L’Islam au-delà du patriarcat : Une analyse genre
du Coran
Amina Wadud
Pour étudier l’Islam en dehors du carcan du patriarcat, nous allons
concentrons notre attention sur les deux principales sources de la
pensée et des pratiques islamiques: le Coran et le Prophète Mohammed.
Après quelques citations, je commenterai en quoi celles-ci pourraient
contribuer à l’atteinte de notre objectif d’assurer l’égalité et la justice du
droit de la famille et des pratiques familiales dans le monde musulman.
Le Coran et la Sunna sont considérés comme les principales sources
de compréhension de la Charia et de développement de la jurisprudence
islamique (fiqh). Sous une impulsion humaine, représentée par les érudits
musulmans, le fiqh est devenu un vaste domaine d’étude contribuant à
renforcer la justice et l’équité au sein des sociétés musulmanes. Dans ce
sens, il nous appartient de poursuivre le processus visant l’emergence
de sociétés justes et équitables avec notre nouvelle expérience et compte
tenu des réalités actuelles (al-waaqiyyah). Cela implique de nouvelles
idées en matière de justice et de redéfinition des rôles des femmes en
tant que personnes, membres de la famille et actrices des sociétés civiles
contemporaines. Le plus important et l’essentiel est de croire que l’Islam
est un mode de vie juste et équitable (din).
En tant que système de construction civile, le fiqh se fonde en
outre sur des sources complémentaires complexes telles que le qiyas et
l’ijma. Bien qu’il importe également d’éclairer leur signification et portée,
je m’attacherai moins à la formation du droit positif qu’aux nuances
éthiques du raisonnement juridique, notamment en ce qui concerne la
réforme. Il existe un lien étroit et essentiel entre l’éthique, le processus
de réforme et les textes sacrés (al-nusus). Mon analyse est axée sur
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la théorie éthique par rapport à la praxis et sur des idées concernant
la relation de chacun avec Allah ainsi que les relations au sein des
communautés musulmanes. Je tiens pour acquis que le Coran est la
parole d’Allah révélée au Prophète Mohammed.
I. Égalité dans la Création, l’Au-delà et la vie intermédiaire
Le Coran distingue trois étapes importantes du développement humain :
la Création, l’Au-delà (al-akhirah) et la vie intermédiaire. Dans l’optique
des réformes, nous nous intéressons principalement à la façon dont nous
menons notre vie dans ce monde (‘aalam al-shahadah). Il est néanmoins
important de définir un cadre fondé sur les deux autres univers (‘aalam
al-ghayb), car le Coran souligne le lien existant entre ces deux univers
(‘aalamatayn). Ce que les êtres humains sont supposés faire ici-bas, dans la
dunya, est fonction de notre opinion sur la nature d’Allah, Sa création et les
conséquences ultimes de nos actes dans l’al-akhirah (la vie après la mort),
ainsi que de notre conception de la nature humaine.
i. Création
Ô hommes ! Craignez votre Seigneur qui vous a créés d’un seul être,
et a créé de celui-ci son épouse, et qui de ces deux là a fait répandre
(sur la terre) beaucoup d’hommes et de femmes. (Sourate 4 : An-Nisa,
verset 1)
Àpartirdunafsin wahidah (l’« être unique ») et de la zawjaha (« son épouse »),
nous passons enfin à l’humanité toute entière : « rijaalan kathiran wa nisaa »
beaucoup d’hommes et de femmes »). La pluralité fait donc partie de la
visioncoraniqueoudelaconceptiondivine.Àcetteépoque-cidel’histoire
humaine, la notion de pluralité est plus que jamais d’actualité, du fait des
interconnexions mondiales créées par la technologie et les sciences.
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Une vie humaine affecte sans nul doute d’autres vies humaines. C’est
pourquoi notre pensée et nos actes doivent montrer que nous sommes
conscients du lien étroit entre toute vie humaine et la création dans son
ensemble. Les décisions prises en matière, par exemple, d’armement
nucléaire ou de réserves pétrolières, la façon dont nous concevons et
entretenons les liens familiaux, ou encore notre conception de l’être humain
et de l’excellence humaine, ont toutes un impact sur autrui, hommes et
femmes, musulmans et non-musulmans. Le fondement de la notion de
pluralisme se trouve dans la vision coranique du monde. Le texte ci-dessous
prévoyait déjà notre façon de contribuer à la formation et à l’évolution des
sociétés, des lois et des cultures musulmanes par le biais du Coran, dans le
cadre d’une réalité mondiale plus complexe :
Ô hommes ! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle, et
Nous avons fait de vous des nations et des tribus, pour que vous vous
entreconnaissiez. Le plus noble d’entre vous, auprès d’Allah, est le plus
pieux. (Sourate 49 : Al-Hujurat, verset 13)
Comment un monde aussi interconnecté parvient-il à maintenir
l’excellence de sa nature au lieu d’être ramené au niveau le plus bas
(Sourate 95 : At-Tin, verset 4-5) ? La taqwa est un terme clé du Coran,
qui désigne l’intégrité morale telle que décrite au verset 13 de la sourate
49 (Al-Hujurat). Ce verset commence par noter de façon explicite la part
masculine et féminine de la création divine. C’est ainsi qu’Allah nous a créés :
« min kulli shay’in khlaqnaa zawjayn » (« de toute chose Nous avons créé
une paire ») ; « al-dhakr wa al-’untha » (« le mâle et la femelle ») (Sourate 51 :
Adh-Dhariyat, verset 49 ; Sourate 53 : An-Najm, verset 45 ; Sourate 75 :
Al-Qiyamah, verset 39). Cette cosmologie de la création par paire comporte
un important corollaire concernant les relations humaines et sociales dans
tous leurs aspects. Il faut donc parvenir à un équilibre à tous les échelons de
la société, depuis la sphère la plus intime (la famille) jusqu’au domaine public
du gouvernement et de l’ordre public. Les hommes comme les femmes
Avis de recherche : Égalité et justice dans les familles musulmanes
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doivent donc être considérés comme responsables de l’élaboration des lois
et des politiques et être les bénéficiaires à parts égales de la justice qui en
découle. Enfin, la notion de pluralité est reprise dans ce verset avec les mots
« nations et tribus », censées « s’entreconnaître ». Le verbe, ici utilisé à la forme
réciproque (ta’arafu), introduit la notion de mu’awadhah, ou réciprocité entre
soi et autrui, un terme sur lequel je reviendrai plus en détail ultérieurement.
L’ultime critère de jugement des êtres humains se fonde sur la taqwa, une
certaine forme d’intégrité morale des êtres humains adultes.
En tant qu’êtres humains responsables et adultes, nous sommes en
mesure de décider de ce qui est bon et juste et ce qui est mauvais et injuste
(zulm). Cela fait partie du libre arbitre des êtres humains. Nous pouvons
exercer ce libre arbitre comme bon nous semble. Toutefois, bien que nous
soyons entièrement libres d’exercer cette volonté comme nous l’entendons,
il ne nous appartient pas de juger le choix de nos actes ; c’est à Allah qu’il
appartient de le faire. Allah est le juge suprême. Allah voit et sait toutes choses
sur la scène publique et dans la sphère privée y compris au sein des foyers.
Ces deux domaines d’interaction humaine ne sont donc pas censés exiger
deux comportements distincts. Adopter une conduite juste et équitable dans
l’espace public n’est plus ni moins important que dans le foyer. Nous devons
faire preuve d’excellence morale ou taqwa dans ces deux espaces.
Il va de soi que l’élaboration de lois justes et équitables exige un
équilibre harmonieux entre le public et le privé, entre les femmes et les
hommes, de même qu’entre les responsabilités et les avantages. Le rôle
dichotomique des femmes musulmanes au regard de la loi constitue un
exemple de déséquilibre ou d’injustice courant de nos jours. Jugées
moralement responsables, elles doivent obéir à la loi sans pour autant se
voir accorder de responsabilité législative. La taqwa est considérée dans le
Coran comme le critère suprême permettant de juger de la valeur de tout
être humain. Or la société conditionne souvent les femmes à faire preuve de
taqwa par la soumission et par le silence, tandis qu’elle incite les hommes
à en faire preuve par un engagement social, un apport intellectuel et une
contribution législative. L’un des moyens les plus simples de réformer la
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loi conformément à l’éthique du Coran consiste peut-être à encourager
une participation active et équitable des femmes et des hommes à la vie
publique et, notamment, à la réforme des lois et des politiques, pour que
tous puissent exprimer leur taqwa d’une manière équivalente.
J’ajouterai un autre point sur le Coran et la création humaine.
Lorsque le Coran dit « Inni Jaa’ilun fi-l-’ard khalifah » (Sourate 2 :
Al-Baqarah, verset 30), nous savons que l’humanité doit accomplir sa
destinée sur la terre, fi-l-’ard’ (Sourate 38 : Sad, verset 26). C’est par le
khilafah, l’action morale, que nous accomplissons notre destinée. Les
êtres humains sont destinés à être des êtres moraux. Ce mandat divin ne
fait aucune distinction entre les hommes et les femmes. Aussi chacun
de nous est-il tenu responsable de ses actes tout au long de sa vie.
Plus important, en tant que khalifah (acteurs moraux), nous sommes
des représentants d’Allah et les dépositaires de Sa volonté sur la terre.
La décision de faire le bien et de faire respecter la justice fait partie de
notre khilafah. Il vaut mieux l’accomplir avec taqwa ou la conscience
que, bien que nous soyons libres d’adopter le comportement de notre
choix, nous aurons tendance à décider de suivre la volonté d’Allah,
puisque c’est le meilleur choix à faire. Le choix permet à l’humanité
d’accomplir sa destinée de khalifah. Pour montrer notre taqwa et
accomplir notre action, nous devons rendre la justice sur la terre. Par
justice sur terre, on entend l’établissement de relations équitables entre
les êtres humains.
ii. L’Au-delà
Je ne fais référence qu’à deux versets sur l’Au-delà, car le Coran désigne
constamment l’homme et la femme comme des êtres moralement
responsables, promettant récompense ou châtiment à l’un comme à l’autre
en fonction de leur foi, de leurs actes et de leurs intentions, qu’ils agissent
seuls, en famille, dans le cadre de la communauté ou dans le vaste monde.
Par exemple:
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