Mélanges de la Casa de Velázquez. Nouvelle série, 42 (2), 2012, pp. 201-223. ISSN : 0076-230X. © Casa de Velázquez.
charles-édouard levillain une guerre souterraine contre louis xiv
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William Temple en 1674, « leur gouvernement est tellement brisé par les fac-
tions ministérielles sous la minorité de leur roi qu’ils se trouvent incapables de
toute action d’envergure dans le monde9 ». C’est comme si, au fond, la débilité
physique et mentale du jeune roi très catholique reflétait l’effritement, pour ne
pas dire l’effondrement de la monarchie espagnole.
Ce constat d’impuissance demande à être nuancé à l’aune d’une lec-
ture plus précise des événements de 1674. De toute évidence, la perte de
la Franche-Comté, généreusement célébrée par la propagande française10,
constitua un revers important pour la monarchie espagnole, faisant tomber
dans l’escarcelle de Louis XIV une portion de l’ancien héritage de Charles
Quint. La percée de la France vers les frontières de l’Empire se faisait plus
pressante. D’un autre côté, les archives relatives aux révoltes de 1674 montrent
que l’Espagne participa activement à l’organisation, à la coordination et au
financement de cette guerre souterraine menée contre Louis XIV : non pas
seulement en Normandie, mais aussi en Guyenne, Languedoc, Provence et
Roussillon, plus proches des frontières naturelles de l’Espagne.
Il n’est donc pas exclu de parler d’une « résilience » de la monarchie
espagnole en matière internationale11. Dès le début du règne de Louis XIV,
l’Espagne se distingua par une remarquable capacité à cultiver ses réseaux
d’espionnage et de renseignement12. La création d’une ambassade d’Espagne
à La Haye au lendemain de la paix de Münster (1648) y contribua largement
en Europe du Nord-Ouest. L’espoir que nourrissait la régence espagnole, aux
côtés de Guillaume III, était de susciter en France un large soulèvement qui
déstabilisât Louis XIV, l’obligeant, d’une part, à reconnaître des privilèges aux
insurgés et, d’autre part, à négocier une paix favorable aux Impériaux. L’Es-
pagne, en réalité, jouait, à défaut de puissance militaire, un rôle de jonction
qui se justifiait par sa présence dans les Flandres : à la fois avec l’empereur
Léopold Ier — solidarité dynastique obligeait — et les puissances du Nord,
que ce soit les Provinces-Unies ou l’Angleterre de Charles II.
Les années 1674-1675 marquèrent une inflexion importante dans la guerre
de Hollande. Après avoir concentré ses efforts contre les Provinces-Unies en
1672-1673, Louis XIV en retira progressivement ses troupes, ne gardant que la
forteresse de Grave sur la Meuse. Une puissante coalition s’était formée contre
la France, réunissant la Hollande, le Brandebourg, l’Autriche et l’Espagne.
9 TBL, OSB-MSS-FILES T, Archives Sir William Temple, Folder 14923, Temple à Danby, 26-X-
1674, s.f. Ambassadeur d’Angleterre auprès des États-Généraux de 1668 à 1670 et auteur des célèbres
Observations sur les Provinces-Unies des Pays-Bas (1672), Temple retrouva son poste à La Haye après
la signature de la paix de Westminster (1674) entre l’Angleterre et la Hollande.
10 AGS, Estado 2126, 13-VI-1674, Prise de Dole, 49. Pour une bonne analyse de ce moment
important des guerres de Louis XIV, voir Gresset et Debard, 1978 et, plus récemment, Dee, 2009,
chap. i passim.
11 Storrs, 2006.
12 Stradling, 1972. Il s’agissait, à Londres, de contrer les effets du rapprochement anglo-
portugais provoqué par le mariage de Charles II d’Angleterre avec Catherine de Bragance en 1662.