IcI c`est aIlleurs - Saint-Gervais Genève Le Théâtre

publicité
Ici
c’est
ailleurs
Ex-Maison des Jeunes et de la Culture fondée en 1963
N°
« Nous
sommes
la génération
des loisirs »
mars_juillet 2012
Spectacles
du 6 au 24 mars Europe l’échappée belle Marie Fourquet
du 6 au 24 mars Pour l’instant, je doute Cie ad-apte
du 8 avril au 4 mai A l’Hôtel des routes Théâtre de l’Esquisse
du 22 mai au 9 juin Elseneur-Machine José Lillo
du 18 au 20 juin Entre spectacle de sortie de la Manufacture,
Haute école de théâtre de Suisse romande,
sous la direction d’Oskar Gómez Mata
du 26 au 30 juin Kaïros, sisyphes et zombies L’Alakran
du 6 au 16 juillet Fermez les théâtres ! Michel Deutsch
suivi de Le trip Rousseau Dominique Ziegler
(un voyage théâtral à L’ilôt 13)
OFF
2 marsAvant-première : Le principe d’incertitude
un film de Michel Deutsch
8, 9, 15 et 16 juin Un tour en ville … avec Pierre Miserez
Renseignements : www.saintgervais.ch
03
Europe l’échappée belle
du 6 au 24 mars 2012
Texte et mise en scène Marie Fourquet
collaboration artistique Philippe Soltermann
Avec Fanny Brunet, François Karlen,
Valérie Liengme et Philippe Soltermann
Photo © Stéphane Pecorini
Photo de couverture © Marie Fourquet
Le grand entretien. 2
Rencontre avec Marie Fourquet,
auteure et metteure en scène qui s’est glissée
dans la peau de l’Europe
Le contribution. 4
Je peux faire quoi ?
par Philippe Soltermann
L’avant-première. 5
Michel Deutsch et
Le principe d’incertitude,
film commando
La cartographie. 6
Quand Rousseau regarde à nouveau Genève
Le petit entretien. 8
Elseneur-Machine,
un acte contre-culturel de José Lillo
La carte postale. 9
Julie Gilbert et sa cabane au Canada
Les transversales. 10-14
Rodrigo Garcia, Romeo Castellucci et le Christ,
par Bruno Tackels
Un éloge de l’esquisse, par Maxime Pégatoquet
Si c’est ça la vie, faudrait la changer, bordel !,
par Oskar Gómez Mata
Les news du théâtre. 16
L’actualité des résidents. 16
L’Équipe
Direction : Philippe Macasdar
Adjointe à la direction : Yoko Miyata
Gestion financière : Alberto Caridad
Production : Florence Chappuis
Communication et presse :
Emmanuelle Stevan
Relations publiques : Anaïs Balabazan
Assistante de direction : Aldjia Moulaï
(Interim : Pierrine Poget)
Régie générale et lumières :
Ludovic Buter
Régie son et vidéo : Pierre-Alain Besse
Entretien : Lidia Usaï
Bâtiment et sécurité : Ignacio Llusià
Responsable accueil et billeterie :
Gaïl Menzi
Accueil : Tristan Audeoud,
Sandra Irsapoulle, Ivan Martin
Apprentie administration :
Sónia Da Silva Marques
Buffets :
Florence et Guillaume Chappuis
Publication
Le collectif ROSA s’est constitué en septembre 2010, en réaction à l’adoption de la 4ème révision de la loi sur l’assurance-chômage. Il est composé de professionnels du spectacle : comédiens, auteurs, metteurs en
scène, chorégraphes, techniciens, danseurs, cinéastes. La précarité
dans laquelle vit la majorité d’entre eux s’accroît chaque jour.
Responsable : Philippe Macasdar
Coordination : Maxime Pégatoquet,
Pierrine Poget et Emmanuelle Stevan
Rédaction des textes :
Julie Gilbert, Oskar Gómez Mata,
Maxime Pégatoquet, Philippe
Soltermann, Bruno Tackels
et les compagnies
Graphisme :
atelier blvdr / Daniel Kunzi
Impression :
Sro-Kundig, Genève
mars 2012
[email protected]
La fondation pour les arts de la scène
et les expressions culturelles
pluridisciplinaires est subventionnée
par le Département de la Culture
de la Ville de Genève
et par le Département de l’instruction
publique du Canton de Genève.
Conseil de fondation
Membres : Dominique Berlie,
Renate Cornu, Marc Dalphin,
Françoise Dupraz, Cyrille Joie,
Sami Kanaan, Christina Kotsos,
Christiane Leuenberger, Amar Madani,
Jean-Bernard Mottet, Jean Prévost,
Cléa Redalié, Salika Wenger
et Jean Zahno
Octobre 2011. Le collectif ROSA sort « Le cahier noir de l’intermittence ». Ce que l’on pressentait éclate au grand jour :
précarisés, les comédiens et les autres intermittents de la
scène genevoise portent, à bout de bras, le théâtre d’une cité
qui ne le leur rend pas.
L’édito
Le sommaire
Mars 2012
« Ici c’est ailleurs »,
la revue de St-Gervais
Genève Le Théâtre
1
En 1757, D’Alembert, dans un article de l’Encyclopédie, propose l’établissement d’une troupe de comédiens à Genève,
qui n’en a pas. Selon lui, la cité de Calvin, par sa rigueur morale, dispose du cadre idéal pour
redresser les mœurs d’une profession dissolue. Il explique que l’absence de reconnaissance
sociale dont souffrent les comédiens est à l’origine de leur avilissement. Il demande que ceuxci soient encadrés par des lois strictes et qu’en contre-partie ils soient rémunérés, « pensionnés par le gouvernement » – et placés « sur la même ligne que les autres citoyens ».
D’Alembert invente, d’une certaine manière, le statut du comédien professionnel. Mais pas
n’importe quel comédien, ni n’importe quel théâtre. Il s’agit d’un théâtre aristocratique, importé de Paris, destiné à la distraction des patriciens genevois et de leurs hôtes français, et de
comédiens indifférents aux préoccupations locales. D’un côté, D’Alembert valorise le théâtre,
de l’autre il limite son usage à une caste de privilégiés.
Un an plus tard, Rousseau s’oppose radicalement à un tel projet, lui préférant un spectacle
participatif et civique. Il aura gain de cause.
Considérant que le théâtre n’est pas réformable en l’état, puisqu’il renforce selon lui les privilèges et exclut le peuple de ses bénéfices supposés, Rousseau le voit comme un frein à l’émancipation. Il s’attaque tant à la fonction de l’art dramatique qu’à celui qui l’incarne, le comédien
qui « se donne en représentation pour de l’argent ». Rousseau tient en horreur la représentation,
de soi comme celle des autres, qu’il associe au paraître et à la duplicité. Il appelle à sortir des
salons et des théâtres, à rejoindre le plein air, dénonçant la division entre salle et scène, spectateur et acteur, jusqu’à abolir la représentation même, anticipant le happening. Exit le professionnel, vive l’amateur ! Quoi ? Il n’y a pourtant pas d’art sans représentation.
Par ce geste iconoclaste, agitateur et sincère, Rousseau cherche à mobiliser et à relier les citoyens de Genève, les faisant passer de la position de spectateur à celle d’acteur. Un acteur
pas comme les autres, démultiplié, acteur de sa vie dans la cité.
En proposant de donner « les spectacteurs en spectacle », Rousseau excède et déplace le
problème posé par D’Alembert. Ce n’est plus de théâtre à proprement parler dont il s’agit. Il
dessine un projet utopique pour le peuple et par lui, où « chacun se voit et s’aime dans les autres,
afin que tous en soient mieux réunis. » A circonstance exceptionnelle, solution exceptionnelle :
trente ans avant la Révolution française et ses fêtes spectaculaires dont il est l’inspirateur,
Rousseau prend le risque de suspendre un théâtre incapable, à ses yeux, de changer le monde,
ni « des sentiments et des mœurs qu’il ne peut que suivre et embellir ». Rousseau ouvre un
champ d’expérimentation, individuelle et collective, où l’art se définit d’abord comme un art de
vivre ensemble.
En 2012, la société est devenue spectacle et il y a de moins en moins d’acteurs au rendez-vous.
Le (télé)spectateur est le contraire même du citoyen acteur auquel Rousseau rêvait, mais
a-t-il jamais existé ? Quant au théâtre, n’est-il pas toujours à transformer ? Philippe Macasdar
Le
paradoxe
de
Genève
2
Le grand
entretien
Mars 2012
« Ici c’est ailleurs »,
la revue de St-Gervais
Le Théâtre
Trois semaines durant, Marie Fourquet est à
l’affiche de St-Gervais avec deux spectacles.
Une reprise de Pour l’instant je doute, jouée
au 7ème, et une création articulée autour de
l’Europe, cette utopie politique, cette conviction intime. Elle s’en explique.
Calais, ville du Nord de la France, pourrait être un condensé de l’Europe. Bombardée pendant la Seconde Guerre mondiale, ses bunkers
abritent aujourd’hui les migrants et leurs rêves d’Angleterre. Pour témoigner de cette réalité, hors les JT d’actualité, de nombreux artistes
se sont collés au sujet : l’écrivain Olivier Adam (A l’abri de rien, éd.
de l’Olivier), le cinéaste Philippe Lioret (Welcome) ou le photographe
genevois Jean Revillard (Jungles, éd. Labor & Fides).
A son tour, l’auteure et metteure en scène Marie Fourquet s’y intéresse et s’interroge : « L’Europe n’est-elle pas, et depuis Euripide, une
terre d’enfants en errance qui frappent aux portes des villes ? ». A travers cette ville marquée par l’histoire, dernièrement encore touchée
par la liquidation de la société SeaFrance, elle interroge l’utopie européenne après en avoir remonté le fil de la construction, commençant
son voyage à Sarajevo, là où, comme souvent, l’histoire a basculé.
Deux précisions encore. Marie Fourquet vient d’obtenir la naturalisation suisse. Mais elle est originaire de Calais.
Il y a un souvenir d’enfance, mais aussi une utopie qui est le fil conducteur de mon spectacle. La pièce est moins politique que personnelle.
C’est une pièce que je dédie à mes enfants, parce qu’ils ne sont pas
européens. Ils sont franco-suisses, mais pas européens comme moi
j’ai pu l’être ou comme je pourrai l’être. Je leur dédie, car j’aimerai qu’ils
soient européens et qu’ils puissent encore y croire et se positionner
vis-à-vis d’elle. C’est la première fois que je m’expose de cette manière dans une pièce assez violente par rapport aux thèmes abordés
(la guerre, les migrants...), et où, en plus, j’expose même mes enfants.
« Quand
j’étais enfant,
Europe,
je l’imaginais
blonde,
avec
une grande
robe bleue... »
Quel est le postulat de départ ?
C’est une soirée entre amis. Ils sont quatre, irresponsables et dégénérés de par leurs propos et leurs positions. Ca commence simplement
par une jeune femme qui enlève sa culotte. On peut trouver ça superficiel, alors que pour moi ça évoque immédiatement le mythe de La
jeune fille et la Mort, ce rapport à la sexualité quand on peut se retrouver dans une situation extrême.
Par rapport à vos précédents spectacles, il y a autant de mordant, d’ironie,
de légèreté, mais vous passez des relations homme-femme à l’Europe. Qu’estce qui a déclenché l’envie de cette pièce ?
Le fait que j’ai acquis la nationalité suisse, tout simplement. C’est une
nationalité que j’ai voulue parce que j’élève mes enfants en Suisse et
que je voulais pouvoir voter dans le pays où j’élève mes enfants. Le
truc de base, quoi. Et puis, un jour, après avoir suivi un cours à l’Université sur l’Europe et l’enjeu de la culture européenne, je me suis
rendu compte que nombre de Suisses autour de moi ne connaissaient
pas le fonctionnement de cette structure. Là, je me suis dit : « Waouh ».
Personnellement, je me fiche de ma nationalité française. Par contre,
acquérir une nationalité dans un pays qui n’est pas européen a provoqué un sentiment très fort en moi.
Pour quelles raisons ?
C’est un pays qui n’a pas connu la guerre, les affres de la reconstruction.
Moi, quelque part, j’ai hérité de mes grand-parents et parents cette
énergie-là. Pour moi qui ai joué dans les blockhaus à Calais, qui ai
baigné dans tout cet univers de guerre, où tu crains d’avoir un oncle
qui faisait le collabo parce que tu sais qu’il n’est pas possible que tout
le monde aie fait partie des résistants, tu sens qu’ici ce sont des choses qui sont très peu présentes. Ensuite, je suis devenue Suissesse.
J’élève mes gamins ici. Qu’est-ce qui se passe ? Parlons de l’Europe. Dans la pièce, vous préférez parler d’Europe, telle une figure mythique grécoromaine, plutôt que de l’Europe ? Avec ce choix, il y avait l’idée de retrouver
une forme d’utopie originelle ?
Je voulais créer un personnage. Quand j’étais enfant, Europe, je l’imaginais blonde, avec une grande robe bleue et les cheveux de la couleur
des étoiles. Europe, c’est cette figure de la jeune fille sur laquelle je
travaille beaucoup dans la pièce. Il y a la jeune fille vierge propre à la
tragédie grecque ; la jeune fille tuée à Sarajevo, première victime et
élément déclencheur de la guerre ; la jeune fille mourant sur une route de Calais renversée par un ami médecin... Le grand
entretien
3
Avec l’allégorie des jeunes filles, vous
cherchiez à montrer que l’Europe, finalement, n’en est encore qu’à ses balbuMars 2012
tiements et qu’il faut l’encadrer, l’ac« Ici c’est ailleurs »,
compagner ?
Elle n’est plus vierge, peut-être
la revue de St-Gervais
même qu’elle ne l’a jamais été, mais
Le Théâtre
c’est maintenant qu’il faut y aller et
qu’il faut y croire. Néanmoins, il y a
deux doutes qui subsistent en moi : le fait que la Bosnie n’y soit pas,
alors que dans mon Europe utopique idéale elle aurait dû y être accueillie à bras ouverts, afin de justifier le « plus jamais ça » et qu’on lui
demande pardon pour ce qui s’y est déroulé ; et cette jeune femme
tuée à Calais, à deux pas de là où a été construit le tunnel sous la
Manche, le symbole qui allait nous rendre tous européens, mais qui
fait que géographiquement parlant, ça crée une sorte de nœud gordien,
de boule au ventre.
Europe, la pièce, peut-elle se voir comme une sorte de cri, alors qu’on a
l’impression que cet état unionniste prend l’eau de toutes parts ?
J’ai commencé à travailler sur ce texte bien avant les dégradations
successives de la Grèce et la crise de l’euro. Tu te fais toujours rattraper par l’actualité, mais mon approche se voulait plus intime, plus sincère quelque part. Si, par exemple, la Grèce devait sortir de l’Europe,
pour moi, ce serait terrible, ma réaction serait très affective.
Vous-même, vous êtes allée à Sarajevo pour une forme de voyage initiatique,
pour comprendre l’Europe par ses racines ? Et vous y avez emmené vos enfants...
Mon gamin a très mal vécu ce voyage. Le climat est encore très posttraumatique. Et il ne comprenait pourquoi tous ses copains partaient
au soleil et lui devait se trouver là. Par la suite, on devait aller à Srebenica, mais on a préféré annuler le déplacement, car je n’aurai pas
pu le justifier devant lui.
Nous sommes la génération des loisirs, dit l’un de vos personnages. Comment
qualifieriez-vous celle d’avant ?
La génération de mes grand-parents, c’est celle de la reconstruction.
Je l’ai vraiment compris quand je suis arrivée à Sarajevo. Quand on
sait qu’il y a eu près de 1’600 enfants tués dans les rues de la ville,
quand on comprend de quoi ils essaient de se relever, j’ai compris pourquoi on est heureux de l’arrivée d’un McDonald’s ou qu’on a envie d’un
jean’s Diesel, d’un iPhone.
Pour avoir grandi dans un tel environnement, il faut avouer à un moment
que j’en ai soupé de toutes ces histoires, des commémorations dans
les cimetières, des récits de vieux combattants, des histoires de Juifs
gazés. Franchement, en tant qu’enfant, à un moment, on n’en pouvait
plus, on avait envie d’autre chose.
Et puis, à Sarajevo, j’ai physiquement eu la nausée pendant trois jours,
car j’ai compris que j’avais vraiment envoyé « chier » mes grand-parents
pendant longtemps.
Quelle est la position de votre génération ?
On va y aller quand même. C’est une histoire d’amour impossible.
Vous venez de Calais, une ville qu’on peut voir comme un carrefour de l’Europe et qui se retrouve presque montrée du doigt comme une prison à ciel
ouvert. Pour quelles raisons ?
J’aurais pu appeler cette pièce Mon Europe, pour ne pas que ça devienne cette chose immatérielle, faite de marchés économiques et de
tribunaux de justice. Mais celle à laquelle j’ai cru et à laquelle j’ai encore envie de croire.
Maxime Pégatoquet
Marie Fourquet
Europe l’échappée Belle
du 6 au 24 mars 2012
Texte et mise en scène Marie Fourquet - collaboration artistique Philippe Soltermann
Avec Fanny Brunet, François Karlen, Valérie Liengme, Philippe Soltermann
Photo © Marie Fourquet, photo montage © Daniel Kunzi
4
La contribution
au grand
entretien
Mars 2012
« Ici c’est ailleurs »,
la revue de St-Gervais
Le Théâtre
Je peux faire quoi ?
On s’habitue à cette vie… une vie en demi-teinte,
toujours au semi-régime, vin rouge mais légumes
juste après, côte à l’os mais ratatouille, surtout
pas de frites.
Je ne suis pas peu fier de vivre dans un pays
responsable avec autant d’armes à feu et si peu
d’accidents.
Même si on doute du bien fondé et des intentions
peu louables des référendums, si le peuple décide,
autant accepter, tu sais qu’il existe des peuples
qui se battent pour la démocratie, alors c’est facile de se plaindre quand on vit dans un pays si
confortable.
...autant
d’armes
à feu
et si peu d’accidents.
La vérité peut faire défaut, ça ne vaut rien, on parle de constitution de règles humaines, de législation, de concordance, de bien-être et de respect.
Le pamphlet, je trouve ça laid, désuet et à dire vrai,
extrêmement vulgaire.
Tu veux quoi, nous parler des enfants soldats ?
De la famine ? Du peuple kurde ou de la guerre au
Nigeria ?
Non mais ça va ?
Ici, juste en bas de chez moi, je vois depuis mon
balcon, enfin, ma terrasse avec grill, je vois un
homme qui promène son chien, il lui a coupé les
oreilles pour le rendre plus agressif, alors l’humanité, je ne sais par quel bout la prendre pour la haïr.
Elle se salit toute seule dès qu’on l’observe. Elle
fait sa honte comme on fait sa bile.
Parfois la lumière prend force dans notre quotidien,
le flic qui tire que dans les pneus,
l’instituteur compétent capable de démission,
la critique de théâtre qui se tait,
le pauvre qui gagne à l’euro million.
Oui des fois la vie semble juste, moins brutale et
Avant-Première
douce, comme le pompiste qui te donne des tickets de réduction pour ton prochain plein. Tu peux
même avoir une carafe si tu cumules sur ta carte
de fidélité, alors autant être fidèle à son pompiste.
Mais, comment je vais réussir à être réac alors que
je déteste mon époque ?
Comment je vais réussir l’échec de dire en fin de
repas, juste avant le café, en mâchant un biscuit...
avant c’était mieux
Alors, il faut faire quoi ?
Prendre une année sabbatique avec mes enfants
pour qu’ils comprennent leurs privilèges ?
Qu’ils voient la pauvreté, la guerre ? Qu’ils la touchent ? Qu’ils la côtoient plutôt qu’un skate park
et des films en 3D ?
Comprendre son monde,
un bout du monde,
sortir de son voisinage,
ballotter nos privilèges,
aller voir le monde en famille,
un charnier pour ces 7 ans,
Srebrenica c’est formateur,
à 10 ans, on fait Tchernobyl,
14 ans, Auschwitz et après on t’offre
une mobylette,
16 ans, on finit par le Rwanda,
20 ans, lecture d’un livre de BHL
et tu deviens enfin un adulte,
21 ans, visite du parlement européen
pour se souvenir.
Mars 2012
« Ici c’est ailleurs »,
la revue de St-Gervais
Le Théâtre
5
On manque toujours de rites formateurs.
Plutôt qu’une communion et qu’un service
militaire,
on fait les touristes du monde.
Faire comprendre dans une simple notion pédagogique père-fils comment j’aime la vie, leurs vies
et m’amuser encore et encore.
Souvent visible et risible de mes fatigues, j’ai
même pas le courage de prendre un bain, je vais
jusqu’à justifier mon errance dépressive par un
dogme écologique.
Les bains assèchent les rivières, alors je dors
sale.
Alors je peux faire quoi ?
M’acheter un camping-car et faire les châteaux de
la Loire ?
Ou m’acheter des bâtons pour faire de la randonnée ?
Faudrait même trouver le style,
avoir son style,
le pantalon avec poches sur le côté, des sandales
et un t-shirt vieux campeur, au mieux décathlon
en micro fibres.
Comprendre sa vie comme la lecture d’un guide
de voyage avec des belles photos au milieu.
Philippe Soltermann
Les principes
de Michel Deutsch
Avec Le principe d’incertitude, Michel Deutsch passe d’une pièce de théâtre montée sur scène, La décennie rouge, à un film typé Nouvelle Vague tourné dans les rues genevoises. A découvrir en exclusivité.
Il y a de cela une poignée d’années, le réalisateur et metteur en scène Michel Deutsch montait
sur scène La Décennie rouge (Mensch oder Schwein), relecture du mythe sanglant de la bande à Baader-Meinhof.
Un docu commando dans les rues genevoises
L’aventure fut aussi riche que généreusement humaine. « On ne va pas se quitter comme ça »
dit Michel Deutsch qui a alors embrigadé une partie de ses acteurs and Co pour une opération
de ciné-commando. Un tournage à Genève, quinze jours durant, une plongée dans la tranquille et quotidienne banalité genevoise, un road-movie circulaire et labyrinthique. Michel
Deutsch : « Le principe d’incertitude raconte l’histoire des amours et des doutes qui agitent
les acteurs pendant le montage de la pièce. Amours, trahisons et politique... Pour certains la
fuite en avant s’impose : changer le monde veut dire passer à l’acte. Pour d’autres il s’agit, par
un soir émouvant, d’approfondir leur pratique artistique. »
Un cinéma de vérité
Contemporain de la Nouvelle Vague sous toutes ses formes, Deutsch cherche à en retrouver
l’esprit. Il tourne ses films quasi comme des documentaires. Fonctionne avec de jeunes acteurs
qui débarquent dans le métier. S’offre quelques hommages appuyés avec, notamment, une
revisitation réussie d’une scène mythique de La Chinoise de Godard où Anne Wiazemsky
mouchait Jean-Pierre Léaud d’un absolu « Je ne t’aime plus ». Matthias Langhoff y fait une
apparition, Jean-Marc Stehlé un aller-retour depuis sa base parisienne.
Michel Deutsch : « Depuis quelques années, mon travail est tourné vers une mémoire du temps
présent : creuser le présent pour lever les fantômes – les cadavres – qui l’habitent. » Réalisé
en 2009, Le principe d’incertitude, le film, déroule sa Genève internationale et culturelle : du
quartier des banques à la librairie Le Rameau d’Or, des trams du réseau orange au MAMCO,
lieu auquel il a emprunté le titre de l’exposition qui s’y déroulait au moment du tournage. Le
principe d’incertitude. Un moment volé de vérité, à voir sur la... scène de St-Gervais le Théâtre.
Car si, comme le remarquait André Bazin, le théâtre permet de mieux voir le cinéma, le cinéma,
quant à lui, permet de s’intéresser autrement au théâtre.
Le Principe d’incertitude
A voir le 2 mars 2012, à 20h.
Un film de Michel Deutsch.
Avec Jeanne De Mont, Sara Louis, Pascal Sangla, Julien Tsongas, Lucie
Zelger. Et les participations exceptionnelles de Anne-Marie Delbart,
Michèle Foucher, Matthias Langhoff, Jean-Marc Stehlé et Philippe
Macasdar. Photo © Michel Deutsch
Mars 2012
« Ici c’est ailleurs »,
la revue de St-Gervais
Le Théâtre
seulement soufferts à Genève, mais
contenus d’abord par des réglements
sages, protégés ensuite (...), enfin
absolument placés sur la même ligne
que les autres citoyens, cette ville
aurait bientôt l’avantage de posséder
ce qu’on croit rare, et qui ne l’est que
par notre faute, une troupe de
comédiens estimables. »**
« Quoi ! ne faut-il donc
aucun spectacle dans
une République ? »*
« Qu’est-ce que la profession du comédien ?
Un métier par lequel il se donne en représentation
pour de l’argent, se soumet à l’ignominie
et aux affronts qu’on achète le droit de lui faire,
*
et met publiquement
sa
personne
en
vente.
»
« Si les comédiens étaient non
7
Lolita Frésard,
multifonction (régisseuse
son-lumière, assistante
à la mise en scène)
« Pour pouvoir survivre,
je fais divers petits métiers
comme serveuse, hôtesse,
représentante d’une marque
de cigarettes, petite main
dans un spa, babysitting,
remplaçante pour cours de
théâtre, etc. »
« Au fond, quand un homme est allé admirer de belles actions dans les fables, et pleurer des
malheurs imaginaires, qu’a-t-on encore à exiger de lui ? N’est-il-pas content de lui-même ? Ne
s’applaudit-il pas de sa belle âme ? Ne s’est-il pas acquitté de tout ce qu’il doit à la vertu par
l’hommage qu’il vient de lui rendre ? Que voudrait-on donc qu’il fît de plus ? Qu’il la pratiquât
lui-même ? Il n’a point de rôle à jouer : il n’est pas comédien. »*
Gille Jobin, chorégraphe,
directeur artistique
« En paupérisant les métiers
artistiques, en leur demandant
un effort que l’économie, ou les
banques, ne font pas, on
transforme les « citoyens
culturels » actifs et vivants dans
leur ville en assistés associaux,
inactifs et déprimés...»
Yvette Théraulaz, comédienne
« Aujourd’hui à la retraite, je touche
2’000 francs d’AVS et 1’800 francs de
deuxième pilier. J’ai également un peu
d’argent à la banque. C’est peu, mais
grâce à cela, un spectacle par an me
suffit pour vivre normalement. »
Bernard Escalon, comédien
« Pour compenser les trous entre les
contrats je fais des remplacements au
DIP en diction depuis très longtemps.
Je fais tout ce que je peux pour
émarger le moins possible au
chômage. »
La statue qui le célèbre en l’île éponyme a enfin été remise dans sa position initiale afin que le
philosophe puisse à nouveau regarder dans la direction de la cité. Un bon prétexte pour mettre
en relation comédien et spectateur, d’hier à aujourd’hui.
Léa Babel, constructrice
de scénographie, décors et
accessoires, chanteuse
« J’essaie de vivre avec 2’000
francs par mois. Ça veut dire que
quand t’as une carie tu vas pas
chez le dentiste. »
Mars 2012
« Ici c’est ailleurs »,
la revue de St-Gervais
Le Théâtre
La
cartographie
Rousseau,
D’Alembert
et les
acteurs
du
cahier noir
« Donnez
les spectateurs
en spectacle ;
rendez -les
aux acteurs
eux-mêmes. »*
6
La
cartographie
« La Grèce fournit des exemples
d’acteurs chargés de certaines
fonctions publiques. » *
*Jean-Jacques Rousseau
**Jean Le Rond D’Alembert
(avertissement : les verbatims retenus des signataires du cahier noir
ne sont qu’une partie du témoignage proposé par chacun de ces
intermittents du spectacle. Pour retrouver l’intégralité de leur
intervention : [email protected]) Photo © Daniel Kunzi
Mars 2012
« Ici c’est ailleurs »,
la revue de St-Gervais
Le Théâtre
Alors qu’il vient de reprendre le
Walpurgis de Karl Kraus, le metteur en scène José Lillo porte à
son tour et au nom d’une intrigante « république des lettres » la parole dans la sphère culturelle en
espérant que son action littéraire
fasse bouger les lignes.
Un café
avec
José Lillo
« Je cherchais un acte contre-culturel à faire dans un moment du temps
où absolument tout était devenu
culturel. D’une lecture à l’autre,
j’apercevais, ici et là, des points de
convergence, (...) des corrélations,
des possibles. (...) J’appelais cette
convergence la république des textes. » Dans ce sampling de textes
qu’est Elseneur-Machine sont
convoqués les plus grands penseurs, philosophes, dramaturges et
théoriciens de ces derniers siècles.
Deux ans de lectures pour une pièce
faite de bouts de phrases, de bribes
de pensée, chaque mot conservé
Dans son essai baptisé Entertainment
sur l’apologie de la domination, Francesco Masci dit que pour qu’il y ait
guerre / crise, il faut qu’il y ait un ennemi. Quel est-il selon vous ?
Je pense que l’ennemi va de soi à
l’autre, que c’est celui qui adhère à
une forme d’existence qui ne lui
convient pas. C’est tout ce qui triche,
qui ment et qui fait comme si les
choses étaient résolues. Il s’agit des
gouvernements, des pouvoirs divers, mais aussi de soi-même. Cela
concerne toute une série de choix
qu’on peut faire, d’orientations qu’on
a à disposition, mais qui sont conditionnées par une série de messages,
de mots d’ordre avec lesquels il faut
composer. Dans cette pièce où le texte a plus que
jamais son importance, quel va être
l’enjeu du jeu des acteurs ?
L’interpréter n’est plus suffisant.
Par rapport à l’ensemble des textes
retenus, ce qui est important c’est
le bagage qui va autoriser l’acteur à
penser ce qu’il va affirmer. Il n’y a
plus de référent réel, il est spectaculaire : est-ce qu’on va me croire si
je dis le texte ainsi ? Ce qui m’inté-
« L’ennemi, c’est tout
ce qui triche, qui ment... »
l’étant pour sa substantifique moelle. Peu importe l’auteur, puisque
c’est l’idée qui doit primer, manière
que celle-ci s’imprime noir sur blanc
sur la paroi intérieure de votre cavité crânienne.
Dans son précédent spectacle,
Walpurgis, José Lillo portait la voix
de Karl Kraus pour un texte dont la
valeur prophétique quant à l’avènement du 3ème Reich n’avait pourtant
guère été écoutée à l’époque. A son
tour, Lillo nous livre une sorte de
texte ultime, un essai de la dernière
chance avant que le monde tel qu’il
nous apparaît aujourd’hui ne
s’écroule définitivement. Pour mémoire, la compagnie de José Lillo
s’appelle Attila Entertainment.
Comme si du divertissement il fallait
faire table rase.
resse, c’est plutôt de savoir si l’acteur a pensé ce qu’il a dit, en a mesuré la portée. Dans ce cas de figure,
il faut que ce soit comme une parole
qui agit. L’objectif, c’est de faire bouger les
lignes, de créer un électrochoc de
pensée ?
On est dans un temps statique où
plus rien ne peut se passer, où nous
n’avons plus la possibilité d’être des
gens de l’action. Ou alors c’est un
accident quand ça arrive. Tout le
monde devrait pouvoir agir sur l’organisation de la société, non pas
pour être obéi, mais pour avoir sa
part. Chacun devrait disposer de cet
agir-là, alors que cet agir-là a été
confisqué et que malheureusement,
il a non seulement des conséquences politiques, mais aussi existentielles. Parfois, j’ai presque l’impression que cela participe à créer une
vie intérieure à laquelle je ne crois
pas. Ce n’est pas parce qu’on pense
que c’est à l’intérieur de nous. Voilà
quelque chose qui est très culturel.
Je pense que le fait de ne pas avoir
de prise au monde, de n’être pas
autorisé à, de ne pas être censé se
prononcer, crée une sorte de clandestinité. Que cela désauthentifie
l’être au monde. (...) Ce monde est
indéfendable. Il n’y a pas de fatalité
à ce qu’il perdure comme ça. C’est à
nous de l’améliorer, de le rectifier,
de le faire avancer. Seulement, ce
n’est pas évident de comprendre ce
qui arrive, d’avoir le récit qui dit ce
qui est. Le monde d’aujourd’hui ne
nous rend pas plus actif, il nous a
neutralisé. »
Maxime Pégatoquet
Qu’est-ce que cette « république des
lettres » qui vaut comme auteur(s) de
la pièce ?
C’est une bibliothèque de septantetrois textes, constituée par une lecture sauvage, une cueillette sur plus
de deux ans de buissonages. D’un
texte à l’autre, je relevais des lignes
de force, j’observais qu’on pouvait
ne pas être d’accord, mais qu’il y
avait néanmoins quelque chose qui
convergeait. Vers le mieux, vers le
vrai. Quand on lit, on ne peut pas ne
pas faire cette expérience. Ce que
moi je nomme république. Je suis
Un voyage
de
Julie Gilbert
allé chercher des moments de lecture qui, aujourd’hui, pouvaient me
permettre de dire «ah oui, ça ça claque, ça c’est définitif, ça ça fait du
bien ». Ensuite, quand tous ces morceaux sont mis ensemble, on se
rend compte qu’ils se complètent,
qu’ils s’articulent les uns aux autres
dans une forme de combinaison infinie.
José Lillo
Elseneur-Machine, par José Lillo
du 22 mai au 9 juin 2012
Avec Julia Batinova, Elodie Bordas, Felipe Castro,
Jeanne de Mont, José Lillo, distribution en cours
Je suis dans cette ville
Je suis au milieu des maisons, des carrefours,
des briques rouges, je suis là
Montréal
Je suis au fond du monde
Acculée en haut de la carte
Dos aux terres froides
Assez loin pour que l’Europe disparaisse
Pour que la dislocation grecque ne soit qu’un point,
une bagatelle
Pour qu’on ne batte qu’au son d’un seul cœur
Lumières clignotantes, surfaces planes, échangeurs
Tim Hortons, silo de blé, de maïs, pelouse rangée
Maisons chauffées à bloc
Kilo de tonnes de sel sur les trottoirs, sur nos bottes
Paysage de la sous-Amérique
Je suis là
Montréal, la ville
Je suis là
Et derrière, la forêt
Et quand la trans-Canada highway
Et quand la route de Fermont
Et quand la route de Radisson
s’arrêtent
Il y a encore et encore
La FORÊT
For ever
Sans quitter des yeux la route
Sans rien voir
Sans rien sentir
Ni les animaux
Ni les arbres
La forêt ici est au dépanneur
sous forme de journaux mille feuilles
La forêt ici est dans nos bouches,
coulant de la sève aux boîtes d’érable
La forêt ici est enfermée derrière
les barrières des propriétaires terriens
La forêt n’est nulle part
Trop loin
La carte postale
Mars 2012
« Ici c’est ailleurs »,
la revue de St-Gervais
Le Théâtre
9
plantes magiques, en temps de guerre
La forêt
C’est ce qu’il nous reste de civilisation
Est-ce que c’est déjà la fin ?
Quand brusquement le lait n’a plus de saveur
Il nous reste la forêt
Quand brusquement il n’y a plus de pétrole
Il nous reste la forêt
Quand brusquement les marchés s’effondrent
Il nous reste la forêt
C’est ce qu’on croit du moins
C’est ce qu’on espère
Les arbres
Le silence
La nature sans les hommes
La forêt puissante, poumon
Les pins gris coulent leur sève dans nos cellules
Les mélèzes nous enracinent
Les épinettes couchent nos rêves dans leurs
branchages
Et bien sûr
Depuis nos maisons en brique, nos voitures
chauffées, nos aliments en boîte
On voudrait
On voudrait que les autres
Les Anishinabegs, les Innus, les Wendats, les Cris,
travaillent pour nous
On voudrait qu’ils nous disent quoi faire dans la forêt
Comment dormir sous les arbres
Comment poser des pièges
Comment coudre nos habits
Mais voilà
Les Amérindiens ont eux aussi autre chose à faire
Les Indiens d’Amérique du Nord
Les Autochtones
Les Natives
Ont eux aussi leurs 4x4
Leurs maisons en carton pâte
Et de la coke
Et du whisky
Et des bébés
Ils ne savent plus, ils ne veulent plus,
ils ne peuvent plus
Le grand-père est né dans le bois
mais il est mort sur le béton
Construire
des cabanes
8
Le petit
entretien
Il faudra donc construire nos cabanes tout seul
Inconnue
Déserte
Désarticulée
Mais la forêt me hante
C’est pour ça que je suis venue
Canada SAUVAGE
Je cherche à entrer dans la forêt
Prendre le bois, c’est ce qui se dit
Je veux prendre le bois, je veux entrer,
je veux être dedans
La forêt
Elle est noire, peuplée de bêtes sauvages,
miroir inquiétant de la psyché, en temps de paix
Elle est refuge, nourricière, pleine de fées et de
Mais peut-être
Qu’au milieu de la forêt désossée
Vendue morceau par morceau
Aux trafiquants de papier, de fer, de bois
quelqu’un
quelque part
nous aura laissé des bâtons à message,
ces petits morceaux de bois d’épinette blanche
que les Innus posaient sur leur chemin
et qui diront :
Nous sommes rares, nous sommes riches.
Comme la terre nous rêvons.
Ainsi que le dit Joséphine Bacon.
Julie Gilbert, Montréal/ Janvier 2012
Photo © Julie Gilbert
10
Les
transversales
Mars 2012
« Ici c’est ailleurs »,
la revue de St-Gervais
Le Théâtre
En 2011, les spectacles de Romeo Castellucci et Rodrigo
Garcia ont subi les foudres, intimidations et « boules
puantes » d’associations catholiques intégristes. En
cause : les présupposés partis pris blasphématoires des
metteurs en scène. Une erreur d’interprétation, comme
le démontre le philosophe et critique de théâtre Bruno
Tackels, car à force de parler de ce qu’on n’a pas vu, on
finit par devenir aveugle.
« Au commencement était le rire, puis, après le rire,
vint le verbe, pour enquêter sur le rire
Mais le verbe ne sut comment déchiffrer le rire
Et, à force de parler, le verbe dessécha les rires
Il les débarrassa de leur esprit, du spasme
Personne ne lâche un éclat de rire, de peur d’être défiguré »
Rodrigo Garcia, Golgotha Picnic L’année qui vient de s’écouler a vu la France devenir le théâtre d’un renouveau de la haine de l’art, fomenté par des mouvements catholiques
intégristes, téléguidés par des groupuscules de l’extrême droite radicale.
Les réflexions qui suivent cherchent à saisir ce qui s’est passé, d’Avignon
à Paris, en passant par Rennes ou Toulouse, sans se contenter de renvoyer
dos à dos les belligérants. Car c’est bien d’une guerre dont il s’agit, dont
la religion a toujours eu le secret. Elle aime les images et ne peut s’empêcher de détester ce qu’elle aime.
Un théâtre des opérations
Jeudi 20 octobre 2011, au Théâtre de la Ville, les Parisiens ont vu renaître
sous leurs yeux la trop célèbre « scène des Paravents ». En 1966, des
groupuscules d’extrême droite ont tenté d’ empêcher la pièce de Jean
Genet, sous prétexte qu’elle salissait l’honneur de la nation française et
de son armée. Ces activistes du groupe « Occident » balançaient force
boulons et paquets de merde sur les acteurs qui portaient la parole du
poète irrécupérable.
Trente sept ans plus tard, devant le Théâtre de la Ville, devenu « théâtre
des opérations », les activistes dénoncent par voie de tract « la christianophobie » du spectacle de Romeo Castellucci. Ils ne se contentent pas
des mots, et comme leurs sinistres aînés : intimidations, jets de gaz lacrymogènes, « boules puantes », huile de vidanges déversée sur les spectateurs entrant dans le théâtre, interruptions du spectacle en montant
sur la scène pour y dire le chapelet.
La cause de leur colère ? Un spectacle magistral qui ose enfin redire que
nos sociétés européennes sont essentiellement, et de part en part, chrétiennes. Soyons précis : Sur le Concept du visage du fils de Dieu n’est pas
un spectacle prosélyte ou doctrinaire. Il dit simplement que la figure du
Christ est omniprésente, dans nos vies, même modernes, même laïques.
Pendant deux millénaires pour le moins guerriers, son visage n’a jamais
cessé de nous regarder, et le travail de Castellucci s’obstine, depuis plus
de 20 ans, à montrer cette passion moderne du Christ.
Le Christ
saigne encore
(dans nos
veines)
Les enfants partis, troisième séquence, le Christ se met progressivement
en mouvement. Sa peau est prise de tremblements, la toile, qui se déchire. Ses yeux noircissent, des larmes noires coulent et un voile d’encre
finit par le recouvrir entièrement. L’immense toile est peu à peu lacérée
et laisse apparaître en grandes lettres en néon : « You are my shepherd »
le mot « not » se met à clignoter. Chacun prend la phrase comme il entend,
es-tu ou non mon berger ? Pour aller où ?
Avant même d’avoir vu le travail de Castellucci, la sanction est tombée :
« Il faut empêcher ce spectacle où des acteurs jettent de la merde sur le
visage du Christ ! » Par un Incroyable condensé des trois séquences, nos
censeurs intégristes ont vu l’agression du Christ, là où des artistes cherchaient à en dire toute la force, silencieuse et puissante. Ils n’ont pas vu
que l’apparente « iconoclastie » de Castellucci se double immédiatement
d’une profonde « iconophilie » : celui qui met à mal la figure de Dieu ne le
déteste pas, bien au contraire, il l’aime au point de ne pouvoir accepter
l’imperfection des images qui tendent, imparfaitement, de s’en rapprocher.
Dans leur délire paranoïaque, ces activistes préfèrent le statut rassurant
de victime : « Puisque vous ne pouvez plus vous en prendre à la religion
juive ou musulmane, vous vous en prenez au seul monothéisme tolérant. »
La passion du Christ
Comme dans la vie de son modèle historique, le Christ de Castellucci est
malmené. Son existence est une passion qui ne cesse de résonner avec
nos douleurs. Voilà pourquoi elle nous dérange, et pousse certains d’entre nous à surenchérir dans la violence. Faut-il leur pardonner comme
Castellucci vient de le faire dans un « communiqué de
presse » percutant ? Leur pardonner parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font. Leur pardonner parce qu’ils ignorent finalement tout de ce Christ d’amour, qui leur sert
davantage à supporter leur vie violente, haineuse et
guerrière. Les évêques qui soutiennent Civitas (c’est ce
que l’on peut lire sur son site) devraient voir le spectacle,
à moins que le désir de croisade ne soit plus fort que
l’amour du Christ.
Rodrigo « Golgoth » Garcia
Quelques jours plus tard, en novembre 2011, Rodrigo
Garcia arrive en France avec sa nouvelle création, Golgotha Picnic, au Théâtre Garonne à Toulouse d’abord,
puis au Théâtre du Rond-Point à Paris.
La méthode des intégristes est identique : ostraciser un spectacle sans
l’avoir vu, en le réduisant à quelques
formules choc, qui n’ont rien à voir
avec la réalité de ce qui se joue sur le
plateau : « des billets sont glissées
dans les plaies du Christ ». Effet de
propagande garanti.
Les
transversales
Mars 2012
« Ici c’est ailleurs »,
la revue de St-Gervais
Le Théâtre
11
Cela fait plus de quinze ans que Rodrigo tape là où ça fait mal. Sans fards
ni détours, il nomme les points névralgiques d’un monde qui fait n’importe quoi. Rois de la mode, du commerce, de la bouffe, du cinéma, du
spectacle ou de la politique, il n’a pas peur de raconter, et démonter la
comédie des puissants. Ultime avatar d’une longue tradition de bouffons,
Garcia dit tout haut ce que tant de gens pensent tout bas, sans même avoir
osé se le formuler. Il occupe l’un des derniers endroits de dérangements
autorisés, que l’on nomme la scène, vivante. Il n’est pas dupe de tous les
effets de récupération visant à neutraliser la force vitale de son propos.
Garcia est depuis des années sur la frontière, sur le fil
entre la contestation officielle et la parole vraiment insupportable (pour une société donnée, à un instant « t » donné — c’est bien cela un artiste contemporain). Parfois, il
passe de l’autre bord, du côté des bannis. Depuis 15 ans,
on a connu différents cas. A Paris, l’opposition (de droite)
a contesté les subventions accordées au théâtre qui l’avait
accueilli. Voici comment Garcia analyse la violence de ces
réactions :
« Plusieurs plaintes ont été déposées contre moi à cause
de mon travail. Ils ont même débattu d’une scène de mon
dernier spectacle After Sun au Conseil municipal de Paris.
Le spectacle est une prière, un acte intime qui nous tend un miroir implacable, nous oblige à prendre position. Et c’est au fond ce qui s’est passé,
dès les représentations du mois de juillet au Festival d’Avignon. Le soir
de la première, une femme s’est effondrée, d’avoir vu sur la scène la vie
même en train de s’enfuir du corps de son père. Son mari n’a pas supporté de voir son voisin applaudir ce spectacle qui affectait tant sa compagne. Coup de poing.
Berger ou mouton ?
Le lendemain, Civitas, un groupe de catholiques luttant pour restaurer la
« royauté sociale du Christ », envahit le parvis du théâtre et prie. Le même
groupuscule avait déjà détruit deux œuvres du plasticien Andres Serrano, « Piss Christ », toujours à Avignon (Fondation Lambert), au mois de
mars 2011. Eux encore avaient déversé un tombereau d’insultes sur les
adresses électroniques de la revue Mouvement, quand elle avait publié
en couverture un « Mickey cruxifié », de Taroop et Glabel.
Pourquoi donc ce spectacle a-t-il provoqué une telle violence, alors que
le christianisme est mis à l’honneur ? Pourquoi ces catholiques n’ont-ils
pas perçu ce chant d’amour pour le Christ ? Sans doute parce qu’ils ignorent finalement beaucoup de ce qu’est réellement, dans les textes, cette
figure du Christ. Sans doute parce qu’ils ne veulent plus voir que le Christ,
en ce qu’il est amour, vit une passion, épreuve humainement insoutenable, pour cet amour. Représenter sur scène ce que le Christ a vécu n’est
pas christianophobe, c’est une lecture de sa vie !
Deuxième séquence, une douzaine d’enfants sortent des grenades de
leurs cartables et commencent à les jeter sur l’immense portrait du Christ.
Quand un projectile touche le tableau, un son d’explosion se déclenche,
qui se transforme progressivement en chant religieux, un chant
d’amour.
Photo © David Ruano
Regarder l’irregardable
Dans ce spectacle, son martyr est mis en scène et nous montre que toute vie humaine connaît finalement la même courbe d’une vie brisée, finie,
insupportablement humaine. Sur le plateau, un vieil homme, aux prises
avec une crise de dysenterie, se vide devant son fils, aimant, impuissant,
désespéré. Un long plan séquence, lourd et éprouvant, odorant et insoutenable. Et la scène s’étire sous le regard du Christ, un magnifique tableau
d’Antonello di Messina, qui soutient chacun de nos regards : nous fixons
ce fils qui regarde son père, sous le regard du Christ, que nous regardons
regarder l’irregardable.
12
Un
éloge
de
l’esquisse
Les
transversales
Mars 2012
« Ici c’est ailleurs »,
la revue de St-Gervais
Le Théâtre
Les
transversales
Mars 2012
« Ici c’est ailleurs »,
la revue de St-Gervais
Le Théâtre
Avec la nouvelle création de leur théâtre de
l’Esquisse, Gilles Anex et Marie-Dominique
Mascret nous emmènent dans un hôtel
imaginaire peuplé de réalités bien vivantes, un
espace du possible où les gens se croisent et
où les routes se rejoignent.
Certains sont irrités de voir des lapins jouer avec des acteurs sur scène,
au lieu d’être dans une casserole, ou dans un élevage où ils sont engraissés,
et d’où ils ne sortent que pour finir en civet. D’autres s’offensent de voir le
public monter sur scène pour se déshabiller avec nous, parce qu’ils voient
des corps exposés, éclatant du désir de se montrer dans un lieu insolite
et dans une situation peu banale. […] On se permet d’être les bourreaux
de l’Afrique et de l’Amérique latine, mais on ne tolère pas une scène où
deux de mes acteurs s’écrasent de la nourriture entre les fesses, et bien,
c’est la nourriture qu’on a piqué au reste de la planète, les amis. On taille
les arbres pour qu’ils repoussent avec une force renouvelée, mais la taille
des hommes et des femmes ne donne pas les mêmes résultats. »
Depuis qu’il pose des questions dérangeantes, Rodrigo Garcia n’a jamais
cessé de susciter des réactions violentes, partout en Europe, de l’Italie à
la Pologne, en passant par la Suisse ou la Bretagne, dont un élu avait dit
au directeur du théâtre : « on ne veut plus voir ce type-là chez nous. » La
critique a cru pouvoir régler la question en réduisant le dramaturge au
masque du provocateur. Comme si celui qui manipule les masques devait
se réduire à ceux qu’il manipule.
Au fil des spectacles, Garcia cherche à comprendre comment nous avons
pu en arriver là. Une société si policée, si raffinée, et néanmoins si barbare, si cruelle dès que l’occasion lui en est donnée. Dès le départ, il enrichit cette question politique par une sorte de méditation théologique,
à travers l’histoire de l’art en Europe. Dans L’Histoire de Ronald, le clown
de McDonald’s, des sculptures vivantes étaient filmées, en pietà improvisées, sur des parkings de supermarchés. L’âme du catholicisme est
fermement chevillée à nos corps de consommateurs hédonistes. Dans
Dispersez mes cendres sur Mickey, les acteurs luisant de miel figurent de
magnifiques tableaux de la peinture flamande, qui laissent percer l’éclat
des visages lunaires du Greco.
Avec Golgotha Picnic, la question est remise sur le métier à travers le
dialogue avec la tradition iconographique catholique. Garcia a longuement
dialogué avec un théologien (qui a interrompu leur conversation quand il
a su quel était le titre du spectacle…) et s’intéresse au plus près à la vie
du Christ, sa réception, son influence, ses représentations — ses vérités.
Dans ce spectacle grinçant, lunaire et inquiet, l’écrivain cherche à comprendre comment nous sommes les héritiers du Christ, lui-même blasphémateur (de l’ordre ancien, et de l’ordre politique de son temps. Le Christ
déjà était un homme en colère, entré en guerre contre l’argent, les puissants, et les charlatans de l’époque. Garcia lui rend donc hommage, pour
incriminer dans le même temps tous ceux qui ont trop souvent tordu son
histoire, à l’intérieur même de l’Eglise. Il nous montre que l’histoire du
Christ est commune à tous les hommes, ceux qui croient, et ceux qui ne
croient pas. Et que tant de choses qu’il a vécues nous ressemblent.
Des allégories qui nous regardent
C’est bien de ce précieux attachement à notre histoire (donc à celle de
l’art) dont témoigne Golgotha Picnic, par le biais d’une fable en effet dérangeante. Le narrateur fait faire six tonneaux à sa voiture, « pour vérifier
si La Passion Selon Saint-Mathieu de Bach y résisterait. ». Il sort miraculeusement de l’accident, et sa parole devient celle d’un ange déchu : « Et
je me suis vu à la place du Christ de Rubens, au moment où la croix est
dressée sur le Golgotha, avec autour plusieurs costauds en train de pester et de suer sang et eau pour soulever cette lourde croix en bois. Et je
me suis vu plus tard tel un cadavre descendu de la croix, le corps gris et
vert, comme Mantegna l’aurait peint, les pieds face à la caméra, comme
dans le feuilleton « Twin Peaks », quand ils vont voir le cadavre de Laura
palmer… » 1
Le dramaturge espagnol, décidément grand écrivain, part de nos drames
intimes, souvent impensés, douloureux, pour en faire état à la face du
monde — ce qui ne lui interdit pas l’humour, sur soi, son prochain, l’homme, et tous les autres. Mais nous aurions tort de ne pas prendre au sérieux
les allégories de Rodrigo Garcia, qu’elles nous fassent rire ou pleurer,
qu’elles nous flattent ou nous blessent, elles nous regardent, comme les
yeux du Christ d’Antonello di Messina. Le plus beau message d’amour.
Pour l’amour du Christ. Et contre lui, tout contre.
Bruno Tackels, Paris / janvier 2012
1
Le texte de Golgotha Picnic est publié par les Solitaires intempestifs,
comme tous les autres textes de Rodrigo Garcia.
Photo © David Ruano
Le théâtre de l’Esquisse existe depuis maintenant un peu plus de vingt-cinq ans. Un bail,
comme dirait l’un. Un engagement, comme
pourrait lui répondre l’autre.
Cela fait donc plus d’un quart de siècle que
cette compagnie trace, sous la houlette de Marie-Dominique Mascret et Gilles Anex, son singulier chemin peuplé de singuliers comédiens.
Il faut le dire, une fois pour toutes, la troupe d’une
dizaine d’acteurs formant l’Esquisse est composée d’acteurs avec un handicap mental. Chacun le sien, tous un peu différent l’un de l’autre.
C’est tout. Pour le reste et sur scène, comme le
précise Gilles Anex : « Ils ne se montrent pas, ils
ne se jouent pas eux-mêmes, ils sont protégés
par leur rôle ». Acteurs.
« Pas si différents,
mais pas si ordinaires »
D’un spectacle à l’autre, on pourrait tracer une
ligne invisible, une trame à laquelle se rattache
l’ensemble des pièces montées par la compagnie. Dès l’origine, il y est question de mirages,
de transit, de terrain vague ou d’archipel des
songes. Le sentiment d’évoluer dans un monde
intermédiaire, à la croisée des chemins, un lieu
du possible. « Un théâtre qui parle avec peu de
textes » comme l’a si bien dit un critique, « une
réalité», comme le précise Marie-Dominique
Mascret « où l’importance est donnée au geste,
à la chorégraphie, à l’instant, car ils ont une façon d’être au présent qui leur est propre ».
La création qui va se jouer sur la scène de StGervais n’échappe pas à cette poétique de l’espace. Où l’on se retrouve donc face à un improbable « Hôtel des Routes ». On ne sait pas si
celui-ci existe quelque part, ailleurs, peut-être
dans une nouvelle de Stefano Benni, mais il devrait derechef être cornaqué par un quelconque
hôtelier à la recherche d’originalité. Car le titre
est profondément évocateur : « Un lieu de halte
ou de bout de la route où peuvent s’entrechoquer
les bruits et les drôleries du monde, se déployer
les rêveries et les nostalgies, où peut se faire le
point de la situation entre ceux de passage et
ceux qui restent. » Une zone tampon métaphorisant les rencontres, « une fosse de résonances,
une ouverture vers des mondes intérieurs »
comme le raconte si bien Gilles Anex. Il s’agit
d’un hôtel esquissé, mental, imaginaire où les
cloisons sont mobiles, manière de faire tomber
toutes sortes de barrières. L’hôtel, c’est aussi
une manière de traiter de l’hospitalité qui fonctionne toujours à pile et face, entre l’hôte et
l’hôte (l’autre), de jouer de rencontres et de
confrontations inattendues. « Dans A l’Hôtel des
routes, les rôles individuels ont été poussés un
peu plus loin que d’habitude », mais c’est l’aventure collective qui fait que se dégage « un ensemble qui fonctionne ». L’hôtel, c’est un monument artistique, que ce soit au cinéma ou un
théâtre, un personnage en soi. Dans celui-ci, où
les routes se croisent, « s’esquisse le paysage
d’une poésie humaine, faite de fragments et de
fulgurances, d’approches et d’incertitudes, qui
se compose, se propose au spectateur. » L’hôtel
comme promesse d’un voyage dont on ne
connaît pas le bout.
A l’Hôtel des Routes
du 18 avril au 4 mai 2012
Conception et mise en scène : Gilles Anex et Marie-Dominique Mascret /
Avec Yves Allisson, Jean-Paul Bernard, Giorgio Cane, Marlène Chevalier,
Valérie Lucco, Jérôme Sevaz, Evelyne Tschanz, Christine Vaney, Marie
Voltolin, Alexandre Wagen
Photo © Isabelle Meister
13
14
Les
transversales
Mars 2012
« Ici c’est ailleurs »,
la revue de St-Gervais
Le Théâtre
Si
c’est ça
la vie,
faudrait
la changer,
bordel !
Absent de la table ronde « Créativité populaire :
fantasme politique ou réalité sociale » qui a eu lieu
le 17 septembre 2011 à St-Gervais, Oskar Gómez Mata
a écrit ce texte, lu par Philippe Macasdar lors de
l’assemblée.
J’ai toujours dit que le moment le plus important de Kaïros
est la scène où le public sort de la salle en silence, reste
muet pendant dix minutes et réalise un poème à partir des
mots-clés que nous lui donnons en relation avec la pièce,
de la réalité qui l’entoure et d’un point de vue qu’il choisit.
Tout ce qu’il y a avant est une préparation à ce moment.
Ce qui vient après en est l’épilogue.
La vie n’est qu’un point de vue.
Choisir un point de vue et essayer de transformer la réalité.
Rendre la pièce au public
Dans mon cas, tous les moyens sont bons pour mettre la
pièce entre les mains du public :
- l’ambiguïté entre le faux et le vrai
- la fragilisation volontaire de la structure, des transitions, de l’image de l’être humain
- l’humour comme moyen d’accès sensoriel à la pensée
- l’aspect improvisé et « fait sur place » du jeu et du dispositif scénique pour renforcer
l’idée de présent
- la citation d’événements actuels et locaux et leur introduction dans le contexte de la pièce
- l’adresse directe et l’idée d’accident
- l’utilisation du déplacement physique
comme moyen de déplacement de la pensée
Tout ce dispositif doit servir à activer le regard du spectateur et le rendre critique.
Il s’agira pour lui de décider de l’image qu’il veut voir. C’est
une manière de lui rendre sa responsabilité dans la
construction du réel, de le rendre créatif, mais c’est aussi
l’obliger à prendre position.
Activer le regard du spectateur avec l’objectif (politique)
de lui rendre sa capacité et sa raison de citoyen : le théâtre
comme exercice de la vie.
« Penser, c’est facile. Ce qui est difficile, c’est de ne pas
penser ». Tel était était la conclusion de la dernière scène
du spectacle Optimistic vs Pessimistic.
Nous nous exerçons à aller et venir dans la pensée du
public et nous cherchons à la déplacer dans son esprit. Le
jeu des comédiens est d’intégrer cette pensée, de choisir
un chemin ou un autre, parfois de modifier presque imperceptiblement le patron du spectacle pour aiguiser la perception du spectateur et amplifier l’impression du présent
de la représentation.
J’essaie de créer un théâtre de participation de la pensée.
Un théâtre du présent, sans camouflage, qui recherche un
dialogue même si celui-ci passe par le désaccord.
J’essaie de faire des spectacles qu’il faut vivre et voir, et
qui sont, paraît-il, difficiles à expliquer. Ils sont rarement
consensuels, mais c’est le prix à payer si on veut rester
honnête avec soi-même et cohérent.
C’est pourquoi, pour finir, j’aimerais ajouter cette phrase
en contrepoint. Il s’agit d’une citation de Max Ophuls que
j’aurais beaucoup aimé entendre en public dans la bouche
de Philippe : « A force de courir derrière le public, on finit
par voir son cul ». Oskar GÓmez Mata, Rome / septembre 2011
La création, la construction du réel est toujours une projection de nous-mêmes dans tout ce qui nous entoure.
Nous voyons quelqu’un de triste et nous projetons sur
cette image notre connaissance de la tristesse.
Les physiciens disent qu’il n’y a pas de réalité qui ne se
situe en dehors de la relation entre l’observateur et l’objet
observé.
Si nous appliquons cette idée au théâtre, cela voudrait
dire qu’il n’y aurait donc pas de pièce absolue, mais une
construction multiple et intime de la pièce faite par le
public. Impossible alors d’imposer sa vérité, impossible
d’imposer une seule vision de la pièce, de notre
création.
Alors si c’est ainsi, si la pièce ne peut exister sans le public,
rendons celle-ci au public !
Kaïros, sisyphes et zombies
du 26 au 30 juin 2012
par L’Alakran. Conception et mise en scène Oskar Gómez Mata
Entre
Du 18 au 20 juin 2012
le spectacle de sortie de la Manufacture, Haute école de théâtre de Suisse romande,
sera joué sous la direction d’Oskar Gomez Mata
Photo © Steeve Iuncker
un
théâtre
de
participation
de la
pensée
Les
transversales
Mars 2012
« Ici c’est ailleurs »,
la revue de St-Gervais
Le Théâtre
15
16
Un ciné-club sacré
Et aussi
Mars 2012
« Ici c’est ailleurs »,
la revue de St-Gervais
Le Théâtre
Dans le cadre de son cycle « L’image et le sacré - Entre Guerre et Paix », l’Espace Saint-Gervais présente
Les Harmonies Werckmeister de Béla Tarr, le samedi
3 mars 2012 (www.espace-saint-gervais.ch).
Entre Pinter et Cassavettes
Ils sont quinze jeunes acteurs, entrés à la Manufacture en 2008. Entre constitue leur spectacle de sortie,
monté sous la houlette d’Oskar Gómez Mata :
« Entre Harold Pinter et Cassavettes / Entre sentiments et théâtre politique / Entre le début et la fin
d’une carrière artistique / Entre le début et le maintenant d’une carrière artistique / Entre l’oeuvre et la
réalité / Entre la fin d’un cursus scolaire et le début
d’une carrière professionnelle. Entre et entre, il y a le
présent de ce projet, l’instant présent de la représentation ». Entre, du 18 au 20 juin à St-Gervais.
L’actualité des résidents
Christian
Geffroy Schlittler
Utopie 2, en tournée au Bénin, à Sion, Caen.
Les artistes de la contrefaçon,
du 19 au 21 avril 2012 aux Halles de Sierre
(www.louispinagot.ch)
Julie Gilbert
Outrages ordinaires, du 22 au 26 mai 2012 au
Théâtre Espace Libre, à Montréal.
(www.espacelibre.qc.ca)
José Lillo & Eric Salama
Rousseau/Voltaire, une rencontre,
un spectacle conçu à l’intention des collèges
Rousseau et Voltaire. Avril 2012.
Jérôme Richer
Nous voulons tout de Nanni Balestrini,
du 17 au 28 avril 2012 à la Maison de Quartier
de la Jonction, Genève (www.mqj.ch)
Eric Salama
Si ce n’est toi d’Edward Bond,
du 2 au 18 mars 2012 au T50, Genève
La belle idée de L’Alakran
Rens. et réservations sur www.saintgervais.ch
Pierre Miserez
fait des tours en ville
Sur le site de Belle-Idée, L’Alakran propose une performance / exposition nommée Psychodrame 2 : Les
fantasmes de Belle-Idée. La note d’intention dit à peu
près ceci : « Belle-Idée est un hôpital psychiatrique.
Nous en avons conscience. J’aime penser à la collection d’art des hôpitaux de Genève, rangée dans l’ombre à Belle-Idée, et l’imaginer comme une métaphore
de notre inconscient, souvent rangé, caché, invisible,
inactif (...) ». Performance, les 10 mars et 11 mars 2012.
A bord d’un petit train, Miserez va tenter une expérience inspirée du modèle de la caméra cachée dans
les lieux les plus emblématiques de Genève. Le trajet
sera scandé par plusieurs haltes qui seront autant de
stations propices au développement du talent malicieux et extravagant de Pierre Miserez.
Exposition, du 10 mars au 15 avril. Domaine de Belle-Idée, Chêne-Bourg.
Un tour en ville… avec Pierre Miserez, les 8, 9, 15 et 16 juin. Départ devant
Infos sur www.alakran.ch et www.terrassedutroc.ch
l’entrée du théâtre (durée : 1h30). Rens. au 022 908 20 00
1963-2013
Spectateur,
visiteur, artiste,
votre témoignage
nous intéresse !
La maison de St-Gervais s’apprête à fêter son cinquantenaire.
Pour cela, nous lançons un appel à vos souvenirs.
Vous vous rappelez d’un moment particulier de votre vie
passé à St-Gervais ?
Merci d’envoyer votre souvenir à :
St-Gervais Genève Le Théâtre, L’Anniversaire
rue du Temple 5, CH - 1201 Genève
ou par mail à [email protected]
(www.t50.ch)
St-Gervais Genève le théâtre
rue du temple 5 - 1201 Genève
t. 41 22 908 20 00 - f. 41 22 908 20 01
www.saintgervais.ch
Horaires :
salle marieluise fleisser :
Ma, ve, sa à 20h30 - Me, je à 19h,
Di à 18h Lu relâche
salle isidor isou :
Ma, ve, sa à 19h - Me, je à 20h30
di et lu relâche
Philippe Soltermann
Plein tarif : Fr. 20.groupr : Fr. 15.Chômeurs, retraités : Fr. 15.-
Apéro, paintball et dimanche après-midi, nouvelle
création cet été au Festival de la Cité, Lausanne
Professionnels : Fr. 15.étudiants / apprentis : Fr. 12.-
(www.festivalcite.ch)
Dominique Ziegler
Des spectacles extra
Les navettes transfrontalières de la saison extra à
destination d’Annecy proposent Arrêtez le monde, je
voudrais descendre d’Igor et Lily, le 31 mars 2012 et
Géométrie de Caoutchouc d’Aurélien Bory, le 25 mai.
Avec nos remerciements,
l’équipe de St-Gervais Genève Le Théâtre
Le trip Rousseau,
du 6 au 16 juillet à L’Ilôt 13
(www.rousseau13.org)
Renseignements : www.saintgervais.ch
Carte 20 ans / 20 francs : Fr. 10.billetterie : t. + 41 22 908 20 00
et www.saintgervais.ch
Téléchargement