Ici c’est ailleurs Ex-Maison des Jeunes et de la Culture fondée en 1963 N° « Nous sommes la génération des loisirs » mars_juillet 2012 Spectacles du 6 au 24 mars Europe l’échappée belle Marie Fourquet du 6 au 24 mars Pour l’instant, je doute Cie ad-apte du 8 avril au 4 mai A l’Hôtel des routes Théâtre de l’Esquisse du 22 mai au 9 juin Elseneur-Machine José Lillo du 18 au 20 juin Entre spectacle de sortie de la Manufacture, Haute école de théâtre de Suisse romande, sous la direction d’Oskar Gómez Mata du 26 au 30 juin Kaïros, sisyphes et zombies L’Alakran du 6 au 16 juillet Fermez les théâtres ! Michel Deutsch suivi de Le trip Rousseau Dominique Ziegler (un voyage théâtral à L’ilôt 13) OFF 2 marsAvant-première : Le principe d’incertitude un film de Michel Deutsch 8, 9, 15 et 16 juin Un tour en ville … avec Pierre Miserez Renseignements : www.saintgervais.ch 03 Europe l’échappée belle du 6 au 24 mars 2012 Texte et mise en scène Marie Fourquet collaboration artistique Philippe Soltermann Avec Fanny Brunet, François Karlen, Valérie Liengme et Philippe Soltermann Photo © Stéphane Pecorini Photo de couverture © Marie Fourquet Le grand entretien. 2 Rencontre avec Marie Fourquet, auteure et metteure en scène qui s’est glissée dans la peau de l’Europe Le contribution. 4 Je peux faire quoi ? par Philippe Soltermann L’avant-première. 5 Michel Deutsch et Le principe d’incertitude, film commando La cartographie. 6 Quand Rousseau regarde à nouveau Genève Le petit entretien. 8 Elseneur-Machine, un acte contre-culturel de José Lillo La carte postale. 9 Julie Gilbert et sa cabane au Canada Les transversales. 10-14 Rodrigo Garcia, Romeo Castellucci et le Christ, par Bruno Tackels Un éloge de l’esquisse, par Maxime Pégatoquet Si c’est ça la vie, faudrait la changer, bordel !, par Oskar Gómez Mata Les news du théâtre. 16 L’actualité des résidents. 16 L’Équipe Direction : Philippe Macasdar Adjointe à la direction : Yoko Miyata Gestion financière : Alberto Caridad Production : Florence Chappuis Communication et presse : Emmanuelle Stevan Relations publiques : Anaïs Balabazan Assistante de direction : Aldjia Moulaï (Interim : Pierrine Poget) Régie générale et lumières : Ludovic Buter Régie son et vidéo : Pierre-Alain Besse Entretien : Lidia Usaï Bâtiment et sécurité : Ignacio Llusià Responsable accueil et billeterie : Gaïl Menzi Accueil : Tristan Audeoud, Sandra Irsapoulle, Ivan Martin Apprentie administration : Sónia Da Silva Marques Buffets : Florence et Guillaume Chappuis Publication Le collectif ROSA s’est constitué en septembre 2010, en réaction à l’adoption de la 4ème révision de la loi sur l’assurance-chômage. Il est composé de professionnels du spectacle : comédiens, auteurs, metteurs en scène, chorégraphes, techniciens, danseurs, cinéastes. La précarité dans laquelle vit la majorité d’entre eux s’accroît chaque jour. Responsable : Philippe Macasdar Coordination : Maxime Pégatoquet, Pierrine Poget et Emmanuelle Stevan Rédaction des textes : Julie Gilbert, Oskar Gómez Mata, Maxime Pégatoquet, Philippe Soltermann, Bruno Tackels et les compagnies Graphisme : atelier blvdr / Daniel Kunzi Impression : Sro-Kundig, Genève mars 2012 [email protected] La fondation pour les arts de la scène et les expressions culturelles pluridisciplinaires est subventionnée par le Département de la Culture de la Ville de Genève et par le Département de l’instruction publique du Canton de Genève. Conseil de fondation Membres : Dominique Berlie, Renate Cornu, Marc Dalphin, Françoise Dupraz, Cyrille Joie, Sami Kanaan, Christina Kotsos, Christiane Leuenberger, Amar Madani, Jean-Bernard Mottet, Jean Prévost, Cléa Redalié, Salika Wenger et Jean Zahno Octobre 2011. Le collectif ROSA sort « Le cahier noir de l’intermittence ». Ce que l’on pressentait éclate au grand jour : précarisés, les comédiens et les autres intermittents de la scène genevoise portent, à bout de bras, le théâtre d’une cité qui ne le leur rend pas. L’édito Le sommaire Mars 2012 « Ici c’est ailleurs », la revue de St-Gervais Genève Le Théâtre 1 En 1757, D’Alembert, dans un article de l’Encyclopédie, propose l’établissement d’une troupe de comédiens à Genève, qui n’en a pas. Selon lui, la cité de Calvin, par sa rigueur morale, dispose du cadre idéal pour redresser les mœurs d’une profession dissolue. Il explique que l’absence de reconnaissance sociale dont souffrent les comédiens est à l’origine de leur avilissement. Il demande que ceuxci soient encadrés par des lois strictes et qu’en contre-partie ils soient rémunérés, « pensionnés par le gouvernement » – et placés « sur la même ligne que les autres citoyens ». D’Alembert invente, d’une certaine manière, le statut du comédien professionnel. Mais pas n’importe quel comédien, ni n’importe quel théâtre. Il s’agit d’un théâtre aristocratique, importé de Paris, destiné à la distraction des patriciens genevois et de leurs hôtes français, et de comédiens indifférents aux préoccupations locales. D’un côté, D’Alembert valorise le théâtre, de l’autre il limite son usage à une caste de privilégiés. Un an plus tard, Rousseau s’oppose radicalement à un tel projet, lui préférant un spectacle participatif et civique. Il aura gain de cause. Considérant que le théâtre n’est pas réformable en l’état, puisqu’il renforce selon lui les privilèges et exclut le peuple de ses bénéfices supposés, Rousseau le voit comme un frein à l’émancipation. Il s’attaque tant à la fonction de l’art dramatique qu’à celui qui l’incarne, le comédien qui « se donne en représentation pour de l’argent ». Rousseau tient en horreur la représentation, de soi comme celle des autres, qu’il associe au paraître et à la duplicité. Il appelle à sortir des salons et des théâtres, à rejoindre le plein air, dénonçant la division entre salle et scène, spectateur et acteur, jusqu’à abolir la représentation même, anticipant le happening. Exit le professionnel, vive l’amateur ! Quoi ? Il n’y a pourtant pas d’art sans représentation. Par ce geste iconoclaste, agitateur et sincère, Rousseau cherche à mobiliser et à relier les citoyens de Genève, les faisant passer de la position de spectateur à celle d’acteur. Un acteur pas comme les autres, démultiplié, acteur de sa vie dans la cité. En proposant de donner « les spectacteurs en spectacle », Rousseau excède et déplace le problème posé par D’Alembert. Ce n’est plus de théâtre à proprement parler dont il s’agit. Il dessine un projet utopique pour le peuple et par lui, où « chacun se voit et s’aime dans les autres, afin que tous en soient mieux réunis. » A circonstance exceptionnelle, solution exceptionnelle : trente ans avant la Révolution française et ses fêtes spectaculaires dont il est l’inspirateur, Rousseau prend le risque de suspendre un théâtre incapable, à ses yeux, de changer le monde, ni « des sentiments et des mœurs qu’il ne peut que suivre et embellir ». Rousseau ouvre un champ d’expérimentation, individuelle et collective, où l’art se définit d’abord comme un art de vivre ensemble. En 2012, la société est devenue spectacle et il y a de moins en moins d’acteurs au rendez-vous. Le (télé)spectateur est le contraire même du citoyen acteur auquel Rousseau rêvait, mais a-t-il jamais existé ? Quant au théâtre, n’est-il pas toujours à transformer ? Philippe Macasdar Le paradoxe de Genève 2 Le grand entretien Mars 2012 « Ici c’est ailleurs », la revue de St-Gervais Le Théâtre Trois semaines durant, Marie Fourquet est à l’affiche de St-Gervais avec deux spectacles. Une reprise de Pour l’instant je doute, jouée au 7ème, et une création articulée autour de l’Europe, cette utopie politique, cette conviction intime. Elle s’en explique. Calais, ville du Nord de la France, pourrait être un condensé de l’Europe. Bombardée pendant la Seconde Guerre mondiale, ses bunkers abritent aujourd’hui les migrants et leurs rêves d’Angleterre. Pour témoigner de cette réalité, hors les JT d’actualité, de nombreux artistes se sont collés au sujet : l’écrivain Olivier Adam (A l’abri de rien, éd. de l’Olivier), le cinéaste Philippe Lioret (Welcome) ou le photographe genevois Jean Revillard (Jungles, éd. Labor & Fides). A son tour, l’auteure et metteure en scène Marie Fourquet s’y intéresse et s’interroge : « L’Europe n’est-elle pas, et depuis Euripide, une terre d’enfants en errance qui frappent aux portes des villes ? ». A travers cette ville marquée par l’histoire, dernièrement encore touchée par la liquidation de la société SeaFrance, elle interroge l’utopie européenne après en avoir remonté le fil de la construction, commençant son voyage à Sarajevo, là où, comme souvent, l’histoire a basculé. Deux précisions encore. Marie Fourquet vient d’obtenir la naturalisation suisse. Mais elle est originaire de Calais. Il y a un souvenir d’enfance, mais aussi une utopie qui est le fil conducteur de mon spectacle. La pièce est moins politique que personnelle. C’est une pièce que je dédie à mes enfants, parce qu’ils ne sont pas européens. Ils sont franco-suisses, mais pas européens comme moi j’ai pu l’être ou comme je pourrai l’être. Je leur dédie, car j’aimerai qu’ils soient européens et qu’ils puissent encore y croire et se positionner vis-à-vis d’elle. C’est la première fois que je m’expose de cette manière dans une pièce assez violente par rapport aux thèmes abordés (la guerre, les migrants...), et où, en plus, j’expose même mes enfants. « Quand j’étais enfant, Europe, je l’imaginais blonde, avec une grande robe bleue... » Quel est le postulat de départ ? C’est une soirée entre amis. Ils sont quatre, irresponsables et dégénérés de par leurs propos et leurs positions. Ca commence simplement par une jeune femme qui enlève sa culotte. On peut trouver ça superficiel, alors que pour moi ça évoque immédiatement le mythe de La jeune fille et la Mort, ce rapport à la sexualité quand on peut se retrouver dans une situation extrême. Par rapport à vos précédents spectacles, il y a autant de mordant, d’ironie, de légèreté, mais vous passez des relations homme-femme à l’Europe. Qu’estce qui a déclenché l’envie de cette pièce ? Le fait que j’ai acquis la nationalité suisse, tout simplement. C’est une nationalité que j’ai voulue parce que j’élève mes enfants en Suisse et que je voulais pouvoir voter dans le pays où j’élève mes enfants. Le truc de base, quoi. Et puis, un jour, après avoir suivi un cours à l’Université sur l’Europe et l’enjeu de la culture européenne, je me suis rendu compte que nombre de Suisses autour de moi ne connaissaient pas le fonctionnement de cette structure. Là, je me suis dit : « Waouh ». Personnellement, je me fiche de ma nationalité française. Par contre, acquérir une nationalité dans un pays qui n’est pas européen a provoqué un sentiment très fort en moi. Pour quelles raisons ? C’est un pays qui n’a pas connu la guerre, les affres de la reconstruction. Moi, quelque part, j’ai hérité de mes grand-parents et parents cette énergie-là. Pour moi qui ai joué dans les blockhaus à Calais, qui ai baigné dans tout cet univers de guerre, où tu crains d’avoir un oncle qui faisait le collabo parce que tu sais qu’il n’est pas possible que tout le monde aie fait partie des résistants, tu sens qu’ici ce sont des choses qui sont très peu présentes. Ensuite, je suis devenue Suissesse. J’élève mes gamins ici. Qu’est-ce qui se passe ? Parlons de l’Europe. Dans la pièce, vous préférez parler d’Europe, telle une figure mythique grécoromaine, plutôt que de l’Europe ? Avec ce choix, il y avait l’idée de retrouver une forme d’utopie originelle ? Je voulais créer un personnage. Quand j’étais enfant, Europe, je l’imaginais blonde, avec une grande robe bleue et les cheveux de la couleur des étoiles. Europe, c’est cette figure de la jeune fille sur laquelle je travaille beaucoup dans la pièce. Il y a la jeune fille vierge propre à la tragédie grecque ; la jeune fille tuée à Sarajevo, première victime et élément déclencheur de la guerre ; la jeune fille mourant sur une route de Calais renversée par un ami médecin... Le grand entretien 3 Avec l’allégorie des jeunes filles, vous cherchiez à montrer que l’Europe, finalement, n’en est encore qu’à ses balbuMars 2012 tiements et qu’il faut l’encadrer, l’ac« Ici c’est ailleurs », compagner ? Elle n’est plus vierge, peut-être la revue de St-Gervais même qu’elle ne l’a jamais été, mais Le Théâtre c’est maintenant qu’il faut y aller et qu’il faut y croire. Néanmoins, il y a deux doutes qui subsistent en moi : le fait que la Bosnie n’y soit pas, alors que dans mon Europe utopique idéale elle aurait dû y être accueillie à bras ouverts, afin de justifier le « plus jamais ça » et qu’on lui demande pardon pour ce qui s’y est déroulé ; et cette jeune femme tuée à Calais, à deux pas de là où a été construit le tunnel sous la Manche, le symbole qui allait nous rendre tous européens, mais qui fait que géographiquement parlant, ça crée une sorte de nœud gordien, de boule au ventre. Europe, la pièce, peut-elle se voir comme une sorte de cri, alors qu’on a l’impression que cet état unionniste prend l’eau de toutes parts ? J’ai commencé à travailler sur ce texte bien avant les dégradations successives de la Grèce et la crise de l’euro. Tu te fais toujours rattraper par l’actualité, mais mon approche se voulait plus intime, plus sincère quelque part. Si, par exemple, la Grèce devait sortir de l’Europe, pour moi, ce serait terrible, ma réaction serait très affective. Vous-même, vous êtes allée à Sarajevo pour une forme de voyage initiatique, pour comprendre l’Europe par ses racines ? Et vous y avez emmené vos enfants... Mon gamin a très mal vécu ce voyage. Le climat est encore très posttraumatique. Et il ne comprenait pourquoi tous ses copains partaient au soleil et lui devait se trouver là. Par la suite, on devait aller à Srebenica, mais on a préféré annuler le déplacement, car je n’aurai pas pu le justifier devant lui. Nous sommes la génération des loisirs, dit l’un de vos personnages. Comment qualifieriez-vous celle d’avant ? La génération de mes grand-parents, c’est celle de la reconstruction. Je l’ai vraiment compris quand je suis arrivée à Sarajevo. Quand on sait qu’il y a eu près de 1’600 enfants tués dans les rues de la ville, quand on comprend de quoi ils essaient de se relever, j’ai compris pourquoi on est heureux de l’arrivée d’un McDonald’s ou qu’on a envie d’un jean’s Diesel, d’un iPhone. Pour avoir grandi dans un tel environnement, il faut avouer à un moment que j’en ai soupé de toutes ces histoires, des commémorations dans les cimetières, des récits de vieux combattants, des histoires de Juifs gazés. Franchement, en tant qu’enfant, à un moment, on n’en pouvait plus, on avait envie d’autre chose. Et puis, à Sarajevo, j’ai physiquement eu la nausée pendant trois jours, car j’ai compris que j’avais vraiment envoyé « chier » mes grand-parents pendant longtemps. Quelle est la position de votre génération ? On va y aller quand même. C’est une histoire d’amour impossible. Vous venez de Calais, une ville qu’on peut voir comme un carrefour de l’Europe et qui se retrouve presque montrée du doigt comme une prison à ciel ouvert. Pour quelles raisons ? J’aurais pu appeler cette pièce Mon Europe, pour ne pas que ça devienne cette chose immatérielle, faite de marchés économiques et de tribunaux de justice. Mais celle à laquelle j’ai cru et à laquelle j’ai encore envie de croire. Maxime Pégatoquet Marie Fourquet Europe l’échappée Belle du 6 au 24 mars 2012 Texte et mise en scène Marie Fourquet - collaboration artistique Philippe Soltermann Avec Fanny Brunet, François Karlen, Valérie Liengme, Philippe Soltermann Photo © Marie Fourquet, photo montage © Daniel Kunzi 4 La contribution au grand entretien Mars 2012 « Ici c’est ailleurs », la revue de St-Gervais Le Théâtre Je peux faire quoi ? On s’habitue à cette vie… une vie en demi-teinte, toujours au semi-régime, vin rouge mais légumes juste après, côte à l’os mais ratatouille, surtout pas de frites. Je ne suis pas peu fier de vivre dans un pays responsable avec autant d’armes à feu et si peu d’accidents. Même si on doute du bien fondé et des intentions peu louables des référendums, si le peuple décide, autant accepter, tu sais qu’il existe des peuples qui se battent pour la démocratie, alors c’est facile de se plaindre quand on vit dans un pays si confortable. ...autant d’armes à feu et si peu d’accidents. La vérité peut faire défaut, ça ne vaut rien, on parle de constitution de règles humaines, de législation, de concordance, de bien-être et de respect. Le pamphlet, je trouve ça laid, désuet et à dire vrai, extrêmement vulgaire. Tu veux quoi, nous parler des enfants soldats ? De la famine ? Du peuple kurde ou de la guerre au Nigeria ? Non mais ça va ? Ici, juste en bas de chez moi, je vois depuis mon balcon, enfin, ma terrasse avec grill, je vois un homme qui promène son chien, il lui a coupé les oreilles pour le rendre plus agressif, alors l’humanité, je ne sais par quel bout la prendre pour la haïr. Elle se salit toute seule dès qu’on l’observe. Elle fait sa honte comme on fait sa bile. Parfois la lumière prend force dans notre quotidien, le flic qui tire que dans les pneus, l’instituteur compétent capable de démission, la critique de théâtre qui se tait, le pauvre qui gagne à l’euro million. Oui des fois la vie semble juste, moins brutale et Avant-Première douce, comme le pompiste qui te donne des tickets de réduction pour ton prochain plein. Tu peux même avoir une carafe si tu cumules sur ta carte de fidélité, alors autant être fidèle à son pompiste. Mais, comment je vais réussir à être réac alors que je déteste mon époque ? Comment je vais réussir l’échec de dire en fin de repas, juste avant le café, en mâchant un biscuit... avant c’était mieux Alors, il faut faire quoi ? Prendre une année sabbatique avec mes enfants pour qu’ils comprennent leurs privilèges ? Qu’ils voient la pauvreté, la guerre ? Qu’ils la touchent ? Qu’ils la côtoient plutôt qu’un skate park et des films en 3D ? Comprendre son monde, un bout du monde, sortir de son voisinage, ballotter nos privilèges, aller voir le monde en famille, un charnier pour ces 7 ans, Srebrenica c’est formateur, à 10 ans, on fait Tchernobyl, 14 ans, Auschwitz et après on t’offre une mobylette, 16 ans, on finit par le Rwanda, 20 ans, lecture d’un livre de BHL et tu deviens enfin un adulte, 21 ans, visite du parlement européen pour se souvenir. Mars 2012 « Ici c’est ailleurs », la revue de St-Gervais Le Théâtre 5 On manque toujours de rites formateurs. Plutôt qu’une communion et qu’un service militaire, on fait les touristes du monde. Faire comprendre dans une simple notion pédagogique père-fils comment j’aime la vie, leurs vies et m’amuser encore et encore. Souvent visible et risible de mes fatigues, j’ai même pas le courage de prendre un bain, je vais jusqu’à justifier mon errance dépressive par un dogme écologique. Les bains assèchent les rivières, alors je dors sale. Alors je peux faire quoi ? M’acheter un camping-car et faire les châteaux de la Loire ? Ou m’acheter des bâtons pour faire de la randonnée ? Faudrait même trouver le style, avoir son style, le pantalon avec poches sur le côté, des sandales et un t-shirt vieux campeur, au mieux décathlon en micro fibres. Comprendre sa vie comme la lecture d’un guide de voyage avec des belles photos au milieu. Philippe Soltermann Les principes de Michel Deutsch Avec Le principe d’incertitude, Michel Deutsch passe d’une pièce de théâtre montée sur scène, La décennie rouge, à un film typé Nouvelle Vague tourné dans les rues genevoises. A découvrir en exclusivité. Il y a de cela une poignée d’années, le réalisateur et metteur en scène Michel Deutsch montait sur scène La Décennie rouge (Mensch oder Schwein), relecture du mythe sanglant de la bande à Baader-Meinhof. Un docu commando dans les rues genevoises L’aventure fut aussi riche que généreusement humaine. « On ne va pas se quitter comme ça » dit Michel Deutsch qui a alors embrigadé une partie de ses acteurs and Co pour une opération de ciné-commando. Un tournage à Genève, quinze jours durant, une plongée dans la tranquille et quotidienne banalité genevoise, un road-movie circulaire et labyrinthique. Michel Deutsch : « Le principe d’incertitude raconte l’histoire des amours et des doutes qui agitent les acteurs pendant le montage de la pièce. Amours, trahisons et politique... Pour certains la fuite en avant s’impose : changer le monde veut dire passer à l’acte. Pour d’autres il s’agit, par un soir émouvant, d’approfondir leur pratique artistique. » Un cinéma de vérité Contemporain de la Nouvelle Vague sous toutes ses formes, Deutsch cherche à en retrouver l’esprit. Il tourne ses films quasi comme des documentaires. Fonctionne avec de jeunes acteurs qui débarquent dans le métier. S’offre quelques hommages appuyés avec, notamment, une revisitation réussie d’une scène mythique de La Chinoise de Godard où Anne Wiazemsky mouchait Jean-Pierre Léaud d’un absolu « Je ne t’aime plus ». Matthias Langhoff y fait une apparition, Jean-Marc Stehlé un aller-retour depuis sa base parisienne. Michel Deutsch : « Depuis quelques années, mon travail est tourné vers une mémoire du temps présent : creuser le présent pour lever les fantômes – les cadavres – qui l’habitent. » Réalisé en 2009, Le principe d’incertitude, le film, déroule sa Genève internationale et culturelle : du quartier des banques à la librairie Le Rameau d’Or, des trams du réseau orange au MAMCO, lieu auquel il a emprunté le titre de l’exposition qui s’y déroulait au moment du tournage. Le principe d’incertitude. Un moment volé de vérité, à voir sur la... scène de St-Gervais le Théâtre. Car si, comme le remarquait André Bazin, le théâtre permet de mieux voir le cinéma, le cinéma, quant à lui, permet de s’intéresser autrement au théâtre. Le Principe d’incertitude A voir le 2 mars 2012, à 20h. Un film de Michel Deutsch. Avec Jeanne De Mont, Sara Louis, Pascal Sangla, Julien Tsongas, Lucie Zelger. Et les participations exceptionnelles de Anne-Marie Delbart, Michèle Foucher, Matthias Langhoff, Jean-Marc Stehlé et Philippe Macasdar. Photo © Michel Deutsch Mars 2012 « Ici c’est ailleurs », la revue de St-Gervais Le Théâtre seulement soufferts à Genève, mais contenus d’abord par des réglements sages, protégés ensuite (...), enfin absolument placés sur la même ligne que les autres citoyens, cette ville aurait bientôt l’avantage de posséder ce qu’on croit rare, et qui ne l’est que par notre faute, une troupe de comédiens estimables. »** « Quoi ! ne faut-il donc aucun spectacle dans une République ? »* « Qu’est-ce que la profession du comédien ? Un métier par lequel il se donne en représentation pour de l’argent, se soumet à l’ignominie et aux affronts qu’on achète le droit de lui faire, * et met publiquement sa personne en vente. » « Si les comédiens étaient non 7 Lolita Frésard, multifonction (régisseuse son-lumière, assistante à la mise en scène) « Pour pouvoir survivre, je fais divers petits métiers comme serveuse, hôtesse, représentante d’une marque de cigarettes, petite main dans un spa, babysitting, remplaçante pour cours de théâtre, etc. » « Au fond, quand un homme est allé admirer de belles actions dans les fables, et pleurer des malheurs imaginaires, qu’a-t-on encore à exiger de lui ? N’est-il-pas content de lui-même ? Ne s’applaudit-il pas de sa belle âme ? Ne s’est-il pas acquitté de tout ce qu’il doit à la vertu par l’hommage qu’il vient de lui rendre ? Que voudrait-on donc qu’il fît de plus ? Qu’il la pratiquât lui-même ? Il n’a point de rôle à jouer : il n’est pas comédien. »* Gille Jobin, chorégraphe, directeur artistique « En paupérisant les métiers artistiques, en leur demandant un effort que l’économie, ou les banques, ne font pas, on transforme les « citoyens culturels » actifs et vivants dans leur ville en assistés associaux, inactifs et déprimés...» Yvette Théraulaz, comédienne « Aujourd’hui à la retraite, je touche 2’000 francs d’AVS et 1’800 francs de deuxième pilier. J’ai également un peu d’argent à la banque. C’est peu, mais grâce à cela, un spectacle par an me suffit pour vivre normalement. » Bernard Escalon, comédien « Pour compenser les trous entre les contrats je fais des remplacements au DIP en diction depuis très longtemps. Je fais tout ce que je peux pour émarger le moins possible au chômage. » La statue qui le célèbre en l’île éponyme a enfin été remise dans sa position initiale afin que le philosophe puisse à nouveau regarder dans la direction de la cité. Un bon prétexte pour mettre en relation comédien et spectateur, d’hier à aujourd’hui. Léa Babel, constructrice de scénographie, décors et accessoires, chanteuse « J’essaie de vivre avec 2’000 francs par mois. Ça veut dire que quand t’as une carie tu vas pas chez le dentiste. » Mars 2012 « Ici c’est ailleurs », la revue de St-Gervais Le Théâtre La cartographie Rousseau, D’Alembert et les acteurs du cahier noir « Donnez les spectateurs en spectacle ; rendez -les aux acteurs eux-mêmes. »* 6 La cartographie « La Grèce fournit des exemples d’acteurs chargés de certaines fonctions publiques. » * *Jean-Jacques Rousseau **Jean Le Rond D’Alembert (avertissement : les verbatims retenus des signataires du cahier noir ne sont qu’une partie du témoignage proposé par chacun de ces intermittents du spectacle. Pour retrouver l’intégralité de leur intervention : [email protected]) Photo © Daniel Kunzi Mars 2012 « Ici c’est ailleurs », la revue de St-Gervais Le Théâtre Alors qu’il vient de reprendre le Walpurgis de Karl Kraus, le metteur en scène José Lillo porte à son tour et au nom d’une intrigante « république des lettres » la parole dans la sphère culturelle en espérant que son action littéraire fasse bouger les lignes. Un café avec José Lillo « Je cherchais un acte contre-culturel à faire dans un moment du temps où absolument tout était devenu culturel. D’une lecture à l’autre, j’apercevais, ici et là, des points de convergence, (...) des corrélations, des possibles. (...) J’appelais cette convergence la république des textes. » Dans ce sampling de textes qu’est Elseneur-Machine sont convoqués les plus grands penseurs, philosophes, dramaturges et théoriciens de ces derniers siècles. Deux ans de lectures pour une pièce faite de bouts de phrases, de bribes de pensée, chaque mot conservé Dans son essai baptisé Entertainment sur l’apologie de la domination, Francesco Masci dit que pour qu’il y ait guerre / crise, il faut qu’il y ait un ennemi. Quel est-il selon vous ? Je pense que l’ennemi va de soi à l’autre, que c’est celui qui adhère à une forme d’existence qui ne lui convient pas. C’est tout ce qui triche, qui ment et qui fait comme si les choses étaient résolues. Il s’agit des gouvernements, des pouvoirs divers, mais aussi de soi-même. Cela concerne toute une série de choix qu’on peut faire, d’orientations qu’on a à disposition, mais qui sont conditionnées par une série de messages, de mots d’ordre avec lesquels il faut composer. Dans cette pièce où le texte a plus que jamais son importance, quel va être l’enjeu du jeu des acteurs ? L’interpréter n’est plus suffisant. Par rapport à l’ensemble des textes retenus, ce qui est important c’est le bagage qui va autoriser l’acteur à penser ce qu’il va affirmer. Il n’y a plus de référent réel, il est spectaculaire : est-ce qu’on va me croire si je dis le texte ainsi ? Ce qui m’inté- « L’ennemi, c’est tout ce qui triche, qui ment... » l’étant pour sa substantifique moelle. Peu importe l’auteur, puisque c’est l’idée qui doit primer, manière que celle-ci s’imprime noir sur blanc sur la paroi intérieure de votre cavité crânienne. Dans son précédent spectacle, Walpurgis, José Lillo portait la voix de Karl Kraus pour un texte dont la valeur prophétique quant à l’avènement du 3ème Reich n’avait pourtant guère été écoutée à l’époque. A son tour, Lillo nous livre une sorte de texte ultime, un essai de la dernière chance avant que le monde tel qu’il nous apparaît aujourd’hui ne s’écroule définitivement. Pour mémoire, la compagnie de José Lillo s’appelle Attila Entertainment. Comme si du divertissement il fallait faire table rase. resse, c’est plutôt de savoir si l’acteur a pensé ce qu’il a dit, en a mesuré la portée. Dans ce cas de figure, il faut que ce soit comme une parole qui agit. L’objectif, c’est de faire bouger les lignes, de créer un électrochoc de pensée ? On est dans un temps statique où plus rien ne peut se passer, où nous n’avons plus la possibilité d’être des gens de l’action. Ou alors c’est un accident quand ça arrive. Tout le monde devrait pouvoir agir sur l’organisation de la société, non pas pour être obéi, mais pour avoir sa part. Chacun devrait disposer de cet agir-là, alors que cet agir-là a été confisqué et que malheureusement, il a non seulement des conséquences politiques, mais aussi existentielles. Parfois, j’ai presque l’impression que cela participe à créer une vie intérieure à laquelle je ne crois pas. Ce n’est pas parce qu’on pense que c’est à l’intérieur de nous. Voilà quelque chose qui est très culturel. Je pense que le fait de ne pas avoir de prise au monde, de n’être pas autorisé à, de ne pas être censé se prononcer, crée une sorte de clandestinité. Que cela désauthentifie l’être au monde. (...) Ce monde est indéfendable. Il n’y a pas de fatalité à ce qu’il perdure comme ça. C’est à nous de l’améliorer, de le rectifier, de le faire avancer. Seulement, ce n’est pas évident de comprendre ce qui arrive, d’avoir le récit qui dit ce qui est. Le monde d’aujourd’hui ne nous rend pas plus actif, il nous a neutralisé. » Maxime Pégatoquet Qu’est-ce que cette « république des lettres » qui vaut comme auteur(s) de la pièce ? C’est une bibliothèque de septantetrois textes, constituée par une lecture sauvage, une cueillette sur plus de deux ans de buissonages. D’un texte à l’autre, je relevais des lignes de force, j’observais qu’on pouvait ne pas être d’accord, mais qu’il y avait néanmoins quelque chose qui convergeait. Vers le mieux, vers le vrai. Quand on lit, on ne peut pas ne pas faire cette expérience. Ce que moi je nomme république. Je suis Un voyage de Julie Gilbert allé chercher des moments de lecture qui, aujourd’hui, pouvaient me permettre de dire «ah oui, ça ça claque, ça c’est définitif, ça ça fait du bien ». Ensuite, quand tous ces morceaux sont mis ensemble, on se rend compte qu’ils se complètent, qu’ils s’articulent les uns aux autres dans une forme de combinaison infinie. José Lillo Elseneur-Machine, par José Lillo du 22 mai au 9 juin 2012 Avec Julia Batinova, Elodie Bordas, Felipe Castro, Jeanne de Mont, José Lillo, distribution en cours Je suis dans cette ville Je suis au milieu des maisons, des carrefours, des briques rouges, je suis là Montréal Je suis au fond du monde Acculée en haut de la carte Dos aux terres froides Assez loin pour que l’Europe disparaisse Pour que la dislocation grecque ne soit qu’un point, une bagatelle Pour qu’on ne batte qu’au son d’un seul cœur Lumières clignotantes, surfaces planes, échangeurs Tim Hortons, silo de blé, de maïs, pelouse rangée Maisons chauffées à bloc Kilo de tonnes de sel sur les trottoirs, sur nos bottes Paysage de la sous-Amérique Je suis là Montréal, la ville Je suis là Et derrière, la forêt Et quand la trans-Canada highway Et quand la route de Fermont Et quand la route de Radisson s’arrêtent Il y a encore et encore La FORÊT For ever Sans quitter des yeux la route Sans rien voir Sans rien sentir Ni les animaux Ni les arbres La forêt ici est au dépanneur sous forme de journaux mille feuilles La forêt ici est dans nos bouches, coulant de la sève aux boîtes d’érable La forêt ici est enfermée derrière les barrières des propriétaires terriens La forêt n’est nulle part Trop loin La carte postale Mars 2012 « Ici c’est ailleurs », la revue de St-Gervais Le Théâtre 9 plantes magiques, en temps de guerre La forêt C’est ce qu’il nous reste de civilisation Est-ce que c’est déjà la fin ? Quand brusquement le lait n’a plus de saveur Il nous reste la forêt Quand brusquement il n’y a plus de pétrole Il nous reste la forêt Quand brusquement les marchés s’effondrent Il nous reste la forêt C’est ce qu’on croit du moins C’est ce qu’on espère Les arbres Le silence La nature sans les hommes La forêt puissante, poumon Les pins gris coulent leur sève dans nos cellules Les mélèzes nous enracinent Les épinettes couchent nos rêves dans leurs branchages Et bien sûr Depuis nos maisons en brique, nos voitures chauffées, nos aliments en boîte On voudrait On voudrait que les autres Les Anishinabegs, les Innus, les Wendats, les Cris, travaillent pour nous On voudrait qu’ils nous disent quoi faire dans la forêt Comment dormir sous les arbres Comment poser des pièges Comment coudre nos habits Mais voilà Les Amérindiens ont eux aussi autre chose à faire Les Indiens d’Amérique du Nord Les Autochtones Les Natives Ont eux aussi leurs 4x4 Leurs maisons en carton pâte Et de la coke Et du whisky Et des bébés Ils ne savent plus, ils ne veulent plus, ils ne peuvent plus Le grand-père est né dans le bois mais il est mort sur le béton Construire des cabanes 8 Le petit entretien Il faudra donc construire nos cabanes tout seul Inconnue Déserte Désarticulée Mais la forêt me hante C’est pour ça que je suis venue Canada SAUVAGE Je cherche à entrer dans la forêt Prendre le bois, c’est ce qui se dit Je veux prendre le bois, je veux entrer, je veux être dedans La forêt Elle est noire, peuplée de bêtes sauvages, miroir inquiétant de la psyché, en temps de paix Elle est refuge, nourricière, pleine de fées et de Mais peut-être Qu’au milieu de la forêt désossée Vendue morceau par morceau Aux trafiquants de papier, de fer, de bois quelqu’un quelque part nous aura laissé des bâtons à message, ces petits morceaux de bois d’épinette blanche que les Innus posaient sur leur chemin et qui diront : Nous sommes rares, nous sommes riches. Comme la terre nous rêvons. Ainsi que le dit Joséphine Bacon. Julie Gilbert, Montréal/ Janvier 2012 Photo © Julie Gilbert 10 Les transversales Mars 2012 « Ici c’est ailleurs », la revue de St-Gervais Le Théâtre En 2011, les spectacles de Romeo Castellucci et Rodrigo Garcia ont subi les foudres, intimidations et « boules puantes » d’associations catholiques intégristes. En cause : les présupposés partis pris blasphématoires des metteurs en scène. Une erreur d’interprétation, comme le démontre le philosophe et critique de théâtre Bruno Tackels, car à force de parler de ce qu’on n’a pas vu, on finit par devenir aveugle. « Au commencement était le rire, puis, après le rire, vint le verbe, pour enquêter sur le rire Mais le verbe ne sut comment déchiffrer le rire Et, à force de parler, le verbe dessécha les rires Il les débarrassa de leur esprit, du spasme Personne ne lâche un éclat de rire, de peur d’être défiguré » Rodrigo Garcia, Golgotha Picnic L’année qui vient de s’écouler a vu la France devenir le théâtre d’un renouveau de la haine de l’art, fomenté par des mouvements catholiques intégristes, téléguidés par des groupuscules de l’extrême droite radicale. Les réflexions qui suivent cherchent à saisir ce qui s’est passé, d’Avignon à Paris, en passant par Rennes ou Toulouse, sans se contenter de renvoyer dos à dos les belligérants. Car c’est bien d’une guerre dont il s’agit, dont la religion a toujours eu le secret. Elle aime les images et ne peut s’empêcher de détester ce qu’elle aime. Un théâtre des opérations Jeudi 20 octobre 2011, au Théâtre de la Ville, les Parisiens ont vu renaître sous leurs yeux la trop célèbre « scène des Paravents ». En 1966, des groupuscules d’extrême droite ont tenté d’ empêcher la pièce de Jean Genet, sous prétexte qu’elle salissait l’honneur de la nation française et de son armée. Ces activistes du groupe « Occident » balançaient force boulons et paquets de merde sur les acteurs qui portaient la parole du poète irrécupérable. Trente sept ans plus tard, devant le Théâtre de la Ville, devenu « théâtre des opérations », les activistes dénoncent par voie de tract « la christianophobie » du spectacle de Romeo Castellucci. Ils ne se contentent pas des mots, et comme leurs sinistres aînés : intimidations, jets de gaz lacrymogènes, « boules puantes », huile de vidanges déversée sur les spectateurs entrant dans le théâtre, interruptions du spectacle en montant sur la scène pour y dire le chapelet. La cause de leur colère ? Un spectacle magistral qui ose enfin redire que nos sociétés européennes sont essentiellement, et de part en part, chrétiennes. Soyons précis : Sur le Concept du visage du fils de Dieu n’est pas un spectacle prosélyte ou doctrinaire. Il dit simplement que la figure du Christ est omniprésente, dans nos vies, même modernes, même laïques. Pendant deux millénaires pour le moins guerriers, son visage n’a jamais cessé de nous regarder, et le travail de Castellucci s’obstine, depuis plus de 20 ans, à montrer cette passion moderne du Christ. Le Christ saigne encore (dans nos veines) Les enfants partis, troisième séquence, le Christ se met progressivement en mouvement. Sa peau est prise de tremblements, la toile, qui se déchire. Ses yeux noircissent, des larmes noires coulent et un voile d’encre finit par le recouvrir entièrement. L’immense toile est peu à peu lacérée et laisse apparaître en grandes lettres en néon : « You are my shepherd » le mot « not » se met à clignoter. Chacun prend la phrase comme il entend, es-tu ou non mon berger ? Pour aller où ? Avant même d’avoir vu le travail de Castellucci, la sanction est tombée : « Il faut empêcher ce spectacle où des acteurs jettent de la merde sur le visage du Christ ! » Par un Incroyable condensé des trois séquences, nos censeurs intégristes ont vu l’agression du Christ, là où des artistes cherchaient à en dire toute la force, silencieuse et puissante. Ils n’ont pas vu que l’apparente « iconoclastie » de Castellucci se double immédiatement d’une profonde « iconophilie » : celui qui met à mal la figure de Dieu ne le déteste pas, bien au contraire, il l’aime au point de ne pouvoir accepter l’imperfection des images qui tendent, imparfaitement, de s’en rapprocher. Dans leur délire paranoïaque, ces activistes préfèrent le statut rassurant de victime : « Puisque vous ne pouvez plus vous en prendre à la religion juive ou musulmane, vous vous en prenez au seul monothéisme tolérant. » La passion du Christ Comme dans la vie de son modèle historique, le Christ de Castellucci est malmené. Son existence est une passion qui ne cesse de résonner avec nos douleurs. Voilà pourquoi elle nous dérange, et pousse certains d’entre nous à surenchérir dans la violence. Faut-il leur pardonner comme Castellucci vient de le faire dans un « communiqué de presse » percutant ? Leur pardonner parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font. Leur pardonner parce qu’ils ignorent finalement tout de ce Christ d’amour, qui leur sert davantage à supporter leur vie violente, haineuse et guerrière. Les évêques qui soutiennent Civitas (c’est ce que l’on peut lire sur son site) devraient voir le spectacle, à moins que le désir de croisade ne soit plus fort que l’amour du Christ. Rodrigo « Golgoth » Garcia Quelques jours plus tard, en novembre 2011, Rodrigo Garcia arrive en France avec sa nouvelle création, Golgotha Picnic, au Théâtre Garonne à Toulouse d’abord, puis au Théâtre du Rond-Point à Paris. La méthode des intégristes est identique : ostraciser un spectacle sans l’avoir vu, en le réduisant à quelques formules choc, qui n’ont rien à voir avec la réalité de ce qui se joue sur le plateau : « des billets sont glissées dans les plaies du Christ ». Effet de propagande garanti. Les transversales Mars 2012 « Ici c’est ailleurs », la revue de St-Gervais Le Théâtre 11 Cela fait plus de quinze ans que Rodrigo tape là où ça fait mal. Sans fards ni détours, il nomme les points névralgiques d’un monde qui fait n’importe quoi. Rois de la mode, du commerce, de la bouffe, du cinéma, du spectacle ou de la politique, il n’a pas peur de raconter, et démonter la comédie des puissants. Ultime avatar d’une longue tradition de bouffons, Garcia dit tout haut ce que tant de gens pensent tout bas, sans même avoir osé se le formuler. Il occupe l’un des derniers endroits de dérangements autorisés, que l’on nomme la scène, vivante. Il n’est pas dupe de tous les effets de récupération visant à neutraliser la force vitale de son propos. Garcia est depuis des années sur la frontière, sur le fil entre la contestation officielle et la parole vraiment insupportable (pour une société donnée, à un instant « t » donné — c’est bien cela un artiste contemporain). Parfois, il passe de l’autre bord, du côté des bannis. Depuis 15 ans, on a connu différents cas. A Paris, l’opposition (de droite) a contesté les subventions accordées au théâtre qui l’avait accueilli. Voici comment Garcia analyse la violence de ces réactions : « Plusieurs plaintes ont été déposées contre moi à cause de mon travail. Ils ont même débattu d’une scène de mon dernier spectacle After Sun au Conseil municipal de Paris. Le spectacle est une prière, un acte intime qui nous tend un miroir implacable, nous oblige à prendre position. Et c’est au fond ce qui s’est passé, dès les représentations du mois de juillet au Festival d’Avignon. Le soir de la première, une femme s’est effondrée, d’avoir vu sur la scène la vie même en train de s’enfuir du corps de son père. Son mari n’a pas supporté de voir son voisin applaudir ce spectacle qui affectait tant sa compagne. Coup de poing. Berger ou mouton ? Le lendemain, Civitas, un groupe de catholiques luttant pour restaurer la « royauté sociale du Christ », envahit le parvis du théâtre et prie. Le même groupuscule avait déjà détruit deux œuvres du plasticien Andres Serrano, « Piss Christ », toujours à Avignon (Fondation Lambert), au mois de mars 2011. Eux encore avaient déversé un tombereau d’insultes sur les adresses électroniques de la revue Mouvement, quand elle avait publié en couverture un « Mickey cruxifié », de Taroop et Glabel. Pourquoi donc ce spectacle a-t-il provoqué une telle violence, alors que le christianisme est mis à l’honneur ? Pourquoi ces catholiques n’ont-ils pas perçu ce chant d’amour pour le Christ ? Sans doute parce qu’ils ignorent finalement beaucoup de ce qu’est réellement, dans les textes, cette figure du Christ. Sans doute parce qu’ils ne veulent plus voir que le Christ, en ce qu’il est amour, vit une passion, épreuve humainement insoutenable, pour cet amour. Représenter sur scène ce que le Christ a vécu n’est pas christianophobe, c’est une lecture de sa vie ! Deuxième séquence, une douzaine d’enfants sortent des grenades de leurs cartables et commencent à les jeter sur l’immense portrait du Christ. Quand un projectile touche le tableau, un son d’explosion se déclenche, qui se transforme progressivement en chant religieux, un chant d’amour. Photo © David Ruano Regarder l’irregardable Dans ce spectacle, son martyr est mis en scène et nous montre que toute vie humaine connaît finalement la même courbe d’une vie brisée, finie, insupportablement humaine. Sur le plateau, un vieil homme, aux prises avec une crise de dysenterie, se vide devant son fils, aimant, impuissant, désespéré. Un long plan séquence, lourd et éprouvant, odorant et insoutenable. Et la scène s’étire sous le regard du Christ, un magnifique tableau d’Antonello di Messina, qui soutient chacun de nos regards : nous fixons ce fils qui regarde son père, sous le regard du Christ, que nous regardons regarder l’irregardable. 12 Un éloge de l’esquisse Les transversales Mars 2012 « Ici c’est ailleurs », la revue de St-Gervais Le Théâtre Les transversales Mars 2012 « Ici c’est ailleurs », la revue de St-Gervais Le Théâtre Avec la nouvelle création de leur théâtre de l’Esquisse, Gilles Anex et Marie-Dominique Mascret nous emmènent dans un hôtel imaginaire peuplé de réalités bien vivantes, un espace du possible où les gens se croisent et où les routes se rejoignent. Certains sont irrités de voir des lapins jouer avec des acteurs sur scène, au lieu d’être dans une casserole, ou dans un élevage où ils sont engraissés, et d’où ils ne sortent que pour finir en civet. D’autres s’offensent de voir le public monter sur scène pour se déshabiller avec nous, parce qu’ils voient des corps exposés, éclatant du désir de se montrer dans un lieu insolite et dans une situation peu banale. […] On se permet d’être les bourreaux de l’Afrique et de l’Amérique latine, mais on ne tolère pas une scène où deux de mes acteurs s’écrasent de la nourriture entre les fesses, et bien, c’est la nourriture qu’on a piqué au reste de la planète, les amis. On taille les arbres pour qu’ils repoussent avec une force renouvelée, mais la taille des hommes et des femmes ne donne pas les mêmes résultats. » Depuis qu’il pose des questions dérangeantes, Rodrigo Garcia n’a jamais cessé de susciter des réactions violentes, partout en Europe, de l’Italie à la Pologne, en passant par la Suisse ou la Bretagne, dont un élu avait dit au directeur du théâtre : « on ne veut plus voir ce type-là chez nous. » La critique a cru pouvoir régler la question en réduisant le dramaturge au masque du provocateur. Comme si celui qui manipule les masques devait se réduire à ceux qu’il manipule. Au fil des spectacles, Garcia cherche à comprendre comment nous avons pu en arriver là. Une société si policée, si raffinée, et néanmoins si barbare, si cruelle dès que l’occasion lui en est donnée. Dès le départ, il enrichit cette question politique par une sorte de méditation théologique, à travers l’histoire de l’art en Europe. Dans L’Histoire de Ronald, le clown de McDonald’s, des sculptures vivantes étaient filmées, en pietà improvisées, sur des parkings de supermarchés. L’âme du catholicisme est fermement chevillée à nos corps de consommateurs hédonistes. Dans Dispersez mes cendres sur Mickey, les acteurs luisant de miel figurent de magnifiques tableaux de la peinture flamande, qui laissent percer l’éclat des visages lunaires du Greco. Avec Golgotha Picnic, la question est remise sur le métier à travers le dialogue avec la tradition iconographique catholique. Garcia a longuement dialogué avec un théologien (qui a interrompu leur conversation quand il a su quel était le titre du spectacle…) et s’intéresse au plus près à la vie du Christ, sa réception, son influence, ses représentations — ses vérités. Dans ce spectacle grinçant, lunaire et inquiet, l’écrivain cherche à comprendre comment nous sommes les héritiers du Christ, lui-même blasphémateur (de l’ordre ancien, et de l’ordre politique de son temps. Le Christ déjà était un homme en colère, entré en guerre contre l’argent, les puissants, et les charlatans de l’époque. Garcia lui rend donc hommage, pour incriminer dans le même temps tous ceux qui ont trop souvent tordu son histoire, à l’intérieur même de l’Eglise. Il nous montre que l’histoire du Christ est commune à tous les hommes, ceux qui croient, et ceux qui ne croient pas. Et que tant de choses qu’il a vécues nous ressemblent. Des allégories qui nous regardent C’est bien de ce précieux attachement à notre histoire (donc à celle de l’art) dont témoigne Golgotha Picnic, par le biais d’une fable en effet dérangeante. Le narrateur fait faire six tonneaux à sa voiture, « pour vérifier si La Passion Selon Saint-Mathieu de Bach y résisterait. ». Il sort miraculeusement de l’accident, et sa parole devient celle d’un ange déchu : « Et je me suis vu à la place du Christ de Rubens, au moment où la croix est dressée sur le Golgotha, avec autour plusieurs costauds en train de pester et de suer sang et eau pour soulever cette lourde croix en bois. Et je me suis vu plus tard tel un cadavre descendu de la croix, le corps gris et vert, comme Mantegna l’aurait peint, les pieds face à la caméra, comme dans le feuilleton « Twin Peaks », quand ils vont voir le cadavre de Laura palmer… » 1 Le dramaturge espagnol, décidément grand écrivain, part de nos drames intimes, souvent impensés, douloureux, pour en faire état à la face du monde — ce qui ne lui interdit pas l’humour, sur soi, son prochain, l’homme, et tous les autres. Mais nous aurions tort de ne pas prendre au sérieux les allégories de Rodrigo Garcia, qu’elles nous fassent rire ou pleurer, qu’elles nous flattent ou nous blessent, elles nous regardent, comme les yeux du Christ d’Antonello di Messina. Le plus beau message d’amour. Pour l’amour du Christ. Et contre lui, tout contre. Bruno Tackels, Paris / janvier 2012 1 Le texte de Golgotha Picnic est publié par les Solitaires intempestifs, comme tous les autres textes de Rodrigo Garcia. Photo © David Ruano Le théâtre de l’Esquisse existe depuis maintenant un peu plus de vingt-cinq ans. Un bail, comme dirait l’un. Un engagement, comme pourrait lui répondre l’autre. Cela fait donc plus d’un quart de siècle que cette compagnie trace, sous la houlette de Marie-Dominique Mascret et Gilles Anex, son singulier chemin peuplé de singuliers comédiens. Il faut le dire, une fois pour toutes, la troupe d’une dizaine d’acteurs formant l’Esquisse est composée d’acteurs avec un handicap mental. Chacun le sien, tous un peu différent l’un de l’autre. C’est tout. Pour le reste et sur scène, comme le précise Gilles Anex : « Ils ne se montrent pas, ils ne se jouent pas eux-mêmes, ils sont protégés par leur rôle ». Acteurs. « Pas si différents, mais pas si ordinaires » D’un spectacle à l’autre, on pourrait tracer une ligne invisible, une trame à laquelle se rattache l’ensemble des pièces montées par la compagnie. Dès l’origine, il y est question de mirages, de transit, de terrain vague ou d’archipel des songes. Le sentiment d’évoluer dans un monde intermédiaire, à la croisée des chemins, un lieu du possible. « Un théâtre qui parle avec peu de textes » comme l’a si bien dit un critique, « une réalité», comme le précise Marie-Dominique Mascret « où l’importance est donnée au geste, à la chorégraphie, à l’instant, car ils ont une façon d’être au présent qui leur est propre ». La création qui va se jouer sur la scène de StGervais n’échappe pas à cette poétique de l’espace. Où l’on se retrouve donc face à un improbable « Hôtel des Routes ». On ne sait pas si celui-ci existe quelque part, ailleurs, peut-être dans une nouvelle de Stefano Benni, mais il devrait derechef être cornaqué par un quelconque hôtelier à la recherche d’originalité. Car le titre est profondément évocateur : « Un lieu de halte ou de bout de la route où peuvent s’entrechoquer les bruits et les drôleries du monde, se déployer les rêveries et les nostalgies, où peut se faire le point de la situation entre ceux de passage et ceux qui restent. » Une zone tampon métaphorisant les rencontres, « une fosse de résonances, une ouverture vers des mondes intérieurs » comme le raconte si bien Gilles Anex. Il s’agit d’un hôtel esquissé, mental, imaginaire où les cloisons sont mobiles, manière de faire tomber toutes sortes de barrières. L’hôtel, c’est aussi une manière de traiter de l’hospitalité qui fonctionne toujours à pile et face, entre l’hôte et l’hôte (l’autre), de jouer de rencontres et de confrontations inattendues. « Dans A l’Hôtel des routes, les rôles individuels ont été poussés un peu plus loin que d’habitude », mais c’est l’aventure collective qui fait que se dégage « un ensemble qui fonctionne ». L’hôtel, c’est un monument artistique, que ce soit au cinéma ou un théâtre, un personnage en soi. Dans celui-ci, où les routes se croisent, « s’esquisse le paysage d’une poésie humaine, faite de fragments et de fulgurances, d’approches et d’incertitudes, qui se compose, se propose au spectateur. » L’hôtel comme promesse d’un voyage dont on ne connaît pas le bout. A l’Hôtel des Routes du 18 avril au 4 mai 2012 Conception et mise en scène : Gilles Anex et Marie-Dominique Mascret / Avec Yves Allisson, Jean-Paul Bernard, Giorgio Cane, Marlène Chevalier, Valérie Lucco, Jérôme Sevaz, Evelyne Tschanz, Christine Vaney, Marie Voltolin, Alexandre Wagen Photo © Isabelle Meister 13 14 Les transversales Mars 2012 « Ici c’est ailleurs », la revue de St-Gervais Le Théâtre Si c’est ça la vie, faudrait la changer, bordel ! Absent de la table ronde « Créativité populaire : fantasme politique ou réalité sociale » qui a eu lieu le 17 septembre 2011 à St-Gervais, Oskar Gómez Mata a écrit ce texte, lu par Philippe Macasdar lors de l’assemblée. J’ai toujours dit que le moment le plus important de Kaïros est la scène où le public sort de la salle en silence, reste muet pendant dix minutes et réalise un poème à partir des mots-clés que nous lui donnons en relation avec la pièce, de la réalité qui l’entoure et d’un point de vue qu’il choisit. Tout ce qu’il y a avant est une préparation à ce moment. Ce qui vient après en est l’épilogue. La vie n’est qu’un point de vue. Choisir un point de vue et essayer de transformer la réalité. Rendre la pièce au public Dans mon cas, tous les moyens sont bons pour mettre la pièce entre les mains du public : - l’ambiguïté entre le faux et le vrai - la fragilisation volontaire de la structure, des transitions, de l’image de l’être humain - l’humour comme moyen d’accès sensoriel à la pensée - l’aspect improvisé et « fait sur place » du jeu et du dispositif scénique pour renforcer l’idée de présent - la citation d’événements actuels et locaux et leur introduction dans le contexte de la pièce - l’adresse directe et l’idée d’accident - l’utilisation du déplacement physique comme moyen de déplacement de la pensée Tout ce dispositif doit servir à activer le regard du spectateur et le rendre critique. Il s’agira pour lui de décider de l’image qu’il veut voir. C’est une manière de lui rendre sa responsabilité dans la construction du réel, de le rendre créatif, mais c’est aussi l’obliger à prendre position. Activer le regard du spectateur avec l’objectif (politique) de lui rendre sa capacité et sa raison de citoyen : le théâtre comme exercice de la vie. « Penser, c’est facile. Ce qui est difficile, c’est de ne pas penser ». Tel était était la conclusion de la dernière scène du spectacle Optimistic vs Pessimistic. Nous nous exerçons à aller et venir dans la pensée du public et nous cherchons à la déplacer dans son esprit. Le jeu des comédiens est d’intégrer cette pensée, de choisir un chemin ou un autre, parfois de modifier presque imperceptiblement le patron du spectacle pour aiguiser la perception du spectateur et amplifier l’impression du présent de la représentation. J’essaie de créer un théâtre de participation de la pensée. Un théâtre du présent, sans camouflage, qui recherche un dialogue même si celui-ci passe par le désaccord. J’essaie de faire des spectacles qu’il faut vivre et voir, et qui sont, paraît-il, difficiles à expliquer. Ils sont rarement consensuels, mais c’est le prix à payer si on veut rester honnête avec soi-même et cohérent. C’est pourquoi, pour finir, j’aimerais ajouter cette phrase en contrepoint. Il s’agit d’une citation de Max Ophuls que j’aurais beaucoup aimé entendre en public dans la bouche de Philippe : « A force de courir derrière le public, on finit par voir son cul ». Oskar GÓmez Mata, Rome / septembre 2011 La création, la construction du réel est toujours une projection de nous-mêmes dans tout ce qui nous entoure. Nous voyons quelqu’un de triste et nous projetons sur cette image notre connaissance de la tristesse. Les physiciens disent qu’il n’y a pas de réalité qui ne se situe en dehors de la relation entre l’observateur et l’objet observé. Si nous appliquons cette idée au théâtre, cela voudrait dire qu’il n’y aurait donc pas de pièce absolue, mais une construction multiple et intime de la pièce faite par le public. Impossible alors d’imposer sa vérité, impossible d’imposer une seule vision de la pièce, de notre création. Alors si c’est ainsi, si la pièce ne peut exister sans le public, rendons celle-ci au public ! Kaïros, sisyphes et zombies du 26 au 30 juin 2012 par L’Alakran. Conception et mise en scène Oskar Gómez Mata Entre Du 18 au 20 juin 2012 le spectacle de sortie de la Manufacture, Haute école de théâtre de Suisse romande, sera joué sous la direction d’Oskar Gomez Mata Photo © Steeve Iuncker un théâtre de participation de la pensée Les transversales Mars 2012 « Ici c’est ailleurs », la revue de St-Gervais Le Théâtre 15 16 Un ciné-club sacré Et aussi Mars 2012 « Ici c’est ailleurs », la revue de St-Gervais Le Théâtre Dans le cadre de son cycle « L’image et le sacré - Entre Guerre et Paix », l’Espace Saint-Gervais présente Les Harmonies Werckmeister de Béla Tarr, le samedi 3 mars 2012 (www.espace-saint-gervais.ch). Entre Pinter et Cassavettes Ils sont quinze jeunes acteurs, entrés à la Manufacture en 2008. Entre constitue leur spectacle de sortie, monté sous la houlette d’Oskar Gómez Mata : « Entre Harold Pinter et Cassavettes / Entre sentiments et théâtre politique / Entre le début et la fin d’une carrière artistique / Entre le début et le maintenant d’une carrière artistique / Entre l’oeuvre et la réalité / Entre la fin d’un cursus scolaire et le début d’une carrière professionnelle. Entre et entre, il y a le présent de ce projet, l’instant présent de la représentation ». Entre, du 18 au 20 juin à St-Gervais. L’actualité des résidents Christian Geffroy Schlittler Utopie 2, en tournée au Bénin, à Sion, Caen. Les artistes de la contrefaçon, du 19 au 21 avril 2012 aux Halles de Sierre (www.louispinagot.ch) Julie Gilbert Outrages ordinaires, du 22 au 26 mai 2012 au Théâtre Espace Libre, à Montréal. (www.espacelibre.qc.ca) José Lillo & Eric Salama Rousseau/Voltaire, une rencontre, un spectacle conçu à l’intention des collèges Rousseau et Voltaire. Avril 2012. Jérôme Richer Nous voulons tout de Nanni Balestrini, du 17 au 28 avril 2012 à la Maison de Quartier de la Jonction, Genève (www.mqj.ch) Eric Salama Si ce n’est toi d’Edward Bond, du 2 au 18 mars 2012 au T50, Genève La belle idée de L’Alakran Rens. et réservations sur www.saintgervais.ch Pierre Miserez fait des tours en ville Sur le site de Belle-Idée, L’Alakran propose une performance / exposition nommée Psychodrame 2 : Les fantasmes de Belle-Idée. La note d’intention dit à peu près ceci : « Belle-Idée est un hôpital psychiatrique. Nous en avons conscience. J’aime penser à la collection d’art des hôpitaux de Genève, rangée dans l’ombre à Belle-Idée, et l’imaginer comme une métaphore de notre inconscient, souvent rangé, caché, invisible, inactif (...) ». Performance, les 10 mars et 11 mars 2012. A bord d’un petit train, Miserez va tenter une expérience inspirée du modèle de la caméra cachée dans les lieux les plus emblématiques de Genève. Le trajet sera scandé par plusieurs haltes qui seront autant de stations propices au développement du talent malicieux et extravagant de Pierre Miserez. Exposition, du 10 mars au 15 avril. Domaine de Belle-Idée, Chêne-Bourg. Un tour en ville… avec Pierre Miserez, les 8, 9, 15 et 16 juin. Départ devant Infos sur www.alakran.ch et www.terrassedutroc.ch l’entrée du théâtre (durée : 1h30). Rens. au 022 908 20 00 1963-2013 Spectateur, visiteur, artiste, votre témoignage nous intéresse ! La maison de St-Gervais s’apprête à fêter son cinquantenaire. Pour cela, nous lançons un appel à vos souvenirs. Vous vous rappelez d’un moment particulier de votre vie passé à St-Gervais ? Merci d’envoyer votre souvenir à : St-Gervais Genève Le Théâtre, L’Anniversaire rue du Temple 5, CH - 1201 Genève ou par mail à [email protected] (www.t50.ch) St-Gervais Genève le théâtre rue du temple 5 - 1201 Genève t. 41 22 908 20 00 - f. 41 22 908 20 01 www.saintgervais.ch Horaires : salle marieluise fleisser : Ma, ve, sa à 20h30 - Me, je à 19h, Di à 18h Lu relâche salle isidor isou : Ma, ve, sa à 19h - Me, je à 20h30 di et lu relâche Philippe Soltermann Plein tarif : Fr. 20.groupr : Fr. 15.Chômeurs, retraités : Fr. 15.- Apéro, paintball et dimanche après-midi, nouvelle création cet été au Festival de la Cité, Lausanne Professionnels : Fr. 15.étudiants / apprentis : Fr. 12.- (www.festivalcite.ch) Dominique Ziegler Des spectacles extra Les navettes transfrontalières de la saison extra à destination d’Annecy proposent Arrêtez le monde, je voudrais descendre d’Igor et Lily, le 31 mars 2012 et Géométrie de Caoutchouc d’Aurélien Bory, le 25 mai. Avec nos remerciements, l’équipe de St-Gervais Genève Le Théâtre Le trip Rousseau, du 6 au 16 juillet à L’Ilôt 13 (www.rousseau13.org) Renseignements : www.saintgervais.ch Carte 20 ans / 20 francs : Fr. 10.billetterie : t. + 41 22 908 20 00 et www.saintgervais.ch