3
Les conséquences de la transformation des lieux de vente vont bien au-delà de la
question de la relation marchande. En effet, si nous faisons référence aux premiers grands
magasins du XIXe siècle, nous pouvons relever que les effets ne se sont pas limités à libérer
la clientèle des pesanteurs et des obligations de l’interaction du petit commerce, mais qu’ils
ont affecté tout un mode de vie et notamment celui des femmes (Chaney, 1996).
Actuellement, une partie des changements passe par un bouleversement dans la conception du
lieu de vente. En mettant en place une dramaturgie spécifique, notamment par des décors
suggestifs, les nouveaux magasins accroissent l’importance sociale de l’acte d’achat et vont
jusqu’à changer parfois la signification des biens achetés. Les qualités du magasin (liées à son
lieu d’implantation, à ses vitrines, à une ambiance marquée par un décor intérieur, une
utilisation de matériaux plus ou moins nobles, des choix d’éclairages, des comportements du
personnel, etc.) modifient la perception des qualités intrinsèques des objets (autour d’une
apparence liée à la matière, à la couleur, à la forme, à la taille, etc.) qui eux-mêmes participent
également à une dimension scénique du magasin, parfois valorisante pour le consommateur
lui-même et le plus souvent rassurante sur son acte d’achat.
Le magasin est devenu progressivement le lieu d’un « enchantement » du
consommateur (Badot et Dupuis, 2001) qui offre une ambiance d’achat, sorte d’écrin
apportant un supplément de valeur aux objets. L’enchantement peut prendre des formes très
diverses et parfois contradictoires. Ainsi, la mise en scène peut conférer le sentiment de
réaliser de bonnes affaires comme c’est le cas dans la distribution de type discount (Levy et
Weitz, 2004). Les codes sont différents de ceux de produits positionnés en haut de gammes
mais la dimension symbolique du lieu de vente y demeure tout aussi essentielle. Cependant,
soucieuses de leur image, les marques sportives recherchent généralement une distribution qui
leur permette de jouer sur le registre de la valorisation du produit. Elles visent à associer à
leurs articles des histoires de héros sportifs, symboles d’excellence corporelle et de réussite
sociale, qui seront autant de références pour les consommateurs. D’où la stratégie de proposer
leurs propres lieux de vente « enchantés » qui deviennent eux-mêmes des objets de
consommation. Ainsi, les concept stores et autres flagship stores, comme ceux développés par
les marques Nike (Nike Town) ou Adidas (Adidas Megastore), ont été créés afin de donner
davantage de valeur à la marque et à ses produits (à l’instar d’œuvres d’art exposées dans des
musées) mais aussi au visiteur qui vient vivre une expérience sociale puis la partager avec
d’autres sous forme de récits (Gerval et Kremer, 2009). La dramaturgie des magasins
conceptualisés va ainsi du design de la façade extérieure (dans l’environnement prestigieux
des Champs Elysées pour les magasins évoqués supra) à celui de l’agencement intérieur
(coloris, matériaux, hauteur et formes des gondoles, disposition des allées), en passant par le
merchandising des produits, l’animation commerciale à partir d’écrans numériques et
d’affiches de célébrités sportives en référence à des événements fortement médiatisés. Tout
concourt à valoriser les produits et les consommateurs qui les achètent. Penazola (1998) a
montré comment l’équipementier Nike avait repoussé les limites du concept de magasin en
procurant du rêve au consommateur (on peut encore lire au fronton du magasin de Chicago :
« A tous les athlètes et à leurs rêves – nous dédions Nike Town »). Le magasin semble ainsi
répondre à des attentes d’évasion du quotidien ressenties plus qu’exprimées par les
consommateurs (Gottdiener, 1995). Par exemple, les magasins Giacomelli Sport sont réputés
mettre en scène le sport avec un souci d’esthétique achevé : on y trouve des rings de boxe où
les clients peuvent s’initier ou encore des rampes de skate board où les adolescents font le
spectacle. Le consommateur est attiré par l’ambiance sportive et, porté émotionnellement, il
prend plaisir à déambuler (on parle alors de fun shopping ou de retailtainment) dans ce qui
s’apparente davantage à un lieu de vie (life style center) qu’à un point de vente puis, si le
merchandising est séduisant, il pourra céder à quelques achats d’impulsion.