MADEC, OHL et TRIBOU corrigé - Faculté des Sciences du Sport

publicité
Aménagement du lieu de vente : expertise des
professionnels du marketing du sport et connaissance du
comportement du consommateur
Store design and layout : sport marketing professionals’
expertise and knowledge on consumer behaviour
I. Calvar-Madec, F. Ohl et G. Tribou
I. Calvar-Madec est consultante en marketing stratégique et maître de conférences associé à la
Faculté des Sciences du sport de l’Université de Strasbourg (BP 80010, F-67084, Strasbourg
cedex). Elle est membre de l’équipe d’accueil en Sciences sociales du sport. Courriel :
[email protected]
G. Tribou est professeur de marketing du sport au sein de la même Faculté et de la même
équipe de recherche. Courriel : [email protected]
F. Ohl est professeur de sociologie du sport à la Faculté des Sciences sociales et politique de
l’Université de Lausanne (bâtiment Anthropole, CH-1015, Lausanne) et il est membre du
groupe de recherche en Sciences du sport (GRISSUL). Courriel : [email protected]
Résumé
Cet article traite de la façon dont les professionnels du marketing des articles de sport
procèdent pour optimiser l’influence du lieu de vente sur les comportements d’achat. Leurs
expertises reposent sur une combinaison de données et d’expériences qui peut être rapprochée
des démarches sociologiques. Leurs analyses des situations d’achat nous permettent de
comprendre comment ils peuvent agir sur les comportements à travers les points de vente, en
tentant de guider la perception des produits par le consommateur. Elles nous aident plus
globalement à mieux appréhender les décisions des consommateurs.
Mots-clés : sport, distribution, magasin, marketing, sociologie.
Abstract
This paper focuses on how marketers of sporting goods proceed to optimize the influence of
the store on purchasing behaviour. Their expertise is based on a combination of data and
experiences that parallels the sociological methods. Their analysis of purchasing situations
aloud to understand how they can influence behaviours through retailing places, while trying
to guide consumers’ perception of the products. More broadly, they contribute to a better
understanding of consumer’s decisions.
Keywords: sports, retail, store, marketing, sociology.
1
Aménagement du lieu de vente : expertise des
professionnels du marketing du sport et connaissance du
comportement du consommateur
I. Calvar-Madec, F. Ohl et G. Tribou
Une grande diversité de modèles est mobilisée pour tenter d’appréhender le
comportement du consommateur et la densité de littérature sur les déterminismes
économiques, sociologiques et psychologiques suggère l’existence de multiples processus
d’influence ainsi que la nécessité de prendre en compte plusieurs niveaux d’analyse. Les
revenus (Engel, 1857), les dimensions symboliques (Veblen, 1899) et la culture (Halwachs,
1913) ont très tôt constitué des indicateurs pertinents pour comprendre la consommation. Ces
travaux pionniers ont notamment été prolongés par des analyses de l’influence des goûts et
des styles de vie (Bourdieu, 1979 ; Valette-Florence, 1989). Si la plupart de ces recherches
permettent de comprendre les grandes tendances de la consommation, elles peinent cependant
à expliquer les processus de décision en situation et donc les comportements d’achat. La
somme des conduites observées permet certes d’identifier des styles de vie mais cela suffit
rarement à saisir les comportements en magasins. De plus et alors que les premières analyses
suggéraient une homogénéité catégorielle, des travaux récents montrent que les cultures des
individus présentent de nombreuses dissonances (Lahire, 2004 ; Peterson et Kern, 1996).
La compréhension des décisions d’achat a donc plutôt puisé dans des modèles
intégratifs tentant de prendre en compte l’individu en situation et tout son environnement
d’achat. Ces modèles se sont largement inspirés de la psychologie cognitive et sociale pour
saisir l’influence de facteurs individuels et situationnels sur la perception, l’attention, la
mémoire et les apprentissages (Engel, Kollat et Blackwell, 1968) ou pour comprendre plus
largement les attitudes à l’égard des marques et des produits (Howard et Sheth, 1969). De
nombreuses recherches ont enrichi ces travaux initiaux (notamment Volle, 2000 ; Guichard et
Vanheems, 2004) et il semble aujourd’hui établi que le point de vente exerce une influence
importante sur le comportement du consommateur. En effet, la plupart des études montrent
que plus de la moitié des décisions d’achat d’articles de sport se fait en magasins1. Par
conséquent, il est indispensable de s’intéresser aux effets de la commercialité des produits, à
leur mise en scène par les merchandisers, packagers, designers et autres aménageurs sur les
décisions d’achat des consommateurs (Falk et Campbell, 1997 ; Barre et alii, 2000 ; Cochois,
2002 ; Underhill, 2000).
Nous ne proposons pas de prolonger directement ces analyses mais de comprendre ce
que font, de façon très pragmatique, les responsables marketing des marques de sport pour
intégrer les effets du lieu de vente sur les comportements d’achat. Nous avons interviewé onze
responsables du marketing et/ou des ventes d’équipementiers et avons constaté une expertise
qui rejoint, sans pour autant conduire à des modélisations, la façon dont certains sociologues
observent les acteurs sociaux confrontés à l’expertise d’objets. Avant de traiter la manière
dont les professionnels du marketing analysent les comportements des consommateurs en
magasins, il est indispensable de préciser les dimensions constitutives de ces lieux de vente.
1. La dramaturgie des magasins d’articles de sport
1
L’étude POPAI Dupont Drugstore Shopper Study, citée par Vandercammen (2006, p. 148), indique que 69%
des achats d’articles de sport sont décidés en magasin ; une autre étude réalisée par la société Côté-Client, en
2008, révèle une proportion de 50%.
2
Les conséquences de la transformation des lieux de vente vont bien au-delà de la
question de la relation marchande. En effet, si nous faisons référence aux premiers grands
magasins du XIXe siècle, nous pouvons relever que les effets ne se sont pas limités à libérer
la clientèle des pesanteurs et des obligations de l’interaction du petit commerce, mais qu’ils
ont affecté tout un mode de vie et notamment celui des femmes (Chaney, 1996).
Actuellement, une partie des changements passe par un bouleversement dans la conception du
lieu de vente. En mettant en place une dramaturgie spécifique, notamment par des décors
suggestifs, les nouveaux magasins accroissent l’importance sociale de l’acte d’achat et vont
jusqu’à changer parfois la signification des biens achetés. Les qualités du magasin (liées à son
lieu d’implantation, à ses vitrines, à une ambiance marquée par un décor intérieur, une
utilisation de matériaux plus ou moins nobles, des choix d’éclairages, des comportements du
personnel, etc.) modifient la perception des qualités intrinsèques des objets (autour d’une
apparence liée à la matière, à la couleur, à la forme, à la taille, etc.) qui eux-mêmes participent
également à une dimension scénique du magasin, parfois valorisante pour le consommateur
lui-même et le plus souvent rassurante sur son acte d’achat.
Le magasin est devenu progressivement le lieu d’un « enchantement » du
consommateur (Badot et Dupuis, 2001) qui offre une ambiance d’achat, sorte d’écrin
apportant un supplément de valeur aux objets. L’enchantement peut prendre des formes très
diverses et parfois contradictoires. Ainsi, la mise en scène peut conférer le sentiment de
réaliser de bonnes affaires comme c’est le cas dans la distribution de type discount (Levy et
Weitz, 2004). Les codes sont différents de ceux de produits positionnés en haut de gammes
mais la dimension symbolique du lieu de vente y demeure tout aussi essentielle. Cependant,
soucieuses de leur image, les marques sportives recherchent généralement une distribution qui
leur permette de jouer sur le registre de la valorisation du produit. Elles visent à associer à
leurs articles des histoires de héros sportifs, symboles d’excellence corporelle et de réussite
sociale, qui seront autant de références pour les consommateurs. D’où la stratégie de proposer
leurs propres lieux de vente « enchantés » qui deviennent eux-mêmes des objets de
consommation. Ainsi, les concept stores et autres flagship stores, comme ceux développés par
les marques Nike (Nike Town) ou Adidas (Adidas Megastore), ont été créés afin de donner
davantage de valeur à la marque et à ses produits (à l’instar d’œuvres d’art exposées dans des
musées) mais aussi au visiteur qui vient vivre une expérience sociale puis la partager avec
d’autres sous forme de récits (Gerval et Kremer, 2009). La dramaturgie des magasins
conceptualisés va ainsi du design de la façade extérieure (dans l’environnement prestigieux
des Champs Elysées pour les magasins évoqués supra) à celui de l’agencement intérieur
(coloris, matériaux, hauteur et formes des gondoles, disposition des allées), en passant par le
merchandising des produits, l’animation commerciale à partir d’écrans numériques et
d’affiches de célébrités sportives en référence à des événements fortement médiatisés. Tout
concourt à valoriser les produits et les consommateurs qui les achètent. Penazola (1998) a
montré comment l’équipementier Nike avait repoussé les limites du concept de magasin en
procurant du rêve au consommateur (on peut encore lire au fronton du magasin de Chicago :
« A tous les athlètes et à leurs rêves – nous dédions Nike Town »). Le magasin semble ainsi
répondre à des attentes d’évasion du quotidien ressenties plus qu’exprimées par les
consommateurs (Gottdiener, 1995). Par exemple, les magasins Giacomelli Sport sont réputés
mettre en scène le sport avec un souci d’esthétique achevé : on y trouve des rings de boxe où
les clients peuvent s’initier ou encore des rampes de skate board où les adolescents font le
spectacle. Le consommateur est attiré par l’ambiance sportive et, porté émotionnellement, il
prend plaisir à déambuler (on parle alors de fun shopping ou de retailtainment) dans ce qui
s’apparente davantage à un lieu de vie (life style center) qu’à un point de vente puis, si le
merchandising est séduisant, il pourra céder à quelques achats d’impulsion.
3
1.1. L’achat d’articles de sport vécu comme une expérience
Les caractéristiques du lieu de vente sont déterminantes des expériences des
consommateurs en situation d’achat et il apparaît assez nettement que l’achat d’articles de
sport, dont les tonalités symboliques sont souvent marquées (Ohl, 2003 ; Ohl et Tribou,
2004), ne peut pas se comprendre en se basant uniquement sur des modèles de l’utilité qui
feraient du processus d’achat un acte seulement rationnel. Sans exclure des processus de
rationalisation, il semble nécessaire de s’intéresser à l’achat comme expérience en prenant en
compte les perceptions, les émotions et les passions.
Partant de l’idée que « la consommation peut être une réponse à un besoin purement
fonctionnel, mais (qu’) elle peut également être caractérisée à partir de l’expérience
comportementale, intellectuelle ou émotionnelle qu’elle procure » (Ladwein, 2003), les
recherches se sont portées sur l’expérience de consommation. Holbrook et Hirschman (1982)
ont posé les bases d’un modèle expérientiel révélant un comportement davantage sensoriel et
corporel que cognitif (Carù et Cova, 2006). Ils montrent de quelle façon les sens du
consommateur sont mobilisés sur le lieu d’achat : le regard sur les linéaires mettant en avant
les produits, le toucher des articles que le consommateur se plaît à manipuler (se saisir d’un
équipement sportif ou d’un vêtement contribue à ce que le client se sente davantage engagé
vis-à-vis de l’objet)2, l’écoute des ambiances sonores (Holbrook et Gardner, 1993), l’odorat
lorsqu’est mise en place une ambiance olfactive (Hetzel, 2002 ; Rieunier, 2009). Car le
« consommateur postmoderne (…) est inconstant, volatile, il achète noir le matin et blanc
l'après-midi, empêchant tout repérage stable de son comportement » (Cova, 2000). Il est vrai
que l’abondance de biens ne facilite pas l’identification de besoins clairement définis a
priori ; le marketing doit donc tenter de guider un acte d’achat fortement indécis.
1.2. Les effets du magasin sur les décisions d’achat
Dans leur analyse du shopping, Kaltcheva et Weitz (2006) ont montré que les effets de
l’offre sont largement dépendants des motivations des consommateurs, de leurs états
émotionnels et de leurs formes d’engagement dans le magasinage. En conséquence, un même
aménagement peut être perçu très différemment selon qu’il s’agit d’un achat plaisir ou d’un
achat corvée plus ou moins contraint. Mais il est difficile, pour une marque ou un distributeur,
d’identifier les états motivationnels et émotionnels, et de les infléchir : on ne transforme pas
un achat utilitaire en un achat plaisir par quelques artifices de merchandising. Néanmoins, les
offreurs vont essayer de tirer profit de ces attitudes en adaptant au mieux le cadre matériel et
humain du magasin pour optimiser les ventes (Miller, 1998). Guichard et Vanheems (2004)
ont listé les facteurs d’influence du parcours de magasinage du consommateur. Ils ont tout
d’abord mis en évidence l’impact de facteurs relevant d’un macro merchandising et liés à
l’agencement du point de vente comme la localisation des rayons dans le cadre d’un itinéraire
d’achat ou la configuration des allées et des têtes de gondole ; et de facteurs de micro
merchandising autour du facing des articles en linéaires qui retient plus ou moins l’attention,
de l’éclairage à intensité variable, de couleurs plus ou moins chaudes, attractives ou
rassurantes, d’une musique d’ambiance plus ou moins rythmée et ciblée, etc. Ainsi Rieunier et
Daucé (2002) relèvent que l’absence de musique réduit le temps passé en magasin, que le
tempo rythme les achats et que le style musical est un moyen efficace de ciblage et de
positionnement d’enseigne. Les rapports entre vendeurs et clients sont également des
éléments essentiels dans la distribution (Gremler et Gwinner, 2008 ; Ewing, Pinto et Soutar,
2
Par exemple, l’enseigne Citadium dissimule l’étiquette de prix dans les chaussures afin d’inciter le
consommateur à les prendre en mains.
4
2001). Ainsi Ohl et Tribou (2004) ont repéré, dans le domaine de la distribution sportive, des
facteurs liés aux interactions de vente, répondant à un besoin de sociabilité et de
reconnaissance sociale. Ils soulignent l’influence de l’environnement humain du magasin (les
vendeurs et les autres clients), sur le mode de ce qui a été observé dans le prêt-à-porter de luxe
(Péretz, 1992). Le contexte peut ainsi casser une routine d’achat ou une intention d’achat, ou
en susciter d’autres, en envoyant un signal fort au consommateur : par exemple, une offre
promotionnelle ou une PLV (publicité sur le lieu de vente) agressive va procurer une
satisfaction immédiate (par la mise en avant d’un produit moins cher pour l’une, d’un
bénéfice symbolique supérieur pour l’autre) qui va effacer l’effet de la persuasion exercée en
amont. Cependant, il convient d’être prudent quant à la prise en compte des résultats des
études sur l’influence des aménagements d’offre et leur généralisation. En effet, ont été
relevées des influences contradictoires selon les états motivationnels et émotionnels des
consommateurs, variables selon les groupes et dans le temps (Kaltcheva et Weitz, 2006). Par
conséquent, les professionnels du marketing se trouvent contraints à adapter l’aménagement
en continu aux conditions de réactivité des consommateurs en fonction des motivations
dominantes du moment, afin de pouvoir maintenir une prise sur eux. C’est cette démarche
managériale que nous proposons d’analyser.
2. Comprendre l’influence du point de vente : le recours aux
professionnels du marketing
La totalité des paramètres d’influence de l’acte d’achat ne peut pas être prise en
compte et chaque modélisation va pointer certains facteurs économiques, sociologiques ou
psychologiques particuliers. Les modèles vont également privilégier un niveau d’analyse : un
niveau macro quand il s’agit d’observation de grands agrégats de consommation, micro
lorsqu’on s’intéresse aux situations d’achat. Or le croisement des niveaux d’analyse n’est pas
sans poser problème (Desjeux, 1998). Ainsi, partir de l’observation de la manière dont les
professionnels des marques (nourris d’études de marché globales) ajustent l’organisation du
magasin pour améliorer les ventes (avec pragmatisme local) permet de contourner cette
difficulté de modélisation. Il ne s’agit donc pas de partir de l’observation ethnographique
directe du consommateur, souvent très difficile, mais de conduire une analyse de l’influence
des professionnels du marketing sur les interactions entre situations et comportements à
travers leurs choix de mise en scène des produits en magasins.
Nous avons eu recours à deux sources principales de données. D’une part, nous avons
procédé à des interviews de hauts responsables marketing/vente de marques d’articles de sport
qui nous ont informés sur les façons de modifier les linéaires pour optimiser les ventes
(encadré 1). D’autre part, nous avons eu accès aux données de vente dans les rayons des
magasins selon leurs modes d’organisation et les différents ajustements qui ont pu y être
réalisés. Il s’agit de données quasi expérimentales (en tout cas très pragmatiques) qui sont
regroupées sous le label des études shopper.
Nous n’avons donc pas posé un modèle de comportement du consommateur à valider. Les
modèles classiques inspirés d’Engel, Kollat et Blackwell (1968) ou encore d’Howard et Sheth
(1969), multiplient les variables qu’il faudrait prendre en compte pour comprendre le
consommateur. S’ils ont des valeurs heuristiques indéniables, la trop grande diversité des
paramètres impose de limiter une démarche scientifique à l’observation d’un des facteurs
d’influence (e.g., la mémoire, l’attention ou la motivation). Or la limite managériale de ces
modélisations est que les connaissances qu’elles apportent n’aident pas beaucoup à
comprendre ce que font réellement les clients en situation d’achat. C’est pourquoi nous avons
choisi d’utiliser une démarche inspirée de la « théorie ancrée » (Grouded Theory ; Glaser et
Strauss, 1967) qui propose de partir des observations. Notre questionnement est proche de
5
celui de Bessy et Chateauraynaud (1995) qui s’intéressent à la façon dont des experts ou des
acteurs ordinaires évaluent les objets qui les entourent. Ils soulignent le rôle de la perception
pour développer des compétences d’expertise et constituer des « prises » permettant d’évaluer
la valeur des objets. La notion de « prise » permet de décrire les relations des personnes aux
objets et de porter l’attention sur l’ensemble des repères utilisés par le consommateur en
situation d’expertise : perceptions, représentations, principes, valeurs et mémoire cognitive
sont confrontés pour évaluer la valeur des objets.
Nous pouvons ainsi avancer que le rôle du responsable marketing est de proposer des
« prises » au consommateur pour qu’il puisse évaluer favorablement les objets et que son
consentement à payer soit aussi élevé que possible (Grewal et Baker, 1994). La mise en scène
des articles dans le magasin et, plus particulièrement, les images et récits qui les
accompagnent (notamment la référence aux héros sportifs) vont organiser les perceptions des
produits de façon à ce que le consommateur puisse s’en saisir et les percevoir le plus
positivement possible. Il faut donc que les indices soient convergents et que la marque,
l’emballage du produit, le decorum du rayon, les matériaux, les affiches, les éclairages, les
couleurs, etc. aident à identifier une même qualité de produit. Les dissonances (par exemple
un produit « fashion » perdu dans un rayon de handball) peuvent dérouter les consommateurs
alors que des indices consonants (le même produit soutenu par une PLV persuasive) facilitent
l’expertise du produit et influencent favorablement le processus de décision.
Encadré 1 : méthode d’enquête
Outre une analyse secondaire des données quantitatives fournies par les études shopper, nous avons interviewé 11
responsables du marketing et/ou des ventes de marques de sport : la directrice marketing de la division Sport Style d’Adidas
France (S.R.), la directrice Trade Marketing d’Adidas France (M.G.), la responsable des études marketing – Business
Development – d’Adidas France (H.B.), le directeur marketing de Reebok France (G. de M.), le directeur général de Puma
France (R.T.), le directeur des ventes Lifestyle de Puma France (J.R.S.), la directrice marketing Lacoste Monde (C.M.), le
responsable marketing de Raidlight France (J.T.), la directrice Retail Marketing de Skins Monde (M.G.) ; plus deux
interviews de responsables d’agences : le directeur de l’agence Rage, ancien directeur marketing de Le Coq Sportif (F.R.), la
responsable de l’agence La Mesure Marketing (M.S.).
Interviews administrées en face à face en mai/juin 2011.
Guide des interviews : selon trois axes
1) L’influence globale du magasin sur le comportement d’achat et plus précisément : celle de l’agencement, de la
théâtralisation, de la mise en avant des articles, du discours et du comportement des vendeurs
2) Quelle importance marketing accorder aux études réalisées sur les comportements d’achat (études shoppers)
relativement aux études de consommateurs ?
3) Quelle application en faire en termes de trade marketing ?
3. L’intégration du point de vente dans les stratégies des marques de
sport
Les entretiens indiquent que, globalement, le lieu de vente est pleinement intégré dans la
stratégie des marques comme étant un facteur clé de la décision d’achat. Selon le directeur
marketing de Reebok, G. de M., « l’organisation du magasin est le facteur clé : tout d’abord
trouver ce que je cherche, avoir des repères ; ensuite, c’est l’entrée du rayon organisée par
marques, par usages, par prix ; puis viennent la théâtralisation de l’offre, les éléments
d’explications du produit et le vendeur ». La plupart s’accordent pour souligner l’importance
du vendeur « la clé numéro un : soit pour donner des explications techniques, soit pour
raconter l’histoire du produit » (R.T., directeur général de Puma, rejoint en cela par le
responsable marketing de Raidlight, J.T.). Car, selon J.R.S., directeur des ventes Lifestyle
Puma, « si on forme des incentives vendeurs, on peut jusqu’à doubler les ventes d’un
produit ». Mais le vendeur doit agir dans un environnement favorable. Pour F.R., directeur de
l’agence Rage, « les trois éléments clés sont dans l’ordre : le merchandising, puis la
formation des vendeurs et enfin les opérations trade, évènementielles et d’animation ». La
6
directrice du trade marketing d’Adidas, M.S., précise le propos : « pour les catégories
techniques comme celles du football et du running, le vendeur est le facteur clé pour orienter
le client ; pour les catégories d’achats d’impulsion comme le textile training, il faut mettre en
scène le produit ». Et la concurrence de l’Internet ne semble pas remettre en question le rôle
majeur du point de vente. C’est ce que soutient la directrice marketing de Lacoste, C.M., pour
qui « le magasin devient le seul lieu où il y a une possibilité d’interaction réelle avec le
consommateur » ; rejointe en cela par la responsable de l’agence La Mesure Marketing, M.S. :
« depuis l’innovation du e.commerce, le magasin a maintenant l’objectif de faire vivre une
expérience au shopper, c’est l’enjeu du web to shop ».
Tous reconnaissent que le choix d’un produit passe par trois moments décisifs qui forgent
l’expertise. La première étape est celle de l’expérience outstore ou du pré shopping, phase au
cours de laquelle la communication publicitaire médiatique de la marque, les schémas de
prescription par la famille ou par les proches et le placement produits constituent des outils
déterminants. La deuxième étape est celle de la décision d’achat en magasin sur laquelle nous
allons revenir et qui constitue un moment essentiel de l’achat : le consommateur se détermine
face à un produit tangible en linéaire et dont il se saisit parfois. Enfin, une troisième étape est
à prendre en compte, celle de l’usage du produit : le produit acheté et utilisé répond-il aux
attentes en termes de confort, de performance, de résistance ou encore de design
(l’appréciation positive ou négative va générer des décisions d’achats ultérieures de la marque
et/ou du produit) ? Ces trois étapes sont des phases clés au cours desquelles le consommateur
peut décider de passer d’une marque à une autre, d’un modèle à un autre.
Jusqu’à la fin des années quatre-vingt-dix, le marketing des marques a concentré ses
ressources sur le pré shopping et particulièrement sur la communication publicitaire ; avec la
conviction largement partagée, à l’époque, qu’une attitude favorable à la marque à la suite
d’une action de persuasion se traduit en comportement d’achat (Ducrey, 2010). Depuis une
dizaine d’années, on assiste à un rééquilibrage des allocations de ressources en faveur des
actions en magasins, voire à un renversement des priorités. Ainsi, selon S.R., directrice
marketing Sport Style d’Adidas, « la clarté de l’offre et la mise en scène sont plus importants
que la communication en amont (…) : orienter le regard, articuler la gamme et le bénéfice
produit (puis) séduire (…) en magnifiant le produit, (enfin) rassurer par l’ILV et le discours
des vendeurs ». Car « le magasin a autant d’influence que la publicité ou le sponsoring »
(F.R., agence Rage) et « c’est dans le magasin que la marque peut faire vivre (au
consommateur) l’expérience la plus forte » (C.M., Lacoste). « L’idéal est, qu’en magasin, on
relaie les actions de la marque hors magasin - sponsoring ou publicité » résume M.S., la
directrice retail marketing de Skins.
Ces nouvelles stratégies ont fait suite à des études répétées du consommateur en
situation d’achat (souvent appelées shopper), initiées par le secteur des produits alimentaires.
Ainsi, sur le marché des produits frais ou des soins du visage, la société d’études Côté-Client
a montré, en décembre 2007, que près d’un consommateur sur deux décide de ses achats en
situation sur le point de vente. En effet, soit il avait prévu d’acheter ce type de produit mais
sans avoir décidé d’une marque ou d’un modèle, soit il n’avait pas l’intention d’acheter ce
produit mais l’a tout de même acheté dans le contexte du magasin. Il est apparu alors que
l’impact du point de vente était devenu décisif.
A la suite des pionniers de l’alimentaire, de grands fabricants d’articles de sport comme
Adidas, Nike ou Reebok ont souhaité mesurer ce type d’impact sur leur propre marché. Les
résultats d’études (notamment celles réalisées par des sociétés comme Segment ou CôtéClient) convergent pour indiquer que le pouvoir d’influence du point de vente est plus
manifeste dans les achats d’articles de sport que dans l’alimentaire. En effet, il a été relevé
7
qu’environ 60 à 90% des achats sont décidés en magasin.3 Le score le plus bas (moins de
60%) correspond à la catégorie des articles de football regroupant maillots et chaussures. Les
scores les plus élevés ont été enregistrés pour les chaussures de running (de l’ordre de 90%) et
le textile homme (75%). Parmi ces achats décidés en magasins, nous trouvons des achats
totalement impulsés (soit des achats de consommateurs qui n’avaient absolument pas prévu
d’acheter ce type de produit) et la part de ces achats va de 10% pour le textile homme à plus
de 40% pour les maillots de football.
3.1. Éléments d’analyse : les études shopper
Au-delà de ces informations qui permettent de moduler les décisions selon les familles et
sous-familles de produits, les études shopper conduisent à décoder plus qualitativement le
processus d’achat du consommateur. Selon G. de M. (Reebok), « ces études sont très utiles
(…) pour comprendre le shopper : elles sont un instantané sur sa manière d’acheter ». Elles
« complètent les panels, les store checks et les échanges avec les vendeurs » (J.R.S., Puma).
Car « suivre les sell out (les ventes) ne suffit pas pour comprendre (et) il est intéressant de
croiser sell out et études » (H.B., Adidas). « (Elles) servent à comprendre ce qui fonctionne
pour pouvoir optimiser les actions et les budgets » (M.S., Adidas). Ainsi, selon M. G., la
responsable Retail Marketing de la marque Skins, « acheter est un acte souvent inconscient
(et il faut) comprendre réellement ce qui se passe en termes d’influences. (Ainsi) en croisant
les études shopper et les ventes en magasins, on peut analyser, prendre les bonnes décisions
d’action (…). Par exemple, on a conclu qu’en Europe, il faut expliquer le bénéfice produit et
éduquer le consommateur (alors qu’) en Australie, le marché est plus mature et l’enjeu est
plus de travailler sur la promotion des ventes ».
Mais à condition de respecter une rigueur méthodologique : « il faut être vigilant sur la
méthode utilisée pour s’assurer de la représentativité » (H.B., Adidas). Or « la fiabilité des
études dépend souvent du budget qui leur est affecté » (M.S., La Mesure Marketing ; rejointe
par R.T. de Puma). « Cela nécessite (alors) des arbitrages budgétaires pour faire le lien avec
les autres actions de la marque comme la publicité » (F.R., agence Rage).
Les questions posées sont de deux types : d’une part, quelles sont les clés d’entrée de
l’acheteur dans un rayon (ce qui le pousse à fréquenter plus particulièrement ce rayon plutôt
qu’un autre) ; d’autre part, quels sont ses critères de choix en linéaire et notamment sa relation
aux marques dans chaque catégorie de produit (ce qui provoque son choix de tel article de
telle marque) ? Selon M. S., directrice du Trade Marketing chez Adidas, « on utilise les
études shoppers pour définir les clés d’entrées dans chaque rayon et ainsi segmenter plus
efficacement le rayon. Par exemple, en rayon running, le client attend une segmentation par
usages (intensif, occasionnel, etc.) alors que dans un rayon loisirs, il attend une segmentation
par marques ou par styles ». Ainsi, « il faut agencer les produits en fonctions des attentes, des
usages du consommateur et non plus en fonction des segmentations des fabricants ».
Pour répondre à ces questions, les professionnels du marketing mobilisent trois types de
méthodes. Dans un premier temps, ils procèdent à des réunions de groupes de consommateurs
hors magasins pour appréhender leurs attentes en rayons et ainsi pouvoir segmenter chaque
catégorie d’articles. Par exemple, quels sont les articles légitimes et attendus dans un rayon
running ? Des chaussures de course certes, du textile technique également, mais faut-il aussi
l’approvisionner en bagagerie spécifique, en aliments et boissons énergétiques, en montres
chronomètres, en lunettes, en eau de toilette, etc. ? La deuxième phase d’études est celle des
3
Les réponses des interviewés à cette question de la part des achats décidés en magasins indiquent une
fourchette de 50% à 75% (S.R., G. de M., R.T., J.R.S.). Par exemple, « chez Courir, 25 % seulement des clients
ayant acheté avaient une idée précise d’achat en entrant dans le magasin » (J.R.S.).
8
observations et des entretiens qualitatifs en magasins auprès de consommateurs en situation
d’achat4 (selon S. R. - Adidas : « l’observation des consommateurs en points de vente permet
de voir les éléments instinctifs de la prise de décision car les réponses à des questionnaires
sont moins fiables »). L’objectif est de mieux comprendre leurs logiques d’achat et
notamment leurs modes d’entrée dans le rayon et leurs critères décisionnels (leurs attitudes
face aux marques et aux prix notamment). Enfin, les experts procèdent à des enquêtes
quantitatives classiques auprès des acheteurs afin de mesurer les volumes d’achat dans chacun
des segments. Ainsi, il a été observé que dans un rayon Textile multisports homme, trois types
d’usages renvoient à trois types d’articles : un usage de pratique sportive qui concerne 35 %
des acheteurs du rayon à la recherche de produits techniques et performants ; un usage de
détente et de loisirs qui concerne 36 % d’acheteurs à la recherche de produits techniquement
simples et de confort ; un usage non sportif et orienté vers des sorties en groupe, plutôt de
jeunes consommateurs à la recherche de marques fortement symboliques et de produits
présentant un design remarquable (à hauteur de 29%).
3.2. Des études shopper à l’opérationnalisation en magasins
Les professionnels du marketing exploitent les études de deux manières. La première
consiste à construire un arbre de décision du consommateur en phase d’achat pour
comprendre comment il va mobiliser ses différentes perceptions du produit pour en fixer la
valeur. Autrement dit : dans quel ordre va-t-il sélectionner les différents attributs du produit
qui vont guider son achat ? Va-t-il d’abord choisir une marque, puis un niveau de prix, puis un
produit correspondant à sa pratique ; ou procéder dans un ordre différent ? L’enjeu est de
taille car il va conduire à des choix de packaging (que mettre en avant sur l’emballage ?) et de
merchandising (ILV – informations sur le lieu de vente, étiquetage, éléments de PLV). Par
exemple, un runner va-t-il d’abord axer son choix sur le critère du genre (une chaussure
spécifique pour hommes dont les attributs et la présentation devront rassurer en ce sens) ? Vat-il accorder une priorité d’attention à l’intensité de la pratique (débutant, confirmé,
compétiteur, courtes ou longues distances, occasionnel ou régulier) et négliger le prix ? Ou
procéder à l’inverse ? Il faut aussi s’intéresser à la façon dont il va combiner les critères pour
expertiser la valeur d’un objet. Au-delà du prix psychologique (80€ en 2011), il faut que la
chaussure de running soit singulière pour que le consommateur ordinaire se décide à l’acheter,
ou qu’elle soit fortement valorisée dans le cercle des experts de la pratique. Tous ces éléments
sont essentiels à prendre en compte pour décider de l’organisation optimale d’un rayon, afin
de transformer l’intention d’achat en achat concret. Car si l’organisation du rayon ne permet
pas au consommateur de faire référence à une perception qui donne du sens à l’achat, il va
différer son achat.
Les études évoquées supra montrent, en outre, que selon les rayons, les clés d’entrée
peuvent être très différentes. Ainsi, dans un rayon de maillots de football de type replica
(c’est-à-dire imitant les maillots officiels des clubs), la première clé sera plutôt le club sportif,
la célébrité sportive ou l’équipe, puis secondairement le type de produit et ses caractéristiques
techniques ; alors que dans un rayon de chaussures de football, la première clé d’entrée sera la
marque. Ceci conduit les fabricants et les distributeurs à s’associer dans des démarches de
categories management pour mettre en commun leurs informations et leurs compétences afin
d’offrir au consommateur un univers cohérent lui facilitant l’identification des produits et
favorisant son expertise positive des objets (Lopes, 2011).
4
Pour cela, il existe des outils ad hoc comme « le yes tracking pour identifier le parcours du shopper » (H.B.,
Adidas) ou encore « la caméra vidéo de comptage qui mesure le temps que le regard du consommateur passe sur
une zone de linéaire – temps minimum retenu : 2 secondes » (M.S., La Mesure Marketing).
9
Outre l’arbre de décision, la deuxième manière d’opérationnaliser les études consiste à
identifier les critères d’achats au sein de chaque rayon : le prix affiché, le design des produits,
la mise en avant de la technicité, de la marque, etc. Apparaissent alors des différences
remarquables selon les rayons et sur les façons de donner de la valeur aux objets. Par
exemple, le critère déterminant de choix d’une chaussure de running est le confort et la
technicité, alors que celui d’un textile masculin est le prix ; celui d’une chaussure de loisir
sera plutôt son originalité et sa perception positive par le consommateur en regard des codes
de la mode et des « tendances » reconnues par son groupe d’appartenance ou de référence
(Ohl, 2003). Il apparaît cependant que les interactions de vente sont rarement prises en
compte par les études shopper alors que la littérature en souligne l’importance en général
(Gremler et Gwinner, 2008) et plus particulièrement dans le sport (Ohl et Tribou, 2004).
3.3. Comment agir sur le processus d’achat d’articles de sport ?
Sur la base des résultats des études shopper, le responsable marketing va tenter
d’accompagner le client tout au long du processus d’achat en guidant ses perceptions et en
favorisant leur consonance (des merchandisers de la marque sont ainsi missionnés auprès des
distributeurs). Il doit d’abord le conduire à porter son regard sur le produit, puis lui donner
envie de le prendre en main, de l’essayer et de le sélectionner avant de se rendre en caisses.
Car « les déclencheurs principaux d’achat sont instinctifs (au sens de spontané) » selon S.R.
d’Adidas. « Le trade marketing classique est éculé (primes et jeux concours), seule la marque
qui apporte quelque chose d’inhabituel est gagnante, celle qui va attirer l’attention, animer,
interagir avec le client » (F.R., agence Rage).
Donner de la visibilité au produit
Selon M. G., directrice Retail Marketing de Skins, « pour émerger dans la pléthore de
marques et d’offres produits, il faut interpeller le consommateur », notamment « utiliser de
nouvelles technologies pour créer des ruptures » (H.B., Adidas). Pour attirer le regard, le
merchandiser va tenter de faire émerger du rayon les produits à promouvoir. Les endroits
d’exposition favorables sont classiquement les vitrines qui cueillent le consommateur à
l’entrée du magasin (selon S. R. d’Adidas qui souligne l’importance de la vitrine, « savoir
quels types d’actions y mener et selon quelle fréquence les renouveler »), les têtes de
gondoles en carrefours d’allées enregistrant un fort trafic et les zones événementielles dans
lesquelles la théâtralisation est optimisée (« pour capter le client dans les zones chaudes du
magasin » selon H.B. d’Adidas). La marque doit être clairement identifiable, d’où la nécessité
de mettre en avant ses codes (logotype, code couleur), de relayer ses campagnes de
communication et ses campagnes d’image d’athlètes sous contrats à partir de publicités (PLV)
de façon à donner une cohérence et une redondance entre les informations perçues dans et
hors du magasin. Car la communication réalisée en amont doit être activée en magasin au
risque d’être oubliée dans le contexte d’une concurrence visible entre les marques (exposées
en linéaires). C’est pourquoi les investissements des marques de sport en forte concurrence
sont particulièrement élevés en magasins sous des formes multiples et renouvelées : achats de
corners, de têtes de gondoles ou de mobiliers garantissant leur visibilité. Ainsi, « pour
Reebok, l’offre chaussures a été rassemblée sur un espace mural fit for life pour créer un ilot
de rupture » (G. de M., Reebok). Tous les professionnels interviewés insistent sur la nécessité
de provoquer un effet de rupture car « cela permet de faire varier les déclencheurs d’achat et
casser les codes » (S.R., Adidas) et ainsi « créer une différence en faveur de la marque » (G.
de M., Reebok).
10
Susciter un engagement corporel
Pour amener le consommateur à se saisir du produit, le premier moyen consiste en une
organisation pratique du rayon et sa mise en cohérence avec l’arbre de décision de l’acheteur.
Si ce dernier est prioritairement guidé par le prix, il faudra mettre les offres promotionnelles
en évidence ; mais au risque d’altérer l’image de qualité technique des produits (car il est
difficile de jouer sur plusieurs argumentaires à la fois). Un deuxième moyen se trouve dans la
fluidification de la circulation parmi les rayons (une allée encombrée dissuade de s’y
aventurer) et la mise à disposition d’espaces où le consommateur puisse se livrer à ses
manutentions et à des essais sportifs (tester une chaussure en esquivant quelques pas de
course, une raquette en simulant un revers, etc.) car les difficultés liées à l’encombrement de
l’espace sont parfois explicatives de contre-performances commerciales. Il faut que les
perceptions visuelles puissent être confirmées par le toucher et un engagement du corps. La
prise en main des produits et leur essai passent donc par un agencement et un mobilier
adaptés : des bancs pour se chausser, des zones libérées pour les tests (Décathlon, par
exemple, met à disposition des couloirs balisés pour l’essai de vélos), des cabines d’essayage
fonctionnelles, voire tout un appareillage de tests sportifs (des simulateurs de marche et de
course, des murs d’escalade, etc.). Actuellement, « beaucoup de travail est fait pour
développer le mobilier le plus adapté à ces recommandations » (C.M., Lacoste).
Agir sur la perception de la valeur des produits
Le succès commercial du processus passe également par une forme de théâtralisation de
l’espace qui se joue à deux niveaux : infléchir la perception de la valeur du produit et
provoquer des émotions favorables à l’acte d’achat. Selon R. T., directeur général de Puma
France, « il faut mettre de la séduction dans la PLV ». Par exemple, « Lacoste a mis en place
des actions pour starifier son polo mythique - le 1212 (et) un selling ceremony a été
développé pour les vendeurs : quel discours tenir, quelle histoire raconter, quelle qualité de
produit vanter » (C.M.).
Au-delà d’une simple visibilité des produits, les aménagements visent à favoriser une
perception positive conduisant le consommateur à leur attribuer une valeur plus élevée que les
produits concurrents. La qualité des matériaux (bois, métal, verre, plâtre ou plastique), le type
de présentation (produit isolé ou en lot, facing) ou encore la densité, hauteur ou largeur des
rayons doivent contribuer à optimiser une expertise favorable du produit. Les jugements, tout
particulièrement dans le sport, peuvent aussi être influencés par des émotions. A l’instar des
narrations sportives journalistiques, les objets sont dépositaires de récits héroïques ou
renvoient à des identités locales ou nationales, de genre ou générationnelles, célébrées par les
évènements sportifs. Ce n’est pas un bien ordinaire que l’on achète mais un objet qui rend
visible des catégories de la culture (Douglas et Isherwood, 1979) et, dans le cas du sport,
renvoie fréquemment à des passions et des affirmations identitaires. En cela, les objets
sportifs peuvent être utilisés comme des « extended-self » qui constituent une sorte de
prolongement identitaire des personnes (Belk et alii, 1989 ; Ohl, 2003), comme c’est le cas
notamment des maillots de football (l’achat est généralement passionnel et sur le mode d’une
identification au champion dont le nom s’inscrit au dos du maillot). Les spécialistes du
marketing vont donc exploiter ce registre émotionnel en évoquant des ambiances de matchs
(enregistrements de clameurs de stades, vidéos de rencontres d’anthologie) et en mettant en
scène des célébrités du football sous contrat avec la marque (tel joueur icône d’un grand club
européen dont on va afficher l’image). L’objectif est bien de faire rêver le consommateur,
d’introduire dans son schéma décisionnel une variable émotive et sentimentale qui va
11
conforter, voire remplacer l’expertise froidement utilitaire en termes de rapport qualité - prix.
En revanche, un rayon running ne sera pas théâtralisé de la même façon car le consommateur
pratiquant la course à pied vise davantage un achat technique basé sur une expérience
d’usage. Même si une PLV mettant en scène un marathonien peut l’émouvoir, il gardera en
mémoire ses contraintes d’entraînement et ses difficultés physiques et techniques à courir (de
pronateur ou de supinateur, à fort coup de pied ou à pied fin, pour le bitume ou les sous-bois,
etc.). Pour cet acheteur plus utilitariste, l’expertise et donc l’attribution de la valeur au
produit, dépendra beaucoup plus d’argumentaires techniques. Il convient alors d’optimiser la
lisibilité de l’information par la mise en avant de la technicité, des concepts innovateurs et
sous une forme parfois pédagogique. La valeur attribuée au produit pourra également être
renforcée par l’expertise d’un vendeur reconnu comme spécialiste, qui pourra jouer un rôle de
préconisateur à condition de bien identifier les besoins du client (usage sportif ou
détournement d’usage ?).
Analyser les flux en magasins
Une dernière dimension de l’expertise des spécialistes, se manifeste dans la mise en
place d’indicateurs et la collecte de données empiriques sur les comportements du
consommateur afin de valider les choix. L’évaluation du trafic du point de vente permet de
connaître le nombre de consommateurs entrés dans le magasin et donc de valider les actions
menées à l’extérieur du point de vente, comme les campagnes de publicité ou de mailing à
domicile. Le taux de transformation indique la proportion de consommateurs entrés en
magasin et qui ont finalement acheté des articles. Le panier moyen complète l’indicateur
précédent en précisant combien d’articles ont été achetés par le consommateur et à quel prix
moyen. En fonction des statistiques enregistrées, les experts du marketing peuvent ainsi
corriger les actions en magasin. Par exemple, un taux de transformation de 33% (signifiant
que les deux tiers de chalands n’achètent aucun produit) implique de revoir les assortiments et
le merchandising afin de donner envie de se saisir des produits. Par contre, un taux de
transformation de l’ordre de 50% (s’agissant du taux moyen généralement constaté en
magasins de sport) associé à un panier moyen réduit à un seul article, va conduire à réfléchir à
la mise en œuvre de techniques promotionnelles pour inciter le consommateur à multiplier ses
achats (par exemple, sous forme de lots ou de remises pour le deuxième produit acheté).
Enfin, à assortiment équivalent, une variation de la valeur du panier moyen pourra donner une
indication relative aux effets des aménagements sur la modification de la valeur attribuée aux
produits. Car, de l’avis des professionnels du marketing, « l’enjeu est bien de mesurer ce qui
se passe réellement en point de vente : quelle est la visibilité de l’opération par rapport aux
opérations des concurrents, quelles sont les ventes additionnelles par rapport à celles
d’autres magasins identiques ? (…). Pour cela, on crée une base de données qui permet de
suivre l’évolution des performances magasin par magasin : chiffre d’affaires, taux de sortie
des produits, etc. » (M.S., Adidas).
En conclusion
Longtemps négligé par les marques de sport, le point de vente est aujourd’hui
pleinement intégré aux logiques du marketing. Les marques et les enseignes collaborent,
mutualisent leurs moyens et construisent une expertise commune pour comprendre les
comportements du consommateur. Cependant, deux limites viennent menacer cette volonté de
synergie. Une première limite apparaît dans les stratégies de marques propres développées par
les distributeurs, qui reposent sur une logique d’affrontement commercial direct avec les
12
marques des fabricants ; l’argumentaire se résumant le plus souvent à mettre en avant leur
meilleur rapport qualité - prix en référence à des marques fabricant réduite à un simple
decorum en magasin. Une deuxième limite est à situer du côté des fabricants qui développent
des logiques de réseaux de distribution en propre leur permettant de maîtriser tous les leviers
de la promotion commerciale. Or cette tendance du marché à mettre en opposition des
distributeurs fabricants et des fabricants distributeurs risque de mettre à mal le concept même
de trade marketing qui repose sur une collaboration loyale entre eux. Car pour améliorer
l’efficacité de leurs actions, distributeurs et marques de sport doivent continuer à produire des
connaissances sur le consommateur en situation d’achat.
Au-delà de ces aspects managériaux, il faut souligner tout l’intérêt d’une analyse de la
façon dont des acteurs économiques « ordinaires » construisent leurs connaissances. En effet,
sans pour autant faire référence à des modèles sociologiques ou managériaux posés a priori,
ces derniers parviennent à développer un niveau d’expertise élevé à partir de simples
observations et applications empiriques. Car en faisant le constat méthodique des
déambulations, des arrêts, des manipulations, des interactions avec les vendeurs et avec les
autres clients, ils traitent de l’individu en tant qu’unité véhiculaire et de participation, comme
pourrait le faire un sociologue (comme Goffman, 1973). De plus, en relevant tout aussi
méthodiquement la façon dont les individus authentifient les objets et leur attribuent une
valeur, ils se rapprochent d’experts guidés par la pragmatique de l’action (Bessy et
Chateauraynaud, 1995). Dans le sens étendu proposé par Becker (2002, p. 12), pour qui
« quiconque fait un travail intéressant sur la société est un sociologue », ils sont aussi un peu
sociologues. Certes, les modélisations des professionnels du marketing ne sont pas exemptes
de croyances, mais leur apport est indéniable pour aider à comprendre comment les sens, les
émotions et les rationalisations se combinent dans la construction des compétences des
consommateurs à juger les produits.
Bibliographie
Badot O., Dupuis M. (2001), « Le réenchantement de la distribution », Les Echos : l’art du
management, n° 7, p. 2-3.
Barre S., Cochois F., Dubuisson-Quellier F. (2000), « Designer, packager, merchandiser :
trois professionnels pour une même scène marchande », Sociologie du travail, n° 42-3, p.
457-482.
Becker H.S. (2002), Les ficelles du métier, La Découverte, Paris.
Belk R.W., Wallendorf M., Sherry J. F., (1989), “The Sacred and the Profane in Consumer
Behavior: Theodicity on the Odyssey”, Journal of Consumer Research, n° 16, p. 1-38.
Bessy C., Chateauraynaud F. (1995), Experts et Faussaires. Pour une sociologie de la
perception, Métailié, Paris.
Bourdieu P. (1979), La distinction, critique sociale du jugement, Minuit, Paris.
Carù A., Cova. B (2006), « Expériences de consommations et marketing expérientiel », Revue
Française de Gestion, n° 162, p. 100-113.
Chaney D. (1996), « Le grand magasin comme forme culturelle », Réseaux, n° 14-80, p. 8196.
Chétochine G. (2008), Le marketing des émotions, Eyrolles, Paris.
Cochois F. (2002), Sociologie du packaging, PUF, Paris.
Cova B. (2000), Au-delà du marché. Quand le lien importe plus que le bien, L’Harmattan,
Paris.
13
Desjeux D. (1998) « Les échelles d’observation de la consommation », In P. Cabin, D.
Desjeux D., Nourrisson R., Rochefort R., Comprendre le consommateur, éd. Sciences
Humaines, Auxerre, p. 37-56.
Douglas M., Isherwood B. (1979), The World of Goods. Toward and Anthropology of
Consumption, Allen Lane, London.
Ducrey V. (2010), Le guide de l’influence, Eyrolles, Paris.
Engel J. F., Kollat D. T., Blackwell R. D. (1968), Consumer Behavior. Holt, Rinehart and
Winston, New York.
Ewing M.T., Pinto T.M., Soutar G.N. (2001), “Agency-Client Chemistry: Demographic and
Psychographic Influences”, International Journal of Advertising, n° 20 (2), p.169–188.
Falk P., Campbell C. (1997), The Shopping Experience, Sage, London.
Gremler D.D., Gwinner K.P. (2008), Rapport-Building Behaviors Used by Retail Employees,
Journal of Retailing, n° 84 (3) p. 308–324
Gerval O., Kremer E. (2009), Concept store, Eyrolles, Paris.
Glaser BG., Strauss A. (1967), Discovery of Grounded Theory. Strategies for Qualitative
Research, Aldine Publishing Company, Chicago.
Goffman E. (1973) La mise en scène de la vie quotidienne. 2. Les relations en public, Minuit,
Paris.
Gottdiener M. (1995), Postmodern Semiotics, Blackwell, Oxford.
Grewal D., Baker J. (1994), “Do Retail Store Environmental Factors Affect Consumers Price
Acceptability?” International Journal of Research in Marketing, n° 11, p. 107-115.
Guichard N., Vanheems R. (2004), Comportement du consommateur et de l’acheteur, Bréal
Editions.
Halbwachs M. (1913), La classe ouvrière et les niveaux de vie, Alcan, Paris.
Hetzel P. (2002), Planète conso. Marketing expérientiel et nouveaux univers de
consommation, Éditions d’Organisation, Paris.
Holbrook M., Hirschman E. (1982), “The Experiential Aspects of Consumption: Consumer
Fantasies, Feelings and Fun”, Journal of Consumer Research, n° 9, p. 132-140.
Holbrook M.B., Gardner M.P. (1993), “An Approach to Investigating the Emotional
Determinants of Consumption Durations: Why Do People Consume What They Consume for
as Long as They Consume It?” Journal of Consumer Psychology, n° 2, p. 123–42.
Howard J. A., Sheth J. N. (1969), The Theory of Buyer Behavior, John Wiley, New York.
Kaltcheva V., Weitz B.A. (2006), “When Should a Retailer Create an Exciting Store
Environment ?” Journal of Marketing, n° 70, p. 107-118.
Ladwein R. (2003), Le comportement du consommateur et de l'acheteur, Economica, Paris.
Lahire, B. (2004), La culture des individus, La Découverte, Paris.
Levy M., Weitz B.A. (2004), Retailing Management, McGraw-Hill/ Irwin, New York.
Lopes C. (2011), Le guide du category management, Eyrolles, Paris.
Ohl F. (2003), « Les apparences sportives : comment des biens banalisés peuvent constituer
des références identitaires », Anthropologie et Société, n° 27-2, p. 167-184.
Ohl F., Tribou G. (2004), Les marchés du sport. Consommateurs et distributeurs, Armand
Colin, Paris.
Péretz H. (1992), « Le vendeur, la vendeuse et leur cliente. Ethnographie du prêt-à-porter de
luxe », Revue française de sociologie, n° 33-1, p. 49-72.
Peterson R., Kern R. (1996), “Changing Highbrow Taste: From Snob to Omnivore”,
American Sociological Review, n° 61, p. 900–7.
Rieunier S., Daucé B. (2002), « Marketing sensoriel du point de vente », Recherches et
Applications en Marketing, n° 17-4, p. 46-65.
Rieunier S., éd. (2009), Le marketing sensoriel du point de vente, Dunod, Paris.
14
Underhill P. (2000), La science du shopping. Comment le merchandising influence l’achat,
Village Mondial.
Valette-Florence P. (1989), Les styles de vie. Fondement, méthodes et applications,
Economica, Paris.
Vandercammen M. (2011), Marketing. L’essentiel pour comprendre, décider, agir, De Boeck,
Bruxelles.
Veblen T. (1970 [1899]), Théorie de la classe du loisir, Gallimard, Paris.
Volle P. éd. (2000), Etudes et recherches sur la distribution, Economica, Paris.
15
Téléchargement