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L’Arabie saoudite : quelle diplomatie religieuse ?
samedi 15 octobre 2016, par Pierre CONESA, Pierre VERLUISE
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L'auteur :
Pierre Conesa, agrégé d’histoire et ancien élève de l’ENA, fut membre du Comité
de réflexion stratégique du ministère de la Défense. Enseignant à Sciences-Po, il
écrit régulièrement dans "Le Monde diplomatique" et diverses revues de relations
internationales. Membre du Conseil scientifique du Centre géopolitique auquel
est adossé le Diploweb.com. Pierre Verluise, Docteur en Géopolitique, est
Directeur du Diploweb.com.
Retrouvez l'article à cette adresse :
http://www.diploweb.com/L-Arabie-saoudite-quelle.html
La diplomatie religieuse de l’Arabie saoudite est une mécanique soutenue
par un système politique ; mue par un groupe religieux à ambition
planétaire, les Oulémas ; et une idéologie. Jusqu’à ce jour, elle a très peu
été étudiée comme système. P. Conesa jette un pavé dans la mare avec un
nouvel ouvrage. Il répond aux questions de Pierre Verluise.
Pierre Conesa vient de publier, Dr Saoud et Mr. Djihad. La diplomatie
religieuse de l’Arabie saoudite, préface d’Hubert Védrine, Coll. Le monde
comme il va, éd. Robert Laffont, 2016.
Pierre Verluise (P. V.) : Pourquoi le prosélytisme est-il dans l’ADN du
régime saoudien ?
Pierre Conesa (P. C.) : Le triomphe de la famille des Al Saoud pour unifier la
péninsule n’a été possible qu’avec l’appui de la famille des Al Cheikh, (celle de
Abd al Wahhab). Celle-ci a légitimé la guerre des Saoud contre l’Empire Ottoman
puis contre les autres tribus du Royaume en proclamant le djihad. Même la prise
des Lieux Saints contre le Chérif de la Mecque, pourtant descendant du Prophète,
a été ainsi justifiée. Le régime saoudien établi sur la double légitimité tribale et
religieuse, est une vaste entreprise familiale à deux têtes aux intérêts intimement
liés.
Les oulémas wahhabites considèrent, dés la naissance du royaume, que la mission
même du nouveau pouvoir est de diffuser leur version de l’islam partout dans le
monde. C’est une décision politique d’Abd al-Aziz Ibn Saoud qui supprime l’usage
du terme « wahhabisme », pour le remplacer dans la terminologie officielle par
celui de « salafisme ». Dès 1956, le prince et futur roi Faysal déclare
officiellement que « l’islam [dans sa variable wahhabite exclusive évidemment]
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doit être au centre de la politique étrangère du Royaume ». Cinquante ans plus
tard, ce principe est confirmé par l’article 23 de la Loi fondamentale promulguée
en 1992 qui maintient le principe de la da’awa, c’est-à-dire l’obligation de
propager l’islam : « L’État protège la foi islamique et applique la Charia
islamique. L’État impose le bien et combat le mal ; il accomplit les devoirs
auxquels l’appelle l’islam. » Et l’article 34 précise que : « La défense de la religion
islamique, de la société et de la patrie est le devoir de chaque citoyen. »
Le souverain saoudien peut toujours promettre aux Occidentaux de limiter
les aides financières versées à droite et à gauche à des groupes radicaux,
mais certainement pas changer la nature de la diplomatie wahhabite et son
prosélytisme international, toujours appuyé d’une manne financière quasi
illimitée.
Mais les intérêts dynastiques de la famille Saoud amènent celle-ci à en appeler
fréquemment à ses protecteurs occidentaux pour sauver la couronne. Chaque fois
que le régime a appelé à l’aide les « mécréants » - les pires ennemis de ses
Oulémas - il a sollicité de ces derniers, un soutien théologique qui lui est accordé
grâce à une savante casuistique digne des meilleurs Jésuites catholiques. En
échange, le Roi a concédé à ses religieux un pouvoir de plus en plus étendu pour
régir la société d’une part, et en matière internationale, gérer la diplomatie
religieuse et décider qui il faut aider, comment gérer les grandes organisations
islamistes, ou accueillir des étudiants étrangers dans ses universités islamiques.
Plus le soutien des Oulémas au régime est clair et audacieux, plus les bienfaits
royaux tombent.
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Pierre Conesa. Droits réservés
Le djihad fait donc partie de la Geste nationale enseignée dans les écoles du
royaume. C’est ce qui explique que les Saoudiens constituaient le contingent le
plus nombreux de combattants étrangers en lutte contre l’armée Rouge en
Afghanistan (5 000 personnes), des terroristes du 11 Septembre 2001 (15 des 19
membres), des prisonniers de Guantánamo (115 sur 611) et en 2016 des
contingents nationaux étrangers de l’État islamique (Daech) en Syrie et en Irak
avec 2 500 personnes.
Le souverain peut toujours promettre aux Occidentaux de limiter les aides
financières versées à droite et à gauche à des groupes radicaux, mais
certainement pas changer la nature de la diplomatie wahhabite et son
prosélytisme international, toujours appuyé d’une manne financière quasi
illimitée.
P. V. : Comment le wahhabisme a-t-il pu devenir un islam dominant ?
P. C. : Dans le monde, il y aurait environ 50 à 60 millions de salafistes, dont 20 à
30 millions en Inde, 5 à 6 millions en Égypte, 27,5 millions au Bangladesh et 1,6
million au Soudan. Les communautés salafistes sont plus petites ailleurs : environ
10 000 en Tunisie, 17 000 au Maroc, 7 000 en Jordanie, 17 000 en France et 4 à 5
000 en Allemagne. Selon le service de renseignement intérieur allemand, le
salafisme est le mouvement islamique qui connaît la plus forte croissance
dans le monde.
De nombreux radicalismes religieux polluent aujourd’hui toutes les grandes
religions monothéistes mais pas seulement : l’Hindouisme et le Bouddhisme en
sont aussi affectés. Mais le salafisme est le seul à avoir bénéficié du soutien
constant et très puissant d’un pays aux ressources aussi immenses que celles de
l’Arabie saoudite.
P. V. : Quelles sont les grandes pages de l’histoire de la diplomatie
religieuse de l’Arabie saoudite et les mutations de ce soft power impensé ?
P. C. : La diplomatie religieuse wahhabite est marquée par différentes étapes qui
chaque fois, ont accru le pouvoir des Oulémas.
Comme le constate Nabil Mouline dans son livre « les Clercs de l’Islam » (PUF,
2011) : « Contrairement aux autres pays arabes, l’islamisme saoudien n’est pas
une réaction à la marginalisation de l’islam dans la sphère publique mais le
résultat de la stratégie de légitimation nationale et internationale adoptée par la
monarchie dans les années 1960, fondée sur l’islam et la solidarité islamique. »
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L’arrivée des Frères musulmans pourchassés par Nasser dans les années 1950 et
1960, a apporté des cadres à l’Arabie saoudite qui en était dépourvue, mais elle
aussi a apporté une idéologie que les oulémas salafistes n’avaient aucun moyen
intellectuel de concevoir en matière d’organisation, de connaissance du monde,
ou des grandes idéologies contemporaines… Si bien que le système de soft power
saoudien est d’abord un système frériste que le pouvoir ne pourra contrôler
qu’avec le temps et surtout en fonction des événements. La mixtion va
progressivement donner naissance à une certaine « salafisation » des Frères et à
la « frérisation » des wahhabites.
La charte de la Ligue islamique mondiale est explicite : « Nous, États
membres, affirmons également notre conviction qu’il ne saurait y avoir de
paix dans le monde sans l’application des principes de l’islam. » La LIM est
présente dans 120 pays et contrôle environ 50 grands lieux de culte en
Europe.
Le mouvement panislamiste se met en place à partir du combat contre le
nassérisme, les Saoud créent d’abord le Congrès islamique mondial (1949 1952),
et surtout la Ligue islamique mondiale (LIM) pour faire pièce à la Ligue arabe
de Nasser (1962) qui depuis l’accession au pouvoir de Nasser en 1956, était une
tribune du panarabisme. La même année, Faysal répond par l’islam comme axe de
la politique étrangère du royaume. La Ligue islamique mondiale (LIM) est donc
créée en 1962, en pleine « guerre froide arabe » à La Mecque, sous le statut
d’ONG qui permet de n’y admettre que les associations « acceptables ». Les
chiites en sont donc exclus. Ce statut fait qu’encore aujourd’hui, on ne sait rien de
sa composition, de son financement et de son mode de fonctionnement. L’objectif
de la LIM est plus ambigu que ne le laissent penser les documents présentés aux
autorités occidentales. La charte de la LIM est explicite : « Nous, États membres,
affirmons également notre conviction qu’il ne saurait y avoir de paix dans le
monde sans l’application des principes de l’islam. » La LIM est présente dans 120
pays et contrôle environ 50 grands lieux de culte en Europe. Elle joue un rôle
consulaire dans les pays où Riyad n’a pas d’ambassade, et parfois se substitue à la
diplomatie officielle. Elle ouvre par exemple un bureau à Pékin, avant que le
Royaume n’entretienne des relations diplomatiques avec la Chine, ou réclame
l’indépendance de Djibouti, alors territoire français d’outre-mer.
Basée à La Mecque, son secrétaire général doit être saoudien. La Ligue, qui
craint d’être soupçonnée de favoriser le terrorisme, a fait le ménage dans ses
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