Trajectoires de vulnérabilité et adaptation au changement climatique à la Réunion
POLICY BRIEF 08/2016 3
IDDRI
premier temps, puis la réduire dans la mesure du
possible dans un second temps. (ii) Ensuite, il faut
permettre aux zones tampons terrestres naturelles
de recouvrer leur fonction protectrice initiale, ce
qui doit en partie passer par une restauration des
morpho-éco-systèmes dégradés et par une protec-
tion active de ceux qui sont encore en bon état
de santé. (iii) Enfin, il y a un enjeu fondamental
à réviser la stratégie de défense des côtes pour
que celle-ci soit cohérente, c’est-à-dire conçue
à l’échelle des cellules sédimentaires (unités
morphologiques cohérentes) et tenant compte des
changements environnementaux en cours. Selon
les situations locales, cela passera soit par l’amé-
lioration des ouvrages existants, soit par la relo-
calisation d’enjeux menacés. Il est en particulier
important que toutes les autorités publiques recon-
naissent le rôle joué par les réponses non coor-
données des particuliers, à la suite d’un épisode
d’érosion et/ou de submersion, sur la perturbation
du fonctionnement morpho-sédimentaire de long
terme et sur la complexification de la gestion du
risque (conflits entre particuliers, et entre parti-
culiers et autorités). L’exemple récent du cyclone
Bejisa en janvier (Duvat et al., b) doit
inspirer une autre manière de gérer collectivement
les risques météo-marins.
Si les conclusions précédentes (limiter les pres-
sions, préserver les écosystèmes, mieux gérer,
etc.) renvoient à des recommandations courantes
et connues, celles-ci restent d’actualité dans le
contexte relativement nouveau imposé par le
changement climatique. Ce dernier va en effet
d’abord exacerber des pressions qui existent déjà
sur les littoraux et qui, comme susmentionné, sont
en partie inhérentes à des processus anthropiques.
Dès lors, agir sur ces processus d’exacerbation des
risques relève des « incontournables de l’adap-
tation ». Cela renvoie au principe selon lequel
une première étape fondamentale du processus
d’adaptation de long terme consiste à commencer
par éviter d’aggraver les problèmes déjà existants
du fait, soit de décisions et de pratiques de court
terme faisant fi des contraintes environnementales
(ici, les impacts des phénomènes météo-marins) et
de leur évolution future dans un contexte de chan-
gement climatique, soit de la mise en œuvre face
à un problème donné d’une réponse uniforme ne
prenant pas en compte la variabilité des situations
locales. S’adapter au changement climatique dès
aujourd’hui à la Réunion suppose donc en partie de
repenser le rapport de la société à l’espace littoral,
ce qui sous-entend à la fois une prise de conscience
des acteurs locaux et l’acceptation par la popula-
tion locale de mesures apriori contraignantes. Sur
ces deux points, qui ensemble renseignent en par-
tie l’aptitude d’une société à changer de modèle de
développement littoral, d’autres travaux que nous
avons menés complètent la réflexion.
LE FUTUR VU PAR LES ACTEURS
ET PAR LA POPULATION
Des entretiens réalisés début auprès d’une
trentaine d’acteurs de la Réunion (collectivités
territoriales, acteurs économiques du littoral)
révèlent une certaine convergence de leurs
« visions du futur » autour de la poursuite, dans un
avenir proche () comme lointain (), des
tendances récentes pour les grandes composantes
de la vulnérabilité : accroissement de l’érosion
côtière, augmentation de l’exposition des enjeux
humains, diminution de la surface et de l’extension
spatiale des zones tampons terrestres naturelles,
et renforcement de la politique de protection des
enjeux (Magnan et Charpentier, ). Partant
de là, les acteurs plébiscitent essentiellement le
maintien des positions sur le littoral, en appelant
nécessairement à un renforcement progressif de
la lutte contre la mer. Selon eux, si une telle stra-
tégie de réponse pourra passer par la restauration
des zones tampons terrestres naturelles, elle devra
surtout s’appuyer sur une politique de défense
lourde, c’est-à-dire sur l’augmentation du linéaire
côtier équipé d’ouvrages de plus en plus massifs.
Au-delà de son coût économique exponentiel sur
le long terme – dont on peut se demander s’il sera
assumé, les défaillances dans ce domaine ayant
prouvé leur contribution importante à des catas-
trophes comme celles de Katrina aux États-Unis en
ou de Xynthia en France métropolitaine en
février –, une telle approche pose un problème
fondamental du point de vue de la démarche
d’adaptation au changement climatique. En effet,
du fait du caractère désormais partiellement
inéluctable d’un certain nombre de phénomènes
comme l’élévation du niveau de la mer, s’adapter
implique par nature une transformation profonde
des modes d’occuper le littoral, laquelle suppose à
son tour de remettre en cause le principe jusque-
là pensé inaliénable de « garder systématiquement
les positions ». Un point encourageant ressort
néanmoins des entretiens réalisés : un acteur
sur cinq à dix (selon les sujets) est porteur d’une
vision alternative, celle du « retrait stratégique ».
Si cette vision reste encore largement minoritaire,
elle semble indiquer l’émergence d’un changement
dans les mentalités.
Parallèlement, des enquêtes sur la perception des
risques actuels et futurs réalisées auprès d’environ
résidents du littoral de la Réunion (Magnan
et al., ) révèlent par exemple une excellente
appropriation des consignes de sécurité en cas
d’alerte cyclonique. D’autres conclusions sont en
revanche préoccupantes. D’abord, les habitants du