LEEMAN-2002/2003 – 4
vaut pour le présent cours, qui est l'écho de l'état provisoire des connaissances au moment où
il est dispensé6).
La méthode ici suivie pour définir les fonctions et les unités comme « la phrase » est la même
que précédemment pour procéder au classement des catégories : elle est fondée sur
l'observation des formes – observation rendue possible du fait que les formes sont des
manifestations matérielles, ce qui n'est pas le cas du sens, lequel n'est appréhendable
qu'indirectement, à travers son expression par les formes. Par exemple, on dira spontanément
que navire et bateau sont synonymes – et si un enfant ou un étranger demande ce que veut
dire navire, il est à parier qu'on lui répondra « Un navire, c'est un bateau ». Cette définition
est, dans la situation considérée, éclairante, mais elle ne saurait valoir à tous points de vue : en
témoigne le fait que, linguistiquement, les deux noms se comportent différemment, puisque, si
l'on dit très facilement prendre le bateau, voyager en bateau, acheminer les marchandises par
bateau, l'acceptabilité de navire dans ces mêmes contextes est douteuse : ?? prendre le navire,
?? voyager en navire, ?? acheminer les marchandises par navire. La différence de
comportement formel alerte sur le fait qu'il y a une différence de sens – le plus difficile est
alors de déterminer ce que révèlent ces possibilités et impossibilités quant à l'identité
sémantique des deux noms.
La démarche vise l'objectif de parvenir à des définitions à la fois spécifiques et générales :
spécifiques, c'est-à-dire ne s'appliquant qu'à ce que l'on cherche à définir ; générales, c'est-à-
dire s'appliquant à tout ce que l'on cherche à définir. Par exemple, définir l'adjectif comme un
mot qui peut être épithète ou attribut n'est pas spécifique, puisque les noms acceptent aussi ces
positions : on a un film culte (culte est un nom) comme on a un film génial (génial est un
adjectif), ou elle est médecin (médecin est un nom) comme on a elle est belle (belle est un
adjectif). De même, définir l'adjectif par le fait qu'il admet les « degrés » (comparatif et
superlatif) n'est pas général7 puisque, entre autres, magnifique, municipal ou carré (rangés
dans les adjectifs) excluent des combinaisons telles que * très magnifique, * le parc devant
chez toi est aussi municipal que le mien, * je préfère la table la plus / la moins carrée. Il
6 Ainsi est paru, l'année même de la création du présent cours (rentrée 2002), un ouvrage qui fait le point
sur l'ensemble des critères de définition de la phrase et de ses constituants, montrant en particulier que la notion
de « SV » n'est pas forcément justifiée (or elle est utilisée ici comme dans le cours « Grammaire : les
catégories ») : Anne Abeillé, Grammaire électronique du français, Paris, CNRS, 2002.
7 Ni non plus spécifique puisque les adverbes sont aussi susceptibles de connaître cette propriété : très
souvent / aussi souvent que toi / le plus souvent, etc.