mise en scène arnaud troalic
traduction de anne monfort
production compagnie akté
coproduction :
arts276/automne en normandie,
le volcan scène nationale du havre, dieppe scène nationale
Création octobre 2011
La compagnie Akté est conventionnée par la Ville du Havre, la Région Haute-Normandie
et le Ministère de la Culture et de la Communication/ DRAC Haute-Normandie.
Avec le soutien du Département de Seine-Maritime.
* l’Arche est l’éditeur et l’agent théâtrale du texte représenté
Compagnie Akté
24 rue du Docteur Brouardel 76620 Le Havre / tel. 02 35 44 54 37
www.akte.fr
[ Publikumsbeschimpfung ]
Peter Handke
au public
«En parlant avec vous,
nous vous rendons conscients de vous-
mêmes. Comme cest à vous que nous
nous adressons. Vous devenez conscients
de vous-mêmes.Vous devenez conscients
dêtre assis. Vous devenez conscients
dêtre assis dans un théâtre.Vous devenez
conscients de la position de vos jambes
et de vos bras. Vous devenez conscients
de vos doigts. Vous devenez conscients
de votre langue. Vous devenez conscients
de votre gosier. Vous devenez conscients de votre tête. Vous devenez
conscients de vos organes. Vous devenez conscients du battement de vos
paupières. Vous devenez conscients de vos déglutitions. Vous devenez
conscients de vos salivations. Vous devenez conscients des battements de votre
cœur. Vous devenez conscients de la manière dont vous relevez les sourcils.
Vous devenez même conscients du picotement de votre cuir chevelu. Vous
devenez conscients de vos démangeaisons. Vous devenez conscients de la
sueur sous vos aisselles. Vous devenez conscients de vos mains moites. Vous
devenez conscients de vos mains sèches. Vous devenez conscients de votre
haleine.Vous devenez conscients de la manière dont nos paroles frappent vos
oreilles. Vous devenez présents desprit (…).
(…). Maintenant vous êtes conscients de votre présence. Vous êtes le « deus
ex machina ».Vous savez maintenant que le temps qui sécoule est votre temps.
Vous êtes le sujet. Cest vous qui nouez. C’est vous qui dénouez. Vous êtes le
centre.Vous êtes le motif. Vous êtes la cause.Vous êtes le mouvement moteur.
Vous êtes à la place des mots. Vous êtes le jeu et l’enjeu. »
Extraits de Outrage au public” - traduction Jean Sigrid
vous êtes le jeu et l’enjeu
Peter Handke
au public
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Peter Handke
au public
Depuis début 2009, je travaille à constituer une équipe pour un nouveau projet,
qui questionne la docilité de lhumain face aux absurdités du monde contemporain.
Certains axes de travail se sont portés sur l'excès de technologie, les
communications par interface, la déresponsabilisation, la servitude volontaire.
En 2004 nous avions créé en collectif le projet « Etats Civils » pour se
questionner sur l’isolement et la perte d’identi. Le choix des oeuvres sétait
porté sur des figures qui pouvaient mettre en question une crise du sujet, dans
sa collision en tant quindividu avec l’espace social.
A ujourd'hui l'individu cherche coûte que cte à sortir de son isolement par le
biais d'une communication effrénée. Je communique donc j'existe. A vec des
interfaces communicantes toujours plus perfectionnées, nous échangeons davantage
et avons la sensation de nous rapprocher les uns des autres. De faire abstraction
des distances qui nous séparent. Nous sommes au courant des faits et gestes de
nos milliers d'amis que nous croisons rarement.
Pris de cette rencontre charnelle, nous travaillons notre image, notre masque
social, l'image de notre intimité affice au grand jour, pour laisser partre
le meilleur de nous-mêmes. Nous ne sommes plus isolés individuellement, nous
sommes isolés ensemble. Nous finissons par jouer le rôle de nos avatars
fantasmés. Nous sommes continuellement en repsentation.
Depuis « Borges Vs Goya » de Rodrigo Garcia que j'ai mis en scène en 2007,
« Outrage au public » est la pièce qui revenait de façon récurrente dans mes
flexions. Je pense qu’il s’agissait dans un premier temps d'une envie de
plateau, de codien. (A près les premières lectures, j'appelais cette pièce
« outrage aux codiens »). Je pense que c'est une performance en soi que de
s'approprier ce texte.
Peter Handke a 23 ans quand il écrit « Outrage au public » en 1967, comme un
cow-boy insolent, il a une vraie volonté de chambouler les codes de la
repsentation, de questionner la place de ceux qui regardent, leur faculté de
jugement. Une vraie provocation pour l'époque, un « ovni ».
La traduction litrale de « Publikumsbeschimpfung » est « Insultes au publi.
Dans sa traduction de 1967, Jean Siegrid faisait le choix du titre « Outrage au
public » sans doute pour annoncer un outrage aux formes tâtrales de l'époque.
Je retiendrai le titre de « Insultes au public » pour ne pas méprendre les
spectateurs d'aujourd'hui. Cette pièce n'a rien d'outrageant, mais convoque bel
et bien le public pour un rendez-vous d'insultes !
« On vous insultera car linsulte est aussi une façon de vous parler. En vous
insultant, nous pouvons parler directement. (...) Parce que nous vous insultons,
vous ne nous entendrez plus, vous nous écouterez. (...) Parce que vous serez
insultés, votre immobilité et votre fixité seront enfin à leur place. Mais nous ne
vous insulterons pas, nous nutiliserons que les insultes que vous utilisez, vous.
prologue note d'intention # 2o nov 2010
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Peter Handke
au public
Nous nous contredirons dans les insultes. () Comme vous êtes prévenus, vous pouvez
aussi vous accommoder de ces insultes. Puisque le tutoiement représente déjà une
insulte, nous allons pouvoir dire tu. Vous êtes le sujet de nos insultes. »
Ce passage annonce pas moins de 13 paragraphes d'insultes au public avant de
souhaiter « Bonne nuit » aux spectateurs.
Monter cette pièce en 2010 n'est pas simple si l'on ne souhaite pas en faire une
pièce historique ou une « pièce document ». Il est important pour moi de
m'approprier les enjeux de l'époque pour voir quelles résonances ils ont
aujourd'hui, à nos âges, dans notre pays et au sein de cette société que nous
construisons.
J'ai donc commencé à travailler sur la version originale avec A nne Monfort pour
être au plus près de la langue de Handke, ce passage de l'allemand au français
me rapproche de l'auteur et soulève une multitude de questions qui enrichissent
nos discussions et nos imaginaires.
Plus je travaille sur la nouvelle traduction et plus je sens comme un cri au
public. Un cri pour nous maintenir en veille face à toutes ces inventions
fastes que notre socté s'inflige à elle même.
« Insultes au public », comme une veille des codes de repsentations que notre
socté réinvente au profit du marché. Décoder les représentations pour ne plus
être spectateurs mais acteurs de notre temps.
En 2010 « Insultes au public » me permet de prendre notre soc
comme sujet en crise.
A rnaud Troalic
«Il faudrait que les spectateurs apprennent à démasquer le naturel comme dramaturgie,
dramaturgie du système dominant – non seulement au théâtre, mais ailleurs. Pourtant
c’est au théâtre qu’il leur faudrait l’apprendre, qu’il leur faudrait acquérir un regard
étranger. (…) Seule lesthétique peut rendre l’appareil de perception si précis quon
reconnaitra le naturel de cette société comme une chose fabriquée et manipulée.
Seule une esthétique nouvelle peut apporter aussi des preuves et des arguments.»
Citation de Peter Handke : J’habite dans une tour d’Ivoire (1969) p. 121-122.
Essais parus dans différents journaux et magazines de l’époque
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On ne nait pas spectateur. On le devient.
Quel spectateur voulons-nous devenir ?
A u cœur du grand marché des visibilités qui nous est offert à la consomma-
tion et face à la multiplication de ces dispositifs multi-médiatiques qui nous
avilissent, quelle distance la profusion de ces informations anxiogènes, nous
laisse-elle pour les comprendre ?
Quelle sorte de liberté nous est laissée pour continuer à penser par nous-
mêmes le monde qui nous est livré en spectacle global ?
L’origine grecque du mot « théâtre » rappelle qu’il détermine avant tout « le
lieu d’où l’on regarde ».
C’est aussi une manière de se rappeler que l’art théâtral a toujours cher-
ché à réfléchir les rapports qui pouvaient s’instaurer entre la scène et la
salle, en posant comme condition la nécessité d’accorder au regard du spec-
tateur une place à partir de laquelle il lui serait permis de penser ce qu’il
voit, une place d’où il pourrait en répondre en toute autorité.
Ecrite au beau milieu des années 60, la première pièce de Peter Handke, Ou-
trage au public, reste imprégnée de cet esprit de subversion qui, dans la ré-
volution des formes théâtrales de l’époque, voulait mettre en crise les re-
présentations que le public pouvait se faire à la fois de lui-même, de la scène
et de la société, comme autant d’illusions auxquelles on devait l’arracher.
A u-delà de l’émancipation libertaire et souvent idéaliste à laquelle cette
pièce voulait préparer son public de l’époque, elle représente pour nous au-
jourd’hui une véritable « démonstration par l’absurde » des responsabilités
que la scène prend dans ce qu’elle montre et des responsabilités que la salle
prend dans ce qu’elle voit. Par son dispositif dialectique, elle interroge,
avec une redoutable ironie, les opérations de croyances qui instruisent ha-
bituellement le partage du sens et du sensible entre acteurs et spectateurs.
En renversant ce qui est censé fonder la représentation, la pièce nous donne
à penser la réalité de ce qui instruit chez le spectateur le désir de croire
et chez l’acteur le désir de faire croire, obligeant l’un et l’autre à pro-
duire une distance, un écart, entre ce qui se joue et ce qui est vécu, en-
tre ce qui est dit et ce qui est cru.
Du même coup, les spectateurs se voient dans la nécessité d’interroger les
mécanismes d’adhésion et d’identification qui sont ici remis en question par
ceux-là mêmes qui sont censés les leur permettre, à savoir les acteurs qui,
eux, jouent à ne pas jouer.
insulte au public
une mise à l’épreuve
de l’autorité du spectateur
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Peter Handke
au public
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