SE TROUVER Critiques

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SE TROUVER
de Luigi Pirandello (SICILE, 1932, SOUS L’ITALIE FASCISTE DE MUSSOLINI – PRIX NOBEL DE LITTERATURE EN 1934)
traduction Jean-Paul Manganaro
mise en scène Stanislas Nordey
Cette pièce de Pirandello est bâtie sur un paradoxe. Comment une actrice célèbre pour sa capacité à reproduire sur scène
l’expression même de la vie dans toutes ses nuances peut-elle exister en-dehors de son art ? Donata Genzi est cette star du
théâtre dont les feux brillent comme des diamants dans le regard de ses admirateurs. Elle est sur un piédestal. D’ailleurs on
l’attend fébrilement au pied d’une volée de marches, telle une déesse descendant de l’Olympe ou une actrice au festival de
Cannes. C’est Emmanuelle Béart qui joue Donata Genzi dans cette mise en scène de Stanislas Nordey reprise après son
succès de la saison passée.
Fidèle du TNB, dont il a dirigé l’école pendant 12 ans formant quatre promotions d’acteurs, Stanislas Nordey montre comment
l’opposition entre l’art comme absolu et la vie traverse le personnage de Donata Genzi au point de se perdre. La pièce
développe ce paradoxe de la comédienne qui veut aussi être une femme comme les autres. Avec au centre la question de la
folie quand soudain elle ne sait plus qui elle est. Pour finalement revenir à elle-même et accepter sa situation, c’est-à-dire se
trouver.
Après avoir monté avec succès Hofmannsthal, Feydeau, Camus, Stanislas Nordey réussit avec cette première incursion dans
l’oeuvre de Pirandello un véritable coup de maître qui a comblé les publics du TNB, du Théâtre Liberté de Toulon et du
Théâtre National de la Colline à Paris pour une cinquantaine de représentations. Reprise de la pièce à Rennes et en tournée :
Saint-Quentin-en-Yvelines, Vannes, Liège et Luxembourg.
Emmanuelle Béart vient de recevoir le Prix du Syndicat de la Critique 2012, meilleure comédienne, ainsi que les
Beaumarchais du Figaro, meilleure comédienne, décernés par le jury et le public.
Jeudi 27 septembre 2012 – durée : 2h30
collaboratrice artistique Claire ingrid Cottanceau
scénographie Emmanuel Clolus
lumières Philippe Berthomé
son Michel Zurcher
costumes Raoul Fernandez
coiffures Jean-Jacques Puchu-Lapeyrade
régie générale Antoine Guilloux
avec Emmanuelle Béart, Claire ingrid Cottanceau, Michel Demierre, Vincent Dissez, Raoul Fernandez, Marina Keltchewsky,
Frédéric Leidgens, Marine de Missolz, Véronique Nordey, Julien Polet, Laurent Sauvage
construction décor atelier du Grand T – Nantes sous la direction de François Corbal
ateliers costumes atelier Caraco Canezou (Paris), Julien de Caurel (Rennes), Mine Barral Vergez (Paris), atelier du TNB
chaussures Pompeï Galvin, Repetto
production déléguée Théâtre National de Bretagne/Rennes coproductionCompagnie Nordey ; Les Théâtres de la Ville de Luxembourg
; Théâtre de la Place/Liège ; Théâtre National de la Colline/Paris ; Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines/Scène Nationale
Critiques
http://www.lestroiscoups.com critique écrite par Jean-François PICAUT
France INFO CULTURE – 17 mars 2012 :
http://www.franceinfo.fr/culture-medias/france-info-culture/se-trouver-de-luigi-pirandello-559303-2012-03-17
Nous sommes sur la Riviera dans une très belle demeure de style art déco. Les invités d’Elisa Arcuri
attendent avec fébrilité de rencontrer la grande comédienne de théâtre Donata Genzi. Ils ont tous des
préjugés sur le métier d’actrice.
Ce sont d’abord ces préjugés que Pirandello met à mal : cette femme vit son art comme un sacerdoce. Sa
vocation est presque religieuse. Elle n’a jamais eu d’amants, elle n’a jamais vécu que par et pour son art.
Elle est à l’image de Pirandello : l’écrivain sicilien a été marié très tôt à une femme qu’il n’aimait pas et qui va
sombrer dans la folie. Il aura trois enfants avec elle et ne la quittera pas.
Et lorsque son biographe lui demande de raconter sa vie voici ce qu’il lui répond : "J'ai oublié de vivre, oublié au
point de ne pouvoir rien dire (…) sur ma vie, si ce n'est peut-être que je ne la vis pas, mais que je l'écris. ( …) Si vous
voulez savoir quelque chose de moi, je pourrais vous répondre : Attendez un peu, que je pose la question à mes
personnages."
Le personnage de Donata a oublié de vivre, sa vie se confond avec les rôles qu’elle a créé au théâtre.
Emmanuelle Béart irradie la scène, le rôle semble avoir été écrit pour elle.
Elle a puisé dans son vécu de comédienne pour interpréter ce personnage.
C’est aussi une pièce sur la solitude, l’incommunicabilité entre les êtres.
Marcel Proust disait : nous sommes tous des monades, des points de vue sur le monde mais pour que deux
êtres parviennent à se comprendre, à se parler. Donata Grazi a oublié de vivre sa vie de femme et lorsqu’elle
rencontre Ely Nielsen peintre et marin suédois, elle s’abandonne totalement à cet amour. C’est un être
inadapté qui refuse de vivre en société et ne rêve que de partir en mer. Comme elle c’est un marginal,
inadapté à la vie. Il peut faire penser à James Dean dans la fureur de vivre. Et pourtant, cet homme qu’elle a
choisi ne la comprend pas. Elle est cérébrale, il est physique. Ils ne parlent pas la même langue. Il va lui
demander de renoncer au théâtre. Il lui demande l’impossible.
Emmanuelle Béart nous explique comment la mise en scène parvient à montrer cette dimension de la pièce.
Ecrite en 1932 par un dramaturge sicilien issu d’une famille catholique conservatrice, la pièce aborde pourtant
de manière très crue la question de la sexualité féminine.
C’est étonnant la liberté avec laquelle Pirandello s’attarde sur les déconvenues de son héroïne : Donata
confie à son amant qu’elle n’a pas éprouvé du plaisir. Elle dira à son amie Elisa : "Il a fait trop attention à lui".
Mais surtout, entre l’homme qui l’aime et qui lui demande de tout abandonner pour lui et le théâtre, elle
choisira le théâtre.
Emmanuelle Béart nous rappelle que la pièce est écrite sous l’Italie fasciste de Mussolini et pointe la
modernité et l’avant-gardisme de Pirandello pour son époque.
Le blog de Martine Silber : marsupilamima.blogspot.fr (Photos Elisabeth Carecchio)
Voilà du Stanislas Nordey 100% pur jus. Certains acteurs et même actrices vont jusqu'à adopter les tics de
Nordey, attitudes fébriles, jeux de bras à peine pliés au coude, main refermée , pouce et index joints. Assez
curieux, tous ces Nordey sur scène, en même temps.
Autrement dit, pour ceux qui connaissent le comédien et metteur en scène, les uns vont adorer, les autres
détester. Et pour ceux qui ne connaissent pas, aller voir le spectacle est un excellent moyen de se faire une
opinion.
En une phrase, c'est beau, parfois ennuyeux, et Emmanuelle Béart est épatante, Vincent Dissez aussi. Ce qui
ne veut pas dire que le reste de la troupe n'est pas à la hauteur, mais tout simplement, on les oublie un peu.
Ils s'effacent.
Les gens savants et ceux qui ont lu le dossier de presse expliquent que l'origine de la pièce vient de la
relation entre la comédienne Marta Alba et Pirandello:
La vie de Marta Abba est indissociable de celle du grand dramaturge et metteur en scène de théâtre sicilien,
Luigi Pirandello dans la fin de vie duquel elle tint une grande place. De sa rencontre avec lui en 1923, jusqu’à
la mort du “maître” en 1936, elle recevra 560 lettres à propos desquelles les historiens discutent encore de
savoir s’il y eut ou non une grande histoire d’amour entre eux. On discute également de savoir si la grandeur
de la star fut induite par le génie du “Maître” où si, à l’inverse, Pirandello fut illuminé par la Muse
enchanteresse, lorsqu’il écrivit des textes pour elle.
Au début de la pièce, place à l'esthétique: costumes en teintes douces, décors soignés, raffinés, composition
précise et parfaite des déplacements des comédiens: face au public à l'antique, alignés comme des pions sur
un échiquier, profils dirigés dans la même direction. Tous prêts pour une succession de plans plus
photographiques que cinématographiques. On s'engourdit un peu. Du moins, moi.
Ce début permet de situer de façon assez
classique et simple les personnages du drame
qui va suivre. Quelques amis friqués attendent
l'arrivée de Donata Genzy ( Emmanuelle Béart) ,
une comédienne célèbre, amie de la maîtresse
de maison, qui vient chercher un refuge pour se
reposer. On la dirait aujourd'hui en plein "burn
out". Les invités attendent son arrivée avec
impatience passant en revue tous les ragots
qu'elle a pu susciter avant de pouvoir la
rencontrer à leur tour.
Seule, une jeune fille, fantasque adolescente, Nina, s'inquiète. Elle sent, elle
sait qu'il ne faut pas que Donata rencontre, Ely Nielsen (Vincent Dissez),
l'artiste peintre, rebelle, exalté, qui ne rêve que de partir en mer.
Et commencent à se poser les questions de fonds qui vont traverser la
pièce, qui est la femme, qui est la comédienne, comment la même personne
peut être les deux, qu'est-ce qui prime, qu'est-ce que le jeu, qu'est-ce que la
création??? On s'engourdit un peu plus.
Mais la rencontre et l'histoire d'amour qui va s'établir entre Donata et Ely est en rupture avec tout ce qui a
précédé, décor et costumes simplissimes, jeu plus rapide, plus naturel des comédiens. On se réveille et on
restera éveillé jusqu'à la fin.
Bien sûr, Donata ne peut pas se libérer de ses contraintes, de ses engagements, de ses contrats....ni de son
métier. Et la fin portée par Emmanuelle Béart transfigurée est magnifique.
http://www.laparafe.fr par F pour Inferno
Un cocktail savoureux est annoncé par l’apposition de
trois noms : Stanislas Nordey met en scène Se
trouver de Luigi Pirandello et fait appel à Emmanuelle
Béart pour le premier rôle. Ce parfait mélange sur le
papier suscite une déception à la hauteur de nos
attentes – très élevées, il faut le dire. Pour l’expliquer
on hésite entre la scénographie, la direction des
comédiens et le texte lui-même.
Perdus dans un décor à taille inhumaine, une dizaine
de personnages sont réunis chez Elisa Arcuri dans
l’espoir de passer la soirée avec la Genzi, célèbre
comédienne que chacun s’imagine selon ses
fantasmes. Alors que Nina pressent le choc de la rencontre entre la fameuse Donata et Ely, l’excentrique navigateur et
artiste, tous discutent et débattent sur des questions de théâtre, concernant l’incarnation du personnage et la sincérité des
émotions.
Ils sont interrompus par l’arrivée de Donata Genzi, qui descend avec majesté les marches qui surplombent la scène. Dès lors,
dans cet espace géométrique créé par Emmanuel Clolus, ils sont obligés d’évoluer selon une chorégraphie pour répondre à la
symétrie du lieu. Ils se placent donc les uns par rapport aux autres grâce aux lignes qui sont tracées au sol, comme des notes
de musique sur une partition.
Le corps est également contraint par un face-public constant, souligné par une prononciation précise qui refuse les apocopes,
et une gestuelle dans laquelle on perçoit la pâte de Nordey. Les émotions puissantes exprimées par la comédienne en mal de
vivre entre ses rôles et la « réalité » sont glacées par la démesure du décor. Obligés de courir pour joindre les deux côtés du
plateau, les comédiens sont réduits à des miniatures.
Pour passer du premier au deuxième acte, de « Se donner » à « Se perdre », les régisseurs déplacent ces monstres de blocs
en musique. Cette grande machinerie, qui n’est pas sans rappeler Hollywood, crée un nouvel espace, tout aussi
disproportionné. Ely et Donata ont fui la soirée d’Elisa et ont pris la mer, malgré la tempête. Rescapés de la mort, on les
retrouve vingt jours plus tard dans l’atelier d’Ely, qui cherche à convaincre la comédienne de tout quitter pour lui.
N’aimant pas le théâtre qu’il oppose à la vie et ignorant sa renommée et ses talents, il offre un regard neuf qui séduit Donata.
Pourtant, ses hésitations la torturent et cet amour met du temps à l’emporter sur ses engagements. Alors qu’Ely va chercher
son oncle pour lui annoncer leur mariage, Donata se retrouve avec Elisa face à de multiples miroirs descendus des cintres.
Cette dernière la persuade de se montrer dans son rôle de comédienne à Ely pour plus d’honnêteté.
Une fois encore, dans cet immense atelier, la densité des personnages et de leurs échanges se dilue. Les rares meubles
présents ne les fait pas plus interagir avec cet espace qui les noie, et les corps restent irrémédiablement isolés. Même dans
les scènes les plus tendre, d’amour ou de consolation, les corps s’échappent, échouent à s’empoigner pour ne faire qu’un.
Heureusement, Emmanuelle Béart lâche l’air taciturne qu’elle s’impose depuis le début pour jouer avec plus de vigueur et
donner un peu d’humanité à toute cette froideur.
Pour le troisième tableau, « Se trouver », le plateau est moins profond, mais la hauteur des tentures de la chambre d’hôtel
qu’il figure ne l’en réduit pas moins. Donata a joué face à Ely qui n’a pas supporté et est parti au deuxième acte, avant de
s’enfuir sans attendre son retour. Malgré sa peine, Donata déclame solennellement s’être trouvée dans le théâtre, dans le
geste de création.
Cette pièce, étonnamment introspective, n’est pas caractérisée par sa grande théâtralité : elle est davantage faite de paroles
que de gestes ou d’actions. Plutôt que de compenser, Nordey pousse cette dimension à son comble en restreignant les corps
des comédiens. Ces corps que l’on vient voir pour la vie qu’ils dégagent sont encore plus froids et inaccessibles que s’ils se
trouvaient sur un écran.
Alors que le cinéma comble avec
des gros plans, cette scénographie
a au contraire pour effet de les
réduire encore. Notre crainte était de
voir
Emmanuelle
Béart
se
démarquer trop franchement avec le
reste de la distribution, chargée de
ses rôles cinématographique ; notre
déception relève finalement de cette
distance que le théâtre n’a pas
abolie, mais qu’il a au contraire
agrandie.
Présentation par la colline, Théâtre National, http://colline.fr
Se trouver
« Il faut s’évader ! Se transfigurer ! Devenir autre ! »
Se trouver (1932) est un extraordinaire portrait de femme et d’actrice. Donata Genzi, dispersée en de multiples
personnages, n’arrive plus à être elle, ni même à être ; pour se trouver, elle tente une aventure sentimentale et fuit le
théâtre, mais son métier d’actrice pèse sur l’être de femme qu’elle cherche : chaque geste, chaque inflexion de voix lui
viennent d’une pièce qu’elle a déjà jouée ; elle ne se réalise pas plus dans la vie que dans son métier. Elle décide alors de
tenter une dernière expérience cruciale: retourner sur scène en prenant le risque de fragiliser sa relation amoureuse et de se
perdre définitivement. Dans l’œuvre de Pirandello, Six personnages en quête d’auteur, Ce soir on improvise et Les Géants
de la montagne ont parfois éclipsé Se trouver, qui débat aussi du théâtre mais sur un plan plus intime. Entre désir d’être
dans la vie et passion de la créer, où se situe la vérité ? Stanislas Nordey, grand lecteur de textes contemporains, aime
aussi retourner vers les classiques pour en débusquer la modernité, grâce à son travail radical sur le jeu. Après Les
Justes de Camus, il s’attaque pour la première fois à Pirandello et retrouve au centre de l’œuvre un personnage de femme
complexe et combattant comme il les affectionne.
http://blog.lefigaro.fr critique de Armelle Héliot 3 février 2012
Emmanuelle Béart, l'accomplissement de "Se trouver"
Sous la direction de Stanislas Nordey, elle joue Donata Genzi, inspirée à Luigi Pirandello par la grande
comédienne, son amour et sa muse, Marta Abba mais aussi par les questions que lui-même se posait sur son
destin d'écrire...La production du Théâtre National de Bretagne est superbe et la distribution excellente.
Il n'y a pas une manière de parler de ce spectacle saisissant. Il y a mille et une manières et aucune ne sera,
sinon convaincante, en tout cas satisfaisante.
Ecrire sur l'oeuvre de Luigi Pirandello est un exercice impossible. Tout ce que l'on avance est
...d'avance, gommé par l'écrivain lui-même, par la matière même de son oeuvre. Et sans doute que ce
phénomène est décuplé dans Se trouver.
Le titre le dit assez, il est ici question d'égarement...
Notons d'emblée que cette pièce, écrite pour Marta Abba est ici ravivée par la traduction nouvelle de Jean-Paul
Manganaro. Et l'on entend désormais des choses que l'on ne saisissait pas aussi clairement en tout cas dans la
traduction à laquelle on se reporte naturellement -elle est très bonne- de Michel Arnaud dans la Pléiade. Il y a
dans cette pièce une manière brutale de saisir la réalité de l'amour et du sexe,une manière frontale qui est
très étonnante. L'une des scènes entre Elisa Arcuri (Claire-ingrid Cottanceau qui est également la collaboratrice
artistique de Stanislas Nordey sur ce spectacle) et Donata Genzi (Emmanuelle Béart) est à cet égard
hallucinante...
Notons ensuite -et on reviendra avec plus de rigueur et de précision sur ce spectacle passionnant dans les
semaines qui viennent- qu'il y a dans la pièce, étonnamment, des échos très archaïques (la Sicile de Pirandello
est archaïque et d'essence grecque). Stanislas Nordey les fait affleurer d'une manière fascinante car sa façon à
lui, c'est l'alignement, l'adresse au public (vraie-fausse adresse) et soudain le personnage de la jeune Nina
(Marina Keltchewsky) qui lorsque commence la pièce "voit" un danger peser sur le destin d'Ely Nielsen (Vincent
Dissez) . Une jeune Cassandre, une Pythie aussi, mais par-delà, Nina (et La Mouette !!!) est une Iphigénie, une
Ophélie qui va sombrer dans la folie tandis que Donata et Ely manquent sombrer dans les eaux...
Lui, Ely, il est du Nord. De Scandinavie...Et l'on songe aux noyades d'Ibsen, aux revenants de Strindberg...Son
père est mort en mer, sa mère est morte en lui donnant le jour...Etrange personnage impatient d'en découdre...
Mais, encore plus curieusement, il y a quelque chose de Claudel dans cette pièce et pas seulement parce que
l'on songe aux interrogations de Lechy...
Bref, le premier travail remarquable de Stanislas Nordey, en s'enfonçant dans Pirandello qu'il aborde pour la
première fois, c'est de montrer -sans démonstration- le feuilletage infini de cette écriture, de cette histoire
complexe et vertigineuse.
Cela raconte quoi, Se trouver ? Cela raconte une femme, comédienne d'exception, belle, ultra douée, célèbre.
Une femme seule. Une femme qui peut reprendre ce que disait Pirandello lui-même : "La vie, ou on vit ou on
écrit"...C'est d'une autre manière la réponse au "Pourquoi écrivez-vous ?"adressé à Beckett et qui réplique : "Bon
qu'à ça"...
Fatalité d'écrire pour Pirandello, fatalité de jouer et d'être une autre toujours pour Marta...et pour
Emmanuelle Béart.
Il faut, pour que l'argument "prenne", pour le public -et celui de Rennes, si bien habitué à de grandes choses,
de belles choses et qui est d'une attention totale 2h30 durant- une comédienne connue. Dont on puisse se dire
immédiatement : et bien oui...quelle chaîne lourde que la notoriété, le jeu, le théâtre...
Emmanuelle Béart est une enfant de troupe. Elle tient la pièce mais elle ne vole jamais la vedette à ses
partenaires. Elle est vraie. Sa partition est d'une complexité infinie car tout ce qu'avance Donata, tout ce que
lui fait dire Pirandello, s'efface d'une moirure aussitôt. Elle reprend sans cesse ses raisonnements, ses
arguments...On est comme dans ce cauchemar que décrit Blaise Pascal : on croit saisir, et tout se dérobe...
Dans un décor monumental qui évoque les années trente (splendeur et Mussolini...) imaginé par Emmanuel
Clolus et que transfigurent les lumières de Philippe Berthomé, Raoul Fernandez inscrit ses costumes
somptueux. Il ose des verts de vitalité, de vivacité, de sauvagerie de la nature. L'élégance d'un petit monde
fortuné se déploie devant nous. La distribution est excellente : la marquise Boveno, grand-mère de Nina, est
interprétée avec finesse par Véronique Nordey. Elle a l'autorité et cette fermeté très juste du personnage. le
comte Gianfranco Mola est dessiné avec ce qu'il faut de sourd chagrin par Frédéric Leidgens. Il est le tuteur
d'Ely.
Salo, personnage important est joué à Rennes par Julien Polet -et que Stanislas Nordey devrait reprendre. C'est
lui Salo qui dit d'entrée : "une comédienne n'est plus définissable "comme femme"". Et de préciser sa pensée :
elle est "plusieurs femmes" comme comédienne. "Et pour elle, peut-être, aucune".
Il est arrivé avec Volpes,(Raoul Fernandez) qui connaît Donata et en parle, avant qu'elle n'apparaisse comme
d'une "femme difficile", "Mécontente. Inquiète".
Le Docteur Giviero -lui aussi très riche, il n'exerce pas...mais fait beaucoup d'analyses psychologiques- est joué
avec finesse par Michel Demierre. ...Son amie d'enfance, Elisa (Claire-ingrid Cottanceau), surgit pour corriger
les avis : "C'est la créature la plus attachante et simple de ce monde".Tout ce petit monde, en une scène
d'exposition, parle d'elle tandis qu'elle est là haut et va surgir, somptueuse, en haut de l'escalier
monumental...Elle n'ira pas dîner. Elle rencontrera Ely...Homme aux semelles de vent, sans attaches, jeune et
mélancolique, comme elle...Vincent Dissez est remarquable dans la nervosité, l'abîme intérieur,
l'insatisfaction, la fascination pour la mort...
D'un baiser hâtif il a fait taire Nina et l'a conduite à la déraison. Lui aussi, personnage ambivalent, positif et
négatif...Comme presque tous les personnages ambigüs, ambivalents de Pirandello. Et lorsqu'ils s'interrogent,
comme s'interroge désespérément Donata, ils s'empoissonnent...
Ajoutons une femme de chambre (Marine de Missolz), et Enrico le valet de chambre d'Elisa (Olivier Dupuy).
Qu'est ce qui fait que ces 2h30 qui sont tout de même toujours dans le raisonnement, peu dans les actions,
passent très vite et que l'on ne décroche pas ? Il y a du "suspens", il y a de la passion, il y a un terrible accident,
il y a une artiste qui doit suspendre son activité près de trois semaines durant après ce terrible accident. Ils ont
failli être engloutis par la mer, Ely et Donata. Il y a cette dramaturgie pirandellienne qui est celle d'un roman
noir. Une épaisseur romanesque et uneangoisse qui monte, étreint chacun. Il y a cette folie de Donata qui ne
veut plus voir son visage dans un miroir comme si seul le regard du public pouvait lui donner une consistance...
La thématique du regard, des yeux ouverts, de ceux qui ne veulent rien voir, plus voir, des va et vient du
regard, tout cela est développé d'une manière très complexe dans Se trouver.
On en dira plus dans les jours qui viennent...
COMMENTAIRES de lecteurs de la critique du Figaro :
Escrivant : D'abord, la salle : comble. Est-ce Télérama qui l'a remplie ou le murmure de la rumeur ? En tout cas
cette salle est là, ramassée, serrée dans une écoute attentive, curieuse et émue. On n'entend pas un souffle.
Alors que le public parisien est de nature remuante. Comment faut-il écrire que j'ai aimé ce spectacle, après
avoir lu qu'on le critiquait dans ses moindres détails ?
Ce qui rompt avec l'habitude ? Là, au Théâtre de la Colline, je pouvais être à la Comédie Française : l'élocution,
le rythme, la dimension tragique. La gestuelle des acteurs et leurs pas dansés.
Ce spectacle m'a permis de réfléchir, d'écouter, de me laisser porter. Demain, les jours après j'y penserai
encore.
Et Emmanuelle, là, a fait du beau. Je ne doutais pas qu'elle puisse le faire. Merci de ce beau moment de vie.
viviane perduti : non, cette pièce est nulle tout simplement et arriver a écrire ce que vous écrivez sur un
spectacle aussi désolant me laisse pantois. pirandello c'est avant tout une humanité. absente de par la mise en
scène froide , maniéré et monoexpressive. un texte que l'on n'entend à peine. 2H45
d'un spectacle qui une fois posée, vous laisse une impression de gâchis , mais ce n'est qu'une émotion, la mienne
de surcroit spectatrice et amante du theatre
Christian Pouillon : Chère Armelle Héliot, vous avez raison dans les moindres détails. C'est vraiment un très beau
spectacle. J'ai seulement trouvé la scénographie un peu lourde (mais il faut bien faire quelque chose des
portants du premier décor), et la mise en place du second acte un peu longue. En revanche, les modifications de
tableaux de ce second acte sont ingénieuses et réussies dans leur ouverture. Et enfin, tout cela est appuyé et
corrigé par les lumières, comme vous le dites.
Quant aux comédiens, Emmanuelle Béart est une grande Donata, et Leidgens toujours juste. J'ai été frappé par
un certain mimétisme entre le travail de Vincent Dissez et l'articulation / la gestuelles ordinaires de Stanislas
Nordey (qui a failli prendre le rôle d'Ely, vous le savez, mais c'était trop de diriger et de jouer).
Andrée : Beau spectacle avec des acteurs excellents et des costumes d'un grand raffinement.
On est dans la profondeur et la puissance d'un grand groupe des créateurs.
Bravo mr. Nordey et encore merci pour ce formidable ensemble.
http://publikart.net par Amaury JACQUET
Présentation vidéo France TV : http://www.francetv.fr/culturebox/emmanuelle-beart-intense-dans-se-trouver-depirandello-81046
Emmanuelle Béart intense dans "Se trouver" de Pirandello
Par Odile MORAIN pour France TV
La dernière création de Stanislas Nordey et du TNB de Rennes plonge à nouveau Emmanuelle Béart
au cœur du drame. Dans "Se trouver", de Luigi Pirandello, elle incarne Donata Genzi, une comédienne
qui se perd dans ses incertitudes de femme à la ville comme à la scène. Un territoire où tout se
disperse, où tout se dérobe, où l'être s'échappe, s'abandonnant au dénuement total. Un répertoire
émotionnel qui sied parfaitement à Emmanuelle Béart.
La mise en scène épurée de Nordey, la rectitude du jeu des comédiens, la participation du public impliquent
directement celui-ci au cœur de l’intensité du drame.
Dans « le Magazine Littéraire » du 29 février 2012
Pirandello, fin des pirouettes
Stanislas Nordey monte avec Emmanuelle Béart la dernière pièce de l’auteur italien, plus tourmenté
et moins enclin aux jeux formels.
Portrait d’une femme vouée à son art, histoire d’une relation impossible, réflexion sur le
théâtre... Dans Se trouver, Pirandello dépassait les bornes du pirandellisme. Stanislas
Nordey met en scène, avec Emmanuelle Béart, cette pièce aux échos
testamentaires. Trovarsi, en italien, Se trouver, en français : une finalité posée comme une
question, un brin psychologique, un rien métaphysique. Lorsqu’il écrit cette pièce en 1932, à
65 ans, pour la comédienne Marta Abba, Pirandello est largement reconnu en Italie, en
Europe, aux Amériques. À Hollywood, la même année, la Metro Goldwin Mayer
adapte Comme tu me veux, avec Greta Garbo et Erich von Stroheim. Pirandello va recevoir
le prix Nobel de littérature en 1934. Il lui reste quatre ans à vivre.
Portrait de femme
Six personnages en quête d’auteur, Ce soir on improvise : ces grandes pièces qui ont
bouleversé le théâtre de l’entre-deux-guerres, tout en donnant lieu au pirandellisme, sont déjà
loin Certes, Se trouver est encore une pièce de théâtre qui parle de théâtre, mais de manière
peut-être moins algébrique. Le personnage principal est une comédienne célèbre, Donata
Genzi, amoureuse d’un homme plus jeune qu’elle. « Je ne peux pas souffrir le théâtre », lui
dit celui-ci : ni son lieu, ni sa tristesse, ni l’effort dans lequel se tiennent les spectateurs pour
rester attentifs à une chose qui n’est pas vraie. Que peut-elle lui répondre, elle qui, à force de
dispersion en de multiples personnages, n’arrive plus à se reconnaître, à se trouver, à se
retrouver ? Peut-elle quitter le théâtre sans être rattrapée par tous les rôles qu’elle a créés ?
Va-t-elle y revenir, quitte à perdre l’être aimé et à se ruiner elle-même ? Cette perspective
passionnelle est l’une des raisons pour lesquelles Stanislas Nordey, qui n’a jamais monté
Pirandello, a choisi Se trouver . Le metteur en scène a lu la pièce lorsqu’il a remarqué que
Claude Régy l’avait créée en France, trente-deux ans après sa création napolitaine au
Théâtre Antoine, en 1966, avec Delphine Seyrig, Sami Frey, Jean Rochefort, Jean-Pierre
Marielle, Claude Piéplu, Mary Marquet.... Ce qui l’a touché, c’est la dimension
autobiographique du texte, qui déplace le vertige propre à la manière dont Pirandello parle
habituellement du théâtre. Pour Stanislas Nordey, Pirandello n’a pas seulement écrit pour
Marta Abba ou sur elle : il a écrit Marta Abba, un peu à la manière dont Godard a pu filmer
Anna Karina.
Nordey voit dans cette pièce un portrait de femme complexe et contrasté. Histoire d’une
émancipation : la reconnaissance, pour la femme, d’un droit à penser, alors que l’homme la
renvoie sans cesse à son corps. Histoire d’une incompréhension : une mésentente profonde
et partagée sur la manière de donner du plaisir à l’autre. Histoire d’une damnation : en ce
sens, une pièce testamentaire, dont l’écho retentit dans la correspondance entre Pirandello et
Marta Abba, chant joyeux et désespéré pour la force de l’art, évocation de la suspension de
l’artiste entre ciel et terre, réflexion sur le prix à payer pour demeurer au plus haut de l’acte
artistique.
« Langue de guerre »
La question du choix entre vivre et écrire est posée ici de manière brûlante : est-il possible de
ne pas sacrifier ce qui environne une exigence artistique forte ? Toute la pièce, Pirandello sait
rester à la hauteur de cette abstraction sensible. Ce théâtre de l’âme est un théâtre de la
chair, ce théâtre du corps est un théâtre de la pensée. Toute action possible se fond dans un
travail introspectif qui devient l’action elle-même. Emmanuelle Béart parle de cette pièce
comme d’un accouchement de soi-même. Le dernier acte est celui de la délivrance. En
travaillant il y a deux ans avec Emmanuelle Béart et Vincent Dissez sur Les Justes de
Camus, Stanislas Nordey a senti qu’il pourrait monter Pirandello avec eux. Parce qu’il a senti
qu’il avait affaire à un couple de théâtre, comme il s’en rencontre, et aussi s’en perd, parfois.
Parce qu’Emmanuelle Béart est une actrice reconnue, comme Donata Genzi, et que pour elle
tous les thèmes de la pièce se sont révélés passionnants, ce qui crée une profondeur
supplémentaire pour le public. Non que le personnage ait dans les détails quoi que ce soit à
voir avec la comédienne, mais précisément parce que cette divergence crée une série de
résonances qui lui permettent de construire son personnage.
Il y a dans cette pièce, dit Stanislas Nordey, quelque chose qui saigne. Il fallait le faire
entendre, et retraduire une pièce que les traductions anciennes avaient coupée, simplifiée,
édulcorée. Jean-Paul Manganaro s’en est chargé, et il la fait encore mieux parler d’amour. Et
pourtant, pour lui, la langue de Pirandello est « une langue de guerre ».
http://www.webthea.com critique écrite par Gilles COSTAZ
Une comédienne, Donata, s’égare dans les différents personnages qu’elle joue. Elle ne sait plus qui elle est, ne
parvient ni à être une autre, ni à être dans la vie. Un amour se présente. Elle renonce à tout, et part rejoindre
cet homme. Mais sa nature d’actrice la pousse à faire le chemin inverse, à quitter cet homme et à tenter de
« se trouver » enfin dans un nouveau rôle. Ceux qui l’entourent auront, face à ce retour à la scène, chacun
leur vérité, pour reprendre le titre d’une autre pièce. Elle est étourdissante pour les uns, catastrophique pour
les autres. Mais elle, enfin, se trouvera.
Sans la nouvelle traduction de Jean-Paul Manganaro, la pièce dePirandello serait encore plus théorique qu’elle
ne paraît. Les mots sont brûlants et sensibles, bien que la structure et le défilé d’arguments continuent de
paraître prémédités, lourds et appuyés. C’est à prendre comme un moment de notre histoire du
théâtre : Pirandello réinvente la conscience du personnage de théâtre, mais il l’explique trop. Face à cela,
Stanislas Nordey met en pratique un style qui ne change guère depuis pas mal d’années : un dynamisme
certain, mais un jeu assez systématique qui impose aux acteurs de regarder le public, de faire face à la salle,
sans se tourner vers les partenaires. Cela corsète l’interprétation mais n’empêche pas Emmanuelle Béart,
Vincent Dissez et Frédéric Leigdens d’imposer une présence forte et romanesque. La scénographie
d’Emmanuel Clolus a de plus en plus d’allure, à mesure qu’elle se transforme. C’est un beau spectacle, un peu
pesant, un peu bridé, et pourtant chatoyant dans la mémoire du spectateur qui ne l’oublie pas aisément.
http://unfauteuilpourlorchestre.com Critique de Djalila Dechache
« Se trouver », un verbe que l’on ne conjuguera plus par hasard.
A y regarder de près, il y a souvent une intention d’amour sur la raison de l’existence d’un texte. Avec ce texte si peu monté, «
Se trouver » (1932) n’échappe pas à cette règle érigée en manifeste de l’art du comédien. Cette thématique évolue sur
plusieurs textes de Luigi Pirandello, de « Six personnages en quête d’auteur » (1921) aux « Géants de la montagne »
(1936).C’est pour sa muse et comédienne Marta Abba qu’il écrivit ce splendide texte au titre si évocateur et au vertige
puissant portant « sur le désir d’être dans la vie et passion de la créer ». Une diva de la scène Donata Genzi (Emmanuelle
Béart), « au summum de sa gloire »qui a tout joué, toutes les émotions et tous les drames, les passions et les larmes, qui a
vécu toutes sortes d’amour sur scène. Alors qu’elle s’éprend de l’artiste Ely (Vincent Dissez) tout en énergie vorace, qui voue
une haine pour le théâtre, elle doit choisir : se donner, et même s’adonner à l’homme, ou poursuivre sa trajectoire qui ne lui
suffit plus, toute de passions au théâtre. La vie devient alors fade si peu exaltante avec cet homme égoïste, car « il fait trop
attention à lui », elle lâche l’un pour l’autre C’est qu’il faut pouvoir tout aimer, pouvoir tout faire ! Comment ?
Une scénographie monumentale, inspirée de l’architecture constructiviste des années 30, de clinquantes toilettes de la diva
entourée de sa cour en émoi telle une châtelaine, une musique écrasante, un texte parfois daté sur des points de détail,
donnent une tonalité lourde et pesante, demandent une attention irrégulière, qui connaît des hauts et des bas.
Dans le second acte, on peut se demander pourquoi, Donata Genzi semble enlaidie et souvent vue de dos, affublée de sousvêtements qui la gainent et la mettent à nu de manière si crue ? Parce qu’elle ne se voit plus dans un miroir et qu’elle
s’enferme avec son amant, loin du regard du monde ? Et lorsqu’elle se présente « richement » habillée, elle se prend les
pieds dans sa robe, semble décoiffée tout au long de la pièce.
Emmanuelle Béart a affirmé dans la presse qu’elle a vu de véritables points communs avec Donata Genzi
Donata : « Je connais trop mon visage ; je l’ai toujours façonné, trop façonné. A présent, ça suffit ! A présent, je le
veux « mien« , tel qu’il est, sans que je le voie. »
Et encore, dans la description troublante de ressemblance qu’en a faite l’auteur lui-même, cité par Léonardo Sciascia : « Elle
est très jeune et d’une beauté merveilleuse. Cheveux fauves, bouclés. Yeux verts, longs, grands et brillants, qui parfois, dans
la passion, se troublent comme l’eau d’un lac ; parfois, dans la sérénité, s’arrêtent en regardant, limpides et doux comme une
aube lunaire ; parfois, dans la tristesse, ont la dolente opacité de la turquoise. La bouche a souvent une expression
douloureuse, comme si la vie lui donnait une amertume dédaigneuse ; mais si elle rit, elle a aussitôt une grâce lumineuse qui
semble éclairer et aviver toutes choses. ».
«Se trouver » est une magnifique pièce qui joue sur les méandres du métier de la scène et de la vie ; en 2h20mn, L.
Pirandello nous conduit dans des endroits rarement investis au théâtre et a fortiori par un rôle féminin.
En trois actes, savamment étudiés et tracés par amour d’un Pirandello poétiquement méticuleux, trois temps que l’on soit sur
scène et dans la vie, toute l’essence de la scène, l’essence de la vie est là, prête à prendre corps.
Pour se trouver, il faut se donner et se perdre. Ce n’est qu’à partir de là que l’on devient. Que l’on devient autre.
« Se trouver », un verbe que l’on ne conjuguera plus par hasard.
Stanislas Nordey a réussi une belle prouesse par l’atmosphère qui règne sur le plateau : elle nous emporte loin, dans un lieu
presque irréel où l’on se rend, consentant et prêt, pour ETRE enfin et se réaliser loin du vernis des conventions imposé et si
lourd à porter.
Luigi Pirandello (1867-1936) a reçu en 1934 le prix Nobel de littérature « pour son renouvellement hardi et ingénieux de l’art
du drame et de la scène ».Et l’on comprend aisément pourquoi.
Magazine « Rue89 » critique de JP Thibaudat le 10 mars 2012
Nordey retrouve Emmanuelle Béart et Vincent Dissez dans « Se trouver » de Pirandello
Ils n’ont cessé de parler d’elle, de Donata, celle qui s’est donnée – comme son nom l’indique – au
théâtre et à lui seul « parce qu’une comédienne n’est plus définissable comme “femme”, parce qu’elle
est une femme actrice qui “vit” sur scène et non qui “joue” dans la vie » comme dit Salo l’un de ses
amis et admirateurs.
Quand la star descend l’escalier
Ils ont chauffé la salle et la voici qui descend l’escalier là-bas, au fond du plateau. Et tous, spectateurs
et acteurs-personnages, nous la regardons. Mais qui descend l’escalier ?
Une actrice, soit, mais plus encore une star de cinéma (que nous avons vu aussi, parfois, au
théâtre) : Emmanuelle Béart. Elle n’est pas le monstre sacré du théâtre, la diva des planches à laquelle
pense Luigi Pirandello en écrivant cette pièce au titre sublime : « Se trouver ». Elle est la grande actrice
du septième art qui descend l’escalier du théâtre. C’est là la féconde ambiguïté que met en scène
Stanislas Nordey, celui qui, certains soirs, joue le rôle de Salo.
« Elle est pâle, son visage est altéré par un pli douloureux sur son étrange bouche tragique. Dans ses grands yeux, aux très
longs cils, elle a quelque chose de fragile et d’égaré. »
Le visage et son double
Pirandello décrit ainsi l’apparition de Donata. C’est vertigineux. Car c’est exactement le visage
d’Emmanuelle Béart qu’il décrit. Elle qui, naguère s’est fait refaire sa bouche et qui reconnaît que
« c’est loupé » (bel entretien avec Brigitte Salino, des répliques de la pièce en guise de questions). Elle
est elle-même l’écho à ce que Donata proclame dans la pièce :
« Je connais trop mon visage : je l’ai toujours façonné, trop façonné. A présent, ça suffit ! A présent, je le veux “mien”, tel
qu’il est, sans que je le voie. »
Pendant tout un acte de la pièce, elle ne le verra pas ce visage puisque à ce moment où de sa vie elle se
tient en retrait du monde, en compagnie de l’homme qui vient de la foudroyer, son premier homme,
dans un refuge où elle a fait supprimer tous les miroirs.
Elle n’a plus la robe du soir de parade qu’elle portait en descendant l’escalier, elle est revêtue d’une
atroce chose mi-guêpière, mi-mini nuisette, qui ne cache pas ses formes. Elle est là face à un homme
entier qui la veut entière et auquel elle se donne telle qu’elle est puisque qu’il ne l’a jamais vu jouer.
Qui est cet homme ?
L’acteur qui habite le théâtre
C’est Ely. Un orphelin (élevé par un oncle richissime) qui ne se supporte que lorsqu’il affronte le
danger d’une mer insensée. C’est aussi un peintre, un artiste donc, comme elle, mais le contraire
d’elle : il ne peint pas ce qu’il voudrait et il se fiche de tout cela devant « l’émerveillement » qu’est
Donata.
Cet homme c’est aussi Vincent Dissez. Un grand acteur de théâtre. Elève au Conservatoire National
Supérieur de Paris il suivait parallèlement les ateliers de Didier-Georges Gabily. Au sortir de l’école, il
intégra le groupe T’chan’G fondé et dirigé par Gabily, et en reste – comme tous ses membres –
marqué à jamais. Dissez a tourné quelques films mais c’est d’abord un habitant du théâtre.
Et là, la mise en scène de Stanislas Nordey redouble de malice post pirandellienne puisque cet acteur
de théâtre, en tenant le rôle d’Ely, interprète un personnage qui n’a de cesse de dire sa haine, son
exécration du théâtre allant jusqu’à demander à Donata à la fois de l’épouser et de rompre tous ses
engagements.
Quand Donata finit par voir son visage dans un miroir, elle ne le reconnaît pas – superbe moment de
mise en scène qui donne à voir au public ce regard qui se regarde dans un silence intense. Et tout
bascule.
L’actrice et son public
Donata femme redevenue actrice jouera devant son public. Ely ne le supportera pas, quittera la salle,
partira. Il se sent trahi, sali. Quant à Donata, tant qu’Ely est là dans la salle à la regarder, elle est
exécrable, quand il s’en va, elle redevient la grande Donata et le public la retrouve. Mais cela on ne le
voit pas. Cela nous est rapporté par ces témoins que sont les amis de l’actrice. Cette magie-là du
théâtre, ces liens secrets qu’une actrice ou un acteur entretien avec le public, reste en coulisses
comme les meurtres dans la tragédie classique.
C’est en dirigeant pour la première fois Béart et Dissez dans « Les justes » de Camus (pièce où il n’y a
aucun protagoniste) que Stanislas Nordey a eu envie de les mettre face à face. Et il a songé à « Se
trouver » de Pirandello, pièce qui l’intriguait depuis qu’il avait lu que Claude Régy l’avait montée en
1966 au théâtre Antoine avec Delphine Seyrig dans le rôle de Donata.
De fait, c’est la pièce traitant du théâtre la plus nue, la plus dépouillée de Pirandello, celle qui pousse
l’introspection de l’être acteur le plus loin. Le théâtre, ce lieu où il faut se perdre pour espérer trouver
et se trouver, où l’acteur, même entouré, même quand il cherche une bouée de sauvetage dans les
yeux de son partenaire, est seul, épouvantablement et merveilleusement seul, dès lors qu’il ne pactise
pas avec tous les faux semblants, les trucs du métier. Ni Béart, ni Dissez ne pactisent. Ils jouent au
bord du vide.
Une nouvelle traduction salutaire
Il faut ici saluer la force de la nouvelle traduction de Jean-Paul Manganaro, non que celle de Michel
Arnaud (qui figure dans le « théâtre complet » de la Pléiade paru en 1985) soit mauvaise, mais elle
accuse les ans comme toute traduction. Celle de Manganaro aujourd’hui lui offre une âpreté obscure
et une violence sèche qui font mouche. Dans un texte fiévreux (publié avec la pièce et fifurant dans le
programme), Manganaro parlant de l’écriture du sicilien dit :
« C’est tout un art du fleuret, de l’escrime, où la langue devient une arme blessante, mortelle. »
Et poursuit :
« C’est cela qu’il fallait traduire […] laisser à la construction de Pirandello qui peut paraître déroutante, sa brûlure constante et
sa brutalité. »
L’essentiel est dans la jouissance où le dire et vivre copulent dans un même geste, c’est le sens du
dernier monologue de Donata, où tout se mêle, s’emmêle dans les visions, et nous embobine
jusqu’aux derniers mots comme revenus d’un songe :
« Et cela est vrai…et rien n’est vrai…seul est vrai qu’il faut se créer, créer ! Et alors, seulement on se trouve. »
Une pièce des années 30
Si Emmanuelle Béart joue remarquablement la femme de plus en plus affirmée et cinglante qu’est
Donata, elle peine plus à incarner « la grande actrice de théâtre », mais peut-être est-ce là le
jugement du spectateur que je suis et qui a vu tout à l’heure une star du cinéma descendre l’escalier.
Cette dernière en revanche (la star de cinéma), venue d’ailleurs, lui offre une fragilité de tous les
instants (bien que versant hélas dans le larmoyant le soir de la première parisienne), une belle
incertitude qui sied à son personnage. Dissez est cinglant et emporté comme il se doit, un bloc
inentamable. C’est là sa force et sa limite.
Il y a bien d’autres personnages dans la pièce, tous bien typés. Tous bien interprétés, mais ils sont
souvent là comme en carafe. C’est la construction bancale de la pièce qui veut cela : ils ne sont là que
pour parler de Donata et d’Ely, ou relancer leurs répliques. C’est là où la pièce fait montre d’artères
qui, avec le temps, deviennent mal irriguées. Si Donata et Ely, personnages excessifs, n’ont pas vieilli
depuis les années 30, on ne peut pas en dire autant des autres personnages.
Tout se passe alors comme si ce spectacle se souvenait d’autres spectacles (tout comme la pièce se
souvient de « La dame de la mer » d’Ibsen) dont il ne reste que des images qui ont fait rêver Nordey
(c’est le sens du décor – Emmanuel Clolus – qui est à la fois un espace référentiel et un espace
concret qui renvoie l’être humain à sa petitesse dans l’univers, mais comme tout cela est lourd !). Le
premier acte où l’on attend si longtemps Donata, m’a paru relever d’une esthétique théâtrale
surannée (décors, jeu, costumes, écriture). On a parfois l’impression que Nordey s’offre un revival
d’un théâtre qui n’est plus et dont sa mère (présente en scène) fut encore le témoin, comme s’il avait
besoin de plonger dans le registre d’un théâtre du temps passé pour mieux foncer, comme il sait si
bien le faire, dans les écritures d’aujourd’hui. Ainsi « Tristesse animal noir », la pièce de la jeune
allemande Anja Hilling qu’il mettra en scène la saison prochaine.
http://www.etat-critique.com critique de Armand GIRARDIN
Se perdre / Se trouver
Pas judicieux de ne prendre aucune note pendant une pièce de théâtre. Encore moins de rédiger l’article dix
jours après. Toute spontanéité a disparu. Mes impressions, comme les arômes d’un plat réchauffé, auront-t-ils
eu le temps de se fixer ? Mais j’ai acheté le texte et ma paresse par la même occasion, au stand du théâtre
de la Colline. Remettons à plus tard. Les meilleurs passages des chroniques sont souvent les extraits. N’est
pas Luigi Pirandello qui veut: prix Nobel de littérature en 1934. Ici par exemple, acte II :
« (…) nous sommes une misérable dégénérescence dérivée de l’être, restés, à un moment donné, sur le
solide, à sec. Oui, oui ! c’est la vérité, crois-moi ! Je l’ai compris en un éclair un jour, dans un aquarium, en
retrouvant dans l’aspect de chaque poisson les traits, les expressions de beaucoup de visages humains de ma
connaissance. La marquise Boveno, famille des tanches ; mon oncle, famille des rascasses… »
L’histoire. L’héroïne est une comédienne interprétée par l’émouvante Emmanuelle Béart. Divisée entre les
rôles qu’elle tient au théâtre et celui qu’elle devrait (ou pas) tenir dans sa vie, elle souffre moralement. Cela
dit, elle noue une passion amoureuse avec un jeune homme incandescent, assez musclé, souvent torse nu et
capable de superbes envolées. Voir l’échantillon en italique ci-dessus.
La mise en scène n’est pas particulièrement ambitieuse. Les décors sont grands dans ce grand théâtre aux
gradins en pente raide. J’étais assis très en hauteur, comme juché sur un immense escabeau. Je voyais, de
loin, les acteurs se débattre avec un texte d’une rare densité, retraçant le cheminement, circulaire, sinueux,
d’une pensée qui s’élabore et se précise concomitamment. Par moment se débattaient-t-il avec des pensées
plus grandes qu’eux ?
Emmanuelle Béart m’a rappelé Gena Rowlands dansOpening nights, qui joue une actrice en butte avec sa
conscience. Se trouver (1932) traite en profondeur du thème aujourd’hui souvent abordé, avec plus ou moins
de bonheur, du partage entre vie et représentations : ex. Le dernier métro, La nuit américaine, La tournée des
grands ducs, Le bal des actrices, etc.
Pourquoi les grands interprètes, sortis de la scène ou du plateau de tournage, ont-t-il cet air égaré ?
Auraient-ils perdu contact avec eux-mêmes? Le choix d’Emmanuelle Béart en rôle principal de cette pièce,
c’est magnifique.
http://neigeautheatre.blogspot.fr
"Se trouver" est une oeuvre importante de Pirandello : cette pièce met en scène une comédienne, prise entre les réalités de
son métier et ses désirs de vie. C'est un texte très dense et qui oscille entre accessibilité et obscurité. D'un côté des
conversations ordinaires sur le thème être actrice et "jouer" ou "vivre" ses rôles, ressentir ou non les émotions des
personnages, le défi de se "trouver" soi-même parmi le foisonnement des compositions. D'un autre côté des réflexions
intenses partagées entre cette actrice et celui qui tentera de la faire exister en dehors de son art : son amour Ely. Ce thème
autant philosophique qu'artistique est qui est sans doute à débattre à l'infini et à vivre d'autant de manières qu'il y a d'hommes,
n'en est pas moins passionnant. Où sommes-nous quand on créée et "qui" créée finalement ? Et bien entendu comment se
trouver dans tout cela, soi et par rapport aux autres ?
Donata la comédienne (littéralement "Donnée") traverse cette recherche au cours de la pièce. Celle qui se donne entièrement
à son art, à ne plus s'appartenir, ne plus avoir de vie à elle, être un objet pour les autres, une image... tente soudainement
d'exister lorsqu'elle rencontre Ely, artiste peintre, libre et sans attache. Seulement celui-ci refusera son don au théâtre et
souhaitera qu'elle se donne à lui. Ici la réflexion philosophique de l'art se confronte à la sociologie, comment une femme peutelle s'émanciper (années 30, années du texte) et à la psychologie plus largement, comment exister aussi dans l'amour d'un
autre ? L'amour, que cela soit d'un art ou d'un autre, rend-il libre ou aliène-t-il ?
Autant de pistes, d'envie de se triturer les méninges, à la manière d'une introspection artistique, font que l'on peut regarder la
pièce en réfléchissant. Et cela comporte les défauts de ses qualités... On décroche parfois, surtout lorsque le texte devient
tortueux. Du reste l'interprétation est excellente, Emmanuelle Béart correspond très bien au rôle, elle est juste dans son jeu, et
la mise en scène de Stanislas Nordey, toute en frontalité comme souvent, est grandiloquente et élégante. C'est propre et
presque scolaire, j'ai personnellement regretté le manque de "corps". Même si Vincent Dissez tente d'en donner et si
Emmanuelle Béart est une actrice charnelle, le tout reste très intellectuel. Je m'étonne car je trouve que Stanislas Nordey est
un comédien physique et qui n'hésite pas à recruter des comédiens qui le sont aussi (notamment Laurent Sauvage...) mais ici
il fige le tout, comme s'il craignait que le propos ne se disperse et qu'il voulait nous concentrer sur les mots. Cela fonctionne et
cela permet en effet de bien entendre l'auteur. Mais pour une pièce comme celle là, où il est tant question de vivre dans son
corps, de désirer, de vouloir posséder l'autre, et même qui tente parfois des audaces sensuelles dans les mots, je trouve que
c'est resté trop cérébral. C'est une frustration plus qu'une véritable critique, une envie que le travail de Nordey se "salisse" un
peu, et qu'il devienne alors assez incontournable.
A voir pour l'efficacité.
Sur http://www.evene.fr critique de Patrick SOURD
Remettant sur le métier le fameux ‘Paradoxe sur le comédien’ cher à Diderot, Luigi Pirandello
se questionne dans ‘Se trouver’ (1932) sur la nature profonde de l’acteur en prenant pour
sujet d’étude une certaine Donata Genzi. Une comédienne adulée, capable d’incarner avec
une grande vérité des situations et des rôles forcément étrangers à ce qu’elle a pu
expérimenter dans la vie. À travers la figure de Donata Genzi, Pirandello tire le portrait de
Marta Abba, une comédienne avec laquelle il vit une liaison passionnée à l’époque où il écrit
la pièce. Et l’auteur de ‘Six personnages en quête d’auteur’ agit en jaloux qui sait, comme le
garde barrière, qu’un train peut en cacher en autre. Le débat proposé par Diderot n’est ici
qu’un prétexte et le voici dévidant sa pelote pour poser la seule question qui le taraude : Celle
qui sur la scène parvient si bien à donner le change peut-elle être sincère dans la vie ?
Certains reprocheront à Stanislas Nordey la rigidité formelle d’une mise en scène qui plonge
la légèreté du propos de Pirandello dans le cérémonial empesé d’une tragédie grecque. Pour
sa défense, on objectera que sans l’ingratitude de la coquille de l’huître, la découverte d’une
perle semblerait un miracle moins précieux. Et ce miracle a pour nom Emmanuelle Béart.
Sublime dans son incarnation de Donata Genzi, celle que le cinéma a consacrée s’avère
aussi une magnifique comédienne quand il s’agit de monter sur les planches. Autant dire que
l’effet de réalisme fonctionne à plein et que le rôle lui va comme un gant. Emmanuelle Béart
nous offre un grand moment de théâtre. Et si l’on se moque un peu des enjeux de la pièce,
c’est pour mieux savourer les formidables apparitions d’une star plus talentueuse et belle que
jamais.
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