ZOOMS SUR
INTERVIEW DE YAN DUYVENDAK ET D'OMAR GHAYATT
PROPOS RECUEILLIS PAR BRUNO TACKELS
Pouvez-vous décrire en quelques mots votre univers, en faire un
portrait instantané ?
YD : C'est la rencontre entre le Proche-Orient et l'Occident, et à partir de
là entre Omar et moi. C'est un peu la ligne de force de la pièce.
OG : L' important n'est pas d'être unique, il est possible d'être différent.
Ce qui compte, c'est de se rencontrer et de survivre à cette rencontre.
YD : Il dit cela parce que cela fait deux ans que nous travaillons sur ce
spectacle et nous avons eu beaucoup de conflits qui ont été digérés
dans la pièce.
Des conflits entre vous ?
YD : Oui. L'effort que nous avons fait l'un vers l'autre se sent dans la
pièce et ça marche. Nous avons essayé de transgresser des limites, des
frontières et ça, c'est beau.
Vous avez transgressé votre identité, des préjugés. Quel type de
conflit entre vous, par exemple?
OG : Tout dans la vie peut paraître conflictuel, mais en même temps la
différence crée la pluralité et donc la richesse. Même manger ensemble
peut être conflictuel.
YD : Omar n'aime pas la cuisine européenne, et moi je n'aime pas la cui-
sine égyptienne. Pour manger ensemble, c'est toujours un peu conflic-
tuel. De plus, nous avons un interprète marocain qui n'aime pas non
plus la cuisine égyptienne.
Les problèmes de cuisine et les problèmes de conflits, c'est tout
l'art de la scène. La scène est un agon de signes.
YD : Oui. Nous avons donc utilisé ces conflits dans la pièce. On les met à
plat. Nous sommes sur scène avec les gens autour de nous, il n'y a pas
de distance, pas de différence. Nous sommes tous dans ce bateau : la
rencontre Proche-Orient et Occident. L'Islam contre la société post-chré-
tienne capitaliste. C’est cette rencontre-là qu’on essaie tangiblement de
mettre en place.
La différence entre la société égyptienne et la société française est
que chez vous, la religion prend une place dans la politique alors
EDITO
APRÈS UN WEEK-END DE HAUTE ACTIVITÉ
Le Festival Hybrides2 a démarré ce week-end en beauté, humour et
profondeur. Un florilège de spectacles aux formes très variées, mais
qui mobilisent le public, jusqu’à en faire l’acteur principal, dans « Do-
mini Públic », la performance du catalan Roger Bernart. A minuit sur
un parking désert de Saint Jean de Védas, devant le Chai du Terral, cin-
quante spectateurs, casques sur les oreilles, se sont embarqués dans
un grand voyage collectif, sous forme de jeu de rôles, basé sur des
questions qui appellent des réponses sous forme d’actions concrètes.
Derrière l’apparence du « jeu », chaque spectateur s’enfonce peu à peu
dans un univers beaucoup plus intime, qui laisse forcément des traces.
Dimanche midi, la performance a été reprise en plein soleil sur la Place
de la Comédie.
Au Chai du Terral, sept compagnies (Hors commerce, Yann Lheureux,
Vertigo, Adesso e Sempre, La Maison Théâtre, Zépétra, A la Barak) ont
rassemblé les participants de leurs ateliers amateurs pour une large
performance en plein air. Dans le hall, Claire Engel présentait « Making
up », une installation vidéo qui met en scène une femme violentée, qui
se reconstruit par les images et les sons; et Thierry Duval investissait
le bar avec un dispositif intitulé « Belgrade », à partir d’un texte d’An-
gélica Lidell, qui met en scène deux journalistes dans la capitale serbe,
le jour des funérailles de Milosevic.
La compagnie Adesso e Sempre, entouré de différents artistes invités
au Festival, reprenait quant à elle le travail engagé à la Chartreuse de
Villeneuve lez Avignon, lors de la Sonde 03#10 flux et satellites. « CNN
Montpellier » est une forme de « journal théâtral », qui s’empare des
événements de l’actualité (ici le tremblement de terre en Haïti au mois
de janvier 2010), pour en faire une sorte de « contre-information », mo-
bilisant tous les moyens de la scène. Et enfin, durant tout le week-end,
le performeur Oskar Gomez Mata investissait le Centre chorégraphique
avec « Optimistic vs Pessimistic », un spectacle de « théâtre libre », qui
lui aussi met le public à rude épreuve ! Mais on y prend beaucoup de
plaisir.
C’est un trait récurrent de la programmation : Hybrides met les spec-
tateurs en scène et à l’honneur. Le journal EMPREINTE n’est pas en
reste, puisque nous convions tous ceux qui le souhaitent à participer
à la fabrication des numéros du journal. Dans ce premier numéro de
la semaine, Omar Ghayatt et Yan Duyvendak prolongent le dialogue
intense qu’ils tissent depuis deux ans entre leurs deux cultures, eu-
ropéenne et proche-orientale— un dialogue souvent conflictuel qui a
donné forme à leur spectacle, « Made in Paradise », que nous verrons
ce soir à la Chapelle. La compagnie italienne Motus, très attendue à
Montpellier, revient avec deux spectacles nés de la figure incandes-
cente d’Antigone. Nous y reviendrons dans un prochain numéro.
Outre les sensations de spectateurs, nous publions une synthèse de la
conférence que Christian Ruby a donné au Musée Fabre, à l’invitation
du Fonds Régional d’Art Contemporain. Là encore, il est question de la
position singulière de ceux qui observent les œuvres d’art. Un regard
précieux sur l’histoire de l’art, qui montre que chaque époque fabrique
un type de spectateur différent, qui exerce un regard particulier sur le
monde.
Bruno Tackels
2