Génocidedes Arméniens Charnier d’Arméniens immolés par le feu, découvert par l’armée russe dans une grange du village d’Ali Zonan (province de Mouch, est de la Turquie), en 1915. FONDS ARAM Cent ans d’un drame occulté D’abord considéré comme un simple chapitre de la première guerre mondiale, nié par les autorités turques, le génocide de 1,5 million d’Arméniens par l’Empire ottoman a été injustement passé sous silence L es arrestations ont commencé au soir du 24 avril 1915, à Constantinople. Sur ordre de Talaat Pacha, le tout-puissant ministre de l’intérieur ottoman, 250 intellectuels arméniens sont faits prisonniers. Des ecclésiastiques, des avocats, des professeurs, des journalistes et même quelques députés. La capture de ces hommes faisait partie d’un plan établi, minutieusement élaboré, un mois plus tôt, par plusieurs responsables du Comité union et progrès, la branche politique des JeunesTurcs, et visant à décapiter une des plus importantes minorités de l’empire pour mieux entreprendre sa déportation, préalable à son extermination. Deux mois plus tôt, les 120 000 soldats arméniens de l’armée impériale avaient été éloignés du front, puis désarmés. Tout était en place. La mécanique du génocide était enclenchée, rien ne pouvait plus l’arrêter. Longtemps, le génocide des Arméniens de l’Empire ottoman n’a été considéré que comme un chapitre parmi d’autres de l’histoire de la première guerre mondiale. Il faut dire que l’époque était riche en événements tragiques. Sur le front de l’Ouest, deux jours avant ce tragique 24 avril 1915, dans les tranchées d’Ypres, en Belgique, les armes chimiques venaient de faire leur toute première apparition, semant la terreur et la mort chez les poilus. Un point de bascule Et le lendemain, le 25, à un jet de pierre de Constantinople, sur les détroits des Dardanelles et du Bosphore, la sanglante bataille de Gallipoli entre le corps expéditionnaire allié et les troupes ottomanes battait son plein. L’horreur était partout. Ce n’est que plus tard, avec le recul, que le massacre des Arméniens est apparu comme Cahier du « Monde » No 21855 daté Jeudi 23 avril 2015 - Ne peut être vendu séparément une tragédie en soi, un point de bascule annonciateur de toutes les grandes tragédies du siècle. Ainsi, la plupart des victimes n’étaient que des civils désarmés. Ils sont morts de privations ou ont été tués en plein désert, loin du front et des regards. « Le but de la déportation est le néant », affirmait Talaat Pacha, le grand architecte de l’extermination. Ce crime de masse, qui a causé la mort d’un million et demi de personnes, n’est pas venu de nulle part. Il a été précédé de décennies de persécutions et de préparation des esprits, et servi par une propagande haineuse, à prétention scientifique, dans laquelle la disparition des Arméniens devenait une condition nécessaire à la survie des Turcs. En cela, il est l’exemple parfait de ce crime absolu visant à la destruction d’un peuple entier, que le juriste Raphael Lemkin, un Américain d’origine polonaise, décida d’appeler « génocide » en 1944. Et il ouvre la voie aux grands drames du XXe siècle, où la mort n’est plus uniquement l’affaire des seuls champs de bataille, mais s’empare de sociétés entières. Alors qu’on commémore les 100 ans du drame, et tandis que les autorités d’Ankara persistent à nier le caractère génocidaire des massacres commis par l’Empire ottoman, déployant tous les ressorts de la propagande, de plus en plus d’intellectuels turcs acceptent de regarder en face les fantômes de leur histoire nationale, pour rompre enfin avec des décennies d’amnésie collective. Leur combat pour la vérité est fondamental. Ne serait-ce qu’à cause de la fièvre exterminatrice qui plane de nouveau dans cette région – là même où eurent lieu les déportations et les massacres de 1915-1916 –, désormais soumise au régime de terreur des djihadistes de l’Etat islamique. p jérôme gautheret 2 | génocide des arméniens 0123 JEUDI 23 AVRIL 2015 Constantinople (Istanbul) Les 24 et 25 avril 1915, 600 notables arméniens de Constantinople sont arrêtés et déportés vers l’est de l’Empire et seront pour la plupart exécutés. BULGARIE Andrinople (Edirne) RUSSIE Mer Noire GÉORGIE Samsun Kastamonu Trabzon Artvin (Trébizonde) GRÈCE Unye Izmit Ordu Merzifon Adapazari Rodosto (Tekirdag) EMPIRE RUSSE Rize Giresun Oltu Bursa Amasya Chorum Eskisehir Kütahya Afyon Tokat Yozgat Sivas Erzinjan Kayseri Karapinar Eregli La tragédie des Arméniens Marash Aïntab Bozanti Tarsus Mersin Une minorité perçue comme « l’ennemi de l’intérieur » par le sultan de l’Empire ottoman... Malatya Zeïtoun Adana Kilis POPULATION ARMÉNIENNE : 2 millions au début du XXe siècle CHYPRE Seghert Urfa Mardin PERSE Ras-Al-Aïn Djarablus Rakka Alep, plaque tournante Centre de tri des longs convois de déportés vers les déserts de Syrie et vers Bassora IRAK Hama Homs EMPIRE OTTOMAN SYRIE Tripoli Mer Méditerranée LIBAN Damas Haïfa Bagdad CISJORDANIE JORDANIE Jaffa Amman ph Jérusalem Eu GÉNOCIDE (AVRIL 1915-1917) : 1, 5 million de victimes te ra Lieux de massacres (chiffres exacts non connus) Vers Bassora Camps de concentration et de déportation ÉGYP ÉGYPTE Routes de déportation Kirkouk Deir ez-Zor, destination finale Lieu d'extermination des déportés arméniens. La ville est devenue un lieu de recueillement en mémoire du génocide arménien, comme Auschwitz l’est pour la Shoah. Beyrouth ... exterminée par le mouvement nationaliste et raciste des « Jeunes-Turcs » NOUVEAU MASSACRE D’ARMÉNIENS : 20 000 - 30 000 victimes Massacres d’Adana (1909) un an après l’arrivée au pouvoir des Jeunes-Turcs IRAN Mossoul T i g re MASSACRES D’ARMÉNIENS : 250 000 victimes Massacres hamidiens (1895-1896) impulsés par le sultan Abdülhamid II Diyarbakir Adyaman Alexandrette (Iskenderun) Musa Dagh Van Bitlis Mus Mezre (Hadjin) Nidge majoritaire relativement majoritaire minoritaire Empire ottoman (1915) IRAN Pays actuels AZERB. Beyazit Kangal Saimbeyli Konya Erzurum Khnus EMPIRE OTTOMAN AZERBAÏD ZERBAÏDJAN ARMÉNIE Chabin Karahissar INFOGRAPHIE LE MONDE Bandirma Ankara ISRAËL ARABIE SAOUDITE Lieux de résistance Maan Cartographie : Sylvie Gittus et Delphine Papin 100 km Sources : Mémorial du génocide arménien, sous la direction H.Kevorkian, Seuil, 2015 ; Arméniens-Le temps de la délivrance, G. Minassian, CNRS Editions, 2015 ; Atlas historique de l’Arménie, C.Mutalian et E. Van Lauwe, collection Atlas, éd. Autrement 2001 La destruction en marche Dès la fin du XIXe siècle, les massacres des Arméniens par l’Empire ottoman témoignent déjà d’une logique d’extermination qui atteindra son paroxysme vingt ans plus tard C’ est une séance ordinaire au Palais-Bourbon. En ce soir du 3 novembre 1896, quelques députés catholiques ont porté à l’ordre du jour une interpellation au gouvernement Méline (1896-1898) sur les persécutions des chrétiens de l’Empire ottoman. Les débats vont se terminer quand un député socialiste du Tarn demande la parole et, d’une voix tonitruante et implacable, dénonce le silence français face à la « guerre d’extermination » menée par Abdülhamid II contre les Arméniens : « Pas un cri n’est sorti de vos bouches, pas une parole n’est sortie de vos consciences, et vous avez assisté, muets et par conséquent complices, à l’extermination complète. » Pour l’orateur, peu suspect de sympathies envers l’Eglise, le drame des Arméniens engage A la fin du XIXe siècle, l’« homme malade de l’Europe », l’Empire ottoman, ressemble chaque jour un peu plus à un mort en sursis l’humanité tout entière, et la passivité de la France face aux crimes commis depuis 1894 dans l’Empire ottoman vaut complicité. Sans surprise, son interpellation est rejetée par 444 voix contre 53. Mais, à compter du lendemain, dans la presse comme dans l’opinion, le ton a changé. Par la force de son verbe, Jean Jaurès, car c’est de lui qu’il s’agit, vient de porter à la conscience de la France entière le calvaire des Arméniens. Ainsi donc, dès 1896, presque vingt ans avant le déclenchement du génocide, certains perçoivent déjà qu’un drame singulier est en train de se nouer en Orient. Les informations en provenance de l’empire existaient, et elles étaient relayées (non sans déformations) par les missionnaires, les diplomates et la presse. Mais elles n’étaient que le bruit étouffé d’un drame lointain. Il faut dire que l’Empire ottoman de la fin du XIXe siècle n’est plus que l’ombre de la puissance arrogante qui avait fait trembler l’Europe, anéantissant l’Empire byzantin avant de pousser ses armées jusque sous les murs de Vienne, en 1529 et en 1683. Son recul territorial, entamé à la fin du XVIIe siècle, a pris, au cours du XIXe siècle, des allures de débâcle. La perte de la Grèce, en 1829, n’a été que le prélude à celle de la majeure partie des Balkans, au terme du traité de San Stefano et du congrès de Berlin (1878). Dans le même temps, la Russie avançait dans le Caucase, la Grande-Bretagne mettait la main sur Chypre, puis sur l’Egypte, tandis que la France s’implantait en Algérie et en Tunisie… En outre, la Sublime Porte a dû accorder aux puissances occidentales d’importants privilèges économiques, qui restreignaient encore un peu plus sa marge de manœuvre, ainsi qu’un droit de regard sur les affaires du gouvernement dans de nombreuses régions chrétiennes, dont le Liban. L’« homme malade de l’Europe » ressemble chaque jour un peu plus à un mort en sursis. Le mouvement de réforme des Tanzimat (« réorganisation »), impulsé au début du XIXe siècle afin d’introduire des éléments de modernité puisés dans l’exemple français, n’a pas résisté aux défaites militaires des années 1870. Quant à son corollaire, l’ambition de créer une véritable « citoyenneté ottomane » impliquant une stricte égalité de droits entre les musulmans et les autres communautés, elle a vite tourné court. L’heure est désormais au panturquisme. L’empire reste un enchevêtrement de communautés dominé par les musulmans, et les rapports entre ces communautés se tendent chaque jour un peu plus. La place des Arméniens dans cette mosaïque est très délicate. Avec une population de plus de 2 millions d’habitants, principalement répartie dans trois espaces, le plateau anatolien, non loin des frontières russes et iraniennes, la Cilicie (aussi appelée Petite-Arménie, dans le sud- est de la Turquie actuelle) et les grands centres urbains, ils sont au cœur des préoccupations de Constantinople. Leur cas avait été évoqué au congrès de Berlin, en 1878, et les puissances européennes avaient appelé à des réformes, suscitant chez les Arméniens un intense espoir de libération, vite déçu. Les communautés paysannes arméniennes d’Anatolie étaient en butte aux razzias des tribus kurdes, et bientôt à la concurrence de populations de réfugiés musulmans, chassées du Caucase ou des Balkans et avides de revanche contre les chrétiens. Le sultan Abdülhamid II, arrivé au pouvoir en 1876, en pleine déroute dans les Balkans, tourne vite le dos à l’esprit des Tanzimat pour suivre la voie de l’autocratie et du renforcement des composantes musulmanes, seule voie, à ses yeux, à même de sauver l’empire. En 1891, il crée des régiments kurdes de cavalerie légère sur le modèle des cosaques russes, les Hamidiyés. Son calcul est simple : il sait que les Kurdes, qui coexistent depuis des siècles avec les Arméniens, seraient les premiers perdants en cas d’autonomie des provinces orientales. Ils seront donc les adversaires les plus acharnés de l’émancipation arménienne. Lorsque, au printemps 1894, les habitants arméniens de la région de Sassoun (est) se révoltent contre la double taxation qu’ils subissent – ils doivent payer l’impôt au sultan, mais aussi un tribut aux communautés kurdes locales en échange de leur « protection » –, les Hamidiyés mènent une répression d’une violence inédite. Les troubles s’étendent peu à peu et une manifestation de soutien, organisée par le parti arménien Hentchak le 30 septembre 1895, est réprimée dans le sang, sous les yeux des diplomates occidentaux. L’émotion internationale est telle que le sultan se trouve contraint d’annoncer, le 17 octobre, des réformes d’ampleur dans les régions arméniennes. C’est alors que l’Anatolie entière se met à s’embraser. Réaction « spontanée » d’une population musulmane humiliée et lasse des diktats de l’Occident, comme le prétend aussitôt le Palais ? Massacres planifiés ? Il reste très hasardeux de mesurer le degré d’implication de l’appareil d’Etat dans ces massacres. A tout le moins, Abdülhamid était très bien informé, il ne s’y est pas opposé et a même cherché à tirer profit des massacres pour ramener les Arméniens sur le chemin de l’obéissance. Le bilan de ces tueries de masse est incertain mais effroyable : de 100 000 à 300 000 morts selon les historiens ; 500 000 autres personnes ont été chassées, leurs biens spoliés, et les conversions forcées sont innombrables. S’il n’y a pas, cent vingt ans plus tard, de consensus sur le caractère génocidaire de ces massacres, il apparaît cependant évident que, dès cette date, la logique de l’extermination à venir est en germe. La prise de pouvoir par les JeunesTurcs, en 1908, suscite un vif espoir chez les Arméniens, vite démenti : en 1909, dans le district d’Adana, en Cilicie, le nouveau gouvernement ordonne une répression sauvage des manifestations arméniennes. Le bilan est effrayant : de 20 000 à 30 000 morts. Ainsi donc, par-delà l’alternance politique, la marche vers la destruction semble inexorable. Les esprits y sont patiemment préparés. L’historien Hamit Bozarslan distingue quatre registres de discours constitutifs de la « logique » de génocide à l’œuvre dans l’Empire ottoman : le darwinisme social (les Turcs ont vocation à dominer) ; la rhétorique inversée du dominant-dominé (les oppresseurs se disent victimes de discriminations et n’ont pas d’autre choix que la violence pour ne pas disparaître) ; la bataille démographique (il est indispensable de faire reculer le poids des minorités pour garantir la prééminence aux musulmans en Anatolie) ; et enfin, la dimension économique (par les spoliations, il s’agit de reprendre le contrôle de pans entiers de l’économie, aux mains des chrétiens). L’Arménien est assimilé de plus en plus fréquemment, au début du XXe siècle, à un « microbe » qu’il s’agit d’éradiquer. Le déclenchement de la première guerre mondiale fournira l’occasion de passer à la pratique. Tandis que la presse jeune-turque se déchaîne contre l’« ennemi intérieur », en mars 1915, le plan d’extermination est élaboré. p jérôme gautheret génocide des arméniens | 3 0123 JEUDI 23 AVRIL 2015 Tout a commencé le 24 avril 1915 A Constantinople, 250 personnalités arméniennes sont arrêtées cette nuit-là. Suivra l’horreur des marches forcées et du carnage Q uand les policiers l’interpellent à son domicile, dans la nuit du 24 au 25 avril 1915, dans le quartier chrétien de Pera, à Constantinople, capitale de l’Empire ottoman, Khatchadour Maloumian, alias Agnouni, est loin d’imaginer qu’il fait partie d’une liste d’intellectuels arméniens arrêtés cette nuit-là pour les déporter vers Ankara. Dirigeant politique arménien proche des autorités jeunes-turques, il a dîné la veille avec Talaat Pacha, le ministre de l’intérieur du gouvernement du Comité union et progrès (CUP), le parti au pouvoir depuis le putsch des Jeunes-Turcs, le 23 janvier 1913. Il croit à un malentendu. Il ne sait pas encore que la rafle de 250 personnalités arméniennes de la capitale fait partie d’un vaste plan d’extermination des Arméniens de l’Empire, décidé entre le 20 et le 25 mars 1915 lors de réunions du comité central du CUP. Les nouvelles du front ne sont pas bonnes pour l’Empire ottoman depuis son entrée en 35 500 Arméniens sont déportés en avril 1915, 131 408 en mai, 225 499 en juin, 321 150 en juillet et 276 800 en août guerre, le 2 novembre 1914, aux côtés de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie. Après la défaite de Sarikamich en janvier 1915 face à la Russie, pouvoir et médias turcs accusent les 2 millions d’Arméniens ottomans d’être au service des Russes et les soupçonnent de « trahison » et de « complot contre la sécurité de l’Etat ». Les neuf membres de la direction du CUP, dont Mehmet Talaat Pacha et les docteurs Mehmet Nazim et Bahaeddine Chakir, profitent du contexte de guerre et de la débâcle de Sarikamich – imputable au mauvais commandement du ministre de la guerre, Ismail Enver Pacha – pour accélérer le processus d’extermination des Arméniens et des Assyro-Chaldéo-Syriaques, un groupe ethnique chrétien originaire de Mésopotamie. Dès l’hiver 1914-1915, au sud de Van (dans l’est de l’actuelle Turquie) et en Iran, où l’armée turque a lancé plusieurs incursions, les populations arméniennes et syriaques locales sont massacrées par dizaines de milliers. En février 1915, sur ordre d’Enver Pacha, les 120 000 soldats arméniens de la IIIe armée, qui surveille le front caucasien, sont désarmés et forment des bataillons de travail. La plupart sont exécutés sur place et, fin mai, il ne reste plus de soldats arméniens dans l’armée d’Enver. Le gouvernement compte sur l’Organisation spéciale (OS) pour remplir ces sales besognes. Créé en 1914, ce groupe paramilitaire dirigé par le docteur Bahaeddine Chakir représente une force de 12 000 hommes : ce sont des Kurdes, des émigrés musulmans des Balkans et du Caucase et des criminels amnistiés (assassins, violeurs, psychopathes). Son quartier général se trouve au sein du siège du CUP dans la capitale et elle utilise 36 « abattoirs » répartis dans tout l’Empire. Outre ces escadrons de la mort, le gouvernement jeune-turc s’appuie sur la direction générale de l’installation des tribus et des Carte postale datant de 1918. Inscrit au verso, « Soldats turcs avec leurs victimes arméniennes ». FONDS ARAM migrants (DITM), chargée, dans les provinces, de la planification des déportations. Ces deux organisations respectent à la lettre le programme d’extermination en deux phases des Arméniens concocté par la direction du CUP. La première phase, d’avril à octobre 1915, consiste à vider les six provinces orientales (Bitlis, Van, Sivas, Erzurum, Diyarbakir, Mamuret ul-Aziz) de leur population arménienne. Il s’agit des territoires historiques arméniens, objets, depuis le traité de Berlin de 1878, d’un vague projet de réformes visant à améliorer leur sécurité. Défendu par les puissances européennes, il ne sera jamais appliqué par le sultan. Sur le terrain, tout ne se passe pas comme prévu. A Van, après les massacres de 58 000 d’entre eux entre janvier et avril 1915, les Arméniens organisent leur défense et comptent sur l’avancée des troupes russes pour les sauver. Malgré leur infériorité numérique, ils résistent jusqu’à la libération de Van par l’armée du tsar, en mai 1915. Les civils sont évacués vers le Caucase. A Constantinople, le gouvernement utilise le prétexte de cette rébellion qualifiée de « trahison » pour décapiter l’élite arménienne. Dès la fin avril, dans la capitale et toutes les grandes villes de l’Empire, intellectuels et notables arméniens sont arrêtés puis déportés et exécutés par petits groupes. A Constantinople et à Smyrne (aujourd’hui Izmir, dans l’ouest de la Turquie), les Arméniens sont toutefois épargnés, la Sublime Porte craignant une réaction diplomatique des puissances européennes. Dès le 24 mai 1915, la Triple Entente, alertée sur l’ampleur des massacres dans l’Empire, a mis en garde les autorités turques dans une déclaration commune : « La France, la Grande-Bretagne et la Russie tiendront pour personnellement responsables ceux qui auront ordonné ces crimes contre l’humanité et la civilisation. » Mais trois jours après, le gouvernement jeune-turc leur répond par la provocation en légalisant la déportation des Arméniens. Alors que 35 500 Arméniens sont déportés en avril 1915, les mois suivants, la cadence augmente fortement : 131 408 déportations en mai, 225 499 en juin, 321 150 en juillet et 276 800 en août. Jusqu’à la fin de cette première phase, en octobre, et en tenant compte des convois en provenance de Cilicie (sud) et de la Cappadoce (centre), ce sont 1,2 million d’Arméniens qui sont envoyés de force vers les déserts de Syrie et de Mésopotamie, conformément aux ordres du DITM. Certains déportés sont arrivés à Alep, dans le nord de la Syrie, par chemin de fer, raconte l’historien britannique Arnold Toynbee dans son Livre bleu remis aux autorités britanniques en 1916 : « Ils étaient entassés dans des wagons à bestiaux, souvent répugnants et toujours bondés, et leur voyage était infiniment lent, car la ligne était congestionnée par leurs nombreux convois et par le transport des troupes ottomanes. » Au point de départ des déportations, les hommes, séparés de leur famille, sont liquidés sur place, alors que les femmes et les enfants sont voués à l’enfer des longues marches forcées vers les camps d’Alep, de Deir ez-Zor (est de la Syrie) et de Mossoul (nord de l’Irak). Seuls 400 000 d’entre eux arrivent à destination. La deuxième phase peut donc commencer. Elle s’étend sur toute l’année 1916 et ne répond qu’à une seule question : que faire des 700 000déportés massés dans la vingtaine de camps de concentration ouverts en Syrie, en proie aux épidémies et vivant dans des conditions d’hygiène effroyables ? Le 22 février 1916, alors que les troupes russes ont pris la ville-garnison d’Erzurum, cette ancienne capitale arménienne (Garine) totalement vidée de sa population chrétienne, le gouvernement turc ordonne la liquidation de tous les déportés. Les sites d’Alep, Rakka, Ras-Al-Aïn, Deir ez-Zor et Mossoul se transforment en camps d’extermination, les fleuves Tigre et Euphrate sont les témoins silencieux d’un crime sans précédent. Les membres de l’OS redoublent de zèle et de cruauté, les bourreaux procèdent essentiellement à l’arme blanche. En cinq mois, de juillet à décembre 1916, le préfet Salih Zeki, qui a remplacé Ali Souad, jugé trop mou par la direction du CUP, fait massacrer 192 750 déportés regroupés à Deir ez-Zor, qui deviendra le lieu symbolique de la destruction d’une nation. Le 24 octobre 1916, près de 2 000 orphelins rassemblés à Deir ez-Zor par Ismail Hakki Bey, « inspecteur général » des déportations, sont attachés deux par deux puis jetés dans l’Euphrate. En 1917, au moment où les armées turques s’effondrent sur tous les fronts, les forces britanniques découvrent, lors de leur offensive victorieuse en Syrie et en Palestine, près de 100 000 déportés arméniens vivant dans des conditions répugnantes. Il s’agit d’individus surtout originaires de Cilicie qui constitueront le premier noyau des communautés arméniennes de Syrie et du Liban sous mandat français. A la fin de la Grande Guerre, sur les 2 millions d’Arméniens recensés en 1914 dans l’Empire ottoman, près de 1,5 million ont été massacrés, auxquels il faut ajouter 250 000 chrétiens d’Orient (Assyro-Chaldéens, Syriaques). Les 500 000 Arméniens rescapés des camps et des déportations ont connu différents destins. Certains se sont installés dans le Caucase russe avant d’être intégrés dans l’Union soviétique. D’autres ont immigré en Europe et en Amérique avant d’y devenir des citoyens à part entière. Enfin, une petite partie est restée à Istanbul, protégée par les clauses du traité de Lausanne – signé en 1923 entre l’Empire ottoman et les puissances alliées – sur le droit des minorités religieuses. Sans oublier ceux qui ont été convertis de force à l’islam ou placés sous la contrainte dans des familles musulmanes en Turquie. p gaïdz minassian Dans l’ombre des victimes arméniennes Les Assyro-Chaldéo-Syriaques et les Grecs pontiques furent eux aussi massacrés par l’Empire ottoman D ans son journal, Mary Schauffler Platt (1868-1954), une missionnaire presbytérienne américaine en poste à Ouroumieh (nord-ouest de l’Iran), écrit, à la date du 14 janvier 1915 : « A Ada, on en tua une centaine peut-être, des jeunes pour la plupart. On rapporte qu’ils furent mis par les Kurdes en file indienne pour voir combien ils pouvaient en tuer en une seule balle. » Une page d’horreur parmi tant d’autres : ce témoignage sera publié quelques années plus tard aux Etats-Unis grâce au concours de l’American Board of Commissioners for Foreign Missions, organisation missionnaire chrétienne des Etats-Unis. Les victimes ne sont pas des Arméniens, mais d’autres sujets appartenant à des mi- norités chrétiennes de l’Empire ottoman : les Assyro-Chaldéo-Syriaques. Héritiers d’une vieille civilisation située entre les fleuves bibliques du Tigre et de l’Euphrate, les Assyro-Chaldéo-Syriaques, descendants des Assyriens, Babyloniens, Chaldéens et Araméens, vivent principalement dans la région d’Ouroumieh, dans la province de Mossoul (Irak) et en Anatolie orientale (notamment dans les villes de Van et de Mardin). C’est là, dans ces zones difficiles d’accès du sud-est de l’Empire ottoman, notamment à Hakkari, au sud de Van et dans cette ancienne Mésopotamie historique, berceau de l’humanité, qu’en marge du génocide des Arméniens, plus de 250 000 Assyro-Chaldéens et Syria- ques sont assassinés entre décembre 1914 et juillet 1918, sous les yeux de quelques témoins comme Mary Schauffler Platt. Au nord de l’Empire, le long de la mer Noire, ce sont près de 350 000 Grecs pontiques – descendants des populations hellénophones du pourtour de l’ancien Pont Euxin – qui sont à leur tour massacrés entre 1916 et 1923. Dans les deux cas, le mode opératoire est le même que pour les Arméniens : le régime jeune-turc s’est lancé dans un vaste programme de turquification forcée des populations de l’Empire, réduisant par le fer et le feu tous les groupes minoritaires chrétiens dans le processus de construction d’un Etatnation. Les autorités turques n’agissent pas seules. Pour accomplir leur entre- prise génocidaire, elles s’appuient sur des tribus kurdes, des groupes d’immigrés musulmans originaires des Balkans et du Caucase et des prisonniers de droit commun, tous réunis dans des « bataillons de bouchers ». Débats autour du génocide Au lendemain de la guerre, si les Grecs rescapés des massacres sont pour la plupart transférés en Grèce dans le cadre d’échanges de populations avec les Turcs de Thrace, les chrétiens d’Orient, comme les Assyro-Chaldéens, qui parlent l’araméen, la langue de Jésus, sont partagés entre la Turquie, l’Irak et la Syrie sans la moindre protection, si ce n’est celle de leur autorité religieuse de tutelle. Des décennies après ces crimes contre l’humanité, historiens et juristes internationaux ne s’accordent toujours pas pour qualifier le massacre des Assyro-Chaldéens, des Syriaques et des Grecs pontiques de « génocide » ; seuls certains pays, comme la Suède en 2009, l’Arménie en 2015 et quelques Etats fédérés américains l’ont reconnu comme tel sur la base de sources écrites européennes et arabes. Cent ans après cette année 1915, dite de l’Epée (« seyfo » en néo-araméen), les minorités assyro-chaldéennes de Syrie et d’Irak ainsi que les Kurdes yézidis sont massacrés par l’Etat islamique, sans que l’on puisse pour l’instant évaluer l’ampleur des pertes humaines. p ga. m. 4 | génocide des arméniens 0123 JEUDI 23 AVRIL 2015 Gibets avec des victimes arméniennes dans une rue de Constantinople, en 1917. COLLECTION NICOLAIDES. PHOTO ORIGINALE, FONDS ARAM Des documents historiques rares I l existe peu d’images du génocide des Arméniens. Les autorités turques ont menacé de mort toute personne qui s’aventurerait à prendre des photographies des massacres. Cependant, outre les clichés pris par l’armée russe lors de l’offensive sur le front caucasien dès 1915, d’autres sources existent, notamment les images d’un officier de la CroixRouge allemande, Armin T. Wegner (1886-1978). Ces photographes travaillant dans la clandestinité, la plupart des documents qui nous sont parvenus ne comportent ni date ni mention de lieu. L’Association pour la recherche et l’archivage de la mémoire arménienne (ARAM), basée à Marseille, recueille depuis 1997 tous les documents relatifs à l’histoire du peuple arménien et au génocide. Elle met régulièrement en ligne sur son site, Webaram.com, des photographies, livres, journaux, témoignages et documents administratifs. En décembre 2014, Christian Artin, responsable d’ARAM, reçoit d’un Français d’origine arménienne une carte postale de l’image reproduite ci-dessus. Au verso, un message manuscrit en français décrit la scène : « Ceci n’est pas un trucage mais une photographie qui date d’avant l’arrivée des Français à Constantinople [1918] et qui repré- sente des Arméniens pendus sur une place publique. C’est un contraste frappant, dans ce pays d’Orient aux riches coloris, que des gens à l’aspect assez débonnaires puissent avoir des mœurs si sanguinaires. Vous voyez les passants circuler comme si rien n’était devant ces pendus, gratifiés d’un écriteau, et continuer à vaquer à leurs occupations habituelles. » On ignore le nom de l’auteur du message et celui de son destinataire. k Orphelins arméniens rescapés. MUSÉE DU GÉNOCIDE EREVAN, JOHN ELDER COLLECTION. k k Orphelins arméniens recueillis par l’organisation caritative américaine Near East Relief. « STORY OF NEAR EAST RELIEF », J. L. BARTON, NEW YORK, 1930. FONDS ARAM k Bitlis (Turquie), 1915 : cadavres d’enfants assassinés. SOURCES RUSSES. FONDS ARAM k k Réfugiés arméniens dans le désert de Syrie, 1917. FONDS ARAM génocide des arméniens | 5 0123 JEUDI 23 AVRIL 2015 Dans la mémoire de la diaspora La médiatisation des horreurs de la Shoah a permis aux Arméniens en exil de se faire davantage entendre et d’exiger à leur tour la reconnaissance du génocide de 1915 S e retrouver sur les Champs-Elysées en 1965 pour commémorer le génocide des Arméniens, c’était un peu fou pour nous. Auparavant, on n’osait pas descendre dans la rue pour afficher collectivement notre identité », se souvient Hraïr Torossian, membre du Comité de défense de la cause arménienne (CDCA), en évoquant la manifestation organisée à Paris, le 24 avril 1965, à l’occasion du cinquantenaire de ce génocide. L’espace d’un jour, la guerre froide avait été mise de côté, indépendantistes et procommunistes arméniens défilaient ensemble. De Téhéran à Los Angeles en passant par Beyrouth, Paris, Marseille et Buenos Aires, les Arméniens du monde entier étaient descendus dans la rue pour rompre le silence autour du « grand carnage », en affichant publiquement Il a fallu attendre les années 1970 pour voir apparaître les premières études historiques sur le génocide arménien leur solidarité avec les victimes de ce crime oublié. Même ferveur à Erevan, la capitale de la jeune République soviétique d’Arménie, où la manifestation, plus ou moins canalisée par le pouvoir post-stalinien, avait rassemblé plus de 150 000 personnes venues réclamer « nos terres, nos terres » à la Turquie. Après la découverte des horreurs de la Shoah, le procès de Nuremberg, la convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide, les Arméniens exigent à leur tour, en descendant dans la rue, une reconnaissance officielle du crime de 1915 comme un génocide. « On était un peu romantiques », reconnaît, cinq décennies plus tard, Hraïr Torossian. Mais avaient-ils le choix ? Pour éviter une mort identitaire inéluctable, il fallait passer du souvenir intime à une dynamique de reconnaissance publique, et faire comprendre au monde entier que le problème arménien existait bel et bien et attendait toujours une solution juste et durable. En 1967, Erevan inaugure le mémorial de Dzidzernagapert, où, depuis la chute de l’URSS, en 1991, les chefs d’Etat en visite officielle en Arménie viennent déposer une gerbe en hommage aux 1,5 million de victimes du premier génocide du XXe siècle. Trois ans plus tard, l’image du chancelier allemand Willy Brandt, agenouillé devant le monument élevé en hommage aux martyrs du ghetto juif de Varsovie, marque les Arméniens. Depuis, ils cherchent leur Willy Brandt. Mais, dans les années 1960, personne ne parle du problème arménien. En France, l’heure est plutôt à l’intégration dans la République et au sauvetage d’une identité fondée sur une langue, une culture et une religion à part. La République socialiste soviétique d’Arménie existe mais ne rassemble pas : elle reste le symbole d’une nation éclatée. Il faut attendre les années 1970 pour voir apparaître les premières études historiques sur le génocide, signées par Jean-Marie Carzou et Yves Ternon. Leur effet est limité. « On était au début du défrichement du problème et les archives turques étaient fermées », explique Yves Ternon. Ankara se mure dans le silence et transforme les ruines des églises en étables ou les utilise comme cibles lors de ses manœuvres militaires. Membre de l’OTAN, la Turquie se trouve dans le camp occidental et les Arméniens ne peuvent compter que sur eux-mêmes. Cette prise de conscience va doublement diviser les Arméniens. La deuxième génération, celle de l’intégration, s’oppose à la troisième, celle de la revendication, marquée par le militantisme qui émerge dans la foulée de Mai 68. La nouvelle génération ne se satisfait pas de la seule action légale auprès des Parlements nationaux et de l’ONU, surtout quand la Turquie fait bloquer le dossier arménien en 1973 à la sous-commission des droits de l’homme, à Genève. C’en est trop pour la frange la plus radicale, qui décide de marcher sur les traces de l’Arméno-Américain Kourken Yanikian, auteur du double assassinat en 1973 de deux diplomates turcs à Los Angeles, et ouvre ainsi la voie à une décennie de terrorisme arménien contre la Turquie. En 1975, les agences de presse annoncent la naissance à Beyrouth de l’Armée secrète armé- nienne pour la libération de l’Arménie (Asala), trois ans après celle des Commandos des justiciers du génocide des Arméniens (CJGA), auteurs du double assassinat des ambassadeurs de Turquie en Autriche et en France, les 22 et 24 octobre 1975. Le CJGA est d’affiliation « dachnak » (Parti socialiste arménien) et préconise un terrorisme ciblé et mémoriel, alors que l’Asala est d’inspiration marxiste et opte en faveur d’un terrorisme « publicitaire » et spectaculaire. Ces deux organisations revendiquent plusieurs centaines d’attentats contre la Turquie et exigent d’Ankara la reconnaissance du génocide et la restitution des territoires de l’Arménie historique. Au fil des opérations, qui sont de plus en plus difficiles à monter en raison des politiques de sécurité des Etats et des opinions publiques hostiles, le terrorisme arménien bascule dans l’horreur. L’Asala revendique l’attentat aveugle de l’aéroport d’Orly, le 15 juillet 1983, faisant 8 morts et plus de 50 blessés près du comptoir de la Turkish Airlines. La condamnation est unanime, la France démantèle sur son territoire tous les réseaux de l’Asala. L’organisation clandestine se scinde en deux branches : le canal radical, dirigé par Hagop Hagopian, un mercenaire affilié au terrorisme international, et le canal historique, incarné par l’idéologue Alec Yenikomchian. Choquées par l’horreur d’Orly, les communautés arméniennes cherchent une stratégie de sortie du terrorisme. « Il fallait casser cette dérive terroriste », explique le géostratège Gérard Chaliand, qui, avec d’autres intellectuels comme Yves Ternon et Claire Mouradian, remet la question arménienne sur le terrain légal en proposant, en 1984, la convocation à Paris d’un Tribunal permanent des peuples consacré au génocide des Arméniens avec le soutien du président de la République, François Mitterrand. Cette victoire symbolique annonçait d’autres succès diplomatiques, notamment en 1987, lorsque le Parlement européen reconnaît le génocide de 1915. Le terrorisme arménien prend réellement fin avec l’assassinat dans des conditions obscures de Hagop Hagopian, le 28 avril 1988, à Athènes, alors qu’au même moment Erevan est le théâtre de gigantesques rassemblements en faveur de la réunification à l’Arménie soviétique du Haut-Karabakh, une province majoritairement arménienne rattachée par Staline à l’Azerbaïdjan en 1921. Une nouvelle ère s’ouvre, celle de la perestroïka de Mikhaïl Gorbatchev, de la chute de l’URSS et de l’indépendance pour les pays de l’Est, indépendance qui signifie pour les Arméniens un passage de la mémoire à l’Histoire. p gaïdz minassian « Némésis » : opération vengeance « Moi arménien, lui turc, pas de mal pour l’Allemagne ! Lâchez-moi, ça ne vous regarde pas », proclame Soghomon Tehlirian lors de son arrestation, le 15 mars 1921, après avoir exécuté d’une balle dans la tête le grand vizir Talaat Pacha, à Berlin. A son procès, en juin, le jeune Arménien explique aux juges qu’en tuant le principal responsable des massacres d’Arméniens durant la Grande Guerre il a agi seul. Le procès se retourne contre la victime, Talaat Pacha, condamné à mort par contumace, en 1919, par une cour martiale ottomane, comme la plupart des dirigeants du parti Comité union et progrès (CUP), auteur de la révolution jeune-turque de 1908 et responsable des massacres des Arméniens. Soghomon Tehlirian est acquitté. En réalité, l’exécution de Talaat Pacha n’est pas un acte isolé. Le jeune Arménien est membre de l’opération « Némésis » – du nom de la déesse grecque de la vengeance – mise en place en 1919 par son parti, la Fédération révolutionnaire arménienne (FRA), affiliée à l’Internationale socialiste et au pouvoir dans l’éphémère République d’Arménie, née en 1918. De Boston à Tbilissi en passant par Rome, Berlin et Istanbul, le réseau des justiciers du génocide commence la traque : Talaat Pacha figure en haut de la liste des personnes à exécuter. Entre 1921 et 1922, six responsables des massacres sont abattus dans différentes capitales européennes. La même année, l’opération « Némésis » est dissoute faute de moyens financiers et à la suite de dissensions internes. En Turquie, le dogme de l’amnésie Après une brève tentative de juger les responsables en 1918, la République turque s’est construite sur la négation du génocide C’ est une fuite piteuse, sans gloire ni panache. Le 1er novembre 1918, deux jours après l’armistice de Moudros, par lequel l’Empire ottoman a reconnu sa défaite écrasante, les ex-ministres Talaat Pacha, Enver Pacha et Djemal Pacha montent à bord d’un croiseur allemand, la Lorelei. Leur but : Odessa, puis l’Allemagne. Il y a encore quelques jours, ces hommes dirigeaient un empire. Ils ne songent plus désormais qu’à se mettre à l’abri. Ils savent que les Alliés entendent traduire en justice les commanditaires des « atrocités arméniennes » et que le gouvernement de transition mis en place à Constantinople tient, lui aussi, à mener contre eux un procès exemplaire. Dès le 4 novembre, deux députés demandent de traduire les criminels devant la Haute Cour. Le 21, le sénateur Reshid Akif, qui venait d'occuper brièvement le poste de président du conseil, expose au Sénat ce qu’il a appris de la double mécanique des massacres : les directives officielles de Talaat Pacha mettant en place les déportations, les télégrammes secrets du comité central du Comité union et progrès (CUP, organisation politique des Jeunes-Turcs) à l’Organisation spéciale ordonnant l’extermination… Le 13 décembre, le ministre de l’intérieur déclare même : « Pendant la guerre, nos dirigeants ont appliqué (…) la loi de déportation d’une manière qui surpasse les forfaits des brigands les plus sanguinaires. Ils ont décidé d’exterminer les Arméniens et ils les ont exterminés. Cette décision fut prise par le comité central du CUP et fut appliquée par le gouvernement. » Ainsi donc, dès la fin 1918, l’ampleur et la spécificité du crime ont été exposées au grand jour. Comment, dès lors, la Turquie de 2015 peut-elle toujours occulter ce qui était admis un siècle plus tôt ? Répondre à cette question implique de revenir aux premières heures de la république fondée sur les ruines de l’Empire ottoman. La défaite de 1918 était celle d’une famille politique, les Jeunes-Turcs, arrivés au pouvoir en 1908 avec la promesse de faire entrer l’empire dans la modernité. Mais le discours universaliste des premiers temps a vite été supplanté par un panturquisme raciste et agressif, dont l’aboutissement a été le génocide des Arméniens. L’effondrement général du régime a porté au pouvoir, après l’armistice, des responsables plus modérés, cherchant à obtenir quelques concessions des Alliés par une justice exemplaire. De fait, les trois procès qui se sont tenus à Constantinople en 1919-1920 témoignent d’une authentique recherche de vérité, et ils ont porté à la connaissance du public de nombreuses preuves décisives. Reste qu’ils ont été loin de répondre à nombre d’exigences minimales, se révé- lant très imparfaits dans leurs résultats (les peines les plus sévères ont touché des fugitifs ou quelques subalternes, tandis que plusieurs responsables étaient épargnés) et faussés par la décision britannique de transporter à Malte certains captifs dans l’optique d’un procès international qui ne vit jamais le jour. Deux facteurs extérieurs rendent le travail des juges de plus en plus vain : l’intransigeance des Alliés, qui allait déboucher sur l’humiliant traité de Sèvres, le 10 août 1920, et le mouvement de résistance impulsé depuis l’Anatolie par Mustafa Kemal. Le traité imposé à l’Empire ottoman comporte plusieurs articles consacrés à la mise en place d’une « juridiction internationale ». Les responsables ottomans s’y engagent à « livrer aux puissances alliées les personnes réclamées par celles-ci comme responsables des massacres », de même qu’est prévu le rattachement à l’Arménie des six provinces d’Anatolie orientale. Le mouvement de reconquête parti d’Ankara aura raison de l’une comme de l’autre de ces dispositions. Au terme du traité de Lausanne, conclu le 24 juillet 1923, l’Anatolie entière est reconquise. Il n’est plus question de justice pour les Arméniens. L’heure est à l’effacement des traces du crime. Le sursaut kémaliste est passé par là, et les priorités ont changé. Un pays menacé de disparition a d’autres préoccupations que la justice. Kemal, qui lui-même avait été proche des Jeunes-Turcs au début du siècle, n’a eu aucun état d’âme à enrôler dans sa lutte de nombreux responsables du CUP compromis. Alors qu’il avait luimême qualifié d’« acte honteux » le massacre des Arméniens, au sortir de la guerre, il organise bientôt l’amnésie nationale. Le philosophe français Ernest Renan (1823-1892) n’affirmait-il pas que « l’oubli et même l’erreur historique sont Ankara est contrainte d’adopter une position chaque jour plus subtile un facteur essentiel de la création d’une nation » ? La Turquie nouvelle se construit sur la négation du crime de 1915. L’interprétation officielle de l’histoire millénaire du peuple turc est fixée par le Nutuk, un discours fleuve de trente-six heures et demie prononcé par Kemal en 1927. Son bras armé est la Société d’histoire turque, créée en 1931. Toute contestation de la vérité officielle est sévèrement punie par la loi. Jusqu’aux années 1970, la position d’Ankara est de nier en bloc les déportations et les massacres. La logique de guerre froide et la faiblesse des revendications arméniennes facilitent le statu quo. Mais la montée des revendications mémorielles exprimées par la diaspora et leur écho mondial forcent l’Etat turc à imaginer une riposte : à partir du début des années 1980, le discours change. Ankara assure que les massacres ont eu lieu des deux côtés, dans un contexte de guerre civile. Le caractère génocidaire des tueries est nié, et l’Etat turc tente même de faire passer les revendications arméniennes pour un moyen de relativiser la Shoah… La multiplication des reconnaissances officielles du génocide hors de Turquie contraint Ankara à adopter une position chaque jour plus subtile, cherchant à transformer l’exigence de justice arménienne en controverse scientifique. Les appels à la constitution de comités d’historiens internationaux ou les « condoléances » exprimées aux victimes arméniennes en 2014 par Recep Tayyip Erdogan, alors premier ministre, ne doivent pas être compris comme une nouvelle étape vers la reconnaissance des crimes de 1915-1916, mais plutôt comme des manœuvres tactiques. Un siècle plus tard, il reste impossible pour Ankara de renoncer à un déni qui est le socle de la Turquie moderne. p jérôme gautheret 6 | génocide des arméniens 0123 JEUDI 23 AVRIL 2015 Istanbul ou le silence du génocide Dans la ville des rives du Bosphore, où vit la majorité des 60 000 Arméniens de Turquie, règne un climat d’oubli. Mais quelques initiatives de la société civile font doucement bouger les lignes, et la mémoire reprend peu à peu ses droits istanbul - correspondante A Osmanbey, non loin de la place Taksim, au cœur de la partie européenne d’Istanbul, une bannière flotte au vent, repérable dès la sortie du métro. « Joyeuses Pâques à tous nos concitoyens chrétiens ! », est-il écrit en turc, en grec, en arménien, en kurde et en arabe sur la bande de plastique tendue au-dessus de l’avenue Ergenekon, toujours embouteillée. Le message est celui du Parti démocratique du peuple (HDP, prokurde). Soucieux d’élargir sa base électorale à la veille des législatives du 7 juin, le HDP courtise les minorités susceptibles d’être déçues par l’opposition kémaliste. Traditionnellement, le quartier vote pour le Parti républicain du peuple (CHP, social-démo- « En 2014, Recep Tayyip Erdogan nous a adressé un message de condoléances. Cela est sans précédent » zacharia mildanoglu journaliste à l’hebdomadaire « Agos » crate), la formation créée en 1923 par Mustafa Kemal Atatürk. Avec ses ateliers de confection en sous-sol, ses cantines, ses petits hôtels, ses travestis en goguette une fois la nuit tombée, Osmanbey est un quartier populaire dont rien ne laisse entrevoir qu’il est le domaine des Arméniens, loin devant Kadiköy, Besiktas, Bakirköy et même Samatya, où se trouve le siège du patriarcat. Entre 1,2 et 2 millions d’Arméniens vivaient dispersés dans l’Empire ottoman en 1912, ils ne sont plus que 60 000 aujourd’hui, majoritairement concentrés dans la ville des bords du Bosphore. A Osmanbey, la présence arménienne reste discrète. Selim, la cinquantaine, Arménien de confession orthodoxe, aime la vie paisible du quartier telle qu’il la voit depuis son échoppe de vendeur de fruits et légumes. « Je n’ai aucun problème avec personne », assure-t-il entre deux clientes. L’épicier en face est un Kurde, le tailleur à côté est de confession alévie (une branche de l’islam), l’électricien un peu plus loin est sunnite. Les relations sont cordiales, rythmées par les invitations à boire des petits verres de thé brûlant. Sans oublier les montées et descentes de paniers que les ménagères, installées dans les étages, font passer avec la liste des courses par une ficelle attachée au balcon. Ouverts de l’aube jusqu’à minuit passé, l’épicier et le vendeur de primeurs sont attentifs au moindre désir de la clientèle. Les paniers remontent avec les commissions et la note, puis redescendent avec l’argent : le va-et-vient est incessant. Selim n’attend rien des commémorations du génocide des Arméniens prévues le 24 avril à Erevan, en Arménie, et aussi place Taksim, à Istanbul, où les représentants d’ONG turques et de la diaspora se rassembleront le même jour. Il sait que la réconciliation prendra du temps. Difficile de se défaire des fantômes du passé, encore plus pour les gens de sa génération : « Tout petit, on me répétait que les Turcs étaient cruels. » Il évoque « un climat de méfiance, pas dans la vie de tous les jours mais par rapport à la citoyenneté ». « Je me demande parfois si je suis vraiment un citoyen à part entière. Je vote, je paie mes impôts, mais je sais aussi que mon neveu ne pourra jamais devenir officier dans l’armée ou chef de la police », confie-t-il avant de tirer le rideau de fer de sa boutique. Comme beaucoup de chrétiens, Selim a deux prénoms, turc pour un large public, arménien – Sarkis – dans le privé, « c’est une facilité et une sécurité ». La mémoire des pogroms des 6 et 7 septembre 1955, dirigés contre la minorité grecque d’Istanbul, est encore vivace. La publication d’un photomontage à la « une » du quotidien Istanbul Express – dont le rédacteur en chef était Göksin Sipahioglu, futur fondateur de l’agence Sipa – suffit à mettre le feu aux poudres. La photo, truquée, représentait la maison natale d’Atatürk à Thessalonique (Grèce) en train d’être incendiée par des Grecs. Sur fond de tensions à Chypre, la colère monta. Istanbul Express tira ce jour-là à 290 000 exemplaires au lieu de 20 000 habituellement. « Les Arméniens ne furent pas épargnés les 6 et 7 septembre 1955 », rappelle Zacharia Mildanoglu, 65 ans. Partisan du rapprochement, il écrit pour l’hebdomadaire Agos (« Le Sillon », en arménien), dont le rédacteur en chef, Hrant Dink, a été assassiné par un jeune nationaliste le 19 janvier 2007. La mort du journaliste, abattu de plusieurs balles dans le dos cet après-midi-là, mit la société civile en état de choc. Désormais, chaque 19 janvier, des dizaines de milliers de manifestants font le trajet de la place Taksim jusqu’à la rédaction d’Agos, avenue Halaskargazi. Une plaque a été scellée dans le pavé du trottoir, à l’endroit précis où Hrant Dink s’est écroulé. Les lettres de cuivre scintillent au soleil, rare accroc mémoriel dans un tissu urbain marqué par l’amnésie. Qui se souvient aujourd’hui du fait qu’un vaste cimetière arménien occupait jadis tout l’espace, de Taksim jusqu’au musée militaire ? Qui peut savoir que la présence arménienne dans le quartier date du XVIe siècle, quand Soliman le Magnifique offrit la place Taksim (le mot veut dire « partage ») en cadeau à son cuisinier arménien, Manouk Karaseferian ? « Le grand carnage » (Meds Yeghern en arménien) – selon l’expression consacrée pour éviter l’emploi du terme « génocide » – a débuté le 24 avril 1915 à Istanbul (alors Constantinople) par l’arrestation de 250 intellectuels arméniens, incarcérés puis déportés vers l’est, via la gare de Haydarpacha, sur la rive asiatique de la ville. Très peu en sont revenus. Cent ans ont passé, et l’ancienne prison, située à deux pas de la Mosquée bleue, dans le quartier touristique de Sultanahmet, a fait peau neuve. Elle est devenue le Musée des arts turcs et islamiques, un bâtiment restauré de pied en cap, sans mention aucune de ce qui s’y passa en 1915. L’oubli prévaut aussi à Osmanbey. Pourtant, des dizaines d’intellectuels arméniens y furent interpellés le 24 avril, notamment rue PapaRoncalli – nom de famille du pape Jean XXIII –, où la rédaction d’Agos vient juste de déménager. « A Istanbul, il y eut des arrestations et des déportations, mais pas de massacres, la ville étant sous les yeux des Occidentaux », explique Zacharia Mildanoglu. Les tueries, les pillages se produisirent dans l’est et le sud du pays, avec les cohortes de femmes, de vieillards et d’enfants chassés vers le désert mésopotamien. Le père de Zacharia avait 9 ans quand sa famille fut massacrée à Yozgat (Anatolie). Il dut son salut à un missionnaire qui l’évacua vers Kayseri, à 150 km de là. « Jusqu’à un âge avancé, il se souvenait de tout et le racontait », dit M. Mildanoglu. Dans le quartier, la plupart des noms de rue font écho au nationalisme turc : Ergenekon (le berceau mythique originel des Turcs), Türkbey, Bozkurt (« loup gris », symbole des ultranationalistes), Savas (« guerre ») et même Talat Pasa (Talaat Pacha), en référence à l’un des artisans du génocide des Arméniens. L’ancienne rue grecque Tatavla a été rebaptisée Kurtulus (« libération »). « Nous avons proposé à la municipalité de rebaptiser l’avenue Ergenekon en Hrant Dink, sans succès », rapporte Zacharia Mildanoglu. Il veut croire qu’une page a quand même été tournée grâce à l’attitude pragmatique adoptée par l’actuel gouvernement islamo-conservateur. « Des églises ont été restaurées, des terrains ont été restitués et, en 2014, Recep Tayyip Erdogan nous a adressé un message de condoléances. Tout cela est sans précédent. » Tout près de là, dans la rue Teyyareci Fehmi, la galerie Birzamanlar raconte l’histoire de la communauté arménienne à travers une collection de vieilles cartes postales. Les clichés, datés du début du XXe siècle, montrent des entrepreneurs prospères dans leurs ateliers, des églises et des écoles, les pompiers de la rive européenne de Constantinople, dont le matériel est frappé à l’effigie de la Vierge Marie. Des images montrent l’accueil enthousiaste qui fut réservé au rétablissement de la Constitution ottomane, en 1908, quand Arméniens, Turcs, Grecs, Juifs défilèrent bras dessus, bras dessous dans les rues d’Istanbul, à la gloire du parlementarisme. Un an plus tard, au moins 20 000 Arméniens allaient être massacrés à Adana (Sud). Osman Köker, la soixantaine, éditeur et fondateur de la galerie, se décrit comme « un archéologue » qui exhume les vestiges du passé. En 2005, sa première exposition de cartes postales a vu passer « 10 000 visiteurs en onze jours ». Si les lignes ont bougé, « c’est grâce à la société civile. Des militants courageux ont pris des risques, les représentants de l’Etat ont pris acte, c’est tout ». Malgré la volonté d’effacer cette mémoire, « elle a fini par reprendre ses droits », se réjouit l’éditeur. Son refus du négationnisme et du nationalisme l’a poussé « à s’engager ». Gökhan Diler, la trentaine, journaliste à Agos, salue les étapes franchies ces quinze dernières années. Désormais, la question arménienne fait débat, les chercheurs ne sont plus systématiquement pénalisés dès lors qu’ils l’abordent, la mémoire refait surface. Avec une inquiétude toutefois : « Ce gouvernement a l’air de se préoccuper d’avantage du sort des minorités que les précédents, mais, en réalité, il ne les considère pas comme des citoyens à part entière. Les Arméniens et d’autres encore, tels les alévis [10 % de la population], n’ont toujours pas de statut légal. » L’espoir repose sur les jeunes générations, « plus intéressées », selon Gökhan Diler, à faire la lumière sur ce qui s’est passé. p marie jégo Le martyre sans fin des Assyriens du Khabour Chassé de Turquie en 1915, ce peuple chrétien fuit aujourd’hui le nord-est de la Syrie face aux exactions de l’Etat islamique vallée du khabour (syrie) - envoyé spécial B ien que son église tienne encore debout, Oum Keif, comme les trente-quatre autres localités assyriennes de la vallée du Khabour, dans le nord-est de la Syrie, n’a plus rien d’un village et tout d’une position militaire. C’est sur cette enclave chrétienne adossée aux territoires kurdes que les combattants djihadistes de l’Etat islamique (EI) ont lancé en février leur dernière offensive dans la région, occupant plusieurs villages et prenant en otage leurs habitants. Emportés une nouvelle fois dans une guerre décidée par d’autres, les Assyriens, communauté chrétienne originaire de Mésopotamie, ont dû évacuer la petite colonie du Khabour, octroyée à leurs ancêtres au terme des vingt années de combats, d’errance et de massacres qui ont suivi leur éviction définitive de leur patrie des hautes montagnes du Hakkari (sudest de l’actuelle Turquie) par l’Etat ottoman, il y a un siècle. Refusant la fatalité d’un nouvel exode, d’autres ont pris les armes aux côtés des combattants kurdes, comme Yosep, 24 ans (le nom a été modifié) : « Nous avons été chassés de Turquie, d’Iran, puis d’Irak. Nous devons combattre pour ne pas perdre le Khabour. » Sur son gilet de combat, il a accroché une balle de kalachnikov qu’il a prévu de se loger dans le crâne s’il se trouvait acculé par l’ennemi. Comme beaucoup de ses camarades, il porte l’anti- que couteau légèrement recourbé des guerriers du Hakkari, souvenir d’un premier exil. Yosep et les siens voudraient rendre à cet objet, aujourd’hui utilisé dans les danses traditionnelles assyriennes, sa vocation première : « Mon arrière-grandpère l’avait quand il est arrivé ici, c’est à mon tour de m’en servir. » En ce printemps 2015, sur les bords du sillon fangeux qui signale l’ancien cours de la rivière Khabour, les montagnes du Hakkari paraissent lointaines, perdues dans les brumes du mythe originel. C’est pourtant là-bas, aux confins des Empires ottoman et perse, que sont nés les ancêtres de Yosep, dans un monde violent où les clans chrétiens et kurdes s’alliaient et se combattaient au mépris de leur appartenance confessionnelle, n’obéissant qu’aux lois de la force et de l’honneur et aux rythmes des transhumances et des hivernages. Sur un même territoire gouvernaient alors l’émir kurde et le patriarche de l’Eglise syrienne orientale, chef spirituel et temporel des chrétiens montagnards. Mar Simon Benjamin occupait ce poste en 1915. Désireux de s’opposer à Constantinople, qui, entrée en guerre aux côtés des Empires germanique et austro-hongrois, s’était lancée dans une campagne génocidaire contre les chrétiens de l’Empire, le patriarche entraîne en mai 1915 les tribus chrétiennes dans une alliance avec la Russie. En réaction, les Ottomans et leurs alliés kurdes écrasent les insurgés et, malgré leur résistance tenace, dé- vastent leurs terres, les poussant sur le chemin d’un exode qui se poursuit un siècle plus tard. Les Assyriens fuient le Hakkari à travers les montagnes pour rejoindre la ville perse d’Ouroumieh, d’abord sous contrôle russe, puis, après la révolution bolchevique de 1917, britannique. A son tour, Londres leur promet l’indépendance Refusant la fatalité d’un nouvel exode, certains ont pris les armes aux côtés des Kurdes pour qu’ils participent à la guerre. Contraints de fuir devant l’avancée ottomane vers la Mésopotamie anglaise (l’actuel Irak), ils seront les oubliés des traités de paix qui décideront de l’avenir des anciens territoires ottomans. En Irak, les Britanniques recrutent des réfugiés assyriens dans leurs troupes supplétives, les levies, avant de les abandonner à leur sort au moment où l’Irak chemine vers son indépendance (acquise en 1932). Dans un geste punitif criminel et fondateur du nationalisme irakien, plusieurs milliers d’Assyriens sont assassinés en août 1933 au nord du pays par l’armée irakienne et les tribus kurdes. D’autres tentent de traverser le Tigre pour se réfugier en haute Djezireh syrienne sous protectorat français. Abandonnés par toutes les puissances qui ont jugé bon de les utiliser au gré des circonstances et privés de toute perspective de retour au Hakkari par la Turquie de Mustafa Kemal (1881-1938), les Assyriens sont pris en main par la Société des nations (SDN), qui envisage de les expédier en Guyane ou au Niger avant de juger plus raisonnable, en 1935, de les installer sur les rives du Khabour, dans cette Djezireh déserte que d’autres réprouvés chrétiens et kurdes de l’Empire ottoman viennent coloniser sous le patronage de la France. Les Assyriens, pasteurs seminomades et montagnards, sont invités à cultiver la plaine. « Nous étions prospères, mais nous ne pouvions vivre pour toujours sur des terres où on ne voulait pas de nous », raconte Yakob, un responsable politique local en parcourant les rues désertes de Tel Tamar, ancien chef-lieu de la colonie. Après l’indépendance syrienne, en 1946, les écoliers assyriens sont punis s’ils parlent leur langue, et leurs parents sont fortement incités à donner des noms arabes à leurs enfants. La communauté est victime de vols et autres exactions commis par le voisinage et parfois couverts par les autorités, tandis que la rivière se tarit jusqu’à son assèchement complet en 1996. Les ponctions des populations arabes installées en amont par Damas et, au-delà, des installations hydrauliques turques ont transformé le Khabour, unique ressource de la région, en un chapelet de cloaques boueux. « On nous a tués à petit feu, conclut Yakob, l’exil des gens du Khabour avait déjà commencé avant l’arrivée de Daech. Ceux qui restent sont les tout derniers. » Saint-Georges, avec sa lance, peint sur les murs de plusieurs maisons abandonnées où de rares habitants viennent récupérer leurs biens dans le fracas intermittent des tirs qui s’échangent au loin, paraît bien impuissant. La plupart des habitants ont pris le chemin de Kamechliyé, tout proche de la frontière turque, dont l’aéroport contrôlé par le régime assure une liaison avec Damas, d’où l’on peut rejoindre Beyrouth en attendant de s’envoler définitivement pour l’Occident. Selam Keko, 65 ans, est l’un de ces réfugiés. En attendant de partir, il occupe avec son épouse un appartement dont les occupants précédents ont déjà émigré. Un purgatoire avant l’exil baigné dans la lumière grise d’un néon. Il sourit légèrement en regardant une photographie ancienne montrant l’installation de son grand-père sur les rives du Khabour en compagnie d’un fonctionnaire français. Il l’a emportée en quittant sa maison pour la dernière fois. « J’ai toujours su que je ne mourrai pas dans mon village. Le Khabour est maintenant derrière nous », dit-il dans un souffle où se mêlent la déchirure du départ et un soupçon de soulagement. p allan kaval génocide des arméniens | 7 0123 JEUDI 23 AVRIL 2015 Arméniens de Turquie « Même si nous sommes éparpillés pendant cent ans à travers le monde, l’Arménie reste notre terre pour l’éternité. Les maisons bâties par mes grands-parents sont toujours là, comme les arbres que nous avons plantés, les sillons dans les collines… » La photographe Scout Tufankjian a 37 ans. Elle est née aux Etats-Unis et a documenté la diaspora arménienne dans vingt pays, avant de se rendre, en 2012, sur la « terre ancienne », comme l’appelait sa grand-mère. Ruines des villages dévastés, plaines traversées par des milliers d’Arméniens en fuite, églises rebâties, traditions retrouvées, Scout Tufankjian collecte les empreintes de l’identité arménienne. Une partie de son travail est en ligne (Scouttufankjian.com) et elle vient de publier ses reportages sur le souvenir commun d’un peuple disséminé dans le livre There Is Only the Earth. Images From the Armenian Diaspora Project (Melcher Media, 224 p., 28 $). Les monts Taurus près de Saimbeyli (Turquie). Avant 1915, la ville s’appelait Hadjin et abritait une communauté de 26 000 Arméniens. Moins de 4 000 personnes y vivent aujourd’hui. PHOTOS : SCOUT TUFANKJIAN/POLARIS IMAGES K Dans un café de Vakifli, le dernier village arménien de Turquie, près de la frontière syrienne. Au mur, un portrait de Mustafa Kemal Atatürk. K K Célébration du Vartavar, un rite de purification, sur l’île de Kinaliada, à Istanbul. De nombreux Arméniens séjournent encore dans ce lieu de villégiature traditionnel de la communauté. Messe du dimanche de Pâques, en 2014 dans l’église arménienne Saint Giragos, dévastée pendant le génocide et récemment restaurée, à Diyarbakir, en Turquie. SCOUT TUFANKJIAN/POLARIS IMAGES 8 | génocide des arméniens 0123 JEUDI 23 AVRIL 2015 Chronologie 1877-1878 Guerre russo-turque, défaite de l’Empire ottoman. Les traités de San Stefano (mars 1878) et de Berlin (juillet 1878) entérinent la perte de la majeure partie des Balkans et mentionnent la mise en place de réformes dans les provinces orientales de l’empire. Début de la « question arménienne ». Des touristes turcs devant l’île d’Akdamar (est), ancien centre religieux arménien, dont les moines furent massacrés en 1915. 1894-1896 Les massacres d’Arméniens en Anatolie et à Constantinople font 100 000 à 300 000 morts. SCOUT TUFANKJIAN/ POLARIS IMAGES 1908 Juillet Révolution jeune-turque, rétablissement de la Constitution ottomane et arrivée au pouvoir du Comité union et progrès (CUP). 1909 Mars-avril Le CUP massacre des Arméniens à Adana (sud) : entre 20 000 et 30 000 morts. 1914 3 août Décret de mobilisation générale dans l’Empire ottoman. Création de l’Organisation spéciale, bras armé du CUP. Trois mois plus tard, le 2 novembre, l’Empire ottoman entre en guerre aux côtés de la Triple Alliance. Fin décembre 2014janvier 1915 Défaite ottomane « Pour les Turcs, reconnaître le génocide est une trahison » Selon l’historien Edhem Eldem, le négationnisme d’Etat peut s’appuyer sur un siècle d’endoctrinement nationaliste, même si la société commence à s’émanciper de l’histoire officielle E dhem Eldem enseigne l’histoire à l’université de Bogazici, à Istanbul. Spécialiste de l’histoire économiste et sociale de l’Empire ottoman au XIXe siècle, il a étudié les massacres d’Arméniens à Istanbul en 1896 et a été membre du comité d’organisation de la conférence organisée en 2005 à Istanbul sur le sort des Arméniens de l’Empire ottoman. Que signifie commémorer aujourd’hui en Turquie le centenaire du génocide des Arméniens ? Pour ceux qui le font – ils sont fort peu nombreux –, il s’agit d’un devoir de mémoire, d’un engagement moral et parfois d’un défi politique. Pour la grande majorité de la population, la question ne se pose même pas puisque le génocide est nié. Le reconnaître et le commémorer équivalent par conséquent à une forme de trahison ou, au mieux, à des errements causés par un endoctrinement étranger. Il faut cependant signaler que la commémoration est désormais possible, alors qu’elle était impensable il y a à peine une décennie. Sur le temps long de l’histoire de l’Empire ottoman, quelle est la particularité de la relation entre Turcs et Arméniens ? Je ne suis pas sûr qu’on puisse vraiment parler de Turcs dans un contexte ottoman. C’est une appellation occidentale qui est reprise par le récit national et nationaliste turc qui s’évertue à « turquifier » le passé ottoman. Cela étant dit, il est vrai que les Arméniens et les musulmans turcophones de l’empire avaient des liens de proximité et de familiarité, telle la langue turque, très usitée par les Arméniens. Commun aussi aux « Turcs » et aux Arméniens, un profond ancrage dans le territoire anatolien où bon nombre d’Arméniens sont de simples paysans. Même à Istanbul, le profil de l’Arménien moyen se rapproche beaucoup de celui des musulmans. L’élite ottomane se plaisait à appeler les Arméniens millet-i sadıka, la « nation fidèle ». Venimeux et cynique compliment qui résume la dimension tra- gique du sort des Arméniens ottomans. Une population dont l’écrasante majorité ne voulait pas concevoir son avenir hors de l’empire, mais qui finit par être accusée de tous les maux d’un système en déliquescence. Les Lumières ont-elles joué un rôle d’accélérateur des tensions ? Disons plutôt qu’une certaine forme de modernité, dérivée des transformations politiques et idéologiques de l’Europe, a fortement influencé l’Etat et la société ottomans au XIXe siècle, notamment à travers l’occidentalisation du système. L’impact de cette modernité a été ambivalent. D’une part, un aspect positif : une forme de rationalisation de la politique, une plus grande intégration avec le monde extérieur, une émancipation progressive de la société et notamment des non-musulmans. D’autre part, le revers de la médaille : l’écart se creuse entre les « modernes » et les autres, entre l’élite et les laissés-pour-compte. Dans le cas des Arméniens, mais aussi des autres communautés non musulmanes, cette ambivalence est assez visible. Les réformes créent un système qui, sans être constitutionnel ou parlementaire, s’ouvre à un certain degré de participation et de représentation au profit des non-musulmans. Mais le système bloque sur la notion d’égalité entre musulmans et nonmusulmans. Le principe de base est l’équité, qui permet de traiter les autres avec justice sans pour autant les considérer comme des égaux. C’est hélas encore ainsi que fonctionne aujourd’hui la société turque. Cela explique que, bien qu’aucun texte ne l’interdise, il est pratiquement impossible à un non-musulman d’accéder à un poste dans l’armée ou dans la fonction publique en dehors des secteurs « secondaires », comme l’université. Au XIXe siècle, l’élite et les classes moyennes arméniennes se développent rapidement, mais, si ce développement se traduit par des acquis sociaux, culturels et économiques, les droits politiques ne suivent pas au même train et il en découle des frustrations et des tensions importantes. Celles-ci, combinées avec la montée du nationalisme et la faillite de l’empire, ont fini par créer un mélange explosif. L’Europe en général et la France en particulier ont exprimé, dès le XIXe siècle, leur sympathie envers les Arméniens mais aussi leur soutien à l’intégrité de l’Empire ottoman. Pouvait-on concilier ces deux positions ? Il suffit d’observer l’Europe et le Moyen-Orient aujourd’hui pour voir à quel point la realpolitik et les politiques humanitaires peuvent se retrouver en porte-à-faux. Les Arméniens ottomans ne bénéficiaient d’aucun véritable soutien international au-delà de quelques vœux pieux de réforme prononcés après le congrès de Berlin de 1878 et d’une vague de compassion après que les massacres eurent pris de l’ampleur dans les années 1890. Considérez-vous que les origines du génocide de 1915 remontent au XIXe siècle avec les massacres de 1894-1896 ? Les massacres du règne d’Abdülhamid II [sultan de 1876 à 1909] constituent un tournant décisif. Il s’agit du passage des massacres « à l’ancienne » – localisés, sporadiques – aux massacres « modernes », provoqués, organisés, et de toute évidence commandités par le souverain. Sous Abdülhamid II, le massacre devient l’instrument d’un terrorisme d’Etat dirigé contre toute une communauté. Dès lors, il paraît impossible de ne pas faire un lien entre le caractère particulièrement systématique de cette vague de violence et la politique d’annihilation et de destruction que mettront en place les Jeunes-Turcs. Vous avez été l’un des artisans de la première conférence sur le génocide des Arméniens organisée sur le sol turc en 2005. Le négationnisme d’Etat est-il indéboulonnable en Turquie ? Le négationnisme est renforcé par près d’un siècle d’endoctrinement. Au moins trois générations ont grandi dans une sorte de vase clos, nourries d’un discours combinant déni et victimisation. Ce « gel » de l’Histoire rend la confrontation d’autant plus pénible aujourd’hui dans un pays où le natio- nalisme fait partie de la culture de masse. Un gouvernement osant aller dans ce sens serait assuré d’une perte massive de voix [aux élections]. Pourtant, les choses ont bougé, notamment sous le gouvernement actuel. Un seuil a été franchi après la conférence de 2005 : il est désormais possible de parler et de publier à ce sujet, et le discours officiel s’est transformé pour inclure un brin d’empathie et reconnaître la souffrance de l’autre. Rappelons aussi que certains acteurs politiques, notamment kurdes, parlent ouvertement de reconnaissance du génocide. Cette historiographie marginale que vous incarnez, à propos de 1915, va-t-elle prendre le pas sur le discours négationniste officiel ? Le problème est beaucoup plus vaste et profond. L’exploitation et la manipulation de l’Histoire à des fins politiques sont à la base de l’idéologie et de la politique turques depuis environ un siècle. Du point de vue de l’historien, le négationnisme officiel rejoint d’une part le mythe kémaliste des années 1930 de « nos ancêtres les Hittites », qui voulait que toutes les populations anatoliennes fussent turques, et, d’autre part, les fantaisies néo-ottomanistes du gouvernement actuel, qui prétendent établir une continuité nationale entre le passé ottoman et le présent. C’est ce qui m’a fait écrire récemment qu’il fallait « sauver l’histoire ottomane des Turcs ». Même si je reconnais de très sérieux progrès pendant ces deux dernières décennies, il me semble que, tant que l’histoire restera otage de la politique et du populisme, la « bonne » histoire aura beaucoup de mal à sortir de cette marginalité. Le véritable défi est de faire de « l’histoire solide » qui puisse se prêter à une vulgarisation intelligente sur ce sujet. Nous n’y sommes pas encore, mais ce que j’observe au sein d’une jeune génération de chercheurs me donne de l’espoir. Croyez-vous qu’un jour la Turquie reconnaîtra le génocide des Arméniens ? Ma réponse précédente traduit mon ambivalence à ce sujet. p propos recueillis par gaïdz minassian à Sarikamich (nord-est). La IIIe armée d’Enver Pacha est défaite, 80 % des soldats turcs sont tués. 1915 25 février Enver Pacha signe un décret ordonnant le désarmement des soldats arméniens de la IIIe armée. Mars Réunions secrètes du CUP portant sur l’élimination des Arméniens de l’Empire ottoman. 24 avril Début de l’arrestation et de l’élimination de milliers d’intellectuels arméniens à Constantinople et dans les autres villes de l’empire. Avril-octobre Première phase du génocide : les Arméniens des six provinces orientales (Arménie historique) ainsi que de Cilicie et de Cappadoce sont déportés vers la Syrie et la Mésopotamie. 24 mai Déclaration commune de la Triple Entente (Russie, France, Grande-Bretagne) qui rappelle la pleine responsabilité de Constantinople dans ce « crime contre l’humanité et la civilisation ». 1916 Février-décembre Deuxième phase du génocide : les Arméniens détenus dans des camps en Syrie et Mésopotamie sont exterminés. 1918 28 mai Proclamation de la République d’Arménie. 30 octobre Signature de l’armistice de Moudros (île de Lemnos, mer Egée) entre les Alliés et l’Empire ottoman vaincu. 1919 8 janvier Formation d’une cour martiale extraordinaire pour juger les responsables des massacres des Arméniens. Le 5 juillet, les dirigeants du CUP Mehmet Talaat, Ismaïl Enver, Ahmed Djemal et le docteur Mehmet Nazim sont condamnés à mort par contumace. 1920 10 août Signature du traité de Sèvres entre les Alliés et l’Empire ottoman. Les six provinces orientales sont intégrées, sur le papier, à la République d’Arménie. 1920-1921 L’Arménie est intégrée à l’URSS. 1921 15 mars Assassinat à Berlin de l’ancien grand vizir Talaat Pacha par le militant arménien Soghomon Tehlirian. Début de l’opération « Némésis » visant à exécuter les responsables du génocide. 1923 24 juillet Le traité de Lausanne annule les dispositions du traité de Sèvres et entérine la reprise de toute l’Anatolie par la Turquie.