FRANÇAIS (EMPIRE COLONIAL)
Article €crit par Jean BRUHAT
Prise de vue
Avec 12•millions de kilom‚tres carr€s et 68•690•000 habitants, l'empire colonial franƒais €tait en 1939 le
deuxi‚me du monde, apr‚s celui de l'Angleterre. „ vrai dire, la notion d'empire colonial franƒais est
relativement r€cente et n'a jamais rev…tu une forme institutionnelle. Plus que d'empire, l'historien devrait
parler de domaine colonial franƒais, se demander comment il a €t€ constitu€ et quels ont €t€ les avatars de la
colonisation franƒaise. Dans cette recherche, il convient de ne jamais confondre les €poques. Car, † chacune
d'elles, correspondent des types particuliers de motivations et de formes d'expansion. Il est de tradition de
distinguer chronologiquement deux empires coloniaux franƒais. Le premier, qui est form€ par †-coups † partir
du XVIe•si‚cle, d€cline d‚s le trait€ d'Utrecht (1713) et se disloque † l'€poque du trait€ de Paris, qui consacre la
victoire de l'Angleterre (1763), et lors de la R€volution. Le second, dont les premiers €l€ments sont constitu€s †
partir de 1830, n'atteint son plein d€veloppement qu'apr‚s 1880. ‡branl€ par la Premi‚re Guerre mondiale, il
succombe sous les coups des mouvements nationalistes au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
Il ne s'agit pas de pr€senter ici une histoire €v€nementielle de l'empire colonial franƒais ni de d€crire
l'€volution des diff€rents territoires qui l'ont constitu€. Il convient avant tout de distinguer les principales
€tapes de sa formation. „ quel contexte g€n€ral sont-elles li€es•? Quels sont pour chacune les traits
caract€ristiques•? Pas plus qu'on ne peut fixer avec rigueur la date de formation de l'empire colonial franƒais, il
n'est possible de pr€ciser la date exacte de son €clatement. Mieux vaut saisir cet empire † son apog€e, mettre
en lumi‚re les forces de dislocation qu'il rec‚le et montrer pourquoi, † un certain moment, ces forces l'ont
emport€. De plus en plus, l'histoire scientifique de la colonisation est faite du point de vue des peuples qui
furent colonis€s•: ce qu'ils €taient avant la colonisation, ce qu'ils furent pendant, ce qu'ils sont devenus après.
Ici, le fait colonial sera envisag€ du point de vue de la m€tropole•; car, en derni‚re analyse, c'est dans la
m€tropole que l'on doit, avec un esprit d'autant plus critique que cette histoire a €t€ pendant longtemps par€e
des plus belles couleurs, rechercher l'explication du ph€nom‚ne de la formation et du destin de l'empire
colonial franƒais.
I-Les origines
Une tradition pseudo-historique, confondant expansion et colonisation et puisant † des sources douteuses,
tendait † justifier la formation des empires coloniaux franƒais en cherchant tr‚s loin dans le pass€ les origines
de ce fait colonial. On annexait † cette histoire les initiatives des Normands en Sicile et dans l'Italie du Sud, la
participation des nobles franƒais † la Reconquista ib€rique, les croisades, naturellement, voire l'extension de la
mouvance carolingienne au temps de Charlemagne. Les initiatives coloniales franƒaises ne datent en r€alit€
que de l'€poque moderne et sont m…me post€rieures † celles des Espagnols et des Portugais. Sans doute
peut-on mentionner l'€tablissement de Jean de B€thencourt aux Canaries au d€but du XVe•si‚cle (1402-1408).
Mais le sire de B€thencourt se reconnaˆt tr‚s t‰t vassal d'Henri•III de Castille. D'autre part, aucun historien
n'accorde cr€ance † ces r€cits qui attribuaient aux Dieppois et aux Rouennais la d€couverte de la Guin€e au
XIVe•si‚cle. En revanche, certaines interventions apparaissent au XVe•si‚cle dans lesquelles les pr€occupations
commerciales l'emportent sur la volont€ de colonisation. En France comme ailleurs, ce sont les marchands qui
commencent une Šuvre qui deviendra ult€rieurement une entreprise de colonisation. Sous le r‚gne de
Charles•VII, les affaires de Jacques CŠur rayonnent dans tout le bassin de la M€diterran€e. Louis•XI tente de
cr€er une compagnie de commerce dans le Levant.
Toutefois, la France ne joue aucun r‰le dans le mouvement des grandes d€couvertes. Les raisons en sont
multiples•: manque d'audace de la bourgeoisie marchande, attirance de l'Italie, insuffisance de la marine.
Franƒois•Ier proteste bien contre le partage des nouveaux mondes entre l'Espagne et le Portugal, mais par souci
de prestige plus que par int€r…t pour la colonisation. La qu…te des €pices et des m€taux pr€cieux n'attire que
des commerƒants ou banquiers avides de gains. En fait, la piraterie est d'un revenu plus s‹r. Mieux vaut
s'emparer des galions espagnols charg€s d'or que de se risquer † l'occupation des terres d'oŒ viennent ces
galions. La piraterie est en m…me temps une forme de lutte contre Charles Quint. Les rares tentatives de
colonisation n'ont gu‚re de r€sultats, et il faut se garder de pr…ter † des d€couvreurs franƒais des projets trop
pr€cis. Entre 1535 et 1540, Jacques Cartier reconnaˆt et remonte l'estuaire du Saint-Laurent, fonde un
€tablissement † Qu€bec et obtient de Franƒois•Ier qu'il prenne possession du Canada et d'Hochelaga (1540).
maître assistant à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris
C'est un €chec. Le Malouin Cartier n'a pas d€couvert ce qu'il cherchait, † savoir la route qui pouvait conduire
au fabuleux Cathay de Marco Polo. Il n'a trouv€ ni or ni pierres pr€cieuses. De ces premiers contacts comme de
la tentative de colonisation de J.•F.•de Roberval qui €choue €galement, il ne reste gu‚re qu'un trafic•: le troc de
la bimbeloterie contre des fourrures que pratiquent les p…cheurs franƒais de Terre-Neuve et qui enrichit les
ports de Normandie et de Bretagne. Des protestants sont † l'origine d'autres initiatives•: J.•Ribault et Goulaine
en Floride (ils sont €cras€s par les Espagnols en 1565), Durand de Villegagnon au Br€sil (il doit c€der la place
aux Portugais en 1559). Sur la route des €pices, des navires franƒais apparaissent dans l'Inde devant Diu en
1522. Les fr‚res Jean et Raoul Parmentier, qui naviguent pour le compte de l'armateur dieppois Jean Ango,
atteignent Sumatra oŒ ils trouvent la mort. Le trait€ des Capitulations (1536) accorde bien † Franƒois•Ier des
avantages commerciaux dans le Levant. Mais peut-on parler de colonisation•? Si, par ailleurs, l'amiral de
Coligny €voque une ••France antarctique•Ž, ne s'agit-il pas avant tout d'y trouver un refuge pour les
huguenots•?
„ toute expansion coloniale, il faut des raisons internes. Elles n'existent gu‚re dans la France du
XVIe•si‚cle. Les guerres de religion affaiblissent l'‡tat et accaparent les €nergies disponibles. Il se produit sans
doute une certaine €volution vers des structures capitalistes•: le port du Havre est cr€€ en 1537 et, par Dieppe,
on a commenc€ † entrer en contact avec les richesses des nouveaux mondes. Toutefois, la population
franƒaise est rurale † quatre-vingt-dix pour cent. L'€conomie est pauvre, cloisonn€e, €cras€e sous les
pr€l‚vements seigneuriaux et royaux et secou€e par des crises de subsistance. Les habitudes de
th€saurisation persistent (et pour longtemps encore) dans la petite bourgeoisie des villes et des campagnes. Le
personnel des centres de sp€culation, comme Lyon, est souvent €tranger. Les bourgeois enrichis abandonnent
les m€tiers de la boutique ou de l'atelier. Ils ach‚tent des terres et, gr•ce † la v€nalit€ des offices, acc‚dent †
la noblesse de fonction.
II-Le premier empire colonial
Formation
Certains des facteurs que l'on vient de mentionner se modifient au XVIIe•si‚cle•; entre l'av‚nement d'Henri
IV (1589) et la mort de Colbert (1683), la monarchie fonde un premier empire colonial.
1600 à 1700. Les nouveaux conquérants
Les nouveaux conqu€rants : Hollande, Angleterre, France, Russie. Guerre de Trente
Ans. Louis XIV.La pr€pond€rance de l'Espagne et du Portugal s'ach‚ve au cours du
XVIIe si‚cle devant les app€tits commerciaux des autres grandes puissances
europ€ennes.Les Provinces-Unies calvinistes, dont l'Espagne a d‹ reconnaˆtre
l'ind€pendance lors des trait€s de Westphalie en 1648, sont en pleine prosp€rit€
€conomique •(2005 Encyclop‘dia Universalis France S.A.)
Premières expériences
Au d€part, il n'y a aucun dessein d'ensemble, et l'orientation s'explique par les changements qui sont
intervenus. La paix int€rieure est † peu pr‚s r€tablie gr•ce † l'€dit de Nantes en 1598, ce qui favorise la reprise
de la vie €conomique. La fin des guerres de religion a lib€r€ des gentilshommes avides d'aventures, de terres
et de richesses. L'Espagne est affaiblie. L'Italie et le Saint Empire demeurent morcel€s. Le mercantilisme tend †
dominer la politique €conomique en tant que syst‚me de pens€e et d'intervention. L'€l€ment fondamental de
la doctrine consiste dans l'€bauche d'une th€orie de la balance commerciale, † savoir que l'exc€dent de la
balance est source de prosp€rit€ et de puissance, et qu'il peut r€sulter d'une action concert€e de l'‡tat ’ ce qui
suppose le renforcement de ce dernier. Tel est pr€cis€ment le cas de la France au XVIIe•si‚cle. Dans cette
perspective, il importe de contr‰ler des territoires qui pourront fournir † la m€tropole les produits qui lui
manquent. Il n'est plus tellement question de qu€rir de l'or. Dans son Histoire de la Nouvelle-France (1609),
l'avocat Marc Lescarbot €crit•: ••La plus belle mine que je sache, c'est du bl€ et du vin avec la nourriture du
b€tail•; qui a ceci a de l'argent.•Ž En 1615, dans son Traité de l'économie politique, Montchrestien a d€velopp€
ses arguments en faveur de l'expansion coloniale•: la gloire, le d€veloppement du commerce, l'€migration et la
conversion. L'opinion est loin cependant d'…tre unanime. Si Lescarbot conseille de ••coloniser des terres
nouvelles•Ž, si Montchrestien estime qu'il faut ••planter et provigner de nouvelles Frances•Ž, pour Sully, par
contre, de ••telles conqu…tes•Ž sont ••disproportionn€es au naturel des Franƒais•Ž et ••on ne tire jamais de
grandes richesses de lieux situ€s au-del† de quarante degr€s•Ž.
Des exp€ditions sont organis€es en direction du Canada dont les plus importantes sont celles de Samuel de
Champlain. Un €tablissement est fond€ en Acadie et le comptoir de Qu€bec est r€tabli. Les missionnaires,
r€collets puis j€suites, poussent Champlain † s'immiscer dans les querelles entre Indiens, car ils consid‚rent
comme relevant de leur seule autorit€ les paroisses des ••convertis•Ž. Toutefois, en 1627, on ne compte que
soixante-cinq Franƒais † Qu€bec et une centaine d'autres dans le reste du pays. Les ••colons•Ž ne pratiquent
gu‚re que le commerce, et en particulier le trafic des fourrures.
Les Voyages de Champlain
Le Franƒais Samuel de Champlain (1567-1635) relate dans cet ouvrage ses voyages
sur les c‰tes de la Nouvelle-France (le Canada) † la recherche de la route de l'Ouest
vers la Chine et les Indes. Il a fond€ la ville de Qu€bec en 1608.(Hulton Getty)
Aux Antilles, des Havrais s'installent † Saint-Christophe. D. de La Ravardi‚re prend pied en Guyane oŒ il se
heurte aux Portugais.
Les tentatives faites par Henri•IV en vue de cr€er des compagnies de navigation qui auraient le monopole
du commerce avec les Indes occidentales ou les Indes orientales n'ont gu‚re de succ‚s. Les capitaux
manquent ou se d€robent et les armateurs pr€f‚rent garder leur libert€ d'action.
Richelieu et la politique coloniale
Avec Richelieu, on peut (avec une certaine prudence) parler, pour la premi‚re fois, d'une politique coloniale
syst€matique. Le point de d€part n€anmoins ne concerne que la marine. Richelieu a fait cr€er pour lui en 1626
la charge de ••grand-maˆtre, chef et surintendant g€n€ral de la navigation et du commerce de France•Ž. Le
programme qu'il d€veloppe devant l'Assembl€e des notables en 1627 n'est pas colonial en apparence. Il s'agit
avant tout du commerce ••de mer•Ž auquel les nobles peuvent d€sormais se livrer sans d€roger (en
contrepartie, des armateurs et des marchands au long cours pourront acc€der † la noblesse). Pour favoriser
ces activit€s, Richelieu cherche † d€velopper la marine de guerre et † cr€er des compagnies de commerce.
Celles-ci (le plan lui en avait €t€ pr€sent€ par un marin, Isaac de Razilly) disposent de la propri€t€ du sol ••en
toute justice et seigneurie•Ž, du monopole du trafic avec la m€tropole, de l'exemption de certains droits
d'entr€e ou de sortie et de primes royales sous la forme de subventions ou de livraisons de b•timents. En
contrepartie, les compagnies sont soumises † certaines obligations•: prendre † leur charge les frais
d'administration, de justice et de s€curit€, assurer le fonctionnement de l'institution des ••engag€s•Ž
(v€ritables esclaves ••† temps•Ž recrut€s dans la m€tropole pour le peuplement de la colonie), entretenir des
religieux pour l'€vang€lisation des indig‚nes et transporter annuellement un certain nombre de colons. Les
pr€occupations commerciales n'excluent pas d'autres soucis. La France se procure de l'or † la faveur
d'exportations vers l'Angleterre, l'Espagne et la Scandinavie. En revanche, Richelieu accorde un grand int€r…t †
la conversion. Raisons religieuses sans aucun doute, mais aussi politiques•: le roi de France ne peut laisser †
l'Espagne le monopole de la puissance catholique.
Quels sont les r€sultats•? Au Canada, la Compagnie des Cent-Associ€s est affaiblie non seulement par les
conflits avec les Anglais, mais aussi par le z‚le excessif des missionnaires (l'exclusion des protestants avait €t€
d€cid€e par le cardinal) et par les rivalit€s qui opposaient le gouverneur et le vicaire apostolique. Montr€al est
fond€e en 1642. L'Acadie occup€e par les Anglais n'est restitu€e qu'en 1667. L'int€r…t des Antilles r€side
d'abord dans la production du tabac, puis plus tard dans celle du coton, de l'indigo et enfin, † partir de 1640,
dans celle de la canne † sucre. La Martinique, la Guadeloupe, Grenade, Tobago sont occup€es. Cette
colonisation est surtout le fait de la Compagnie de Saint-Christophe puis de celle des Isles d'Am€rique•: au total
quatorze ˆles avec quelque cinq mille Franƒais. La Compagnie des Indes est dissoute en 1649. Mises en vente,
les ˆles formeront pour un temps des seigneuries ind€pendantes. Quant aux indig‚nes, les Cara“bes, ils avaient
€t€ progressivement extermin€s ou rel€gu€s. Les boucaniers, qui font commerce des peaux des taureaux dont
ils ••boucanent•Ž la viande, et les flibustiers, en majorit€ franƒais, qui vivent de la piraterie, pullulent dans ces
parages.
La Compagnie du Cap Nord, cr€€e par des marchands de Rouen, €choue dans la Guyane, qu'on prenait
pour l'Eldorado. Sur la c‰te occidentale de l'Afrique oŒ l'on recherchait l'or, la gomme, l'ivoire et, † partir de
1642, les esclaves, la Compagnie normande de S€n€gambie cr€e en 1641 un €tablissement qui prendra plus
tard le nom de Saint-Louis. Dans l'oc€an Indien, l'initiative revient † la Compagnie de l'Orient fond€e par des
Dieppois. Apr‚s la prise de possession de quelques territoires (ˆles Rodrigues et Bourbon, ˆle de Sainte-Marie,
baie d'Antogil † Madagascar, fondation de Fort-Dauphin), ces €tablissements ne tardent pas † p€ricliter.
Durement trait€es, les populations indig‚nes profitent de toutes les occasions pour se r€volter. On a d'ailleurs
exag€r€ l'importance de ces premiers €tablissements † Madagascar pour justifier plus tard par une pr€tendue
anciennet€ les ••droits•Ž de la France sur l'ˆle. De leur c‰t€, les Marseillais continuent † s€journer et † trafiquer
avec plus ou moins de succ‚s en Afrique du Nord.
La minceur des r€sultats contraste avec la grandeur du dessein. Sans doute, des trafiquants dieppois,
rochelais ou marseillais intriguent et font des affaires•; des colons s'implantent au Canada et dans les Indes
occidentales. Mais les compagnies disparaissent ou v€g‚tent faute de capitaux. Richelieu, d'autre part,
demeure avant tout pr€occup€ de politique continentale. La colonisation n'€tait pour lui qu'une arme contre les
ennemis du royaume, un moyen d'affaiblir des puissances rivales comme les Provinces-Unies, l'Espagne ou
l'Angleterre.
Colbert et le domaine colonial
Ce n'est qu'avec Colbert qu'on peut parler sinon d'un empire, tout au moins d'un v€ritable domaine colonial
franƒais. Administrativement, Colbert r€alise la fusion des affaires maritimes et des entreprises coloniales.
Cependant, le domaine colonial ne pr€sentera jamais une v€ritable unit€ administrative. La colonisation
apparaˆt comme une des conditions de la prosp€rit€ €conomique de la France. D‚s 1653, dans le programme
qu'il soumet † Mazarin, Colbert met l'accent sur l'importance des colonies. Leur peuplement n'a pour lui
d'int€r…t que dans la mesure oŒ il est indispensable pour accroˆtre la production. On fera appel, selon les cas, †
des ••engag€s•Ž recrut€s par contrat, † des familles transport€es ou † des esclaves noirs. Les terres † coloniser
sont celles qui peuvent fournir des denr€es ou des produits exotiques, soit les Indes occidentales d'oŒ viennent
le tabac, l'indigo, le sucre, soit l'Inde oΠles comptoirs permettent de se procurer les cotonnades, les soieries, le
th€ de Chine et les €pices des Moluques. Encore faut-il que ce commerce ne profite pas aux €trangers. Aussi le
r‚glement du 16 juin 1670 €tablit-il le monopole du pavillon pour le commerce franco-colonial. Ce r€gime, dit
de l'Exclusif, appel€ † tort le ••pacte colonial•Ž, constitue l'adaptation aux colonies des principes mercantilistes.
Il convient de ne pas en exag€rer le caract‚re syst€matique, car, d'une part, son application se heurte † des
int€r…ts contradictoires et, d'autre part, les fraudes sont fr€quentes.
Comme Richelieu, Colbert pense que l'instrument d'une telle colonisation est la compagnie † charte. Cinq
sont cr€€es ou r€organis€es. La Compagnie des Indes occidentales (1664), dont le si‚ge est au Havre, reƒoit le
monopole du commerce de l'Am€rique, de la c‰te occidentale d'Afrique. La m…me ann€e est fond€e, avec
Lorient pour port d'attache, la Compagnie des Indes orientales, dont le secteur comprend les terres au-del† des
caps Horn et de Bonne-Esp€rance, en vue surtout de l'exploitation de l'Inde et de la Chine. On doit encore †
Colbert trois autres compagnies•: la Compagnie du Nord (1669) pour la Baltique, la Compagnie du Levant
(1670) pour la M€diterran€e et la Compagnie du S€n€gal (1673) pour la traite des Noirs.
L'exemple du Canada met en lumi‚re toutes les contradictions de la politique coloniale † cette €poque. La
domination franƒaise s'€tend territorialement † partir des centres de Montr€al et de Qu€bec. De 1673 † 1675,
Louis Joliet et le j€suite Jacques Marquette atteignent le bassin sup€rieur du Mississippi. En 1678, Robert
Cavelier de La Salle, fils d'un marchand de Rouen, entreprend la descente du Mississippi dont il d€couvre le
delta en 1682. Il prend alors possession de vastes prairies auxquelles, en l'honneur de Louis•XIV, il donne le
nom de Louisiane. L'administration de cette ••Nouvelle-France•Ž, avec son gouverneur (le comte de Frontenac,
de 1672 † 1682 et de 1689 † 1698), son intendant, ses divisions territoriales, est calqu€e sur celle de la France.
La justice y est rendue selon la coutume de Paris et le conseil souverain €quivaut † un parlement. La soci€t€
est organis€e sur une base f€odale. Les seigneuries occupent des espaces souvent tr‚s vastes. Les biens
d'‡glise repr€sentent environ le quart du territoire et le clerg€ pr€l‚ve la dˆme. Entre les paysans ’•venus pour
les trois quarts des provinces de l'Ouest (Saintonge, Aunis, Anjou, Poitou, Normandie) et de l'”le-de-France ’•et
les seigneurs existent les m…mes liens de d€pendance que dans la m€tropole. Les tenanciers doivent des droits
seigneuriaux•: cens et rentes, droits de lods et vente, droit de retrait, corv€es, banalit€s, etc. Mal pay€s, les
journaliers sont † la moindre revendication menac€s du fouet ou de la prison.
Louis Joliet et Jacques Marquette
Les explorateurs franƒais Louis Joliet (1645-1700) et Jacques Marquette (1637-1675)
d€couvrent le Mississippi en 1673.(Hulton Getty)
Des rivalit€s d'int€r…ts opposent les Indiens (dont on exploite les divisions) † l'ensemble des colons, et, †
l'int€rieur de la ••soci€t€ coloniale•Ž, dressent les paysans contre ceux, seigneurs ou gens d'‡glise, qui ont la
propri€t€ €minente sur la terre. Colbert doit renoncer pour le Canada au syst‚me des compagnies. En mars
1669, la libert€ de commerce y est €tablie. L'€tatisme colonial que Colbert refuse ailleurs est accept€ pour ces
terres d'Am€rique et la Nouvelle-France est annex€e au domaine royal (1663). Au Canada m…me, les conflits se
multiplient. Ils mettent aux prises les fonctionnaires royaux et les j€suites qui veulent par exemple isoler les
Indiens dans des ••r€ductions•Ž du type paraguayen, les ••coureurs des bois•Ž et les usuriers et marchands, les
gouverneurs et les intendants. Les options sont incertaines•: priorit€ † la conversion, trafic des fourrures, troc
avec l'eau-de-vie comme moyen d'€change, d€veloppement de l'agriculture, cr€ation d'industries (auxquelles
Colbert ne s'oppose pas, mais dont les marchands redoutent qu'elles tarissent le commerce). Chacun, au gr€
de ses int€r…ts, se prononce pour l'orientation qui lui est la plus profitable. Le territoire forme une bande de
largeur variable le long du Saint-Laurent, des Grands Lacs et du Mississippi, englobant des pays aux climats
divers mais coup€e du littoral ••utile•Ž que tiennent les Anglais, beaucoup plus nombreux (environ 200•000
contre 12•000 Franƒais). L'Acadie est isol€e malgr€ la cr€ation, en 1683, d'une Compagnie de l'Acadie et
commerce plus facilement avec les colonies anglaises qu'avec le Canada. Terre-Neuve, qui a un statut de
colonie, est fr€quent€e par les marins, mais elle ne compte que six cent trente-huit Franƒais en 1687.
Les Antilles, comme terres de productions tropicales, repr€sentent pour Colbert la colonie ••id€ale•Ž. Il en
sera ainsi pendant tout l'Ancien R€gime. Les ”les seront la colonie par excellence. Colbert fait racheter par la
Compagnie des Indes occidentales les ˆles dont les seigneurs €taient devenus propri€taires•; puis, le privil‚ge
de la Compagnie ayant €t€ r€voqu€, les ˆles sont rattach€es directement † la Couronne, qui est repr€sent€e
par des gouverneurs. Du point de vue territorial, malgr€ les avatars dus aux guerres, le gouvernement royal
conserve toujours la Guadeloupe, la Martinique, et, en 1679, le trait€ de Nim‚gue l€galise l'occupation de fait
de la partie occidentale de Saint-Domingue. Une soci€t€ typiquement coloniale s'€tablit progressivement. Les
planteurs blancs, nobles ou anciens ••engag€s•Ž qui ont r€ussi, forment une aristocratie fonci‚re. Les
••engag€s•Ž sont de moins en moins nombreux, en raison des conditions tr‚s dures qui leur sont impos€es.
Souvent en rupture de contrat, ils ne sont, ainsi que beaucoup d'immigrants ••libres•Ž, que de ••pauvres
Blancs•Ž. Plus de la moiti€ de la population est d€sormais form€e par les esclaves import€s d'Afrique. Colbert a
bien pr€par€ le Code noir qui a €t€ promulgu€ en 1685•; si ce texte tend th€oriquement † substituer des r‚gles
† l'arbitraire, s'il reconnaˆt aux esclaves la qualit€ d'hommes, il ob€it surtout † des soucis religieux (bapt…me
obligatoire de l'esclave) et sociaux (les abus pouvant entraˆner des troubles). Dans la pratique, la plus grande
libert€ est laiss€e aux propri€taires d'esclaves, dont les n€griers de la m€tropole sont €troitement solidaires.
Les esclaves travaillent sur les plantations de canne † sucre, d'indigo, de tabac et de caf€, seule activit€
autoris€e par la m€tropole. Cent cinquante † deux cents navires font annuellement le commerce des Antilles.
L'€conomie m€tropolitaine est, pour une part, li€e aux Antilles. Les produits des ”les sont exp€di€s vers les
ports de l'Atlantique et m…me vers Marseille. La France fournit des m€taux, du charbon, des farines, des vins,
du chanvre et du lin. Ce qui favorisera la cr€ation de plusieurs industries•: travail des cuirs † Caen et † Rouen,
fabrication des toiles ray€es en Normandie, raffineries dans tous les ports.
L'action de la Compagnie des Indes orientales concerne surtout Madagascar et les Indes. L'€chec est total †
l'ˆle Dauphine (c'est ainsi qu'on d€signait alors Madagascar)•: en 1686, un arr…t en Conseil avait prononc€
l'annexion de l'ˆle•; mais, † cette date, les Franƒais l'avaient quitt€e. „ l'oppos€, l'ˆle Bourbon devient pour un
certain temps l'escale fr€quent€e par les navires franƒais faisant route vers l'Inde. „ Bourbon comme †
Madagascar, la brutalit€ de l'administration coloniale avait suscit€ de fr€quentes r€voltes.
Dans l'Inde, l'objectif assign€ par Colbert † la Compagnie des Indes orientales est double•: profiter des
richesses du pays et faire €chec aux Hollandais. ••Je continuerai de vous dire que vous ne devez point avoir
d'autre vue en ce pays-l† que celle du commerce•Ž, €crit Colbert en 1673 † un directeur de la Compagnie. Des
comptoirs sont fond€s, dont le plus important est celui de Pondich€ry (1677).
„ la mort de Colbert, le territoire plac€ directement ou indirectement sous l'influence franƒaise n'int€resse
gu‚re que les n€gociants des ports de l'Atlantique et Marseille. Les produits exotiques (tabac, chocolat, caf€,
sucre de canne et €toffes dites ••indiennes•Ž) ne sont appr€ci€s que des classes riches. L'€migration, tr‚s
faible, ne concerne que quelques r€gions de l'Ouest.
La crise du XVIIIe•si‚cle
Les guerres et leurs aspects coloniaux
Si l'opinion ne se soucie gu‚re des colonies, les hommes politiques, † la fin du r‚gne, sont surtout
pr€occup€s par les guerres europ€ennes•: guerre de la ligue d'Augsbourg (1689-1697) et guerre de la
Succession d'Espagne (1702-1714). Toutefois, et le fait est nouveau, ces guerres ont des aspects coloniaux.
D'une part, † l'origine, il y a souvent l'inqui€tude de l'Angleterre et des Provinces-Unies devant les progr‚s
accomplis outre-mer par la France. D'autre part, les colonies font partie du th€•tre des op€rations militaires et
il ne s'agit plus uniquement de la ••guerre de course•Ž traditionnelle. Cependant, la paix de Ryswick (1697)
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