1 Le Gaullisme et de Gaulle Problématique d`histoire politique

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Le Gaullisme et de Gaulle
Problématique d’histoire politique : -isme attaché à une personnalité politique.
En France, il y a eu le bonapartisme et le boulangisme.
Associé souvent à une personnalité forte qui détient un pouvoir exécutif fort, qui développe à
la fois une idéologie, une pratique du pouvoir, mais ce n’est pas toujours vrai.
Depuis 1939 : pétainisme et gaullisme, farouchement opposés par ailleurs entre 1940 et 1945
vont dans ce sens. Pour autant ils n’ont rien de comparable avec des idéologies élaborées
depuis le 18ème et le 19ème comme le libéralisme, le socialisme, le communisme, le fascisme.
Mais par extension attribut à tous les pdts de la Vème République
Pompidolisme, giscardisme, mitterrandisme, chiraquisme, sarkozysme, hollandisme (?). Et a
contrario, sous la IVème république, associée à des échecs (mendésisme) ou à des pouvoirs
affaiblis (mollétisme)
I Peut-on définir le gaullisme ? une première vue d'ensemble
Originalité foncière d’un courant politique, qui repose sur la pensée politique d’un homme,
puis sur une famille politique, qui n’a pas totalement disparu au XXIème siècle. S’il n’existe
plus de parti « gaulliste » depuis 2002 (l’UMP a absorbé le RPR créé en 1976), un certain
nombre de personnalités politiques revendiquent encore l’héritage du gaullisme et se
réclament plus ou moins du général de Gaulle, avec des fortunes diverses : ainsi en 2012
quelques candidats à la présidentielles l’ont intégré à leur discours, l’ancien PM de Chirac
Dominique de Villepin (qui a renoncé finalement à se présenter), le souverainiste Nicolas
Dupont-Aignan et même François Bayrou le centriste (paradoxe car le centre n’a jamais été
gaulliste) qui veut incarner la figure du rassembleur au-delà des partis et du clivage
droite/gauche.
Pour l’historien S.Berstein, personne en fait ne peut aujourd’hui se réclamer du gaullisme
« historique » en raison des discordances de cette culture politique – adaptée aux années 60 –
avec les transformations de la fin du XXème siècle.
Il appartient donc résolument à l’Histoire, selon Berstein, et c’est tant mieux. Si l’on met à
part Chirac, dont le gaullisme demeure discutable (c’est un mélange chez lui de radicalisme
provincial (corrézien) et de pompidolisme), les candidatures authentiquement gaullistes à la
présidentielles ont toutes été des échecs cuisants depuis 1974 : défaite de Chaban au premier
tour des présidentielles de 74 (torpillé par Chirac rallié au libéral Giscard), très mauvais score
obtenus par Michel Debré, l’ancien PM de de Gaulle en 1981 (aux présidentielles : 1,65%).
De même, les tentatives de faire renaître un parti authentiquement gaulliste contre la machine
RPR n’ont guère été couronnées de succès. En juin 1999, Charles Pasqua et Philippe de
Villiers fondent le RPF (rassemblement pour la France), dont le nom et le signe renvoient au
gaullisme politique (en effet le rassemblement pour le peuple Français est lancé par de gaulle
en avril 1947 et le sigle est identique). Ils espèrent réitérer le succès du RPF gaulliste, qui à la
fin de 1947 compte plus de 500 000 militants. Ce sera un fiasco complet.
Alors qu’est-ce que le gaullisme ?
Comme le dit S.Berstein « il est assurément plus simple de parler du gaullisme que de le
définir ». Le gaullisme, c’est bien de Gaulle plus autre chose, ses fidèles, ses soutiens, ses
réseaux, ses héritiers.
Le problème en effet, c’est que la référence à la pensée et l’action du gal de Gaulle
n’implique l’adhésion à aucune doctrine (#communisme), en dehors d’une « certaine idée de
la France » développée dans ses Mémoires de guerre, mais qui n’a rien d’une doctrine, même
si on a pu y voir une forme d’acclimatation de la République à une forme de nationalisme
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jugé jusqu’alors anti-républicain (de Gaulle est un catholique qui n’a jamais adhéré au
positivisme ou au néokantisme qui font de la 3ème république laïque un idéal de société).
De Gaulle s’est toujours gardé de théoriser ses vues, considérant l’histoire comme le lieu de la
contingence, qui réclame du pragmatisme. Le gaullisme n’est-il qu’une pratique du pouvoir ?
Ou n’est-il pas au fond (Jean Touchard) inséparable de la personne charismatique du général.
Au contraire, se place t-il (R.Rémond, repris ensuite par Ph.Seguin) comme l’héritier du
bonapartisme ? (des deux Bonaparte, le conquérant comme le modernisateur de l’économie)
Ce qui est central : processus d'identification du grand Homme à la France (comme Michelet ;
voir page 20 de ce dossier)
Aucun chef d’Etat républicain n’a à ce point voulu incarner la France : de Gaulle était la
France, investi d’une véritable mission, aussi bien en 1940 qu’en 1958. Dans tous ses discours
ou presque, la France est présente, personnifiée, aimée, parfois rudoyée. De Gaulle, c’est à la
fois Jeanne d’Arc, Péguy, Barrès, Louis XIV, Napoléon et Victor Hugo réunis…C’est une
certaine idée de la France, une « France éternelle » qui ne peut pas mourir et qui doit sans
cesse se régénérer, se moderniser aussi (de Gaulle de ce point de vue n’est pas réactionnaire,
c’est un modernisateur, que cela soit la modernisation de l’armée dans les années 30 (les
blindés, les unités motorisées) que celle de l’économie française dans les années 60).
« Il n'y a aucune chance pour que, cédant à la facilité, nous laissions s'effacer la France disaitil en 1963 ». Dans Le Vocabulaire du général de Gaulle (Jean-Marie Cotteret et René
Moreau), l'ordinateur fournit les dix mots de prédilection de De Gaulle, conscients ou
inconscients, qui reviennent le plus souvent dans ses écrits : dans l’ordre : La France, Le
pays, La République, L'Etat, Le monde, Le peuple, La nation, Le progrès, La paix, L'avenir.
Un petit florilège de ses discours ou écrits sur la France suffit à s’en convaincre.
On peut donc s’interroger sur la place du gaullisme aux côtés des grandes idéologies du
XXème siècle au des grandes cultures politiques de la France contemporaine, comme le
radicalisme, le socialisme ou le libéralisme. Pourtant, le gaullisme a eu – avec de Gaulle puis
sans de Gaulle – un destin tout à fait exceptionnel dans l’histoire politique de la France de la
seconde moitié du XXème siècle :
- les institutions de la Vème république ont été élaborées par de Gaulle et par des
gaullistes
- la décolonisation de la France a (en gros) été l’œuvre de de Gaulle, en dépit de fortes
contestations dans son propre camp sur la politique algérienne.
- la modernisation et la mutation socio-économique de la France s’est déroulée pendant
la période de Gaulle/Pompidou, selon des schémas très volontaristes (cf. grandes
ambitions présidentielles dont le Concorde a été l’un des symboles). Il faut aussi noter
que de Gaulle a été le premier à savoir utiliser les médias au service de la politique, et
cela de son allocution en 1940 à la BBC à son dernier discours radio-diffusé d’avril
1969 (nous y reviendrons à travers quelques documents audio)
- le gaullisme a donné à la France 3 présidents qui ont dirigé la France plus de 25 ans
depuis 1958
- le gaullisme a provoqué une profonde recomposition des gauches et des droites,
laminant les centres et rassemblant les droites, tout en obligeant les gauches à s’unir
pour exister (cf la candidature Mitterrand de 1965, point de départ de l’union de la
gauche anti-gaulliste)
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II/ Une chronologie du gaullisme
Plan d’une étude du gaullisme délicat.
Bornes chronologiques.
Quand commence le gaullisme ? Quand finit-il ? Débuts en 1940 ? en 1944 ? en 1946 ?
Fin en 1969 ? en 1974 ? en 2002 ? Peut-on penser le gaullisme sans de Gaulle ?
A/ De Gaulle aux sources du gaullisme
Les débuts du gaullisme ou les sources de la légitimité historique
-Il existe un de Gaulle avant le gaullisme. De Gaulle est d’une génération qui a vécu la
Grande Guerre (blessé comme capitaine), l’entre-deux guerres où il publie l’armée de
métier (1934), défendant l’idée d’une armée professionnelle de blindés. Il entre le 5 juin
1940 au gouvernement Reynaud (début de sa carrière politique) l’un des plus courts et
dramatiques de l’histoire de France…
Date fondatrice du gaullisme : certainement l’appel du 18 juin 1940, prononcé par le soussecrétaire à la guerre, juste débarqué à Londres le 17, alors que Pétain demande aux
français de cesser le combat. Réitère cet appel le 22, cette fois enregistré. L’appel de juin
1940 est une décision politique forte. Il y est question de la confusion des âmes françaises,
de la liquéfaction d’un gouvernement tombé sous la servitude ennemie, l’impossibilité de
faire jouer les institutions.
De Gaulle, alors presque un inconnu, dit « parler au nom de la France », alors qu’il ne
dispose d’aucun mandat électif. C’est un incroyable pari politique, qui fonde à lui seul
toute la légitimité ultérieure du général, alors qu’il n’est guère suivi d’effets concrets en
1940 : l’armistice est signé le 22, aucun homme politique important ne vient à Londres,
les ralliements dont rarissimes (Félix Ebouée, le gouverneur du Tchad). Heureusement
pour lui, le juriste René Cassin (= connu car auteur en 1948 de la déclaration des Droits de
l’Homme de l’ONU, fondateur de l’UNESCO, prix Nobel de la Paix en 1968=) parvient à
convaincre Churchill de reconnaître en août chef des Français Libres,
Toute l’action à Londres du général va être en réalité politique, à savoir rassembler les
résistances et les faire reconnaître par les Alliés. Sur le premier point, une grande partie du
travail est accomplie entre 1941 et 43 par l’ancien préfet (socialiste) Jean Moulin homme
de confiance du général dès 1941, en tant que délégué de la France libre mais sa situation
demeure précaire au moins jusqu’en octobre 1943 (où il devient le seul pdt du CFLN,
après en avoir évincé le gal Giraud, soutenu par les Américains).
Avec les Anglo-saxons, les relations sont très difficiles jusqu’à la Libération,
particulièrement entre mai et septembre 1944. De Gaulle n’est ainsi pas prévenu par
Roosevelt du débarquement en Afrique du Nord (nov 42) et comme on le sait il ne
participe à aucune des conférences interalliées (Téhéran 1943, Yalta, Postdam).
Début juin 44, à la veille du débarquement en Normandie, la situation politique de Gaulle
est critique. Roosevelt continue d’y voir un homme dangereux, déloyal et ambitieux (on
ne lui pardonne pas d’avoir écarté Giraud) et considère que seul le maréchal Pétain peut
apparaître comme un réconciliateur. De toute façon, il est prévu après le débarquement
d’administrer provisoirement la France sous l’égide de l’AMGOT (l’Allied Military Gov
of the Occupated Territories ou Gouvernement militaire allié des territoires occupés) avec
une monnaie émise par les Américains, dont des spécimens circulent déjà) et de laisser le
CFLN (devenu GPRF le 3 juin à Alger puis le 09 sept à paris) sur le carreau. Ce n’est que
le 4 juin que Churchill puis Eisenhower dévoilent au général, furieux, les plans du DDay. L’entretien est orageux car c’est Eisenhower qui apparaît comme le futur
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organisateur de la France libérée. De Gaulle intervient le 6 juin à la BBC, mais il n’a pas
du tout les mains libres
De Gaulle va alors faire le forcing – lui seul en a l’étoffe – pour que la Libération ne soit
pas une nouvelle occupation, fût-elle amicale. Tout bascule entre juin et août 1944 en
raison de son obstination. Le 14 juin, il est en Normandie et notamment dans Bayeux
libéré (force symbolique : Bayeux 1946), où l’accueil est triomphal et où il parle de la
« bataille de la France ». En juillet, il rencontre Roosevelt à Washington, qui reconnaît le
GPRF. A la mi-août, au début de l’insurrection parisienne de la Résistance, il réclame aux
alliés l’envoi de la 2ème DB du gal Leclerc sur Paris. Cela lui est accordé le 23, d’abord
parce que la 2ème DB a combattu avec les Alliés, mais surtout parce que les communistes
FFI (Rol Tanguy) tiennent la résistance parisienne. Le 25 août , le 2ème DB est à Paris, de
Gaulle arrive à 17h00 gare Montparnasse. Accueil triomphal. Discours à l’hôtel de Ville
bain de foule le 26 août : source de légitimité politique. [Le 4 mai 45, cette même division
atteint l’Allemagne et la France est ainsi présente à la signature de la capitulation
allemande le 8 mai.
-Le transfert à Paris le 9 sept du GPRF présidé par de Gaulle consacre la victoire totale du
chef de la résistance (il rencontre d’ailleurs Staline en sept, car il ne veut plus être mis à
l’écart). Il est le rassembleur et il se donne comme tâches prioritaires de redonner à la
France son rang international, d’instaurer un ordre républicain dans la France libérée.
Tâche immense en raison de la désorganisation partielle de l’Etat, qu’il mène à bien en
déléguant les pouvoirs aux commissaires de la république, en remettant en place
l’administration (souvent avant toute épuration, quitte à garder des fonctionnaires de
Vichy), en faisant des voyages triomphaux en France et en imposant au PCF la dissolution
de ses milices (28 oct 44) qui faisaient courir selon lui un risque à la République. Pas
beaucoup d’égards pour la Résistance intérieure.
Car la République, tout provisoire fût-elle, n’a pas disparu : importance de la continuité de
l’Etat républicain. De même, de Gaulle applique par ordonnances en 1945 le programme
d’action du CNR (le Conseil national de la résistance, qui comprend des hommes
politiques, des syndicalistes), publié le 15 mars 1944 et qui comprend notamment :
- épuration judiciaire de la collaboration
- préparation de nouvelles élections (municipales dès avril 1945)
- plan de sécurité sociale pour tous et nationalisation de l’énergie et des transports
aériens
B/ De Gaulle au temps du RPF : le gaullisme d’opposition
Logiquement, de Gaulle aurait dû rester le chef de l’exécutif après 1945, mais il va
développer des idées politiques en contradiction avec la nouvelle constitution. Toutefois,
c’est lui qui impose l’idée d’un référendum destiné à donner au peuple français la parole
sur la nouvelle constitution. Sa démission de chef du gouvernement, le 20 janvier 1946,
prend un peu tout le monde de cours, y compris une Assemblée constituante, certes peu
docile (la gauche PCF/SFIO/Radicaux a obtenu 58,6% des voix), mais comment lui
reprocher à l’heure de la démocratie retrouvée ?
On ne sait s’il attendait qu’on le rappelât ou s’il considérait que de toute façon, la réforme
de l’Etat n’aurait pas lieu avec cette Assemblée. Dans ses Mémoires, il commente à sa
façon – gaullienne – cette démission « historique » (il n’y aura que deux dans sa vie
politique, l’autre en 1969) :
« Cependant, tandis que le personnel du régime se livrait à l'euphorie des habitudes
retrouvées, au contraire la masse française se repliait dans la tristesse. Avec de Gaulle
s'éloignaient ce souffle venu des sommets, cet espoir de réussite, cette ambition de la France
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qui soutenaient l'âme nationale. Chacun, quelle que fût sa tendance, avait, au fond, le
sentiment que le général emportait avec lui quelque chose de primordial, de permanent, de
nécessaire qu'il incarnait de par l'Histoire et que le régime des partis ne pouvait pas
représenter. » Dans ce texte, on retrouve les axes fondamentaux du gaullisme: condamnation
du régime des partis, appréhension historique de la France.
Puis il explicite dans le discours de Bayeux de juin 1946 ses conceptions de l’Etat et des
institutions. Il veut un exécutif fort , placé au dessus des partis et plus largement il prône un
Etat démocratique fort, seul solution dans une période d’effort national et de redressement et
rempart à la dictature. Vraie vision de l’histoire de la Nation., il y a du Michelet chez de
Gaulle. Vue des défenseurs de la IVème, la démarche de de Gaulle est boulangiste et les plus
durs assimilent danger gaulliste et danger communiste qui veulent détruire le
parlementarisme.
L’une des accusations les plus courantes contre de Gaulle (elle reviendra en 1958) est de viser
le pouvoir personnel, de gaulle déclare (en 1948) :
«Pouvoir personnel? Quʹest‐ce que cela veut dire dans une constitution qui serait approuvée par le pays et qui jouerait normalement (…)Quant à ce qui sʹest passé en juin 1940 dans lʹeffondrement ‐général, dans lʹimpossibilité pour le peuple de se faire entendre, il est bien vrai que jʹai pris le pouvoir et que je lʹai porté jusquʹà ce que jʹaie pu le remettre à la représentation nationale. Oui, ʺ suis revenu dʹEgypte et même de Libye, dʹItalie, du Rhin et du Danube, je suis entré dans Paris, dans Lyon, dans Marseille, dans Rennes, dans Lille, dans Toulouse, dans Strasbourg sur les pas de troupes victorieuses, ai‐je étranglé la République ?» La création du Rassemblement du Peuple Français en avril 1947 ne lève pas ^pour les
adversaires due de Gaulle les ambiguïtés politiques. Idée de rassemblement pose un problème
politique. En effet, le terme de rassemblement est étranger à la gauche (en dehors d’une
fédération de partis), mais il a été largement utilisé dans les années 20 et 30 par la droite
ligueuse (les jeunesses patriotes de Taittinger, les Croix de feu) : le RPF va donc ratisser
large, mais plutôt à droite, éventuellement au centre, sur un programme de réforme de l’Etat
et d’anticommunisme (les communistes parlent d’ailleurs de ligue factieuse à propos du RPF). En dépit des succès municipaux d'octobre 1947 (véritable percée : les listes RPF s’emparent
de 42 villes de + de 30 000 habitants sur 110, de 13 des plus grandes villes françaises, dont
Marseille, Bordeaux (Chaban), Lille, Strasbourg, Alger, le score du RPF varie de 30 à 40%
des suffrages). De Gaulle pense alors que le peuple a clairement condamné la IVème
République et le régime des partis et il appelle à la dissolution de l’Assemblée et à de
nouvelles élections législatives au scrutin majoritaire, qui permettraient de mettre en œuvre
une nouvelle constitution.
le RPF ne parvient pas à vraiment s'imposer durablement, en tous cas plus de quelques
années, faute d’avoir réussi son coupe de force de 1947, faute aussi d’avoir pleinement
assumé son rôle de parti politique.
C’est une structure curieuse, qui a emménagée 5 rue de Solferino (aujourd’hui siège de la
Fondation de Gaulle), et est organisée pyramidalement autour du Général et de ses
« compagnons », souvent issus de la résistance (Baumel, Fouchet, de Bénouville), avec un
secrétaire gal, jacques Soustelle. Y gravitent aussi des juristes et des intellectuels, tels Michel
Debré, G.Pompidou, Raymond Aron, Malraux…).
Jacques Baumel : " Dès le début de notre installation rue de Solferino, le Général inaugura
une sorte d'emploi du temps protocolaire. Une fois par semaine, il quittait Colombey pour se
rendre à Paris. Il séjournait un jour ou deux à l'hôtel La Pérouse et venait le mercredi rue de
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Solferino où il tenait son " conseil des ministres " dans la salle de réunion du rez-de-chaussée.
Nous étions réunis autour de la grande table recouverte de feutrine verte. Le général entre,
nous nous levons. Il serre la main de chacun… " .
En 1948, le mouvement compte 400 000 adhérents, juste derrière le PCF (600 000), surtout
des citadins des grandes villes, des fonctionnaires (20%) mais aussi une forte base ouvrière
(15%) et de commerçants/artisans (15%). Il n’est pas faux de penser que d’une certaine
manière, le RPF se situe sociologiquement dans la lignée du PSF (de la Rocque) mâtiné de
radicalisme centriste.
Mais le RPF a-t-il des idées ? oui, peut-être même trop et pas toujours lisibles.
*Sur le plan économique et social le RPF prône une relative orthodoxie financière de
« stabilisation de la monnaie » pour combattre l’inflation, stabilisation qui n’est possible que
par des gains de productivité capables de relancer la croissance. Cela passe par un
volontarisme social qui caractérise bien le gaullisme social et le rapproche d’une certaine
manière du catholicisme social (mais aussi des idées de la Résistance) et de certaines formes
de radicalisme de la fin du 19ème siècle. Ni communisme, ni libéralisme sauvage, plus
d’oppositions de classes. Avec son sens des formules, de Gaulle parle en 1949 à propos du
« vieux libéralisme » d’un « système absurde » où le salaire est calculé au minimum, pour un
effort minimum, ce qui produit collectivement un résultat minimum ».
Il faudrait donc promouvoir l’association, un mot-clé du gaullisme de gauche, défini par le
général comme une forme d’association capital/travail dans les entreprises où seraient fixés
par arbitrages paritaires les conditions de travail et les rémunérations, et où les travailleurs
seraient de plus intéressés au rendement de l’entreprise. L’idée (« une vieille idée française »,
affirme t-il) est de casser à la fois l’hégémonie patronale produite par le libéralisme et d’éviter
toute révolution de type collectiviste.
Cette association ou participation rappelle immanquablement les corporations fascistes, mais
le général a bien pris soin de ne pas parler de « corporation » ou de corporatisme.
De Gaulle n’oubliera jamais cette idée d’association : en 1959, il signe une ordonnance
favorisant ce type de relations contractuelles et participatives (c’est facultatif). Puis en 1967, il
impose à son PM G.Pompidou (qui y voit lui une chimère), un nouveau texte relatif à « la
participation obligatoire des salariés aux fruits de l’expansion des entreprises (de + de 100).
La gauche y voit un gadget, qui n’a rien à voir avec la cogestion (et encore moins bien sûr
l’autogestion).
Après mai 68, le général y voit une urgence sociale. C’est bien la preuve qu’il cherche à
comprendre mai-68, qu’il interprète comme une crise de civilisation certes, mais parce que
justement le monde moderne est devenu une machine anonyme, qui broie les individus et les
déresponsabilise.
Toujours cet espoir d’une « troisième voie sociale », qui rendrait la société plus humaine.
"Il s'agit que, dans chacune de nos activités, par exemple une entreprise ou une université,
chacun de ceux qui en font partie soit directement associé à la façon dont elle marche, aux
résultats qu'elle obtient, aux services qu'elle rend à l'ensemble national. Bref, il s'agit que la
participation devienne la règle et le ressort d'une France renouvelée" (29 juin 1968).
Rappelons que dans l'esprit du Général, le référendum (perdu) du 27 avril 1969 devait
permettre d'introduire la participation dans l'organisation administrative des régions et dans
un Sénat fondu avec le Conseil économique et social, où seraient présents les représentants
des branches professionnelles. Jusqu’au bout, donc, jusqu’au départ volontaire, de Gaulle aura
donc tenu à défendre cette politique.
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*Sur le plan de la politique extérieure, le gaullisme des années 40/50 se différencie déjà
largement de la droite classique. Le RPF de ce point de vue n’est pas tout à fait un avatar de la
droite nationaliste frileuse des années 30. De Gaulle est un nationaliste, mais aussi un
pragmatique !
Trois éléments principaux :
1. Une organisation économique, diplomatique et stratégique des Etats libres d’Europe,
qui « redresserait la chance du Vieux Monde », dont de Gaulle verrait bien la France le
centre et la clé !
2. La réintégration progressive de l’Allemagne dans l’Europe
3. Une coopération accrue, notamment militaire, avec les Etats-Unis, qui exclurait toute
dépendance.
La traversée du désert
Aux législatives de 1951, la loi électorale dite des apparentements (qui combine scrutin
proportionnel et scrutin majoritaire) tente d’isoler le RPF (tout comme d'ailleurs le PCF,
l’autre parti hostile à la IVème République, qui est le véritable visé par cette loi, car personne
ne voudra s’apparenter au PCF). C’est un relatif succès pour le RPF (21,6% et 117 députés) ,
qui ne peut ébranler à lui seul la Troisième Force (Rad, SFIO,MRP) et suivre en permanence
une stratégie d’opposition.
On a souvent dit que la dissolution du RPF (mai 1953) était consécutive aux élections de
1951, mais ce qui change surtout la donne, c’est la nomination à la présidence du conseil
d’Antoine Pinay (mars 1952), un obscur homme de droite, avec des voix de parlementaires
RPF. C’est la crise au RPF, qui se disloque l’année suivante, n’obtenant aux municipales
(début mai) que un peu plus de 10% des voix
Le 6 mai 1953, de Gaulle confie, à ses partisans une nouvelle mission : «Cette mission
consiste à servir d'avant-garde au regroupement social et national du peuple pour changer le
mauvais régime. L'occasion de ce regroupement peut venir d'une future consultation
populaire. Elle peut venir aussi d'un sursaut de l'opinion qui, sous l'empire de l'inquiétude,
amènerait les Français à s'unir et le régime à se transformer. Mais elle risque, hélas!, de se
présenter sous la forme d'une grave secousse, dans laquelle une fois de plus la loi suprême
serait le salut de la patrie et de l'État. » Seul, le général de Gaulle peut écrire ces phrases, lui
que le souvenir du 18 juin autorise à parler de «loi suprême pour le salut de la patrie et de
l'État ». Mais, il faut noter dans ce texte l'ambition collective qui, aux yeux du général, doit
animer les Français. Le gaullisme n'est pas, n'est plus, l'expression d'un seul homme, il se veut
l'expression du rassemblement national.
A partir de 1953 et jusqu’en 1958, la vie politique du général est pourtant celle d’une retraite
politique, où il écrit ses Mémoires. Le gaullisme politique est mort, il ne pourrait renaître que
d’un « accident » ou d’une « secousse » (R.Aron). Il attend son heure, la croit venue après la
défaite d’Indochine, mais personne ne vient le chercher (c’est Mendès que l’on va chercher).
Ce sera la secousse algérienne.
Une nouvelle ère commence, celle du pouvoir sans partage, exercé pendant plus de 10 ans. Le
RPF ayant disparu, les partis gaullistes prendront d’autres appellations, l’UNR (Union pour la
Nouvelle République en 1958, Union des Démocrates pour la République en juin 1968 (UDR)
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C Le gaullisme comme pratique du pouvoir (1958-1970)
La prise du pouvoir et les institutions
Le « coup d'état» de 1958 ou la stratégie de la rupture
En mai 58, il n'est pas question de rupture, encore moins de coup d Ȏtat (dixit la gauche). On
a beaucoup glosé sur cet événement.
De Gaulle y apparaît comme le sauveur de la concorde nationale, le sauveur d'une République
menacée de guerre civile et de coup d'état militaire justement. Dans la quinzaine troublée qui
va du 15 mai au 29 mai, de Gaulle met toujours en avant dans ses discours la restauration de
l’autorité de l’Etat. L’action est donc dans la continuité de l’action de la Résistance et de la
Libération. Historicisation de l’événement :
On pourra retenir à propos du 13 mai l'idée de « coup d'état simulé pour une prise de pouvoir
par le Verbe ». Quoiqu'il en soit, l'émeute du 13 mai à Alger fut incontestablement à la fois
antiparlementaire, pro-Algérie française et pro-gaulliste. Le gal Salan , représentant du
pouvoir légal en Algérie, est un militaire qui a fait la Libération avec de Lattre et de Gaulle,
qui a fait l'Indochine et qui en appelle à de Gaulle (Vie de Gaulle crie t-il à Alger à la foule le
15 mai), réclamant un gouvernement de salut public. Massu, qui tient Alger est un gaulliste de
toujours et il prépare l'opération « résurrection », projet d'intervention militaire en métropole.
Les plus activistes ont déjà été approchés dès 1957 par des proches du général, tel Michel
Debré ou Jacques Foccart.
Que veut alors de Gaulle, dont le nom est prononcé à Alger? Le 19 mai, il se tient à la
disposition du pays, dans le cadre de la légalité républicaine. Le 24, débute l'opération
Résurrection en Corse (paras d'Alger), De Gaulle accepte le principe d'un gv d'union nationale
le 27 mai et il est appelé à Matignon le 28 par Coty. La gauche manifeste le 29 (300000
personnes)
Le gouvernement est formé le 1 er juin (investi le même jour 3291224/36), dans le strict
légalité républicaine mais les lois déposées et votées le les 2 et 3 sont de nature exceptionnelle
(mais légales) - pouvoirs spéciaux en Algérie - octroi des pleins pouvoirs pour 6 mois pouvoirs constituants au gv (modification de l’art 90 de la Constitution) avec la création d'un
Conseil consultatif constitutionnel
Dès le 4 juin, il est à Alger (je vous ai compris) et l'insurrection disparaît aussitôt. Dès le mois
de juin, la Constitution est élaborée (jusqu'en août), elle est présentée aux Français le 4
septembre (exemple 4 sept 1958 , grand discours à Paris prononcé par Malraux)
le référendum a lieu le 28 sept, avec une question simple :
Approuvez-vous la Constitution qui vous est proposée par le gv )
Oui: 85,14 des inscrits! (mais il y a eu tout de même près de 20% d’abstentions)
Les institutions
Une constitution adaptable et durable de « République présidentielle »
deux périodes à distinguer
1) 1958-1962 : une phase transitoire
La Constitution de 1958 marque la fin de l’omnipotence de l’Assemblée mais le
régime parlementaire est maintenu (contrôle du gouvernement et du Premier ministre). La
constitution réalise une synthèse qui aboutit en 1962 à la défaite du vieux système.
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Les nouveautés du texte constitutionnel :
« Une révolution copernicienne de la culture politique républicaine : un président de la
République, clef de voûte des institutions » (Serge Berstein). Avec le collège de 80000 «
électeurs », le chef de l’Etat ne procède plus des parlementaires ; il a le droit de dissolution et
dispose de l’article 16 (il l’utilise entre avril et septembre 1961 suite au « putsch » des
généraux d’Alger)
L'article 16 de la Constitution de 1958 dispose :
« Lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la Nation, l'intégrité de son territoire ou
l'exécution de ses engagements internationaux sont menacés d'une manière grave et immédiate et que le
fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République
prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier ministre, des Présidents
des Assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel.Il en informe la Nation par un message.Ces mesures doivent
être inspirées par la volonté d'assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les moindres délais, les moyens
d'accomplir leur mission. Le Conseil constitutionnel est consulté à leur sujet.Le Parlement se réunit de plein
droit. L'Assemblée nationale ne peut être dissoute pendant l'exercice des pouvoirs exceptionnels.
La subordination du pouvoir parlementaire :
le gouvernement est maître de l’ordre du jour de l’Assemblée et non l’inverse : le projet de loi
est supérieur à la proposition de loi : aujourd’hui, le « législateur » est davantage le
gouvernement que les parlementaires. Les députés ne disposent pas du « droit d’interpellation
» qui peut faire tomber le gouvernement ; le gouvernement peut, en revanche, poser la
question de confiance (d’où motion de censure ou article 49-3).
Une pratique présidentielle qui renforce ces nouveautés
La guerre d’Algérie y contribue car elle permet à de Gaulle d’imposer son modèle politique.
L’UNR, créé à l’automne 1958 est un parti sans président. L’autorité du général règne sans
partage jusqu’à la fin de 1962 ; 70% des électeurs sont satisfaits entre 1958 et 1962. Le
contrat entre le président et la Nation transcende le texte constitutionnel. L’article 20 de la
Constitution dit que le gouvernement dirige la politique de la Nation, mais, dans les faits, tout
découle du chef de l’Etat.
C’est donc une vision quasi-monarchique du pouvoir présidentiel : le président nomme et
renvoie les ministres à sa guise ; il limite l’action du Parlement ; le gouvernement agit par
ordonnances ; l’article 16 est mis en application d’avril à septembre 1961 ; la population est
consultée sur l’Algérie lors de deux référendums successifs, tandis que l’Assemblée n’est pas
consultée ; les annonces faites aux Français le sont par la télévision, jamais par un message à
l’Assemblée.
Cela provoque la montée de tensions politiques avec les défenseurs du modèle républicain
traditionnel.
La crise de 1962 ou le 16 mai 1877 à rebours
L’objectif de de Gaulle : renforcer le pouvoir présidentiel ; le général prend donc l’initiative.
Les défis du général : en avril 1962, il a « accepté » la démission de Michel Debré (alors
majoritaire à l’Assemblée) qui est remplacé par Georges Pompidou, un non parlementaire. Ce
dernier est investi avec 118 abstentions.
L’attentat du Petit Clamart le 22 août 1962, organisé par l’OAS précipite les choses :
l’annonce de la réforme électorale constitue une véritable déclaration de guerre.
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La double condamnation des partis traditionnels : les modalités de révision de la Constitution
sont définies à l’article 89 tandis que l’usage du référendum repose sur l’article 11. L’article
89 renvoie au fonctionnement institutionnel fondé sur les représentants du peuple, l’article 11
est fondé sur une logique de démocratie directe. Tous les partis, sauf l’UNR dénoncent le
renforcement du pouvoir personnel : c’est le « cartel des non ». Le 5 octobre 1962, le
gouvernement Pompidou est renversé. Le général de Gaulle garde G. Pompidou et dissout
l’Assemblée : c’est le scénario du 16 mai 1877 !
La guerre entre deux modèles républicains :
Modèle républicain traditionnel (IIIème et IVème République), gauche radicale
Paul Reynaud : « Pour nous, républicains, la France est ici (au parlement) et non ailleurs…
Les représentants du pouvoir, ensemble, sont la nation et il n’y a pas d’expression plus haute
de la volonté du peuple que le vote qu’ils émettent après une délibération publique » (séance à
l’Assemblée nationale le 2 octobre 1962)
Bcp de parlementaires qui ont voté la motion de censure du gv le 5 octobre q’appuient sur le
fait que le projet de loi n’est pas constitutionnel (sa constitutionnalité a été rejetée par le
Conseil d’Etat). Opposition résolue aussi du Sénat et de son pdt Gaston Monnerville.
Modèle républicain gaullien, de sensibilité bonapartiste (modèle de R.Rémond)
Charles de Gaulle : « Depuis longtemps, je crois que le seul moyen est l’élection par le peuple
du président de la République. Celui-ci, s’il était désigné par l’ensemble du pays – personne
d’autre n’étant dans ce cas – pourrait être « l’homme du pays » revêtu par là, aux yeux de tous
et aux siens, d’une responsabilité capitale, correspondant justement à celle que lui attribuent
les textes. » (in Mémoires d’Espoir).
La victoire populaire de la volonté gaullienne passe donc par le référendum, de nature
plébiscitaire mais qui est inscrit dans la nouvelle constitution (article 11) et qui se tient le 28
oct 1962 sur une question simple : approuvez-vous ou non les changements constitutionnels
relatifs à l’élection du pdt de la république au suffrage universel.
Objet : « Approuvez-vous le projet de loi soumis au peuple français par le président de la
République et relatif à l'élection du président de la République au suffrage universel ? »
La France du Nord et de l’Est, la France urbaine et industrielle vote très largement oui ; la
France radicale du Sud-Ouest vote plutôt non. Ce n’est pas vraiment un clivage
droite/gauche :
Résultat
Suffrages
Inscrits
% des inscrits
28 185 478
% des exprimés
100,00
Oui :
13 150 516 (62,25%)
Votants
21 694 563
76,97 -
Abstentions
6 490 915
23,03 -
Après la promulgation de la loi le 6 nov (sans vote parlementaire !) Les élections législatives
sont ensuite (18-25 nov 1962) un raz de marée gaulliste avec L’UNR: 32% des voix au
premier tour, 40% au 2ème tour : jamais un parti n’a obtenu un tel score dans l’histoire de la
France contemporaine. 233 sièges avec la apparentés sur 482 soit presque la majorité absolue
11
(l’appoint se fait avec des députés du CNIP, du MRP ou des RI). Gauche laminée avec 106
sièges
C’est donc un tournant dans l’histoire politique de la France : le modèle fondé le 16 mai 1877
est mort ; 1962 confirme 1958. Le dépositaire de la souveraineté nationale est désormais le
chef de l’Etat.
Le nouveau modèle de la république présidentielle se met en place entre 1962 et 1968
Le régime politique gaullien
Au sommet de l’Etat, un président-monarque :
un statut et des pouvoirs quasi-monarchiques :.
le président est celui de la majorité des Français qui l’élit et non celui d’un parti ou
d’une coalition de partis. Toutefois les partis politiques deviennent indispensables alors que le
général de Gaulle voulait au fond les marginaliser ; perversion du système : un parti n’existe
pas ou difficilement s’il n’a pas de candidat à l’élection présidentielle. En 1965 de Gaulle
croit qu’il peut se passer de l’UNR pour gagner au 1er tour de scrutin. Résultat il est mis en
ballotage par Mitterrand qui a su fédérer les partis de gauche autour de sa candidature.
De Gaulle se justifie mi déc 65
"La France, c'est tout à la fois, c'est tous les Français. C'est pas la gauche, la France ! C'est pas
la droite, la France ! Naturellement, les Français comme de tout temps, ressentent en eux des
courants. ...Prétendre faire la France avec une fraction, c'est une erreur grave, et prétendre
représenter la France au nom d'une fraction, cela c'est une erreur nationale impardonnable.
Vous me dites : à droite, on dit que je fais une politique de gauche au-dehors ; à gauche, du
reste vous le savez bien, on dit : de Gaulle, il est là pour la droite, pour les monopoles, pour je
ne sais quoi. Le fait que les partisans de droite et les partisans de gauche déclarent que
j'appartiens à l'autre côté, prouve précisément ce que je vous dis, c'est-à-dire que, maintenant
comme toujours, je ne suis pas d'un côté, je ne suis pas de l'autre, je suis pour la France."
Interview radiotélévisée du 15 décembre 1965
La presse satirique ne s’y trompe pas. Le Canard dessine de Gaulle en Louis XIV et sa
Cour : c’est ravageur ! (Giscard ensuite dabs les années 70)
Un gouvernement qui n’est que l’exécutant des orientations présidentielles
-
le chef de l’Etat est le véritable chef du gouvernement
la répartition des rôles entre le président et le Premier ministre
le « Premier ministre » n’est que le No1 du gouvernement, choisi et nommé par le chef de
l’Etat. Le pdt de la république préside d’ailleurs le conseil des ministres . Refus de la dyarchie
à la tête de l’Etat. Le PM applique la politique voulue par le pdt. Il n’a guère voix au chapitre
sur la politique étrangère.
Il faut donc bien s’entendre avec son PM et ne pas choisir un concurrent potentiel
De Gaulle prend des fidèles : Debré, Pompidou, Couve de Murville (en 1968).
Après de Gaulle, ce ne sera pas toujours la régle, couples plus difficiles et plus « politiques »,
ainsi Pompidou/Chaban puis Giscard/Chirac ou Mitterrand/Rocard
Un Parlement diminué et contrôlé
- un organe constitutionnel secondaire, aux pouvoirs limités par la constitution et la pratique
gaullienne du pouvoir.
12
- le parti du Président est le moyen de s’assurer une majorité docile et stable. Toutefois, ce
parti n’est jamais majoritaire et doit composer avec d’autres formations.
Ce modèle est certes contesté à gauche mais il apparaît de plus en plus faire consensus.
Pourquoi ?
=Un modèle politique qui correspond aux valeurs de la société des Trente Glorieuses
- Il porte un idéal de la modernité dans une économie de forte croissance
- La classe moyenne qui le soutient majoritairement demande à l’Etat de garantir le progrès et
la croissance dans la stabilité et la sécurité.
=Une culture politique dominante adaptée aux attentes de la population
- Inexistence de références philosophiques fortes, contrairement à la IIIème République
notamment
- Une exigence d’efficacité économique et sociale
- Un Etat fort capable de s’imposer dans le monde
Ce modèle semble largement approuvé par les français et jusqu’en 1968, il fonctionne bien
même si les élections de 1967 marquent une érosion légère de l’UD Vème (parti gaulliste qui
remplace l’UNR) obtient alors 200 sièges et la majorité présidentielle 244, courte majorité à
l’Assemblée (sur les 487 sièges). Rien politiquement n’annonce la secousse de 68 même si la
gauche progresse nettement en 1967 (près de 200 sièges).
De fait, il est problématique de considérer que la crise de mai 68 serait une crise du modèle
gaullien de la Vème République (d’ailleurs en juin 68, les gaullistes retrouvent une majorité
électorale écrasante). Ce qui semble plutôt en cause en mai-68 c’est l’usure du pouvoir
gaullien (10 ans continus) dans un contexte où le che de l’Etat et son gouvernement ne
semblent pas comprendre qu’ils sont confrontés à une crise de civilisation.
D. le gaullisme après de Gaulle : La France est‐elle toujours la France ? Les années 1968‐69 constituent toutefois une rupture dans l’équilibre mis en place dix ans plus tôt. Le Pacte avec les Français semble rompu, en dépit de l’embellie politique de la fin mai et de juin 1968 : la journée du 30 mai 1968 avec la manif sur les Champ‐Elysées, les élections triomphales de juin 1968 (46% des suffrages pour les partis de la majorité présidentielle, majorité absolue UDR). De Gaulle n’a pas compris mai 68, mais il entend tirer ses conclusions. De Gaulle bénéficie certes de l’aspiration de la France au retour à l’ordre et il a eu l’intelligence de dénouer la crise de manière démocratique, mais il va au devant d’un grand malentendu sur l’interprétation de l’après 68 ‐
‐
pour une partie de la gauche et de l’extrême gauche, la défaite est lourde mais elle n’est que provisoire. De Gaulle est usé et il faut reconquérir le terrain. La gauche sera en ordre de bataille en 1974 et elle perdra de peu. pour une partie de la majorité, le retour à l’ordre est prioritaire et la crainte de révolution hante les politiques de droite. Couve de Murville n’est pas non plus G.Pompidou, mis à l’écart en juin 68. 13
‐
pour de Gaulle, la réponse est sociale et passe par une grande réforme, longtemps ajournée, celle de la participation (à laquelle on joindra une réforme du Sénat et des collectivités locales). De même, avant de proposer cette réforme aux Français, il fait voter une grande loi d’orientation universitaire, dite loi Edgar Faure, qui est critiquée à droite pour sa démagogie. On connaît le résultat : 53,5% de NON « Après de Gaulle, que va devenir la France ? » peut s’interroger le général en quittant le pouvoir. Il vit mal son départ… A l’époque, les observateurs jugeaient tous que le système de pouvoir charismatique du Général, pas plus que sa conception toute personnelle de la France et des Français n’avait aucune chance de lui survivre. C’est le contraire qui s’est produit. Les présidents suivants sont tous plus ou moins entré dans les habits du gaullisme, de façon plus ou moins orthodoxe. =Pompidou est sans aucun doute un véritable dauphin de Gaulle, dont il a en partie le verbe, l’intelligence acérée, mais en une version plus « moderne » et moins surannée, sans le poids du mythe historique vivant. =Giscard, venant de la famille libérale, a certes cherché à se démarquer nettement du gaullisme en 1974 (la nouvelle société libérale), mais son pouvoir est devenu de plus en plus monarchique et personnel au cours du temps, tandis le parti gaulliste rénové par Chirac (le RPR) devenait une machine à reconquérir le pouvoir et à casser Giscard, désormais considéré comme un traître à la cause gaulliste. =Mitterrand s’est parfaitement coulé dans le moule institutionnel de la Vème république qu’il a pourtant combattu, jusqu’à rendre possible un système de cohabitation avec l’opposition, et en accentuant même le caractère personnel sinon clanique du pouvoir présidentiel. =Quant à Chirac, élu en 1995, il est d’une certaine façon, l’un des héritiers politiques du gaullisme, formé par Pompidou au pragmatisme et au combat politique, plus un gaullisme d’action et d’adaptation qu’un gaullisme d’idées…avec une petite composante très radicalo‐pompidolienne (ancrage rural corrézien) Et aujourd’hui tout le monde revendique plus ou moins un héritage du gaullisme, à droite comme à gauche… De Gaulle n’est pas devenu « la France » mais un mythe de l’Histoire de France, dont les critiques semblent s’émousser de plus en plus, y compris dans les approches historiques et biographiques du personnage. 14
III/ Cultures politiques gaullistes : décolonisation et politique étrangère
A. Le gaullisme face à la décolonisation
Problème essentiel, pour plusieurs raisons :
1. De Gaulle est revenu au pouvoir « grâce » à l’Algérie (c’est la « divine surprise » du
13 mai)
2. L’action du générale de Gaulle a été très diversement commentée, suscitant autant de
haine que d’approbation. Est-il un pragmatique ? A-t-il trahi les engagements pris au
nom de l’intérêt supérieur de la Nation ?
Retour en arrière
De Gaulle est-il partisan « historique » de la décolonisation ? légende tenace et fantaisiste
d’un de Gaulle concevant dès 1944 l’idée d’une autodétermination des peuples colonisés.
Discours de Brazzaville en 1944 (janvier-février 1944), belles phrases, mais déclaration
liminaire de la conférence (moins connue et moins publiées) précise :
« les fin de l’œuvre de civilisation accomplie par la France écartent toute idée d’autonomie
(…) la constitution éventuelle, même lointaine de self-government est à écarter »
« On veut que le pouvoir politique de la France s’exerce avec précision et rigueur sur toutes
les terres de son Empire »
DISCOURS DE BRAZZAVILLE (1944) Si lʹon voulait juger des entreprises de notre temps suivant les errements anciens, on pourrait sʹétonner que le Gouvernement français ait décidé de réunir cette Conférence africaine. ʺAttendez !ʺ nous conseillerait, sans doute, la fausse prudence dʹautrefois. ʺLa guerre nʹest pas à son terme. Encore moins peut‐on savoir ce que sera demain la paix. La France, dʹailleurs, nʹa‐t‐elle pas, hélas ! des soucis plus immédiats que lʹavenir de ses territoires dʹoutre‐mer ?ʺ Mais il a paru au gouvernement que rien ne serait, en réalité, moins justifié que cet effacement, ni plus imprudent que cette prudence. Cʹest quʹen effet, loin que la situation présente, pour cruelle et compliquée quʹelle soit, doive nous conseiller lʹabstention, cʹest, au contraire, lʹesprit dʹentreprise quʹelle nous commande. Cela est vrai dans tous les domaines, en particulier dans celui que va parcourir la Conférence de Brazzaville. Car, sans vouloir exagérer lʹurgence des raisons qui nous pressent dʹaborder lʹétude dʹensemble des problèmes africains français, nous croyons que les immenses événements qui bouleversent le monde nous engagent à ne pas tarder ; que la terrible épreuve que constitue lʹoccupation provisoire de la Métropole par lʹennemi ne retire rien à la France en guerre de ses devoirs et de ses droits enfin, que le rassemblement, maintenant accompli, de toutes nos possessions dʹAfrique nous offre une occasion excellente de réunir, à lʹinitiative et sous la direction de M. le Commissaire aux Colonies, pour travailler ensemble, confronter leurs idées et leur expérience, les hommes qui ont lʹhonneur et la charge de gouverner, au nom de la France, ses territoires africains. Où donc une telle réunion devait‐
elle se tenir, sinon à Brazzaville, qui, pendant de terribles années, fut le refuge de notre honneur et de notre indépendance et qui restera lʹexemple du plus méritoire effort français ? Depuis un demi‐siècle, à lʹappel dʹune vocation civilisatrice vieille de beaucoup de centaines dʹannées, sous lʹimpulsion des gouvernements de la République et sous la conduite dʹhommes tels que : Gallieni, Brazza, Dodds, Joffre, Binger, Marchand, Gentil, Foureau, Lamy, Borgnis‐Desbordes, Archinard, Lyautey, Gouraud, Mangin, Largeau, les Français ont pénétré, pacifié, ouvert au monde, une grande partie de cette Afrique noire, que son étendue, les rigueurs du climat, la puissance des obstacles naturels, la misère et la diversité de ses populations avaient maintenue, depuis lʹaurore de lʹHistoire, douloureuse et imperméable. Ce qui a été fait par nous pour le développement des richesses et pour le bien des hommes, à mesure de cette marche en avant, il nʹest, pour le discerner, que de parcourir nos territoires et, pour le reconnaître, que dʹavoir du coeur. Mais, de même quʹun rocher lancé sur la pente roule plus vite à chaque instant, ainsi lʹoeuvre que nous avons entreprise ici nous impose sans 15
cesse de plus larges tâches. Au moment où commençait la présente guerre mondiale, apparaissait déjà la nécessité dʹétablir sur des bases nouvelles les conditions de la mise en valeur de notre Afrique, du progrès humain de ses habitants et de lʹexercice de la souveraineté française. Comme toujours, la guerre elle‐même précipite lʹévolution. Dʹabord, par le fait quʹelle fut, jusquʹà ce jour, pour une bonne part, une guerre africaine et que, du même coup, lʹimportance absolue et relative des ressources, des communications, des contingents dʹAfrique, est apparue dans la lumière crue des théâtres dʹopérations. Mais ensuite et surtout parce que cette guerre a pour enjeu ni plus ni moins que la condition de lʹhomme et que, sous lʹaction des forces psychiques quʹelle a partout déclenchées, chaque individu lève la tête, regarde au‐delà du jour et sʹinterroge sur son destin. Sʹil est une puissance impériale que les événements conduisent à sʹinspirer de leurs leçons et à choisir noblement, libéralement, la route des temps nouveaux où elle entend diriger les soixante millions dʹhommes qui se trouvent associés au sort de ses quarante‐deux millions dʹenfants, cette puissance cʹest la France. Archives de l’Institut Charles‐de‐Gaulle En 1945, le jour de la victoire (le 8 mai 45), des émeutes ont lieu à Sétif en Algérie, en
réaction à la mort d’un manifestant tué par la police. Une centaine d’ européens sont alors
tués ce qui provoque une brutale répression de l’armée contre les Musulmans jusqu’au 22
mai [le massacre aurait fait entre 10 et 15 000 victimes, le chiffre reste très controversé].
Cela n’a pas été d’abord une initiative de de Gaulle (qui est rappelons le est alors chef du
GPRF) mais le 11 mai, il ordonne l’intervention de l’armée, commandée par le gal Duval.
Alerté de la violence de la répression, de Gaulle nomme une commission d’enquête, mais
elle n’a aucun effet. Dans ses Mémoires, de Gaulle considère qu’il y a eu un début
d’ insurrection dans la Constantinois.
En 1946, les colonies de l’Empire Français deviennent l’Union Française mais aucune
véritable perspective de décolonisation, contrairement à la GB, qui va se séparer l’année
suivante des Indes.
Le 15 mai 1947, à Bordeaux, de Gaulle fait un discours sur les colonies en pleine période de
tension coloniale (révolte à Madagascar, conflit en Indochine, velléités d’indépendance du
sultan du Maroc). Le discours est sans ambiguïté. Il exalte l’œuvre magnifique de la
civilisation française, de la paix française. les peuples de l’Empire découvrent grâce à la
France la liberté, la paix et la justice, le progrès (« France fait avancer à grands pas vers la
lumière plus de 60 millions d’hommes »)
Et surtout : « L’Union française doit être française, ce qui implique que l’autorité de la
France s’exerce nettement sur place » ou « perdre l’union française serait un abaissement qui
pourrait nous coûter jusqu’à notre indépendance ».
Le fait que les colonies aient largement contribué à la Libération de la France ne joue pas en
faveur de leur émancipation mais au contraire du resserrement des liens avec la mère-patrie.
Revenu au pouvoir, de Gaulle change t-il d’avis ?
A Abidjan (auj. Cote d’Ivoire) le 25 août 1958, il prononce discours qui infléchit ses idées
antérieures, au moins en ce qui concerne l’Afrique noire, mais il subordonne en fait cette
évolution à la création d’une « Communauté » regroupée autour de la métropole, dont de
Gaulle est le président et qui remplace l’Union Française. Le 28 septembre 1958, le
référendum est assorti dans les colonies d’Afrique noire au maintien ou non dans la
communauté.
16
1958 : indépendance de la Guinée, Sékou Touré son leader refuse d’adhérer à cette
communauté des pays africains et devient le premier pays d’Afrique noire francophone
décolonisé. Mais il est lâché militairement et économiquement.
Cette « communauté » ne peut longtemps fonctionner et elle aboutit en 1960 à
l’indépendance des états membres selon des logiques frontalières discutables (et qui vont
provoquer de nombreux conflits ultérieurs).
Document sonore No 8
Mais ce n’est pas sur cette question que le gal de Gaulle est attendu, mais sur celle de
l’Algérie.
Véritable drame national. Difficile de résumer ce que l’on peut appeler la « recherche d’une
politique algérienne », de 1958 à 1962 Vision gaullienne d’après ses biographes L’Algérie est française, certes, mais ce n’est pas la France. Il faut donc s’efforcer dans un premier temps de maintenir la place de la France en Algérie, trouver la « solution la plus française ». A partir de 1959, il se convainc que la poursuite du conflit est contraire aux intérêts et à la grandeur de la France : sous la contrainte, il s’adapte et finit par adopter la solution de l’indépendance (4 nov 1960, il évoque la « république algérienne »)
Histoire plus compliquée
Depuis 1954, grande discrétion du général, déclarations ambiguës et contradictoires
1er juin 1958 : « Je vous ai compris » INA , discours ambigu mais interprété par les
Eurpopéens d’Algérie comme un soutien à l’Algérie française.
Il faut attendre le début du mois d’octobre 1958 (3 octobre) pour qu’un véritable plan
quinquennal (dit plan de Constantine) pour l’Algérie soit annoncé. C’est une politique de
développement qui est dans la droite ligne de celle menée par la IVème république (Mendès,
Guy Mollet) et qui semble vouloir dire que la France va rester durablement en Algérie.
Sur le plan militaire, de Gaulle fait son appel à la « paix des braves » en 1959 (INA). Elle est
refusée par le FLN, ce qui pousse le nouveau commandant militaire en Algérie, le général
Challe, a reprendre au fond la même tactique de harcèlement du FLN en place depuis 1956 et
de le couper de ses bases arrières (tunisiennes), aidé en cela par des supplétifs de l’armée
française, les harkis.
Rien ne change sur le front militaire. Mais sur le front politique, tout change en 1959 et le
discours du 16 septembre 1959 sur l’autodétermination.
INA : discours sur autodétermination. Le général propose on se souvient trois options : la
sécession (=indépendance), la francisation (=intégration) ou l’association (solution qui a sa
préférence), gouvernement des Algériens par les Algériens eux-mêmes, dans le cadre de
relations solidaires avec la France.
L’idée d’une autodétermination provoque en France comme en Algérie des réactions
complexes. Une bonne partie de la gauche soutient désormais l’initiative gaulliste, mais à
Alger, les partisans de l’Algérie française dressent des barricades au début de l’année 1960,
refusant toute évolution autre que l’intégration.
barricades d’Alger 29 janvier 1960
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De Gaulle obtient alors les pleins pouvoirs en Algérie pour un an. En métropole, L’Algérie
française mobilise à droite, mais aussi dans tous les partis politiques, en dehors du PC (on
trouve des Algérie française à l’UNR gaulliste, au MRP, à la SFIO, les Radicaux…).
Toutefois de Gaulle pense qu’il peut compter sur une opinion publique métropolitaine
majoritairement favorable à l’autodétermination.
= scrutin du 8 janvier 1961 (référendum 80% de oui)
Les résultats du scrutin poussent les partisans de l’Algérie française à une radicalisation. Des
activistes réactivent à Alger l’OAS (Organisation Armée secrète, fondée en janvier 1961 à
Madrid et qui rassemble des partisans acharnés de l’Algérie Française, de gauche comme de
droite, cf. Rémi Kauffer, OAS, Histoire d’une franco-française, Seuil, 2002), tandis que 4
généraux (Challe, Salan (le libérateur de Toulon en 1944) Jouhaud, Zeller) tentent les 20-26
avril un putsch à Alger, qui avorte.
putsch d’Alger 23 avril 1961
Ina putsch (1961)
La période qui va de mai 1961 à mars 1962 est probablement la plus tragique de la guerre, en
dépit de discussions engagées par de Gaulle avec le FLN. L’Armée française ne parvient plus
à maintenir l’ordre en Algérie, face au double terrorisme aveugle de l’OAS et du FLN. En
métropole, l’OAS frappe également, à travers un terrorisme, des attentats, ce qui pousse le
gouvernement à s’en prendre violemment à tous ceux qui remettent en cause son autorité.
Période de brutalité policière (1961-62) : répression de la manifestation pro-FLN du 17
octobre 1961 à Paris (plus d’une centaine de morts), répression de la manifestation anti-OAS
du 8 février 1962 (9 morts au métro Charonne).
La haine de l’OAS pour de Gaulle dépasse ensuite le cadre de la guerre d’Algérie, puisque
qu’après l’indépendance de l’Algérie, l’OAS tente à plusieurs reprises de tuer le général et le
manque de peu au Petit-Clamart (le 22 août 1962, J-marie Bastien-Thiry, exécuté le 11 mars
1963) puis à Toulon au Mont Faron en 1964 (la bombe n’explose pas). A noter qu’il existe à
Toulon un monument érigé (en 1980) aux martyrs de l’Algérie Française, et notamment aux
membres OAS (plastiqué) et une plaque en l’honneur de Salan (2001)
Ina : Evian 1962
B. Le gaullisme et la politique étrangère
Point de départ symbolique : l’explosion, de la première bombe nucléaire française dans le
Sahara en 1960 : France puissance nucléaire.
Enfin une France forte, c’est une France qui répond aux défis du monde moderne, de toute nature, industriels et technologiques, militaires, culturels. Pas question donc de se reposer dans un passéisme réactionnaire. La France de de Gaulle n’est pas celle de la révolution , mais elle n’est pas non plus celle de la réaction. L’Etat fort a les moyens d’imposer ce qui pour de Gaulle est prioritaire : l’affirmation de la grandeur nationale. On peut parler d’un « nouveau nationalisme » car il n’est ni passéiste ni réactionnaire. Cela passe par : 1/ une conception planétaire du rôle de la France, qui doit toutefois compter avec les réalités géopolitiques « concession au réel » (et notamment la décolonisation, mais aussi le danger planétaire qui in fine est tout de même le communisme soviétique et non l’impérialisme US, même si de Gaulle les renvoie volontiers dos à dos. 18
2/ une politique d’indépendance nationale par rapport aux blocs, et un refus de la vassalisation. Cette indépendance prend de nombreuses formes, militaires (bombe atomique, avions Mirage, sous marins, missiles, porte‐avion), technologiques (centrales nucléaires, SECAM, Plan calcul), industrielles (contrôle des investissements, maintien du secteur public, essayer d’empêcher les acquisitions étrangères), monétaires (il aurait voulu remplacer l’étalon dollar par l’étalon or Sur le plan diplomatique, le grand dessein gaulliste est celui d’une France championne de l’indépendance des Etats Nations face aux grands blocs, qui passe par des initiatives diversement appréciées : critique sévère de la guerre américaine du Vietnam (en 1966) comme de l’intervention de la Tchécoslovaquie en 1968, diplomatie directe avec certains pays de l’est comme la Pologne et la Roumanie, qui distendent leurs liens avec l’URSS, reconnaissance de la Chine de Mao (en 1964), exaltation du Québec libre en 1967 (Vive le Québec Libre), prises de position pro arabes dans le conflit du Proche Orient (condamnation de l’offensive israélienne lors de la guerre des Six Jours en 1967 et déclarations sur « un peuple d’élite, sûr de lui‐
même et dominateur, avec une ambition ardente et conquérante) 3/ La grandeur ne peut passer par la France seule, mais par le rapprochement de l’Europe des Etats‐Nations, d’abord l’Europe de l’ouest (par pragmatisme) mais dans l’idéal une Europe qui irait « de l’Atlantique à l’Oural », de toute façon pas de supranationalité, qui ferait perdre à la France son identité profonde. 4/ Le problème est de savoir si la diplomatie gaulliste assez spectaculaire (en faveur du TM, de rapprochement avec le bloc de l’Est (Chine reconnue en 1964, voyage en Roumanie), d’affrontement avec les Etats‐Unis sur le Vietnam, de refus de la GB dans l’Europe), a de véritables effets extérieurs et pèse sur le cours des événements mondiaux. Rien n’est moins sûr en fait. Lorsque de Gaulle fait des déclarations un peu à l’emporte pièce en 1967 (sur Israël et la guerre des Six Jours, puis sur le « Québec Libre en juillet 67), elles ne font guère avancer les choses au Proche Orient ni au Canada. De Gaulle parle, agit, rencontre les chefs d’état…mais la France n’influe guère au‐delà de la sphère européenne ou de son ancienne sphère coloniale africaine. « la politique de la grandeur », dans l’esprit de Gaulle ne sépare pas politique intérieure et extérieure. La France doit être forte à l’intérieur pour être présente et forte à l’extérieur. Ainsi les questions économiques intéressent Ch.de Gaulle car elles occupent une place stratégique. La modernisation économique – et surtout industrielle – est une nécessité qui s’inscrit certes dans le cadre de l’économie de marché mais que l’Etat doit favoriser. C’est ainsi que les lois d’orientation de 1960 et 1962 sur l’agriculture enclenchent le grand mouvement de modernisation de l’agriculture française, qui ne va pas sans heurts et sans un grand déracinement (l’exode rural massif date en France des années 60) : cf. la chanson du chanteur communiste Jean Ferrat, La Montagne, qui traduit bien ce mélange de nostalgie et de révolte. Le 19
problème est que même en investissant dans une agriculture exportatrice et concurrentielle, les jeunes agriculteurs voient leurs revenus progresser moins vite que celui des citadins. De plus, la course à la productivité n’est pas la course à la qualité mais à la quantité et au rendement : voir les transformations de la Bretagne rurale dans les années 60. En réalité, la priorité gaulliste (en accord avec Pompidou et Giscard) est industrielle. On a toutefois trop vite caricaturé le rôle de l’Etat gaullien en matière industrielle, très contrasté et surtout en continuité avec l’œuvre de la IVème. Au moins trois axes, qui sont inséparables évidemment du contexte économique très favorable (croissance forte, assez peu d’inflation après le plan Giscard de stabilisation de 1963) et de la construction européenne : -
le développement des investissements productifs (routes et autoroutes, voies ferrées
surtout), pour mettre à niveau la France : retard important en matière autoroutière et
des investissements en matière de recherche scientifique et technologique
(technologies françaises en dépit des coûts : ex. TV SECAM, filière nucléaire civile et
militaire, informatique française) . Les industries de haute technologie donnent lieu à
des programmes ambitieux en matière aéronautique (le Concorde puis l’Airbus)
-
Le charbon est progressivement abandonné au profit du pétrole (le pétrole du Sahara
découverte en 1956 ne peut être durablement exploité) et du gaz (gaz de Lacq,
fondation de la société nationale ELF), ainsi que du nucléaire et de l’hydroélectricité
(Plan Jeanneney, 1960) Cela conduit à fermer les mines, à importer du pétrole (peu
cher jusqu’en 1973) et à construire des centrales nucléaires un peu partout en France
(la première date en fait de 1956)
Taux de dépendance en 1960 est de 38%, il passe à 76% en 1973 en dépit du programme
nucléaire.
-
Face à la concurrence internationale et européenne, l’Etat encourage les fusions et les
concentrations bancaires et industrielles (BNP). D’autre part, la DATAR (créée en
1963), tente de décentraliser les activités économiques vers la province, non sans
difficultés (cela avait commencé sous la IVème)
Le problème des grandes entreprises française, c’est qu’elles ne sont pas assez grandes ou
dans un seul secteur. En 1960, sur les 5 premiers groupes industriels, 5 sont des groupes
automobiles (Renault, Citroën, Simca et Peugeot)
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DE GAULLE ET LA FRANCE (1940‐1970) ʺToute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la Franceʺ De Gaulle 1. « La France, la France, la France ! »
De Gaulle se confond pratiquement avec 30 ans d’Histoire de France, de l’appel du 18 juin en
1940 à son départ de l’Elysée en avril 1969. Tout en demeurant « l’Homme du 18 juin »,
c’est le chef d’Etat de la France qui est célébré lors de ses funérailles à Notre-Dame en 1970.
Sur ces trente ans, de Gaulle a été treize années au sommet de l’Etat, ce qui n’en fait toutefois
pas un record à l’époque contemporaine : les deux Napoléon ont fait mieux et Mitterrand, son
adversaire le plus coriace sous la Vème République, est resté quatorze années chef de l’Etat.
Mais aucun chef d’Etat n’a à ce point voulu incarner la France : de Gaulle était la France,
investi d’une véritable mission, aussi bien en 1940 qu’en 1958. Dans tous ses discours ou
presque, la France est présente, personnifiée, aimée, parfois rudoyée. De Gaulle, c’est à la fois
Jeanne d’Arc, Péguy, Barrès, Louis XIV, Napoléon et Victor Hugo réunis…C’est une certaine
idée de la France, une « France éternelle » qui ne peut pas mourir et qui doit sans cesse se
régénérer, se moderniser aussi. « Il n'y a aucune chance pour que, cédant à la facilité, nous
laissions s'effacer la France disait-il en 1963 ». Dans Le Vocabulaire du général de Gaulle
(Jean-Marie Cotteret et René Moreau), l'ordinateur fournit les dix mots de prédilection de De
Gaulle, conscients ou inconscients, qui reviennent le plus souvent dans ses écrits : dans
l’ordre : La France, Le pays, La République, L'Etat, Le monde, Le peuple, La nation, Le
progrès, La paix, L'avenir. Un petit florilège de ses discours ou écrits sur la France suffit à
s’en convaincre.
Quelques extraits :
"Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France. Le sentiment me l'inspire aussi
bien que la raison. Ce qu'il y a en moi, d'affectif imagine naturellement la France, telle la
princesse des contes ou la madone aux fresques des murs, comme vouée à une destinée
imminente et exceptionnelle. J'ai, d'instinct, l'impression que la Providence l'a créée pour des
succès achevés ou des malheurs exemplaires. S'il advient que la médiocrité marque, pourtant,
ses faits et gestes, j'en éprouve la sensation d'une absurde anomalie, imputable aux fautes des
Français, non au génie de la patrie. Mais aussi, le côté positif de mon esprit me convainc que
la France n'est réellement elle-même qu'au premier rang ; que, seules, de vastes entreprises
sont susceptibles de compenser les ferments de dispersion que son peuple porte en lui-même ;
que notre pays, tel qu'il est, parmi les autres, tels qu'ils sont, doit, sous peine de danger mortel,
viser haut et se tenir droit. Bref, à mon sens, la France ne peut être la France sans la
grandeur." In Mémoires de guerres, t. 1, p.1.
Jamais plus qu'ici et jamais plus que ce soir, je n'ai compris combien c'est beau, combien
généreux la France. " Allocution prononcée à Alger le 4 juin 1958
"Destin de la France ! Ces mots évoquent l'héritage du passé, les obligations du présent et
l'espoir de l'avenir. Depuis qu'à Paris, voici bientôt mille ans, la France prit son nom et l'Etat
sa fonction, notre pays a beaucoup vécu...Mais, voici qu'une occasion soudaine s'est offerte à
lui de sortir du doute, des divisions, des humiliations. Voici qu'il veut la saisir en faisant
passer l'intérêt général au-dessus de tous les intérêts et préjugés particuliers...." Déclaration
prononcée à l'Elysée le 8 janvier 1959
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"Enfin, je m'adresse à la France. Eh bien ! mon cher et vieux pays, nous voici donc ensemble,
encore une fois face à une lourde épreuve. En vertu du mandat que la peuple m'a donné et de
la légitimité nationale que j'incarne depuis vingt ans, je demande à tous et à toutes de me
soutenir quoi qu'il arrive." Allocution radiodiffusée et télévisée prononcée au palais de
l'Elysée le 29 janvier 1960
« On s'étonne aussi que la France veuille être elle-même à l'extérieur, qu'elle ne renonce pas à
être la France même en Europe, même dans le monde. La France a choisi une fois pour toutes
d'être la France et j'invite tout le monde à s'en accommoder." Allocution prononcée à Brest le
5 septembre 1960
2. La France dans la culture politique de de Gaulle
Par sa famille, des monarchistes ralliés à la République, sa formation catholique dans des établissements religieux, le milieu militaire auquel il appartient, Charles de Gaulle est d’abord étranger à la culture politique républicaine. Sans doute nʹest‐il pas hostile à la République puisquʹelle est le régime accepté par les Français au XXsiècle, mais elle nʹest pour lui que la forme temporaire adoptée par la nation, la Res Publica, autrement dit lʹEtat. En revanche, il ne partage en rien les valeurs qui sont celles des « républicains» des débuts du XXème siècle et qui font que la République nʹest pas simplement un régime, mais un idéal de société. Catholique, il ne se sent évidemment pas partie prenante du positivisme ou du néo‐kantisme, fondements de la laïcité de lʹEtat et de lʹhostilité envers les religions révélées, facteurs dʹobscurantisme aux yeux des républicains. Tout en admirant la Révolution française pour avoir porté la gloire des armes nationales aux extrémités de lʹEurope, il nʹen fait pas le tournant de lʹhistoire du monde et admire tout autant pour les mêmes raisons Louis XIV ou Napoléon. Plus fondamentales encore sont ses réserves sur la primauté reconnue par les républicains à lʹindividu, à ses droits et à ses libertés par rapport à la raison dʹEtat et sur leurs conceptions institutionnelles assurant la prééminence du Parlement, constitué par les élus de la nation souveraine, sur un pouvoir exécutif envers qui la méfiance sʹimpose et quʹil sʹagit de tenir en lisière pour lui interdire dʹabuser de ses prérogatives aux dépens de la liberté du citoyen. Sa culture politique personnelle est aux antipodes de cette vision des choses. Au centre de ses conceptions, on trouve donc « la France éternelle » avec qui il entretient un dialogue mystique et qui doit, pour accomplir sa mission de grandeur, être servie par un Etat fort, gouverné par un chef incontesté, maître de lʹarmée et de lʹadministration, et dont lʹautorité doit sʹexercer selon les critères du commandement militaire. Sʹil admet que la souveraineté réside dans la nation, il considère que celle‐ci doit la déléguer directement au chef de lʹEtat et non la diluer aux mains de plusieurs centaines de représentants que leur nombre même rend irresponsables, En dʹautres termes, la culture politique de Charles de Gaulle est directement issue du nationalisme français. Pendant la Seconde guerre mondiale, de Gaulle apparaît certes comme un authentique républicain, sans quoi d’ailleurs il n’aurait pu fédérer les mouvements de résistance, promettant de « rendre la parole au peuple ». Un républicanisme 22
sincère mais qui ne change rien à ses conceptions profondes du pouvoir dans la respublica. Il rompt donc en 1946 avec la culture républicaine parlementaire des constituants et révèle le clivage sans détours dans le discours de Bayeux en juin 1946. Le Rassemblement (et non le parti, horreur !) du peuple français est pour de Gaulle un pis‐aller, d’autant que ce mouvement fédère les droites et non l’ensemble des français et que son objectif relève de l’utopie : attendre l’effondrement du système sans s’impliquer directement dans cette formation qu’il approuve du bout des lèvres. Au fond, l’entreprise gaullienne aurait très bien pu disparaître dans la marginalisation ou l’exil de Colombay. Il a fallu une crise majeure, celle du 13 mai pour que de Gaulle puisse jouer à nouveau le rôle qu’il sait le mieux jouer, celui du recours, du sauveur. De Gaulle peut alors imposer sans opposition majeure sa vision d’une France nouvelle. Et d’abord la guerre d’Algérie. Ensuite des institutions à la mesure de la France, c’est‐à‐dire de de Gaulle. La République n’est pas abolie, la démocratie non plus, mais pour la première fois dans l’histoire française, il y a conjugaison de la république et d’un Etat fort, deux termes jusqu’alors antinomiques. Un Etat fort, cela veut dire une « France forte » pour de Gaulle. Et sur le plan parlementaire, un parti majoritaire fort, que l’on a souvent appelé ironiquement le « parti des godillots », tant il s’installe dans le rôle inédit du parti dominant, dont l’unique fonction est de suivre et de faire aboutir les décisions de l’exécutif, en bref de neutraliser le Parlement. Lorsque le besoin s’en fait sentir, les Français par référendum plus ou moins plébiscitaires (auquel il faut adjoindre l’élection tout aussi plébiscitaire de 1965 et au fond les législatives plébiscitaires de 62, 67 et 68) répondent oui à de Gaulle. La seule fois où le peuple dit NON (1969), de Gaulle s’en va grand seigneur. B.Lemonnier 2014
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