MADEC, OHL et TRIBOU corrigé - Faculté des Sciences du Sport

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Aménagement du lieu de vente : expertise des
professionnels du marketing du sport et connaissance du
comportement du consommateur
Store design and layout : sport marketing professionals’
expertise and knowledge on consumer behaviour
I. Calvar-Madec, F. Ohl et G. Tribou
I. Calvar-Madec est consultante en marketing stratégique et maître de conférences associé à la
Faculté des Sciences du sport de l’Université de Strasbourg (BP 80010, F-67084, Strasbourg
cedex). Elle est membre de l’équipe d’accueil en Sciences sociales du sport. Courriel :
G. Tribou est professeur de marketing du sport au sein de la même Faculté et de la même
équipe de recherche. Courriel : [email protected]
F. Ohl est professeur de sociologie du sport à la Faculté des Sciences sociales et politique de
l’Université de Lausanne (bâtiment Anthropole, CH-1015, Lausanne) et il est membre du
groupe de recherche en Sciences du sport (GRISSUL). Courriel : [email protected]
Résumé
Cet article traite de la façon dont les professionnels du marketing des articles de sport
procèdent pour optimiser l’influence du lieu de vente sur les comportements d’achat. Leurs
expertises reposent sur une combinaison de données et d’expériences qui peut être rapprochée
des démarches sociologiques. Leurs analyses des situations d’achat nous permettent de
comprendre comment ils peuvent agir sur les comportements à travers les points de vente, en
tentant de guider la perception des produits par le consommateur. Elles nous aident plus
globalement à mieux appréhender les décisions des consommateurs.
Mots-clés : sport, distribution, magasin, marketing, sociologie.
Abstract
This paper focuses on how marketers of sporting goods proceed to optimize the influence of
the store on purchasing behaviour. Their expertise is based on a combination of data and
experiences that parallels the sociological methods. Their analysis of purchasing situations
aloud to understand how they can influence behaviours through retailing places, while trying
to guide consumers’ perception of the products. More broadly, they contribute to a better
understanding of consumer’s decisions.
Keywords: sports, retail, store, marketing, sociology.
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Aménagement du lieu de vente : expertise des
professionnels du marketing du sport et connaissance du
comportement du consommateur
I. Calvar-Madec, F. Ohl et G. Tribou
Une grande diversité de modèles est mobilisée pour tenter d’appréhender le
comportement du consommateur et la densité de littérature sur les déterminismes
économiques, sociologiques et psychologiques suggère l’existence de multiples processus
d’influence ainsi que la nécessité de prendre en compte plusieurs niveaux d’analyse. Les
revenus (Engel, 1857), les dimensions symboliques (Veblen, 1899) et la culture (Halwachs,
1913) ont très tôt constitué des indicateurs pertinents pour comprendre la consommation. Ces
travaux pionniers ont notamment été prolongés par des analyses de l’influence des goûts et
des styles de vie (Bourdieu, 1979 ; Valette-Florence, 1989). Si la plupart de ces recherches
permettent de comprendre les grandes tendances de la consommation, elles peinent cependant
à expliquer les processus de décision en situation et donc les comportements d’achat. La
somme des conduites observées permet certes d’identifier des styles de vie mais cela suffit
rarement à saisir les comportements en magasins. De plus et alors que les premières analyses
suggéraient une homogénéité catégorielle, des travaux récents montrent que les cultures des
individus présentent de nombreuses dissonances (Lahire, 2004 ; Peterson et Kern, 1996).
La compréhension des décisions d’achat a donc plutôt puisé dans des modèles
intégratifs tentant de prendre en compte l’individu en situation et tout son environnement
d’achat. Ces modèles se sont largement inspirés de la psychologie cognitive et sociale pour
saisir l’influence de facteurs individuels et situationnels sur la perception, l’attention, la
mémoire et les apprentissages (Engel, Kollat et Blackwell, 1968) ou pour comprendre plus
largement les attitudes à l’égard des marques et des produits (Howard et Sheth, 1969). De
nombreuses recherches ont enrichi ces travaux initiaux (notamment Volle, 2000 ; Guichard et
Vanheems, 2004) et il semble aujourd’hui établi que le point de vente exerce une influence
importante sur le comportement du consommateur. En effet, la plupart des études montrent
que plus de la moitié des décisions d’achat d’articles de sport se fait en magasins
1
. Par
conséquent, il est indispensable de s’intéresser aux effets de la commercialité des produits, à
leur mise en scène par les merchandisers, packagers, designers et autres aménageurs sur les
décisions d’achat des consommateurs (Falk et Campbell, 1997 ; Barre et alii, 2000 ; Cochois,
2002 ; Underhill, 2000).
Nous ne proposons pas de prolonger directement ces analyses mais de comprendre ce
que font, de façon très pragmatique, les responsables marketing des marques de sport pour
intégrer les effets du lieu de vente sur les comportements d’achat. Nous avons interviewé onze
responsables du marketing et/ou des ventes d’équipementiers et avons constaté une expertise
qui rejoint, sans pour autant conduire à des modélisations, la façon dont certains sociologues
observent les acteurs sociaux confrontés à l’expertise d’objets. Avant de traiter la manière
dont les professionnels du marketing analysent les comportements des consommateurs en
magasins, il est indispensable de préciser les dimensions constitutives de ces lieux de vente.
1. La dramaturgie des magasins d’articles de sport
1
L’étude POPAI Dupont Drugstore Shopper Study, citée par Vandercammen (2006, p. 148), indique que 69%
des achats d’articles de sport sont décidés en magasin ; une autre étude réalisée par la société Côté-Client, en
2008, révèle une proportion de 50%.
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Les conséquences de la transformation des lieux de vente vont bien au-delà de la
question de la relation marchande. En effet, si nous faisons référence aux premiers grands
magasins du XIXe siècle, nous pouvons relever que les effets ne se sont pas limités à libérer
la clientèle des pesanteurs et des obligations de l’interaction du petit commerce, mais qu’ils
ont affecté tout un mode de vie et notamment celui des femmes (Chaney, 1996).
Actuellement, une partie des changements passe par un bouleversement dans la conception du
lieu de vente. En mettant en place une dramaturgie spécifique, notamment par des décors
suggestifs, les nouveaux magasins accroissent l’importance sociale de l’acte d’achat et vont
jusqu’à changer parfois la signification des biens achetés. Les qualités du magasin (liées à son
lieu d’implantation, à ses vitrines, à une ambiance marquée par un décor intérieur, une
utilisation de matériaux plus ou moins nobles, des choix d’éclairages, des comportements du
personnel, etc.) modifient la perception des qualités intrinsèques des objets (autour d’une
apparence liée à la matière, à la couleur, à la forme, à la taille, etc.) qui eux-mêmes participent
également à une dimension scénique du magasin, parfois valorisante pour le consommateur
lui-même et le plus souvent rassurante sur son acte d’achat.
Le magasin est devenu progressivement le lieu d’un « enchantement » du
consommateur (Badot et Dupuis, 2001) qui offre une ambiance d’achat, sorte d’écrin
apportant un supplément de valeur aux objets. L’enchantement peut prendre des formes très
diverses et parfois contradictoires. Ainsi, la mise en scène peut conférer le sentiment de
réaliser de bonnes affaires comme c’est le cas dans la distribution de type discount (Levy et
Weitz, 2004). Les codes sont différents de ceux de produits positionnés en haut de gammes
mais la dimension symbolique du lieu de vente y demeure tout aussi essentielle. Cependant,
soucieuses de leur image, les marques sportives recherchent généralement une distribution qui
leur permette de jouer sur le registre de la valorisation du produit. Elles visent à associer à
leurs articles des histoires de héros sportifs, symboles d’excellence corporelle et de réussite
sociale, qui seront autant de références pour les consommateurs. D’où la stratégie de proposer
leurs propres lieux de vente « enchantés » qui deviennent eux-mêmes des objets de
consommation. Ainsi, les concept stores et autres flagship stores, comme ceux développés par
les marques Nike (Nike Town) ou Adidas (Adidas Megastore), ont été créés afin de donner
davantage de valeur à la marque et à ses produits l’instar d’œuvres d’art exposées dans des
musées) mais aussi au visiteur qui vient vivre une expérience sociale puis la partager avec
d’autres sous forme de récits (Gerval et Kremer, 2009). La dramaturgie des magasins
conceptualisés va ainsi du design de la façade extérieure (dans l’environnement prestigieux
des Champs Elysées pour les magasins évoqués supra) à celui de l’agencement intérieur
(coloris, matériaux, hauteur et formes des gondoles, disposition des allées), en passant par le
merchandising des produits, l’animation commerciale à partir d’écrans numériques et
d’affiches de célébrités sportives en référence à des événements fortement médiatisés. Tout
concourt à valoriser les produits et les consommateurs qui les achètent. Penazola (1998) a
montré comment l’équipementier Nike avait repoussé les limites du concept de magasin en
procurant du rêve au consommateur (on peut encore lire au fronton du magasin de Chicago :
« A tous les athlètes et à leurs rêves nous dédions Nike Town »). Le magasin semble ainsi
répondre à des attentes d’évasion du quotidien ressenties plus qu’exprimées par les
consommateurs (Gottdiener, 1995). Par exemple, les magasins Giacomelli Sport sont réputés
mettre en scène le sport avec un souci d’esthétique achevé : on y trouve des rings de boxe
les clients peuvent s’initier ou encore des rampes de skate board les adolescents font le
spectacle. Le consommateur est attiré par l’ambiance sportive et, porté émotionnellement, il
prend plaisir à déambuler (on parle alors de fun shopping ou de retailtainment) dans ce qui
s’apparente davantage à un lieu de vie (life style center) qu’à un point de vente puis, si le
merchandising est séduisant, il pourra céder à quelques achats d’impulsion.
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1.1. L’achat d’articles de sport vécu comme une expérience
Les caractéristiques du lieu de vente sont déterminantes des expériences des
consommateurs en situation d’achat et il apparaît assez nettement que l’achat d’articles de
sport, dont les tonalités symboliques sont souvent marquées (Ohl, 2003 ; Ohl et Tribou,
2004), ne peut pas se comprendre en se basant uniquement sur des modèles de l’utilité qui
feraient du processus d’achat un acte seulement rationnel. Sans exclure des processus de
rationalisation, il semble nécessaire de s’intéresser à l’achat comme expérience en prenant en
compte les perceptions, les émotions et les passions.
Partant de l’idée que « la consommation peut être une réponse à un besoin purement
fonctionnel, mais (qu’) elle peut également être caractérisée à partir de l’expérience
comportementale, intellectuelle ou émotionnelle qu’elle procure » (Ladwein, 2003), les
recherches se sont portées sur l’expérience de consommation. Holbrook et Hirschman (1982)
ont posé les bases d’un modèle expérientiel révélant un comportement davantage sensoriel et
corporel que cognitif (Carù et Cova, 2006). Ils montrent de quelle façon les sens du
consommateur sont mobilisés sur le lieu d’achat : le regard sur les linéaires mettant en avant
les produits, le toucher des articles que le consommateur se plaît à manipuler (se saisir d’un
équipement sportif ou d’un vêtement contribue à ce que le client se sente davantage engagé
vis-à-vis de l’objet)
2
, l’écoute des ambiances sonores (Holbrook et Gardner, 1993), l’odorat
lorsqu’est mise en place une ambiance olfactive (Hetzel, 2002 ; Rieunier, 2009). Car le
« consommateur postmoderne (…) est inconstant, volatile, il achète noir le matin et blanc
l'après-midi, empêchant tout repérage stable de son comportement » (Cova, 2000). Il est vrai
que l’abondance de biens ne facilite pas l’identification de besoins clairement définis a
priori ; le marketing doit donc tenter de guider un acte d’achat fortement indécis.
1.2. Les effets du magasin sur les décisions d’achat
Dans leur analyse du shopping, Kaltcheva et Weitz (2006) ont montré que les effets de
l’offre sont largement dépendants des motivations des consommateurs, de leurs états
émotionnels et de leurs formes d’engagement dans le magasinage. En conséquence, un même
aménagement peut être perçu très différemment selon qu’il s’agit d’un achat plaisir ou d’un
achat corvée plus ou moins contraint. Mais il est difficile, pour une marque ou un distributeur,
d’identifier les états motivationnels et émotionnels, et de les infléchir : on ne transforme pas
un achat utilitaire en un achat plaisir par quelques artifices de merchandising. Néanmoins, les
offreurs vont essayer de tirer profit de ces attitudes en adaptant au mieux le cadre matériel et
humain du magasin pour optimiser les ventes (Miller, 1998). Guichard et Vanheems (2004)
ont listé les facteurs d’influence du parcours de magasinage du consommateur. Ils ont tout
d’abord mis en évidence l’impact de facteurs relevant d’un macro merchandising et liés à
l’agencement du point de vente comme la localisation des rayons dans le cadre d’un itinéraire
d’achat ou la configuration des allées et des têtes de gondole ; et de facteurs de micro
merchandising autour du facing des articles en linéaires qui retient plus ou moins l’attention,
de l’éclairage à intensité variable, de couleurs plus ou moins chaudes, attractives ou
rassurantes, d’une musique d’ambiance plus ou moins rythmée et ciblée, etc. Ainsi Rieunier et
Daucé (2002) relèvent que l’absence de musique réduit le temps passé en magasin, que le
tempo rythme les achats et que le style musical est un moyen efficace de ciblage et de
positionnement d’enseigne. Les rapports entre vendeurs et clients sont également des
éléments essentiels dans la distribution (Gremler et Gwinner, 2008 ; Ewing, Pinto et Soutar,
2
Par exemple, l’enseigne Citadium dissimule l’étiquette de prix dans les chaussures afin d’inciter le
consommateur à les prendre en mains.
5
2001). Ainsi Ohl et Tribou (2004) ont repéré, dans le domaine de la distribution sportive, des
facteurs liés aux interactions de vente, répondant à un besoin de sociabilité et de
reconnaissance sociale. Ils soulignent l’influence de l’environnement humain du magasin (les
vendeurs et les autres clients), sur le mode de ce qui a été observé dans le prêt-à-porter de luxe
(Péretz, 1992). Le contexte peut ainsi casser une routine d’achat ou une intention d’achat, ou
en susciter d’autres, en envoyant un signal fort au consommateur : par exemple, une offre
promotionnelle ou une PLV (publicité sur le lieu de vente) agressive va procurer une
satisfaction immédiate (par la mise en avant d’un produit moins cher pour l’une, d’un
bénéfice symbolique supérieur pour l’autre) qui va effacer l’effet de la persuasion exercée en
amont. Cependant, il convient d’être prudent quant à la prise en compte des résultats des
études sur l’influence des aménagements d’offre et leur généralisation. En effet, ont été
relevées des influences contradictoires selon les états motivationnels et émotionnels des
consommateurs, variables selon les groupes et dans le temps (Kaltcheva et Weitz, 2006). Par
conséquent, les professionnels du marketing se trouvent contraints à adapter l’aménagement
en continu aux conditions de réactivité des consommateurs en fonction des motivations
dominantes du moment, afin de pouvoir maintenir une prise sur eux. C’est cette démarche
managériale que nous proposons d’analyser.
2. Comprendre l’influence du point de vente : le recours aux
professionnels du marketing
La totalité des paramètres d’influence de l’acte d’achat ne peut pas être prise en
compte et chaque modélisation va pointer certains facteurs économiques, sociologiques ou
psychologiques particuliers. Les modèles vont également privilégier un niveau d’analyse : un
niveau macro quand il s’agit d’observation de grands agrégats de consommation, micro
lorsqu’on s’intéresse aux situations d’achat. Or le croisement des niveaux d’analyse n’est pas
sans poser problème (Desjeux, 1998). Ainsi, partir de l’observation de la manière dont les
professionnels des marques (nourris d’études de marché globales) ajustent l’organisation du
magasin pour améliorer les ventes (avec pragmatisme local) permet de contourner cette
difficulté de modélisation. Il ne s’agit donc pas de partir de l’observation ethnographique
directe du consommateur, souvent très difficile, mais de conduire une analyse de l’influence
des professionnels du marketing sur les interactions entre situations et comportements à
travers leurs choix de mise en scène des produits en magasins.
Nous avons eu recours à deux sources principales de données. D’une part, nous avons
procédé à des interviews de hauts responsables marketing/vente de marques d’articles de sport
qui nous ont informés sur les façons de modifier les linéaires pour optimiser les ventes
(encadré 1). D’autre part, nous avons eu accès aux données de vente dans les rayons des
magasins selon leurs modes d’organisation et les différents ajustements qui ont pu y être
réalisés. Il s’agit de données quasi expérimentales (en tout cas très pragmatiques) qui sont
regroupées sous le label des études shopper.
Nous n’avons donc pas posé un modèle de comportement du consommateur à valider. Les
modèles classiques inspirés d’Engel, Kollat et Blackwell (1968) ou encore d’Howard et Sheth
(1969), multiplient les variables qu’il faudrait prendre en compte pour comprendre le
consommateur. S’ils ont des valeurs heuristiques indéniables, la trop grande diversité des
paramètres impose de limiter une démarche scientifique à l’observation d’un des facteurs
d’influence (e.g., la mémoire, l’attention ou la motivation). Or la limite managériale de ces
modélisations est que les connaissances qu’elles apportent n’aident pas beaucoup à
comprendre ce que font réellement les clients en situation d’achat. C’est pourquoi nous avons
choisi d’utiliser une démarche inspirée de la « théorie ancrée » (Grouded Theory ; Glaser et
Strauss, 1967) qui propose de partir des observations. Notre questionnement est proche de
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