La lutte pour la survie et la justice climatique en Afrique du Nord
Par Hamza Hamouchene et Mika Minio-Paluello
Le changement climatique aura des effets dévastateurs sur l’Afrique du Nord. Il y
aura des morts et des millions de personnes seront forcées de migrer. Le désert ne
cesse de s’étendre. Les récoltes sont mauvaises et les pêcheurs sont entrain de
perdre leurs moyens de subsistance. Les pluies deviendront de plus en plus
irrégulières, les ressources en eaux diminueront et les tempêtes seront plus
violentes. Les étés seront très chauds et les hivers très froids. La sécheresse
contraint déjà les villageois à abandonner leurs foyers et l’élévation du niveau de la
mer est en train de détruire les terres fertiles. La chute de la production alimentaire
et le tarissement des ressources en eau menaceront même les mégapoles comme le
Caire, Casablanca et Alger. Les prochaines vingt années vont transformer
fondamentalement la région.
Ceci n’est pas un fait naturel. Le changement climatique est une guerre de classe,
une guerre érigée par les riches contre les classes ouvrières, les petits paysans et les
pauvres. Ces derniers portent le fardeau à la place des privilégiés. La violence du
changement climatique est causée par le choix de l’exploitation continue des
combustibles fossiles, une décision prise par les multinationales et les
gouvernements occidentaux avec les élites et militaires locaux. C’est le résultat de
plus d’un siècle de capitalisme et de colonialisme. Mais ces décisions sont
constamment renouvelées à Bruxelles, Washington DC et Dubaï et plus localement
à Héliopolis, Lazoghly et Kattameya, Ben Aknoun, Hydra et La Marsa.
La survie des générations futures dépendra de l’abandon de l’exploitation des
combustibles fossiles et de l’adaptation au climat qui est d’ores et en train de
changer. Des milliards de dollars seront dépensés pour essayer de s’adapter :
trouver de nouvelles sources en eau, restructurer l’agriculture et réorienter la
production vers de nouvelles cultures, construire des digues pour repousser les
eaux salées et changer la forme et le style d’urbanisme des villes. Mais, cette
adaptation serait dans l’intérêt de quelle catégorie de population ? Les mêmes
structures autoritaires des pouvoirs qui ont, en premier lieu, causé ces changements
climatiques sont en train de préconiser une stratégie pour assurer leur protection et
faire davantage de profits. Les institutions néolibérales se prononcent clairement
sur leur transition climatique tandis que la gauche et les mouvements
démocratiques restent pour la plus part muets sur ce sujet. La question qui se pose
: quelles seront les communautés exclues des cercles fermés et bien protégés de ces
changements climatiques durs et pénibles?
Comment le changement climatique transformera-t-il l’Afrique du Nord ?
Le changement climatique provoqpar l’être humain est déjà bien une réalité en
Afrique du Nord. Cette réalité est en train de saper et d’affaiblir les bases socio-
économiques et écologiques de la vie dans la région et finira par imposer un
changement des systèmes politiques.
Les récentes sécheresses prolongées en Algérie et en Syrie ont constitué des
événements climatiques chaotiques qui ont dépassé et submergé la capacité des
Etats et de leurs structures sociales et institutionnelles actuelles, pourtant conçues
pour s’en occuper. Les sécheresses sévères à l’est de la Syrie ont détruit les moyens
de subsistance de 800 000 personnes et ont décimé 85% du bétail. 160 villages
entiers ont été abandonnés avant 2011. Les changements dans le cycle
hydrologique réduiront l’approvisionnement en eau douce ainsi que la production
agricole. Cela signifie avoir recours à davantage d’importations alimentaires de
denrées de base et des prix plus élevés dans les pays qui en sont déjà dépendants,
comme l’Egypte. De plus en plus nombreux seront ceux qui connaîtront la faim et
la famine.
Le désert est en progression croissante, s’étalant de plus en plus sur les terres
avoisinantes. Une pression immense s’exercera sur les rares ressources en eau,
étant donné que la demande augmente plus rapidement que la croissance
démographique. L’approvisionnement chutera à cause des changements dans les
précipitations des pluies et l’intrusion de l’eau de mer dans les réserves d’eaux
potables souterraines. Ces phénomènes sont les résultats du changement
climatique ainsi que de l’usage excessif des eaux souterraines. Cette situation risque
de mettre les pays du monde arabe au-dessous du niveau de pauvreté absolue en
eau, qui se situe à l’échelle de 500 m3 par personne.
La montée des niveaux de mers est actuellement en train de forcer les paysans à
quitter leurs terres en Tunisie, au Maroc et en Egypte. L’eau salée détruit les
champs fertiles du Delta du Nil en Egypte et du Delta de la Moulouya au Maroc,
menaçant d’inonder et d’éroder de vastes étendues de peuplements côtiers, y
compris des villes comme Alexandrie et Tripoli. Les mers elles-mêmes sont
touchées par ce changement climatique. En effet, l’absorption de quantités de plus
en plus importantes de dioxyde de carbone les rend plus acides, tuant ainsi les
récifs coralliens. Cela va influer négativement sur la biodiversité dans la mer Rouge,
détruisant ainsi les moyens de subsistance de dizaines de milliers de personnes qui
travaillent dans les secteurs de la pêche et du tourisme.
La chaleur estivale s’intensifiera. L’augmentation des températures et leurs effets «
stressants » vont faire des milliers de morts, particulièrement les travailleurs ruraux
qui ne peuvent pas éviter les travaux lourds et les activités d’extérieur. La fréquence
et l’intensité des événements météorologiques seront extrêmes et plus importantes.
Les tempêtes de poussière et les inondations dues au froid glacial menacent les
citadins les plus pauvres, surtout les millions de migrants qui vivent dans des zones
d’habitation informelle aux alentours des villes. Les réfugiés seront les moins bien-
protégés, y compris les Soudanais en Egypte, les Maliens en Algérie, les Libyens en
Tunisie et les Syriens au Liban. Faute d’améliorations majeures, les traditions et
l’infrastructure urbaine actuelles qui comprennent les systèmes de drainage, les
services d’urgence et les structures qui assurent le partage des ressources d’eaux, ne
pourront pas être en mesure de faire face à tous ces problèmes.
Le réchauffement climatique induit plus de maladies à cause des pathogènes
d’origine hydrique qui sont propagés par des insectes venant des régions tropicales,
atteignant ainsi des millions de gens qui n’ont été jamais exposés. Le paludisme
(malaria) et autres maladies se déplaceront vers le Nord, menaçant et les humains
et le bétail. Les parasites qui sont déjà présents en Afrique du Nord élargiront leur
zone d’action, par exemple, les « leishmanies » risquent de doubler leur aire
géographique au Maroc dans les prochaines années.
Le chaos climatique coûte déjà des millions de vies et des milliards de dollars. La
revue médicale « The Lancet » soutient que « la survie de collectivités entières est
en jeu » dans le monde arabe.
L’échec des dirigeants politiques
Le changement climatique est attribuable à la combustion des carburants fossiles, à
la déforestation et à des pratiques agricoles non-durables et insoutenables,
encouragées par l’industrie agro-alimentaire. Le dioxyde de carbone et le méthane,
qui sont rejetés dans l’atmosphère, sont des produits dérivés de l’activité
industrielle des hydrocarbures. Le pétrole comme le gaz, le charbon et les minéraux
sont extraits et consommés à grande échelle pour dégager des profits qui serviront
les pouvoirs d’État. C’est le capitalisme extractiviste sous lequel nous vivons.
Les émanations des dioxydes de carbone CO2 proviennent de la combustion des
hydrocarbures - que ce soit en voiture, dans la cuisine ou au sein d’une usine - et
du dioxyde de carbone (CO2) est relâché dans l’atmosphère. L’accumulation du
CO2 réchauffe notre planète. Il existe maintenant un consensus solide au sein de la
communauté scientifique qui soutient que si la température moyenne mondiale
augmente de plus de 2 degrés Celsius au cours du 21ème siècle, les changements
du climat sur notre planète seront à grande échelle, irréversibles et catastrophiques.
Le temps presse et les possibilités d’agir se réduisent !
Selon les sciences du climat, les scientifiques attestent que si l’humanité désire
préserver une planète qui ressemble à la nôtre et où la civilisation s’est développée
pour y vivre paisiblement, les niveaux de CO2 dans l’atmosphère doivent être
réduits considérablement. Les niveaux actuels du CO2, estimés à 400 parties par
million (ppm) doivent baisser au dessous de 350 ppm, bien que de nombreux
experts soutiennent que tout niveau supérieur à 300 ppm est trop dangereux.
Toute augmentation supplémentaire risque de déclencher des points de bascule
climatiques comme la fonte du pergélisol (permafrost) et l’effondrement de la
couche de glace du Groenland. Quand on atteindra un point de bascule (un seuil
climatique), les émissions de carbone accéléreront le phénomène et le changement
climatique pourrait échapper réellement à notre contrôle. Notre survie dépend de
la décision de laisser 80% des réserves prouvées de combustibles fossiles dans le
sol. Malheureusement, l’extraction de plus en plus forte des hydrocarbures fossiles
et leurs transformations entrainent des rejets supplémentaires de deux ppm de
dioxyde de carbone dans l’atmosphère, chaque année.
Les dirigeants politiques du monde entier ainsi que leurs conseillers et les médias se
réunissent chaque année pour une autre conférence des parties à la convention-
cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (COP). Mais en dépit de
la menace globale, les gouvernements autorisent l’augmentation des émissions de
carbone dans l’atmosphère et permettent à la crise de s’aggraver. Le pouvoir des
multinationales a détourné ces pourparlers de leurs véritables objectifs en
s’assurant de promouvoir davantage de fausses solutions, bien lucratives. Les
nations industrialisées (l’Occident et la Chine) ne veulent pas assumer leur
responsabilité alors que les puissances pétrolières comme l’Arabie saoudite essaient
de manipuler le processus. Les pays veloppés du Sud, bien qu’ils constituent la
majorité, peinent à provoquer un changement malgré tous les efforts vaillants de
pays comme la Bolivie et les petits États insulaires.
Une manifestation contre l’exploitation du gaz de schiste à In Salah, sud de l’Algérie en février
2015. (Crédit Photo: BBOY LEE).
La COP de Paris en décembre 2015 attirera beaucoup l’attention, mais nous
savons, d’ores et déjà, que les dirigeants politiques ne permettront pas les
réductions nécessaires afin d’assurer la survie de l’humanité. Il faudra que les
structures des pouvoirs changent. L’action pour empêcher la crise climatique se
tiendra dans un contexte parallèle à d’autres crises sociales.
La crise et la pression d’en bas
Le système sous lequel nous vivons connait une crise profonde qui génère plus de
pauvreté, de guerres et de souffrances. La crise économique, qui a débuté en 2008,
illustre parfaitement comment le capitalisme résout ses propres contradictions et
échecs en dépossédant et punissant davantage la majorité. Plusieurs gouvernements
ont sauvé les banques qui ont causé des ravages à l’échelle mondiale obligeant les
plus pauvres à payer le prix fort. La crise alimentaire de 2008, ayant causé une
famine et provoqué des émeutes dans le Sud, démontre quant à elle que notre
système alimentaire est défaillant, car monopolisé par des multinationales qui ne
cessent d’œuvrer pour maximiser leurs profits à travers une production
1 / 15 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !