Introduction à la philosophie du langage Martine Nida

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Introduction à la philosophie du langage
Martine Nida-Rümelin
11ième et 12me cours
mardi, le 7 mai 02
mercredi, le 8. mai 02
DIGRESSION: LA SEMANTIQUE DES MONDES POSSIBLES
1. Intensions et extensions chez Rudolph Carnap
1.1. L'extension des expressions linguistiques
(a) L'extension d'un terme d'individu : un individu (le référent du terme dans le monde actuel).
Exemples:
- L'extension du nom "Joschka Fischer" est la personne Joschka Fischer.
- L'extension de la description définie "le ministre des affaires étrangères de l'Allemagne en mai
2002" est la personne Joschka Fischer
(b) L'extension d'un prédicat: un ensemble d'individus ou un ensemble de tuples d'individus
Dans le cas d'un prédicat à une place: l'ensemble des individus qui tombent sous le prédicat dans
le monde réel.
Dans le cas d'un prédicat à plusieurs places: l'ensemble des tuples d'individus qui tombent sous
le prédicat dans le monde réel.
Exemples:
- L'extension du prédicat "x est rouge": l'ensemble de tous les objets qui sont rouges dans le
monde réel.
- L'extension du prédicat à deux places "x est un frère de y": l'ensemble de tous les <x,y> tels que
x est un frère de y dans le monde réel.
- L'extension du prédicat à trois places: "x est jaloux de y à cause de z" : l'ensemble de tous les
<x,y,z> tels que x est jaloux de y à cause de z dans le monde réel.
- L'extension du prédicat à 4 places "x ressemble plus à y que z ne ressemble à w": l'ensemble des
<x,y,z,w> tels que x ressemble plus à y que z ressemble à w.
- L'extension du prédicat à 6 places "la différence d'admiration entre x et y par rapport au club de
football F1 et plus grande que celle entre z et w par rapport au club de football F2: l'ensemble de
6-tuples tels que <x,y,F1,z,w,F2> .....
(c) Extension d'une phrase : sa valeur de vérité
v (vrai), ssi la phrase est vraie dans le monde réel.
f (fausse) ssi la phrase est fausse dans le monde réel.
1.2. La dépendance de l'extension des phrases des extensions de leurs parties
(a) Dans le cas des phrases simples non-quantifiées et sans connecteurs logiques
Soit P une phrase de la structure "Gb" ("b a la propriété G")
La valeur de vérité de la phrase P dépend de
- la référence du terme d'individu (l'extension de ce terme) et
- du domaine d'application du prédicat "G" (extension de "G")
La phrase "Gb" est vraie ssi le référent de "b" fait partie du domaine d'application de "G".
En d'autres mots: L'extension de "Gb" est identique à la valeur de vérité v ssi l'extension de "b" est un
élément de l'extension de "G".
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Soit Ex(A) l'extension d'une expression, alors on peut formuler la dépendance de l'extension d'une
phrase "Gb" de l'extension de ses composants "b" et "G" comme suit:
Ex("Gb") = v ssi Ex("b") Ex("G")
Exemple:
Ex("David Kaplan est un philosophe") = v ssi Ex("David Kaplan") Ex("...est un philosophe")
(b) Dans le cas des phrases complexes
L'extension d'une phrase complexe dépend de manière systématique de l'extension de ses parties
significatives.
simple exemple:
Ex ("Fa Gb") = ssi Ex ("Fa") = v et Ex ("Ga") = v
1.2. Préparation intuitive à l'introduction de la notion d’intension
Remarque R1:
Des expressions ayant la même extension n'ont souvent pas la même signification (d'après
notre compréhension intuitive de "avoir la même signification").
Exemples:
(a) deux termes d'individus qui ont la même extension mais qui (intuitivement) n'ont pas la même
signification:
"Joschka Fischer", "le ministre des affaires étrangères en Allemagne en mai 2002"
Ces termes d'individus ont le mêmerent (donc les mêmes extensions).
(b) deux prédicats qui ont les mêmes extensions mais qui (intuitivement) n'ont pas lame
signification:
"x est un animal avec unur", "x est un animal avec des reins"
Ces deux prédicats s'appliquent aux mêmes individus dans le monde réel (ils ont donc la même
extension).
(c) deux phrases qui ont la même extension (même valeur de vérité dans le monde réel), mais
intuitivement n'ont pas las même signification
(P1) "Dominic OMeara est spécialiste en philosophie de l'antiquité tardive"
(P2) "Gianfranco Soldati a trois fils."
Remarque R2:
Dans les trois exemples considérés les extensions des expressions en question seraient
différentes si d'autres circonstances s’étaient réalisées.
Explication de cette remarque pour les trois exemples:
exemple (a)
monde possible (circonstances possibles) m1: dans m1 le résultat des dernières élections en
Allemagne était différent et Guido Westerwelle est devenu le ministre des affaires étrangères en
Allemagne.
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Dans le monde m1 l'extension de "Joschka Fischer" est toujours Joschka Fischer, mais l'extension de
"le ministre des affaires étrangères en Allemagne" (interprétation au sens non-rigide) est Guido
Westerwelle.
(Cette explication n'est pas celle de Carnap! Carnap n'a pas pu connaître la thèse de Kripke par
rapport aux noms propres qui est présupposée ici).
exemple (b):
monde possible m2: dans m2 il existe des animaux qui ont un cœur sans avoir des reins.
L'extension de "...a unur" dans le monde m2 est différent de l'extension de "...a des reins" dans le
monde m2.
exemple (c):
monde possible m3: dans m3 Gianfranco Soldati a trois fils, mais Dominic OMeara est devenu
violoniste.
dans m3 l'extension de P1 est v et l'extension de P2 est f.
Une idée de base de la théorie des intensions:
La différence de signification entre différentes expressions linguistiques qui n'est pas capturée par
l'extension peut (au moins dans beaucoup de cas) être capturée si l'on se demande quelles seraient
les extensions des termes dans d'autres circonstances possibles.
Cette observation peut motiver l'hypothèse suivante:
On peut décrire la signification d'un terme linguistique si l'on décrit de quelle manière son extension
dépend du monde possible qu'on considère. En d'autres mots: en disant pour chaque monde possible
quelle serait son extension dans ce monde possible.
Selon cette hypothèse on peut décrire la signification d'un terme par une fonction qui a comme
domaine de définition l'ensemble des mondes possibles et qui fournit pour chaque monde
possible m l'extension de ce terme dans ce monde possible m.
Ces fonctions sont appelées les intensions.
1.3. Les Intensions
(a) L'intension d'un terme d'individu est une fonction qui a comme domaine de définition l'ensemble
des mondes possibles et qui fournit pour chaque monde possible un individu.
Si A est un terme d'individu, alors
InA (m) = R
signifie:
Le référent de "A" dans le monde m est R.
exemple:
In"le ministre des affaires étrangères en Allemagne en mai 2002"(m) = la personne qui est dans m ministre des affaires
étrangères en Allemagne
(lecture non-rigide est présupposée!)
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(b) L'intension d'un prédicat est une fonction qui a comme domaine de définition l'ensemble des
mondes possibles et qui fournit pour chaque monde possible m un ensemble d'individus (ou de
tuples) auxquels le prédicat s'applique dans le monde possible m.
Si P est un prédicat, alors
Inp (m) = M
signifie:
L'ensemble des individus (des tuples) auxquels le prédicat s'applique dans le monde m est
identique à M.
(c) L'intension d'une phrase est une fonction qui a comme domaine de définition l'ensemble des
mondes possibles et qui fournit pour chaque monde possible la valeur de vérité de la phrase en
question dans ce monde possible.
Si p est une phrase, alors
Inp (m) = v
signifie:
Dans le monde possible m la phrase p est vraie.
1.4. La dépendance de l'intension d'une phrase de l'intension de ses parties significatives
(a) Dans le cas des phrases simples
La phrase "Fb" est vraie dans un monde possible m ssi l'extension de "b" dans m est un élément de
l'extension de "F" dans m.
In"Fa" ( m) = v ssi In"a" (m) In"F" ( m) (pour tous les mondes possibles m)
(b) Dans le cas d'une phrase complexe
simple exemple:
In "Fa Gb" = v ssi In"Fa" = v et In"Ga" = v
1.5. Considérations en faveur de l'hypothèse que l'intension d'un terme décrit de manière
appropriée la signification de ce terme
(C1) Dans beaucoup de cas on peut expliquer la différence entre deux termes qui ont la même
extension, mais qui n'ont pas la même signification par le fait qu'ils n'ont pas les mêmes intensions (il
existe de mondes possibles où les extensions ne sont pas identiques).
A discuter: problèmes de cette thèse
(C2) Pour les trois types d'expressions linguistiques (terme d'individu, prédicat, phrase) il est plausible
de postuler que la capacité de saisir la signification du terme consiste dans la connaissance implicite
de son intension.
A discuter: problème de cette thèse
(C3) L'hypothèse permet de décrire d'une manière précise la dépendance de la signification d'une
phrase de ses parties significatives.
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(C4) La thèse implique une conséquence plausible: La signification d'une phrase consiste dans ses
conditions de vérité.
1.5. Limitations du modèle de Carnap
(L1) Le problème de l'hyperintensionalité
Il existe de termes linguistiques qui ont les mêmes intensions, mais qui n'ont pas la même
signification.
exemple: "triangle équilatéral"/ "triangle aux angles égaux"
Pour tous les mondes possible m
In"triangle équilatérale" (m) = In"triangle aux angles égaux"(m)
(L2) Le problème de l'indexicalité
exemple: "Je"
Si MNR emploie "je" alors le référent dans tous les mondes possibles est MNR.
JeMNR ("je" dans l'usage de MNR) aurait donc la même intension que nom "MNR".
JeDK ("je" dans l'usage de David Kaplan) aurait donc la même intension que David Kaplan".
Selon ce traitement il n'y aurait pas un mot "je" avec une signification, mais il y aurait autant de mots
"je" différents (avec différentes significations) que de personnes qui l'utilisent.
Un traitement plus approprié de l'indexicalité est possible dans le cadre de la théorie de David Kaplan
(voir ci-dessous).
(L3) Le problème de l'indexicalité cachée (voir aussi L3 et L4)
Selon une thèse de Kripke et Putnam (voir handout du 9ème cours), le terme "eau" réfère dans un
monde possible m à ce qui dans m est de la même nature scientifique (éventuellement pas encore
découverte par nous) que ce que nous appelons "eau" dans le monde réel. Cette dépendance de
l'extension d'un terme (qui dénote une espèce naturelle) dans un autre monde possible donné de son
extension dans le monde réel a été appelée "indexicalité cachée".
Si l'on accepte cette thèse, alors on en déduira que l'intension de "eau" et l'intension de "H20" au sens
de Carnap sont identiques:
Pour tous les mondes possibles m:
In"eau"(m) = tout ce qui est de la même nature scientifique dans m que ce qui est appelé "eau" dans le
monde réel = tout ce qui est composé de H20 dans le monde m = In"eau"(m)
Mais: "eau" et "H20" n'ont pas la même signification.
Comparaison avec le problème de l'hyperintensionalité:
- dans les deux cas, les termes en question ont les mêmes intensions sans avoir la même
signification.
- Mais, dans le premier cas (hyperintensionalité) on peut connaître l'identité des intensions (la
coextensionalité nécessaire) uniquement sur la base de la connaissance de la signification des
termes en question. Dans le deuxième cas, l'identité des intensions (la coextensionalité
nécessaire) ne peut pas être connue sans investigation empirique.
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