Comment les entreprises maîtrisent et exploitent pour leur compte la

Thème du mois
15 La Vie économique Revue de politique économique 5-2014
La généralisation des TIC a entraîné une
saisie toujours plus précise et approfon-
die des données concernant lexploitation
de lentreprise. En dehors de ces proces-
sus purement internes, les interfaces avec
le monde extérieur et les interactions avec
les clients et les fournisseurs revêtent une
grande importance.
Le client au centre de l’intérêt
Du point de vue du marketing, suivre le
comportement de la clientèle – voire lévo-
lution de sa mentalité – est un objet de
connaissance primordial. La conception
moderne de la gestion des relations avec la
clientèle («customer relationship mana-
gement», CRM) se concentre sur un sujet
spécifique et son comportement. Pour que
chaque client soit traité le plus individuelle-
ment possible, il faut dabord disposer d’une
collection complète de données. Celle-ci doit
recouvrir autant que possible toutes les inte-
ractions que le client en question a avec la
société. Les entreprises modernes disposent
souvent de plusieurs canaux par lesquels les
clients peuvent interagir avec elles et leurs
produits.
Le point de contact classique est le maga-
sin, où les clients trouvent et peuvent ache-
ter les produits exposés. Les divers points de
vente sont généralement rattachés à des sys-
tèmes informatiques centralisés, qui enre-
gistrent chaque article vendu et le traitent
ensuite de mille manières avec des systèmes
adéquats. Dans plusieurs filiales des dif-
férentes régions suisses, les grands distri-
buteurs comme Migros ou Coop gèrent un
grand nombre de systèmes de caisse, qui
enregistrent chaque jour une énorme quan-
tité de transactions. La valeur informative
de ces données peut encore être rehaussée
en attribuant les transactions à tel ou tel
acheteur, ce que permettent par exemple les
cartes de fidélité.
Exploiter les données recueillies
Les possibilités de saisir les processus
pertinents se sont accrues. Cela soulève la
question de lefficacité du traitement appli-
qué à des données devenues volumineuses.
Comment les entreprises maîtrisent et
exploitent pour leur compte la foison des données
Les technologies de l’informa-
tion et de la communication
(TIC) permettent aux entre-
prises de saisir un grand
nombre de données concernant
leur exploitation. Les systèmes
actuels de gestion sont large-
ment alimentés par les flux de
données. Ainsi, les relations
avec la clientèle exigent des
renseignements complets sur le
comportement et la mentalité
de cette dernière. Internet et la
radiophonie mobile répondent
à ce besoin dans la mesure où
ils permettent danalyser avec
précision le comportement
de la clientèle. Quant aux
réseaux sociaux, ils créent
une nouvelle forme de forum
virtuel. Les entreprises doivent
donc intégrer les défis concomi-
tants dans leur gestion
de l’information.
Pr Thomas Myrach
Institut d’informatique
économique de l’univer-
sité de Berne, division
Gestion de l’information
Les clients peuvent interagir avec les entreprises et leurs produits par différents canaux. Il convient dès lors
d’enregistrer le plus possible tous ces événements, quel que soit le point de contact.
Photo: Keystone
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Celui-ci n’est pas adéquat dans de nom-
breux cas, si bien que le potentiel des infor-
mations nest pas exploité efficacement1. La
première explication de ce constat ne tient
dailleurs pas au traitement de gros volumes
de données; la cause principale est lappari-
tion de silos organisationnels et techniques
qui peuvent compliquer singulièrement le
regroupement de données concernant les
mêmes sujets.
Pour maîtriser les problèmes posés
par lintégration et le dépouillement de
stocks de données hétérogènes, on a créé
le concept de «dépôt de données» («data
warehouse»). En quelques étapes, les infor-
mations provenant des applications les
plus diverses sont refondues en une base
de données uniforme et structurée qui en
permet le dépouillement. À laide doutils
interactifs, comme le traitement analytique
en ligne («online analytical processing»)
et le «data mining», cette base de données
peut être ensuite dépouile. Le concept de
dépôt de données montre que la maîtrise
de masses dinformations hétérogènes peut
comporter une dimension structurelle et
une autre analytique.
Entretenir des relations avec la
clientèle gce aux analyses e
ffectuées sur la Toile
Depuis les années nonante, de nouvelles
liens avec la clientèle – Internet et radio-
phonie mobile – ont pris une importance
grandissante. Ces technologies offrent de
vastes possibilités intrinsèques de saisir
le comportement des clients. Sur Internet,
par exemple, chaque consultation dun site
peut être notée. La méthode la plus simple
consiste à installer un fichier journal et à
le dépouiller. Lanalyse systématique d’In-
ternet permet de saisir le comportement
dun client sur le site de lentreprise, donc
même à côté d’un achat proprement dit.
Il en résulte rapidement de gros volumes
de données, qui doivent être compactés et
enrichis pour permettre le dépouillement.
Leur traitement nécessite des outils dana-
lyse spéciaux.
Lexamen des transactions des usagers
peut livrer des renseignements précieux
sur le sucs et les faiblesses du site Internet
dune entreprise. Si lon parvient encore à
lier ces données à des personnes concrètes,
elles pourront être exploitées au sens dune
CRM complète. Il devient alors possible
dassocier ces informations à celles prove-
nant dautres canaux et dobtenir ainsi une
vue générale de la clientèle.
Les renseignements concernant les usa-
gers d’un site Internet et leur comportement
peuvent être mis immédiatement en pra-
tique pour répondre à leurs besoins suppo-
sés et pour influencer leur comportement
afin qu’il réponde aux attentes du marke-
ting. Ici, la technologie clé est la personna-
lisation, laquelle résulte dun aménagement
dynamique des pages Internet en fonction
de tel ou tel usager. Par analogie avec les ins-
truments du «data mining», on peut analy-
ser le comportement de tous les clients et en
déduire automatiquement une CRM appro-
priée. Le filtrage collaboratif («collaborative
filtering») est, par exemple, une technique
qui s’est fait connaître par des sites Internet
populaires comme Amazon. En analysant le
comportement de tous les usagers ou dun
certain groupe d’usagers, on peut tirer des
conclusions concernant celui dun individu
concret. On recourt à ce système pour four-
nir une recommandation dachat à un client
dans une situation donnée. Si un usager
s’intéresse par exemple à un objet particu-
lier, le système lui signale immédiatement
dautres produits choisis par dautres clients
qui s’intéresseraient au produit initial. On
admet implicitement que le client a des inté-
rêts identiques et pourrait donc lui aussi
acheter les produits propos.
Regarder au-delà du seul
site Internet de l’entreprise
Un fournisseur na normalement pas
connaissance du comportement des usa-
gers hors de son propre site Internet. Or, le
potentiel du marketing fondé sur des don-
nées augmente dès que lon est en mesure
non seulement danalyser le comporte-
ment de sa propre clientèle, mais encore
de disposer dinformations plus générales
concernant celui des acheteurs sur la Toile.
Il existe ici quelques possibilités, en particu-
lier en recourant aux données relevées par
les intermédiaires. Le point de départ est
avant tout que le modèle daffaires de nom-
breuses entreprises virtuelles se fonde sur
la diffusion de publicité et que celle-ci est
liée intrinsèquement à la saisie du compor-
tement de la clientèle et à létablissement de
profils clients.
Internet a permis lapparition de toute
une série de fournisseurs de sites forte-
ment fréquentés, qui jouent le rôle de por-
tails et dont le modèle daffaires repose
essentiellement sur la création et lexploi-
tation de données clients. Ces dernières
peuvent être exploitées à des fins propres,
mais peuvent aussi être rendues accessibles
à dautres personnes intéressées. On citera
en priorité les fournisseurs de moteurs de
recherche, tels Google, qui enregistrent
la majorité des requêtes et connaissent
Encadré 1
Appareils mobiles et localisation
Les appareils mobiles permettent
une forme importante de personnalisa-
tion, à savoir l’évaluation du contexte
dans lequel évolue un utilisateur. La
localisation et la datation d’une ques-
tion peuvent en effet servir à piloter
les informations transmises. Ainsi, il
est techniquement possible de signaler
à un utilisateur les offres des com-
merces sits dans sa proximité immé-
diate. Lapplication de telles
technologies a pour résultat qu’il faut
encore relever et analyser les géodon-
nées.
Thème du mois
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ainsi les intérêts des usagers. Les réseaux
sociaux comme Facebook jouent égale-
ment un rôle important de stockage des
données concernant les diverses activi-
tés de leurs usagers. À première vue, le
recours aux services de ces réseaux est
gratuit. Les usagers doivent cependant être
conscients qu’ils les paient avec leurs don-
nées, lesquelles sont relevées et dépouillées
par les réseaux.
Les réseaux sociaux font
connaître les opinions personnelles
Il existe dautres possibilités de recueil-
lir des données sur le comportement de
la clientèle en dépouillant les données
publiques disponibles sur Internet. Lutili-
sation intensive de la Toile a, en effet, créé
une sorte de forum virtuel. Les réseaux
sociaux incitent en particulier beaucoup de
gens à livrer des renseignements sur eux-
mêmes ainsi qu’à publier leurs opinions et
positions sur une foule de questions. Cela
s’effectue par les blogs, les contributions
aux communautés virtuelles, les commen-
taires ajoutés sur diverses pages Internet
ou les interventions sur les plateformes des
médias et des réseaux sociaux. Les entre-
prises s’intéressent avant tout aux avis qui
les concernent directement, elles et leurs
produits.
Dans le marketing classique, il est
reconnu que la transmission personnelle à
lentourage joue un rôle important (bouche
à oreille) pour la notoriété des produits,
car les gens attribuent en général une cré-
dibilité particulière à leurs connaissances.
Toutefois, comme lexpression de c es avis
est par essence privée et personnelle, cette
forme de communication échappe à lin-
fluence directe du marketing. Dans les cas
concrets, on ne peut qu’émettre des sup-
positions quant au genre et à lampleur du
bouche-à-oreille.
Sur les réseaux sociaux, le bouche-à-
oreille se transforme en clics numériques
de souris («word of mouse»): la transmis-
sion davis personnels à des gens plus ou
moins connus ne s’effectue plus sur une
base privée, mais sur des plateformes tech-
niques et à laide doutils de rédaction sym-
bolisés par la souris dordinateur. Du même
coup, les informations autrefois privées
deviennent publiques, ce qui a de multiples
conséquences. Sur Internet, l’expression
dopinions exerce un levier potentiellement
beaucoup plus fort que ne le ferait une
transmission de personne à personne.
Dans certaines circonstances, les informa-
tions se répandent comme une traînée de
poudre et atteignent ainsi rapidement un
vaste public. Le revers de la médaille est
que les avis exprimés sur Internet peuvent
être enregists et dépouillés beaucoup
plus facilement.
Pour autant quelles aient un rapport
avec lentreprise, ses affaires et ses pro-
duits, observer et dépouiller systémati-
quement toutes les informations publiées
sur Internet constitue un nouveau champ
daction pour la gestion des informations.
Les données doivent être dépouiles, puis
se traduire éventuellement par des mesures
concrètes de communication ou de marke-
ting. Comme difficultés particulières, on
signalera le grand nombre de publications
potentiellement pertinentes, la forte diver-
sité et hétérogénéité des sources, enfin la
variété des langues utilisées.
Un terrain miné: le marketing «viral»
Il est naturellement dans lintérêt dune
entreprise de susciter des déclarations
positives et den favoriser la diffusion. Une
mesure simple consiste à permettre aux
clients de livrer leurs commentaires sur le
site Internet de la société. Un système plus
coûteux est détablir une communauté
dédiée en ligne, dans laquelle les intéressés
peuvent discuter de lentreprise et de ses
produits. Le marketing «viral» recourt à la
propagation dopinions par Internet. Les
accroches consistent surtout en mesures
publicitaires originales, qui attirent une
large attention grâce aux indications et
aux recommandations émises sur Inter-
net, et qui rehaussent la pertinence dune
telle action en créant des liens retours, par
exemple sur les moteurs de recherche.
Pour les entreprises, la propagation des
opinions des usagers n’a cependant pas que
des effets positifs. Les avis négatifs se
répandent en effet à la même vitesse, mais
peuvent connaître une diffusion infiniment
plus vaste. Les mauvaises expériences per-
sonnelles se propagent relativement vite
auprès du grand public et sont amplifiées
par les différents médias, ce qui peut débou-
cher sur des campagnes violentes et large-
ment soutenues contre une entreprise. De
tels «déferlements de chienlit» («shitstorms»)
se sont déjà produits à maintes reprises et
ont entraîné des dégâts dimage sérieux
pour les entreprises concernées. Ces der-
nières doivent s’armer contre de tels événe-
ments et concevoir à cet effet des stratégies
de communication appropriées.
1 À ce propos, on dit souvent des entreprises
actuelles qu’elles sont riches en dones, mais
pauvres en informations («data rich but information
poor»).
Encadré 2
Le réseau de comtence
Information numérique
À l’université de Berne, le réseau
interdisciplinaire de compétence Infor-
mation numérique étudie les problèmes
qui résultent de la généralisation de la
numérisation dans la société. Ce fai-
sant, il examine entre autres comment
maîtriser intelligemment la masse
actuelle des dones. Dans la pers-
pective de la future société du savoir,
il convient d’extraire des dones
massives les informations qui aideront
les individus et la société à élargir
leurs connaissances. Nous invitons les
personnes travaillant dans l’économie,
l’administration et la recherche, et qui
s’inressent au sujet, à se mettre en
rapport avec le professeur Edy Port-
mann (edy.portmann@iwi.unibe.ch).
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