Déborah COHEN, La nature du peuple. Les formes de l`ima gi naire

ANNALES HISTORIQUES DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE - 2012 - NO2 [187 À 215]
C OMPTES REN DUS
VARIA
Déborah COHEN, La nature du peuple. Les formes de l’ima gi naire social
(XVIIIe-XXIe siècles), Seyssel, Champ Val lon, 2010, 442 p., ISBN 978- 2-87673-526-2,
28 .
Par tant de l’obser va tion évi dente, mais tou jours bonne à rap pe ler, que « der rière
les façons de nom mer, c’est toute une concep tion de l’orga ni sa tion sociale qui se cache »,
relevant notam ment les impli ca tions poli tiques de l’usage par M. Raffarin du terme de
« France d’en bas », Déborah Cohen invite, dans ce livre repris de sa thèse, à un dépas se-
ment du schéma, à ses yeux trop linéaire, qui oppose un avant et un après XVIIIe siècle,
avant carac risé par la per sis tance intem po relle de caté go ries pré éta blies à réfé rences
sacrées, pen dant et après mar qués par la construc tion tou jours renou ve lée du social ; ne
sommes- nous pas en ce début du XXIe siècle, interroge- t-elle, dans une nou velle phase de
mise en ques tion du concept même de société qui serait le signe d’une mise à mort de la
Révo lu tion, d’une régres sion en marche ? La réponse passe par une ample enquête sur une
ques tion plus res treinte mais émi nem ment heu ris tique : comment les indi vi dus d’une
époque ont- ils décrit le monde social qui était le leur ? Déborah Cohen choi sit donc
d’appli quer cette ques tion sur le nom même de peuple, non pour décrire et étu dier une
classe sociale, mais pour interroger la construc tion et l’usage d’une caté go rie par les dif -
rents pro ta go nistes d’une époque ainsi que l’ima gi naire de la société qui la sous- tend.
Dans cette démarche, Déborah Cohen s’appuie sur deux élé ments essen tiels,
d’une part une forte maî trise de divers travaux des sciences sociales, relevant tant de la
socio logie (Bourdieu, Kaufmann, Passeron, etc.) que de diverses approches his to riques
(de l’his toire intel lec tuelle et cultu relle notam ment), d’autre part une étude de dis cours de
difrents registres et émet teurs sauf reli gieux ; parmi ces dis cours figurent évi dem -
ment ceux des élites ou plu tôt, pour évi ter une ten ta tion essentialiste, des domi nants « en
surplomb par rap port à ceux qui sont dési gnés », dis cours plu tôt faciles à sai sir par de
nom breux textes, sur tout au XVIIIe siècle ; mais dans l’inves ti gation sont aussi inclus les
dis cours du peuple sur lui- même, pas sage obligé pour comprendre comment ceux qui sont
dési gnés comme peuple se « débrouillent avec cette assi gna tion », comment ils cris tal -
lisent ces visions des autres en compor te ments col lec tifs, notam ment de résis tance. Le
pari est que cette compré hen sion d’un chan ge ment d’appré hen sion du social peut éclai rer
la situa tion contem po raine mar quée, diagnostique- t-elle, par deux évo lu tions : l’effa ce -
ment des figures du peuple révo lu tion naire telles que for gées par la Révo lu tion fran çaise
ou de celle du peuple- prolétariat opprimé et force d’éman ci pa tion ; l’épar pille ment des
figures popu laires en des ag gats innom brables et inor ga ni sés, voire en indi vi dus.
Cette démarche explique le plan, à pre mière vue un peu dérou tant : trois cha pitres
consa crés aux dis cours extra- populaires sur le peuple au XVIIIesiècle ; un cha pitre cen tral
« conçu comme une sorte d’intermède » qui trans porte dans une interroga tion sur l’ima -
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gi naire social contem po rain, notam ment saisi par l’ana lyse des témoi gnages de quelques
« jeunes » des ban lieues ; deux derniers cha pitres nous rame nant, quant à eux, au XVIIIe,
mais cette fois pour la sai sie d’indices, surtout dans les sources judi ciaires, pour tenter
d’appré hen der comment le peuple réagit aux assi gna tions identitaires qu’on lui affecte.
Il n’est pas ques tion dans ce compte rendu de pro po ser une res ti tution détaillée de
toute cette pro gres sion, du foi son ne ment d’argu ments, de rai son ne ments et de réfé rences.
Je sou li gne rai juste d’une part cer taines dif cultés sou le vées par l’ouvrage, d’autre part
quelques ori gi na li tés et apports de ce livre impor tant.
Parmi les pre mières, on regret tera qu’il faille sou vent lire et relire certains pas -
sages pour fran chir l’obs tacle d’une langue qui use abon dam ment des néo lo gismes et des
termes abs trus, emprunte des che mi ne ments par fois inuti le ment longs et contour nés pour
en arriver aux démons tra tions par ailleurs éclai rantes. En outre, si la démarche est le plus
sou vent argumentée et appuyée sur un solide agen ce ment d’exemples, de textes, d’inter-
pré ta tions et de réfé rences, on peut être réservé, tout en reconnais sant l’inté rêt d’une his -
toire cri tique du dis cours, sur deux partis pris qui ont à voir avec l’ins crip tion
métho do lo gique et historiographique de la ré inter pré ta tion. Le pre mier concerne l’exploi-
ta tion même des dis cours : en his to riens, on aime rait davan tage de pré sen ta tion cri tique à
la fois de la posi tion d’où parlent les diffé rents auteurs et de la place des œuvres uti li sées
dans les corpus concernés (importance des textes du même genre, diffu sion, etc.) ; autant
d’élé ments de nature à modi fier la portée des dis cours tenus. D’ailleurs, même les témoi-
gnages mobi li sés dans la par tie contem po raine ne sont pas pré ci ment contextualisés.
Plus large ment, pour être sti mu lante, la pro jec tion vers le présent n’en est pas moins pas -
sa ble ment inté grée et, somme toute, pas si éloi gnée de la nou velle natu ra li sa tion que
l’auteur pré tend démon ter, dans la mesure l’ana lyse repose sur l’équa tion impli cite
entre peuple et ban lieue. Le deuxième éton ne ment sus cité par l’ouvrage – et une fai blesse
à nos yeux – tient au parti qui semble pris de très peu faire réfé rence aux nom breux et dif-
rents tra vaux d’his to riens des compor te ments col lec tifs, des mou ve ments popu laires, de
la « culture poli tique popu laire ». On peut comprendre le souci d’échap per à des caté go -
ries pré éta blies et à des méthodes jugées trop « glo ba li santes », pour tant, des réfé rences
plus pré cises aux enquêtes de Jean Nicolas ou Walter Markov sur les rébel lions, aux
recherches sur dif rents groupes sociaux ou orga ni sa tions des métiers, voire sur le
« peuple des cam pagnes » à peine envi sagé, aux réflexions sur l’indi vi dua li sa tion des
compor te ments, la consom ma tion ou encore l’émer gence des doléances en 1789, auraient
pu uti le ment conso li der les remarques.
Il n’empêche qu’on trou vera dans l’ouvrage de très utiles inci ta tions à la réfl exion
dans les dif rents champs des repré sen ta tions sociales. Les traits mar quants des visions
du peuple dans les dis cours des élites (aca miques, mémo ria listes, etc.), reprises par
Déborah Cohen sont connus : ani ma lité, comporte ments relevant du corps et non de
l’esprit, vio lence, contremodèles de l’ordre sou hai table, etc. Néan moins les textes cités en
appui sont inté res sants ; sur tout la démarche débouche sur l’ana lyse enri chis sante de la
manière dont ces dis cours, ini tia le ment ancrés dans le para digme de l’immua bi lité du
monde, des posi tions sociales, de la vision du peuple comme masse où l’individu n’existe
pas, sont mis en cause et se trans forment. Le démon tage repose sur la mise en rela tion
réus sie des diffé rents registres de la pen sée du social au XVIIIe, en par ti cu lier l’influ ence
déci sive du sen sua lisme dans l’émer gence d’un nou veau modèle de compré hen sion du
monde, puis les inter ac tions et les contra dic tions avec la phy sio cra tie, le rôle des récits de
voyage, le goût des récits d’anec dotes, etc. Ainsi s’imposent, au fil du siècle, à la fois
l’idée que la nature et les caté go ries sociales ne sont pas for ment liées et la convic tion
que les gens du peuple sont capables d’avoir des vues sin gu lières sur le monde et d’agir, y
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compris ration nel le ment. Alors, pro gres si ve ment, les iden ti tés sont davan tage appré hen -
dées comme pra tique sociales, d’où par exemple chez les Phy sio crates l’atten tion au
peuple consom ma teur et l’impor tance accor dée à la ques tion des sub sis tances. Mais, selon
l’auteur, les trans for ma tions paral lèles des appré hen sions du peuple se dis joignent alors
selon les auteurs- observateurs : l’esprit de sys tème des Phy sio crates et des éco no mistes,
tout entier obsé par leurs pro jec tions rationalisantes, les amène à ces ser de prê ter atten-
tion au fait pour ne consi rer que les échanges idéaux, en niant à la fois la contrainte du
temps et de la conjonc ture, d’où leur res pon sa bi lité dans la Guerre des Farines ; là où les
fidèles au sen sua lisme, des libé raux éga li taires à la Linguet ou à la Mably conti nuent
d’être atten tifs aux situa tions concrètes et res sen ties par le peuple. La dicho to mie est sans
doute sim pli ca trice, mais la piste est inté res sante. De même des der niers cha pitres et de
la conclu sion, les his to riens des compor te ments révo lu tion naires, et les citoyens pour ront
tirer moult réflexions. Nous retien drons, par exemple, les pro ces sus par les quels le stig -
mate dont les élites affectent les « domi nés » peut, en certaines cir constances, comme la
révolte des Masques dans le Vivarais en 1783, deve nir un éten dard adopté par « le peuple »
lui- même pour sou der son unité contre une hégé mo nie jugée insup portable. Et puis nous
met trons à dis cus sion cette conclu sion : « Plus qu’une iden tité popu laire, c’est bien un
ensemble ouvert de comporte ments pos sibles [que l’on observe…]. Le dis cours poli tique
façonne des groupes à par tir d’une hété ro néité, d’indi vi dus qui n’ont pas for ment la
même rela tion aux moyens de pro duc tion, mais ont en l’occurrence le même rap port
dominé au poli tique […] » (p. 416).
Cette note invite donc à fran chir le pas de certaines dif ficultés à lire cet ouvrage
pour en faire une contri bu tion à une his toire uti le ment cri tique.
Jean- Pierre JESSENNE
Thomas LE ROUX, Le labo ra toire des pol lu tions indus trielles. Paris, 1770-1830,
Paris, Albin Michel, col lec tion « L’évo lu tion de l’huma nité », 2011, 509 p., ISBN 978 2226
20 8866, 28 .
L’ouvrage de Thomas Le Roux, la nui sance en milieu urbain, renvoie à un nou veau
champ d’études, l’his toire de l’envi ron ne ment. Au croi se ment de l’his toire urbaine, de
l’his toire des savoirs (hygiène publique, chi mie indus trielle), des sciences et des tech -
niques (de la proto- industrialisation à l’indus tria li sa tion pro pre ment dite), de l’his toire
ins ti tution nelle (la police en pre mier lieu, mais aussi les socié tés savantes), ce « nou veau »
champ d’études a déjà été bien labouré dans les pays voi sins (Mary Anderson et Eric
Ashby, The Politics of Clean Air, non tra duit, ou bien Ulrich Beck, La société du risque,
qui a été tra duit de l’alle mand), mais il donne lieu à des publi ca tions récentes (Geneviève
Massard- Guilbaud, His toire de la pol lu tion indus trielle en France au XIXe siècle, notam -
ment), parmi les quelles cet ouvrage fera date.
Toutes ces études ont très net te ment sou li gné l’impor tance fon da trice du décret
impé rial du 15 octobre 1810 sur les éta blis se ments indus triels insa lubres. Mais l’ori gi na -
lité de l’approche de Thomas Le Roux tient au contexte, qu’il appré hende comme période
de tran si tion, ce qui per met de bien mettre en perspec tive l’épi sode révo lu tion naire, et de
sou li gner notam ment le rôle de l’expertise dans la mise en place des poli tiques de pré ven-
tion. L’ins tance scien ti fique, paral lèle et par fois concur rente, très sou vent complé men -
taire, de l’ins tance admi nis tra tive, appa raît dans les der nières décen nies de l’Ancien
Régime, ce qui marque la conti nuité avec les démarches suivies dans la période post-
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révolutionnaire. L’autre fil direc teur de ce travail, c’est son ins crip tion dans un espace,
celui de la capi tale au moment celle- ci va deve nir le pre mier pôle indus triel fran çais,
sup plan tant les villes du tex tile – Rouen, Lille, Lyon – et les arse naux.
À travers la per cep tion du pay sage urbain, du décor souillé de la grande ville, c’est
toute la désil lu sion de la croyance au progrès qui s’ins crit en fili grane. Dans sa pro gres -
sion chro no lo gique, le livre va suivre les étapes, les réa li sa tions et les contra dic tions de ces
mani festes pour l’indus tria li sa tion déré gu lée ; le sym bole étant ce décret de 1810 qui, sous
pré texte de réguler les nui sances, va en per mettre la géné ra li sa tion dans la capi tale.
La régu la tion tra di tion nelle est le fait de la police ; elle est gui dée par des impé ra-
tifs de proxi mité. La police urbaine est une police des rues ; évi ter les encom bre ments,
net toyer les immon dices, limi ter les pes ti lences et les tapages noc turnes, pré ve nir sur tout
les incen dies, risque majeur dans les villes modernes. Les moyens à dis po si tion de l’admi-
nis tra tion sont les enquêtes de voi si nage (commodo et incommodo), l’auto ri sa tion préa -
lable, et l’éloi gne ment des acti vi tés reconnues insa lubres ou dan ge reuses (par le jeu
intra- muros, extra- muros). C’est par ti cu liè re ment le cas des acti vi tés qui uti lisent des
fours, ou qui pré sentent un risque de défla gra tion (pou dre ries, arti fices). Les tan ne ries qui
sont liées aux cours d’eau.
Ces modes tra di tion nels de régu la tion n’ont guère évo lué sur un siècle, depuis
l’ère du traité de Delamare. La nou veauté dans la dernière décen nie de l’Ancien Régime
vient du recours à une expertise scien ti fique, à côté de la pro dure admi nis tra tive tra di -
tion nelle. Cette exper tise s’appuie sur les méde cins et les scien ti ques, qui énoncent des
prin cipes dif rents, mais complé men taires ; pour les uns, comme Parmentier, la défense
de la pré sence des ate liers intra- muros s’appuie sur l’idée que c’est dans les lieux les plus
indus triels que l’air est le plus salubre (l’indus trie nous débarrasse des miasmes, des
immon dices, et des gra vats). Pour d’autres, s’ins talle le pré jugé que les ate liers arti sa naux
sont dan ge reux et insa lubres en soi, et doivent être à ce titre éloi gnés le plus pos sible du
centre des villes et regrou pés dans des lieux spé ci fiques. Mais il n’y a pas sépa ra tion
d’avec l’indus trie. En ces lieux spé ci fiques, il serait plus aisé de pra ti quer un trai te ment
chi mique. C’est le cou rant hygié niste, qui parti cipe par exemple au même moment de
l’éloi gne ment des cime tières de la proxi mité des lieux habi tés. Cadet de Vaux repré sente
par fai te ment ce cou rant hygié niste. Par son inter diaire, et par le biais de ce cou rant
hygié niste, les phar ma ciens se consti tuent en experts scien ti ques.
Les deux ten dances se retrouvent dans l’entou rage du lieu te nant de police Lenoir.
Avec le départ de ce dernier en 1785, la léthargie des pou voirs publics contri bue à la mul-
ti pli cation intra- muros des acti vi tés arti sa nales sans auto ri sa tion préa lable, ten dance qui
va se déve lop per plei ne ment à l’époque de la Révo lu tion, pro tant de la réor ga ni sa tion
des compé tences poli cières, et de la dérégulation géné rale des acti vi tés éco no miques.
C’est dans cette « dyna mique éco no mique » que la remise en ques tion des régu la tions
tra di tion nelles va sur tout pui ser ses argu ments ; indus trie des acides (site de Javel), papiers
peints, déri vés des pro duits ani maux pour les colles et les ver nis, emploi du char bon de
terre (pompes à feu de Chaillot, du Gros- Caillou). Comme il est dit p. 161 : « les activi tés
anciennes qui repo saient sur la putré fac tion conti nuaient d’être régulées selon d’anciennes
pra tiques, tan dis que les acti vi tés innovantes et modernes, qui pou vaient fon der la puis -
sance du Royaume, furent encou ra gées en vertu d’impé ra tifs éco no miques ».
On observe le pas sage pro gres sif des acti vi tés arti sa nales (fours des bou lan gers,
forges des ser ru riers et des maréchaux- ferrants, tue ries et fon de ries de suif des bou chers)
vers des éta blis se ments plus grands, pro duc teurs de nui sances d’un autre type. La tran si -
tion se fit bien sou vent par un chan ge ment d’échelle, et un aména ge ment des espaces,
des acti vi tés arti sa nales tra di tion nelles ; l’ins tal la tion de la grande tri perie de l’île aux
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cygnes, avec toutes les acti vi tés déri vées, se fait à proxi mité de nom breuses acti vi tés
indus trielles modernes (acides, pompe à feu) à Javel ou au Gros- Caillou.
Les années 1789-1795 sont tou jours tiraillées entre les deux dyna miques inverses
(disons pour aller vite la « dyna mique régle men taire » et la « dyna mique éco no mique »).
Mais c’est très net te ment la deuxième ten dance qui l’emporte, avec le sou tien du pou voir
poli tique. La vacance ins ti tution nelle est mise à pro fit pour contour ner les régle men ta tions
qui portent sur le bruit, ou sur l’abat tage domes tique des ani maux, par exemple. Tan dis
que l’entrée en guerre trans forme la capi tale en arse nal de la Répu blique, avec toutes les
activi tés afrentes ; forge à fusils, récolte du sal pêtre, traité ensuite dans les chau dières de
raf neurs et des bras seurs, et sur tout pou drières, éta blis se ment les plus dan ge reux. Les
risques d’incen dies se mul ti plient, le plus grave et le plus spec ta cu laire étant l’explo sion
de la pou dre rie de Gre nelle le 14 fruc ti dor an II (31 août 1794). Il y eut 550 morts et 840
bles sés.
Cette catas trophe marque un peu la fin d’une époque, et le retour à des activi tés
plus régulées. Sous le Direc toire, c’est le Bureau cen tral du départe ment de la Seine qui va
gérer le pou voir de régu la tion. Il s’efforce de renouer avec l’esprit régle men taire de l’Ancien
Régime ; res tau ra tion des enquêtes de voi si nage (commodo et incommodo) ; éra di ca tion des
fours à plâtre dans Paris, res tric tions à la pré sence de barques et de chan tiers le long de la
Seine, ten ta tives pour concen trer le trai te ment des déchets ani maux. Les attri bu tions
échoient sous le Consu lat à la pré fec ture de Police ; tou te fois, il y eut un chan ge ment dans
l’état d’esprit, et une plus grande har mo ni sa tion entre les ins tances régu la trices et le minis-
tère de l’Inté rieur. La per son na lité de Chaptal domine la période, et l’esprit industrialiste
triomphe. La nou veauté réside dans la créa tion du Conseil de salu brité en 1802, dans la
droite ligne de l’exper tise scien ti que de la fi n de l’Ancien Régime ; « le pou voir se tour-
nait main te nant beau coup plus volon tiers vers les savants, et notam ment les pharmaciens-
chimistes, que vers les commis saires de police, pour esti mer les nui sances de l’indus trie,
afin d’obte nir des exper tises qui se vou laient plus scien ti fiques » (p. 234). Ce sont ces phar-
ma ciens chi mistes qui vont ins pi rer notam ment l’action du Conseil de salu brité, davan tage
que les méde cins, dont la pro fes sion est alors en pleine re compo si tion.
Les éta blis se ments indus triels vont se mul ti plier au centre de Paris, fonc tion nant
cette fois avec les dérivés de la chi mie (la soude arti cielle, le chlore, l’acide sul fu rique).
Les hommes de science comme Chaptal, ou bien Darcet, Fourcroy, Berthollet, sont aussi des
entre pre neurs, et des hommes poli tiques. Science, pou voir et indus trie sont for te ment intri-
qués, et l’action du Conseil de salu brité ne peut s’éva luer inpen dam ment de l’action de la
Société d’encou ra ge ment à l’indus trie natio nale, fon dée en 1801. Chaptal pré side cette der-
nière, tan dis que Guyton- Morveau est le vice- président. C’est devant l’Ins ti tut que Chaptal
pré sente en décembre 1804 son rap port sur les éta blis se ments indus triels insa lubres : « Il est
donc de pre mière néces sité pour la pros rité des arts qu’on pose enfin des limites qui ne
laissent plus rien à l’arbi traire du magis trat, qui tracent au manu fac tu rier le cercle dans
lequel il peut exer cer son indus trie libre ment et sûre ment, et qui garan tissent au pro prié taire
voi sin qu’il n’y a pas dan ger ni pour sa santé, ni pour les pro duits de son sol ».
Cet esprit industrialiste assi mile l’esprit d’entre prise à l’inté rêt col lec tif, menacé
par l’arbi traire poli cier, les pré ju gés et l’igno rance de l’opi nion publique, la jalou sie des
voi sins et des concur rents. Il pos tule que la nui sance pro duite par l’entre prise (fumées
acides, ou chargées de parti cules) ainsi que le risque (chau dières pour les incen dies, bruit
des mar teaux qui peuvent pro duire des ébou le ments) ne seront pas sur mon tés par des
inter dic tions et des limi ta tions, mais par le déve lop pe ment même du pro grès tech nique, à
l’image des fumi ga tions pour assai nir l’atmo sphère pré co ni sées par Guyton- Morveau, ou
Vicq d’Azir. Ce sont les « réformes dérégulatrices ».
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