace que son écriture manuelle. Le trouble graphique est en effet défini en fonction du degré d'automatisation requise pour une bonne efficacité scolaire (selon l'âge et le niveau scolaire). Le palliatif aux troubles du graphisme doit répondre aux mêmes objectifs que ceux du graphisme manuel et donc, à terme, être automatisé. [60] (cf. p. 50, 122). Principes généraux Écrire « mal » n'est pas un problème si les déformations sont constantes : elles permettent alors une habituation qui en autorise la lecture : or, ce n'est pas le cas de l'enfant dyspraxique, dont les déformations des lettres sont fluctuantes (cf. tableau 1.2). Il faut aussi contrôler la vitesse d'écriture. Si la qualité de la calligraphie se fait au détriment d'une vitesse acceptable, l'enfant est en décalage permanent face aux objectifs pédagogiques (cf. p. 51, 52, 53). Le risque de cette situation constante de double tâche (cf. p. 51) est qu'il développe secondairement des troubles de la constitution du lexique orthographique [54] et de la planification de texte (cf. p. 58, 59). On doit donc encourager des moyens de compensation qui évitent ces écueils, tels que le recours à un secrétaire, l'utilisation de l'ordinateur, d'un dictaphone, d'une dictée vocale… En fonction des situations scolaires et de l'âge de l'enfant, on opte pour l'une, l'autre ou plusieurs de ces solutions. C'est pourquoi il faut analyser finement tous les paramètres qui gênent l'enfant, envisager les diverses solutions et décrire les besoins d'adaptation et de compensation, et non lister des produits existants, car les solutions d'aujourd'hui seront obsolètes demain. 114 Chapitre 6. Écrire autrement Apprentissage du clavier jouant avec leur enfant. Tous les jeux, à ce stade, sont intéressants et peuvent être utilisés (jeux du commerce, d'habileté, de rapidité, de logique…). En raison de la place prépondérante du graphisme dans les écoles françaises, de l'importance donnée à un graphisme correct et à une présentation soignée et donc du fait du handicap précoce que cela induit chez les jeunes dyspraxiques, cet apprentissage doit débuter le plus tôt possible (grande section de maternelle, idéalement), dès que le diagnostic est assuré. Dès 4–5 ans et toujours en première intention, ce sont différents jeux (du commerce ou spécialisés), adaptés à l'âge et aux intérêts de l'enfant, qui lui sont proposés (cf. p. 73, 77). Ces jeux doivent permettre une découverte agréable et motivante de l'outil, c'est une phase de familiarisation avec l'ordinateur, une phase préparatoire indispensable : l'allumer, utiliser la souris (ou une trackball), découvrir les fonctions de certaines touches (entrée, effacer, flèches, retour à la ligne, retour en arrière, fonction « ascenseur » pour se situer plus haut ou plus bas dans la page…) et, avec l'aide du rééducateur (au début), faire des productions valorisantes. L'ergothérapeute peut : • évaluer la capacité (ou non) de l'enfant à utiliser la souris et les adaptations éventuellement nécessaires : taille du clavier, clavier spécial « bébé », positionnement de l'enfant, trackball, clavier à l'écran, adaptation des polices, du contraste, adaptation du curseur, des flèches, etc., toutes adaptations qui doivent évoluer au fil des mois et des années ; • repérer les difficultés (motrices, spatiales, attentionnelles…) et les intérêts de l'enfant (pour tel personnage, tel type d'activité…), etc. Chaque fois que possible, on imprime son travail, le résultat de son jeu, son dessin, de façon à le valoriser et à ce qu'il puisse les ramener à la maison ou à l'école. Le plaisir de l'enfant et la qualité de ses productions peuvent aussi contribuer à vaincre certaines appréhensions des parents (et de l'enseignant). Cette première étape est donc conçue pour amorcer ou attiser la motivation de l'enfant par rapport à cet outil. Cela est d'autant plus efficace que l'ordinateur est déjà utilisé à la maison (par les parents, par un aîné) et/ou valorisé à l'école par le maître. S'ils disposent d'un ordinateur familial, les parents peuvent facilement être associés à cette phase de façon gratifiante, tout simplement en Avant même d'utiliser l'ordinateur à l'école, il faut consacrer environ 9 mois à 2 années scolaires à l'apprentissage et surtout à l'automatisation de cet outil. Lorsqu'on entame ce travail, l'idéal est de s'y consacrer deux fois par semaine, à raison d'environ une demi-heure. Cette durée de séance est donnée à titre indicatif : certains enfants peuvent avoir besoin de séances plus courtes entrecoupées de pauses. Ce temps est nécessaire pour apprendre la position de toutes les lettres du clavier et commencer le travail d'automatisation de la frappe. Le travail d'automatisation (cf. p. 21, 122) se poursuit en classe lorsque l'enfant connaît toutes les lettres du clavier, surtout si l'apprentissage a pu débuter en grande section de maternelle ou en CP, ce qui permet à l'enfant d'être en situation d'automatisation de la frappe en même temps que les autres enfants de la classe commencent à automatiser le graphisme manuel [63]. Même si l'apprentissage a été un peu plus tardif, il faudra atteindre une certaine vitesse avant l'introduction en classe de ce nouvel outil (chapitre 9). Le démarrage de l'apprentissage se fait en séance individuelle, souvent auprès des ergothérapeutes. Comme dans toute « rééducation » (il s'agit ici plutôt de réadaptation), il faut expliquer à l'enfant les objectifs du travail que nous amorçons ensemble et obtenir sa coopération, car cela va lui demander du temps et beaucoup d'investissement. Il a souvent besoin d'être rassuré, et ce régulièrement. Souvent, le thérapeute garde ses objectifs en tête et pense qu'une explication suffit à l'enfant, à la famille, à l'école. Or, les situations varient et de nouvelles questions voient le jour, même si, du point de vue du rééducateur, il s'agit toujours, au fond, de la même situation. Le partenariat avec l'enseignant est très important, marquant pour l'enfant le lien entre cette rééducation et son usage scolaire, justifiant l'apprentissage lui-même, lui donnant légitimité et importance. 115 Partie II. Propositions thérapeutiques et mise en œuvre Pourquoi cacher les lettres du clavier ? nels associés, troubles gnosiques visuels…). Dans ces cas, qui restent rares, il faut composer avec l'enfant, voire renoncer au masquage des toucheslettres. Cependant, il faut être conscient que ces enfants restent lents à la frappe, n'atteignant jamais une automatisation de bonne qualité. La technique « classique » d'apprentissage de la dactylographie n'est pas utilisable aussi bien du fait de difficultés de dextérité manuelle que de troubles neurovisuels. Si les lettres sont visibles, l'enfant va explorer visuellement le clavier à leur recherche et s'y perdre du fait de ses troubles neurovisuels. Le mauvais calibrage des saccades oculaires, imprécis ou aléatoire, ralentit le choix de la lettre recherchée ou provoque une erreur (la fixation se faisant à côté de la lettre cible, voire n'importe où sur le clavier). Ces erreurs, fluctuantes, compromettent (ou retardent) l'apprentissage. L'inhibition volontaire et intentionnelle de cette tâche de lecture de lettres est coûteuse et ralentit la frappe. Cette situation met l'enfant en double tâche (cf. p. 21). Pourquoi ne pas utiliser les logiciels du commerce ? Laisser un enfant dyspraxique apprendre seul l'usage du clavier ou avec l'aide de ses parents et de logiciels non spécialisés du commerce, c'est, dans la plupart des cas, courir à l'échec, surtout si l'on vise une automatisation suffisante de la frappe. Les logiciels de dactylo ou les jeux que l'on trouve sur Internet fonctionnent sur le modèle des méthodes de dactylo classique, donc (cf. p. 117) par zone d'utilisation des doigts (les touches dévolues à l'index gauche, celles au majeur droit, etc.). C'est la raison pour laquelle il est indispensable de cacher les lettres sur les touches (cf. figure 6.1, « Cahier couleur » en fin d'ouvrage). De ce fait, l'enfant doit évoquer la lettre à frapper (son nom et sa phonologie, le « son » qu'elle « fait ») et connaître son emplacement de façon stable, grâce à des repères kinesthésiques (et non visuels, cf. p. 118). En contournant le lien visuel habituel (ici inefficace), cette stratégie crée un lien fort et stable entre les connaissances phonologiques et la mémoire kinesthésique. Cette façon de procéder entraîne des problèmes au cours de l'apprentissage, car il s'agit de touches proches sur le plan spatial qui induisent, chez ces enfants dont les traitements spatiaux sont déficitaires, de nombreuses erreurs en miroir. Une fois les erreurs engrammées, il est très difficile de revenir en arrière. De plus, les lettres à taper (et ensuite les mots et les phrases) apparaissent sur l'écran. Il faut donc que l'enfant regarde le modèle (l'écran), puis regarde le clavier pour taper la lettre, puis r­ elocalise, avec Exceptions Certains enfants ne supportent pas de ne pas voir les lettres (enfants très anxieux, troubles attention- Figure 6.1. Clavier caché. Cette figure est reproduite en couleur en fin d'ouvrage. 116 Chapitre 6. Écrire autrement parfois beaucoup de difficultés, la nouvelle lettre à taper qui est apparue sur l'écran, etc. Ces allersretours visuels incessants du regard de l'écran au clavier épuisent l'enfant qui perd rapidement des yeux la cible à regarder. Son attention est dispersée sur plusieurs tâches à gérer en même temps, alors que le but recherché est au contraire de l'aider en ne traitant qu'une activité à la fois. Le choix des doigts Les enfants ont toujours de grandes difficultés de dissociation des doigts. Isoler tel ou tel doigt, réaliser telle ou telle configuration manuelle leur est impossible. C'est pourquoi ils doivent avoir le libre choix des doigts utilisés, le plus souvent deux ou trois doigts de l'une et/ou l'autre main, voire les deux index. C'est une raison supplémentaire de ne pas utiliser une technique de dactylographie classique. En effet, elle nécessite l'usage intégral des dix doigts, ce qui est le plus souvent impossible pour les enfants dyspraxiques (cf. p. 116). Cette méthode part d'une position de référence (la ligne du milieu du clavier) à partir de laquelle chaque doigt a une zone d'utilisation correspondant à un groupe de touches. Le jeune dyspraxique qui dissocie mal les doigts n'en utilise que quelques-uns, ce qui interdit cette technique. De plus, insister pour obtenir l'utilisation des dix doigts va à l'encontre du projet qui est de mettre l'enfant en situation favorable pour automatiser la frappe, car il est placé en double tâche et le restera puisqu'il ne pourra pas automatiser certaines configurations des doigts. Loi de l'effort unique Comme dans tout démarrage d'apprentissage, il faut évaluer quelles sont les compétences cognitives requises par la tâche. On ne peut pas « tout » demander en même temps, il est donc très important d'isoler pour chaque tâche les sous-systèmes qui sont mis en œuvre (cf. p. 21). Si l'on souhaite que l'enfant focalise son attention sur l'emplacement des touches, on ne peut pas lui demander en même temps de contrôler la dissociation des doigts, sa posture, de vérifier l'orthographe… Si en cours d'activité, on remarque une modification de la posture – soit le tronc s'affaisse, soit l'enfant « glisse » de la chaise, soit il bascule sur le côté –, cela signifie que le contrôle postural est en partie sous contrôle volontaire (et donc non automatisé, puisque ce contrôle se dégrade sous l'effet de la double tâche), ce qui peut se produire en particulier pour les enfants IMC ou être le signe d'une grande fatigue. Il faut alors penser à une installation qui permet à l'enfant d'être en partie dégagé de ce contrôle. On propose de choisir une table avec encoche ou cale-tronc, dont la hauteur est réglable, une chaise avec repose-pieds, etc. Le but de ces installations est de « prendre en charge » une partie du contrôle postural, pour que l'enfant ne soit pas en double tâche lors de la frappe au clavier. C'est pourquoi les sièges « dynamiques », sollicitant le redressement actif de l'enfant, ne sont pas adaptés. De même, si l'on demande une tâche d'orthographe ou d'épellation, en même temps que la frappe sur le clavier, avant que l'automatisation ne soit efficace, on réclame à l'enfant un contrôle multiple et simultané. On doit plutôt scinder cette tâche en plusieurs étapes. L'enfant épelle dans un premier temps, puis, dans un second temps, on lui dicte les lettres qu'il vient d'épeler pour être sûr que toute son attention est dévolue à la frappe. Les difficultés de dissociation des doigts sont quasi constantes et demander d'apprendre un doigté, d'associer obligatoirement tel doigt à telle lettre réclame un effort volontaire, une attention consciente (double tâche) qui va à l'encontre du projet de vitesse et d'automatisation de la frappe. Par ailleurs, contrairement aux utilisateurs ordinaires du clavier (qui regardent l'écran ou le texte à copier), l'enfant dyspraxique, lui, est contraint de regarder ses doigts sur le clavier : c'est la mémoire kinesthésique (plus ou moins soutenue par le contrôle visuel51) qui est utilisée pour localiser les touches (lettres) rapidement et sans erreur. Il faut se concentrer sur un seul apprentissage, celui de la position des touches sur le clavier. Enfants hémiplégiques Lorsque l'enfant ne dispose que d'une main, cela ralentit notablement la frappe. Il est alors 51 117 Il s'agit de vérifier l'emplacement des doigts sur le clavier et non d'explorer visuellement les lettres sur le clavier… Partie II. Propositions thérapeutiques et mise en œuvre très important que la main hémiplégique reste positionnée sur la barre d'espacement, ce qui évite au moins à l'unique main qui écrit les allers-retours entre les touches-lettres et la barre d'espacement. On peut également proposer un clavier ergonomique pour une utilisation monomanuelle. Il peut être important de ne laisser visibles que les menus déroulants en enlevant les barres d'outils ou encore de programmer précisément les fonctions que l'on souhaite laisser accessibles pour chaque jeune (les adaptations possibles sont fonction de la version du traitement de texte utilisé). Clavier caché Présence d'un petit syndrome cérébelleux Lorsque l'enfant est jeune, en grande section de maternelle par exemple, on commence par lui montrer le clavier dont les lettres sont cachées d'emblée. La précision de la frappe reste très médiocre et surtout très lente (du fait de la dysmétrie et du léger tremblement près du but qui imposent à l'enfant un contrôle volontaire lorsqu'il approche la cible, et donc un ralentissement du geste). Un guide-doigts peut être utile, en limitant la fatigue liée au contrôle de la précision finale de chaque frappe. Cependant, la frappe reste souvent définitivement lente (ce qui pose rapidement problème face au rythme scolaire) et il faut donc prévoir de limiter les écrits de façon drastique. Par ailleurs, le guide-doigts représente un matériel supplémentaire à transporter et il faut être très vigilant pour ne jamais refermer l'ordinateur portable lorsqu'il est en place… Cacher les lettres au fur et à mesure de l'apprentissage de l'enfant l'oblige à changer de repère à chaque nouvelle lettre cachée. Donc, au lieu de lui proposer un apprentissage stable, il doit à chaque nouvelle lettre se construire un nouveau référentiel puisque l'environnement se modifie à chaque nouvelle gommette collée. Les lettres du clavier sont cachées par des gommettes de couleur (figure 6.1, cf. « Cahier couleur » en fin d'ouvrage). On choisit en général le vert et le rouge. Ces deux couleurs sont utilisées de manière habituelle en rééducation pour aider l'enfant à s'organiser sur le plan spatial sur les feuilles qu'il utilise, sa table, ses cahiers, ses livres, etc. (cf. p. 89, 90, 91, 149). En fait, il s'agit d'une stratégie que l'on utilise dans toutes les activités nécessitant une prise d'informations neurovisuelles, surtout si ces informations nécessitent des traitements visuo-spatiaux. Il faut s'y tenir pour obtenir une réelle automatisation de ce code chez l'enfant, et ce dans toutes les activités. Le vert est toujours disposé du côté gauche de la feuille, ou de la ligne, et le rouge du côté droit. Pour les plus jeunes, nous utilisons une analogie simple : « On démarre au feu vert et l'on s'arrête au feu rouge. » Lorsqu'on choisit les gommettes, il faut faire attention à leur taille. En effet, certains enfants qui ont de grosses difficultés neurovisuelles ne peuvent plus repérer l'emplacement de la touche si la touche est entièrement cachée par la gommette. Il faut centrer la gommette sur la touche, tout en laissant la périphérie visible, ce qui entoure la gommette d'un liseré foncé. En général, le clavier est noir, ce qui fait un contraste avec la gommette et évite ainsi que l'enfant tape systématiquement entre deux touches. On lui décrit verbalement les deux zones d'utilisation des mains (le pays des verts pour la main Méthodologie Choix du matériel et préparation Il faut d'abord choisir l'ordinateur, les périphériques et interfaces nécessaires à l'enfant en fonction de son âge, de ses besoins, de ses capacités et de ses difficultés. On cherche, avec l'enfant, le type de police qui lui est le plus facilement identifiable : du fait des troubles neurovisuels, il n'y a pas « la » police qui conviendrait à tous. Par exemple, il faut faire attention à ce que le L majuscule et le I soient bien différenciés, ce qui n'est pas le cas dans toutes les polices, veiller à la taille des caractères (pour un bon confort visuel), au crénage52, à la taille des interlignes, ainsi qu'au contraste. Ces éléments sont importants à partager rapidement avec l'enseignant pour que les supports utilisés en classe soient les plus adaptés possible à l'enfant. 52 Le crénage : consiste à agrandir ou à diminuer l'espace entre des paires de lettres spécifiques. 118 Chapitre 6. Écrire autrement gauche et le pays des rouges pour la main droite). Même si l'enfant ne tape qu'à un doigt de chaque main, on lui demande de respecter la zone dévolue à chaque main. Les lettres cachées par les gommettes vertes sont : • sur la première ligne : a, z, e, r, t ; • sur la seconde ligne : q, s, d, f, g ; • sur la troisième ligne : w, x, c, v, b. Les lettres cachées par les gommettes rouges sont : • sur la première ligne : y, u, i, o, p ; • sur la seconde ligne : h, j, k, l, m ; • sur la troisième ligne : n. Les chiffres situés au-dessus des lettres ne sont pas cachés, car ils sont organisés de manière linéaire et ordonnée. C'est d'ailleurs cette organisation linéaire que nous utilisons pour « verbaliser » la place des lettres avec accent ou des signes de ponctuation placés sous les chiffres (cf. p. 124). c'est souvent l'étiquette du prénom qui sert de modèle pour les premiers apprentissages graphiques. L'enfant en connaît bien la suite des lettres qui le composent. On montre à l'enfant l'emplacement des trois premières lettres de son prénom. La touche majuscule est activée pour que les lettres que l'enfant voit à l'écran soient en majuscules. Débuter avec des lettres majuscules évite au jeune enfant la confusion visuelle de certaines minuscules en miroir (le p/q et le b/d). On désigne l'emplacement de la première lettre, en la nommant. Pour les plus petits, on fait attention de bien distinguer le nom de la lettre et le bruit qu'elle fait (phonologie). Connaître à la fois « le nom » et « le son » des lettres, apprentissage qui se fait souvent en même temps que celui du clavier, est un préalable indispensable à l'apprentissage de la lecture : l'enfant doit connaître et la dénomination des lettres, et le son qu'elles produisent (/esse/ pour /s/, qui « fait » phonologiquement /sssss/, ou /sé/ pour la lettre /c/, qui « fait » phonologiquement /k/ devant /a, o, u/…). Lorsque ce travail n'a pas encore été fait à l'école, nous le conduisons simultanément avec l'apprentissage du clavier. Nous avons choisi, pour les plus jeunes, de présenter les lettres, par exemple /f/, en disant que chacune a un nom, celle-ci s'appelle (/èfe/), et qu'elle a aussi un « métier » qui est de faire un bruit, un son (/fff/)… Le travail phonologique et métaphonologique est fréquemment conduit simultanément par une orthophoniste, avec laquelle il faut absolument que l'ergothérapeute se coordonne : cette concertation est aussi indispensable qu'avec l'enseignant. Puis on demande à l'enfant de faire une ligne de cette lettre, avec une espace entre chaque lettre. À chaque fois que l'enfant tape sur la touche, on dit le nom de la lettre et « espace ». Lorsqu'on débute l'apprentissage, on introduit l'espace d'emblée, alors que dans le travail d'automatisation, l'espace est fait dans un second temps (cf. p. 122). L'espace après chaque lettre permet à l'enfant d'individualiser la lettre comme il le fait lorsqu'il doit lever le crayon après la ligne de L par exemple. La lettre est alors reconnue pour elle-même. On propose à l'enfant de faire une deuxième ligne de cette première lettre apprise, mais en suivant le rythme de la parole de l'adulte. On l'oblige alors à contrôler la vitesse de la succession des gestes et à maintenir une vitesse imposée. Cette vitesse ne doit d'ailleurs pas être trop rapide. En Piège À maintes reprises, lorsque les lettres ont été « décachées » (volontairement ou non, livraison d'un nouvel ordinateur…), nous avons constaté, après un ou deux mois, un ralentissement notable de la frappe et la résurgence de nombreuses fautes de frappe. Les adultes (parents, enseignants, AESH, éducateurs…) qui eux n'ont pas de troubles neurovisuels et ont besoin de consulter visuellement le clavier (pour leur frappe ou pour corriger celle de l'enfant) doivent disposer d'un clavier annexe, aisé à rajouter, y compris sur les portables via une prise USB. Démarrage de l'apprentissage Au début, tous les réglages sont faits par l'adulte, l'ouverture du dossier de l'enfant, les enregistrements, etc. L'apprentissage commence par les lettres du prénom de l'enfant, c'est une raison supplémentaire pour laquelle cette phase ne peut être qu'individuelle et non laissée à la direction d'un logiciel de frappe, même si elle est accompagnée par un adulte (cf. p. 114). Choisir de commencer l'apprentissage par le prénom de l'enfant (ou un diminutif si son prénom est particulièrement long) lui permet de pouvoir l'écrire rapidement et de façon valorisante, pour signer ses réalisations par exemple. En outre, en maternelle, 119 Partie II. Propositions thérapeutiques et mise en œuvre effet, beaucoup d'enfants accélèrent spontanément au fur et à mesure de la frappe et « collent » ainsi des lettres sans faire d'espaces ou à l'inverse font trop d'espaces. Il faut qu'ils contrôlent une certaine « impulsivité » et certains automatismes (fonctions exécutives) : c'est donc sur ce contrôle que l'on focalise leur attention. On introduit alors la seconde lettre du prénom de l'enfant, pour laquelle on utilise la même stratégie que pour la première lettre. On combine ensuite les deux ou trois lettres apprises (syllabe) en les dictant à l'enfant et en nommant toujours l'espace. Nota. – Il est important d'introduire l'espace d'emblée, car il est essentiel pour la segmentation des mots à venir. Il faut que l'enfant connaisse plusieurs lettres pour pouvoir écrire des mots, cela lui permet déjà de commencer à automatiser l'utilisation de la barre d'espacement. Vignette clinique : les premières lettres Le prénom de l'enfant est Alexandre. Nous lui montrons le A. Simultanément, on verbalise le /a/ et on lui dit explicitement que c'est la première touche sur la première ligne des verts. Puis lorsque l'enfant tape sur la touche, nous disons : « A/espace/A/ espace, etc. », pendant une ligne. Pour la deuxième ligne, nous lui donnons le rythme à suivre. Nous montrons ensuite la deuxième lettre : le L. Nous verbalisons sa position sur le clavier : « Il est chez les rouges, sur la deuxième ligne. » L'enfant tape sa ligne de « L/espace/ » et nous nommons la touche sur laquelle il tape à chaque fois. Puis, comme pour la première lettre, nous donnons le rythme de la dictée pour la seconde ligne de L. Nous combinons ensuite les deux lettres apprises en une « dictée » de lettres : « L/espace, A/espace, A/ espace, L/espace, etc. » L'ordre des lettres que nous dictons ne respecte pas forcément l'ordre dans lequel elles apparaissent dans le prénom de l'enfant pour qu'il ne mémorise pas une suite ordonnée de touches à frapper, mais bien l'emplacement de chaque lettre individuellement. L'automatisation de la succession des lettres de son prénom interviendra lorsqu'il connaîtra l'emplacement de toutes les lettres qui le compose (cf. p. 122). Puis nous indiquons l'emplacement de la nouvelle lettre, le E, en verbalisant sa localisation chez les verts, sur la première ligne. Pour certains enfants, on peut rajouter entre le trois et le quatre 120 (de la ligne des chiffres). Nous faisons une ligne de « E/espace » et nous oralisons à chaque fois que l'enfant fait le E et tape l'espace, puis une seconde ligne où nous imposons la vitesse de frappe. Enfin, nous combinons les trois lettres A, L, E, en les dictant dans un ordre aléatoire, entrecoupées par une espace que nous verbalisons à chaque fois : nous dirons alors : « A/L/E, espace, E/L/A, espace, L/A/E, espace », etc. Nous pouvons proposer ce travail sur plusieurs lignes en faisant varier certains paramètres comme la vitesse ou en ne disant plus « espace » et en demandant à l'enfant d'y penser seul. S'il oublie, il suffit parfois de taper sur la table pour que l'enfant y pense. Au fur et à mesure, on augmente le nombre de lettres que l'on présente à l'enfant. Il faut parfois consacrer plusieurs séances aux premières lettres apprises pour qu'il n'y ait pas de confusions spatiales qui s'installent. Ceci est d'autant plus vrai lorsque les premières lettres apprises sont très proches, comme dans le prénom Louise où les lettres O, U et I se suivent dans le « pays des rouges ». Autres activités Lorsque cette phase est acquise, on peut organiser plusieurs activités motivantes. Citons, entre autres : • l'écriture du prénom « contre la montre » (le plus de fois possible en un temps donné, ou une ligne réalisée en un temps de plus en plus court). On propose que l'enfant tape une ligne et que l'adulte tape une autre ligne, les vitesses obtenues étant à améliorer la fois suivante. On joue en modifiant les polices et les couleurs des polices (selon le choix des enfants, afin de les rendre attrayantes), on peut changer la couleur d'un mot sur deux ou, à chaque fois que l'on trouve une lettre cible (que l'on choisit avec l'enfant), on la met dans une autre couleur ; • l'enfant peut réaliser (avec l'aide de l'ergothérapeute) des étiquettes, des petits cartons d'invitation pour un anniversaire ou pour des fêtes (en y associant les outils « dessin » de Word®) etc. ; • des jeux d'écriture d'anagrammes construites à partir de tout ou partie des lettres du prénom ; dictées de lettres et jeux de « la marchande de lettres » (« Bonjour monsieur, je voudrais deux /N/, un /E/ et un /A/, s'il vous plaît… »), etc. ; Chapitre 6. Écrire autrement • des concours de vitesse, des épellations et des jeux de devinettes (l'adulte tape sur le clavier caché et l'enfant doit énoncer les lettres avant que l'adulte ne les ait frappées) ; • des jeux d'inhibition : soit l'enfant ne tape qu'une lettre sur deux, soit il ne doit taper le A que s'il est suivi du L, soit il ne tape que les lettres dictées chez les rouges et l'adulte les lettres dictées chez les verts, etc. Au fur et à mesure de l'apprentissage des nouvelles lettres, il faut toujours réutiliser celles antérieurement apprises, dans différentes configurations. Lorsque l'enfant connaît toutes les lettres qui composent son prénom, on lui propose de démarrer la séance par une ligne de son prénom. On peut, de temps en temps, chronométrer le temps que l'enfant met à taper cette ligne, ce qui sert ensuite de repère de la progression de la vitesse de frappe de l'enfant dans un premier temps et de repère pour la vitesse de frappe d'une ligne « automatisée » dans un second temps. On vérifie ensuite les lettres que l'on a déjà apprises, en proposant ce que l'on appelle en général avec l'enfant « la dictée de lettres ». On dicte les lettres que l'enfant connaît en lui demandant de faire une espace après chaque lettre. Si l'enfant se trompe pour une lettre, on analyse le type d'erreur commise. Est-ce : • une confusion spatiale (lettres côte à côte ou erreur en miroir sur une même ligne) ? • une confusion de sons (/f/ et /v/) ? • une confusion de noms de lettres (/c/ = « sé » et /s/) ? • une confusion « visuelle » (E et F ou O et Q), etc. ? On peut retravailler de manière plus particulière les erreurs commises en les introduisant dans des anagrammes qui utilisent les lettres que l'enfant connaît. l'emplacement de la nouvelle lettre à l'enfant, puis on fait une ligne de cette nouvelle lettre, suivie d'une espace. On utilise cette nouvelle lettre dans des mots et des anagrammes, avec les autres déjà connues. Si l'enfant fait des confusions de sons (comme pour le B et le D), nous cherchons avec lui des « trucs » pour l'aider. Alors, soit on peut proposer d'associer un geste comme dans la méthode gestuelle de BorelMaisonny [62], soit nous disons « B en bas », ce qui lui permet de la différencier du « D » pour laquelle nous ne dirons rien, ou encore « B » comme « ballon », etc. L'enfant (ou son orthophoniste) nous indique ce qui est le plus efficace pour lui. Vignette clinique (suite) Retrouvons ALEXANDRE. Il connaît maintenant toutes les lettres de son prénom. Nous venons de voir avec lui une nouvelle lettre, le O. Nous cherchons des anagrammes avec les lettres qu'il connaît, il peut alors taper une ligne de : ORDRE, NORD, LÉON, RONDE, NÉON, DONNERA, etc. Nous lui dictons les lettres qu'il doit taper au rythme que nous lui imposons. Nous nous arrangeons pour avoir toujours une ou deux lettres d'avance sur sa vitesse de frappe (cf. p. 125). Lorsque l'enfant commence à se fatiguer, il commet des erreurs de frappe ou alors il a souvent besoin de répéter les lettres que nous venons de dicter (cela peut se produire également s'il a une mémoire de travail auditivo-verbale un peu faible). Il est alors judicieux de faire une pause dans la séance, car l'enfant vide ses ressources attentionnelles et ne peut plus travailler efficacement. Au fur et à mesure de la progression, nous apprenons de nouvelles lettres. L'ordre d'apprentissage varie bien sûr avec chaque enfant, puisque nous lui montrons d'abord les lettres de son prénom. Ensuite, il faut choisir les lettres par fréquence d'utilisation dans la langue française, en s'arrangeant pour ne pas apprendre successivement deux lettres proches sur le plan spatial ou en miroir sur le clavier (comme le E et le I), car cela maximise le risque d'erreurs et d'interférences. Il faut aussi régulièrement vérifier que les lettres apprises précédemment ne posent pas de problème. Il est très important de contacter l'enseignant et/ ou l'orthophoniste si ces confusions persistent [64, 65], sont régulières ou fréquentes… Progression des séances On introduit une nouvelle lettre environ toutes les deux séances. À chaque nouvelle lettre, on procède comme pour les lettres du prénom : on montre Avec ces nouvelles lettres, on propose d'autres mots et anagrammes. Si l'enfant est lecteur, il 121 Partie II. Propositions thérapeutiques et mise en œuvre peut participer à la recherche des nouveaux mots. ­Parfois, il manque une lettre qui n'a pas encore été apprise : c'est l'occasion de l'apprendre immédiatement ou, si cela peut induire des erreurs spatiales, de la noter pour la prochaine séance. Profiter des propositions de l'enfant permet de le faire participer, de le rendre acteur de ce travail qui peut parfois se révéler rebutant. On se saisit de toutes les propositions de l'enfant pour les introduire dans des mots, des jeux. On peut aussi utiliser de nouveaux jeux comme le jeu de la valise – « Je mets dans ma valise des mots qui commencent par LI… ou qui contiennent la consonne M », etc. (si ce sont des lettres que l'enfant connaît) – et également des jeux où la syllabe du deuxième mot commence phonologiquement par la syllabe qui termine le premier (maman → mentir, tirer → réfléchir), on s'appuie sur le son produit et non sur l'orthographe. On peut aussi réutiliser des jeux cités précédemment ou en inventer d'autres. Une fois que l'enfant connaît toutes les lettres du clavier, nous allons aborder la phase d'automatisation proprement dite. çant toujours de la même façon). Beaucoup d'histoires de la littérature enfantine sont construites de cette manière, le choix est donc vaste. Nous utilisons alors le livre comme support de « dictée » de lettres (nous dictons les mots lettre à lettre comme dans la phase d'apprentissage, puisque ce que l'on souhaite automatiser, c'est l'emplacement de la touche associée à la lettre), sans dire les espaces. Exemple Production d'un enfant « Maismamefillemetiraitparlamanche : – O n p r e b d d e s g ra i n e s , P a p) a !A ll ez ? onprenddesgraines ! – G'aigustecequ'ilvousgau,machérie !ditmonsieur !Soufrressan, lepépiniériste. UngolisachetdegrainesdeMonstério saDéliciosa. » En effet, pour la plupart des enfants, le fait de dire les espaces entre chaque mot oriente leur attention sur le fait d'essayer de reconnaître (lire, déchiffrer) le mot qu'ils sont en train ou viennent de taper ou, si l'écran est caché, de reconstituer dans leur tête le mot qui a été épelé. Or, dans ce travail, ce que l'on cherche, c'est une automatisation de l'emplacement de la touche. Il ne s'agit pas d'un travail sur le langage écrit. Ce dernier peut tout à fait être fait dans un autre temps si le but est de travailler l'épellation ou la mémoire auditivo-verbale. Phase d'automatisation de la frappe Le thérapeute doit amener l'enfant à faire de plus en plus de choses seul, mais après une période d'étayage, en ciblant les difficultés sans noyer ni décourager l'enfant. Dans l'objectif de ne travailler que l'automatisation, on essaie d'être le plus monotâche possible afin que l'enfant n'ait qu'à suivre le rythme de la dictée des lettres et à mobiliser l'emplacement correct de chaque lettre sur le clavier. Utiliser le texte d'un livre Nous sélectionnons avec l'enfant un livre qui l'intéresse. En fonction de son âge, nous choisissons des histoires courtes pour qu'à la fin de ce travail (et si possible à la fin du trimestre ou de l'année scolaire), il puisse montrer à ses parents ou à l'enseignant sa réalisation terminée qu'il aura mise en pages. Cela permet de travailler avec lui certaines fonctionnalités du traitement de texte. Il est souhaitable de choisir avec lui un livre dont le personnage principal a un nom facilement identifiable (ce qui lui permet d'anticiper la succession des lettres lors de la frappe) ou encore une construction d'histoire avec des passages récurrents, des phrases clés répétitives (héros s'annon- Le travail de segmentation des mots se fait dans un second temps avec l'enfant, il est prétexte à un travail de prise d'informations visuelles soutenu par la verbalisation. On verbalise dans un premier temps les repères pour que l'enfant sache où mettre les espaces (cf. p. 127). Exemple de correction Extrait de J'aime lire, « Graine de monstre ». « Mais ma fille me tirait par la manche : – On prend des graines, Papa ! Allez, on prend des graines ! 122 Chapitre 6. Écrire autrement – J'ai juste ce qu'il vous faut, ma chérie ! dit monsieur Soufressan, le pépiniériste. Un joli sachet de graines de Monstériosa Déliciosa. » Nota. – Les corrections, ici en gras et soulignées, sont habituellement faites en couleur. Ayant terminé d'écrire (le mot, la phrase ou un court paragraphe), on rallume alors l'écran et l'enfant procède à une phase de correction (durant laquelle il n'écrit pas) : les temps de frappe et les temps de correction sont ainsi bien séparés, successifs et ne se chevauchent pas. En outre, pour certains enfants, le fait de segmenter les mots pendant la lecture rend le texte mobile (puisque l'espace que l'on introduit fait bouger le reste du texte) et facilite ainsi leur lecture par un effet dynamique. Ce sont ces mêmes enfants qui sont aidés par des logiciels de lecture dynamique, qui entraînent le mouvement de leurs yeux, alors qu'eux ne peuvent le faire seuls (à moins de bouger la tête en même temps). En effet, les enfants ont souvent la tentation de vérifier, lettre à lettre, que la touche sur laquelle ils ont tapé est la bonne. Ils font alors des allersretours très fréquents avec le regard, entre le clavier et l'écran de l'ordinateur, ce qui les épuise et les ralentit beaucoup (double tâche). Outre qu'elle est tout à fait inefficace et épuisante, cette stratégie induit une lenteur inacceptable. C'est la raison pour laquelle il ne faut jamais encourager ces contrôles et vérifications lettre à lettre en cours de frappe, ni en rééducation ni d'ailleurs en situation scolaire. Une fois encore, il est important de dissocier les tâches proposées. L'objectif est de focaliser l'attention de l'enfant sur l'emplacement des lettres et le rythme de la frappe, et non sur les corrections que nous ferons seulement dans un second temps. Si le travail s'effectue sur un ordinateur portable, on peut utiliser une chemise cartonnée que l'on pose à cheval sur l'écran pour le masquer. On peut la choisir de couleur rouge, ce qui permet de dire aux plus petits que le rouge signifie « interdit ». Lors du temps de relecture, on rallume l'écran et l'enfant est sollicité (et aidé visuellement : caches que l'on déplace pour l'enfant, suivi du doigt, couleurs, surlignage progressif…) pour repérer les oublis (de lettres, d'espaces), les fautes de frappe, les fautes d'orthographe. Puis les corrections sont effectuées, linéairement, de gauche à droite (du vert vers le rouge), mot après mot, en s'aidant de la verbalisation, en particulier de l'épellation qui permet de s'attacher à la suite des lettres (et donc à la forme orthographique des mots). Rythme de la dictée Il faut se « caler » sur la vitesse de frappe de l'enfant avec toujours une ou deux lettres d'avance. Il ne faut pas dicter trop lentement, car l'enfant aurait alors le temps de passer en « revue » les emplacements des lettres dans sa tête et le travail d'appariement automatique « lettre/touche » ne se ferait pas dans de bonnes conditions. Il ne faut pas non plus dicter trop rapidement, car alors l'enfant est perdu et risque de se décourager. Le rythme de la dictée doit être : • constant, sans ralentissement ni accélération ; • un peu plus rapide que le rythme réel de frappe de l'enfant, pour l'inciter à gagner en vitesse et automatisation. On dicte les lettres sans espace (cf. supra). Durant cette phase, il faut souvent rassurer l'enfant, qui a l'impression de « rater » beaucoup de lettres, puisque nous sommes toujours un peu en avance sur lui. On peut lui dire que les autres enfants ont la même impression que lui et que s'il prend trop de retard, soit il peut essayer de rattraper en accélérant, soit il laisse un blanc (barre d'espace), puis il reprend là où en est la dictée. Il est important de signaler que cette situation est normale et de toute façon pas grave. En effet, c'est une situation écologique, habituelle en classe, que l'enfant doit apprendre à gérer. Progressivement, on passe à l'utilisation des lettres minuscules. Correcteur orthographique Pour ces enfants, il est souhaitable de supprimer les correcteurs orthographiques (surtout le correcteur grammatical, de toute façon plus dangereux qu'utile), car les surlignages automatiques accroissent leur insécurité et surchargent visuellement le texte à l'écran (cf. p. 130). Enfin, dès que les écrits comprennent plusieurs lignes ou paragraphes, il faut, à l'occasion, savoir Éteindre l'écran Durant toute cette période, il faut éteindre l'écran durant la frappe, afin que l'enfant ne se concentre que sur ses doigts et le choix de la touche. 123 Partie II. Propositions thérapeutiques et mise en œuvre t­olérer quelques fautes (de frappe ou d'orthographe !)… comme chez chacun. Le perfectionnisme des adultes ne doit pas aggraver celui des enfants. Peu à peu, l'enfant, rassuré (cela peut prendre des mois…), accepte de ne plus vérifier ni corriger son texte en cours de frappe, et il n'y a alors plus de nécessité d'éteindre l'écran. Logiciels de retour vocal Pour certains enfants, on peut être tenté d'utiliser un retour vocal. En effet, cet outil permet à l'enfant un contrôle « audio » en temps réel de ce qu'il écrit, sans avoir besoin d'utiliser le regard ni perdre du temps dans les allers-retours clavier/écran. Cependant, plusieurs aspects sont alors à discuter : • il faut vérifier si le logiciel de retour vocal choisi énonce le nom de la lettre ou le phonème (le son) ; • dans la phase d'apprentissage et d'automatisation, le travail consiste à associer une touche et une lettre, ce n'est pas un exercice de langage écrit, il n'est pas indiqué de surcharger la tâche par un contrôle en vue d'une correction immédiate, ce qui doit être fait dans un second temps (cf. supra) : le retour vocal est donc tout à fait inutile à cette phase ; • en revanche, dès que l'enfant est suffisamment efficace pour utiliser son clavier dans une tâche d'écriture, il peut être intéressant de lui proposer ce logiciel (cf. p. 192). Cela pourra lui permettre de vérifier sa frappe « on line » sans solliciter ses fonctions neurovisuelles et lui évitant ainsi (ou réduisant considérablement) la phase de relecture et de correction ; • il faut être attentif au choix du logiciel qui ne doit pas ralentir l'enfant et qui doit être simple de paramétrage et d'utilisation et performant sur le plan de la transcription graphophonologique. Ponctuation On commence alors à aborder les règles de ponctuation. On peut utiliser des moyens mnémotechniques : après les signes de ponctuation composés d'un seul caractère (un seul dessin), on ne fait qu'une espace, située après, ce qui est le cas pour la virgule, le point. En ce qui concerne les signes de ponctuation composés de deux signes (ou de deux dessins), comme le point-virgule, les deux points, le point d'interrogation ou d'exclamation, on fait alors deux espaces, une avant le signe de ponctuation et l'autre après. Après un point, on met toujours une majuscule (ce qui est une règle connue de l'enfant, car vraie également pour l'écriture manuscrite). Pour gagner du temps dans l'utilisation des majuscules, on utilise la majuscule « provisoire ». Il faut donc maintenir la touche majuscule enfoncée pendant que l'on tape la lettre qui doit être en majuscule. Si l'on utilise la majuscule bloquée, il faut appuyer sur la touche majuscule, puis sur la lettre que l'on souhaite faire en majuscule, puis réappuyer sur la touche majuscule pour la débloquer. Ce qui fait trois manœuvres, alors que l'on n'en fait que deux avec la majuscule provisoire. Comme le point se fait avec une majuscule et qu'après un point il y a toujours une majuscule, il ne faut donc pas lever le doigt qui maintient la majuscule enfoncée pour faire la lettre suivante lorsqu'on dit « majuscule provisoire, point ». Si le clavier a un pavé numérique, on peut l'utiliser pour faire le point. Il faut aussi apprendre à automatiser ces séquences. La majuscule est gérée automatiquement (à condition de l'avoir paramétrée dans le menu correction automatique). En ce qui concerne les lettres avec accent comme le « é accent aigu », on verbalise sa position par rapport aux chiffres. Il est sous le « 2 », et ainsi de suite pour toutes les lettres ou signes sous les touches de chiffres. Exemple Ainsi, pour le « è accent grave », on dit « /E accent grave/ sous le 7 » ; pour le « A avec accent », on dit « /A avec accent/ sous le 0 » ; pour le trait d'union, on dit « trait d'union sous le 6 », etc. Comme les chiffres sont organisés de manière linéaire et ordonnée, les enfants les trouvent facilement. Il faut aussi travailler de manière élective les séquences de lettres dont la suite est très fréquente en français (tion, ent, qu, ture…). Ce travail ciblé doit en permettre l'automatisation. Durant cette phase, on peut faire varier plusieurs paramètres : lorsque l'enfant a atteint une vitesse à laquelle on le sent à l'aise, on augmente le temps de dictée. On cherche ainsi à gagner en endurance, qui est une condition très importante d'efficacité en situation scolaire. Ensuite, on modifie la vitesse de dictée, on l'augmente en ayant toujours une ou deux lettres d'avance sur l'enfant, mais on dicte moins longtemps. Enfin, une fois qu'on le sent suffisamment à l'aise à cette nouvelle vitesse, on peut de nouveau réaugmenter la longueur de la dictée. 124 Chapitre 6. Écrire autrement Entraînement de la mémoire de travail auditivo-verbale Travail en groupe Il peut être intéressant de réunir plusieurs enfants pour faire ce travail d'automatisation. De façon optimale, le petit groupe est constitué d'enfants ayant à peu près le même âge et un niveau comparable de maîtrise de l'outil ordinateur. Cet exercice est très important sur le plan fonctionnel, car l'enfant doit écrire au clavier, tout en conservant en mémoire les mots entendus qu'il doit taper juste ensuite et tout en continuant à écouter ce que l'enseignant dicte ou explique simultanément. Il est donc indispensable d'associer le travail d'automatisation de l'écriture au clavier et de développer la mémoire de travail [58, 59]. Cela a l'avantage de permettre à des jeunes qui sont seuls à utiliser l'ordinateur dans leur classe de se rencontrer et de se rendre compte que d'autres enfants, scolarisés dans d'autres écoles, ont les mêmes difficultés qu'eux. On peut aussi instaurer une dynamique de travail très intéressante (collaboration, émulation) et introduire des exercices plus variés et plus ludiques. Dans ce but et pour varier les exercices, nous proposons de nouveaux jeux. On dicte des lettres (ou des mots courts) que l'enfant doit répéter dans le même ordre. Dans un premier temps, on se substitue à l'enfant pour taper sur les touches, lui ne faisant que répéter ce que l'on vient de dire. En fonction de l'âge de l'enfant, on fait varier le nombre de lettres proposées. On commence avec deux lettres, puis on ajoute une lettre jusqu'à ce que l'enfant ne puisse plus les retenir (de 2 à 6–9 en fonction de l'âge et des capacités mnésiques). On peut aussi lui demander, une fois qu'il a bien répété les lettres, de vérifier, avant que l'on ne tape sur la touche, que nous allons bien taper la bonne lettre (emplacement). Si l'enfant répète facilement le nombre de lettres que l'on vient de lui dire, on peut alors augmenter d'une lettre. On s'arrête après deux échecs consécutifs. Quand l'épellation est terminée, il doit les redire dans l'ordre. Cela permet de vérifier qu'il a bien entendu les bonnes lettres et le nombre maximum de lettres qu'il peut retenir à l'endroit. On propose ce travail à l'enfant sur plusieurs groupes de lettres, en fonction de sa fatigue. Dans un deuxième temps, quand l'enfant a bien compris le principe, on lui propose le même exercice avec les lettres à l'envers. On dicte à l'enfant les lettres à l'endroit (ou des mots courts, ou des syllabes), mais il doit alors les taper ou les dicter à l'adulte à l'envers ou « en verlan ». Attention à la fatigue de l'enfant avant de proposer d'augmenter le groupe de lettres. Pour varier les exercices, on demande à l'enfant de trouver des mots ou des anagrammes avec les lettres données ou encore d'écrire son prénom tout en mémorisant les deux, trois ou quatre lettres données, etc. En effet, on peut faire le même type d'exercices que ceux proposés en individuel, mais également des jeux d'attention visuelle et de mémoire, faire des équipes, proposer des défis, etc. Exemples � Le groupe d'enfants choisit en commun une histoire qui sert de support à ce travail. Une discussion préalable s'établit donc pour déterminer quel type d'histoire sera le support de travail de l'année. Ils réaliseront ensemble (collaboration) un livret illustré qui matérialisera leur travail. � À l'aide d'un vidéoprojecteur, on montre une syllabe au groupe d'enfants, par exemple : VA. Puis cette syllabe disparaît et l'on montre consécutivement trois propositions de syllabes qui se ressemblent sur le plan morphologique (LEUR/ PEUR/TEUR). Ils doivent donc maintenir en mémoire la première syllabe et associer une des propositions pour former un mot. Les enfants doivent ensuite taper ce mot. Dans cet exemple, ils ont le choix entre VAPEUR et VALEUR. Les premiers exercices proposés n'ont qu'une solution et deux propositions, puis, pour complexifier la tâche, on peut proposer des mots plus longs et/ou augmenter le nombre de propositions. � On peut également profiter de ce travail en groupe pour entraîner la frappe en dictée (au sens habituel/scolaire du terme). Ce travail en commun de dictée permet de soutenir verbalement la mise en mémoire des règles 125 Partie II. Propositions thérapeutiques et mise en œuvre orthographiques [55] (mots invariables travaillés en épellation au préalable, mots présentant la même particularité orthographique, etc.) et typographiques (gestions des espaces avant et/ou après les signes de ponctuation), etc. En ce qui concerne le travail de copie (cf. p. 54), on peut également profiter du vidéoprojecteur pour expliciter les stratégies qui permettent que ce travail soit moins coûteux sur le plan cognitif. Les enfants discutent des stratégies qu'ils ont parfois eux-mêmes mises en place. Cette situation leur permet également de se retrouver dans une configuration proche d'une séquence scolaire : le fait d'être en groupe, de devoir utiliser deux plans de l'espace (vertical et horizontal), des zones d'exploration visuelle de tailles différentes (tableau et clavier), etc. Pratiquement, sur le modèle, on isole les lignes à l'aide de couleurs (cf. p. 105). On en choisit trois par exemple, que l'on fait toujours se succéder dans le même ordre (ici : jaune, vert, rose). L'enfant sait (automatise, grâce à un « conditionnement » qui suppose que chacun utilise le même code couleur) que s'il a lu la ligne jaune, la ligne suivante doit être verte, etc. (figure 3.4, cf. « Cahier couleur » en fin d'ouvrage). On peut également ne laisser qu'une ligne visible à la fois (masque, fenêtre). Un enfant lit la ligne. On lui pose des questions sur les indices qu'il doit utiliser : « Une phrase commence toujours par une… (majuscule) ? », « Quels sont les mots au pluriel ? », « Quels sont les signes de ponctuation et les règles pour les utiliser ? », etc. Si la phrase est longue, on la découpe en deux parties. L'enfant mémorise ce qu'il doit taper, puis on cache le « modèle » projeté (copie dite « copie différée », cf. p. 54, 129). Les enfants tapent le groupe de mots ou la phrase complète. Cela évite des allers-retours incessants au modèle qui risquent de perdre le regard (surtout en cours de phrase ou de paragraphe) et favorise la mémorisation de la forme orthographique des mots. La préparation du modèle se fait en fonction : • de sa provenance (tableau ou livre, ou déjà sur l'écran de son ordinateur…) ; • de la prise de repères particuliers : surlignages, ou marquage des débuts de lignes (cf. figure 3.4, « Cahier couleur » en fin d'ouvrage), ou encadrement des paragraphes pertinents (cf. figure 3.3, « Cahier couleur » en fin d'ouvrage) ; 126 • du marquage de l'endroit où l'enfant en est, d'une part sur le modèle, d'autre part dans sa copie [54, 66]. Il peut être tout à fait intéressant d'utiliser un « tableau blanc interactif » (TBI). Exemple de travail en groupe : le groupe journal À l'adolescence, les jeunes ont souvent besoin d'être remotivés pour utiliser l'ordinateur. C'est à cette période, alors même qu'ils l'acceptaient jusque-là régulièrement en classe, qu'ils le refusent. Ils s'en servent cependant toujours volontiers pour communiquer avec leurs copains ou créer des blogs, mais n'en veulent plus au collège. On peut leur proposer alors de participer à un groupe journal, où ils doivent rédiger des articles, les mettre en pages, insérer des photos, scanner des documents, créer des pages jeux, etc. Cette proposition s'est révélée positive pour certains qui pouvaient alors montrer leur habileté à l'ordinateur. Ils distribuaient ensuite leur journal. (D'après Lirondière S. Ordinateur et adolescence : expériences autour d'un groupe journal. Actes du colloque des premières Journées européennes et francophones d'ergothérapie ; les 4 et 5 juin 2007 ; Paris, campus Cordelier.) Installation du matériel En début de séance, on travaille également régulièrement l'installation du matériel. Cela se fait par étapes. Au début, l'ordinateur peut être branché et allumé par l'adulte, l'enfant n'ayant qu'à cliquer sur le document qu'il souhaite « ouvrir ». Il insère seul la date, fait la ligne de son prénom comme en séance individuelle. Ce travail, commencé en individuel, peut être repris en groupe. En progression, on peut proposer que chaque enfant branche et allume seul son ordinateur et ouvre son dossier (étayage par l'adulte ou autoguidage verbal, cf. p. 27), ou en montrant à l'aide d'un ordinateur relié à un vidéoprojecteur les différentes étapes à réaliser. Puis on peut présenter chaque étape de l'installation sur une fiche différente. Les fiches, que l'on peut plastifier pour en rendre l'utilisation plus facile, sont attachées comme dans un carnet. Après avoir terminé une étape, l'enfant tourne la Chapitre 6. Écrire autrement fiche pour passer à l'étape suivante. Dans un premier temps, un enfant du groupe lit la première consigne, les enfants accomplissent la tâche et l'enfant qui a lu demande si tout le monde est prêt à passer à la seconde étape. Lorsque tout le groupe a répondu oui, les enfants tournent la fiche et un deuxième camarade lit la nouvelle consigne et s'assure à son tour que tout le groupe est prêt à passer à l'étape suivante. Et l'on continue avec un troisième enfant, etc. Le fait de passer d'un enfant à l'autre aide à focaliser l'attention de chacun et impose un rythme identique pour le groupe, se rapprochant d'une situation scolaire. En progression, ces fiches (cf. encadré 6.1) sont utilisées par chaque enfant individuellement, en rappelant simplement en début de séance que toutes les étapes de la fiche doivent être faites dans l'ordre et dans un temps imparti (par exemple 15 minutes). Cinq minutes avant la fin, on rappelle qu'il ne reste que 5 minutes pour que tout le monde soit prêt. Élèves non autonomes : rôle de l'AESH Certains enfants ont des troubles praxiques majeurs qui ne leur permettront jamais d'y arriver dans des délais raisonnables. Ils peuvent brancher seuls leur ordinateur ou ouvrir un document lorsqu'ils n'ont pas de contrainte de temps ni autre chose à faire en même temps, mais effectuer ces différentes opérations leur devient impossible au regard du rythme scolaire. C'est l'AESH qui procure alors cette autonomie en se substituant à eux, en installant le matériel, en sortant les affaires du cartable, pour que l'enfant ne soit pas en double tâche (cf. p. 21) plusieurs fois par jour (surtout au collège où l'enfant doit changer de salle toutes les 50 minutes) et ne prenne pas un retard rédhibitoire dans toutes les activités (cf. p. 70). Cela n'est pas toujours bien compris ou accepté, car on suppose (à tort) que la présence de l'AESH empêche l'enfant d'acquérir de l'autonomie : or, c'est la situation qui handicape l'enfant dyspraxique et c'est son handicap que de ne pas pouvoir être autonome dans ce type de situation. Il faut donc bien évaluer les tâches ou parties de tâches dans lesquelles l'enfant est autonome et sous quelles conditions. Exemple Beaucoup d'enfants (surtout les plus jeunes) ayant du mal à se représenter les délais, à faire coïncider les durées objectives et subjectives, on peut utiliser un « Time Timer » (de chez Hop'toys53) qui permet, par la visualisation du temps restant (quartier rouge), d'objectiver le temps passé et surtout le temps restant. Fonctionnalités du traitement de texte Lorsqu'on a fait, par exemple, un travail de dictée (cf. p. 58, 123), on montre à l'enfant comment faire un copier-coller des lettres ou mots que l'on a dictés. Sur la partie collée, on travaille la segmentation des mots (cf. « Exemple de correction », p. 122). C'est l'occasion d'entamer un travail neurovisuel (mise en jeu de capacités liées à la lecture : prise d'informations sur la forme orthographique du mot, connaissances grammaticales, mise en forme typographique). Là encore, on dissocie les tâches proposées : • soit l'enfant lit et indique où l'adulte doit faire les espaces (cet exercice ne peut se faire que si l'enfant est déjà lecteur). S'il y a des fautes, nous changeons la couleur des caractères qui n'ont pas été correctement tapés, voire oubliés, si l'enfant n'a pas pu suivre le rythme à un moment donné. On lui montre comment sélectionner les lettres Ultérieurement, on regroupe les instructions sur une seule fiche séquentielle (cf. encadré 6.1) que l'on aide l'enfant à utiliser. Cette fiche séquentielle utilise le même code de surlignage que celui utilisé dans les exercices neurovisuels (cf. p. 90, 119). À terme, cette fiche n'est plus disposée sur les tables des enfants. Ils doivent mémoriser, puis rappeler à tour de rôle et dans l'ordre les différentes étapes, puis les effectuer. Enfin, on dit juste en démarrage de séance : « Préparez-vous ! », et les enfants doivent s'installer seuls. 53 Hop'Toys : ZAC de Garosud – 381, rue Raymond Recouly – CS 10042 – 34078 MONTPELLIER CEDEX 3 ; www.hoptoys.fr. 127 Partie II. Propositions thérapeutiques et mise en œuvre à ­modifier et où changer la couleur de la police. Cela permet également de voir au bout de combien de temps de dictée l'enfant se fatigue, car, en général, à ce moment-là, il fait nettement plus d'erreurs. Cela peut être utilisé comme un élément de motivation avec lui en lui faisant remarquer que sur un certain nombre de lignes il n'a pas fait d'erreur et qu'à la séance suivante on essaiera d'augmenter ce nombre d'une ligne. On indique aussi à l'enfant comment enregistrer son travail. On peut lui monter qu'il existe plusieurs façons de le faire ; • soit il utilise les icônes, ou le menu déroulant, ou encore les raccourcis clavier. À chaque fois, on verbalise les différentes possibilités, en se mettant d'accord avec lui sur le vocabulaire employé. Quand il utilise une de ces possibilités, on lui demande de nous expliquer comment il aurait pu faire autrement. À terme, il choisit la façon de faire la plus efficace pour lui. Quand on fait les copier-coller, les enfants oublient souvent dans un premier temps de sélectionner le texte qu'ils souhaitent copier. On en profite pour leur expliquer qu'ils doivent « tout dire » à l'ordinateur qui sinon ne sait pas quoi faire. On apprend également comment copier d'un document à un autre. Quand l'enfant a bien avancé dans le travail d'automatisation de la frappe, il a à sa disposition un certain nombre de paragraphes déjà corrigés. On ouvre avec lui un nouveau document dans le traitement de texte qu'il utilise. On lui apprend à enregistrer ce nouveau document. On verbalise avec lui chaque étape, l'objectif étant, à terme, qu'il puisse utiliser cette verbalisation seul, sous forme d'autoguidage (cf. p. 27). La maîtrise des différentes fonctions du traitement de texte est également utile à l'enfant lorsqu'il doit rédiger et concevoir les expressions écrites : mise en forme du plan et de la rédaction (cf. p. 59 et 146). L'exemple qui suit est donné pour indiquer une démarche. Il est bien sûr à adapter en fonction de la version et/ou du logiciel de traitement de texte utilisé. Exemple Nous en sommes maintenant à l'étape où l'enfant a déjà quelques paragraphes à sa disposition sur le document. À chaque nouvelle séance, il a inséré seul la date du jour, il a fait une ligne de son prénom pour se préparer 128 (c'est un rituel que l'on a instauré avec lui). Souvent, les enfants aiment bien qu'on leur relise ce qui a été tapé la fois précédente, puis on dicte la suite. On corrige avec lui ce qui vient d'être tapé. Pour faire la mise en pages du document corrigé, on doit donc ouvrir un nouveau document (cf. figure 6.2, « Cahier couleur » en fin d'ouvrage). Cela permet de montrer à l'enfant comment travailler sur plusieurs pages de documents ouverts en même temps, la stratégie pour se repérer, etc. On verbalise les différentes étapes : • on sélectionne le menu déroulant Fichier ; • puis on clique sur Nouveau ; • on sélectionne Document vierge ; • on sélectionne de nouveau le menu déroulant Fichier ; • on clique sur Enregistrer sous ; • une nouvelle fenêtre s'ouvre dans laquelle on donne un nom au document ; • on sélectionne l'endroit où l'on souhaite qu'il s'enregistre. Bien sûr, l'enfant ne peut pas prendre en charge toutes les étapes dès le début. C'est pourquoi il est important de les verbaliser et de les refaire régulièrement. Ensuite, l'enfant mémorise ces instructions comme une petite comptine, puis automatise cette procédure apprise verbalement. Une fois que le nouveau document est nommé, l'enfant n'a plus qu'à passer d'un document à l'autre pour faire ses copier-coller. C'est pourquoi il est important de choisir pour chaque document des noms dont l'enfant se souviendra facilement, mais qui soient également différents pour qu'il ne se perde pas dans les allers-retours d'un document à l'autre. Travail de copie Bien que l'on ne souhaite pas encourager la copie pour ces enfants, elle est souvent utilisée en classe comme support à d'autres apprentissages et considérée pour les enfants standards comme moyen facilitateur puisque le modèle reste visible. Mais pour les enfants, très nombreux, qui associent des troubles du regard à la dyspraxie, toutes les tâches scolaires qui nécessitent de la copie ne sont justement pas facilitatrices (cf. p. 51, 65, 99). Chapitre 6. Écrire autrement Victor et la sorcière Une histoire tapée par J. Il était une fois un jeune lapin qui s’appelait Victor Petitpois. Un soir à dîner, il refusa de manger ses carottes. « Quitte immédiatement la table ! » lui ordonna son papa très en colère. Figure 6.2. Exemple de mise en page d'un texte. Lecaye O., Victor et la sorcière, L’École des Loisirs, 1989. Cette figure est reproduite en couleur en fin d'ouvrage. En particulier, les nécessaires allers-retours du regard du modèle à leur feuille vont les perdre. En général, le modèle est au tableau, donc sur un support vertical et en vision de loin, et il faut copier sur une feuille qui est à l'horizontale et en vision de près (ou en vision intermédiaire sur l'écran), ce qui nécessite de changer de plan à chaque fois qu'il faut prendre les repères. Il leur faut encore gérer les sauts de ligne, le respect de l'organisation spatiale du texte (poésie…), pour arriver à un résultat souvent médiocre, avec des fautes et des oublis de lettres au minimum, de mots, voire de phrases complètes, et une fatigue disproportionnée pour la tâche engagée. Cette situation de copie doit donc être évitée le plus souvent possible (photocopies, clés USB…). Si l'enfant doit malgré tout copier à un moment donné (et donc de manière tout à fait occasionnelle), cette situation doit être accompagnée par l'AESH qui dicte à l'enfant ce qui est écrit sur le tableau (contournement de la phase de prise d'informations visuelles). L'enseignant peut aussi, de manière systématique, oraliser (lire, dicter) le texte proposé en copie. Sinon (et toujours de manière limitée et ponctuelle), il faut donner des stratégies à l'enfant, en particulier pour faciliter la phase de lecture, afin que cela soit le moins « coûteux » possible (cf. figures 3.3, 3.4 et 3.6, « Cahier couleur » en fin d'ouvrage). Cela consiste à ne pas copier ce qui est écrit directement et immédiatement « par petits segments de mots » et évite une vérification lettre à lettre. Afin que l'enfant ne vérifie pas sur le modèle au fur et à mesure, on le cache immédiatement après la lecture. Après avoir lu le texte, la phrase (le mot), l'enfant doit écrire ce qu'il a lu sans revenir visuellement au modèle. Puis une fois le mot ou la phrase écrits, il lit le mot ou la phrase suivants, puis il l'écrit, etc. Il faut entraîner cette stratégie en utilisant au départ des phrases courtes, sans difficulté orthographique, sans retour à la ligne au sein de la phrase. Cela nécessite, dans un premier temps, de préparer à l'avance les supports qui vont être utilisés avec l'enfant. Aménagements typographiques du modèle On utilise un interligne 1,5 ou double, les phrases sont surlignées pour aider l'enfant à se repérer. On se sert de trois couleurs alternées pour que chaque phrase soit dans une couleur différente (cf. figure 3.6, « Cahier couleur » en fin d'ouvrage). Si nécessaire, un point vert peut être mis en début de phrase, un rouge en fin de phrase (cf. figure 3.4, « Cahier couleur » en fin d'ouvrage). Lors de la lecture de la phrase, les signes de ponctuation ainsi que les majuscules sont verbalisés. On insiste également sur les difficultés orthographiques, en verbalisant la règle ou en demandant à l'enfant de le faire. Copie différée Il faut éviter au maximum les allers-retours du regard. En effet, les stratégies de recherches visuelles sont approximatives, aléatoires, non automatisées. On cherche donc plutôt à s'appuyer sur les bonnes compétences mnésiques de l'enfant en dissociant une fois encore les procédures qu'il met en œuvre et en utilisant la copie différée (cf. p. 54). Dictée vocale Il s'agit de dicter à l'ordinateur le texte que l'on souhaite écrire. 129 Partie II. Propositions thérapeutiques et mise en œuvre sera de toute façon utile si l'enfant doit recourir à l'aide d'un secrétaire. Paramétrage Le paramétrage se fait par la lecture à haute voix d'un texte par l'utilisateur. Après cette phase de paramétrage, le logiciel « apprend », à partir des fichiers textes déjà enregistrés dans l'ordinateur, le vocabulaire spécifique de l'élève. Ensuite, le logiciel continue à « apprendre » à chaque utilisation. Il faut faire les corrections à la voix en dictant les commandes à l'ordinateur. Certains jeunes peuvent avoir du mal à lire le texte lors du paramétrage. Le texte est écrit assez petit et le temps de lecture est limité. Il faut, pour que le paramétrage soit efficace, une voix stable (attention à la phase de mue chez les jeunes garçons), sans problème de souffle, sans trop de fluctuations dans la déformation de la prononciation (problèmes fréquents si une dysarthrie coexiste). Le logiciel peut gérer certaines déformations de prononciation si ces déformations sont stables. L'adulte lit alors la phrase et l'enfant la répète. Limites de l'utilisation Tout d'abord, le casque peut être difficile à utiliser pour certains enfants. Il faut qu'il soit placé de façon correcte pour que le micro soit à bonne distance de la bouche. Or, cet ajustement est difficile à réaliser (en temps limité) par un enfant dyspraxique. Les écouteurs du casque isolent un peu les bruits et notamment la voix de l'enseignant. En revanche, pour une utilisation à domicile, on peut privilégier un micro sur pied que l'on place devant le clavier, ce qui évite les difficultés de positionnement du casque. L'utilisation de la dictée vocale n'est pas possible dans toutes les situations. En effet, l'emploi en classe peut s'avérer difficile, car ce sont des logiciels assez sensibles au bruit ambiant. Si l'on souhaite l'utiliser pour dicter le cours pendant que l'enseignant donne des explications, cela ne fonctionne pas forcément correctement – même si l'on a pris la précaution de demander à l'enfant lors du paramétrage de ne pas parler trop fort –, car il faut alors chuchoter, ce que le logiciel ne gère pas très bien. L'enfant, en dictant, génère lui aussi du bruit, ce qui est parfois gênant pour le fonctionnement de la classe (cf. p. 192). Lors des évaluations, il faut trouver une autre salle pour que l'enfant puisse l'utiliser. Il ne faut pas avoir de troubles articulatoires ni de troubles du souffle. Le logiciel peut répondre à une certaine variabilité de prononciation, à condition que les déformations soient stables. Si elles sont fluctuantes, il y a alors beaucoup d'erreurs de transcription. Production d'écrits Quand l'enfant est en phase de production de textes, cela nécessite qu'il ait construit sa phrase « dans la tête » avant de la dicter, car le logiciel est plus performant si l'on ne segmente pas trop les phrases. Il faut être assez compétent sur le plan de la planification, car il s'agit (comme lorsqu'on utilise un dictaphone) d'avoir le plan en tête, de dicter ce que l'on souhaite mettre dans chaque partie et en même temps de dicter la mise en forme. La planification des idées est à travailler en parallèle avec l'orthophoniste pour améliorer les compétences de l'enfant ou à entraîner si cette tâche est déficitaire. Il faut toujours dissocier ces tâches, car elles sont souvent difficiles à gérer conjointement. Dans un premier temps, l'enfant dicte le plan, puis il insère, en la dictant, sa production dans chaque partie. Ensuite, il gère l'aspect spatial de l'organisation de son texte (les retraits pour les paragraphes, les sauts de ligne, etc.). Une bonne performance dans l'utilisation de la dictée vocale semble difficile à obtenir avant le collège. Cependant, si l'on souhaite qu'elle soit efficace dans des délais raisonnables, on doit proposer un travail de dictée à l'adulte au cours du CM. Cela permettra à l'enfant de commencer le travail de planification des phrases et des idées et Logiciels suppléant la lecture En raison de l'association fréquente de la dyspraxie avec les troubles du regard, certains enfants sont empêchés de lire ou ne le peuvent que sur quelques lignes (cf. p. 191). Il faut alors absolument dissocier ces médiocres capacités en lecture des bonnes capacités de compréhension du langage écrit. C'est pourquoi il faut rapidement mettre en place des logiciels qui lisent en classe pour l'enfant (pour une fonctionnalité scolaire), tandis que celui-ci continue son travail en orthophonie (cf. p. 102). Un cahier des charges précis (cf. chapitre 10) doit être fait pour choisir le logiciel qui sera le 130 Chapitre 6. Écrire autrement mieux adapté pour cet enfant-là, y compris en termes de projet scolaire (cf. p. 32). Il existe des logiciels qui associent dictée vocale, retour auditif et lecture dynamique54. La question des fautes de frappe à l'ordinateur Beaucoup d'enseignants s'interrogent sur la notation des dictées (ou la prise en compte des fautes d'orthographe dans toutes sortes de devoirs) lorsque ces dernières sont effectuées à l'ordinateur, certaines erreurs pouvant probablement être imputées à des fautes de frappe. À partir du moment où l'enfant utilise l'ordinateur en classe et qu'il y atteint un niveau de performance suffisant pour effectuer une dictée (avec aménagements, s'il y a lieu : tiers-temps, ou réduction de la taille de la dictée, ou mise en place de formulaires type phrases à trous), toutes les fautes doivent être comptabilisées, comme pour les autres enfants. En effet, l'enseignant ne peut pas regarder et vérifier sur le clavier la position de chaque lettre en regard de la faute produite, d'autant que certaines erreurs, du fait des troubles spatiaux, peuvent concerner des lettres disposées « en miroir » sur le clavier. Puisque l'ordinateur est l'outil utilisé par l'enfant pour pallier ses difficultés graphiques, il est licite d'avoir une exigence en termes de précision de frappe (de même que, pour l'enfant toutvenant, on a une exigence de lisibilité et qu'une ambiguïté de tracé peut lui être comptée comme une faute). En effet, on ne peut proposer une juxtaposition de logiciels qui se révéleraient à terme ingérables pour l'enfant, en raison des difficultés d'organisation. Durant les séances d'ergothérapie, il faut donc lui apprendre à utiliser le logiciel choisi pour l'amener à être le plus autonome possible. Problèmes fréquents Dictée et ordinateur : le correcteur orthographique (cf. p. 107, 123) La question se pose souvent de la présence, dans les traitements de texte, d'un correcteur orthographique. Ces programmes soulignent habituellement en rouge les mots mal orthographiés (orthographe lexicale) et proposent automatiquement la correction correspondante : ce programme peut être désactivé sur les ordinateurs des plus jeunes. Pour les plus grands, au contraire, la présence de ce correcteur leur permet de produire des textes de meilleure qualité. D'ailleurs, signalant et corrigeant les erreurs, ce programme contribue à l'apprentissage et au développement chez l'enfant d'une bonne conscience orthographique : il est donc utile. Il faut cependant apprendre à l'enfant à s'en servir (dans certains cas, l'ordinateur propose plusieurs alternatives, en choix multiple), afin qu'il soit efficace sans que cela ne ralentisse trop la frappe. Enfin, actuellement, les traitements de texte ne disposent pas de correcteur fiable en ce qui concerne l'orthographe grammaticale : il faut donc apprendre à l'enfant à négliger cette information (souvent signalée par un surlignage vert), à appliquer les règles apprises, à les mettre en œuvre par des exercices spécifiques, puis à les automatiser autant que possible [65]. 54 L'enfant utilise déjà un clavier « non caché » C'est souvent le cas lorsque l'apprentissage n'a pas été mené par un professionnel, ou lorsque le diagnostic de dyspraxie n'ayant pas été posé, l'apprentissage a été fait « spontanément ». L'enfant connaît à peu près le clavier, mais il reste lent (aucun travail de vitesse et d'automatisation n'a été conduit systématiquement), il n'est pas assez performant pour que l'outil ordinateur lui facilite vraiment sa scolarité. En outre, si des troubles neurovisuels sont présents et si l'usage du clavier reste sous la dépendance d'une exploration visuelle (mal contrôlée et anarchique), les progrès seront insuffisants : après une période (début de primaire) où l'on aura cru régler le problème graphique, les difficultés (double tâche, cf. p. 21) vont réapparaître, puis s'intensifier dès la fin du primaire, compromettant la poursuite de la scolarité. Il s'agit en général d'un surlignage de la ligne en cours de lecture, associé à une fenêtre d'une autre couleur qui se déplace sur le mot en train d'être lu. Les couleurs sont paramétrables pour être facilitatrices pour l'enfant. 131 Partie II. Propositions thérapeutiques et mise en œuvre Que proposer ? Si l'enfant est jeune et l'apprentissage récent, on peut tenter de lui expliquer la nature du problème, lui laisser l'usage du clavier non caché en classe et, simultanément, s'il l'accepte, commencer un apprentissage méthodique et rigoureux du clavier caché durant les temps de rééducation. Lorsqu'il est assez performant, on remplace alors son clavier ordinaire par le clavier caché. Malheureusement, dans la plupart des cas, reprendre cet apprentissage contraignant, alors qu'il maîtrise ou pense maîtriser, même partiellement, la frappe, est inacceptable pour le jeune… Il faut alors se résigner à composer au mieux avec les limites qu'il atteindra rapidement avec son ordinateur. « courir deux lièvres à la fois », ne permet habituellement pas d'engager les forces suffisantes, en temps et en disponibilité, pour un usage réellement gratifiant et efficace de l'ordinateur. C'est pourquoi il est capital de tenir un discours sincère, clair et cohérent : l'ordinateur doit être choisi pour favoriser la scolarité, et son apprentissage relève d'un travail de rééducation. Pour le reste, l'enfant écrit comme il veut, à la main ou à l'ordinateur, et s'il souhaite améliorer son graphisme manuel (ce qui est tout à fait possible et respectable), cela n'est pas du ressort de la prise en charge médico-rééducative. Enfin, en période de préadolescence ou d'adolescence, le jeune a besoin plus que jamais de s'identifier à ses pairs, d'être « comme tout le monde », de s'intégrer à son groupe. Il le marque par ses choix vestimentaires, ses loisirs, son langage… Lui proposer de se singulariser par l'usage scolaire d'un ordinateur est particulièrement mal perçu, voire insupportable. D'autant qu'il ne peut espérer en recueillir les fruits (en termes de réussite scolaire) que bien plus tard, alors que les inconvénients qu'il anticipe sont immédiats… C'est aussi la raison pour laquelle il est indispensable d'une part de porter ce diagnostic précocement et, d'autre part, de ne pas retarder la mise à l'ordinateur une fois le diagnostic posé. D'autant qu'une étude datant de 2012 réalisée auprès d'adolescents dyspraxiques avait pour hypothèse que, chez des adolescents atteints de dyspraxie visuo-spatiale, l'introduction récente de l'ordinateur en classe (moins de deux ans d'utilisation) avait un effet stigmatisant pour l'élève et pouvait entraîner une baisse de l'estime de soi55. Les résultats obtenus au questionnaire d'estime de soi utilisé dans cette étude (inventaire de Coopersmith, 1984) montrent au contraire que l'estime de soi est plus élevée chez les adolescents ayant un ordinateur depuis plus de deux ans, et cela particulièrement dans le domaine scolaire, mais relèvent également le fort pourcentage d'estime de soi au niveau social chez les adolescents ayant un ordinateur depuis moins de deux ans. Il s'agit d'un grand enfant ou d'un adolescent Lorsque le diagnostic est posé tardivement (cf. p. 33) ou bien si l'on a malencontreusement cru bien faire de repousser « le plus tard possible » l'usage de l'ordinateur (cf. p. 73), on se heurte à de nombreuses réticences. L'échec scolaire est installé, ancien et sévère : l'enfant cherche à sauver la face et à conserver une certaine estime de soi (déni, provocation, refus scolaire), ou bien, au contraire, il s'enfonce dans une dépression qui ne lui permet pas d'investir dans une nouvelle stratégie et de nouveaux espoirs. Or, il faut environ deux années scolaires avant qu'il ne soit vraiment efficace avec ce nouvel outil (cf. p. 115). D'ici là, il y a un risque réel que l'enfant continue de s'enfoncer dans un échec scolaire sans remède. En outre, l'enfant a fait, durant toutes les années précédentes, beaucoup d'efforts pour améliorer son graphisme manuel. Renoncer à ces années de travail, d'espoir et aux progrès manifestes qu'ils ont permis reviendrait à nier des années d'efforts, mais aussi à reconnaître que les adultes se sont trompés ou ont menti… C'est aussi la raison pour laquelle il faut éviter de maintenir de front la rééducation du graphisme manuel et l'apprentissage de l'ordinateur (cf. p. 73). On envoie alors à l'enfant un message confus (voire franchement contradictoire) et, s'il progresse un tant soit peu en graphisme manuel (cf. figure 3.2), il ne pourra pas investir l'ordinateur. D'ailleurs, cette situation, qui consiste à 55 132 Bogusz V. L'impact du passage à l'ordinateur chez les enfants dyspraxiques en milieu scolaire ; décembre 2012 : http://www.psychologue-bordeauxlateste.fr. Chapitre 6. Écrire autrement Que proposer ? Si le jeune refuse avec force l'ordinateur et que ce refus s'avère difficilement négociable, des essais peuvent avoir lieu d'abord en rééducation, puis en ULIS (s'il s'agit du mode de scolarisation du jeune) ou au domicile. Une aide psychologique est souvent indispensable pour que le jeune prenne conscience de ses difficultés sans qu'il ne s'effondre et puisse accepter les aides proposées (cf. p. 34, 41). Chaque consigne doit être courte, énoncée avant que l'enfant ne se précipite sur le clavier ou la souris, en lui demandant de laisser les mains sur ses genoux (hors de son champ visuel) et en utilisant des stratégies de type « stop and go ». L'enfant met en œuvre « la consigne » lorsqu'on lui en donne le signal convenu préalablement avec lui. Association dyspraxie et troubles du langage écrit Ces enfants rencontrent parfois des difficultés en confondant certaines lettres sur le plan phonologique (/b/ et /d/, /f/ et /v/…). Il faut donc mettre en place des aides appropriées pour que la mémorisation de l'emplacement de la touche associée à la bonne lettre se fasse de manière correcte. Il peut être alors nécessaire d'employer des méthodes qui utilisent d'autres voies d'indiçage pour aider l'enfant (exemple : méthode gestuelle de Borel-Maisonny) ou des petites « astuces » que nous trouvons avec l'enfant [62]. Alors, la phase d'automatisation est tout à fait possible lors de dictée de lettres. Cependant, au moment où on leur demande de produire du langage écrit, ils restent bien évidemment en grande difficulté (cf. p. 107–108), ce qui se traduit par une lenteur reflétant leur dysorthographie constante. Mais s'il maîtrise son ordinateur et qu'il connaît son clavier, l'enfant peut utiliser de façon efficace les logiciels qui lui permettront de contourner sa dyslexie. Cas particuliers : comorbidités Un certain nombre de cas particuliers doivent être identifiés au préalable (p. 38) afin d'éviter de se lancer dans un apprentissage inutile ou nécessitant des adaptations différentes ou supplémentaires [1]. Association dyspraxie et troubles de l'attention Il faut d'abord s'assurer qu'il s'agit d'une réelle comorbidité, les deux diagnostics de TDA-H et de dyspraxie ayant été portés dans des conditions fiables. En effet, il arrive quelquefois que le trouble du geste secondaire au trouble attentionnel (geste brusque, impulsif, malhabile) soit confondu avec une dyspraxie… Dans le cas où il s'agit d'une réelle comorbidité, c'est le trouble de l'attention qu'il faut prendre en compte en première intention. Pour la prise en charge générale du TDA-H (traitement médicamenteux, remédiations, aides à la scolarité), se référer aux ouvrages spécialisés [8]. Cependant, l'ordinateur n'est pas une panacée : son utilisation ne peut rendre les services escomptés (permettre à l'enfant de faire une scolarité à hauteur de ses espérances et de ses capacités) que s'il s'inscrit dans une stratégie globale de rééducation, de limitation de la production d'écrits et de prise en charge des tâches qui en découlent (photocopies, secrétariat, classements et rangements, suppléances par l'oral, etc.), en concertation étroite avec les enseignants. En ce qui concerne plus spécifiquement l'apprentissage du clavier, il faut veiller : • à la distractibilité. L'attention ne peut être maintenue plus de quelques minutes en général, ce qui impose d'être encore plus vigilant sur ce que l'on demande à l'enfant comme tâche. Pour aider au maintien de l'attention, un changement régulier d'activité est nécessaire, et ce avant que l'enfant ait épuisé ses « réserves » ; • à gérer les persévérations et l'impulsivité. Il faut donc les aider à ne pas tripoter, à ne pas cliquer dix fois de suite pour l'ouverture d'un dossier ou taper plusieurs fois sur la même lettre sans pouvoir s'arrêter (cf. p. 38). Conclusion L'ordinateur peut se révéler un outil précieux dans la scolarité de l'enfant, à condition que ­l'automatisation en soit suffisante et que son 133 Partie II. Propositions thérapeutiques et mise en œuvre domaines. Il ne s'agit pas de « trouver tout bien », mais de lui faire prendre conscience des points forts sur lesquels il peut s'appuyer, qu'il n'est pas incompétent partout et qu'il peut s'aider de son bon raisonnement pour contourner ce qui le met en échec. Il faut souvent beaucoup de temps pour que l'enfant arrive à se sentir à l'aise « avec » sa différence. Il a besoin de se prouver à lui-même qu'il peut y arriver quand même. La négociation doit toujours se faire avec toutes les cartes en main pour que l'enfant ne cherche pas à se dépasser dans des domaines qui, à terme, se révéleront inefficaces ou inutiles pour lui ou, pire, qui lui auront demandé tellement d'investissement qu'il n'aura pas pu engager ses forces dans des secteurs qui lui auraient été indispensables. ENCADRÉ 6.1. acceptation – par l'enfant, les enseignants et les parents – soit sincère. Il permet alors de répondre aux exigences scolaires (cf. chapitre 9). En effet, souvent l'enfant nous interroge : « Estce que je triche si j'écris à l'ordinateur ? Que va dire la maîtresse ? » Ces interrogations prennent d'autres formes pour les plus grands : « Les copains sont jaloux. J'ai l'impression de tricher à l'examen, surtout avec le secrétaire. Si j'utilise le correcteur orthographique, je pense que je suis avantagé. » Pour d'autres, ces questions sont réglées par un refus de l'utilisation de l'ordinateur ou des adaptations proposées. Cela est d'autant plus fréquent que l'enfant est proche de la norme et qu'il lui est renvoyé « qu'avec des efforts, il pourrait y arriver »… Toutes ces questions ne sont pas à prendre à la légère, car elles tournent toutes autour de la question de la différence et du handicap, de la légitimité des compensations. Considérer qu'un enfant qui n'est pas loin de la norme peut finalement « y arriver » en l'aidant à faire « comme les autres », c'est nier ses particularités, son handicap, alors qu'il doit être aidé à « faire avec » (cf. p. 5, 6, 30, 51). Il faut travailler ces questions à plusieurs niveaux, d'abord avec les adultes (enseignants, famille). Les enfants peuvent le faire à l'aide d'entretiens réguliers avec un psychologue ou lors d'un travail psychothérapeutique. Lors des séances de rééducations, on doit saisir toutes les occasions de faire remarquer à l'enfant qu'il a de bonnes compétences dans certains 134 Exemple de fiche séquentielle pour l'installation de l'ordinateur 1. J'installe mon ordinateur (si j'ai besoin d'aide, je le demande). 2. J'ouvre le dossier du groupe. 3. Je mets la date. 4. Je tape la ligne avec mon prénom. 5. Je dois être prêt à 17 heures 15 minutes. Nota. – Un surlignage de couleur ligne à ligne peut être proposé si nécessaire (cf. figures 3.4 et 3.6, « Cahier couleur » en fin d'ouvrage). Les mathématiques autrement En arithmétique 7 Pose d'opérations, résolutions spatiales Plus encore que dans d'autres disciplines, d'une façon générale, il faut faire attention à la présentation des documents (cf. chapitre 5 : « Lire autrement »), favoriser une aération des exercices et, le plus souvent possible, ne faire apparaître qu'un seul exercice par page. La pose d'opérations est particulièrement problématique pour les enfants dyspraxiques. Comme toute utilisation de la numération indo-arabe, elle fait en effet entièrement appel à des compétences visuo-spatiales. L'enfant doit explorer la feuille de gauche à droite (pour écrire, ou copier, ou lire les nombres), puis si la résolution se fait en colonnes, les nombres s'écrivent simultanément de droite à gauche et de haut en bas, alignés en colonnes dont la situation est déterminée par l'écriture du chiffre le plus à droite de chaque nombre. Les repères que les enfants prennent spontanément sont souvent inadaptés (« unités du côté du mur, virgule du côté de la fenêtre, etc. »). Numération : dénombrement, comptage, accès au nombre L'accès au nombre se fait essentiellement par l'intermédiaire de manipulations et de comptages de collections chez les tout-petits. Or, les enfants dyspraxiques ont des difficultés en manipulation (c'est le cœur même de leur pathologie) et en exploration visuelle qui interfèrent et perturbent leurs résultats. Ils se construisent une idée « magique » du nombre, parfois « le maître (ou la maîtresse) est content(e) et parfois non ». « Quand je compte ces billes, des fois il y en a 4, des fois 5, des fois 3, et pourtant rien n'a changé, c'est bizarre… » La notion même de nombre est perturbée et les enfants ne peuvent plus avoir confiance dans l'invariance du nombre, qui est un concept indispensable à toute utilisation du nombre (cf. chapitre 4). L'enfant dyspraxique et les apprentissages © 2016, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés Chapitre Exemple Zélie, en CP, prend ses repères par rapport au bureau de la maîtresse : « Les unités sont du côté du bureau de la maîtresse. » Arrivée en CE1, Zélie, dépitée, dit à ses parents : « J'ai eu tout faux en calcul, mais tu comprends, le bureau de la maîtresse a changé, ça me fait tromper. » En effet, la maîtresse de CE1 a installé son bureau à gauche de la classe, en miroir par rapport à l'installation de la maîtresse du CP ! En passant par un apprentissage plus verbal de la numération (cf. p. 80), en le dégageant des manipulations manuelles qui distordent et perturbent ses apprentissages, nous favorisons l'accès au sens, ce qui permet par la suite d'effectuer des opérations et des manipulations mentales avec les nombres. C'est-à-dire que nous nous appuyons directement sur les concepts mathématiques sans recourir à la phase d'apprentissage par manipulations et observations visuelles, qui peuvent être source d'erreurs pour eux. Nous proposons aux enfants dyspraxiques dont les troubles du regard sont très modérés de poser et de résoudre leurs opérations différemment : • en ligne : seulement pour des calculs courts et dans un domaine numérique bien maîtrisé par l'enfant ; • sur un support adapté, en colonnes avec des repères de couleur ; 135 Partie II. Propositions thérapeutiques et mise en œuvre • sur des formulaires tout préparés où il n'y a plus qu'à inscrire les nombres dans des cases prédéfinies, respectant un code couleur toujours identique selon la valeur du chiffre dans le nombre (unité, dizaine, centaine…). Certaines fonctionnalités de Word ®56 (figure 4.8, cf. « Cahier couleur » en fin d'ouvrage) permettent d'adapter les paramétrages de ­ couleur, taille d'écriture, espacements… mais aussi et surtout de travailler directement dans Word® et donc de limiter les problèmes de manipulation et de compatibilité de logiciel. Il est même possible de travailler directement sur le support de cours de l'enseignant si celui-ci est déjà informatisé. Le gain de temps et la facilité d'utilisation sont évidents. Enfin, des difficultés d'organisation et de planification peuvent se surajouter. Il convient alors de les aider en séquentialisant les informations contenues dans l'énoncé, en leur posant à chaque fois les mêmes questions : « Que dois-tu chercher ? Que sais-tu déjà ? De quoi as-tu besoin ? Quels éléments vas-tu utiliser ? Quelle opération vastu faire ? »… Ces questions orientent seulement la réflexion de l'élève dyspraxique et ne se substituent pas à son analyse, son interprétation et ses choix. Il s'agit uniquement de compenser ses difficultés d'organisation afin de lui permettre d'exercer et de montrer ses réelles compétences en analyse et résolution de problèmes, une fois le handicap compensé. Progressivement, l'enfant doit reprendre à son compte cette stratégie et se poser lui-même toujours ces questions (auto-instructions verbales, cf. p. 27 et p. 95), ce qui lui permet, au fil des années, de gagner en autonomie. Cependant, il faut au maximum dispenser de la pose d'opérations. Si celles-ci doivent être résolues, elles le sont dans la mesure du possible mentalement et/ou avec l'aide de la calculatrice, en fonction de la complexité du calcul et du niveau scolaire de l'élève. En géométrie Cette discipline, tout au long de la scolarité, est fondée essentiellement sur l'analyse et la production de dessins géométriques. De ce fait, elle comporte des exigences propres au sein desquelles il est très difficile de scinder ce qui est de l'ordre du conceptuel et ce qui est de l'ordre du spatial. En outre, la méthode d'approche de la géométrie repose essentiellement sur des données spatiales : • à analyser : figures géométriques, relations entre les divers éléments de la figure, orientation propre de certains éléments [61] ; • et à produire, ce qui suppose de bonnes capacités de représentation mentale des aspects topologiques ou d'orientation des éléments, mais aussi la capacité à réaliser concrètement la figure à l'aide d'outils adéquats : règle, équerre, compas, rapporteur… La stratégie développée tout au long de cet ouvrage – contourner ou réaménager les éléments spatiaux sans altérer le sens de la tâche – est là mise à mal. En effet, surligner, coloriser ou séquencer les divers éléments d'une figure, faire tracer les figures par l'intermédiaire d'un logiciel peut rendre apparemment service à quelquesuns. Cependant, cela contribue rarement à faire En effet, il faut souligner que les textes officiels de l'Éducation nationale recommandent une utilisation raisonnée de la calculatrice, en fonction de la complexité des calculs auxquels sont confrontés les élèves. Or, pour un enfant dyspraxique, tout calcul posé est d'une complexité telle qu'il relève de l'usage de la calculatrice. Résolution de problème Pour résoudre un problème, il faut avant toute autre chose avoir lu et compris l'énoncé, ce qui peut se révéler déjà difficile pour certains enfants dyspraxiques et dyslexiques (cf. chapitre 5 : « Lire »). Dans ces cas-là, nous proposons le recours à un système de lecture vocale, par logiciel, tierce personne (cf. « Ouïe lire », p. 106)… Ensuite, il faut analyser les différents éléments de l'énoncé. Ces jeunes ne peuvent ni produire ni interpréter les dessins ou schémas qui, pour les autres élèves, favorisent une représentation efficiente du problème et soulagent leur mémoire de travail. 56 Souvent sous l'onglet « Développeur ». 136 Chapitre 7. Les mathématiques autrement a­ ccéder l'enfant au concept géométrique visé. Il est plus efficace de faire appel à une méthodologie essentiellement fondée sur le verbal et la manipulation mentale des propriétés géométriques des objets [12]57. En contrepartie de cette difficulté propre à la discipline, l'échec de l'enfant dyspraxique dans ce domaine est généralement plus facilement reconnu et même accepté. De ce fait, c'est certainement le domaine, et c'est heureux, où le moins d'entraînements, de cours de « rattrapage » et d'aides banalisées mal ciblées sont proposés. Cependant, en fonction de l'intensité et de la nature des troubles des traitements spatiaux, certains savoirs peuvent rester partiellement accessibles en utilisant des méthodes tenant compte du handicap spatial. Parfois, un handicap sévère contraint à s'orienter vers une section qui permet la dispense de la discipline (orientation littéraire ou vers les langues…). d'un carré, distinguer un triangle rectangle d'un triangle quelconque ou différencier médiatrices, médianes et hauteurs peut alors s'avérer difficile. L'exécution graphique (le dessin) des figures géométriques est généralement impossible. Dans les rares cas où elle peut s'avérer réalisable, il faut utiliser des instructions verbales séquentielles, les seules dont l'enfant peut tirer profit et qui peuvent servir de base à des apprentissages effectifs. Enfin, signalons que les symétries posent à certains de ces jeunes des problèmes totalement insolubles58. Utilisation des « outils » géométriques : règle, équerre, compas, rapporteur… Orienter et placer correctement l'instrument (souvent en alignant des origines ou le zéro) est une action qui réclame à la fois des compétences visuelles, praxiques et spatiales. C'est dire qu'il s'agit d'une tâche intrinsèquement très difficile, que les enfants dyspraxiques ne peuvent pas réaliser. C'est pourquoi trois choix seulement sont possibles : • renoncer et dispenser l'enfant de ces activités ; • utiliser un logiciel spécialisé ; • verbaliser de façon détaillée la procédure d'utilisation de chaque instrument [71, 12]. C'est l'intensité des troubles, la présence de troubles associés ou non, les capacités de compensation que l'enfant peut développer (compétences raisonnementales, linguistiques et mnésiques) et surtout le projet individuel de l'enfant en termes de projet scolaire (cf. p. 32) qui légitiment tel ou tel choix. Principes généraux Dans ce domaine, il faut toujours bien distinguer deux temps différents, en repérant quels sont les traitements spatiaux : • afférents, liés à l'analyse visuelle de la (ou des) figure(s) qu'il faut « lire », comprendre, commenter, copier ou transformer ; • efférents, impliqués dans la conception et la réalisation d'une figure qu'il faut réaliser, « dessiner », traitements qui font appel d'abord aux capacités de représentation mentale des objets géométriques, puis aux capacités de réalisation graphomotrice. Ainsi, la reconnaissance des figures géométriques simples et usuelles se fait souvent sans difficulté (dire s'il s'agit d'un carré, d'un triangle…) précocement. Mais ultérieurement, l'analyse visuelle des relations entre les différents éléments de la figure (topologie), l'interprétation perceptive de la longueur relative des segments (côtés égaux ou non, milieu d'un segment, etc.), l'appréciation de l'obliquité (diagonales, perpendiculaires, parallèles) posent problème. Dire, à partir d'une observation visuelle, s'il s'agit d'un losange ou 57 Adaptations et remédiations Stratégies verbales Il s'agit, comme nous l'avons montré à plusieurs reprises, de transformer des informations 58 Recherches en éducation, handicap et apprentissages scolaires : conditions et contextes ; no 23, octobre 2015 : http://www.recherches-en-education.net. 137 Les neurosciences cognitives ont montré [21] que le cerveau humain (comme celui de tous les grands primates) ne distingue pas initialement les éléments en miroir. Cette discrimination est le fruit d'un enseignement volontariste (de la maternelle au primaire), très lié à l'apprentissage de l'écrit, générant des réorganisations neuronales… lesquelles ne sont que très partiellement accessibles aux dyspraxiques. Partie II. Propositions thérapeutiques et mise en œuvre v­ isuo-spatiales, globales, holistiques en une suite séquentielle d'instructions verbales qui, elles, sont accessibles aux jeunes DVS. gies proposées par A. Crouail [71] et E. Petitfour [12] prennent là toute leur efficacité, préparant le jeune aux exigences du collège. Ultérieurement, ces jeunes peuvent être très intéressés (et relativement compétents) en géométrie analytique. Dans cette discipline, les aspects perceptifs et spatiaux passent tout à fait au second plan, au profit d'une description algébrique des propriétés des objets géométriques et de leurs relations. Les jeunes dyspraxiques peuvent alors traiter les problèmes séquentiellement, comme ils le feraient avec n'importe quel système d'équations. Si l'on pense que l'enfant peut bénéficier des enseignements dans ce domaine, alors les AESH (ou secrétaires), tout comme les enseignants, doivent eux-mêmes être entraînés à « décrire » les figures très précisément et de façon utilisable par ces jeunes, afin de leur permettre de s'en faire une représentation mentale (qui ne sera très probablement pas figurative, mais plutôt propositionnelle, cf. p. 95, 96 et figure 4.1) et d'en comprendre les propriétés. Des stratégies et logiciels spécifiques d'aide à la géométrie adaptés à la problématique du jeune peuvent donc lui rendre service, à condition qu'il puisse bénéficier d'un apprentissage efficace de leur utilisation, généralement avec son ergothérapeute et en lien étroit avec le professeur (ou au moins avec son assentiment). Cependant, il faut savoir que le langage « naturel » ne permet pas d'accéder avec assez de précision à la description précise et fonctionnelle des objets et concepts géométriques. Il faut donc développer et mettre au point – avec l'enfant – un vocabulaire adapté qui pourra réellement constituer un « outil » pour accéder (en partie) à la géométrie [12]. L'objectif est alors non d'obtenir des tracés satisfaisants, mais de permettre au jeune dyspraxique d'accéder au raisonnement, à la démonstration géométrique et à la logique propre à cette discipline. Les stratégies verbales, si elles sont bien préparées, précises et pertinentes, permettent de réaliser ou de concevoir un trajet, voire même d'analyser ou de décrire une figure simple. C'est également très souhaitable pour l'apprentissage par cœur des définitions et propriétés des divers objets géométriques : un élève dyspraxique peut savoir qu'« une bissectrice partage un angle en deux parties égales » sans pour autant être en capacité de la construire ni de la reconnaître. Ces savoirs (séquentiels) sont par ailleurs tout à fait indispensables pour utiliser avec profit les logiciels d'aide à la géométrie (cf. p. 139, 140). À l'adolescence, du fait de la maturation (en particulier des fonctions exécutives et de la mémoire de travail), certains jeunes dyspraxiques peuvent bénéficier de façon plus systématique des stratégies de contournement (verbalisation) ou palliatives (logiciels adaptés). En effet, les méthodes pédagogiques et les exercices font moins appel aux aspects perceptifs, mais beaucoup plus aux propriétés des objets géométriques. Les straté- Nous insistons sur le fait que l'objectif, pour ces jeunes, est rarement l'acquisition du programme prévu pour la classe : il faut, dans ce domaine, avoir des buts minimalistes, visant, lorsque c'est possible, les notions de base. Une partie de la remédiation proposée consiste à conforter ces enfants dans leurs connaissances théoriques et à leur apprendre à ne faire confiance qu'à leurs connaissances verbales, formelles et conceptuelles, et non à ce que leurs yeux voient ou croient voir. Ainsi, il faut prendre en compte le texte « ABC est un triangle rectangle en A », plutôt que l'interprétation visuo-spatiale de la figure où l'angle droit en A est représenté par un petit rectangle. Exemple Pauline (13 ans, intelligente, scolarisée en quatrième), regardant le triangle ABC assorti de la question « Que peux-tu dire du triangle ABC ? », répond : « ABC est un triangle particulier, car C est plus lourd, il est en bas » (sic !). Logiciels de géométrie Même si la fonction dessin de Word® peut suffire en tout début d'apprentissage pour des reproduc- 138 Chapitre 7. Les mathématiques autrement tions de dessins, il est important que les enfants dyspraxiques s'approprient tout de suite le logiciel qu'ils vont utiliser par la suite, tout au long de leur scolarité. Classiquement, nous utilisons Cabri II Plus®. Ce logiciel permet de réaliser l'ensemble des constructions géométriques et d'y associer des éléments de texte sur la même page, évitant ainsi des allers-retours avec un traitement de texte. De plus, ce logiciel est personnalisable, car de nombreux éléments sont paramétrables (aspect, taille, couleurs des points, droites, segments, etc., icônes de la barre d'outils, conservation d'une feuille de style propre à l'élève, nombreuses possibilités de symboles et d'écritures mathématiques, etc.). Il est indispensable de procéder à une analyse fine et détaillée de l'activité, de ses différentes composantes et de les mettre en corrélation avec les difficultés de l'enfant et son environnement, ce qui permet d'orienter les choix d'adaptation de manière fiable et pertinente. Apprentissage d'un logiciel de géométrie Lorsqu'il s'avère nécessaire de mettre en place un logiciel de géométrie, il faut procéder à un accompagnement rigoureux permettant à l'enfant d'apprendre à utiliser de façon optimale ce logiciel en situation scolaire. Il est souhaitable de commencer précocement, anticipant les premiers apprentissages en fonction des programmes scolaires. En effet, ces logiciels demandent une rigueur mathématique qui impose de connaître certains prérequis. Les concepts de base, les définitions et les propriétés des objets géométriques doivent être appris et maîtrisés. Il faut que l'enfant ait déjà compris et acquis certaines notions et le vocabulaire y afférant (droite, segment, demi-droite, parallèle, perpendiculaire…) avant de commencer l'apprentissage du logiciel. Au fur et à mesure des acquisitions scolaires, on montre à l'enfant comment réaliser les tracés avec le logiciel de géométrie choisi. Cet apprentissage peut être proposé en séance individuelle et de manière ludique dès 8–10 ans, selon les besoins. À ce stade, l'enfant trace des droites, segments ou autres, de telle sorte qu'au final la production réalisée soit figurative et ludique (représente une fusée, une maison par exemple ; figure 7.1). Ensuite, l'apprentissage du logiciel se fait en lien étroit avec la scolarité. L'enfant utilise ce logiciel pour réaliser des exercices de son manuel scolaire, en lien avec l'enseignant. À partir du collège, il peut être intéressant de mettre en place des groupes de travail permettant aux jeunes de se confronter les uns aux autres et de mieux comprendre et résoudre, en collaboration, leurs difficultés (cf. p. 125). Pour favoriser des acquisitions de qualité, il est préférable de mettre en place un logiciel adapté d'aide à la construction géométrique dès les premiers apprentissages de l'enfant. Le logiciel, en effet, ne doit pas avoir pour seul but de compenser la réalisation graphique des figures géométriques. Il n'a sa pleine utilité que si l'enfant a, préalablement, accès aux propriétés géométriques de la figure (grâce à la verbalisation et à ses représentations mentales, essentiellement propositionnelles). Exemple D'autres logiciels, comme la trousse géo tracé développée par l'INSHEA59, permettent de tracer les différentes figures géométriques en utilisant des outils similaires aux autres enfants (règle, équerre, compas…), mais apparaissant sur l'écran de l'ordinateur et manipulables via la souris de l'ordinateur. Cependant, cela ne résout en rien le problème d'analyse, de représentation d'orientation et de repérage spatial des enfants dyspraxiques. Ce logiciel est donc plutôt utile aux enfants souffrant d'une atteinte motrice ne perturbant que la réalisation, le tracé, le graphisme. Il faut donc être très vigilant dans les propositions et les choix des aides, certaines pouvant même constituer de véritables surhandicaps. Fiches de procédures 59 Nous proposons aux enfants des fiches de procédures de tracé des figures géométriques, afin : INSHEA : Institut national supérieur de formation et de recherche pour l'éducation des jeunes handicapés. 139 Partie II. Propositions thérapeutiques et mise en œuvre 8,0 cm Figure 7.1. Consigne : « Trace un carré de 8 cm de côté et, au-dessus, un triangle équilatéral, puis complète le dessin » (CE2). • de leur permettre d'utiliser le logiciel seuls ; • de s'entraîner aux auto-instructions verbales, de renforcer l'accès aux concepts géométriques et, le cas échéant, d'apprendre à dicter à un adulte secrétaire ; • et de favoriser l'automatisation des procédures. cliquer sur Distance ou longueur, puis sur le dernier point tracé et sur le point du segment qui est sur la même droite que lui ; cliquer sur Sélectionner et à nouveau sur le dernier point tracé, maintenir le clic et déplacer le point pour régler la distance demandée ; cliquer sur Segment et repasser tous les segments ; cliquer sur Cacher/montrer (dernière icône) et cliquer sur toutes les droites, mais pas les segments. Exemple de protocole de construction avec Cabri II Plus® (figures 7.2 et 7.3, cf. « Cahier couleur » en fin d'ouvrage) Pour tracer un rectangle : sélectionner Segment en cliquant sur la troisième icône Droite ; cliquer sur la feuille de dessin : Déplacer la souris ; cliquer une deuxième fois → trace le segment ; cliquer sur la neuvième icône Distance ou longueur ; cliquer sur le segment dessiné ; cliquer sur la première icône Sélectionner ; cliquer sur un des deux points, maintenir le clic et délacer le point pour régler la distance du segment comme demandé ; cliquer sur la cinquième icône Droite perpendiculaire ; cliquer sur le segment, puis sur un des « bouts » (extrémités) du segment ; cliquer à nouveau sur le segment, puis sur un des « bouts » (extrémités) du segment ; cliquer quelque part sur une des deux droites tracées, deux fois de suite ; 140 Points de vigilance • Toutefois, il ne faut pas vouloir à tout prix suivre le rythme de la classe, l'apprentissage de ce type de logiciel doit se faire selon la progression de l'enfant. En effet, ils sont très souvent en décalage (retard) par rapport à leurs camarades de classe au niveau des acquisitions géométriques. • Un grand soin doit être porté à l'accessibilité du logiciel proprement dit. En effet, beaucoup de ces enfants ont besoin d'icônes grossies, de paramétrage de couleurs et d'épaisseurs de tracé spécifiques leur permettant un meilleur repérage visuel et visuo-spatial sur l'écran. • En outre, ce type de logiciel requiert une certaine dextérité afin de tracer les figures demandées en respectant les consignes de taille, d'orientation. De plus, si l'ajout d'un périphérique s'avère nécessaire, il faut savoir en évaluer les contraintes (transport, branchements, etc.). Chapitre 7. Les mathématiques autrement Propriétés Points Mesure Lignes Texte et symboles Courbes Attributs Macros Transformations Constructions Manipulation Figure 7.2. Barre d'outils de Cabri II Plus® Cette figure est reproduite en couleur en fin d’ouvrage. Barre de titre Barre de menus Barre d’outils Barre d’attributs Fenêtre texte B A Zone de travail Sur ce cercle Fenêtre d’aide Barre d’état Figure 7.3. Cabri II Plus : copie d'écran ® Cette figure est reproduite en couleur en fin d’ouvrage. • Ces logiciels comportent certaines touches spécifiques (figure 7.2, cf. « Cahier couleur » en fin d'ouvrage), par exemple : médiatrice, bissectrice… Les enfants sont alors souvent tentés de les utiliser afin « d'aller plus vite, de gagner du temps ». Mais cela peut aller à l'encontre de ce qui est demandé, si l'objectif est de construire ces objets géométriques particuliers. Par exemple, si l'on demande de tracer la médiatrice du segment [AB], cela suppose que l'enfant applique un protocole de construction. Il doit tout d'abord tracer le milieu du segment, puis la droite perpendiculaire au segment passant par son milieu, et non pas utiliser la fonction Médiatrice du logiciel. La fonction Protocole de construction permet de visualiser les différentes étapes par lesquelles l'enfant est passé avant d'arriver à la figure finale. Ainsi, chacun (en particulier 141 Partie II. Propositions thérapeutiques et mise en œuvre l­'enseignant) peut vérifier l'adéquation des résultats à ce qui a été demandé, et surtout le raisonnement sous-jacent à la construction. Les logiciels de tracé de figures géométriques sont certes assez complexes mais également très complets. Surtout, ils respectent bien les concepts mathématiques. Ils nécessitent de réels savoirs géométriques pour tracer les figures de base, ce qui permet de s'assurer des apprentissages et des acquisitions de ces enfants en géométrie. Cependant, tout ne peut pas être sujet à compensation. Les limites des stratégies et des palliatifs décrits ici sont en rapport direct avec le handicap spatial (donner sa position, situer un objet par rapport à un autre, en évaluer l'orientation précise) : certains jeunes dyspraxiques peuvent alors être dispensés de géométrie. C'est le médecin qui doit lister précisément les éléments du programme dont l'enfant est dispensé. Ces éléments sont à communiquer aux différents intervenants dès le début de l'année scolaire et à détailler dans le PPS (cf. p. 173) et doivent être pris en compte pour les contrôles et les examens60. 60 142 Attention : certaines dispenses de disciplines, acceptées au décours des PPS et au long de la scolarité, ne peuvent cependant pas donner lieu à des dispenses lors des examens. C'est dire que l'on reconnaît que l'enfant, du fait de son handicap, ne peut pas accéder à telle ou telle discipline (tout comme le jeune handicapé moteur est dispensé de course ou de saut du fait d'une limitation ou impossibilité liée au handicap), mais cette limitation ou impossibilité n'est plus prise en compte au moment de l'examen… Il faut donc être très bien informé des possibilités réelles de dispenses – ou non – pour les examens, en fonction des instructions de l'année en cours (modifications fréquentes). Voir avec le médecin scolaire, l'enseignant référent, le médecin du rectorat et sur : http://eduscol. education.fr/cid52443/candidats-handicapes-tousexamens.html. Obstacles visuo-practospatiaux masqués et compensations Chapitre 8 L'enfant dyspraxique et les apprentissages © 2016, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés « Gardons-nous de sous-estimer la seule chose sur laquelle nous pouvons personnellement agir : la solitude et la honte de l'élève qui ne comprend pas, perdu dans un monde où les autres comprennent. » D. Pennac61 De nombreux supports, apprentissages, activités ou présentations contiennent, de façon masquée, des éléments visuo-practo-spatiaux dissimulés. Il ne viendrait à l'idée de personne de demander à un jeune se déplaçant en fauteuil roulant de faire du sport dans les mêmes conditions, avec les mêmes contraintes et le même équipement que tous les autres enfants de la classe. Or, c'est ce que l'on fait, à son insu, de façon involontaire et souvent en toute bonne foi, si l'on ignore ou néglige ces difficultés cachées, lorsqu'on demande à un enfant dyspraxique de réaliser certains apprentissages dans les mêmes conditions, contraintes et environnement que ses camarades de classe. Les difficultés d'un enfant dyspraxique se répercutent en effet dans l'ensemble des apprentissages : • d'une part, en classe, elles concernent toutes les matières, car elles infiltrent de façon évidente des compétences transversales (lecture, écriture, orthographe) qui ont des répercussions dans toutes les disciplines. À ce titre, elles justifient des adaptations systématiques que nous avons déjà envisagées (chapitres 3 à 7). Dans de nombreuses autres matières, on imagine, à tort, que le jeune dyspraxique peut « faire comme tout le monde ». C'est une erreur ; • d'autre part, certains éléments visuo-spatiaux infiltrent aussi de façon masquée le français, les mathématiques, mais encore l'histoire-­ 61 Pennac D. Chagrin d'école. Paris : Gallimard ; 2007. 143 géographie, les sciences… et sont alors susceptibles de générer un surhandicap à l'insu de tous. C'est l'objet de ce chapitre. Nous aborderons successivement chaque disci­ pline : après une mise en exergue des éléments invisibles qui perturbent les apprentissages de ces jeunes, nous proposerons une démarche d'analyse des différents supports pédagogiques. Nous l'appliquerons à titre d'exemple aux cartes, schémas, graphiques, dessins, photographies, images, tableaux et à la géométrie. Cependant, il est nécessaire et indispensable que l'ensemble des supports (manuels, documents pédagogiques…) soit analysé au regard des problèmes visuo-spatiaux des enfants. Cette démarche d'analyse est à généraliser et à utiliser aussi souvent que nécessaire. C'est à partir de ces outils d'analyse que nous exposons, au fil de notre propos, des suggestions d'aides et des exemples concrets. Ces adaptations doivent pouvoir permettre de réaliser les acquisitions scolaires de même niveau, dans les mêmes délais que leurs camarades (cf. p. 34), mais avec des supports (d'apprentissage, de contrôle et d'examen) accessibles. Il s'agit donc bien d'adapter la forme de surface et non le fond, le concept. Il est nécessaire de formaliser ces aménagements indispensables, en particulier via leur inscription au PAP ou au PPS. Partie II. Propositions thérapeutiques et mise en œuvre En français C'est essentiellement l'ergothérapeute qui met à disposition (du jeune, des enseignants, des parents) ses compétences d'analyse d'activités et de mises en situations écologiques pour faire des propositions pertinentes d'adaptations (des supports d'apprentissages, de l'environnement) afin d'optimiser la participation de l'enfant. En effet, de par sa formation, il peut, au décours des bilans pratiqués et de sa rééducation en situation individuelle, analyser finement les difficultés rencontrées, leur origine (gestuelle, visuelle, spatiale…) et essayer avec l'enfant différentes adaptations en fonction de ses troubles, mais aussi et surtout de ses capacités de compensation. Outre les difficultés en lecture et en écriture déjà abordées (chapitres 3, 5 et 6), certains objectifs pédagogiques de cette matière doivent être adaptés ou revus. Produire des textes Il faut sans cesse effectuer des allers-retours entre cette situation individuelle hyper-­ adaptée et la situation scolaire, au sein du groupe-classe. Il faut ensuite s'attacher à convaincre les différents partenaires (école, famille et le jeune lui-même) de leur nécessité. Il s'agit d'établir un véritable partenariat entre l'élève, l'enseignant, le rééducateur et la famille afin que l'ensemble des aides proposées réponde bien aux besoins spécifiques du jeune et à son projet personnel et scolaire. La réussite dans les apprentissages est un gage de pertinence des compensations proposées : les progrès ou bonnes notes de l'enfant ne doivent pas conduire à l'abandon de ces aménagements, mais doivent valider leur utilité et leur efficacité. Cela doit au contraire inciter à les pérenniser. Il ne s'agit donc pas ici de s'immiscer dans les programmes et la pédagogie des enseignants, mais au contraire d'essayer de trouver avec eux des adaptations de leurs supports pédagogiques (présentation des notions, activités proposées, mise en œuvre des contrôles…) afin de permettre à l'enfant dyspraxique de faire les mêmes acquisitions et les mêmes apprentissages que les autres enfants de sa classe. C'est clairement une démarche de compensation du handicap. 144 La dyspraxie a souvent des répercussions inattendues dans la production de textes (cf. p. 62). Dans ce domaine, également appelé « rédaction, expression écrite ou production d'écrits, puis commentaire de texte et dissertation », l'enfant dyspraxique est gêné aussi par l'aspect organisationnel et spatial de ce type d'exercice. Il faut non seulement trouver des idées, mais aussi les organiser et les hiérarchiser pour aboutir à un texte construit, respectant un plan et ayant du sens. L'aspect spatial de la rédaction est souvent méconnu ou sousestimé, il s'agit de la présentation du document fini : mise en pages, paragraphes, dialogue… En effet, un texte doit suivre des règles de présentation très spatiales : introduction avec retrait de paragraphe, saut de ligne entre chaque paragraphe et saut de plusieurs lignes entre deux parties, retrait à chaque paragraphe, lors d'une césure de mot, après la fin d'une syllabe et avec un tiret, etc. L'enfant dyspraxique est souvent gêné par cet aspect spatial. C'est pourquoi il faut souvent lui rappeler une liste d'instructions (cf. p. 170), par exemple : « Qu'écris-tu ? Une phrase ? un début de paragraphe… ? Comment vas-tu présenter cela ? », l'idée étant que les adultes entraînent les enfants de façon systématique à se faire eux-mêmes mentalement une liste d'auto-instructions (« Où en suis-je ? Je change d'idée, donc… c'est un nouveau paragraphe ? Alors, je dois… »). Les premiers temps, il faut que ce soit l'adulte qui les étaye dans cette démarche. Il ne faut pas attendre des exigences de rédactions, commentaires de texte ou dissertations pour prendre en compte les exigences spatiales de ces aspects rédactionnels. Ces méthodes doivent être donc mises en place précocement (dès le CM) et longuement entraînées, lentement complexifiées au fil des exigences scolaires. Pour certains cependant, dans l'incapacité de concevoir et de se représenter ces aspects spatiaux, il faut être tolérant… Chapitre 8. Obstacles visuo-practo-spatiaux masqués et compensations On peut aussi faire verbaliser toutes les idées, aider à leur regroupement et laisser ensuite le jeune « rédiger » les différentes parties correspondant aux regroupements d'idées. Il s'agit d'une « rédaction » orale. En effet, même sur l'écran de l'ordinateur, il s'agit d'un regroupement spatial que l'enfant peut avoir du mal à réaliser seul. Il est donc primordial que ces enfants apprennent à tirer parti d'un secrétaire pour toutes les activités scolaires nécessitant de la production de textes. Lorsque l'enfant bénéficie d'un AESH, celui-ci peut tenir ce rôle. Il est à noter que la quantité d'écrits augmente au fur et à mesure de la s­ colarité. toujours identiques afin que celles-ci puissent être apprises et appliquées par la suite. L'enfant remplit alors une sorte de formulaire vierge où il n'a plus qu'à inscrire ses idées (figure 8.1). Souvent, jusque vers le milieu ou la fin du collège, le jeune doit être aidé par l'adulte dans cette démarche. Nous leur proposons de lister toutes leurs idées dans un premier temps, puis de regrouper ensemble celles qui vont ensemble. Cette première étape est impérativement réalisée en dictée à l'adulte et enfin la rédaction du texte est réalisée dans le formulaire. Ces enfants vont donc avoir de plus en plus besoin d'un secrétaire, et ce alors même qu'ils ont progressé en indépendance fonctionnelle et en autonomie, du fait de la complexification des exigences spatiales sous-jacentes. Cela réclame une stratégie particulière de lecture, souvent inaccessible aux jeunes dyspraxiques (cf. p. 100). Il faut aider l'enfant par une procédure systématique : par exemple, souligner les mots clés ou idées « importantes » (sur indication de l'enfant lorsqu'il a lu ou écouté le texte), repérer les différentes parties du plan, masquer les digressions, les exemples et citations. Ensuite, l'enfant peut passer à la synthèse ou au résumé, après lui avoir demandé de reformuler le contenu, de le définir en une seule phrase, de lui donner un titre… Produire des résumés, des synthèses Cette notion contre-intuitive d'augmentation du besoin de secrétariat est très importante, car elle justifie le maintien et même l'accroissement du temps de présence de l'AESH afin de permettre à l'élève d'exprimer et d'exploiter tout son potentiel. Ne pas adopter la bonne présentation peut relever du handicap ou d'un non-savoir : dissocier les deux et comprendre sur quoi l'enfant a été réellement évalué nécessitent que les aides spécifiques soient bien mises en place. Étude d'œuvres littéraires Lorsque les élèves doivent étudier un texte, une œuvre littéraire, ceux-ci doivent le lire seuls, avec l'exemplaire recommandé par le professeur. On comprend que pour une utilisation de groupe, en classe, il est plus facile que tous les élèves disposent de la même édition du texte (même pagination, même version du texte…). L'enfant dyspraxique, dont la lecture est lente, laborieuse et fatigante, doit souvent utiliser un livre audio. Il est alors indispensable que le professeur, averti de cet impératif, choisisse l'édition papier correspondant à la version audio. Aujourd'hui, on trouve un bon nombre de livres audio à la Bibliothèque nationale de France. Il existe aussi des associations se proposant d'enregistrer un livre donné en version audio. De nombreux éditeurs proposent quant à eux des livres variés, destinés à tous les âges, existant sous forme de CD ou de fichier MP3. Fonction Formulaire Cette fonction permet de proposer une trame spatiale préétablie pour mettre en forme leur écrit sous une présentation respectant les standards habituels d'un texte (titre, organisation sous forme d'introduction/ différents développements/conclusion, retours à la ligne, organisation en paragraphes…). Ils peuvent ainsi réaliser leur écrit sous la forme séquentielle qui leur est souvent plus accessible, tout en ayant un rendu académique. Cette fonction ne peut être proposée qu'à des jeunes qui n'ont pas de grosses difficultés de lecture/relecture. Nous pouvons ainsi proposer aux enfants dyspraxiques des règles de procédures séquentielles 145 Partie II. Propositions thérapeutiques et mise en œuvre DUPONT Jules Cliquez ici pour entrer une date. 5e Rédaction Note Observations Introduction Il s’agit ici de présenter le sujet, ce dont on va parler. À la fin de cette partie, il faut présenter le plan de la rédaction donc nommer les parties qui vont suivre dans l’ordre. 1re partie – 1re grande idée Plusieurs idées complémentaires sont décrites. À chaque nouvelle idée, changer de paragraphe. 2e idée. 3e idée. 4e idée. 2e partie – 2e idée (souvent opposée à la première) Plusieurs idées complémentaires sont décrites. À chaque nouvelle idée, changer de paragraphe. 2e idée. 3e idée. 4e idée. 3e partie En général, on fait ici le bilan entre les idées de la 1re partie et celles de la 2e partie. On essaye de les mettre en relation les unes avec les autres. À chaque nouvelle idée, changer de paragraphe. 2e idée. 3e idée. 4e idée. Conclusion Il s’agit de terminer sa rédaction donc de trouver une idée qui résume (rassemble) toutes les autres idées de la rédaction en faisant un bilan. En fin de conclusion, on essaye de trouver une idée plus générale, plus vaste qui va dans le même sens que ce qu’on vient juste de dire. Figure 8.1. Exemple de présentation « formulaire ». Cette démarche suppose une certaine anticipation de la part de l'enseignant pour : • choisir les textes et œuvres à étudier dans ce vivier ; • enregistrer une version audio du livre si celuici n'existe pas encore sous forme numérique ou audio. S'il s'agit d'une version audio, il faut aussi anticiper, cette fois au niveau de chaque cours. L'enseignant doit dire aux parents ou à l'A ESH quel chapitre va être étudié en classe, afin qu'ayant repéré à combien de minutes ce chapitre est situé par rapport au début du livre (en fonction des paramétrages et de la vitesse de lecture habituels de l'enfant), il puisse préparer le matériel. En effet, la pagination est inutilisable et l'élève ne peut généralement pas faire seul, dans les temps impartis, cette recherche rapide sur le support audio. Lorsqu'il s'agit de faire une fiche de lecture, le choix est laissé à l'enfant de prendre un livre parmi ceux existant en livre audio ou numérique. Enfin, n'oublions pas que certains textes sont intrinsèquement peu accessibles aux enfants 146 Chapitre 8. Obstacles visuo-practo-spatiaux masqués et compensations ­dyspraxiques de par leurs importantes références ­spatiales (figure 8.2a et figure 8.2b). Dans ce cas, il faut accepter de renoncer : les jeunes dyspraxiques ne pourront jamais les appréhender dans leur entièreté avec tous les sous-entendus et les détails, construire des représentations mentales fidèles au texte. Ainsi, dans certaines situations « extrêmes » (du fait de leur lien direct et étroit avec le handicap), la prise en compte du handicap consiste en une dispense, ce qui n'empêche pas, bien au contraire, de penser, d'évoquer des solutions de compensation pour d'autres situations. Par compensation, il faut entendre remplacement, contournement, palliatif. Le texte est modifié ou un autre choix est fait, en faveur d'un autre texte avec aucunes (ou le moins possible de) références spatiales, laissant le jeune libre de montrer sa sensibilité, sa compréhension, son intérêt, ses savoirs, ses compétences, mais aussi, le cas échéant, ses limites. En mathématiques Cette matière est éminemment complexe pour les jeunes dyspraxiques, car en lien permanent avec leurs difficultés spécifiques, détaillées dans les chapitres 5 et 7. Mais il faut rester vigilant aussi sur des aspects plus généraux, moins directement mathématiques, qui peuvent pourtant générer des échecs inattendus. Il faut faire attention à la présentation des documents, favoriser une aération des exercices et, le plus souvent possible, ne faire apparaître qu'un seul exercice par page. Les adaptations Figure 8.2. Un texte descriptif, très spatial, de G. Perec. a. G. Perec. Les Choses, début du chapitre i. 147 Partie II. Propositions thérapeutiques et mise en œuvre Figure 8.2. Suite. b. Le « style interprétatif » de Christian Molinier. Issu du travail de Dagnac A. in Description et interprétation spatiale. Berne : Peter Lang ; 2005. p. 99–126. En histoire-géographie efficaces restent limitées. Nous préconisons donc un apprentissage différencié, en séance individuelle ou en groupe homogène. Certains jeunes ont pu ainsi prendre confiance en eux, acquérir et construire une base stable et solide du nombre. Ils ont commencé à prendre confiance en eux, à comprendre l'intérêt de décrypter un énoncé mathématique afin d'y répondre par la suite. Dès lors, ils ont pu montrer leurs réelles capacités d'analyse et de compréhension mathématiques, indépendamment de difficultés visuo-spatiales, ou de lecture/ écriture. 148 Dans cette discipline, nombreux sont les supports « toxiques » ou du moins inexploitables pour un enfant dyspraxique. En effet, les différents supports utilisés par cette discipline et dont les enfants doivent apprendre les significations, le décryptage afin de les réutiliser ultérieurement font appel à des compétences visuo-spatiales très complexes. Les cartes et plans nécessitent un bon repérage dans l'espace et sur la feuille (compétences spatiales, en particulier topologiques, capacités Chapitre 8. Obstacles visuo-practo-spatiaux masqués et compensations de coordination des espaces allo- et exocentrés). De plus, des compétences praxiques de type graphique sont mises en jeu pour effectuer des tracés, des dessins, compléments d'informations, légendes (figure 3.7, « Cahier couleur » en fin d'ouvrage). Dans d'autres activités, pourtant très habituelles dans ces matières, les difficultés visuo-spatiales sont moins évidentes et pourtant tout autant délétères : • les frises chronologiques nécessitent un excellent repérage visuo-spatial, sur lequel le repérage temporel est censé s'appuyer ; • les portraits et monuments célèbres nécessitent de bonnes gnosies visuelles, ainsi qu'un repérage visuo-spatial avec analyse et décodage de l'information. Ils sont inexploitables par les enfants ayant une agnosie des visages et/ou des images associées (cf. exemple, p. 165) ; • les drapeaux (figure 8.6, cf. « Cahier couleur » en fin d'ouvrage), eux, font appel à des compétences visuo-spatiales complexes avec un ordre précis et une orientation des bandes de couleur (horizontales, verticales, mais surtout obliques), très difficiles à interpréter pour la plupart de ces enfants. Pile Lampe Figure 8.3. Exemple de symboles. En sciences En sciences, nous retrouvons les difficultés liées aux schémas et graphiques, auxquelles s'ajoutent les éventuelles manipulations (expérimentations) et les dessins à réaliser et à légender. Il est très intéressant de faire travailler ces enfants en binôme en les laissant décrire ce qu'il faut faire à un autre élève ou à un adulte réalisant alors les manipulations et dessins sur indications de l'enfant. Pour les réalisations de schémas, par exemple en électricité (figure 8.3), on peut proposer de recourir à l'utilisation de gommettes représentant les différents éléments, symboles et icônes constitutifs du schéma, ce qui permet de s'assurer qu'ils en connaissent la signification et l'usage. On demande au préalable à l'enfant de nommer les symboles qu'il connaît, puis il dit à l'adulte ou à son binôme où et comment les disposer et quelles sont leurs relations fonctionnelles. Bien sûr, une description verbale de la signification de ces schémas, de leur fonctionnement, de leurs relations (selon les cas et les leçons) est indispensable, en complément. Il s'agit de stratégies qui doivent rester exceptionnelles, il est toujours préférable de les remplacer par un texte explicatif, plus facile d'accès pour ces enfants. Ce texte sert de support aux apprentissages et il est également utilisé comme moyen de restitution des notions lors des exercices et des contrôles. Il en est de même pour les graphiques et les dessins. Exemple Pour les drapeaux présentés sur la figure 8.6 (cf. « Cahier couleur » en fin d'ouvrage), il faut convertir l'information visuo-spatiale et la décrire assez simplement : • la France possède un drapeau à trois couleurs, représentées selon des bandes verticales (c'est-à-dire « debout ») bleue, blanche et rouge, disposées l'une à côté de l'autre dans le sens de lecture ; • les Pays-Bas possèdent un drapeau à trois couleurs, disposées en bandes horizontales (c'est-à-dire couchées), avec le rouge en haut, le blanc au milieu et le bleu en bas, etc. Dans quelques cas, il faudra savoir renoncer ponctuellement à ce type d'acquisitions. Dans la majorité des cas, il faut donc trouver d'autres supports permettant de véhiculer les mêmes informations. Adaptations de tous les supports Assez souvent, il est possible de remplacer ces documents visuo-spatiaux, en particulier les cartes, par un texte descriptif, ce qui correspond en général à la description dudit document faite en classe par le professeur. Cette compensation fait maintenant partie des aménagements envisageables lors des examens. pédagogiques De nombreux documents sont donc difficilement exploitables par les enfants dyspraxiques, les mettant en situation de révélation de leur handicap et non en situation d'apprentissage. 149 Partie II. Propositions thérapeutiques et mise en œuvre On ne demande pas à un enfant malvoyant de lire un texte littéraire dans le même format et la même collection que ses camarades, on comprend qu'il a besoin d'un texte aménagé (ou en braille). Mais ce handicap encore mal connu qu'est la dyspraxie est beaucoup plus difficile à appréhender. C'est pourquoi nous proposons d'aider au repérage de ces éléments souvent méconnus ou sous-­estimés mais délétères qui surhandicapent ces jeunes. Dans un premier temps, il est important de repérer et de lister les difficultés liées à un ­certain nombre de supports pédagogiques dont l'utilisation constitue un véritable surhandicap pour l'enfant en situation scolaire. Aération des supports Une présentation claire et aérée permet à l'enfant dyspraxique de mieux se repérer. Il est impératif de ne mettre qu'un seul exercice par page et d'espacer un peu plus les éléments les uns des autres : 1,5 ou double interligne et double espace, encadrement des photos, espacement et numérotation de ces dernières. Il faut associer cette présentation claire et aérée à une mise en relief des éléments pertinents : surlignage, écriture en couleur… Cela permet également à l'enfant de mieux se repérer, d'acquérir des automatismes pouvant se transférer ou se réutiliser ailleurs, donc d'être plus autonome. Le recours à un code couleur toujours identique (dans les différentes disciplines, mais aussi d'une année à l'autre) y contribue aussi. Nous conseillons de recourir à un code couleur classique : vert à gauche de la page, rouge à droite (symbolisant les deux extrémités des lignes à lire ainsi que le sens de lecture, cf. p. 83, 91, 119 et figures 3.4 et3.6, « Cahier couleur » en fin d'ouvrage). Si nécessaire, on peut ajouter des repères bleus en haut de la page et marron en bas (symbolisant les repères verticaux de la feuille et le sens de lecture : « du feu vert vers le feu rouge, du ciel vers la terre »). Quelques pistes générales et globales, facilitatrices, permettent d'aborder une démarche spécifique d'analyse d'activité, généralisable à toutes sortes de supports et transférable à d'autres types de handicap en modifiant ou complétant les items. Cela aboutit à une adaptation personnalisée de toutes sortes de supports (documents, activités, contrôles…), issue d'une réflexion commune des différents acteurs autour de la scolarité de l'enfant. Pistes générales Présentation des supports Comment analyser les échecs en situation scolaire ? Il faut éviter au maximum les manipulations et la multiplicité des supports, ceci étant inefficace, coûteux et non porteur de sens. Dans tous les cas où les photocopies sont indispensables, elles doivent être de bonne qualité, aérées afin de faciliter le repérage de l'enfant (cf. p. 183). Il ne faut pas hésiter à recourir au surlignage en couleur des informations essentielles. De plus, dans la mesure du possible, il est préférable de scanner tous les documents remis à l'enfant pour permettre des aménagements de présentation et afin que le jeune puisse les exploiter directement sur son ordinateur. Les supports, tout comme les différents documents rendus ou utilisés par l'enfant, doivent être tous présentés de la même façon. Cela permet aux enfants dyspraxiques de se repérer plus facilement et, progressivement, de pouvoir réaliser seuls tout ou partie du travail, puisque la présentation est identique quelles que soient la matière et l'activité. Pour comprendre ce qui met en échec cet enfant dans telle ou telle tâche scolaire, il faut croiser deux types d'analyses : • analyser les difficultés de l'enfant dyspraxique et ses capacités, afin de s'appuyer sur ses réelles compétences pour pallier ses difficultés ; • analyser les tâches scolaires proposées et essayer de dégager le fond, c'est-à-dire l'objectif, l'apprentissage pédagogique visé, de la forme, c'està-dire la présentation, le support de l'activité. Par la suite, il est capital d'essayer de voir dans chaque domaine si l'activité scolaire envisagée fait appel plus particulièrement ou non à ses compétences déficitaires, et ce de manière prégnante ou non. Ceci permet de personnaliser et de graduer au mieux les compensations proposées. L'ergothérapeute, par ses compétences dans le domaine de l'analyse fine et détaillée d'activité d'une part et ses connaissances sur les capacités praxiques et spatiales de l'élève d'autre part, peut 150 Chapitre 8. Obstacles visuo-practo-spatiaux masqués et compensations Ci-dessous, le tableau tel qu’il est donné en classe : Indicateurs Mali Tunisie Afrique France du Sud Revenu par habitant par an PIB/hab. (dollars) 810 6 390 11 290 23 990 Mortalité infantile (en %) Espérance de vie (en années) 126 23 57 6 48 72 51 78 Taux d’alphabétisation des adultes (en %) 26 62 85 99 Ci-dessous, le tableau est remplacé par un « texte » recensant etdécrivant toutes les données du tableau : Mali : – le revenu par habitant par an, PIB/hab. (dollars) 810 ; 126 ; – mortalité infantile (en%) – espérance de vie (en années) 48 ; – taux d’alphabétisation des adultes (en %) 26. Tunisie : – le revenu par habitant par an, PIB/hab. (dollars) 6 390 ; – mortalité infantile (en %) 23 ; – espérance de vie (en années) 72 ; – taux d’alphabétisation des adultes (en %) 62. Afrique du Sud : – le revenu par habitant par an, PIB/hab. (dollars) 11 290 ; – mortalité infantile (en%) 57 ; – espérance de vie (en années) 51 ; – taux d’alphabétisation des adultes (en %) 85. France : – le revenu par habitant par an, PIB/hab. (dollars) 23 990 ; – mortalité infantile (en%) 6 ; – espérance de vie (en années) 78 ; – taux d’alphabétisation des adultes (en %) 99. Figure 8.4. Adaptation d'un tableau à double entrée utilisé en histoire-géographie. D'après le groupe de réflexion à l'initiative de C. Ropars, 2008, coordinatrice de l'UPI Saint-Blaise, 75020. constituer le pilier de ce travail. En effet, il peut assez facilement dégager, en lien avec l'enseignant, pour toute tâche scolaire : • les prérequis indispensables, en termes de connaissances et de concepts ; • les manipulations à effectuer, c'est-à-dire les compétences practo-spatiales à l'œuvre ; • les repérages spatiaux à faire ; • les traitements visuels en jeu. La création d'une grille d'analyse permet de mettre en évidence simultanément les adaptations requises (ou indispensables) en fonction de l'activité pédagogique concernée et les difficultés spécifiques de l'enfant. Grille d'analyse des supports pédagogiques et des activités scolaires Cf. figure 8.4 et figures 3.7 et 3.8 et tableaux 8.1– 8.6 et 8.7–8.8, « Cahier couleur » en fin d'ouvrage. Cette grille d'analyse se révèle très pertinente lorsque l'échec de l'enfant reste incompris, par exemple lorsque l'enfant reçoit une mauvaise note à un contrôle, alors qu'à l'oral il semblait avoir compris et/ou appris sa leçon. Cela permet de mieux comprendre que ce n'est pas le fond de l'activité scolaire, c'est-à-dire l'accès au sens, à la signification, au concept, 151 Partie II. Propositions thérapeutiques et mise en œuvre Figure 8.5. Présentations visuo-spatiales inadaptées. a. Contrôle de mathématiques en CE2 (cf. aussi figures 4.4 et 4.7).b. Contrôle en BEP comptabilité. Yvrard P. Perfectionnement au calcul CE2 : coloriages codés. Paris : MDI ; 2006., Arnoldi JC, Van Assche G. Activités commerciales et comptables par la pratique : BEP 2de professionnelle. Paris : Foucher ; 2001. 152 Chapitre 8. Obstacles visuo-practo-spatiaux masqués et compensations 153 Partie II. Propositions thérapeutiques et mise en œuvre a b c Figure 8.6. Les drapeaux, un problème d'analyse spatiale. a. France ; b. Pays-Bas ; c. Ex-Yougoslavie. Cette figure est reproduite en couleur en fin d'ouvrage. Figure 8.7. Document initial. http://www.cartesfrance.fr/carte-france-ville/carte-france-villes.html. Cette figure est reproduite en couleur en fin d'ouvrage. à l'­apprentissage de la notion, qui pose problème, mais bien la forme, c'est-à-dire le type de support et sa nature même qui le met en situation d'échec. Cela débouche donc aussi sur une meilleure appréhension du type d'aide qui sera efficace selon la situation, sans dénaturer les objectifs pédagogiques. 154 Chapitre 8. Obstacles visuo-practo-spatiaux masqués et compensations Cette démarche constitue l'essence d'un PAP ou d'un PPS réellement utile pour l'enfant. La grille proposée constitue une des formes possibles de restitution. Cette grille, utilisable pour tout support, généralisable, permet de proposer des adaptations réalisables qui respectent totalement les choix pédagogiques de l'enseignant, en adéquation avec les particularités de l'enfant, mais aussi avec son environnement. De quoi s'agit-il ? Car la situation de handicap résulte toujours de cette confrontation entre les facteurs personnels et les facteurs environnementaux. L'utilisation de cette grille d'analyse permet d'isoler et de lister les compétences visuopracto-spatiales sollicitées par l'activité, de les comparer aux compétences réelles dont dispose l'enfant afin d'en déduire les domaines où les adaptations des supports pédagogiques sont nécessaires. Le fait de « décortiquer » l'ensemble des compétences visuelles, praxiques, spatiales, organisationnelles de lecture et d'écriture sollicitées par l'activité permet de mieux comprendre toutes les composantes (souvent méconnues, négligées ou sous-estimées) indispensables pour réaliser l'activité. La mise en parallèle avec les compétences réelles de l'enfant met en exergue les domaines où il est de toute façon en échec lors de la réalisation de l'activité, indépendamment de ses compétences scolaires. Adopter une telle grille permet de comprendre et d'anticiper ce qui met l'enfant en difficulté dans l'activité et de réfléchir et de proposer des adaptations ciblées et pertinentes. Vignette clinique Prenons l'exemple de Jules, 10 ans, scolarisé dans son école de quartier en CM2, avec présence d'un AESH à temps plein. Jules est un enfant d­ 'intelligence normale, présentant une dyspraxie développementale, associée (comme c'est habituel) à des difficultés à orienter précisément son regard et à calibrer finement ses saccades. Au niveau praxique, il est gêné dans l'ensemble des activités, ne peut pas s'habiller seul, ne peut écrire que quelques lettres bâtons maladroitement dessinées. Il a quelques difficultés à se repérer dans l'espace et à situer les objets les uns par rapport aux autres. De plus, Jules est très gêné dans l'organisation de toutes les activités. Il ne sait pas comment s'organiser, choisir les bons outils… À l'école, il suit tous les cours avec sa classe et est suivi en rééducation sur les temps extrascolaires, à raison d'une séance d'ergothérapie (dyspraxie visuo-spatiale) et de deux séances d'orthophonie par semaine (dyslexie visuo-attentionnelle, cf. p. 100). En géographie, il doit apprendre quelles sont les quinze principales villes de France et savoir les situer sur une carte. En utilisant la grille d'analyse des supports pédagogiques et des activités scolaires (tableau 8.1), les difficultés spécifiques, inhérentes au handicap de Jules apparaissent clairement, mises directement en rapport avec certains des aspects de la tâche demandée. C'est à ces intersections que les adaptations pédagogiques sont nécessaires pour permettre à Jules de faire l'apprentissage de cette leçon comme les autres. Au vu de cette grille, il est clair que Jules va être gêné à la fois pour se repérer sur le support utilisé, s'emparer des informations, mais aussi pour le compléter, faire l'exercice. Dans le cas où la carte ne peut pas être supprimée ou remplacée par une verbalisation descriptive (cf. p. 159 et figure 3.7, « Cahier couleur » en fin Pourquoi ? Il s'agit de faciliter le dialogue soins-école et de renforcer le partenariat entre les différents intervenants auprès de l'enfant. En effet, l'utilisation de cette grille commune matérialise l'intersection entre les difficultés de ­l'enfant – liées à son handicap –, notées dans la colonne centrale remplie par le secteur médico-rééducatif, et les impératifs scolaires, les contraintes liées aux documents et supports habituellement utilisés. Cela permet de confronter les répercussions scolaires de la dyspraxie, vécues quotidiennement par l'enfant et l'enseignant, à la connaissance du handicap de l'enfant. Une colonne « commentaires » permet de noter les observations concrètes, faites en situation écologique, qui débouchent sur des ajustements des adaptations initialement prévues. 155 Partie II. Propositions thérapeutiques et mise en œuvre Tableau 8.1. Grille d'analyse des supports pédagogiques et des activités scolaires. Titre de la leçon : les principales villes de France. Compétence(s) testée(s) ou à acquérir : connaître les 15 principales villes de France. Nature du document : carte Compétences requises Difficultés de l’enfant Adaptations à prévoir Commentaires Compétences neurovisuelles Regard (organisation, stratégie, repérage) XXX couleurs, cache X AVS ou secrétaire XX AVS, secrétaire ou carte déjà préparée XXX verbalisation X AVS ou secrétaire Perception (images, visages, signes conventionnels) Champs visuels Autres Compétences praxiques Utilisation d’outils (gomme, ciseaux, règle…) Manipulations (jetons, activité manuelle…) Reproductions de gestes Dessin, graphisme, coloriage Compétences spatiales Topologie (situer un item par rapport à d’autres) Orientation propre (obliques, flèches…) Compétences organisationnelles Cartable, trousse Cahier de textes, classeur, photocopies Emploi du temps, gestion des tâches Ordinateur Écriture AVS, secrétaire ou étiquettes préparées Rapidité Lisibilité (nombre de lignes/nombre total) XXX Fatigabilité (nombre de lignes) X couleurs Code : X Compétence peu sollicitée XX Compétence moyennement sollicitée XXX Compétence très sollicitée Pas de difficulté dans ce domaine (en vert) Quelques difficultés (en orange) Nombreuses difficultés (en rouge) Domaine nécessitant une ou plusieurs adaptations 156 Chapitre 8. Obstacles visuo-practo-spatiaux masqués et compensations d'ouvrage), il faut aider Jules à la remplir : écrire à sa place, lui proposer des étiquettes-réponses et les coller aux endroits qu'il désigne, en l'aidant à se repérer. Il faut également adjoindre à la carte un texte explicatif et descriptif de cette dernière. Mais le plus pertinent est encore de proposer à Jules d'apprendre (verbalement) quelles sont les quinze principales villes de France et leur localisation par le recours à un texte ou à un listing de ces villes et à une description grossière de leur localisation et surtout de leurs principales caractéristiques. Par exemple, en fonction des priorités définies par l'enseignant, on se centre sur une description orale plus fonctionnelle (géographique, économique ou politique) : les indications données à l'enfant doivent s'appuyer sur le cours et les renseignements donnés par l'enseignant. rés comme « inexploitables » (carte, schéma, graphique, tableau, photographie, image, manipulation/travaux pratiques, dessin/géométrie). Ce travail d'analyse doit également être explicité à l'enfant pour qu'il puisse en être lui aussi acteur. Cela permet de lui faire comprendre, et accepter, les raisons de certaines adaptations. Il en est de même auprès des enseignants et des AESH, en charge de la mise en œuvre de ces adaptations. Pour les exemples suivants, nous considérons des enfants « fictifs » pour lesquels nous avons rempli la colonne centrale (difficultés de l'enfant) de façon réaliste. Bien sûr, cette colonne est à personnaliser avec précision pour chaque enfant. Carte (tableau 8.2) Exemples de verbalisation Voir figure 8.7 dans le cahier couleur en fin d'ouvrage Document modifié sous forme de texte (à partir des commentaires oraux du professeur) Paris est la première ville de France, c'est la capitale du pays. Sa population intra-muros est de plus de 2 millions d'habitants. Mais l'agglomération de Paris s'est largement développée hors des limites de la commune et son aire urbaine, qui inclut l'agglomération et la couronne périurbaine (banlieues), comprend près de 12 millions d'habitants. La ville de Paris est découpée en vingt arrondissements qui se répartissent en forme d ­ 'escargot depuis le Ier arrondissement au centre de la ville… Lille est la préfecture du département du Nord et le chef-lieu de la région Nord-Pasde-Calais. Elle se situe au nord du pays, à proximité de la Belgique. Elle compte 226 000 habitants intra-muros, mais elle est le centre administratif et économique d'une vaste zone urbaine et périurbaine qui regroupe 85 communes et compte 1,1 million d'habitants… Etc. Situations scolaires habituelles d'exploitation de cette grille Cette grille permet en particulier de mettre en évidence quelles sont les différentes composantes neuropsychologiques mises en œuvre lors de l'utilisation de supports pédagogiques considé- 157 Partout où, sur une même ligne, coexistent les symboles XX ou XXX conjugués à une difficulté ou à une impossibilité de l'enfant (en gris ou en quadrillé noir), des compensations seront indispensables. On voit là, en un coup d'œil, l'influence négative pour cet enfant : • des troubles neurovisuels, qui ont une incidence sur l'exploration même que cet enfant peut faire de ce matériel. Ne pouvant tout explorer ni poser son regard sur tous les éléments, il ne peut ni remplir, ni utiliser, ni s'approprier ce type de support. Il faut reconvertir au mieux les données visuelles et topologiques en une description verbale ou un texte ; • des troubles praxiques, puisqu'on mobilise les possibilités de coloriage, de graphisme et d'écriture de l'enfant ; • des troubles spatiaux, en particulier en ce qui concerne la topologie (situation relative d'un élément par rapport à d'autres). Les difficultés de repérage topologique empêchent l'enfant de se repérer dans ce type de support. Il ne peut pas reconnaître et isoler les différents éléments, remplit sa carte « au hasard ». Si la carte est un support à l'apprentissage, alors l'enfant est gêné et cela perturbe ses connaissances académiques ; • d'un travail demandé en temps limité, qui risque d'aggraver le trouble graphique. Le support de carte ne peut pas être rempli correctement et n'est pas exploitable par la suite si les possibilités d'écriture manuscrite de l'enfant sont très limitées. L'enfant ne pouvant pas se relire et disposant d'un support peu attrayant (car mal rempli du fait de sa dyspraxie) ne peut ni utiliser ni s'approprier ce type de support. Partie II. Propositions thérapeutiques et mise en œuvre Tableau 8.2. Analyse du support pédagogique : « carte ». Compétences Difficultés Adaptations requises de l’enfant à prévoir Commentaires Compétences neurovisuelles Regard (organisation, stratégie, repérage) XXX Exploration du document par une tierce personne Soulager Arthur et lui décrire ce qui est représenté. X Dispense Une tierce personne complète la carte pour Arthur et rédige un texte descriptif correspondant à l’explication donnée par l’enseignant en classe. XX Dispense Perception (images, visages, signes conventionnels) Champs visuels Compétences praxiques Utilisation d’outils (gomme, ciseaux, règle…) Manipulations (jetons, activité manuelle…) Reproductions de gestes Dessin, graphisme, coloriage Compétences spatiales Topologie (situer un item par rapport à d’autres) XXX Orientation propre (obliques, flèches…) X Changer de support : texte explicatif Proposer à Arthur un texte comprenant toutes les notions de la leçon. Dispense Recours à une tierce personne Écrire à sa place ou ordinateur. Compétences organisationnelles Cartable, trousse Cahier de textes, classeur, photocopies X X Emploi du temps, gestion des tâches Séquentialisation, sériation des idées Ordinateur X Écriture Rapidité Lisibilité (nb de lignes/nb total) X XXX Fatigabilité (nb de lignes) X 158 Chapitre 8. Obstacles visuo-practo-spatiaux masqués et compensations Le support de carte sera « toxique » pour Arthur qui présente des troubles neurovisuels, gnosiques, praxiques et de repérage topologique : • les troubles neurovisuels (c'est-à-dire d'organisation du regard) ont une incidence sur l'exploration du matériel que peut faire Arthur. Ne pouvant tout explorer ni poser son regard sur tous les éléments, il ne pourra ni remplir, ni utiliser, ni s'approprier ce type de support sans être en grande difficulté et y épuiser ses ressources attentionnelles ; • les difficultés praxiques perturberont les possibilités de coloriage, de graphisme et d'écriture. Le support de carte ne pourra pas être rempli correctement et ne sera pas exploitable par la suite ; • les difficultés de repérage topologique empêcheront Arthur de se repérer dans ce type de support. Il ne pourra pas correctement reconnaître et isoler les différents éléments et remplira sa carte « au hasard ». Si la carte est un support à l'apprentissage, alors il sera gêné et cela perturbera ses connaissances académiques. Il est préférable qu'Arthur fasse ses apprentissages avec un texte explicatif correspondant à la description de la carte par l'enseignant pendant le cours. Au niveau des examens, des aménagements sont possibles. Il peut être dispensé de carte, au profit d'un paragraphe argumenté. et, avec l'aide de l'AESH, les déposer aux emplacements voulus. Au niveau des examens, des aménagements en ce sens sont possibles. Exemple de contournement (partiel) par la verbalisation (figure 3.7, cf. « Cahier couleur » en fin d'ouvrage) Proposition d'adaptation de la carte en transposant les informations visuelles fournies par la carte par des informations verbales (thème : l'Afrique) : � l'Afrique est un des cinq continents. L'Europe est située au nord de l'Afrique, l'Asie à l'est, l'Amérique à l'ouest et l'Antarctique au sud ; � l'Afrique est traversée par le tropique62 du Cancer, l'Équateur, le tropique du Capricorne. Le méridien de Greenwich croise la partie ouest de l'Afrique. L'Afrique est bordée à l'ouest par l'océan Atlantique, à l'est par l'océan Indien, au nord par la mer Méditerranée et la mer Rouge au nord-est, séparant l'Égypte et le Soudan de l'Arabie saoudite ; � les reliefs de l'Afrique sont majoritairement constitués de plateaux et de plaines. Au nord et au sud, on rencontre des chaînes de montagnes. À l'est, le plateau africain est parcouru par de longs fossés (les rifts), bordés de volcans. À l'ouest, on trouve des cuvettes drainées par de grands fleuves. Les contraintes d'altitude ne sont importantes que dans le Maghreb, l'est et le sud-est. En zone tropicale, les hautes terres constituent des milieux attractifs pour l'homme qui peut pratiquer l'agriculture. Enfin, les littoraux sont peu découpés et n'offrent des débouchés maritimes qu'à peu de pays. Schémas, graphiques (tableau 8.3) L'utilisation des schémas et graphes peut être perturbée non seulement, comme précédemment, par les troubles de l'organisation du regard et les anomalies des traitements spatiaux, mais aussi parfois par la reconnaissance des images, visages ou signes conventionnels présents sur le schéma ou le graphique. Ainsi, nous notons sur la grille l'importance dans cette activité : • de l'exploration visuelle correcte de l'ensemble du matériel ; • du traitement neurovisuel (décodage gnosique de l'information), qui doit être parfait pour permettre l'accès au sens ; • des tableaux et graphiques nécessitant un bon repérage visuo-spatial (lignes/colonnes, flèches, courbes…). Plusieurs types d'aides peuvent être apportés. Il peut s'agir d'une aide à la lecture du schéma/graphique en isolant les différents composants les uns après les autres. Dans ce cas, une tierce personne est nécessaire afin de déplacer un « cache » (fenêtre de lecture) permettant à l'enfant de n'observer les éléments qu'un par un. Parfois, la mise en couleur des éléments peut suffire à faciliter la lecture et la compréhension. Pour d'autres, il faut encourager un savoir « propositionnel », verbal, formel, concernant la notion visée. Certains sont tellement gênés qu'il faut accepter de renoncer à ce type de supports. On peut aussi, simultanément, donner à l'élève des étiquettes avec les indications déjà écrites (méridien, tropiques, noms des différents pays) 62 On supposera que ces termes ont été expliqués verbalement au jeune… 159 Partie II. Propositions thérapeutiques et mise en œuvre Tableau 8.3. Analyse du support pédagogique et des activités scolaires : « schéma, graphique ». Compétences requises Difficultés de l’enfant Adaptations à prévoir Commentaires Exploration du document par une tierce personne Soulager Arthur et lui décrire ce qui est représenté. XX Dispense XX Dispense Une tierce personne complète le schéma pour Arthur et rédige un texte descriptif correspondant à l’explication donnée par l’enseignant en classe. XX Changer de support : texte explicatif Proposer à Arthur un texte comprenant toutes les notions de la leçon. Dispense Recours à une tierce personne Écrire à sa place ou ordinateur. Compétences neurovisuelles Regard (organisation, stratégie, repérage) XXX Perception (images, visages, signes conventionnels) XX Champs visuels Compétences praxiques Utilisation d’outils (gomme, ciseaux, règle…) Manipulations (jetons, activité manuelle…) Reproductions de gestes Dessin, graphisme, coloriage Compétences spatiales Topologie (situer un item par rapport à d’autres) Orientation propre (obliques, flèches…) Compétences organisationnelles Cartable, trousse Cahier de textes, classeur, photocopies X X Emploi du temps, gestion des tâches Séquentialisation, sériation des idées Ordinateur X Écriture Rapidité X Lisibilité (nb de lignes/nb total) Fatigabilité (nb de lignes) XX Les schémas et graphiques sollicitent beaucoup de compétences visuo-spatiales, déficitaires chez Arthur, qui vont perturber l'utilisation de ce type de support. Pour pouvoir lire un graphique ou un schéma, il faut nécessairement pouvoir explorer le matériel correctement et efficacement. De plus, les tableaux et graphiques nécessitent un bon repérage visuo-spatial (lignes/colonnes, flèches, courbes…). Plusieurs types d'aides peuvent être apportés : • dans tous les cas, il faudra privilégier une bonne qualité de reproduction graphique avec un agrandissement au format A3, un contraste élevé. 160 Chapitre 8. Obstacles visuo-practo-spatiaux masqués et compensations Il peut s'agir d'une aide à la lecture du schéma/graphique en isolant et décrivant les différents composants les uns après les autres. Cela n'est possible que si le document est d'une très bonne qualité de reproduction graphique et agrandi au format A3. La mise en couleur des éléments peut faciliter la lecture et la compréhension. Parfois, la gêne sera trop importante et il faudra alors penser à remplacer ce support par autre chose ; • certains schémas ou graphiques peuvent relativement facilement être remplacés par un texte descriptif et explicatif. Par exemple, en sciences, Arthur pourra avoir comme support à la leçon sur le fonctionnement du cœur un texte explicatif, mais pas le schéma de synthèse que ses camarades auront. Lors des évaluations, si la lecture de ce type de documents est une épreuve en soi, Arthur doit alors solliciter l'adulte pour que celui-ci lui décrive les éléments qu'il demande. Il doit s'agir des éléments nécessaires à l'élaboration de son analyse (c'est donc bien Arthur qui définit par sa demande les éléments nécessaires). Ensuite, Arthur peut en faire une analyse et une interprétation. • l'utilisation de tableaux requiert des capacités d'organisation du regard et de stratégie visuelle souvent déficitaires chez l'élève dyspraxique. En effet, il faut balayer, régulièrement et bien linéairement en lignes et en colonnes, l'ensemble du tableau, puis chaque élément isolément, pour en décrypter le sens et en extraire les informations pertinentes. Les enfants dyspraxiques ayant des difficultés neurovisuelles doivent, eux, c­ ontrôler en permanence le mouvement de leurs yeux lors de cette tâche : l'enfant épuise ses ressources attentionnelles dans le laborieux contrôle du mouvement de ses yeux (double tâche, cf. p. 21) et n'est plus disponible ensuite pour exploiter le tableau, le comprendre, en mémoriser les éléments importants, etc. En outre, ils échouent fréquemment à prendre les bonnes informations, passant sans s'en rendre compte d'une ligne à l'autre ou d'une colonne à la voisine. Cet aspect des difficultés du jeune dyspraxique est d'autant plus méconnu que les tableaux sont habituellement proposés pour simplifier la prise d'information, en ­faciliter l'accès ; • les tableaux nécessitent également de bonnes capacités topologiques afin de pouvoir situer les éléments les uns par rapport aux autres et les corréler ensemble. Pour utiliser et lire un tableau, il faut effectivement repérer l'élément à l'intersection d'une ligne et d'une colonne afin de pouvoir comprendre qu'il appartient tant à la ligne qu'à la colonne. L'enfant dyspraxique est dans l'incapacité d'effectuer ce travail de « synthèse topologique ». Le tableau est alors quasiment inexploitable (cf. p. 87) ; • à ces aspects visuo-spatiaux, il faut également ajouter l'aspect praxique d'utilisation d'outils, certes dans une moindre mesure, mais qui peut être très important si l'on demande aux enfants de tracer eux-mêmes le tableau. De même, l'écriture dans le tableau doit être Exemple : schéma en SVT, en biologie Certains schémas ou graphiques (cf. tableau 8.8, « Cahier couleur » en fin d'ouvrage) peuvent relativement facilement être remplacés par un texte descriptif et explicatif. Les explications orales du professeur durant la leçon (et/ou du manuel) servent de supports à la construction du discours descriptif. Dans le cas de la figure 3.8 (cf. « Cahier couleur » en fin d'ouvrage) distribuée à l'ensemble de la classe, celle-ci pourrait être remplacée par le texte suivant : « Au niveau de l'alvéole pulmonaire, des échanges gazeux ont lieu : de l'air riche en O2 est expulsé (pour aller oxygéner les différents tissus de l'organisme), tandis qu'arrive de l'air pauvre en O2 pour y être ­oxygéné. » Nous avons eu l'exemple d'un jeune qui, passant son baccalauréat, option sciences de la vie et de la Terre, a eu comme sujet « le cœur », l'objectif étant de réaliser un schéma. Ce jeune a écrit sur sa copie : « Mon handicap ne me permet pas de réaliser un schéma, mais je vais vous décrire le fonctionnement du cœur. » Il a ensuite répondu à la question par un texte argumenté et a obtenu la note méritée. Cet exemple montre non seulement que les compensations peuvent se faire de manière efficace en ce qui concerne l'accès aux savoirs, mais aussi que les jeunes eux-mêmes, grâce à ces stratégies, apprennent à se connaître, savent ce qu'ils peuvent ou non aborder et exploiter. Ils sont alors capables de faire face à une difficulté imprévue et de s'en expliquer vis-à-vis de personnes ignorant tout de leur handicap. Tableau à double entrée (tableau 8.4) Cette grille met à jour l'ensemble des difficultés du jeune face à cette présentation des d ­ onnées : 161 Partie II. Propositions thérapeutiques et mise en œuvre Tableau 8.4. Analyse des supports pédagogiques et des activités scolaires : « tableau ». Compétences requises Difficultés de l’enfant Adaptations à prévoir Commentaires Exploration du document par une tierce personne Soulager Alexandre et lui décrire ce qui est représenté. Changerde support: texte explicatif Adapterle support : « éclater » le tableau Proposer à Alexandre un texte comprenant toutes les notions de la leçon. Dispense Recours à une tierce personne Écrire à sa place ou ordinateur. Compétences neurovisuelles Regard (organisation, stratégie, repérage) Perception (images, visages, signes conventionnels) Champs visuels XXX X Compétences praxiques Utilisation d’outils (gomme, ciseaux, règle…) XX Manipulations (jetons, activité manuelle…) Reproductions de gestes Dessin, graphisme, coloriage X Compétences spatiales Topologie (situer un item par rapport à d’autres) XXX Orientation propre (obliques, flèches…) Compétences organisationnelles Cartable, trousse Cahier de textes, classeur, photocopies X X Emploi du temps, gestion des tâches Séquentialisation, sériation des idées XX Ordinateur Écriture Rapidité X Lisibilité (nb de lignes/nb total) Fatigabilité (nb de lignes) XX lisible pour que ce dernier puisse être exploité par la suite. Lors de l'utilisation d'un tableau comme lors de sa construction, il faut s'organiser et séquentialiser ses idées afin de pouvoir regrouper les éléments. Cela demande des compétences de planification très précises dont certains enfants dyspraxiques sont parfois peu pourvus (surtout en cas de syndrome dysexécutif associé, cf. p. 10, 38, 108). 162 Chapitre 8. Obstacles visuo-practo-spatiaux masqués et compensations • L'utilisation de tableaux requiert des compétences visuo-spatiales, notamment dans l'organisation du regard et la stratégie visuelle employée pour observer tout le support. En effet, nous devons balayer l'ensemble du tableau, puis chaque élément isolément pour décrypter et comprendre le tableau. Lorsque nous observons un tableau, nous n'avons pas conscience de cette stratégie visuelle, qui pour nous est automatisée, elle ne nous est donc pas coûteuse cognitivement. Arthur, lui, doit contrôler le mouvement de ses yeux afin d'explorer tout le document. Il épuise ainsi ses ressources, n'est plus disponible ensuite pour exploiter le tableau et sera très gêné pour retenir ce qu'il aura réussi à voir aux termes d'efforts coûteux. • Les tableaux nécessitent également de bonnes capacités topologiques afin de pouvoir situer les éléments les uns par rapport aux autres et les combiner. Pour utiliser et lire un tableau, il faut effectivement repérer l'élément à l'intersection d'une ligne et d'une colonne afin de pouvoir comprendre qu'il appartient tant à la ligne qu'à la colonne. Arthur est en difficulté pour effectuer ce travail de « synthèse topologique ». Le tableau n'est donc pas un support facilement exploitable ni réellement utilisable pour évaluer les connaissances d'Arthur. • À ces aspects visuo-spatiaux, il faut également ajouter l'aspect praxique d'utilisation d'outils, surtout si l'on demande de tracer le tableau. De même, l'écriture dans le tableau devra être lisible pour que ce dernier puisse être exploité par la suite. Lors de l'utilisation d'un tableau, comme lors de sa construction, il faut s'organiser et sérier ses idées afin de pouvoir regrouper les éléments et les classifier les uns par rapport aux autres. Cela demande des compétences de planification très précises qui sont complexes pour Arthur, notamment du fait de son raisonnement entièrement verbal, avec pour seul support valable l'écriture d'une tierce personne qui va organiser l'espace de la feuille ou du document informatique selon ses propres habitudes. Plusieurs types d'adaptations peuvent être proposés : • par exemple, il peut être intéressant de mettre les lignes ou les colonnes en couleur, c'est-à-dire de mettre une couleur différente à chaque ligne ou colonne en fonction du référentiel choisi ; • nous pouvons également proposer à Arthur de l'aider dans sa lecture du tableau en lui isolant les éléments avec des caches. Cette méthode doit être accompagnée obligatoirement d'une verbalisation des éléments observés afin de permettre à Arthur d'avoir une représentation globale du tableau et de pouvoir comprendre les liens entre les différents éléments et ainsi en assurer une synthèse. Nous voyons à quel point il est difficile de rendre exploitable le support « tableau » de manière fiable et exploitable. Dans la mesure du possible, il est préférable de remplacer ce support par un texte explicatif, permettant d'avoir toutes les données du tableau. Plusieurs types d'adaptations peuvent alors être proposés : • par exemple, il peut être intéressant de mettre les lignes ou les colonnes en couleur, ou même une couleur différente à chaque ligne ou colonne en fonction du référentiel choisi ; • on peut également aider l'enfant en isolant les éléments avec des caches permettant de n'avoir qu'une seule ligne ou colonne à observer à la fois. Puis au sein de chaque ligne et colonne, on oriente encore le regard de l'enfant plus précisément en isolant une seule cellule du tableau. Cette méthode doit être accompagnée obligatoirement d'une verbalisation des éléments observés, au fur et à mesure de l'exploration guidée du tableau, afin de permettre à l'enfant de se construire une représentation propositionnelle du tableau et de comprendre les liens entre les différents éléments ; • les informations peuvent aussi être délivrées sous la forme textuelle, comme dans l'exemple de la figure 8.5. Cependant, cette adaptation paraît souvent compliquée à mettre en place. Elle suscite même quelquefois des réticences. En effet, la présentation en tableau, très utilisée dans de nombreuses matières (et même dès la maternelle), constitue un résumé synthétique qui semble plus clair et plus facile d'utilisation (ceci est vrai, bien sûr, pour les personnes sans handicap visuo-spatial). Beaucoup la considèrent aussi comme un exercice de logique (cf. p. 87). C'est même une compétence spécifiquement inscrite au programme dès le CP-CE : « L'élève utilise progressivement les représentations usuelles de gestion des données : tableaux, graphiques… » Il s'agit d'une méconnaissance fréquente de l'importante influence des compétences visuo-spatiales sollicitées par cette présentation, ce qui la rend tout à fait inaccessible aux jeunes dyspraxiques. Par ailleurs, le texte explicatif que nous proposons de soumettre aux enfants dyspraxiques comme support de leçon ou exercice correspond normalement à l'explication orale que donne l'enseignant à l'ensemble de la classe. Ce n'est donc pas en proposant ce qui semble « plus simple » ou « plus efficace » pour les personnes tout-venant ni en entraînant (sans fin) l'enfant à tenter (avec plus ou moins de réussite) de « faire comme tout le monde » qu'on lui rend service : l'accompagnement que nous proposons à ces jeunes nécessite que les adultes acceptent de se décentrer afin de mieux comprendre les difficultés liées au handicap et leurs répercussions dans le domaine scolaire (cf. p. 5). 163 Partie II. Propositions thérapeutiques et mise en œuvre C'est en croisant les impossibilités liées à son handicap et les contraintes liées à la tâche, ainsi proposé dans les grilles d'analyse des supports et activités pédagogiques, que l'on peut réellement proposer un accompagnement spécifique et efficace. Photographies, images (tableau 8.5) L'utilisation des photographies et images est source de nouveaux problèmes pour les enfants dyspraxiques présentant des troubles de l'organisation du regard ou de perception visuelle. Tableau 8.5. Analyse des supports pédagogiques et des activités scolaires : « photographies, images ». Compétences requises Difficultés de l’enfant Adaptations à prévoir Commentaires Compétences neurovisuelles Regard (organisation, stratégie, repérage) Perception (images, visages, signes conventionnels) Décrire l’image Décrire les éléments constitutifs des images à Arthur. Décrire l’image Décrire les éléments constitutifs des images à Arthur. XXX XXX Champs visuels Compétences praxiques Utilisation d’outils (gomme, ciseaux, règle…) Manipulations (jetons, activité manuelle…) Reproductions de gestes Dessin, graphisme, coloriage Compétences spatiales Topologie (situer un item par rapport à d’autres) X Orientation propre (obliques, flèches…) XX Compétences organisationnelles Cartable, trousse Cahier de textes, classeur, photocopies Emploi du temps, gestion des tâches Séquentialisation, sériation des idées Ordinateur Écriture Rapidité Lisibilité (nb de lignes/nb total) Fatigabilité (nb de lignes) Pour pouvoir dire quelque chose d'une image ou d'une photographie, il faut l'avoir explorée, vue et analysée à la fois dans sa globalité et dans ses détails, c'est une stratégie entièrement automatisée pour nous et dont nous n'avons pas conscience. • Arthur présente des troubles de stratégie visuelle : il lui est difficile et coûteux d'organiser son regard pour le poser sur tous les éléments de l'image, ce qui perturbe sa vision globale correcte de l'image. Son analyse sera donc biaisée d'entrée par cette mauvaise perception du support. • D'autre part, Arthur ne reconnaît pas les émotions sur les visages, il ne peut donc pas en faire une description et encore moins une interprétation. Les photographies ou images (y compris les portraits de personnages, les œuvres picturales…) doivent être de bonne qualité et éventuellement décrites pour lui par une tierce personne. 164 Chapitre 8. Obstacles visuo-practo-spatiaux masqués et compensations En effet, pour pouvoir dire quelque chose d'une image ou d'une photographie, il faut l'avoir explorée, vue et analysée à la fois dans sa globalité et dans ses détails. Or, certains de ces enfants n'ont qu'une vision parcellaire de l'image présentée, c'est-à-dire qu'ils n'en voient que certains éléments, pertinents ou non, dont ils ne perçoivent pas les relations spatiales ni l'organisation. Leur analyse est donc biaisée d'entrée par cette mauvaise perception du support. Si l'élève présente des troubles des gnosies visuelles (tableau 8.5), c'est l'analyse – le décodage de la signification – des éléments observés qui est perturbée. Dans ce cas, les enfants peuvent voir les éléments nécessaires, le regard peut très bien se poser correctement sur l'image à observer, avec une acuité visuelle correcte, mais c'est l'interprétation des éléments vus qui est défectueuse. En outre, les processus cérébraux en jeu dans ces processus d'interprétation des images sont différents selon le type d'image proposé (photos, dessins ou images représentant ou non la troisième dimension via des lignes de fuite, des ombres, etc., ou photos de visages, portraits, personnages et lieux célèbres…), donnant lieu à des dissociations étonnantes dans les performances du jeune : il peut traiter certaines images, mais pas toutes (cf. p. 3, 4)… Les photographies ou images peuvent être remplacées, tout comme les tableaux ou les cartes et plans, par un texte descriptif. Mais dans certains cas, le support d'image et de photographie ne peut pas être utilisé, il faut y renoncer. Henri IV. » Arthur a pu réciter tout son cours sans erreur et faire la preuve de ses connaissances. S'il n'avait pas appris sa leçon, il aurait (comme les autres élèves dans cette situation) obtenu une mauvaise note. Cette grille permet donc aussi de mettre à disposition de tous les intervenants (enseignants, AESH, secrétaire…) les renseignements concernant les interactions entre handicap et scolarité, surtout lorsque ces dernières ne sont pas évidentes. Elle permet de distinguer clairement ce qui ressort du handicap (le premier « zéro » notait en fait le handicap neurovisuel de l'enfant) et ce qui ressort du travail de l'élève, de ses apprentissages (contrôle adapté de façon pertinente). Nous voyons à travers cet exemple à quel point l'enfant victime de tout handicap dont la répercussion scolaire n'est pas évidente pour les nonspécialistes peut être défavorisé. Il est donc primordial que les professionnels de rééducation et de pédagogie puissent communiquer étroitement, à moindre coût (d'où l'intérêt de cette grille, facilement transmise et utilisée par les différents intervenants), afin d'aider au mieux ces enfants et leur permettre de suivre leur scolarité dans les meilleures conditions, en évaluant réellement leurs connaissances. Manipulations/travaux pratiques – dessin/géométrie (tableau 8.6) Les dessins et la géométrie mettent spécifiquement en difficulté les enfants dyspraxiques en raison de la multitude de compétences visuo-practospatiales que ces activités requièrent. Que ce soit sur le versant exploitation d'un dessin ou d'une figure géométrique ou sur le versant conception, réalisation du dessin, de la figure géométrique, les compétences visuelles et spatiales sollicitées restent identiques. Les compétences praxiques, elles, ne sont sollicitées que lorsqu'il s'agit pour l'enfant de réaliser, de concevoir le dessin ou la figure géométrique (cf. p. 137). Comme le montre la grille d'analyse : • sur le plan visuel, tout d'abord, les dessins et la géométrie nécessitent que les enfants se repèrent dans le matériel et sur la feuille en ayant une bonne coordination des m ­ ouvements Exemple Arthur, 12 ans, présente une dyspraxie visuospatiale avec agnosie des images et des visages. Lors d'un contrôle d'histoire portant sur les rois de France, ce jeune garçon a eu 0/10. Il s'agissait de « dire ce que l'on sait des trois rois de France représentés ci-dessous ». Les représentations en question étaient des portraits (très célèbres et prototypiques) de chacun des rois de France. Arthur a essayé de répondre à la question, mais il a confondu Louis XIV avec Louis XVI et n'a pas reconnu Henri IV. Le même contrôle lui a ensuite été proposé en remplaçant les portraits par les noms des rois de France. La question était alors : « Dis ce que tu sais de Louis XIV, Louis XVI et 165 Partie II. Propositions thérapeutiques et mise en œuvre Tableau 8.6. Analyse des supports pédagogiques et des activités scolaires : « manipulations, travaux pratiques/dessin, géométrie ». Compétences requises Difficultés de l’enfant Adaptations à prévoir Commentaires Décrire ce qui est dessiné, figuré Aider Arthur à se repérer en lui décrivant les supports. Manipuler pour lui Demander à Arthur de dicter à une personne ce qu’elle doit réaliser pour lui. Il est le « chef d’orchestre ». Décrire les supports Aider Arthur à se repérer en lui décrivant les supports. Compétences neuro-visuelles Regard (organisation, stratégie, repérage) XXX Perception (images, visages, signes conventionnels) XX Champs visuels X Compétences praxiques Utilisation d’outils (gomme, ciseaux, règle…) XXX Manipulations (jetons, activité manuelle…) XXX Reproductions de gestes Dessin, graphisme, coloriage Compétences spatiales Topologie (situer un item par rapport à d’autres) Orientation propre (obliques, flèches…) XXX XXX XXX Compétences organisationnelles Cartable, trousse Cahier de textes, classeur, photocopies X XX Emploi du temps, gestion des tâches Séquentialisation, sériation des idées XXX Ordinateur XX Écriture Rapidité Lisibilité (nb de lignes/nb total) Fatigabilité (nb de lignes) X XX Les dessins et la géométrie vont mettre les enfants dyspraxiques en difficulté importante en raison de la multitude de compétences visuo-practo-spatiales que ces activités requièrent. • Les compétences visuelles et spatiales sont sollicitées à la fois pour l'exploitation d'un dessin ou d'une figure géométrique ou pour leur conception, réalisation. A contrario, les compétences praxiques sont sollicitées uniquement lors de la réalisation ou de la conception de ces supports. En effet, sur le plan visuel, tout d'abord, les dessins et la géométrie nécessitent que les enfants se repèrent dans le matériel et sur la feuille en ayant une bonne coordination des mouvements des globes oculaires ainsi qu'une bonne stratégie visuelle d'exploration du matériel. Les dessins et la géométrie, tant dans l'exploitation que dans la conception, font appel à des compétences spatiales topologiques, mais aussi d'orientation propre. Il faut d'une part pouvoir situer les objets les uns par rapport aux autres – l'arbre est derrière la maison, devant la maison il y a un portail, le chien est à gauche de la maison, le triangle ABC est inscrit dans le cercle C – et, d'autre part, il faut pouvoir connaître l'orientation propre des objets, c'est-à-dire leur position absolue, et pouvoir faire une analyse de l'orientation des traits. • Au niveau des compétences praxiques, celles-ci sont majoritairement sollicitées lors du tracé, de la conception des dessins ou figures géométriques. Il apparaît évident qu'Arthur va être gêné par ses faibles compétences en graphisme, dessin et coloriage très fortement sollicitées (elles sont l'essence même de l'activité lorsqu'il s'agit de produire un dessin ou une figure géométrique). Pour réaliser ces deux activités, Arthur va devoir utiliser des outils : le crayon, la gomme, le pinceau, le compas, l'équerre, le rapporteur… Mais il va également devoir 166 Chapitre 8. Obstacles visuo-practo-spatiaux masqués et compensations manipuler certains objets comme l'équerre, le compas… et en plus les orienter de façon adaptée, ce qui fait à nouveau appel à de bonnes compétences spatiales. Nous comprenons déjà en grande partie l'immense souffrance (et effort) d'Arthur lors des séquences de dessin/arts plastiques et de géométrie. Il ne faut cependant pas oublier que ces deux activités nécessitent également de façon conséquente des capacités organisationnelles. En effet, pour réaliser un dessin ou une figure géométrique, il faut pouvoir se repérer et sortir le matériel adapté à l'activité. Mais il faut aussi séquentialiser ses idées, c'est-à-dire faire preuve de capacités de planification afin de réaliser les bonnes étapes et dans le bon ordre. Ces capacités de séquentialisation se retrouvent aussi lors de l'exploitation d'un dessin ou d'une figure géométrique à regarder et à analyser étape par étape. Ces deux activités nécessitent peu d'écrits, il s'agit seulement de quelques caractères qu'il faut rendre lisibles sans avoir de critères de rapidité, ou très rarement (situations de contrôles par exemple). Le graphisme doit donc être lisible. On peut assez facilement comprendre la nécessité absolue d'adapter ces activités afin de permettre à Arthur d'utiliser ces supports lorsqu'ils sont présentés et qu'ainsi il puisse avoir accès à la connaissance, aux acquisitions pédagogiques visées. Pour les dessins, il faut par exemple l'aider en lui proposant une description plutôt orale des dessins présentés, qui peut être dactylographiée également, ce qui permettra à Arthur de la relire ou de la faire relire par un logiciel de retour vocal le cas échéant. En ce qui concerne les dessins, étant donné qu'ils ne sont utilisés que comme support à l'apprentissage, il faut alors les remplacer systématiquement par un texte explicatif et sinon les donner déjà faits et accompagnés d'un texte descriptif. En géométrie, Arthur bénéficie du logiciel Cabri Géométrie® qui permet en partie de pallier ses difficultés de traçage, mais qui ne résout pas ses difficultés organisationnelles. du regard ainsi qu'une bonne stratégie d'exploration visuelle du matériel. De plus, le dessin – et davantage la géométrie – sollicite beaucoup de compétences sous-jacentes de perception visuelle, c'est-à-dire de gnosies visuelles. Il faut en effet pouvoir interpréter ce qui est dessiné ou représenté et pouvoir comprendre le sens des images, dessins et symboles (signes conventionnels : formes, lettres, chiffres, logos…) ; • l'exploitation aussi bien que la conception des dessins font appel à des compétences spatiales topologiques, mais aussi d'orientation propre. Il faut : – d'une part, pouvoir situer les objets les uns par rapport aux autres : l'arbre est derrière la maison, devant la maison il y a un portail, le chien est à gauche de la maison, le triangle ABC est inscrit dans le cercle C…, – d'autre part, pouvoir faire une analyse de l'orientation des traits, en particulier des obliques, (re)connaître l'orientation propre des objets, c'est-à-dire leur position absolue, – enfin, percevoir la continuité des lignes, segments, traits au-delà des intersections ; • les compétences praxiques sont majoritairement sollicitées lors du tracé, de la conception des dessins ou figures géométriques. Il apparaît comme une évidence que les enfants dyspraxiques vont être gênés par leurs faibles compétences en graphisme, dessin et coloriage très fortement sollicitées ici. Elles sont l'essence même de l'activité. En outre, les enfants doivent utiliser des outils (crayon, gomme, pinceau, compas, équerre, rapporteur…), les manipuler et les orienter de façon adaptée (chapitre 7). Par contre, ces tâches font peu appel à l'écriture, ou alors seulement à quelques caractères qu'il faut rendre lisibles. D'un coup d'œil sur la grille d'analyse, par l'importance des zones grisées et quadrillées noires, nous comprenons l'immense détresse de certains enfants dyspraxiques lors de ces séquences de dessin/arts plastiques ou de géométrie. Et c'est sans compter la lenteur, les difficultés liées au fait de sortir, préparer et organiser le matériel et les outils adéquats… Il en découle la nécessité absolue d'adapter ces activités… ou d'y renoncer (cf. figure 8.2 et tableau 8.7, figure 3.8 et tableau 8.8, « Cahier couleur » en fin d'ouvrage). Pour les dessins à exploiter (description), on peut encore aider ces enfants en leur proposant une description plutôt orale (éventuellement écrite, dactylographiée) des dessins présentés (« audiodescription »), ce qui leur permet de la relire ou de se la faire relire (par leur AESH, par un logiciel de retour vocal). Lorsqu'il s'agit de réaliser un dessin, comme c'est le cas en arts plastiques ou en géométrie, il faut évaluer la souffrance de l'enfant. Si celle-ci est trop importante, on peut proposer qu'il réalise un exposé en rapport avec le thème étudié, ou bien il faut dispenser l'enfant (ponctuellement ou définitivement) de cette matière. En ce qui concerne les dessins ou schémas dans les autres matières (physique, biologie…), étant donné que le dessin n'est alors utilisé que comme support à l'apprentissage, il faut alors le remplacer chaque fois que possible par un texte explicatif (cf. figures 3.7 et 3.8, « Cahier couleur » en fin d'ouvrage). 167 Partie II. Propositions thérapeutiques et mise en œuvre Tableau 8.7. Grille d'analyse de support pédagogique : texte pédagogique. Ce tableau est reproduit en couleur en fin d'ouvrage. Titre de la leçon : texte descriptif. Compétence(s) testée(s) ou à acquérir : compréhension d’un texte descriptif. Nature du document : texte descriptif. Compétences requises Difficultés de l’enfant Adaptations à prévoir Compétences neurovisuelles X Regard (organisation, stratégie, repérage) X (lecture Favoriser la lecture Compétences spatiales XXX Topologie (situer un item par rapport à d’autres) XXX Orientation propre (obliques, flèches…) XXX Favoriserla représentation spatiale induite par le texte Compétences organisationnelles XXX Perception (images, visages, signes conventionnels) Commentaires Travail seul : utiliser retour vocal sur ordinateur (texte scanné ou numérique) Avec adulte : lecture par l’adulte Champs visuels Autres Compétences praxiques Utilisation d’outils (gomme, ciseaux, règle…) Manipulations (jetons, activité manuelle…) Reproductions de gestes Dessin, graphisme, coloriage Pas de compensation possible : changer de livre ou dispenser de questions de compréhension relatives à ces passages Cartable, trousse Cahier de textes, classeur, photocopies Emploi du temps, gestion des tâches Ordinateur Écriture Rapidité Lisibilité (nombre de lignes/nombre total) Fatigabilité (nombre de lignes) Code : X Compétence peu sollicitée Pas de difficulté dans ce domaine (= vert) XX Compétence moyennement sollicitée Quelques difficultés (= orange) XXX Compétence très sollicitée Nombreuses difficultés (= rouge) Domaine nécessitant une ou plusieurs adaptation(s) 168 Chapitre 8. Obstacles visuo-practo-spatiaux masqués et compensations Tableau 8.8. Grille d'analyse de support pédagogique : schéma de SVT. Ce tableau est reproduit en couleur en fin d'ouvrage. Titre de la leçon : l’alvéole pulmonaire. Compétence(s) testée(s) ou à acquérir : comprendre et utiliser un schéma. Nature du document : schéma. Compétences requises Compétences neurovisuelles XX Regard (organisation, stratégie, repérage) XXX Perception (images, visages, signes conventionnels) X Difficultés de l’enfant Adaptations à prévoir Commentaires Exploration du document par tierce personne Soulager l’enfant du schéma et lui décrire ce qui est représenté Dispense dès que possible Dans ce cas, en fonction des objectifs pédagogiques, l’enfant ne peut peut-être pas être évalué Champs visuels Autres Compétences praxiques XX Utilisation d’outils (gomme, ciseaux, règle…) X Manipulations (jetons, activité manuelle…) Reproductions de gestes Dessin, graphisme, coloriage XXX Dispense Compétences spatiales XXX Topologie (situer un item par rapport à d’autres) XXX Changer de support : texte explicatif Orientation propre (obliques, flèches…) XXX Proposer au jeune un texte comportant tous les termes notionnels de la leçon Compétences organisationnelles Cartable, trousse X Cahier de textes, classeur, photocopies X Emploi du temps, gestion des tâches Ordinateur Écriture Rapidité Lisibilité (nombre de lignes/nombre total) XXX Écrire à sa place ou ordinateur Fatigabilité (nombre de lignes) En géométrie, il est recommandé d'utiliser des logiciels adaptés de tracés de figures géométriques ne nécessitant pas de compétences spatiales (cf. p. 137, 139) et de faire preuve d'une grande tolérance en ce qui concerne leurs résultats, sans trop investir de temps ni d'énergie dans ce domaine (cf. p. 138). Adaptations transversales : leur formalisation Nous avons déjà longuement abordé les adaptations des supports considérés comme « toxiques » et leurs adaptations usuelles, ainsi que le rôle essentiel de l'AESH dans la personnalisation et la mise en œuvre 169 Partie II. Propositions thérapeutiques et mise en œuvre de ces aides. Mais c'est l'ensemble des thérapeutes de l'enfant qui doivent se coordonner afin de procéder le plus possible de façon analogue, proposant en tous lieux un système d'aides cohérent tableau 8.9. Cependant, il est important d'apporter quelques précisions : • au sujet du palliatif « universel » pour les élèves dyspraxiques : l'utilisation de la verbalisation ; • sur les aménagements lors des examens ; • enfin, sur le meilleur moyen de formaliser l'ensemble de ces aides dispensées en classe afin d'en assurer la pérennité au fil des mois et des années. En effet, seules une cohérence et une continuité des aides d'une année à l'autre permettent au jeune de faire les apprentissages cumulatifs nécessaires pour réaliser une scolarité satisfaisante. Étayer, structurer la verbalisation de l'enfant On demande beaucoup à l'enfant de réfléchir à haute voix, de verbaliser, de raconter, de s'appuyer sur des descriptions orales (du matériel, de la tâche, du problème), de recourir à l'auto-verbalisation… (cf. p. 95). Mais il ne s'agit pas d'encourager un bavardage ni un verbiage. Ces verbalisations en lien avec les apprentissages scolaires doivent être organisées de façon à constituer une aide aux apprentissages (mises en relation d'éléments ou d'informations, raisonnement, mémorisation, planification de la tâche…). De même, lors des interrogations, exercices d ­ 'application ou contrôles, il ne faut pas encourager les digressions, les questionnements annexes, les hors-sujets AESH et verbalisation en classe Il faut, progressivement, aider ces enfants à organiser et à structurer leur verbalisation et leurs idées de façon claire, précise. Dans le cadre scolaire, l'enfant doit être étayé pour fournir des réponses adéquates et structurées (dans la mesure où la leçon a été préalablement apprise et comprise !). Cette stratégie permet au jeune dyspraxique de voir reconnus ses points forts, de prendre conscience de ses capacités de raisonnement verbal, de reprendre confiance en ses p­ ossibilités Limites de la verbalisation Dans tous les chapitres de ce livre, dans toutes les matières et à toutes occasions, nous avons souligné l'importance du langage comme moyen de contournement, comme palliatif privilégié des difficultés propres aux élèves DVS, enfants vifs, intelligents, généralement pourvus d'excellentes capacités verbales. Cependant, cela nécessite la présence permanente d'un secrétaire, AESH ou adulte compétents. Cependant, il faut être très vigilant quant à la fatigabilité de ces enfants. En effet, réfléchir uniquement à l'oral et sans aucun support écrit (situation des enfants les plus gênés sur le plan visuo-spatial, pour lesquels la lecture représente un problème) demande énormément de concentration, mobilise considérablement la mémoire de travail et les fonctions exécutives. La procédure doit être réfléchie, toujours la même, quelle que soit la réponse de l'enfant. On peut suggérer : • tout d'abord, de lui demander s'il a compris la question et de lui répéter (ou relire, ou reformuler, ou lui faire reformuler) la consigne si besoin ; • ensuite, de l'inciter à dire ce dont il a besoin pour produire sa réponse. Lors de la formulation de la réponse (selon l'âge et le niveau scolaire), proposer à l'enfant de lister ses idées, les lui relire, lui proposer de les regrouper, de mettre ensemble celles qui vont ensemble et enfin de les hiérarchiser. Puis passer à la rédaction proprement dite, sous la dictée de l'enfant (éventuellement l'épellation si l'orthographe est un enjeu du travail en cours). Si nécessaire, lui relire à chaque fois le paragraphe précédent et les idées qu'il doit utiliser dans le paragraphe en cours. À la fin de sa réponse, on peut demander de façon systématique : « Tu es sûr ? As-tu bien réfléchi ? » Puis lui relire l'intégralité de sa réponse ou de son texte, lui demander si c'est bien cela qu'il souhaitait écrire, s'il n'a rien oublié, s'il n'y a pas Ces enfants épuisent plus rapidement leurs capacités attentionnelles et se fatiguent. La pertinence de leurs réponses peut s'en trouver affectée, c'est pourquoi il est très important d'aménager des temps de pause au cours des exercices, surtout lors des épreuves de contrôles. 170 Chapitre 8. Obstacles visuo-practo-spatiaux masqués et compensations Tableau 8.9. Exemple de grille d'analyse d'activités scolaires. Histoire Géographie Enfant AESH/secrétaire Prise de notes en cours Mémorise et comprend les notions clés Prise de notes sur les cahiers Relire les cours – Écoute active – Lecture – Mémorisation – Surligner les éléments clés repérés – Relever les éléments à surligner Rédiger les fiches de cours + cartes en géographie – Sélectionne les informations pertinentes Demander les fiches et les cours en lien avec la leçon Répondre à une question de connaissance – Analyser la consigne Élaborer une réponse argumentée (commentaire composé, dissertation…) Faire une étude de document : Lire et extraire des informations à partir : – d'un texte – Mobiliser ses connaissances – Vérification et correction de la dictée vocale Aide technique/ adaptation – Utilisation de la dictée vocale – Enregistrer les fiches en format audio – Mise en page Lecture des fiches et des cours – Vérifier la compréhension de la consigne – Retour vocal – Essai de logiciels en ergothérapie – Vérifier la Revoir la procédure compréhension de la de vérification de compréhension de la consigne consigne (orthophonie) – Écrire sous la – Vérifier la pertinence de la réponse en lien avec la question – Écrire sous la dictée d'A. – Relire les idées et la réponse – Relire les idées et la réponse – Analyser la consigne – Vérifier la compréhension de la consigne – Vérifier la – Utiliser la dictée vocale compréhension de la pour donner les idées au consigne brouillon « au kilomètre » – Mobiliser ses connaissances dictée d'A. – Hiérarchiser ses idées – Écrire sous la dictée d'A. – Trouver un plan – Relire les idées et – Dicter la réponse à le plan pour qu'A. rédiger classe les données – Vérifier la pertinence de la réponse en lien avec la question – Ecrire sous la dictée d'A. – Analyser la consigne – Vérifier la Faire une fiche méthodo compréhension de la pour analyser chaque type de document (questions consigne à se poser, trame de – Description réponse) détaillée orale des – Écoute active de la description orale de l'AESH – Sélection des informations utiles – d'un graphique – -Dicter au brouillon – d'un tableau les éléments clés à l'AESH ou sur dictée – d'un schéma vocale – d'une carte Réaliser un croquis de géographie – Lecture du cours – Dicte avec dictée vocale Apprendre les leçons Aide aux devoirs à domicile – Analyser la demande – Mobiliser ses connaissances – Vérifier la compréhension de la consigne – Description détaillée orale des éléments visuospatiaux – Relire les idées et le plan pour qu'A. classe les données éléments visuospatiaux – Lecture des textes – Lecture des textes – Surlignage des éléments importants à la demande d'A. – Surlignage des éléments importants à la demande d'A. Écrire sous la dictée d'A. au brouillon et au propre – Dicter la réponse 171 – Revoir la procédure de vérification de compréhension (orthophonie) – Faire des fiches méthodo pour dissertation et étude de documents ? (ergo et orthophonie) (ergothéraphie et orthothérapie) Rédiger un texte explicatif d'une page environ : entraînement en ergothérapie Partie II. Propositions thérapeutiques et mise en œuvre de « hors-sujet »… Enfin, passer à la question ou à l'exercice suivant. On peut aussi, en fonction du type de travail demandé, s'inspirer des stratégies CO-OP (cf. p. 27). En tout état de cause, les AESH qui assistent un jeune dyspraxique doivent être formés à ces techniques. nelles stigmatisantes qui soulignent encore plus sa faiblesse et son handicap ; • détruire le peu de confiance que l'enfant peut encore investir dans ses propres productions, dans sa capacité de réussite, puisque ses échecs lui sont attribués, tandis que ses réussites sont affectées à son AESH. C'est pourquoi les AESH doivent être sensibilisés aux techniques de verbalisation (cf. p. 95), telles que décrites succinctement ci-dessus, et être vigilants, dans l'intérêt même de l'enfant et en dépit de leur empathie, à ne pas suggérer ni induire les réponses. Une procédure qui doit être fiable Par ailleurs, beaucoup pensent, à tort, que cette aide à la structuration des réponses est trop facilitatrice et/ou se substitue (partiellement ou totalement) aux réponses de l'enfant. On entend souvent dire : « On ne sait pas qui on note » ou « Oui, il a de bons résultats, mais… il est aidé par une AESH ». Effectivement, certaines questions, ou mi­miques, ou intonations de l'adulte font penser à l'enfant qu'il se trompe, qu'il doit reformuler ou modifier sa réponse. La plupart sont très habiles à guetter dans le regard ou l'attitude de l'adulte ses intentions, son jugement et tentent de moduler, ou de transformer, ou de compléter leurs réponses en fonction de ce qu'ils croient comprendre ou deviner de la réaction de leur vis-à-vis. Ces attitudes, généralement involontaires ou mal maîtrisées, entretiennent auprès des enseignants le climat de suspicion sur le crédit que l'on peut accorder aux réponses de l'enfant. L'aide apportée au cours de ces dialogues avec l'élève doit, autant que possible, rester professionnelle : il ne s'agit pas d'une aide compassionnelle ni de viser ou de favoriser « les bonnes notes ». Il s'agit de permettre à l'enfant de construire des savoirs de bonne qualité en dépit de son handicap. Lire et relire autant que de besoin Afin de pallier les difficultés de lecture, il est important de lire et de relire régulièrement les consignes, les réponses et tout ce qui est nécessaire à la réalisation de l'activité proprement dite. Cela doit être effectué par les moyens de compensation habituels de l'enfant (cf. chapitre 5, « “Ouïelire”, un autre accès à la lecture », p. 106). Il est en effet fréquent que l'on considère qu'une fois la consigne (le texte) lue ou l'image (tableau, carte, schéma) verbalisée, l'élève doit se mettre au travail sans autre intervention. C'est une erreur qui ne prend pas en compte la réelle situation de l'enfant. Lorsqu'un élève tout-venant lit une consigne (ou un problème, ou un texte), il y revient à de multiples reprises au cours de l'exercice, souvent de façon parcellaire ou ciblée, recherchant telle information, en confirmant une autre. Le jeune qui est dépendant de la verbalisation ou de la lecture par retour vocal a lui aussi besoin de ­rafraîchir sa mémoire sur certains points précis, à intervalles réguliers. Il peut aussi s'agir d'une vérification ou de la recherche d'éléments manquants pour la constitution de sa réponse définitive. Il faut donc l'y autoriser. En outre, la quantité de langage délivrée à l'enfant dyspraxique, même pour de petits exercices, est considérable, sans compter les descriptions qui doivent suppléer aux schémas, plans ou dessins. Souvent, seule une mise en situation (au décours d'une formation) permet aux adultes de prendre conscience de l'importance de ces contraintes. Bien sûr, les jeunes dyspraxiques sont spontanément, puis intentionnellement surentraînés dans le domaine verbal et, de ce fait, souvent beaucoup plus compétents que leurs pairs du même âge. Cependant, selon les enfants, leur âge et les Dans le cadre scolaire, la relation avec l'AESH ou le secrétaire doit être du même ordre que celle que l'enseignant entretient avec ses élèves : étayante, mais sans exercer ni suggestion ni pression trop appuyées, ce qui n'exclut en rien l'empathie. Ce doute sur l'authenticité des réponses des enfants doit absolument être levé, car il est dévastateur. Il conduit le jeune à la fois à : • refuser les aides proposées, désignées par les adultes comme illégitimes, pensées comme des passe-droits ou des tolérances compassion- 172 Chapitre 8. Obstacles visuo-practo-spatiaux masqués et compensations exigences scolaires, il ne faut pas sous-estimer la charge en attention, en mémoire de travail et en mémoire à long terme imposée par ces techniques. du jeune concerné, d'après les comptes rendus, bilans et observations réalisés dans diverses situations, notamment en milieu écologique. Ensuite, cet écrit est lu avec le jeune, discuté et modifié en fonction des échanges. Une deuxième lecture est réalisée afin de valider les modifications. Cet écrit est alors présenté à l'AESH en présence de l'ergothérapeute et du jeune, afin d'apporter des modifications le cas échéant, notamment en fonction des contingences matérielles. Ce n'est qu'après ces différentes étapes que le document final est discuté avec l'enseignant référent et l'ensemble des équipes (de soins, équipe éducative). Il peut alors être remis aux parents et annexé au PPS du jeune, pour faire valoir ce que de droit en matière d'aménagement de la scolarité. Afin d'éclairer notre propos, nous avons choisi de présenter un exemple de cet avenant concernant un jeune élève dyspraxique, scolarisé en quatrième. Il paraît nécessaire et important de rappeler l'extrême importance et vigilance à apporter quant à la personnalisation de ces avenants. Certes, il existe un certain nombre de préconisations qui seront transférables d'une situation à une autre, mais c'est la personnalisation qui garantit la pertinence des aménagements proposés et l'adéquation des différents partenaires. Relire, y compris si besoin de façon itérative, tout ou partie (de la consigne, des informations, du texte…) soulage en partie ces fonctions mnésiques et permet de dégager de meilleures ressources cognitives pour répondre à la consigne et effectuer la tâche demandée. La lecture et la relecture doivent donc être réalisées très fréquemment au cours d'un exercice, au minimum chaque fois que l'enfant en ressent le besoin. Ceci, à lui seul, justifie un tiers-temps supplémentaire, permettant à la fois des pauses (cf. ci-dessus), des répétitions et des relectures aussi fréquentes que nécessaires, en fonction de la demande de l'enfant, demande explicite ou suggérée (regard, interrogation…). Formalisation de la démarche : un document à joindre au PPS (cf. note 12, p. 9) Pour formaliser au mieux l'ensemble des démarches d'analyse et d'adaptation que nous avons développé, il est important de créer un document écrit qui recense et décrit les besoins spécifiques de l'enfant dyspraxique pour suivre sa scolarité. Cet écrit s'actualise sous la forme d'un document annexe, un avenant joint au PPS, explicitant et détaillant les adaptations liées au handicap de l'enfant, respectant ainsi la lettre et l'esprit de la loi du 11 février 2005. Ce document est à réajuster, à modifier, à préciser chaque année, en même temps que le PPS, ce qui permet de l'adapter annuellement à la situation, éminemment évolutive, de l'enfant. Vignette clinique : formalisation de la démarche spécifique d'adaptation et d'accompagnement à la scolarité d'Arthur Dupont Présentation Arthur se présente comme un jeune ayant de bonnes capacités dans la modalité verbale, mais avec de faibles compétences dans les domaines praxiques et visuo-spatiaux qui sont source de fatigue dès que ceux-ci sont trop sollicités. Il vide alors son réservoir attentionnel. Arthur a souvent besoin d'être étayé par un adulte, notamment en classe, où ses difficultés de traitement visuo-spatial sont majorées, associées à des difficultés de reconnaissance des émotions d'autrui et de gestion de ses émotions. Son attention est relativement fluctuante et nécessite une canalisation plus fréquente que les autres élèves. L'avenant au PPS : une démarche spécifique d'accompagnement de la scolarité d'un élève dyspraxique Cet avenant au PPS est rédigé en concertation avec l'équipe pluridisciplinaire intervenant auprès 173 Partie II. Propositions thérapeutiques et mise en œuvre Sa réussite scolaire passe par une surutilisation de la modalité verbale et le recours à l'informatique dès que possible. Arthur est relativement conscient de ses difficultés, mais il a encore besoin d'être légitimé dans le recours aux adaptations qui lui sont nécessaires. Ainsi, si nous arrivons à définir ensemble ce qu'il est possible d'aménager et à signifier à Arthur que la note qu'il obtiendra sera tout autant valable que celle de ses camarades de classe, il devrait accepter facilement les aménagements proposés qu'il sait adaptés à ses difficultés. Moins stressé par le support difficile d'accès pour lui et la peur d'être confronté à un support inexploitable, Arthur devrait pouvoir faire preuve plus aisément de ses acquisitions et connaissances et être apaisé sur le plan du comportement. langage…) par l'utilisation de ces supports. Cette analyse (les fiches d'analyse, telles que nous les avons détaillées précédemment, sont jointes) doit permettre de mettre en parallèle de chacune de ces composantes le degré de difficulté ou non de l'enfant afin de pouvoir très vite repérer les domaines où une adaptation va devoir être pensée, réfléchie et mise en application. L'ensemble des adaptations doit se penser comme partie intégrante de la scolarité d'Arthur et doit donc être adapté, personnalisé afin de correspondre certes à ses difficultés particulières, mais aussi et surtout à ses capacités tout autant particulières, singulières et personnelles. Enfin, il faudra en permanence réajuster ces propositions d'adaptation en fonction de son évolution, de ses acquisitions, de ses progrès, mais aussi des exigences scolaires croissantes en lien étroit avec les choix de vie de ce jeune. Adapter suppose de prendre en compte le handicap, les capacités, l'environnement et le désir de la personne. C'est Arthur qui est le fil conducteur nécessaire à la réussite de son projet. Seul un partenariat étroit entre les différents intervenants autour de la scolarité permet la réussite du projet scolaire et donc à plus long terme du projet de vie de ce jeune. Préconisations de démarche spécifique d'accompagnement Certains supports pédagogiques sollicitant des compétences visuo-spatiales ne sont pas ou peu accessibles et doivent être soit abandonnés, soit adaptés pour permettre à Arthur d'effectuer les mêmes acquisitions et les mêmes apprentissages que ses camarades dès que cela est possible. Parfois, il va falloir accepter de renoncer, de faire le deuil de certaines activités ou supports pédagogiques (dessin) qui lui resteront inaccessibles, ou en tout cas le reflet direct de ses difficultés particulières (cartes, schémas…). • Le renoncement à l'utilisation de cartes en géographie ou de schémas en SVT a été explicité à Arthur afin de mettre en avant ses capacités d'apprentissage et non son incapacité à utiliser le même support que les autres. Ainsi, les cartes ou les schémas sont remplacés par des textes explicatifs correspondant aux notions étudiées en cours. Ces propositions de substitution de supports n'empêchent en rien l'acquisition de nouvelles connaissances, bien au contraire. Il s'agit de permettre ces acquisitions en remplaçant un matériel inutilisable, car en lien direct avec les difficultés spécifiques d'Arthur, par un matériel accessible lui permettant de montrer ses réelles capacités. • L'adaptation des supports pédagogiques requiert une démarche fine et détaillée d'analyse des différentes composantes neuropsychologiques et des processus cognitifs mis en jeu (mémoire, Favoriser l'oral, la verbalisation • Arthur est gêné par l'écriture manuelle (en termes de production) qui lui est fatigante et coûteuse sur le plan cognitif. Or, il est vif, intelligent, avec de bonnes capacités verbales, comme en attestent ses résultats dans la modalité verbale au bilan neuropsychologique. • Arthur a pris conscience de ses capacités de raisonnement verbal et utilise majoritairement ce canal. Il faut aider Arthur à verbaliser ses idées de façon claire, précise et organisée. Pour arriver à cela, il va falloir aménager des temps de pause et être vigilant par rapport à sa ­fatigabilité. En effet, réfléchir majoritairement à l'oral demande énormément de concentration. Arthur épuise plus vite ses capacités attentionnelles et se fatigue. La pertinence de ses réponses peut s'en trouver affectée, c'est pourquoi il est très important d'aménager des temps de pause au cours des exercices et surtout des épreuves de contrôles. 174 Chapitre 8. Obstacles visuo-practo-spatiaux masqués et compensations • Arthur peut bénéficier du tiers-temps. Il s'agit d'avoir un tiers du temps total imparti à l'épreuve en plus. Il faudra donc parfois aménager des temps de pause afin d'éviter une fatigue trop importante sur des épreuves trop longues. Si le tiers-temps ne peut être mis en place tel quel, il est possible de modifier le nombre d'exercices ou le barème de notation afin de compenser l'absence de tiers-temps supplémentaire. • Arthur, comme tout enfant dyspraxique, peut être dispensé de cartes ou de graphiques. Dans ce cas-là, l'épreuve est généralement remplacée par une question de cours. C'est le médecin qui, dans son certificat médical, s'attachera à détailler précisément les aides et aménagements nécessaires. Pour cela, une concertation importante avec les rééducateurs (ergothérapeutes notamment), les enseignants et l'AESH, qui a l'expérience de l'accompagnement lors des évaluations et examens et qui peut fournir de précieux renseignements sur la concentration, l'attention et la fatigabilité remarquées, est nécessaire. Étayer Arthur en l'aidant à structurer ses réponses selon un plan bien défini Arthur éprouve des difficultés d'organisation en lien avec son handicap. Celles-ci se manifestent entre autres dans la hiérarchisation de ses idées, la structuration de ses réponses, c'est-à-dire l'organisation de sa pensée. En effet, tout ce travail de réflexion se fait exclusivement mentalement sans pouvoir s'appuyer sur un support visuo-spatial (inexploitable et toxique à sa réflexion). Cependant, s'il est bien étayé, il va pouvoir fournir des réponses tout à fait adéquates et structurées, dans la mesure où la leçon aura été préalablement apprise. Souvent, nous pensons à tort que cette aide à la structuration des réponses est trop facilitatrice et se substitue même aux réelles réponses de l'enfant. Il ne s'agit pas du tout de cela. Le doute doit être définitivement levé sur la véracité des réponses d'Arthur. L'aide apportée ne doit en aucun cas inciter, induire les bonnes réponses ni lui permettre de deviner ses erreurs par des questions comme « Tu es sûr ? », « As-tu bien réfléchi ? », posées uniquement lors de ses erreurs. La procédure doit être toujours la même, quelle que soit la réponse d'Arthur. Ainsi, ces questions « Tu es sûr ? », « As-tu bien réfléchi ? » devront être posées après chaque réponse, lorsqu'il dit avoir terminé une phrase ou un exercice. Pour aider Arthur à structurer ses réponses, il faut tout d'abord lui demander s'il a compris la question et lui redonner la consigne si besoin. Ensuite, il faut lui demander ce dont il a besoin pour formuler sa réponse. Lors de la formulation de la réponse, lui proposer de lister ses idées et l'aider à mettre ensemble celles qui vont ensemble afin de les hiérarchiser en paragraphes. Puis passer à la rédaction proprement dite, sous sa dictée, après lui avoir relu à chaque fois le paragraphe précédent et les idées (préalablement dictées) qu'il doit utiliser dans le paragraphe en question. À la fin de la réponse, lui relire l'intégralité de sa réponse ou de son texte et lui demander si c'est bien cela qu'il souhaitait écrire. Puis passer à la question ou à l'exercice suivant. Préconisations de démarche d'accompagnement spécifique et adaptation des supports en langues : anglais, espagnol Du matériel spécifique peut être préparé par l'AESH en collaboration avec le professeur, notamment avant le contrôle. Ce travail d'adaptation de matériel consiste principalement à limiter les sources visuelles et spatiales des différents supports en les informatisant dès que possible afin de permettre à Arthur de les exploiter par la suite chez lui sur son ordinateur. Si cela n'est pas possible, l'AESH pourra alors systématiquement décrire les supports visuo-spatiaux afin de compenser les difficultés d'Arthur. • Il est préférable de privilégier l'oral pour tester les connaissances d'Arthur, voire de mettre en place une évaluation orale supplémentaire. Arthur présente déjà en français une dysorthographie. Il est important de noter que ce trouble de l'accès à l'orthographe est majoré dans les langues étrangères. En raison de ses troubles visuels et neurovisuels, l'accès à l'orthographe par la voie visuelle ne peut se faire. Il reste dans un apprentissage « par cœur » de l'orthographe de chaque mot. L'apprentissage se fait par épellation. Aménagement des examens Pour les examens, certains aménagements sont possibles. 175 Partie II. Propositions thérapeutiques et mise en œuvre Fonctions du secrétaire : • aménager la présentation : la compréhension du contrôle sera optimale si : – la police de caractère Arial a une taille d'au moins 14 (à défaut, une photocopie agrandie au format A3 sera plus accessible pour Arthur), – le texte est bien aéré, – les photos sont évitées, ou sinon de très bonne qualité, avec un contraste élevé et une description par le secrétaire, – les exercices ne comportent pas ou peu de références spatiales (histoire en images ou en bande dessinée, horloge à aiguilles…) ; • organiser le tiers-temps (si le contrôle dépasse 2 heures : aménager également des temps de pause, ce jeune reste fatigable) ; • en raison de la dysorthographie précédemment citée, il y a peu d'intérêt à lui faire épeler plusieurs fois le même mot et chaque mot composant la phrase. Pour vérifier ses acquisitions, seuls quelques mots précis de vocabulaire peuvent lui être demandés à orthographier ; • le secrétaire peut rappeler à Arthur pendant le contrôle de se concentrer en raison de sa fatigabilité. – les figures doivent être surlignées en fluo avec une couleur différente par élément (selon le code donné par Arthur), quand cela est possible, – le codage géométrique ne suffit pas au repérage, c'est pourquoi il faut privilégier dès que possible la voie orale, – il est préférable de présenter des figures simplifiées avec un élément nouveau à la fois plutôt qu'une figure complexe d'emblée du fait des difficultés de repérage visuo-spatial de ce jeune. Dans le cas contraire, l'AESH peut « décrire » la figure à Arthur et mettre en évidence les éléments qu'il juge nécessaires. Fonctions du secrétaire : • aménager la présentation : la compréhension du contrôle sera optimale si : – la police de caractère Arial a une taille 14 (à défaut, une photocopie agrandie au format A3 sera plus accessible pour Arthur), – le texte est bien aéré ; • organiser le tiers-temps (si le contrôle dépasse 2 heures : aménager également des temps de pause, ce jeune reste fatigable) ; • avant de commencer réellement le contrôle : – le secrétaire fait la lecture intégrale du contrôle. Cela permet à Arthur d'organiser son temps et de repérer les exercices qui lui semblent les plus faciles. Le secrétaire peut intervenir dans cette organisation, – le secrétaire peut rappeler à Arthur pendant le contrôle de se concentrer en raison de sa fatigabilité. Préconisations de démarche d'accompagnement spécifique et adaptation des supports en mathématiques Du matériel spécifique peut être préparé par le secrétaire en collaboration avec le professeur, notamment avant le contrôle : • pour l'algèbre : – l'utilisation de la calculatrice est indispensable, – en raison de sa dyscalculie spatiale, Arthur ne peut pas poser les opérations, ce qui nécessite l'utilisation de la calculatrice, y compris pour des calculs simples ; • pour la géométrie : – l'ordinateur pour l'utilisation de Cabri Géomètre®, – sans Cabri Géomètre® : certaines constructions de géométrie peuvent être remplacées par une question concernant les propriétés des figures ou alors les étapes de construction devront être verbalisées par Arthur, le secrétaire dessine sous sa dictée, Préconisations de démarche d'accompagnement spécifique et adaptation des supports en sciences : SVT, sciences physiques Du matériel spécifique peut être préparé par l'AESH en collaboration avec le professeur, notamment avant le contrôle. • Les schémas ne peuvent être dessinés (pour une évaluation correcte) par Arthur. Dans ce cas, on peut envisager de remplacer cet exercice par une question de connaissances. • Les tableaux et graphiques sont difficilement exploitables par Arthur et seront remplacés soit par un paragraphe argumenté, soit par leur description par une tierce personne (AESH). De même, les schémas à interpréter seront décrits par le secrétaire. 176 Chapitre 8. Obstacles visuo-practo-spatiaux masqués et compensations • Les travaux pratiques/manipulations posent des difficultés à Arthur, il est préférable de lui demander de dicter à son AESH les manipulations à effectuer ou à un binôme nommé par le professeur qui manipulera sous la dictée d'Arthur. Fonctions du secrétaire : • aménager la présentation : la compréhension du contrôle sera optimale si : – la police de caractère Arial a une taille 14 (à défaut, une photocopie agrandie au format A3 sera plus accessible pour Arthur), – le texte est bien aéré, – les photos, les schémas, les graphiques, les cartes sont de très bonne qualité et le plus aéré possible. Il est important que l'adulte décrive ces supports en raison des difficultés dans le domaine visuospatial. Il est ­préférable de remplacer le support visuel par une question de cours. Exemple : compléter le schéma du cœur remplacé par expliquer la circulation du sang dans le muscle cardiaque ; • organiser le tiers-temps (si le contrôle dépasse les 2 heures : aménager également des temps de pause, ce jeune reste fatigable) ; • le secrétaire peut rappeler à Arthur pendant le contrôle de se concentrer en raison de sa fatigabilité. • organiser le tiers-temps (si le contrôle dépasse les 2 heures : aménager également des temps de pause, ce jeune reste fatigable) ; • le secrétaire peut rappeler à Arthur pendant le contrôle de se concentrer en raison de sa fatigabilité ; • pour l'expression écrite : – privilégier dans un premier temps la verbalisation des idées et les noter au fur et à mesure, – puis relire les idées notées et demander à Arthur de trouver des thèmes généraux permettant de regrouper ses idées, – regrouper les idées par thèmes en suivant les indications d'Arthur et en lui demandant de donner l'ordre dans lequel les développer (faire un plan), – passer à la rédaction proprement dite sous la dictée d'Arthur. Il faut lui relire le plan là où il en est rendu dans sa rédaction, au fur et à mesure de l'avancée des paragraphes. Cette segmentation des tâches permet en partie de pallier les difficultés d'organisation. Préconisations de démarche d'accompagnement spécifique et adaptation des supports en histoiregéographie Du matériel spécifique peut être préparé par l'AESH en collaboration avec le professeur, notamment avant le contrôle. • La frise chronologique et les cartes posent beaucoup de difficultés de repères spatiaux pour ce jeune. En effet, il serait préférable de les remplacer par des questions précises sur les événements et/ou pays. • Les cartes posent beaucoup de difficultés de repères spatiaux pour Arthur. En effet, il serait préférable de les remplacer par des paragraphes argumentés. Si l'on utilise des cartes : – il faut mettre les éléments en couleur avec un code identique tout au long de la scolarité (même couleur par continent pour les cartes mondiales, puis par continent une couleur différente par pays) : fleuves en bleu… ; – privilégier une présentation claire et de bonne qualité ; – les cartes aérées, non surchargées et d'une taille A4 (par carte) sont moins difficilement utilisables par Arthur. Elles le seront d'autant moins que chaque continent sera d'une couleur spécifique identique à chaque contrôle. Préconisations de démarche d'accompagnement spécifique et adaptation des supports en français Quels sont les objectifs et les prérequis sollicités dans ce contrôle ? Le français est composé de plusieurs matières (conjugaison, grammaire, orthographe, vocabulaire) et de plusieurs évaluations qui peuvent réunir toutes les matières, ou une partie, ou une seule : la rédaction, la dictée, la poésie (qui sollicite la mémoire du « par cœur »), les questions de dictée… Il est donc difficile d'établir des consignes uniques pour le français. Néanmoins, des règles générales peuvent être établies. Fonctions du secrétaire : • aménager la présentation : la compréhension du contrôle sera optimale si : – la police de caractère Arial a une taille 14 (à défaut, une photocopie agrandie au format A3 sera plus accessible pour Arthur), – le texte est bien aéré, – les photos, les schémas et les cartes sont de très bonne qualité et décrits par une tierce personne ; 177 Partie II. Propositions thérapeutiques et mise en œuvre • Pour les tableaux et les graphiques, le même problème de repérage se posera. Il faudra privilégier une présentation aérée, non surchargée, de taille A4 (par support). Un code couleur est aussi nécessaire (une couleur par ligne et par colonne pour les tableaux), associé à une lecture par le secrétaire. Cependant, ces supports ne sont vraiment pas conseillés pour Arthur. Fonctions du secrétaire : • aménager la présentation : la compréhension du contrôle sera optimale si : – la police de caractère Arial a une taille 14 (à défaut, une photocopie agrandie au format A3 sera plus accessible pour Arthur), – le texte est bien aéré, – les photos, les schémas et les cartes sont de très bonne qualité, de contraste élevé et décrits par le secrétaire ; • organiser le tiers-temps (si le contrôle dépasse les 2 heures : aménager également des temps de pause, ce jeune reste fatigable) ; • le secrétaire peut rappeler à Arthur pendant le contrôle de se concentrer en raison de sa fatigabilité. Dans cet exemple, on voit que la répétition de certaines consignes permet que chaque profes­ seur, dans chaque discipline, dispose d'une « fiche » de rappel synthétique concernant les préconisations utiles pour Arthur. La présence du seul professeur principal lors de certaines réunions, puis la rédaction d'un PPS peu détaillé favorisent des dérives très nocives pour l'enfant. Le PPS doit donc être préparé bien en amont, tant avec l'enfant lui-même, les parents que l'équipe éducative et l'enseignant référent (à la MDPH). Bien sûr, parfois, il faut accepter de renoncer, de faire le deuil de certaines compétences qui resteront inaccessibles ou en tout cas le reflet direct des difficultés particulières de ces jeunes : tout n'est pas « compensable » en matière de handicap… Lorsque la suppression d'une activité, d'un support ou d'une compétence s'impose (utilisation de cartes en géographie ou de schémas en SVT ou en sciences physiques), alors ce renoncement et les techniques de remplacement préconisées doivent être explicités et justifiés aux yeux de l'enfant. Il faut motiver de façon claire et réaliste les raisons de ce changement radical de méthode et mettre en avant ses capacités d'apprentissage. Il est important de prendre le temps d'expliquer à ces jeunes que les propositions de substitution de ces supports n'empêchent en rien l'acquisition de nouvelles connaissances, bien au contraire : c'est parce qu'on les pense capables de ces acquisitions que ces propositions alternatives leur sont faites. L'adaptation des supports pédagogiques requiert une démarche fine, détaillée et pertinente d'analyse des différentes composantes neuropsychologiques mises en jeu par l'utilisation des documents usuels, tout au long de la scolarité. Elle doit servir à mettre en relation chacune de ces composantes et la nature/l'intensité des difficultés de l'enfant. Ainsi, il est possible de repérer rapidement et sans oubli les domaines où une adaptation doit être pensée, réfléchie et mise en application. Il est tout à fait faux de croire que des adaptations « universelles » existent. Bien sûr, un certain nombre d'entre elles peuvent être utilisées par plusieurs enfants dyspraxiques. Mais chaque adaptation doit se penser comme un travail « sur mesure », partie intégrante de la scolarité de ce jeune et être finement personnalisée afin de correspondre certes aux difficultés particulières du jeune, mais aussi et surtout à ses capacités tout autant particulières, singulières et personnelles. Conclusion Nous avons vu que certains supports pédagogiques n'étaient pas accessibles et devaient être soit abandonnés, soit très adaptés, voire transformés, pour permettre aux jeunes dyspraxiques d'effectuer les mêmes acquisitions et les mêmes apprentissages que leurs pairs dès que cela est possible. 178 Chapitre 8. Obstacles visuo-practo-spatiaux masqués et compensations Enfin, il faut en permanence réajuster ces propositions en fonction de l'évolution du jeune et de sa famille, de ses acquisitions, ses progrès, mais aussi des exigences scolaires croissantes, en lien étroit avec ses choix de vie. Adapter suppose de prendre en compte le handicap, les capacités, l'environnement et le désir de la personne. C'est elle qui sera le fil conducteur nécessaire à la réussite de son projet (tableaux 8.7 et 8.8, cf. « Cahier couleur » en fin d'ouvrage). • être acceptées de l'élève que si les enseignants légitiment ces stratégies et si ses parents le soutiennent. C'est donc l'investissement conjoint et cohérent de toute une équipe qui est requis… C'est pourquoi rappelons une fois encore que seul un partenariat étroit entre les différents intervenants autour de la scolarité d'un enfant dyspraxique permettra la réussite du projet scolaire et donc, à plus long terme, du projet de vie de l'enfant. Ces adaptations ne peuvent : Cette adaptation paraît souvent compliquée à mettre en place, alors qu'elle n'est finalement que la traduction écrite du tableau. En effet, le texte explicatif que nous proposons de soumettre aux enfants dyspraxiques comme support de leçon ou exercice correspond à l'explication orale du tableau que donne l'enseignant à sa classe. Le tableau qui est un résumé synthétique plus clair et plus facile d'utilisation pour la plupart d'entre nous est difficile d'accès à Arthur. Il peut assez facilement se remplacer par son texte descriptif plus aisément accessible et exploitable. Cela semble plus compliqué d'utiliser un texte explicatif comme support plutôt qu'un tableau. Or, pour Arthur, le raisonnement sans support spatial est plus facile. • se concevoir sans l'intervention de spécialistes qui connaissent bien et le développement des fonctions cognitives de l'enfant, et le handicap que constitue la dyspraxie ; • prendre corps sans la connaissance et la compréhension, au fond, des exigences, contraintes, objectifs et enjeux de la scolarité ; • être mises en œuvre avec efficacité sur le long terme sans l'assentiment sincère des pédagogues, qui guideront l'action des personnels intervenants en situation scolaire (AESH, secrétaire) ; • être pérennes que si l'enseignant référent, garant de la mise en œuvre et du suivi du projet de scolarisation, s'engage ; 179 L'ordinateur pour l'école L'ordinateur est un outil de compensation formidable pour ces jeunes, d'autant que c'est aussi un outil qui, hors de la classe, est de plus en plus banalisé. Ce n'est pas seulement un outil de compensation de la dysgraphie (une sorte de machine à écrire un peu sophistiquée !) et l'on ne peut pas seulement « octroyer » un ordinateur à l'enfant dyspraxique en imaginant que cela réglerait plus ou moins l'essentiel de ses problèmes. Nous abordons donc ici les questions de l'intérêt et de la mise en œuvre de l'ordinateur à et surtout pour l'école. C'est un travail de longue haleine, qui nécessite réflexion et méthode, aussi bien pour les professionnels (en général l'ergothérapeute) que pour le jeune lui-même. 9 • le gain orthographique ; • la double tâche ; • les possibilités de relecture ou de lecture de texte si l'enfant a besoin d'un logiciel de retour vocal. Sinon, l'ordinateur, présenté comme une aide, ne sera en fait qu'un outil supplémentaire à gérer, tant pour l'enfant que pour l'enseignant. En moyenne, c'est environ un an après les premières prises de contact et le début de l'apprentissage du clavier que l'ordinateur peut être introduit dans la classe avec bénéfice et, initialement, pour des tâches réduites et ciblées définies avec l'enseignant (dictée, expression écrite…). Introduction de l'ordinateur Les conditions concrètes de cette introduction doivent être discutées avec l'enfant bien sûr, mais aussi avec l'enseignant et les parents : moments et activités scolaires durant lesquels l'enfant peut bénéficier de l'ordinateur, localisation des prises électriques dans la classe pour recharger la batterie, emplacement de l'imprimante, modalités d'impression, moments et nature des interventions de l'AESH, recours en cas de panne ou de bug, etc. Le lien entre les productions à l'école et les devoirs à la maison doit aussi être organisé. Il est assez logique de penser que si l'enfant commence à utiliser l'ordinateur à l'école, une partie des devoirs puisse également se faire avec cet outil à la maison. Tout ceci peut également faire l'objet d'une fiche écrite et/ou être inscrit au PPS. L'enseignant (et l'AESH) doit savoir précisément ce que l'enfant : • peut faire seul en classe et dans quelles conditions (de temps, d'installation, de type de document ou d'exercice…) ; en classe À quel moment ? Selon quels critères ? L'enfant dyspraxique et les apprentissages © 2016, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés Chapitre Apprendre à utiliser un ordinateur lors de séances individuelles de rééducation est tout autre chose que d'arriver à l'école avec un matériel inhabituel : la première situation peut être vécue comme gratifiante et ludique, alors que la seconde peut l'être comme stigmatisante, infamante, honteuse (cf. p. 5, 75). En tout état de cause, l'ordinateur ne doit jamais être proposé dans le cadre scolaire tant que l'enfant n'y est pas au moins aussi performant qu'à la main. La performance envisagée n'est pas qu'une question de vitesse. On doit faire le point sur : • la lisibilité ; • l'endurance main versus ordinateur ; 181 Partie II. Propositions thérapeutiques et mise en œuvre • peut faire avec aide ou préparation, adaptation (le type d'aide doit être détaillé) ; • ne peut pas faire du tout avec son ordinateur (dispensé ou réalisé par une tierce personne, cf. p. 184, 186). Ces informations sont éminemment évolutives et donc des rencontres régulières doivent être instaurées entre l'ergothérapeute (ou le représentant du SESSD) et l'enseignant (ou les enseignants, au niveau du collège). Le moment choisi pour faire entrer l'ordinateur en classe est donc fonction du handicap, des contraintes inhérentes à la classe fréquentée et de l'âge de l'enfant. La vitesse de frappe doit répondre aux exigences scolaires lorsque cela est possible. Il existe plusieurs bilans de vitesse d'écriture, qui nous indiquent la vitesse graphique attendue soit à l'âge réel de l'enfant, soit en fonction de la classe fréquentée (cf. p. 53). En classe, il faut dissocier les différentes situations d'utilisation de l'ordinateur (cf. p. 130, 191) : quelle rapidité a-t-on sur une tâche de copie, de production de langage écrit, de prise de notes ou de dictée [66] ? Toutes ces situations sont à considérer en fonction de l'âge de l'enfant. On ne peut pas parler de prise de notes proprement dite avant la fin du collège. Par exemple, il arrive que des enfants qui avaient une vitesse de frappe correcte jusqu'à la fin du primaire se trouvent en difficulté à l'entrée du collège. La gestion des activités ne se fait plus sur une journée entière par un enseignant unique. Cette organisation est dévolue à plusieurs enseignants, sur un temps limité (50 minutes), et il faut changer de salle à chaque cours, voire d'étage, et donc réinstaller le matériel. Ces nouveaux paramètres peuvent effondrer une organisation qui jusque-là fonctionnait et mettre le jeune en échec. Cet échec peut participer au refus du jeune de continuer à utiliser l'ordinateur. Il faut alors négocier avec les enseignants la quantité d'écrits, la mise à disposition des cours par anticipation (le jeune écoute alors le cours ou ne note que le plan du cours…), des photocopies du cours pris par un autre élève (se pose alors le problème de la gestion des photocopies [p. 183]). Si l'apprentissage de l'ordinateur s'est fait au cours de la grande section de maternelle, on peut avec l'accord de l'enseignant le mettre en classe dès la rentrée de CP. L'enfant automatise le clavier en l'utilisant en classe pendant que les autres enfants automatisent le graphisme manuel. Logiciels à usage scolaire Certains logiciels sont utiles (ou indispensables) dans la scolarité de l'enfant, il lui faut apprendre à les maîtriser. En effet, à partir de la fin du primaire, la vitesse de frappe peut s'avérer insuffisante pour la prise de notes à l'aube du collège. Certains logiciels prédictifs de frappe peuvent être mis en place pour faire gagner du temps sur la vitesse de frappe. Il faut toutefois être vigilant dans leur choix, car certains enfants peuvent avoir du mal à « trier visuellement » les informations (trop nombreuses) qui leur sont proposées. On peut aussi rentrer dans leur traitement de texte leurs propres abréviations (lorsque l'enfant tape /bcp espace/, l'ordinateur écrit /beaucoup/). Pièges et bugs Il faut choisir judicieusement les abréviations, car si pour /svt/ vous voulez que l'ordinateur écrive le mot « souvent », le jour où l'élève sera en cours de sciences et vie de la Terre (SVT), l'ordinateur lui remplacera systématiquement l'abréviation par le mot /souvent/. Il suffit, par exemple, pour la discipline, d'insérer un point après chaque lettre (S.V.T.) pour que l'ordinateur ne modifie plus l'abréviation. D'autres types de logiciels peuvent rendre service à l'enfant, notamment en géométrie. Il ne s'agit pas de transférer sur l'ordinateur ni manipulation ni organisation spatiale d'outils, stratégie qui ne permet pas à ces enfants ­d 'apprendre ni de raisonner. Au contraire, on ­privilégie des logiciels s'appuyant sur l'utilisation des propriétés géométriques des figures (cf. p. 137, 140, 141, 194, fig. 7.2, fig. 7.3). Cependant, il ne faut pas que l'enfant investisse toute son énergie à prouver qu'il peut y arriver à tout prix si cet investissement obère ses autres apprentissages (cf. p. 96, 167). Limiter la quantité d'écrits reste une priorité, même lorsque l'élève se débrouille bien à l'ordinateur. 182 Chapitre 9. L'ordinateur pour l'école Compléments de l'ordinateur temps). Par ailleurs, même lorsqu'il est présent, le principe d'économie de la production écrite conduit à lui fournir des photocopies chaque fois qu'il s'agit de copier ou de recopier. L'ordinateur, même utilisé dans les meilleures conditions, n'est qu'un palliatif qui comporte ses propres limites. Certains jeunes, du fait de leur handicap, ne pourront en avoir un usage réellement rapide et efficient. Mais de toute façon, à partir du lycée, les exigences liées à la prise de notes et les très importantes quantités d'écrits lors de chaque cours ne peuvent plus être réglées par la frappe, en temps réel, toute la journée [67]. Mais il est important que l'enseignant puisse l'indiquer à l'avance à l'AESH (copie d'une poésie, d'un résumé, d'une expérience, d'un document) afin que l'enfant en dispose et puisse exploiter le document en cours, en même temps que ses camarades. Il faut donc, dès que le diagnostic est posé, réduire au maximum la quantité d'écrits qui est demandée à l'enfant, et ce sans qu'il en soit pénalisé ni en termes d'acquisition (orthographique…) ni en ce qui concerne les documents dont il a besoin pour apprendre et réviser. La photocopie peut aussi être nécessaire de façon ponctuelle, parce que l'enfant a du retard dans une activité, ou parce qu'il a utilisé son tiers-temps (cf. p. 184, 186) pour finir un contrôle qui déborde sur l'activité suivante, ou parce qu'ayant pris des notes à l'ordinateur, ces dernières s'avèrent incomplètes ou trop lacunaires pour être utilisables. Dans ces cas, c'est l'AESH qui doit prendre l'initiative de fournir un document de qualité à l'enfant, et ce rapidement, le plus souvent avant la sortie du soir. Ceci passe, selon les âges et les fonctions de l'écrit, par différentes stratégies qui doivent être gérées en classe par l'AESH (et, au domicile, par les parents), en accord avec l'enseignant. Pour la mise en œuvre de la plupart de ces stratégies, l'aide ou les conseils pratiques de l'ergothérapeute sont très précieux. Aménager la typographie et la présentation Le document photocopié peut être celui d'un camarade, ou bien extrait d'un livre, ou encore ce peut être une photocopie que l'enseignant distribue aux élèves. Il faut d'abord toujours en vérifier la qualité de contraste et d'impression (troubles visuels et neurovisuels, cf. p. 4), vérifier également que le jeune peut lire cette écriture, sous peine que ce support soit tout à fait inexploitable par notre jeune dyspraxique : c'est un préalable indispensable. Ensuite, dans un nombre non négligeable de cas, il faut aménager la présentation du document pour en faciliter la lecture par l'enfant : découper, encadrer, agrandir, colorier, augmenter les interlignes, ne laisser qu'un paragraphe (ou une consigne, une information…) par page, etc. (cf. p. 104, 105). Photocopies Il faut bien se rendre compte qu'il ne suffit pas d'autoriser l'enfant à faire des photocopies ni même à les faire exécuter par un tiers qui les donnerait à l'enfant. Du fait de la dyspraxie et puisque l'enfant est souvent le seul de sa classe à utiliser ce procédé, la gestion des photocopies s'avère en fait complexe et dévoreuse de temps. C'est pourquoi il est préférable que cela soit confié à l'AESH, cette personne étant bien informée des détails de la réalisation de la tâche qui lui incombe. Photocopies : systématiques ou occasionnelles ? Les numéroter, les classer, les ranger Les photocopies systématiques sont relativement plus faciles à gérer s'il s'agit de temps scolaires durant lesquels l'élève est régulièrement absent (rééducation ou autre aménagement d'emploi du Cette accumulation de papiers n'a aucun intérêt si l'adulte ne prend pas un soin extrême à titrer, 183 Partie II. Propositions thérapeutiques et mise en œuvre numéroter, dater, classer, agrafer, puis coller et ranger toute photocopie produite. Faute de quoi, nous retrouverons au fond du cartable, déchirés, froissés, en lambeaux, la fin d'un cours de géographie, la fiche de vocabulaire d'anglais qui devait être apprise pour la semaine précédente, des pages de brouillon, des bouts d'exercices, des extraits de cours ou de contrôles, dont on ne peut même plus retrouver le début, ni la fin, ni l'intérêt, ni la date… Il faut toujours être très vigilant à ne pas fournir des matériels (ordinateur) ou documents (photocopies) supplémentaires sans s'être assuré que : • soit l'enfant peut leur appliquer, pour un coût cognitif acceptable, une procédure efficace (ce qui est assez rare chez l'enfant dyspraxique) ; • soit un adulte en garantit, de façon stricte et régulière, la gestion au quotidien. • voire incompréhension de celui qui trouve que « tout de même, si l'enfant écrivait durant les cours, il rêvasserait moins » ou « il écrirait mieux » (cf. p. 75) ; • ou encore, devant la photocopieuse, refus de tel adulte extérieur à la classe qui ignore la situation particulière de l'enfant, ou encore réflexions sur le quota de photocopies qui est dépassé, le prix des cartouches d'encre, etc. De plus, sur le plan pratique, il faut que la photocopieuse soit accessible facilement, car lorsqu'il faut en plus s'en procurer la clé qui est dans le bureau du principal ou du CPE… cela devient vite ingérable pour le jeune. Notre jeune dyspraxique, déjà très insécurisé et très mal à l'aise avec son statut particulier, ne doit en aucun cas se confronter à ces situations, pourtant bien naturelles. Ce n'est en effet que très progressivement que l'on peut déléguer au jeune une partie de cette « maintenance » : c'est pratiquement jusqu'à la fin des études secondaires que ces enfants ont besoin d'un important étayage dans le domaine organisationnel (cartable, bureau, trousse, classeurs…). Ce sont les adultes qui doivent l'aider, lui rendre les aspects matériels de la scolarité plus faciles, mettre à sa disposition les outils spécifiques dont il a besoin et régler au quotidien les difficultés ou petites dissensions qui peuvent naître d'une méconnaissance du trouble et de ses nécessaires compensations. Enfin, si les plus grands (collège, lycée) peuvent quelquefois consacrer une partie de la récréation du déjeuner à ces activités (se procurer les originaux, les photocopier, les annoter, les classer et les ranger, remettre les originaux à leurs propriétaires), ceci est peu envisageable pour les plus jeunes et, dans tous les cas, cela reste sous contrôle attentionnel et donc coûteux. Cette « charge cognitive » est toujours dépensée au détriment d'une autre activité nécessitant du contrôle attentionnel. Il faut donc être très attentif à ce que ça ne soit pas aux dépens d'activités de haut niveau. En outre, il convient de leur éviter les réticences que cela suscite souvent : • lassitude d'un camarade sollicité en permanence pour fournir l'écrit de référence (il peut être préférable d'organiser une permutation entre plusieurs élèves dont l'écriture est claire sur le plan calligraphique et les écrits de bonne qualité sur le plan rédactionnel et orthographique) ; • contrariété de l'enseignant qui n'a pas anticipé tel ou tel développement de son cours et auquel on demande un texte rédigé ; Le secrétaire Selon les cas (la nature et les buts de l'écrit), ce peut être l'enseignant lui-même, un camarade ou l'AESH qui servent de secrétaire. Ce n'est en effet pas la même chose d'écrire rapidement en fin de journée sur le cahier de textes les devoirs à faire pour le lendemain (cf. p. 69), ou de faire une dictée, ou de répondre à des questions concernant la leçon d'histoire, ou de produire une rédaction (cf. p. 59, 65). Dans le premier cas, peu importe qui inscrit le travail à faire, pourvu que les devoirs soient inscrits et notés au bon endroit : de nombreux parents rapportent que leur premier travail, lorsque l'enfant revient de l'école, c'est de téléphoner aux uns et aux autres (dont certains finissent par manifester leur lassitude !) pour savoir ce qu'il y a à faire et disposer des supports convenables pour effectuer les devoirs. Dans le second cas (restitution d'un savoir, orthographique ou académique), il est important que l'enseignant puisse faire confiance au tandem « enfant-AESH ». On entend souvent en 184 Chapitre 9. L'ordinateur pour l'école effet l'enseignant s'interroger sur qui a réellement fait la dictée (ou le devoir d'histoire) : l'enfant ou l'AESH ? Quelle est la part, même involontaire, d'influence de l'AESH ? A contrario, on entend souvent aussi l'AESH déclarer : « Je me tiens en retrait » afin de laisser l'enfant faire seul, soit pour qu'il « gagne en autonomie » (cf. p. 5, 74, et 201), soit pour qu'il puisse être évalué « comme les autres » ! Dans les deux cas, on voit que le handicap n'est pas compris, que le rôle de l'AESH n'a pas été clairement expliqué. Dans les deux cas, l'enfant est en porte-à-faux, il a l'impression de tricher (ce qui d'ailleurs lui est souvent renvoyé par ses pairs : « C'est pas juste, lui, il a quelqu'un qui écrit les réponses à sa place ! »), de ne pas mériter les bonnes notes ou les compliments (cf. p. 72), mais, en même temps, la compensation réelle de son handicap n'est pas assurée, attisant chez lui un sentiment d'injustice et de victimisation. C'est pourquoi, pour chaque enfant, il est souhaitable de disposer d'une fiche écrite (à joindre au PPS) qui précise très concrètement ce que l'enfant (cf. p. 173 à 178) : • peut faire seul, comme les autres (par exemple, apprendre et réciter sa poésie) ; • peut faire seul après aménagements (par exemple, taper les mots de la dictée une fois l'ordinateur et le bon dossier ouverts, la dictée étant réduite d'un tiers de sa longueur) ; • peut faire avec aide et quelle aide (par exemple, l'AESH répète les mots de la dictée à son rythme ou bien il tape seul les cinq premiers mots, puis l'AESH écrit sous son épellation, etc.) ; • ne peut pas faire et que l'on doit faire à sa place (par exemple, ranger son classeur, écrire les devoirs à faire sur le cahier de textes, etc.). Oral Apprendre, réviser Chaque fois que possible, il est très souhaitable de proposer à l'enfant d'utiliser l'oral (pour les apprentissages, la restitution, les contrôles) en lieu et place de l'écrit. Apprendre l'orthographe d'une liste de mots en vue d'une dictée (cf. p. 102, 103) peut passer par l'apprentissage par cœur, oralement, des caractéristiques orthographiques des mots, leur épellation, la constitution de listes de mots partageant la même particularité orthographique ou de mots de la même famille (phonologique, orthographique ou sémantique), l'apprentissage par cœur de règles et de leurs exceptions, voire même de moyens mnémotechniques. Les méthodes habituellement préconisées, telles qu'écrire les mots à plusieurs reprises, ne sont pas une stratégie valide pour les jeunes dyspraxiques. Ceci est vrai aussi des leçons d'histoire, de vocabulaire, de grammaire ou de sciences : l'enfant peut lire le résumé (ou la trame, ou les idées principales, ou le plan détaillé…) à haute voix et s'enregistrer, puis réécouter son propre enregistrement à plusieurs reprises. Lorsque l'information initiale se présente sous la forme d'un tableau ou d'une carte, d'un graphe ou d'un schéma (cf. p. 147, 148, 149, 150, 163), elle doit préalablement être transformée en une suite séquentielle d'informations verbales, déroulées en un listing séquentiel, comprenant toutes les informations requises ainsi que les liens ou intersections entre ces informations. Ce travail de préparation doit être confié à l'AESH ou, ponctuellement et à titre exceptionnel, demandé aux parents. L'enseignant doit participer à la validation de ces procédures (réunion de PPS, rencontres avec les rééducateurs et/ou le SESSD, réunion de concertation ou de synthèse), les présenter positivement et donner explicitement son accord à l'enfant pour leur utilisation. Ensuite, il doit contribuer à les faire évoluer en fonction des progrès du jeune et des contraintes des programmes. Cette prise de position légitimera pour l'enfant le recours à ces aides et participera à leur acceptation par l'élève et les camarades de la classe. Contrôles En classe, pour la restitution des connaissances, il faut privilégier la dictée à l'adulte, mais il faut que l'enfant apprenne progressivement à travailler avec un secrétaire. La plupart du temps, c'est l'AESH qui remplit ce rôle. En effet, l'enfant doit être entraîné à dicter à l'adulte, de même qu'il doit l'être à utiliser de façon efficace le tiers-temps supplémentaire dont il bénéficie souvent. Ce travail sera également un atout supplémentaire si l'on a recours ultérieurement à une dictée vocale (cf. p. 170). 185 Partie II. Propositions thérapeutiques et mise en œuvre Enfin, lors de certains contrôles ou de brèves interrogations de début de cours, l'enseignant peut aussi quelquefois accepter d'interroger oralement le jeune dyspraxique pendant que le reste de la classe compose par écrit. De toute façon, lorsqu'on propose des adaptations, elles doivent être expliquées à l'enfant, ce que l'on en attend et ce qui motive les changements que l'on apporte par rapport à ce que font ses camarades de classe. Dans le cas du secrétaire, on doit se mettre d'accord avec l'enfant sur les tâches qui sont dévolues à chacun. Ces tâches peuvent être listées, ce qui permet de discuter avec l'enfant et qu'il soit partie prenante de ces dispositions. Parfois, les enfants demandent à être accompagnés pour faire une information en classe quand ils se sentent démunis pour répondre aux questions des autres enfants ou à leurs moqueries. On la prépare toujours avec eux (cf. p. 76). Ces discussions se font ensuite en classe, avec l'accord de l'enseignant sur un temps qu'il aura choisi. Le directeur de l'établissement est cosignataire (avec les parents) du document et responsable de sa mise en œuvre. C'est à lui que les parents doivent s'adresser en cas de litige. Dans la mesure où ce plan ne nécessite pas le recours à la MDPH, il est plutôt conseillé dans les cas de troubles discrets ou modérés ou dans la période d'attente de la reconnaissance du handicap par la MDPH. Le PPS ou plan personnalisé de scolarisation Ce document, établi à la demande de la famille, nécessite une reconnaissance de handicap par la MDPH. Il permet toutes les adaptations scolaires nécessaires à l'enfant, au cas par cas, éventuellement la reconnaissance du besoin d'aide humaine (AESH) et l'évaluation des compensations justifiées par le handicap de l'enfant, en particulier des frais financiers (rééducations non prises en charge par la Sécurité sociale…). Le PPS est également incontournable lorsque les aménagements de la scolarité impliquent des dérogations aux dispositions réglementaires de la scolarité : temps partiel, dispense de certains enseignements, etc. Très important : c'est l'enseignant référent (à la MDPH) et l'inspecteur ASH qui sont garants de la mise en œuvre du PPS. C'est également ces personnes qu'il faut saisir en cas de litige ou de difficulté d'application du PPS. Formaliser les adaptations et aménagements Le PAP et le PPS sont les deux documents prévus par l'EN pour formaliser l'accompagnement de la scolarisation des enfants présentant des troubles spécifiques des apprentissages. Aménagement des examens et concours Le PAP D'une façon générale, tous les aménagements (techniques et/ou humains) et dispenses dont le jeune a bénéficié au cours des mois et années précédentes sont susceptibles d'être utilisés lors des examens, si ces aides sont médicalement justifiées (cf. note de bas de page n° 38 p. 71 et note de bas de page n° 60 p. 142), en particulier celles listées dans un PAP ou un PPS. Ce plan d'accompagnement personnalisé63 est demandé soit par l'équipe éducative, soit par les parents. Il remplace les anciens PAI-dys (prévus pour les enfants malades), non adaptés aux jeunes présentant un handicap scolaire. Le médecin scolaire doit en valider la justification. Il ne comprend que des adaptations pédagogiques (y compris l'ordinateur), décidées et mises en place par l'équipe pédagogique, éventuellement avec l'avis et les conseils des professionnels du soin (médecin qui suit l'enfant, rééducateurs) : il s'agit de cocher, dans une liste non exhaustive, les différentes adaptations parmi celles proposées dans le document. Il s'agit donc plutôt de préconisations générales. 63 Tiers-temps L'enfant présentant un ou plusieurs handicaps peut bénéficier du tiers-temps supplémentaire. Cela permet de compenser la lenteur intrinsèque et/ou liée aux aides dont l'enfant a besoin. Mais, chez des jeunes très fatigables, l'augmentation de la durée des épreuves peut aggraver la fatigue : il faut savoir ménager des pauses de façon stratégique. Circulaire no 2015-016 du 22 janvier 2015. 186 Chapitre 9. L'ordinateur pour l'école Mais bénéficier d'un temps supplémentaire, comme de toute autre adaptation, nécessite un temps d'apprentissage pour être utilisé de manière optimale. Il faut donc anticiper cet apprentissage bien avant les premiers examens officiels. Or, c'est souvent très difficile à aménager dans le cursus habituel de la scolarité, car les cours se succèdent sans laisser le loisir d'un « débord » sur le cours suivant. Lors des contrôles habituels, on peut alors soit limiter la quantité de travail à fournir par l'enfant handicapé d'un tiers, soit modifier le barème de correction. Cependant, il faut absolument mettre l'enfant en situation réelle de tiers-temps à plusieurs reprises avant la passation des premiers examens officiels. Le contrôle peut alors avoir lieu dans une salle à part avec son AESH ou, mieux, un secrétaire avec lequel le jeune n'a pas l'habitude de travailler (un professeur peut même quelquefois accepter de jouer ce rôle), ce qui permet aussi de lever tout doute sur l'authenticité des réponses de l'enfant et la légitimité de la note qu'il obtient. La circulaire 2015-127 du 3 août 2015 précise les dispositions légales en vigueur. Notons en particulier : « Ces aides doivent être en cohérence avec celles utilisées par l'élève au cours de la scolarité. » Pratiquement, les familles doivent solliciter le médecin scolaire dès le début de l'année de l'examen. Les demandes d'aménagements pour les examens et concours doivent être adressées au médecin scolaire ou bien, le cas échéant (absence de médecin scolaire), à l'un des médecins désignés par la Commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH). Ce dernier doit, dans son certificat médical, s'attacher à détailler et à motiver précisément les aides et aménagements nécessaires, c'est-à-dire les répercussions du déficit de l'enfant dans les apprentissages, en s'appuyant sur les bilans des différents professionnels qui suivent l'enfant. Une concertation importante avec les rééducateurs, les enseignants et l'A ESH le cas échéant (surtout si l'A ESH a l'expérience de l'accompagnement du jeune lors des évaluations et/ou d'examens précédents) peut fournir de précieux renseignements complémentaires sur la concentration, l'attention et la fatigabilité éventuelles du jeune. Les grilles décrites ci-dessus (cf. p. 156, 158, 160, 162, 164, 166, 168, 169) peuvent aussi constituer un support solide et circonstancié. L'enseignant référent à la MDPH doit être informé, il conseille efficacement sur les formalités à faire, les personnes à contacter, les dossiers à remplir, les délais à respecter (les demandes doivent souvent se faire dès le début de l'année scolaire pour laquelle l'aménagement d'examen est demandé). Dispenses Des enfants dyspraxiques peuvent être dispensés de cartes, plans ou graphiques. Dans ce cas, l'épreuve est généralement remplacée par une question de cours. Il ne s'agit pas d'une liste limitative : d'autres dispenses ou aménagements peuvent être envisagés, au cas par cas, en collaboration avec l'EN, s'ils s'avèrent médicalement justifiés. 187 C Cahier des charges pour les compensations : démarche d'analyse hapitre L'enfant dyspraxique et les apprentissages © 2016, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés Les progrès technologiques nous offrent une palette « d'outils » pour faciliter notre vie quotidienne. Certains de ces outils autrefois réservés au milieu spécialisé se sont maintenant démocratisés : citons les smartphones qui sont équipés de commandes et de synthèses vocales, qui nous permettent de nous diriger sans avoir besoin de nous repérer sur un plan ou qui écrivent le message que nous souhaitons envoyer à un de nos contacts. Cette profusion peut nous donner l'illusion que tout problème a sa solution. La démarche qui consisterait à faire la liste des déficiences à compenser sans tenir compte de l'environnement et de l'âge serait bien évidemment vouée à l'échec. Il en serait ainsi également pour une réponse qui serait plaquée sur la réalité (je ne peux pas utiliser une règle pour mesurer, j'utilise une règle sur l'ordinateur), sans tenir compte des mécanismes sous-jacents au déficit. Le but de l'aide technologique est bien d'aider à atteindre une compétence. 10 élaborés. Il en existe plusieurs dont l'étude fait maintenant partie de la formation initiale des ergothérapeutes [86]. Citons le « modèle de résolution de problème », bien connu des ergothérapeutes, qui permet de structurer les étapes de l'analyse, d'expliquer et d'argumenter les démarches qui vont être effectuées et d'évaluer les processus et les résultats. Le patient est acteur dans la démarche puisqu'il est sollicité sur les objectifs qu'il souhaite atteindre. Il est donc essentiel de connaître ses points forts sur lesquels on peut s'appuyer pour contourner le trouble. On peut se reporter aux cinq étapes décrites par M. C. Détraz [87] : • évaluation initiale : recueil des données, analyse et synthèse de ces données ; • détermination des objectifs à atteindre ; • définition du programme d'intervention et planification : moyens mis en œuvre ; • mise en œuvre de l'intervention ; • évaluation intermédiaire ou finale. Une approche centrée sur les troubles des apprentissages a été élaborée au Canada par Jean Chouinard (Service national du RÉCIT en adaptation scolaire64) à partir de 2006 : le modèle des fonctions d'aide. En 2010, Marc Tremblay, conseiller pédagogique, l'a diffusé dans ses formations au personnel enseignant canadien. C'est à ce travail que nous nous référons. La réflexion ne doit pas donc tant porter en première intention sur le matériel, mais tout d'abord sur la démarche d'analyse de la situation et du besoin de compensation, puis sur la transférabilité de la solution mise en place. Cadre de réflexion 64 Pour étayer une démarche d'analyse, des modèles conceptuels sur lesquels on peut s'appuyer ont été 189 Le RÉCIT est un réseau de personnes-ressources dans les commissions scolaires dédié au développement des compétences par l'intégration des technologies en conformité avec le programme de formation de l'école québécoise. Partie II. Propositions thérapeutiques et mise en œuvre Ce modèle favorise une connaissance théorique plus étendue des différentes aides technologiques disponibles sur le marché, qu'elles soient payantes ou gratuites. L'aide technologique est définie comme une assistance technologique qui permet à une personne de réaliser une tâche, de développer une compétence ou d'atteindre un état qu'elle ne pourrait (ou difficilement) réaliser, développer ou atteindre sans le support de cette aide technologique. Chaque aide technologique peut contenir une (ou plusieurs) fonction d'assistance qui est nommée « fonction d'aide ». à utiliser ses différentes fonctions d'aide, tels son prédicteur de mots, sa synthèse vocale ou son correcteur orthographique, s'avère primordial pour l'élève. La modélisation explicite, le temps requis pour développer ses compétences technologiques et le recours fréquent à ceux-ci en apprentissage s'avèrent déterminants pour en arriver ultérieurement à une utilisation efficace et efficiente dans les tâches scolaires où il aura à faire la démonstration de ses capacités, en apprentissage et en évaluation 65. » Dans un second temps, il faudra s'interroger sur la valeur ajoutée des outils en analysant ce qu'ils lui apportent en tant qu'élève, en quoi l'outil d'aide lui permet-il de réaliser la tâche. Dans quel contexte peut-il l'utiliser ? Quels sont les pièges qui demeurent et qui demandent d'être vigilant ? Il importe de susciter ces prises de conscience métacognitives avec l'enfant le plus tôt possible dès le primaire (cf. chapitre 8, p. 143). L'adulte doit l'aider à analyser la situation dans un premier temps pour qu'ensuite l'enfant devienne autonome dans ce type de questionnement. Il faut valoriser sa capacité à adopter le bon outil pour la bonne tâche. Il devra alors apprendre à le choisir selon sa pertinence en fonction des différentes tâches qu'il aura à réaliser. Il développera aussi l'habileté à en découvrir et à en exploiter de nouvelles. De l'utilisation fonctionnelle de ses aides, l'enfant passera à l'étape où il devra optimiser leur potentiel pour ses nouveaux apprentissages. L'exploitation des aides technologiques deviendra pour lui une compétence qu'il aura développée, compétence qui sera déterminante pour le développement de son autonomie, pour la poursuite de ses études et, plus tard, pour son intégration citoyenne. Un travail spécifique de métacognition doit s'allier à la quête d'autonomie, travail mené par des professionnels formés à la fois aux remédiations métacognitives et aux aides technologiques. C'est en développant ces stratégies métacognitives à partir de ses supports scolaires que l'on amène l'enfant à se questionner de façon à mieux se connaître en tant que sujet apprenant, à déve- Cette fonction d'aide est un pont entre la difficulté marquée et persistante ou l'incapacité de la personne et la tâche à réaliser, la compétence à développer ou l'état à atteindre. Les aides technologiques permettent donc à la personne d'exercer son potentiel en contournant les contraintes liées à l'incapacité, en palliant les limitations afin de la rendre plus autonome. Cette fonction d'aide doit apporter une valeur ajoutée qui se mesure dans le gain significatif que l'utilisation de cette aide apporte à la personne pour réaliser sa tâche ou dans le développement d'une compétence. L'introduction des aides technologiques est alors une approche complémentaire considérée comme un moyen de compensation, permettant de développer plus d'autonomie et d'alléger l'accompagnement humain. L'outil est considéré comme légitime tant par les équipes pédagogiques que par les équipes de soins, ce qui permet à l'enfant et à sa famille de l'accepter plus facilement. C'est bien la situation particulière de cet enfant qui est analysée afin de déterminer les aides qui seront à privilégier pour lui. Il est nécessaire que l'enfant s'approprie correctement l'aide technologique dans ses dimensions techniques et pédagogiques et développe ses habiletés dans son utilisation. 65 « Bien les connaître [les aides technologiques], comprendre leur fonctionnement ou devenir habile à écrire sur son clavier d'ordinateur ou 190 Chouinard J, Goulet L, Tremblay M. Les aides technologiques et la quête d'autonomie des élèves ayant des besoins particuliers : un apport déterminant. Site de l'AQETA : http://www.institutta.com. Chapitre 10. Cahier des charges pour les compensations : démarche d'analyse lopper ses capacités à s'ajuster, à se corriger pour accomplir la tâche demandée. Utiliser des aides technologiques pour réaliser des tâches en lien avec l'apprentissage exerce une relation d'influence mutuelle avec le développement des stratégies métacognitives. Elles rendent nécessaire une analyse objective des tâches, tout en permettant de prendre du recul par rapport à la tâche à réaliser. Cela peut permettre à l'enfant d'améliorer ses stratégies de planification, d'anticipation, de prise de décisions, d'autorégulation qui sont des stratégies métacognitives. Ce faisant, l'accès à l'apprentissage de l'aide technologique en sera également facilité, car l'enfant aura l'habitude de se questionner sur le quand et comment utiliser les aides à sa disposition. Ces stratégies seront également efficaces à l'âge adulte et dans le domaine professionnel qu'il aura choisi. À cette étape, il faut ensuite considérer les compétences en technologie de l'information et de la communication de la personne, la formation éventuellement nécessaire à l'apprentissage de l'outil, la qualité de la formation offerte (si elle existe), la convivialité et l'ergonomie de l'outil, la disponibilité et le coût des produits. Il faut considérer tous ces facteurs pour éviter que le produit soit inutilisé. Enfin, il faut former la personne au fonctionnement technique du produit (interface, menus, principales fonctions, interactions avec les autres logiciels ou applications…). L'appropriation et l'utilisation efficace doivent être accompagnées, en s'assurant que la personne comprenne bien les situations qui sont appropriées pour l'utilisation de ces aides et que cellesci s'intègrent de façon efficace dans les stratégies d'apprentissage. La pratique doit être autonome et efficiente. La valeur ajoutée doit être évaluée. Pour s'assurer de la pérennité de l'utilisation autonome de l'aide, il faut vérifier si elle a amélioré de façon significative ou non les habitudes de vie ciblées. Si oui, on en maintient l'utilisation ; si ce n'est pas le cas, on revient à l'étape d'identification des moyens à explorer pour répondre à la situation de besoin. Cela implique parfois de renoncer à une aide proposée qui ne se révèle pas aussi efficace que souhaitée (cf. chapitre 2). Démarche pour choisir une aide technologique En s'appuyant sur le modèle des fonctions d'aide, le cheminement de la réflexion engage : • tout d'abord à évaluer la situation de besoin à partir du niveau de réalisation des habitudes de vie66 en considérant les obstacles, les freins dans l'environnement, l'état physique (niveau de déficience, d'efficience, les aptitudes cognitives…) ; • à identifier ensuite les moyens à explorer pour répondre à la situation de besoin (identifier les différents moyens : aménagements, aide humaine, aides technologiques). Cette identification débouche sur un plan d'intervention ; • puis on identifie les fonctions d'aide qui correspondent à la situation de besoin, c'est-à-dire ce qui va faire le pont entre les difficultés ou les incapacités liées aux besoins ou aux habitudes de vie et la tâche à réaliser, la compétence à développer ou l'état à atteindre ; • on identifie ensuite le produit (outil de compensation) qui va correspondre à cette fonction d'aide. 66 Principales fonctions d'aide à la lecture et à l'écriture Marc Tremblay et Jean Chouinard ont recensé les principales fonctions d'aide à la lecture et à l'écriture. Cette identification des fonctions d'aide dans les solutions de compensation disponibles permet de s'assurer de la cohérence entre le besoin de l'enfant et l'offre de l'aide technologique. Cette adéquation est importante pour en favoriser l'utilisation. Toutefois, la rapide évolution des technologies nécessite une remise à jour régulière67. Il s'agit 67 Cf., entre autres, MHAVIE, mesure des habitudes de vie : http://www.ripph.qc.ca. 191 Tableau besoins-fonctions d'aide – apps. Document de travail partagé en mode collaboratif par Marc Tremblay et Jean Chouinard : https://docs.google.com/ document/d/15BmmKcz8d4N8V2pnL9mLguib7NIO UfgC6McRgk2UX2g/edit?pli=1. Partie II. Propositions thérapeutiques et mise en œuvre donc d'établir un cahier des charges des solutions de compensation répondant aux besoins de l'enfant. Une fois cette liste réalisée, on la mettra en lien avec l'outil le plus pertinent. • • • • • • • dictionnaire d'antonymes ; dictionnaire des co-occurrences ; dictionnaire de conjugaison ; dictionnaire visuel ; dictionnaire français-langue étrangère ; dictionnaire des citations ; autres… Cette fonction d'aide peut donc compenser des difficultés marquées ou des incapacités liées à l'orthographe et au choix des mots. Édition de texte (traitement de texte) Elle permet l'écriture d'un texte numérique. Parce qu'elle facilite la modification ou l'insertion de phrases et de paragraphes, elle peut compenser des difficultés marquées ou les incapacités liées à la planification, à l'organisation des idées, à la mise en texte et à la révision. Grammaire La fonction grammaire est un recueil numérisé des règles de grammaire. Elle facilite la recherche et la consultation de ces règles. Cette fonction peut donc être utile pour compenser des difficultés marquées ou des incapacités liées à la recherche de règles de grammaire ou d'informations complémentaires. Rétroaction vocale par synthèse vocale Elle consiste en la lecture par une voix synthétique d'un texte numérique. Cette fonction d'aide peut donc compenser des difficultés marquées ou incapacités liées : • à la lecture de mots et à la fluidité de la lecture ; • et, lors de la relecture d'un texte produit, à la production de l'orthographe des mots ou de la syntaxe des phrases et à l'organisation des idées, permettant une meilleure objectivation du texte. Révision-correction C'est une fonction permettant de réviser et de corriger un texte. Elle peut détecter des erreurs d'orthographe lexicale, d'orthographe grammaticale, de syntaxe, de ponctuation ou de vocabulaire. Cette fonction d'aide peut compenser des difficultés marquées ou des incapacités liées à la révision et à la correction d'un texte, en permettant une meilleure objectivation du texte. Mise en évidence du mot lu C'est un mécanisme de suivi des mots prononcés par la synthèse vocale d'un texte numérique. Elle peut prendre différentes formes : surbrillance sur le mot, double surbrillance sur la phrase et le mot, flèche, etc. Cette fonction d'aide peut donc être utilisée pour compenser des difficultés marquées ou incapacités liées à la synchronisation entre la lecture visuelle et auditive, à la concentration ou à la fluidité de la lecture. Révision-analyse linguistique La révision-analyse linguistique est une fonction qui offre la possibilité d'analyser des textes. Elle permet de réviser le contenu et la cohérence d'un contexte en mettant en évidence les répétitions, les marqueurs de relation, les phrases longues, les phrases sans verbe, les mots avec une sémantique faible, les homophones, etc. Cette fonction d'aide peut donc compenser des difficultés marquées ou incapacités liées à la révision du contenu et de la cohérence d'un texte tout en permettant une meilleure objectivation du texte. Dictionnaires La fonction dictionnaires est un recueil numérisé de mots d'une langue, classés généralement par ordre alphabétique, mais aussi par mode visuel, avec leurs définitions. Il existe aussi des dictionnaires qui portent sur un aspect ou un domaine particulier de la langue (synonymes, conjugaison, antonymes, etc.) : • dictionnaire de définitions ; • dictionnaire de synonymes ; Révision-conversion d'un mot ayant une forme phonologique en sa forme conventionnelle La révision-conversion d'un mot ayant une forme phonologique en sa forme conventionnelle per- 192 Chapitre 10. Cahier des charges pour les compensations : démarche d'analyse met de convertir un mot mal orthographié, écrit phonologiquement (par exemple : bato), en un mot qui respecte les conventions orthographiques (→ bateau). Cette fonction d'aide peut donc compenser des difficultés marquées ou incapacités liées à la production des mots écrits. proposés correspond à l'anticipation de l'orthographe selon la norme (orthographe conventionnelle). La présentation visuelle du nombre de mots peut souvent être adaptée et ainsi éviter une surcharge visuelle. Cette fonction d'aide peut être utilisée pour compenser des difficultés marquées ou des incapacités liées à la production d'un texte pour produire un mot correct dès le premier essai. Cela peut également permettre de gagner en vitesse de frappe, car alors l'enfant n'a pas tout le mot à taper. Cartes heuristiques Il s'agit d'un espace numérique permettant la création d'une carte conceptuelle. Elle peut soutenir l'élève dans la planification et l'organisation de ses idées ainsi que dans la structuration de sa pensée. Cette fonction d'aide peut donc compenser des difficultés marquées ou des incapacités liées à l'émergence, à l'organisation et au classement des idées. Nota. – Attention au choix du type de cartes dans le cadre d'une dyspraxie visuo-spatiale, certaines prennent la forme d'arbres logiques, d'autres de présentations plus séquentielles. Ces présentations peuvent être très chargées visuellement et donc ne pas être accessibles à l'enfant. Toutefois, la mise en œuvre du raisonnement nécessaire à la construction peut être encouragée. Prédiction orthographique selon un procédé de correspondance phonologique La prédiction orthographique selon un procédé de correspondance phonologique consiste à proposer une liste de mots à l'élève à chaque lettre du mot qu'il tape au clavier. Dans ce type de prédiction, la liste de mots est constituée de mots ayant une correspondance graphème-phonème du mot que l'on veut écrire. Cette fonction d'aide peut donc compenser des difficultés marquées ou des incapacités liées à la production de texte pour orthographier correctement un mot écrit phonologiquement. Conversion du plan de rédaction d'un mode graphique en un mode séquentiel Prédiction orthographique selon le principe de co-occurrence La conversion du plan de rédaction d'un mode graphique en un mode séquentiel consiste en une transposition d'un plan de rédaction en une carte conceptuelle, et vice et versa. Autrement dit, l'élève organise ses idées avec une carte conceptuelle et peut la convertir en mode plan pour obtenir son plan de rédaction ou procéder de la façon inverse. Cette fonction d'aide peut donc compenser des difficultés marquées ou des incapacités liées à la planification et à l'organisation des idées. Les réserves sont les mêmes que pour le paragraphe précédent. La prédiction orthographique selon le principe de co-occurrence consiste à anticiper le prochain mot de la phrase à partir d'une liste de mots qui tient compte de la syntaxe de la phrase. La liste de mots est produite sur la base de la co-occurrence des mots. Cette fonction d'aide peut compenser des difficultés marquées ou des incapacités liées à la production de texte pour ainsi bien orthographier un mot au premier essai, bien choisir la préposition, locution ou la bonne construction du groupe du nom, en tenant compte de la phrase déjà écrite. Cet outil peut également alléger le travail de frappe et permet ainsi de gagner en vitesse. Prédiction orthographique selon un procédé de correspondance orthographique Note vocale (enregistrement de la voix) La prédiction orthographique selon un procédé de correspondance orthographique consiste à proposer un choix de mots à l'enfant à chaque lettre du mot qu'il tape au clavier. La liste de mots Il s'agit d'une fonction qui permet l'enregistrement de la voix humaine en format sonore numérique (MP3 ou WAV). 193 Partie II. Propositions thérapeutiques et mise en œuvre hension de la lecture d'un texte en facilitant le repérage des concepts clés du texte. Cette fonction d'aide peut donc être utile pour faciliter : • la production, • la conservation • l'organisation et la clarté des idées avant la production écrite ou pour le rappel en lecture. Nuage de mots Le nuage de mots est une fonction qui consiste à évaluer l'occurrence de chacun des mots d'un texte selon une configuration visuelle pour mettre en évidence ceux qui sont le plus utilisés dans le texte, ce qui permet à un élève de repérer rapidement les concepts clés d'un texte ou les répétitions d'un texte d'auteur, etc. Cette fonction d'aide peut compenser des difficultés marquées ou des incapacités liées à la révision, à la hiérarchisation des idées, à l'analyse ou à la compréhension d'un texte. Écriture vocale (reconnaissance ou dictée vocale) L'écriture vocale permet d'analyser un mot ou une phrase captée au moyen d'un microphone pour la transcrire sous la forme d'un texte exploitable numériquement. La reconnaissance vocale vise à convertir la voix humaine en texte écrit sous un format numérique. Cette fonction d'aide peut donc compenser des difficultés marquées ou des incapacités liées à la mise en texte et à l'organisation des idées en vue d'écrire ou peut compenser une vitesse de frappe insuffisante pour une réelle efficacité scolaire. Cette fonction d'aide peut donc compenser des difficultés marquées ou des incapacités liées à: • la mise en texte et à l'organisation des idées en vue d'écrire, • ou une vitesse de frappe insuffisante pour une réelle efficacité scolaire. Traduction La traduction est une fonction qui consiste à traduire un mot, une phrase ou un texte d'une langue à une autre. Cette fonction d'aide peut compenser des difficultés marquées ou des incapacités liées à la lecture/écriture d'une seconde langue. Écriture mathématique, géométrie Cette fonction d'aide peut compenser des difficultés marquées ou des incapacités liées à l'écriture ou à la réalisation de dessin et de raisonnement à partir des dessins en géométrie. La réalisation des tracés se fait à partir des propriétés géométriques, ce qui permet un traitement séquentiel qui contourne les difficultés visuo-spatiales de l'enfant en s'appuyant sur la verbalisation des tâches à réaliser. Ces outils offrent la possibilité d'analyser la démarche de construction de l'utilisateur, ce qui permet une analyse afin d'améliorer les apprentissages. Notons qu'il existe d'autres fonctions d'aide dans d'autres domaines : l'organisation, le rappel de tâches, la gestion du temps, la réalisation de séquences de tâches, la géolocalisation, etc. Prise de notes numérique et vocale La prise de notes numérique et vocale permet de prendre des notes vocales et écrites simultanément. Les deux modes de prise de notes sont de ce fait synchronisés l'un à l'autre. La lecture de ces notes bimodales se fait à partir du logiciel et les notes peuvent être « revues » en mode dynamique dans la séquence où elles ont été saisies. Cette fonction d'aide peut donc compenser des difficultés marquées ou des incapacités liées à la mémoire de travail, à la manipulation mentale des idées et à la production de texte. Résumé de texte En conclusion Le résumé de texte est une fonction permettant de faire une synthèse d'un texte. Cette fonction d'aide peut compenser des difficultés liées à la compré- Le bilan des capacités/incapacités de l'enfant met en évidence les besoins de l'enfant. Confrontés aux exigences de l'environnement 194 Chapitre 10. Cahier des charges pour les compensations : démarche d'analyse et aux tâches scolaires, ils font émerger le cahier des charges des besoins de compensation (fonctions d'aide). À partir de ce cahier des charges, il convient de rechercher les « outils » ou matériels les plus efficients. Nota. – Un même outil peut répondre à plusieurs fonctions d'aide. Il ne s'agit pas de juxtaposer les outils : il faut rechercher la solution juste nécessaire… Leur mise en place et leur utilisation efficaces ne peuvent se faire qu'à condition que soit conduit avec l'enfant un apprentissage de l'outil soutenu par un travail métacognitif. Enfin, il faut en vérifier la « valeur ajoutée » pour l'enfant. Tout ceci est à réviser et à ajuster dans le temps en fonction de l'âge et de l'évolution de l'enfant, de son environnement, de son projet. 195 La vie quotidienne L'enfant dyspraxique et les apprentissages © 2016, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés Les problèmes que rencontrent les enfants dyspraxiques du fait de leur handicap ne se limitent pas aux situations d'apprentissage scolaire. Les actes de la vie quotidienne (AVQ) – ou scolaire – sont faits de mille gestes incessants dont la réalisation rapide et correcte est indispensable aussi bien en termes d'autonomie personnelle que d'interactions sociales : se saluer le matin en arrivant à l'école, enlever son manteau, l'accrocher au portemanteau tout en discutant de la dernière émission de télévision ou du prochain contrôle, s'installer à sa table, ouvrir son cartable et sa trousse, sortir le livre et le classeur adéquats, les ouvrir à la bonne page, écouter l'enseignant tout en inscrivant la date (ou la consigne), prendre des notes, souligner tel item, etc. Pour beaucoup, s'y ajoute le fait de brancher et d'installer leur ordinateur, d'aller faire des photocopies à l'interclasse et de les retrouver au moment opportun. Tout cela bien sûr en temps limité. Il se peut aussi qu'il y ait sport ou piscine et qu'il faille se déshabiller, puis se rhabiller rapidement. À midi, à la cantine, d'autres praxies sont encore et toujours sollicitées : prendre un plateau, se servir à boire, couper sa viande, ouvrir un yaourt, peutêtre éplucher une pomme ou une clémentine. Chapitre 11 primaire, d'incapable, de minable, de « gogol » ou de « bouffon » plus tard), c'est la ruine de l'estime de soi (incapable de faire ses preuves scolairement, l'enfant est également incapable de « sauver la face » durant les temps parascolaires, les récréations ou les interclasses), c'est le découragement et le renoncement (tout est trop difficile, tout le temps). C'est pourquoi il faut savoir accepter, avec discernement, de soulager l'enfant de certaines tâches dans certaines circonstances, lister clairement les exigences du quotidien et n'entreprendre de rééducations en ce domaine que dans des secteurs limités, à des moments bien choisis : ce projet ne peut être conçu qu'en étroite relation avec le jeune et sa famille et doit être éminemment évolutif en fonction de l'âge et des nécessités environnementales. Nota. – Toutes les difficultés envisagées dans ce chapitre ne concernent pas tous les enfants dyspraxiques. Comme toujours, il faut individualiser les propositions en fonction de chacun. Penser la place des AVQ La journée de l'élève est ainsi une succession ininterrompue de gestes complexes qui tous nécessitent organisation praxique et spatiale, qui tous le mettent en difficulté, dévoilent ses incapacités, assèchent ses ressources attentionnelles, l'épuisent et s'additionnent pour aggraver ses retards et son épuisement, inéluctablement, tout au long du jour. dans le projet de l'enfant Pour bien cibler leurs objectifs dans le domaine des activités de vie quotidienne (AVQ), les ­professionnels peuvent être guidés par plusieurs questions clés. La question de l'évaluation Il faut d'abord disposer d'une sorte de photographie des capacités/incapacités de l'enfant et les mettre en regard de son âge et des exigences particulières en milieu scolaire pour cet enfant-là, cette Ici, l'enjeu n'est pas tel ou tel apprentissage, une note au contrôle ou le passage dans la classe supérieure ; l'enjeu, c'est le risque permanent d'humiliation devant les copains (être traité de « bébé » en 197 Partie II. Propositions thérapeutiques et mise en œuvre année-là. Différents questionnaires existent, permettant de faire le point sur les actes essentiels du quotidien. Ces questionnaires sont plus ou moins succincts ou exhaustifs, certains prennent en compte les désirs et ressentis des parents et ceux de l'enfant lui-même (qui peuvent être forts différents !), d'autres proposent un bilan en condition « écologique », etc. [79–82]. donc que « quand il veut, il peut » !). Il est en effet difficile pour les adultes de se rendre compte de l'intensité des efforts demandés à l'enfant, car il s'agit de tâches considérées comme banales, réussies très précocement par des enfants typiques. En outre, il leur est inimaginable que l'enfant ne puisse jamais réaliser, même tardivement, certaines de ces tâches, si quotidiennes. Ces assertions erronées sont très préjudiciables et influent négativement sur le désir d'autonomie du jeune : il se décourage, renonce, les demandes excessives des adultes sont vécues comme inatteignables. L'évaluation en situation scolaire est très importante [82] et trop souvent négligée ou extrapolée à partir du vécu familial. Or, à l'école (contrairement au domicile), l'enfant est en permanence soumis à une double contrainte qui aggrave (ou révèle) le handicap : faire vite et faire sous le regard de ses camarades. Outre l'épuisement qu'elles provoquent, ces exigences abusives induisent chez l'enfant handicapé un sentiment permanent d'insuffisance : au lieu de recueillir compliments et félicitations pour ses réussites (même partielles, même ponctuelles), il ne lui est renvoyé au contraire que des critiques concernant les moments (ou les situations) où il ne répond pas aux attentes démesurées de certains adultes. La question des conditions de la faisabilité L'enfant peut-il (ou pourra-t-il) raisonnablement effectuer tel acte seul ou avec aide (et de quelle nature) et à quels moments (cf. p. 23) ? Seuls des bilans (analytiques et fonctionnels) peuvent permettre de juger de la faisabilité, totale ou partielle, de tel ou tel acte en croisant : • d'une part, les capacités de l'enfant (en termes de motricité, d'organisation praxique, de schéma corporel, de traitements spatiaux et de mode de vie, de besoins, de goût) ; • d'autre part, les compétences sollicitées par la tâche (en termes de force, d'adresse, de précision, de rapidité, d'organisation visuo-practospatiale, de mémorisation…). Quoi qu'il fasse, quelque effort qu'il fournisse, quelque exploit qu'il finisse par accomplir, ce n'est jamais assez. Les exigences doivent donc être évaluées non à l'aune du souhaitable, mais à l'aune du possible, puis régulièrement revues avec l'âge, l'évolution ou les progrès de l'enfant et toujours dosées avec réalisme. Exemples Exemple 1 Le jeune A., 12 ans, est désormais capable de s'habiller seul : ses parents, tout comme ses thérapeutes, insistent donc pour qu'il s'habille désormais seul, tout le temps. Chacun est conscient qu'il s'agit pour A. d'un effort, mais cet effort est perçu à la fois comme l'aboutissement de progrès longuement attendus et comme la preuve qu'il peut (plus ou moins) « faire comme tout le monde ». Mais au bout de quelques mois, A. nous dit son découragement : son AESH ne l'aide plus (« Maintenant, tu peux le faire seul », lui dit-elle), il est épuisé et se repose… pendant les cours ! Lorsque la faisabilité n'est que partielle, il convient de préciser au mieux dans quelles circonstances c'est réalisable par l'enfant seul ou dans quelles limites (problème de la double tâche, cf. p. 21). En effet, c'est encore trop souvent que, dès qu'il arrive laborieusement à ébaucher ou à réaliser un geste donné, l'enfant est ensuite mis en demeure de réaliser cette performance en permanence (puisqu'il a déjà montré qu'il peut le faire, c'est 198 Chapitre 11. La vie quotidienne Ce que A. peut faire lentement et à petites doses, il ne peut le réussir toute la journée (récréations, heures de sport, passage aux toilettes), alors même que d'autres actions lui sont simultanément réclamées, et toujours dans l'urgence de la sonnerie de fin de cours ou de fin de récréation. Il faut donc encore accepter que son AESH l'aide, à certains moments (durant les interclasses les plus courts), afin de lui laisser des temps de pause, de récupération, de discussion et de jeu avec ses camarades. der de façon autonome, à certains moments (en particulier, au domicile, en dehors de toute contrainte de temps…). Exemple 3 Le jeune W., 21 ans, dyspraxique, en stage dans une petite étude notariale (sans secrétariat), est chargé de façon récurrente d'expédier des courriers qu'il doit préalablement plier et mettre sous enveloppe. De manière ponctuelle, sans contrainte de temps, hors situations de double tâche, W. peut plier correctement un courrier et le mettre dans l'enveloppe. Or, cette tâche se révèle impossible à réaliser en situation écologique, c'està-dire en temps limité, tout en répondant à un interlocuteur, de façon répétée, avec une exigence de présentation. Sur le plan professionnel, W. doit s'appuyer en permanence sur la présence d'un secrétaire, ce qui contraint ses choix. Exemple 2 L., 14 ans, arrive souvent au collège « négligé », ce qui lui vaut non seulement des réflexions désagréables des adultes, mais aussi des copains. Cheveux sales, vêtements mal choisis, aspect débraillé… Sa mère, consciente du problème, ne sait comment faire, car il est hors de question qu'elle intervienne dans la toilette de ce grand adolescent autrement que par des remarques verbales dont il semble ne tenir aucun compte. Profitant d'accompagnements à la piscine, l'ergothérapeute note que les difficultés sont majeures lors du passage sous la douche : L. ne shampouine que la partie visible dans la glace de sa chevelure, ne se rince que très partiellement, sort de la douche à moitié couvert de savon qu'il n'essuie que très grossièrement en passant vaguement la serviette sur le devant de son corps. Des essais de verbalisation (en nommant les différents endroits du corps où il doit passer la douche, vérifier le rinçage, effectuer le séchage…) ne sont pas très convaincants : la durée de la toilette devient ingérable et le résultat est certes un peu amélioré, mais pas de façon suffisante ! Il lui est bien sûr impossible de se couper les ongles ou de rentrer sa chemise dans son pantalon. Lors d'une discussion avec L., nous prenons conscience qu'il souhaite une aide qu'il n'ose pas réclamer : une aide à la toilette peut lui être proposée au domicile de façon pluri-hebdomadaire (auxiliaire de vie), tandis que sa mère s'assurera de l'habillage et de la présentation générale. Au collège, il fréquentera les toilettes de l'infirmerie, l'infirmière pourra l'aider au rhabillage. Simultanément, on propose une rééducation ciblée, de type CO-OP (cf. p. XXX), visant certains aspects des soins corporels auxquels, peut-être, L. pourra accé- La question de l'opportunité Outre la question de la faisabilité, il faut s'interroger sur l'utilité de telle ou telle action. Tel acte est-il véritablement utile en ce moment pour cet enfant-là (et/ou cette famille) ? Peut-il l'investir dès à présent ou, au contraire, peut-on en différer la réalisation (au profit d'un objectif plus urgent ou pour éviter une surcharge de travail…) Car on ne peut pas tout rééduquer tout le temps : pour certains gestes, il faut savoir renoncer soit définitivement, soit momentanément (cf. p. 23). Exemples Nos préconisations, qui nous semblent quelquefois bénignes, car faisant appel à des matériels ou à des situations banales, se heurtent en fait aux habitudes familiales et culturelles. Le jeune M., 8 ans, dyspraxique, montre au décours d'un bilan qu'il a beaucoup de mal à utiliser le couteau et la fourchette. Lors d'une réunion de synthèse, ce problème est soulevé et l'ergothérapeute propose de commencer un travail en ce sens. Mais ni M. ni ses parents ne voient l'intérêt de ce projet : à la maison, 199 Partie II. Propositions thérapeutiques et mise en œuvre on mange avec les mains la semoule ou le riz pris dans le plat commun et M. se débrouille parfaitement. Or, il prend tous ses repas au domicile familial… À l'inverse, R., 10 ans, ne peut pas lacer ses lacets. Nous préconisons tout simplement des chaussures à Velcro® ou à lacets élastiques. Mais l'enfant (au bord des larmes) et ses parents qui le soutiennent insistent : R. veut absolument être chaussé comme ses grands frères (très sportifs) et porter des baskets à lacets… et nous devrons nous exécuter. F., 9 ans, refuse obstinément d'utiliser une brosse à dents électrique puisque les autres membres de la famille n'en utilisent pas. Notre insistance marque la différence de perception entre les professionnels (il s'agit pour nous d'une adaptation banalisée) et la famille que nous n'arriverons pas à convaincre : ce choix modifie les habitudes familiales, il est imposé par le handicap ; pour eux, il signe le handicap. égard à son âge et à ses conditions de vie), mais ces objectifs ne peuvent être conçus en dehors du projet global : chaque élément du projet thérapeutique doit être remis en perspective avec tous les autres (cf. p. 29, 41, 42). C'est donc au cas par cas qu'il faut s'adapter, sérier les propositions dans le temps, faire évoluer le projet. Exemple L'enfant peut apprendre à remplir des formulaires administratifs à tout âge, d'autant que la plupart sont désormais disponibles sur Internet et peuvent (ou pourront ?) être remplis en ligne68. Il n'y a rien là d'urgent à 8, 10 ou 14 ans, alors qu'au contraire apprendre l'orthographe, la grammaire, la planification des phrases pour rédiger un écrit est une exigence qui ne peut attendre (et qui suppose que l'enfant soit en capacité de produire un écrit sans être en double tâche, cf. p. 21). Au contraire, être correctement essuyé et rhabillé après être passé aux toilettes est un impératif social fort, à tout âge. La question des priorités Ce nouveau questionnement est central dans tout projet thérapeutique. On ne peut pas multiplier sans fin les rééducations hebdomadaires : en ce domaine, selon l'adage, le mieux est très souvent l'ennemi du bien. Il faut au contraire s'imposer de hiérarchiser les priorités, déterminer quels sont les éléments du projet qui sont dépendants de contraintes temporelles fortes ou qui ne peuvent être remis à plus tard sans dommage sérieux. Nous avons déjà signalé les contraintes liées à un projet scolaire exigeant (cf. p. 32, 34), dont dépend souvent l'avenir à long terme du jeune. Il peut aussi s'agir d'une intervention chirurgicale (qui remet à plus tard les objectifs scolaires) ou encore de nécessités liées à des projets ponctuels (classe externée…). Il faut savoir sérier dans le temps les objectifs rééducatifs : certains doivent être acquis rapidement, tout délai représentant un surhandicap, alors que d'autres peuvent être repoussés un temps et être proposés ultérieurement sans grand dommage et avec autant d'efficacité. D'une façon générale, lorsque l'enfant est jeune (5–10 ans), le projet prioritaire (du fait de contraintes temporelles fortes, cf. p. 34) est celui des apprentissages et de la scolarité. Par ailleurs, il est encore socialement acceptable qu'il soit (discrètement) aidé des adultes dans de nombreuses activités journalières. Ce n'est donc que progressivement (souvent en fin de primaire, au collège ou au début de l'adolescence) que de réels objectifs d'autonomie de vie quotidienne, toujours limités et bien choisis, s'ajoutent. Ce n'est que lorsque le projet scolaire est peu ambitieux ou paraît peu réaliste (cf. p. 41) que ces aspects (autonomie, indépendance) sont légitimement au premier plan du projet individuel. Il est évidemment très important de rendre l'enfant le plus indépendant, puis le plus autonome possible (compte tenu de son handicap, eu 68 200 À ce jour (décembre 2015), l'ensemble du dossier de demande auprès de la MDPH de Paris (CERFA no 13788*01) est téléchargeable. Cependant… il ne peut pas être renseigné en ligne ! Chapitre 11. La vie quotidienne La question de la présence d'un AESH « à temps plein » « Parfois, les malentendus se situent du côté de l'interprétation des textes. En effet, le rôle de l'AESH y est présenté comme facteur d'accès à l'autonomisation et cela peut parfois interférer dans la compréhension des difficultés de l'enfant. Ainsi avons-nous connu un jeune dyspraxique pour lequel l'AESH avait en particulier pour rôle de l'aider dans le séquençage des tâches à réaliser. L'enfant parvenant, grâce à cette aide, à un niveau de réalisation correct, il a été décidé, contre notre avis, une diminution d'accompagnement au nom d'une nécessaire autonomisation. Au fil des semaines, les productions de l'enfant se sont dégradées et l'enseignant a alors alerté l'équipe, allant jusqu'à évoquer une régression que nous ne constations pas par ailleurs au niveau des prises en charge individuelles. Il a été très difficile de faire entendre que seul l'accompagnement à temps complet de l'AESH pouvait permettre le maintien des performances de l'enfant. » A. Boissel, O. Pacual-Bouys [83] Enfin, la question de l'aide humaine, de son rôle, de ses indications et de ses limites est fondamentale. Lorsqu'il a été convenu que l'aide d'un AESH était indispensable pour permettre une scolarisation de qualité69, on entend souvent prétendre qu'il serait très important que l'enfant dyspraxique ne soit pas « en permanence » aidé de l'AESH. Ce serait donc intentionnellement, pour un motif « éducatif » (voire « rééducatif »), que ces enfants ne bénéficieraient d'un AESH qu'à temps partiel (cf. p. 72, 93, 127, 170) : les demi-journées scolaires « sans AESH » seraient indispensables pour permettre au jeune dyspraxique de devenir autonome. De même, on entend souvent dire que le jeune « se repose trop » sur son AESH ou « ne fait plus d'efforts »… Ces raisonnements, empreints de faux bon sens, sont en fait la résultante de deux dérives : • l'une consiste (par ignorance) à assimiler le jeune dyspraxique à un enfant qui doit « faire des efforts » (toujours plus de la même chose qui ne marche pas) pour parvenir plus ou moins à « faire comme les autres » (cf. p. 5, 6). Dans cette optique erronée, faire à sa place le priverait d'un entraînement utile et retarderait son accès à l'indépendance… ; • l'autre consiste à oublier que l'école n'est pas le lieu des rééducations : s'il est vrai que les enfants valides sont progressivement entraînés à devenir autonomes dans leur travail et dans leur organisation scolaire, c'est que cela ressort bien d'actions éducatives et pédagogiques puisqu'ils ne sont pas handicapés. Mais lorsque l'enfant est handicapé, l'apprentissage de ces gestes et/ou de ces stratégies est souvent très retardé et est du ressort de spécialistes qui connaissent la pathologie, et c'est donc du domaine du secteur des soins. Ce n'est certainement pas l'absence (ou la suppression partielle) de l'AESH qui aide l'enfant dyspraxique à être moins handicapé ou plus autonome : ce sont les actions rééducatives (ou palliatives) qui sont entreprises avec des stratégies spécifiques, adaptées au handicap. Ces aides et adaptations n'ont pas vocation à être interrompues, mais elles doivent évoluer en fonction de l'âge, des objectifs et des tâches demandées. Par exemple, un jeune de 6 ans peut être lavé et habillé par sa mère. À 15 ans, il peut bénéficier d'une salle de bains aménagée et faire sa toilette seul le soir ou le week-end avec du temps. À 30 ans, il pourra être aidé par une tierce personne les jours où il va travailler (contrainte de temps et de fatigue). Enfin, il ne faut pas nier que, quelquefois, le désir de limiter le temps de présence de l'auxiliaire auprès de l'enfant ne résulte que de la difficile gestion de la pénurie : les AESH ne sont pas toujours disponibles en nombre suffisant (cela dépend des départements, des académies) pour répondre, dans les meilleures conditions, aux besoins de tous les jeunes handicapés scolarisés. À l'école, on doit au contraire veiller à ne pas surcharger inutilement l'enfant de consignes et d'exigences excessives : la première mission de l'école reste l'apprentissage, objectif qui chez l'enfant porteur d'une dyspraxie isolée pose peu de problèmes, du moins s'il est déchargé de l'essentiel des tâches matérielles practo-spatiales. 69 Or, malheureusement, l'enfant dyspraxique est dyspraxique à temps plein : c'est donc à temps plein qu'il a besoin d'aide à l'école, ce qui ne veut pas dire qu'il a besoin d'aide pour tout… L'attribution d'un AESH n'est ni automatique, ni systématique, ni liée au seul diagnostic de dyspraxie, mais dépend de l'évaluation du handicap faite par la MDPH. 201 Partie II. Propositions thérapeutiques et mise en œuvre C'est aux professionnels, lors des réunions d'équipe éducative, lors de la conception d'un PAP ou d'un PPS, de déterminer très précisément quelles tâches l'enfant peut (doit) faire seul, dans quelles circonstances il doit être aidé de l'AESH et, précisément, de quelle façon, et enfin dans quelles situations l'AESH doit faire à sa place (cf. p. 93, 127, 170 et 181). Exemples Plusieurs fois pas jour, il faut mettre et enlever son manteau pour aller en récréation. La stratégie proposée aux petits de maternelle (poser le vêtement à plat au sol devant soi, enfiler les manches droit devant, puis passer le corps du manteau par-dessus la tête, derrière soi) finit généralement par être acquise – quoique tardivement – par les jeunes DVS. Cependant, à partir d'un certain âge, il est impossible que l'enfant applique cette tactique, vécue comme vexatoire (parce que proposée aux « bébés »). Exiger cela de l'enfant ne le rend pas « plus autonome », mais achève de détruire son image de lui, pour lui-même et dans le regard de ses pairs. Se rhabiller partiellement, en prenant son temps, assis sur un petit tabouret adapté, n'est pas du tout la même chose que de se rhabiller entièrement, assis par terre, très rapidement, sur corps humide, après la piscine… Il est certain qu'une bonne formation des enseignants sur ce sujet (en quoi consiste le handicap du jeune dyspraxique ? Quels sont les objectifs poursuivis à l'école et quels sont les moyens d'action efficaces ?), de même qu'une formation minimale des AESH sur ces thèmes permettent d'éviter ces errements très préjudiciables à l'enfant. En effet, d'une part, durant les temps où il n'est pas aidé par son AESH, l'enfant se retrouve en situation de surhandicap, implicitement sommé de travailler en double ou triple tâche, et ce généralement à l'insu des adultes. Il est finalement privé de toute compensation de son handicap, sommé de travailler comme s'il n'était pas (ou plus) dyspraxique… D'autre part, si certains adultes le jugent trop assisté, l'enfant lui-même ne sait plus quelle est – ou non – la légitimité de l'aide dont il bénéficie (cf. p. 76, 77, 85, 127, 172). Il doute de la validité de ses résultats, de ses acquis et de ses réussites en présence de l'AESH. La tâche de l'AESH doit donc être très bien délimitée, laissant toute la place à l'enfant – et à l'enfant seul en ce qui concerne la réflexion, les déductions, la verbalisation de ses connaissances ou de ses explications –, et ne se substituant à lui (totalement ou partiellement, en fonction de l'intensité du handicap et de la situation) que si (mais à chaque fois que) il s'agit de tâches de réalisation manuelle ou practo-spatiale. Quoi qu'il en soit, ces aides ou adaptations doivent toujours être les plus discrètes possible : l'enfant ne recherche pas cette dépendance dont il est victime du fait de son handicap. Il faut l'aider efficacement, mais sans l'humilier, en particulier devant ses pairs. Ce sont les ATSEM70 ou les éducateurs de cantine, l'enseignant et/ou l'AESH qui, dans le cadre scolaire, dispensent au quotidien les aides nécessaires : ils doivent donc être directement et précisément informés des besoins de l'enfant (ce qu'il peut actuellement faire seul, avec aide, ou pas du tout). C'est pourquoi, pour éviter toute dissension des adultes autour de l'enfant, il est indispensable que ces éléments soient listés et précisément notés dans le PPS de l'enfant (cf. p. 186). Il est également fondamental d'en discuter avec l'enfant lui-même. Rééduquer Si l'on décide, à certains moments, de rééduquer certains gestes, il faut choisir des stratégies utilisables par le jeune dyspraxique et ne pas simplement lui proposer un entraînement classique, plus intensif ou de plus longue durée (toujours plus de la même chose qui ne marche pas, cf. p. 5, 24). Ces 70 202 ATSEM : agent territorial spécialisé des écoles maternelles, chargé d'assister les enseignants dans les classes maternelles. Chapitre 11. La vie quotidienne rééducations (ergothérapeute, psychomotricien), proposées en séances individuelles ou en très petit groupe, peuvent ensuite (souvent partiellement) être transférées en milieu naturel (école, domicile) avec l'aide du rééducateur qui doit bien connaître les conditions habituelles de réalisation du (ou des) geste(s) en question. La stratégie CO-OP (Cognitive Orientation to Occupational Performance) inspirée de l'autoguidage verbal de Wilcox et Polatajko (1993) paraît en ce sens très prometteuse et rejoint, de fait, l'expérience commune de nombreux thérapeutes (cf.p. 27). « Il n'existe pas de protocole thérapeutique modèle à disposition des thérapeutes prenant en charge les enfants atteints de TAC. […] Mais cette étude comparative apporte de solides éléments montrant que l'approche thérapeutique CO-OP est supérieure [par rapport aux autres thérapeutiques proposées] vis-à-vis de l'acquisition d'habiletés spécifiques. » H.-J. Polatajko, N. Cantin [33] Réduire le déficit ? De nombreuses stratégies ont été proposées pour la rééducation des enfants présentant un TAC ou une dyspraxie. La plupart ont fait l'objet de récentes méta-analyses qui ont conclu à leur inefficacité [33] (cf. p. 125). Il est donc paradoxal de les voir toujours enseignées, prônées et utilisées par certains… En fait, il faut renoncer à utiliser l'entraînement sensori-moteur, les feed-back sensoriels, la démonstration, l'imitation, l'organisation spatiale et l'ensemble des traitements simultanés (traitements visuo-spatiaux), renoncer à réduire ce qui pourtant pouvait apparaître (dans les années 1970) comme la cause de l'échec gestuel (proprioception, équilibre, coordination…). Tout choix rééducatif actuellement orienté en ce sens serait très critiquable. Réduire le handicap : verbaliser, séquentialiser Il s'agit ici moins de chercher à réduire le déficit qu'à utiliser les compétences préservées : tenter d'obtenir un résultat fonctionnellement satisfaisant par des voies inhabituelles, c'est-à-dire en utilisant les traitements séquentiels dans lesquels excelle souvent le jeune dyspraxique, traitements dont le langage est un vecteur privilégié. Cependant, utiliser le langage dans la rééducation gestuelle (comme dans toutes les activités visuo-practo-spatiales) n'est pas chose facile, ni triviale, ni évidente. Il est donc très utile de s'appuyer sur des stratégies déjà existantes, mises au point et déjà expérimentées dans des populations d'enfants présentant des pathologies du même type ou très proches (TAC). Pour plus de détails, nous renvoyons le lecteur aux auteurs qui ont développé cette méthodologie [37, 41, 43–47]. L'apprentissage de petites comptines verbales (autoinstructions verbales) qui décrivent précisément la succession des étapes à réaliser, la procédure, est toujours efficace. Mais elle ne peut être appliquée qu'à des actions restreintes (ponctuelles et/ou partielles), du fait de la longueur de la récitation nécessaire et de la lenteur de l'enfant. Par ailleurs, ces stratégies verbales sont très coûteuses sur le plan attentionnel : cela signifie que l'enfant ne pourra pas les appliquer en même temps qu'il lui faudrait exécuter une autre tâche (y compris intellectuelle). Il faut donc déterminer, avec le jeune et ses parents, quelques actes bien choisis qui donnent lieu à ce type d'entraînement. Il s'agit de repérer les difficultés précises de cet enfant-là, dans telle tâche particulière, en précisant les circonstances où le geste doit effectivement être produit (environnement matériel, délais, installation ou position de départ…). Il faut alors lister précisément avec l'enfant les points sur lesquels il achoppe (échoue, se trompe, effectue trop ­approximativement…), mettre en mots exactement la procédure correcte pour chacun de ces points, constituant une petite récitation dont on vérifie qu'elle permet bien à l'enfant de résoudre son problème. 203 Partie II. Propositions thérapeutiques et mise en œuvre Malgré ses limites, cette stratégie peut être une aide précieuse pour certains actes de la vie quotidienne, fréquents et répétitifs, pour lesquels l'enfant ne peut être aidé sans humiliation. Pallier, contourner, adapter, éviter C'est, in fine, la stratégie la plus économique, la plus rentable et donc la plus utilisée aussi bien au domicile qu'en milieu scolaire. Habillage La plupart des jeunes finissent par être capables de s'habiller, du moins si : • ils disposent de suffisamment de temps (les weekends ou les vacances peuvent être des moments privilégiés pour un entraînement de ce type) ; • les vêtements sont bien disposés ou repérés (envers/endroit, devant/derrière) ; • ils ne comportent pas d'attaches particulièrement difficiles (petits boutons, agrafes…) ou des orientations inhabituelles (attaches dans le dos, ceintures croisées, laçages compliqués…). Le problème du quotidien est donc lié d'une part à la contrainte temporelle (il faut s'habiller, totalement ou partiellement, mais toujours vite) et d'autre part à certains vêtements : bouton du jean, fermeture Éclair® de l'anorak, manche malencontreusement repliée… Il faut donc choisir avec soin les vêtements lors de l'achat et, assez souvent, prévoir quelques adaptations pour faciliter la meilleure autonomie possible de l'enfant : fermetures Velcro® qui supportent un « à-peu-près », étiquette marquant le dos, discrètes marques de couleur facilitant le repérage droite/gauche, pantalons à élastique à la taille (un faux bouton peut imiter le jean, évitant les éternels « joggings »), etc. Ces aménagements sont à concevoir au cas par cas et, bien sûr, à faire évoluer avec l'âge et les goûts vestimentaires des parents et surtout… de l'adolescent ! Dans certains cas, il peut être préférable (voire indispensable) que l'enseignant et/ou l'AESH soit informé du problème et habille rapidement et discrètement l'enfant lors des récréations ou des sorties, notamment lorsqu'il faut être rapide (sortie de classe un peu en retard, interclasse très court, piscine…). Repas Différentes stratégies peuvent être mises en place, en fonction de l'intensité du handicap et de l'âge de l'enfant. On peut envisager la présence d'un éducateur de cantine auprès de l'enfant (ou à sa table) lors des repas ou la mise à disposition d'un plateaurepas prépréparé (viande coupée, verre rempli, yaourt ouvert, pomme ou clémentine épluchée) et l'aide d'un copain pour le transport du plateau (ce qui lui permet de déjeuner avec ses camarades sans intervention d'un adulte à ses côtés), etc. Au collège, c'est une solution qui est généralement refusée par le jeune adolescent. Soit il se débrouille pour manger ce qu'il peut comme il peut, soit il ne mange pas du tout (évitement). Dans ce dernier cas, on peut conseiller la prise d'un petit-déjeuner copieux type « brunch » au domicile, où l'enfant dispose de plus de temps et de l'aide parentale. Toilettes C'est un sujet épineux dont les jeunes et leur famille hésitent à parler. Beaucoup d'enfants règlent le problème simplement par une stratégie d'évitement et ne vont jamais aux toilettes durant les heures scolaires. En effet, plusieurs problèmes se conjuguent pour rendre ces moments particulièrement délicats pour nombre de jeunes dyspraxiques. Gestion du temps (récréation, interclasse) Il faut que l'enfant, qui a besoin de plus de temps que les autres, puisse être autorisé à sortir de classe en premier (quelques minutes avant le rush de la récréation ou de l'interclasse), ce qui est souvent envisageable en primaire, mais plus difficile au collège et au lycée. On peut aussi le dispenser de l'attente aux toilettes communes en le déclarant « prioritaire » ou en l'autorisant à utiliser les toilettes de l'infirmerie. S'essuyer Ce geste complexe – d'ailleurs acquis tardivement par les jeunes enfants dont beaucoup doivent souvent être encore aidés jusqu'en fin de maternelle –, où il faut coordonner la manipulation du papier, le mouvement de rotation de la main et les fesses hors du champ de vision, reste souvent définitive- 204 Chapitre 11. La vie quotidienne ment difficile à gérer, sans que les jeunes ni leurs parents n'osent aborder ce problème pourtant pluriquotidien. La mise à disposition de lingettes de bonne taille (que l'on trouve facilement dans le commerce) facilite souvent le geste et… parfume agréablement le jeune en attendant la douche du soir, lui évitant des réflexions humiliantes de la part des adultes ou de ses pairs. À partir d'un certain âge, ces difficultés induisent un handicap de plus en plus marqué sur le plan social, avec risque de mise à l'écart. Il faut arriver à en parler et faire des propositions concrètes et efficaces. Outre l'utilisation de lingettes ou de gants jetables, des toilettes japonaises avec télécommande infrarouge (désormais plus accessibles dans le commerce) peuvent être installées au domicile. On peut aussi prévoir la planification des selles à heures fixes au domicile (laxatif) ou encore une aide humaine. Dans le même ordre d'idées, des difficultés particulières sont à noter pour les jeunes filles, dont certaines sont systématiquement absentes durant la période de leurs règles… Aussi, lorsqu'un refus scolaire s'installe (ou des absences répétées dont la justification paraît douteuse), il faut quelquefois savoir interroger discrètement la jeune fille ou ses parents, puis chercher des solutions avec la maman et l'aide de l'infirmière scolaire. Exemple La jeune D., 11 ans, est en grande difficulté depuis qu'elle est réglée. Nous avions constaté des absences régulières, de quelques jours tous les mois, ce qui nous a conduits à interroger la maman au décours d'un rendezvous médical. D. est en effet dans l'incapacité de positionner sa serviette hygiénique correctement, de se changer plusieurs fois par jour. Son ergothérapeute et sa maman ont cherché les protections les plus adéquates (sans ailette ni repère anatomique devant/ derrière…) et ont travaillé la verbalisation de la succession et de l'orientation des gestes, en espérant une meilleure autonomie à l'avenir. Parallèlement, conscients des limites de cette stratégie très coûteuse en temps et en énergie pour D., nous avons sollicité l'aide de l'infirmière scolaire. Cependant, tous les collèges ne disposent pas d'une infirmière… Se rhabiller Nous l'avons évoqué à plusieurs reprises, cette dernière étape est capitale pour éviter le ridicule et échapper aux moqueries des camarades. De petites comptines brèves peuvent être mémorisées et constituer la base d'auto-instructions verbales. Mais lorsque plusieurs ou l'ensemble de ces étapes posent régulièrement problème, il faut rapidement proposer que le jeune dyspraxique puisse utiliser les toilettes de l'infirmerie (au collège), avec l'aide discrète mais efficace de l'infirmière. Sports Paradoxes C'est certainement dans ce domaine que les interrogations et les étonnements des adultes non informés sont les plus importants, que les paradoxes apparents sont le plus spectaculaires (cf. p. 3, 5) : tel qui ne peut boutonner un bouton joue au ping-pong, tel autre qui ne peut tracer une lettre joue au tennis avec un bon niveau de réussite ! Bien sûr, cela tient à la distinction d'une part entre TAC et dyspraxie (cf. p. 15) et, d'autre part, entre différents types de dyspraxies, ces dernières n'étant encore que très partiellement élucidées. En dépit du manque cruel d'explications ou de classifications convaincantes, nous ne pouvons que constater que ces paradoxes ne sont pas rares. Il semble, à l'observation clinique de tels cas, que ce sont surtout les gestes dont la composante balistique rapide est prégnante qui puissent être respectés, les activités constructives (et spatiales) étant atteintes de façon particulièrement « pure » chez certains de ces jeunes. Dans notre expérience, les difficultés scolaires et sociales ne sont guère différentes dans les deux groupes… En outre, le sport à partir du collège impose de changer de tenue vestimentaire, y compris les chaussures. Possibilités et impossibilités Au-delà de ce qui peut apparaître comme des bizarreries assez anecdotiques de la clinique neurodéveloppementale, on note malgré tout que l'immense majorité des enfants souffrant de dyspraxie (et/ou de TAC) présente une grande maladresse motrice : ce sont des enfants patauds, 205 Partie II. Propositions thérapeutiques et mise en œuvre balourds, maladroits de leur corps et encore plus avec certains instruments (raquettes, balles…) normalement conçus comme « le prolongement » de la main, du geste manuel. Le bilan psychomoteur confirme cette impression, mettant en évidence anomalies toniques de régulation posturale, équilibres statiques et dynamiques compromis, coordinations gestuelles et œil-main déficitaires, schéma corporel médiocre, piètres capacités à reproduire des gestes, traitements spatiaux, ego- et/ou allocentrés, mal gérés. On peut, en fonction probablement de leurs expériences antérieures et de leur personnalité, distinguer un peu schématiquement deux grandes populations parmi ces enfants : • ceux qui prennent plaisir à bouger, à participer à des jeux moteurs, à accéder à certaines activités malgré les difficultés et les restrictions imposées par leur handicap. Pour eux, il convient surtout d'aménager les activités sportives en fonction de leurs possibilités/impossibilités, de leurs intérêts, de leur plaisir, de la place qu'ils veulent (qu'ils peuvent) prendre dans le groupe – classe ou dans une équipe. On peut prévoir une progression adaptée à leurs performances en début d'année, ou bien aménager certaines activités, ou encore leur confier des rôles moins « praxiques » : chronométrer, participer à l'arbitrage, etc. ; • ceux qui le vivent dans la honte et l'humiliation (en particulier par rapport à leurs camarades de classe), et ce quelquefois en dépit de la pertinence des adaptations proposées, de l'empathie et de l'attention de certains professeurs d'éducation sportive. Dans ces cas, il faut savoir renoncer à l'activité sportive (certificat de contre-indication partielle ou totale), au moins un temps, et favoriser une écoute psychologique. Nota. – Les activités aquatiques restent presque toujours positivement investies, même lorsque le jeune ne peut acquérir une nage académique. Ces activités sportives ne constituent pas seulement une partie du programme scolaire officiel : elles représentent aussi, surtout pour les jeunes garçons (beaucoup plus nombreux à souffrir de dyspraxie que les filles), des loisirs de prédilection (vélo, football…), aussi bien dans les cours de récréation que dans les moments extrascolaires, activités qui leur permettent de se confronter à leurs pairs, d'engager des joutes et des compétitions nécessaires à leur construction identitaire. 206 La souffrance générée par leurs échecs et leurs piètres performances peut être intense, aussi bien chez le jeune que chez les parents. Exemples Exemple 1 Après près d'un an de consultations diverses initiées par la mère, le diagnostic de dyspraxie est porté chez I., à l'âge de 12 ans, alors qu'il est en sixième et en grande difficulté scolaire. Le père refuse de venir nous rencontrer et nie le diagnostic, banalisant les difficultés de son fils (« Il ne travaille pas suffisamment »). Or, I. aussi refuse le diagnostic et bien sûr les aides que nous proposons, jugées non seulement stigmatisantes, mais surtout sans objet (il reprend les arguments de son père : « Quand il décidera de travailler, il y arrivera ! »). Étant dans l'impasse, d'une part nous proposons plusieurs rencontres entre I. et le psychologue clinicien ; d'autre part, nous insistons pour rencontrer le père au moins une fois. Lors de ce premier entretien, la voix cassée, il relate sa déception devant ce fils, alors âgé de 3 ou 4 ans, qu'il emmenait au square voisin. Tous les autres enfants courraient du toboggan à la balançoire, grimpant, sautant, fiers de leurs exploits devant leurs parents ravis, et lui, il voyait I. se hisser laborieusement et maladroitement en haut du mini-toboggan réservé aux bébés, sous les rires moqueurs des plus jeunes, réclamant l'aide de son père, chutant, pleurant, renonçant. Des années plus tard, le père pouvait encore évoquer ces blessures avec une intensité douloureuse intacte… Exemple 2 T., 10 ans, en CM1, présentant une grande dyspraxie développementale, parle de son vécu à l'école : il dit comme les camarades de classe sont « gentils avec lui ». Il en donne pour preuve le fait qu'ils l'acceptent, à tour de rôle, pour jouer avec eux au foot à la récréation. Sauf la semaine dernière (l'enfant est au bord de larmes) : « Mais c'est parce qu'il y avait un jour férié, alors je me suis trompé, je ne savais Chapitre 11. La vie quotidienne plus dans quelle équipe aller, celle de Max ou celle de Victor, et comme je croyais que j'étais dans l'équipe de Victor, il a dit : “Ah non ! on va pas t'avoir deux fois de suite, faut pas exagérer quand même !” Alors, je suis parti, j'ai pas joué, mais sinon, les autres fois, ils sont gentils avec moi. » Activités « d'expression » Outre les activités d'éducation physique et sportive, les programmes prévoient des heures d'initiation aux arts plastiques et à la musique. Arts plastiques La dyspraxie, en distordant leurs capacités de réalisation graphique, de construction et d'assemblage, compromet définitivement les capacités d'expression graphique, picturale ou sculpturale de ces jeunes. Tout comme nous l'avons dit plus haut pour le sport, certains trouvent cependant plaisir à jouer des formes et des couleurs et ils participent avec plaisir à cette activité avec leurs camarades. Il faut cependant pour eux aménager les exigences, les évaluations, les modalités mêmes de réalisation de certains ouvrages. La résignation douloureuse de T. met en évidence la banalité, mais aussi la violence de ces situations dont les enfants ne parlent pas volontiers… Pour eux, il faut rechercher des activités de loisirs où ils s'épanouissent vraiment, où ils ne sont pas mis en difficulté par leur handicap, où ils peuvent réellement se confronter à leurs pairs sans désavantage notable. Pour tel, incapable de faire du vélo sans petites roues, situation d'autant plus insupportable que son très jeune frère y réussit sans problème, la maman a trouvé une activité de karting dans laquelle il se débrouille avec plaisir. Pour un autre, incapable de shooter dans un ballon et s'isolant tristement lors des récréations, l'école a imaginé de proposer, lors de la grande récréation de la mijournée, une rotation d'activités ouvertes à tous, comprenant selon les jours des vidéos de documentaires, des concours de sudoku et de jeux de société, un groupe théâtre, etc. Il n'y a pas de solution toute prête. Il faut, au cas par cas, selon les lieux, les ressources locales, les opportunités, inventer pour chacun une petite parcelle de solution pour éviter que même les loisirs soient l'occasion de frustrations permanentes. L'effort pour tenter de s'améliorer, la volonté de « se dépasser » et de surmonter ses faiblesses est certes une qualité. Mais il faut aussi veiller à ne pas transformer la vie de ces jeunes en un combat permanent (et toujours en partie perdu) contre le handicap, ne pas perdre de vue que les apprentissages eux-mêmes (dont dépend leur avenir d'adultes) réclament sans cesse efforts et ajustements et qu'ils ont aussi beaucoup de potentialités et de ressources à exploiter avec réussite et bonheur. Exemple Le jeune A., passionné de photos, désormais âgé de 17 ans, vient de réaliser une exposition de photos qui a reçu un accueil très chaleureux : la beauté, mais surtout l'émotion qui naît de certaines de ses prises de vue ont séduit un public qui ignorait tout de son handicap. D'autres au contraire ne supportent pas d'être confrontés à ce hiatus ingérable entre leur projet et la réalisation qu'ils produisent, ils ne supportent pas d'exposer le fossé qui existe entre leur projet et ce qu'ils peuvent en montrer. Pour ceux-là, on voit mal quel bénéfice ils peuvent tirer d'une confrontation régulière avec leurs déceptions, leurs incapacités, leurs échecs (cf. p. 169). S'ils peuvent tous tirer profit de connaissances concernant l'histoire de l'art, s'ils peuvent tous avec profit regarder, comprendre, s'émouvoir, apprécier les œuvres d'art plastique, au contraire les obliger à « faire » est d'une grande violence, puisque c'est très précisément et très exactement là que réside leur handicap. Une dispense (totale ou partielle) dans cette matière peut donc être tout à fait motivée. Musique Là encore, nous devons distinguer ce qui est de la connaissance de l'histoire de la musique, de l'écoute des œuvres, des instruments, etc. – activités très appréciées des enfants –, et ce qui est du 207 Partie II. Propositions thérapeutiques et mise en œuvre « faire » (de la flûte, du piano…), souvent tout à fait inatteignable (dissociation des doigts, apprentissage de doigtés particuliers, de mouvements de mains et de doigts complexes…). Au contraire, la fréquentation des concerts, le chant ou la participation à une chorale sont très souvent source de grands plaisirs. Conclusion Les activités de vie quotidienne recoupent aussi bien des activités scolaires que familiales ou de loisirs. Dès l'école maternelle, l'enfant se trouve en difficulté dans des jeux et des apprentissages conçus pourtant comme particulièrement ludiques : chansons à mimer, jeux de déguisement… Son incapacité à se laver les mains, à se moucher, à mettre (ou ranger) ses lunettes, à enfiler ses gants ou sa cagoule en hiver est souvent mal interprétée : « Il refuse de grandir, il cherche à ce qu'on s'occupe de lui en permanence… » et/ou : « Sa mère fait tout à sa place, elle refuse de le laisser grandir, elle est surprotectrice ou fusionnelle… », confondant ainsi causes et conséquences, ajoutant aux difficultés de l'enfant (et des parents) des jugements négatifs sans fondement qui éloignent encore toute recherche d'aide et de solution. À l'école, c'est souvent la rapidité d'exécution qui met en échec le jeune dyspraxique, souffrant alors du regard de ses pairs, pour le moins moqueurs. Chez les jeunes garçons, on sait à quel point les activités motrices, les compétitions d'adresse et les exploits sportifs, perçus comme « virils », sont un élément important de valorisation dans le groupe et d'estime de soi. gestes. Cependant, en famille, un climat délétère dont le jeune se sent, bien malgré lui, responsable peut être entretenu par : • l'agacement et l'énervement bien légitimes suscités au quotidien par la multiplication des situations de chute, de casse, de maladresse, de dépendance, de lenteur ; • l'exacerbation des rivalités entre frères et sœurs (avec l'impression qu'« on lui passe tout », « Lui, on l'aide toujours, on s'occupe toujours de lui »), sans parler du temps important que doivent lui consacrer les parents, qu'il s'agisse des rééducations, des aides personnelles ou des rendez-vous à l'école ou à la MDPH ; • le doute permanent des parents quant à leurs qualités éducatives, dans un inéluctable mouvement de balancier entre « On l'aide trop, il faut qu'on lui laisse plus d'autonomie » et « On lui en demande trop, c'est trop dur pour lui, on ne l'aide pas assez ». Pour les activités de loisirs laissées à la discrétion des familles, il faut absolument éviter que le jeune ne soit encore une fois confronté à son handicap et à ses échecs devant ses camarades : attention, sous le fallacieux prétexte de joindre l'utile à l'agréable (!), de ne pas transformer toute la vie de l'enfant en rééducations permanentes… Enfin, on l'a compris, on ne peut pas déduire de ce qu'il fait à la maison ce qu'il peut faire à l'école ni inversement : les contextes de réalisation sont souvent très différents, créant, selon les exigences du moment, des situations de handicap fort différentes. Il faut, au cas par cas, en réajustant sans cesse les décisions et les priorités, négocier « au moins mal » ce paradoxe : on ne peut ni négliger ces activités, qui scandent le quotidien et le construisent, ni investir trop de temps et d'énergie dans leur rééducation (la réadaptation) aux dépens des apprentissages. La dyspraxie, outre l'échec scolaire plus ou moins sévère, retentit ainsi sur l'ensemble des processus de construction de la personnalité du jeune. Car ces activités ont un impact social majeur : les échecs, les maladresses ou, pire, la honte rejettent souvent le jeune dyspraxique hors du groupe, dans lequel il n'est de toute façon souvent accepté qu'avec réticence. Déjà intimement persuadé qu'il est « nul en tout », son isolement risque de s'aggraver, en spirale, surtout en période de préadolescence et adolescence. À la maison, on peut prendre plus de temps ou bénéficier d'une aide partielle pour certains C'est pourquoi nous devons trouver, avec le jeune et sa famille, des temps, des activités, des lieux et des groupes de pairs avec lesquels il peut (aussi, enfin) – régulièrement et légitimement – être en compétition favorable, en situation réelle de réussite, en position valorisante, se montrer capable de faire ses preuves et construire de lui une image positive et gratifiante. 208 Conclusion À l'issue de ce livre qui pourtant reflète des dizaines d'années d'expérience, beaucoup juge­ ront que cela est fort bien pensé mais… peu réa­ liste et peu atteignable dans la réalité. Trop de travail, trop d'adaptations, trop de façons de faire insolites, déroutantes, complexes, difficiles à mettre en œuvre dans la durée, coû­ teuses en temps et en énergie. Trop loin des habi­ tudes les mieux ancrées, les plus justifiées, les plus évidentes. Trop difficile. • Pour les adultes, c'est accepter de faire diffé­ remment pour presque tout, presque tout le temps. Cela suppose de renoncer à l'idée que « ça va passer », à l'idée de guérison ou au moins à l'idée que cela pourrait presque passer ina­ perçu… Mais cela signifie aussi reconnaître l'enfant pour ce qu'il est, être respectueux de ses particularités sans chercher à le réduire coûte que coûte à ce qu'il n'est pas, un enfant « stan­ dard ». C'est aussi la seule voie qui permette réellement de limiter efficacement le handicap, celle qui lui donnera véritablement accès à de sincères satis­ factions, à une bonne image de lui, à la fierté de la réussite, à l'avenir qui lui convient. • Pour l'enfant, difficile de se trouver seul « dif­ férent » au sein d'une foule (ou d'une classe !), de faire face aux injonctions d'apparent bon sens de « faire comme tout le monde », de ne pas se laisser entamer par les remarques négatives (« Tout de même, si tu t'appliquais un peu… »). Tous ne peuvent pas être résilients. Pourtant, la stratégie du « camouflage » est beaucoup plus coûteuse qu'il n'y paraît, elle va peu à peu absorber en pure perte l'énergie de tous, adultes et enfant. Ce n'est qu'au bout de la route, alors qu'il sera souvent trop tard, que l'inanité de ces essais de dissimulation deviendra évidente, responsable de gâchis scolaire, de la perte de confiance en soi, d'un rejet du monde dans lequel ils doivent pourtant s'inscrire. D'autant qu'il ne faut pas oublier que, contraire­ ment aux jeunes dyslexiques, ces enfants dys­ praxiques, en délicatesse avec l'école, sont aussi en difficulté dans la cour de récréation, au centre aéré ou dans les activités journalières. Aucun sec­ teur de leur vie n'échappe à la malédiction de la lenteur, de la maladresse et des difficultés à traiter les données spatiales. Or, le devenir de ces jeunes à l'âge adulte dépend en grande partie de ce qu'ils auront pu – ou non – vivre et apprendre durant l'enfance et l'adoles­ cence. Avoir confiance en soi, vivre des expériences positives, avoir de vraies occasions de confronta­ tions réussies avec ses pairs, réaliser une scolarité satisfaisante, apprendre à assumer son handicap, relever le défi de s'y confronter, savoir comment et jusqu'où « faire avec ». Jusqu'où aussi ne pas aller trop loin, connaître ses limites, savoir demander de l'aide à bon escient. C'est un subtil mélange de tout cela que ces jeunes doivent peu à peu intério­ riser, au fil des ans. Pour ceux qui auront pu grandir dans ce climat et qui auront pu réussir une scolarité à la hauteur de leurs possibilités intellectuelles et de leur moti­ vation, l'avenir n'est finalement pas si compliqué qu'il y paraît lorsqu'ils sont enfants. Au fil des ans – et surtout après la scolarité obligatoire –, certaines disciplines ou façons de faire, particu­ lièrement difficiles et sources d'échecs pénibles dans l'enfance, pourront être évitées. Ces jeunes s'engagent sur des voies qui leur sont (à peu près) accessibles, et s'ils restent des adultes maladroits, cela n'a qu'un impact secondaire dans leur vie. Ils connaissent leurs points faibles et savent les contourner ou utiliser les compensations effi­ caces. Au contraire, l'expérience pluriquotidienne de l'échec construit un sentiment durable d'impuis­ sance et d'incapacité et le fiasco scolaire conduit à des orientations « par défaut » dans des filières souvent inadaptées… Ce livre peut être compris (à notre corps défen­ dant) comme une somme de recettes, de pratiques utiles, de « trucs » que l'on peut aller picorer dans tel 209 Conclusion chapitre, tel exemple ou telle illustration, en fonction des besoins du moment. Pourquoi pas, si cela rend quelques services et, in fine, profite un peu à l'enfant. Mais il peut aussi (et c'était notre ambition !) être compris, dans sa globalité, comme reflétant une certaine philosophie du handicap cognitif. Une philosophie « pratique », certes exigeante, mais tout à fait réaliste et atteignable, comme nous l'avons montré et mis en œuvre auprès de nombreux jeunes et adolescents. Tout cela serait moins difficile, moins dou­ loureux, moins extravagant si tout le monde « s'y mettait », à commencer par les institutions dont c'est clairement la mission : • si les médecins spécialistes des « dys- » en géné­ ral et des dyspraxies en particulier étaient plus nombreux et clairement identifiables, leur nom et leur adresse dans un répertoire, comme pour les dermatologues ou les cardiologues ; • si les rééducateurs considéraient que leur métier consiste à permettre la fonction (et non à guérir le déficit) et à mener de front et des actions de rééducation, et la mise en place de palliatifs et de systèmes d'aide adéquats ; • si l'école devenait réellement inclusive, capable de s'adapter à chacun avec ses particularités, ses talents, ses faiblesses, sans qu'il ne s'agisse de renoncer aux apprentissages ; si elle pouvait réellement proposer différentes stratégies pour accéder aux mêmes savoirs ou concepts, sans rogner sur le « niveau » des acquisitions, mais en en variant les supports, les présentations, les stratégies d'accès ; • si les MDPH étaient dotées de financements et d'équipes suffisantes en nombre et en qualification pour mener à bien, sur tout le territoire, leur mission d'évaluation du handicap dans ce domaine si particulier que sont le trouble cognitif spécifique, la dyspraxie et les troubles des apprentissages qui en découlent ; • enfin, si davantage de SESSAD dédiés aux jeunes dyspraxiques pouvaient s'ouvrir, per­ mettant une coordination dense et cohérente entre soins et écoles, coordination obligatoire­ ment beaucoup plus lâche au décours de suivi en libéral, même lorsque des réseaux sont iden­ tifiés. Des formations des uns et des autres sont déjà en cours : cependant, il est indispensable que, outre les formateurs institutionnels et les cours universitaires, des cliniciens de terrain connais­ sant bien les problèmes pratiques que rencontrent enfants et familles puissent y participer. Partager des savoirs communs faciliterait grandement le parcours des familles des enfants, depuis le diagnostic jusqu'à l'entrée dans la vie professionnelle, en passant par les 10 à 20 ans de vie scolaire. Nous espérons que ce livre participera un peu à ce partage des savoirs. 210 Bibliographie [1] Mazeau M, Pouhet A. Neuropsychologie et troubles des apprentissages chez l'enfant : du développement typique aux « dys- ». Paris : Masson ; 2014. p. 136. [2] Mazeau M. La dyspraxie aujourd'hui. Développe­ ments 2015 ; 16–17 : 94–102. [3] Gaie, et al. Dyspraxie et troubles non verbaux : faire avec la complexité : études de cas. Paris : Masson ; 2014. [4] Jolly C, Huron C, Gentaz C. 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Exemple d’adaptation pour la copie en classe. Ce soir, monsieur Lapin a peur d'aller se coucher. Il vient de lire dans son journal Une nouvelle terrifiante ! LE LOUP EST REVENU ! Figure 3.4. Adaptation du modèle en vue d'une tâche de copie. De Pennart G., Le loup est revenu !, Kaléidoscope, 1994. 217 mélanie, la petite souris noire Un séjour à la montagne Les parents d e Rémi, Léa et Antoine possèdent un coquet petit chalet à la montagne. lls y passent les vacances d’hiver ainsi que le mois de juillet. C’est surtout Antoine qui aime aller à la montagne. Léa préfère la campagne et Rémi, la Bretagne. Antoine est un excellent skieur. C’est pour cette raison qu’il aime beaucoup les séjours à la montagne. Justement, il va prochainement participer à une grande compétition de ski appelée “L’alphabet des neiges”. II y aura des skieurs de tous les niveaux. il était une fois, une petite souris appelée mélanie. la petite souris habite dans un potiron tout orange. elle habite dans ce potiron avec ses bébés lulu, fifi et nono et son mari, mario. a elle est assise à côté de la cheminée et elle tricote des petites bottes de laine pour ses bébés lulu, fifi et nono Figure 3.5a. Mélanie, la petite souris noire. Antoine s’est entraîné pendant toute la semaine. Enfin, le jour de la compétition arrive. Antoine est très excité et il a un peu peur. II espère gagner. Léa, Rémi, papa et maman sont là pour l’encourager. IIs sont tous très tendus. Antoine est tellement nerveux qu’il a attrapé le hoquet. b Ca y est! C’est le tour d’Antoine! On entend le coup de sifflet! Antoine s’élance! II doit faire un slalom. II franchit une porte après l’autre avec succès! mais que se passet-il ? Tous les spectateurs poussent un cri d’inquiétude. A cinq mètres de la ligne d’arrivée, Antoine croise ses skis et boum! patatras! il fait une chute très impressionnante. II franchit néanmoins la ligne d’arrivée et bravo! il a gagné la course. Figure 3.5b. Un séjour à la montagne. Figure 3.6. Colorisation alternée de lignes. De Pennart G., Le loup est revenu !, Kaléidoscope, 1994. 218 Mer Méditerranée Tropique du Cancer MAGHREB Arabie saoudite Égypte Soudan Mer Rouge Équateur Tropique du Capricorne Méridien de Greenwich Océan Atlantique Océan Indien Figure 3.7. Leçon : Les cinq continents, chap. III : l'Afrique. Objectif : Présentation du continent africain, situation, principaux reliefs. Air riche en O2 et pauvre en CO2 O2 CO2 CO2 Sang pauvre O2 O2 O2 Sang riche O2 O2 CO2 CO2 Figure 3.8. Rôle des alvéoles pulmonaires. 219 Visuel A D C B E F G Verbal Figure 4.1. Activations cérébrales observées durant l'inspection d'une image mentale de structures tridimensionnelles. Lorsque des sujets apprennent des structures géométriques complexes, les uns par mémorisation visuelle (les figures, dessinées en 3D, leur sont présentées visuellement), les autres par description verbale, les zones cérébrales activées lors de la récupération de l'image mentale (on demande ensuite aux sujets, par exemple, si D est plus haut que F ?) sont très similaires, quoique subtilement différentes, dans les deux formes d'apprentissage. Houdé O, Mazoyer B, Tzourio-Mazoyer N. Cerveau et psychologie. Paris : PUF ; 2002, 431 p. Addition avec retenues Soustraction avec retenues 1 1253 + + 9 12 1 7 5 − 946 14 19 9 2 4 2 8 3 2199 Division avec calcul intermédiaire Multiplication avec retenues 1 4 2 − 3 1 2 5 3 − x 2 8 6 1 − 1 5 1 8 2 0 2 4 0 − 5 0 6 0 0 7 2 3 5 8 Figure 4.8. Formulaire de pose d'opération (exemples). 220 Figure 6.1. Clavier caché. Victor et la sorcière Une histoire tapée par J. Il était une fois un jeune lapin qui s’appelait Victor Petitpois. Un soir à dîner, il refusa de manger ses carottes. « Quitte immédiatement la table ! » lui ordonna son papa très en colère. Figure 6.2. Exemple de mise en pages d'un texte. Lecaye O., Victor et la sorcière, L’École des Loisirs, 1989. 221 Propriétés Points Mesure Lignes Texte et symboles Courbes Attributs Macros Transformations Constructions Manipulation Figure 7.2. Barre d'outils de Cabri II Plus®. Barre de titre Barre de menus Barre d’outils Barre d’attributs Fenêtre texte B A Zone de travail Sur ce cercle Fenêtre d’aide Barre d’état Figure 7.3. Cabri II Plus® : copie d’écran. 222 a b c Figure 8.6. Les drapeaux, un problème d'analyse spatiale. a. France ; b. Pays-Bas ; c. Ex-Yougoslavie. Figure 8.7. Document initial. http://www.cartesfrance.fr/carte-france-ville/carte-france-villes.html. 223 Titre de la leçon : l’alvéole pulmonaire. Compétence(s) testée(s) ou à acquérir : comprendre et utiliser un schéma. Nature du document : schéma. Compétences requises Compétences neurovisuelles XX Regard (organisation, stratégie, repérage) XXX Perception (images, visages, signes conventionnels) X Difficultés de l’enfant Adaptations à prévoir Commentaires Exploration du document par tierce personne Soulager l’enfant du schéma et lui décrire ce qui est représenté Dispense dès que possible Dans ce cas, en fonction des objectifs pédagogiques, l’enfant ne peut peut-être pas être évalué Champs visuels Autres Compétences praxiques XX Utilisation d’outils (gomme, ciseaux, règle…) X Manipulations (jetons, activité manuelle…) Reproductions de gestes Dessin, graphisme, coloriage XXX Dispense Compétences spatiales XXX Topologie (situer un item par rapport à d’autres) XXX Changer de support : texte explicatif Orientation propre (obliques, flèches…) XXX Proposer au jeune un texte comportant tous les termes notionnels de la leçon Compétences organisationnelles Cartable, trousse X Cahier de textes, classeur, photocopies X Emploi du temps, gestion des tâches Ordinateur Écriture Rapidité Lisibilité (nombre de lignes/nombre total) XXX Écrire à sa place ou ordinateur Fatigabilité (nombre de lignes) Tableau 8.7. Grille d'analyse de support pédagogique : texte pédagogique. 224 Titre de la leçon : texte descriptif. Compétence(s) testée(s) ou à acquérir : compréhension d’un texte descriptif. Nature du document : texte descriptif. Compétences requises Compétences neurovisuelles X Regard (organisation, stratégie, repérage) X (lecture) Difficultés de l’enfant Adaptations à prévoir Favoriser la lecture Perception (images, visages, signes conventionnels) Commentaires Travail seul : utiliser retour vocal sur ordinateur (texte scanné ou numérique) Avec adulte : lecture par l’adulte Champs visuels Autres Compétences praxiques Utilisation d’outils (gomme, ciseaux, règle…) Manipulations (jetons, activité manuelle…) Reproductions de gestes Dessin, graphisme, coloriage Compétences spatiales XXX Topologie (situer un item par rapport à d’autres) XXX Orientation propre (obliques, flèches…) XXX Compétences organisationnelles XXX Favoriserla représentation spatiale induite par le texte Pas de compensation possible : changer de livre ou dispenser de questions de compréhension relatives à ces passages Cartable, trousse Cahier de textes, classeur, photocopies Emploi du temps, gestion des tâches Ordinateur Écriture Rapidité Lisibilité (nombre de lignes/nombre total) Fatigabilité (nombre de lignes) Code : X Compétence peu sollicitée Pas de difficulté dans ce domaine (= vert) XX Compétence moyennement sollicitée Quelques difficultés (= orange) XXX Compétence très sollicitée Nombreuses difficultés (= rouge) Domaine nécessitant une ou plusieurs adaptation(s) Tableau 8.8. Grille d'analyse de support pédagogique : schéma de SVT. 225