Une guerre souterraine contre Louis XIV. L`Espagne, la Hollande et

Mélanges de la Casa de
Velázquez
42-2 (2012)
Género, sexo y nación: representaciones y prácticas políticas en España (siglos xix-xx)
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Charles-Édouard Levillain
Une guerre souterraine contre Louis
XIV. L’Espagne, la Hollande et les
projets de révolte de 1674
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Charles-Édouard Levillain, «Une guerre souterraine contre Louis XIV. L’Espagne, la Hollande et les projets de révolte
de 1674», Mélanges de la Casa de Velázquez [En ligne], 42-2|2012, mis en ligne le 15 novembre 2014, consulté le
09 juin 2014. URL: http://mcv.revues.org/4682
Éditeur : Casa de Velázquez
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© Casa de Velázquez
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Une guerre souterraine
contre Louis XIV
L’Espagne, la Hollande
et les projets de révolte de 1674
Charles-Édouard Levillain
Université Paris VII
Mélanges de la Casa de Velázquez. Nouvelle série, 42 (2), 2012, pp. 201-223. ISSN : 0076-230X. © Casa de Velázquez.
De l’année 1674, il est coutume de retenir, d’un point de vue français, au
moins deux événements : la prise de la Franche-Comté et la révolte avortée
de Normandie. Deux événements qui permettent généralement de conforter
l’image établie d’un royaume pacifié par la force, solide à l’intérieur, puissant
à l’extérieur. Les révoltes de 1674-1675 suscitent depuis longtemps la curiosité
des historiens, que ce soit la révolte de Normandie (1674), la révolte de Bre-
tagne (1675) ou celle de Bordeaux (1675)1. Rares sont les études, cependant,
à tenter de les inscrire dans un contexte international2. Pour l’essentiel, l’his-
toriographie existante envisage les révoltes de 1674-1675 dans un contexte
franco-français, sur le fondement de sources exclusivement françaises3.
Le paradoxe veut que ces projets de révolte qualifiés par Claude Michaud,
dans une recension de 1979, « d’affaires menues et de peu de portées4 » en
raison de l’absence de passage à l’acte et du faible nombre de personnes
1 Le meilleur ouvrage sur les révoltes de Louis XIV reste celui de Malettke, 1976. Pour une
synthèse en français, Malettke, 1996. Sur le contexte général des révoltes du xviie siècle, voir
l’ouvrage indispensable de Bercé, 1974. De même Nicolas, 2002. Sur la révolte de Bretagne,
Cornette, 2005, t. I, chap. xxxii passim, et Aubert, 2010. Pour la révolte de Bordeaux, Loirette,
1978. Sur les révoltes de Provence, Pillorget, 1975.
2 Pour une exception récente, voir Levillain, 2010 a. Pour la révolte de Bretagne, Bérenger, 1975.
3 Les recherches nécessaires à la rédaction de cet article ont été effectuées dans le cadre d’une
bourse postdoctorale de la Casa de Velázquez au printemps 2011. Je tiens à remercier le directeur,
Jean-Pierre Étienvre, le directeur des études, Stéphane Michonneau, ainsi que Flora Lorente pour
leur précieuse assistance au cours de mon séjour. Je tiens aussi à remercier mon collègue Manuel
Herrero Sánchez et Isabel Aguirre, des Archives générales de Simancas, pour leurs bons conseils.
Que Cécile d’Antin soit remerciée pour sa relecture attentive. De même souhaiterais-je remercier les
deux lecteurs anonymes de la première version de cet article. Gauthier Aubert m’a très aimablement
communiqué des documents auxquels je n’ai pas accès depuis Bruxelles. En l’absence de règle claire,
l’expression « États Généraux » entraîne souvent des confusions orthographiques. Nous avons opté
pour la règle suivante : « États-Généraux » lorsqu’il s’agit des Provinces-Unies, « États généraux »
lorsqu’il s’agit de la France.
4 C. Michaud, dans Annales. Histoire, Sciences sociales, 34 (4), 1979, p. 802.
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impliquées — tout au plus 300 personnes pour l’ensemble des provinces
françaises — aient suscité une documentation considérable dans plusieurs
pays, que ce soit en Espagne, en France ou en Hollande. De là, sans doute,
un débat historiographique qui se poursuit depuis celui qui opposa Roland
Mousnier à Boris Porchnev au cours des années 19605 : d’un côté, le modèle
d’une révolte nobiliaire, ensuite appliqué par Klaus Malettke aux révoltes
avortées de 1674-1675 ; de l’autre, celui de révoltes populaires, envisagées par
Porchnev à l’intérieur du cadre plus large d’une lutte des classes qui aurait
préparé l’avènement de la Révolution française.
La présente étude propose une analyse décentrée des révoltes de 1674
en renversant la perspective traditionnelle et en envisageant le problème
d’un point de vue hispano-néerlandais. Il s’agira donc d’une contribution
à ce que Manuel Herrero Sánchez, dans un ouvrage très novateur, a appelé
« le rapprochement hispano-néerlandais6 ». Les sources néerlandaises trai-
tant des événements de 1674 se trouvent essentiellement dans les archives
du Grand Pensionnaire Fagel et elles ont déjà été utilisées. En revanche,
il existe de nombreux documents aujourd’hui conservés dans les Archives
générales de Simancas qui restent mal connus et qui permettent de jeter un
regard nouveau sur le rôle joué par l’Espagne dans la lutte contre la France.
Klaus Malettke s’est appuyé sur la correspondance Monterrey (le gouver-
neur général des Pays-Bas espagnols), aujourd’hui répartie entre Bruxelles
et Simancas, mais son enquête par ailleurs remarquable souffre de deux
limites : d’une part, une liasse importante a été laissée de côté, restant donc
à ce jour inutilisée7 ; d’autre part, l’attention du grand historien allemand
se concentre sur la France, ne laissant pas entrevoir la manière dont les évé-
nements de 1674 ont été vécus par la couronne d’Espagne. C’est en ce sens
que notre étude accordera toute la place qu’elles méritent aux consultes du
Conseil d’État.
L’équilibre des grandes puissances en 1674
D’un point de vue anglo-néerlandais, la question ne fait pas de doute : le
héros de la lutte anti-française, à partir des années 1672-1673, fut Guillaume III
d’Orange. Il est frappant de constater que la belle synthèse publiée à l’issue des
célébrations du tricentenaire de la mort de Guillaume III ne contient pas un seul
article sur l’Espagne8. Soyons clairs : dans une perspective anglo-néerlandaise,
l’image d’une Espagne impuissante continue à dominer la compréhension des
événements des années 1670. Comme l’écrivait l’ambassadeur britannique Sir
5 Porchnev, 1972 ; Mousnier, 1968.
6 Herrero Sánchez, 2000. On se reportera également à l’ouvrage de Salinas, 1989 et à la thèse
inédite de Collantes, 1989.
7 AGS, Estado K 1664, Francía 1667-1675, D.23.
8 Mijers et Onnekink (éd.), 2007.
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William Temple en 1674, « leur gouvernement est tellement brisé par les fac-
tions ministérielles sous la minorité de leur roi qu’ils se trouvent incapables de
toute action d’envergure dans le monde9 ». C’est comme si, au fond, la débilité
physique et mentale du jeune roi très catholique reflétait l’effritement, pour ne
pas dire l’effondrement de la monarchie espagnole.
Ce constat d’impuissance demande à être nuancé à l’aune d’une lec-
ture plus précise des événements de 1674. De toute évidence, la perte de
la Franche-Comté, généreusement célébrée par la propagande française10,
constitua un revers important pour la monarchie espagnole, faisant tomber
dans l’escarcelle de Louis XIV une portion de l’ancien héritage de Charles
Quint. La percée de la France vers les frontières de l’Empire se faisait plus
pressante. D’un autre côté, les archives relatives aux révoltes de 1674 montrent
que l’Espagne participa activement à l’organisation, à la coordination et au
financement de cette guerre souterraine menée contre Louis XIV : non pas
seulement en Normandie, mais aussi en Guyenne, Languedoc, Provence et
Roussillon, plus proches des frontières naturelles de l’Espagne.
Il n’est donc pas exclu de parler d’une « résilience » de la monarchie
espagnole en matière internationale11. Dès le début du règne de Louis XIV,
l’Espagne se distingua par une remarquable capacité à cultiver ses réseaux
d’espionnage et de renseignement12. La création d’une ambassade d’Espagne
à La Haye au lendemain de la paix de Münster (1648) y contribua largement
en Europe du Nord-Ouest. L’espoir que nourrissait la régence espagnole, aux
côtés de Guillaume III, était de susciter en France un large soulèvement qui
déstabilisât Louis XIV, l’obligeant, d’une part, à reconnaître des privilèges aux
insurgés et, d’autre part, à négocier une paix favorable aux Impériaux. L’Es-
pagne, en réalité, jouait, à défaut de puissance militaire, un rôle de jonction
qui se justifiait par sa présence dans les Flandres : à la fois avec l’empereur
Léopold Ier — solidarité dynastique obligeait — et les puissances du Nord,
que ce soit les Provinces-Unies ou l’Angleterre de Charles II.
Les années 1674-1675 marquèrent une inflexion importante dans la guerre
de Hollande. Après avoir concentré ses efforts contre les Provinces-Unies en
1672-1673, Louis XIV en retira progressivement ses troupes, ne gardant que la
forteresse de Grave sur la Meuse. Une puissante coalition s’était formée contre
la France, réunissant la Hollande, le Brandebourg, l’Autriche et l’Espagne.
9 TBL, OSB-MSS-FILES T, Archives Sir William Temple, Folder 14923, Temple à Danby, 26-X-
1674, s.f. Ambassadeur d’Angleterre auprès des États-Généraux de 1668 à 1670 et auteur des célèbres
Observations sur les Provinces-Unies des Pays-Bas (1672), Temple retrouva son poste à La Haye après
la signature de la paix de Westminster (1674) entre l’Angleterre et la Hollande.
10 AGS, Estado 2126, 13-VI-1674, Prise de Dole, 49. Pour une bonne analyse de ce moment
important des guerres de Louis XIV, voir Gresset et Debard, 1978 et, plus récemment, Dee, 2009,
chap. i passim.
11 Storrs, 2006.
12 Stradling, 1972. Il s’agissait, à Londres, de contrer les effets du rapprochement anglo-
portugais provoqué par le mariage de Charles II d’Angleterre avec Catherine de Bragance en 1662.
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L’un des aspects les plus remarquables de cette coalition anti-française était
le « rapprochement » entre l’Espagne et les Provinces-Unies, deux puissances
dont la longue lutte n’avait cessé que vingt-cinq ans plus tôt avec la signa-
ture de la paix de Münster (1648). C’est une alliance qui, d’un point de vue
confessionnel, n’avait rien d’évident mais qui, depuis la guerre de Dévolution
(1667-1668), se justifiait par « l’extrême nécessité dans laquelle se trouvaient
les Pays-Bas espagnols ». Entre deux maux, avait observé le père Nithard dans
une consulte du Conseil d’État en 1667, il valait mieux choisir le moindre13. Le
rapprochement hispano-néerlandais pouvait néanmoins être hypothéqué par
des problèmes pratiques comme les « actions » des « armateurs d’Ostende »
contre les navires britanniques et néerlandais, dont le Grand Pensionnaire
Fagel se plaignit à Monterrey en août 1674 : des actions de piraterie, à n’en
pas douter, qui entravaient le commerce de l’Angleterre et de la Hollande14.
De son côté, l’Angleterre balançait entre plusieurs positions : d’une part
celle du roi Charles II et du « parti de la Cour », favorable à une poursuite de
l’amitié avec la France et, de l’autre, celle du Parlement et du « parti du Pays »,
favorable au contraire à un rapprochement avec Guillaume d’Orange. Bon
connaisseur de l’Angleterre, l’ambassadeur espagnol le marquis de Fresno
observait que seule la pression du Parlement et la crainte d’un « soulèvement
populaire » pouvaient détacher Charles II de Louis XIV. C’est effectivement ce
qui obligea le roi d’Angleterre à se désengager de l’alliance française contrac-
tée en 1670 et à signer la paix de Westminster en 167415.
C’est donc une puissante coalition qui s’était formée contre Louis XIV. En
envahissant la Franche-Comté au cours d’une campagne victorieuse de six
semaines, le roi de France se recentrait sur l’essentiel : les possessions terri-
toriales de l’Espagne ennemie. Sur le front mouvant des Pays-Bas espagnols,
ses ennemis ne lui laissaient aucun répit. Les Hollandais attaquèrent Grave
et Maastricht tandis que les Espagnols portèrent les armes vers Charleroi. En
août 1674 eut lieu la bataille de Seneffe : bataille sanglante, à moins de cin-
quante kilomètres de Bruxelles, dont l’issue indécise laissa le loisir à chaque
camp de s’arroger la victoire. Ambassadeur d’Espagne à La Haye, Manuel
de Lira ne ménagea ni compliments ni flatteries pour féliciter Guillaume
d’Orange, tout en attirant l’attention du stathouder sur les lourdes menaces
que des débordements populaires faisaient peser sur la résidence de l’am-
bassade d’Espagne16. Guillaume III dut écrire une lettre circonstanciée pour
s’excuser17. Derrière le rapprochement de 1673 persistaient des fissures qui
renvoyaient à la mémoire longue de la révolte contre l’Espagne.
13 AHN, Estado 1730, Holanda, Consulte du Conseil d’État, 21-XII-1667, s.f.
14 AGR, T 100/299, Fagel à Monterrey, 10-VIII-1674, s.f.
15 AGS, Estado 2123, Fresno à Monterrey, 21-VII-1673, 162, s.f. Même constat chez le publiciste
franc-comtois François-Paul de Lisola : AGR, T 100/582, Lisola à Monterrey, s.d., mais 1674, s.f.
16 AGS, Estado 8625/2, Ambassade d’Espagne à La Haye, Lira à Guillaume III, 19-VIII-1674, s.f.
17 Ibid., Guillaume III à Lira, s.d., s.f.
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