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Education Permanente 2015-4 Stille
Rester zen
VINCENT KEISEN VUILLEMIN
Né en 1949, docteur en physique
(EPFL), il travaille dans le champ
de la physique des particules au
Berkeley Lab en Californie puis au
CERN à Genève ; parallèlement,
il pratique la méditation zen, est
ordonné moine zen sous le nom
de Keisen et dirige le Dojo Zen
de Genève ; en 2007, il reçoit
la transmission du dharma et
devient le 86e patriarche dans la
lignée du zen.
Contact :
keisen.vuill[email protected]
www.zen-deshimaru.ch
Un dossier intitulé « rester zen » se doit d’aborder le zen au sens propre du terme. Notre auteur,
maître zen lui-même, nous présente l’origine et le caractère du zen qui est moins une idéosophie
qu’une pratique, autant mentale que physique. C’est notamment vrai pour la méditation zen dont
l’article décrit la transmission et l’apprentissage particuliers.
Le zen est issu d’une longue tradition bouddhiste,
partant historiquement d’Inde, de Bouddha – qui
était un homme –, et transmise de maître zen à
maître zen. Le bouddhisme originel passe par la
Chine dès le 6e siècle où il se mélange avec le tao
pour donner le ch’an – terme chinois équivalent à
celui de zen en japonais –, qui lui, arrive ensuite
au Japon au 13e siècle avec Maître Dogen et est
finalement apporté en Europe en 1967 par Maître
Deshimaru. Le zen est donc héritier des traditions
indiennes, chinoises et japonaises. Chaque fois,
il s’est harmonisé avec ces différentes cultures. A
l’heure actuelle, la plus grande pratique vivante
du zen, à savoir le zazen, se trouve en Occident
où existent de multiples lieux de pratique, appe-
lés dojos.
L’expérience profonde de soi-même
Cela a commencé avec l’expérience existentielle
qu’a faite Bouddha sous un arbre à l’aube d’un
matin. Bouddha n’a jamais prétendu enseigner la
vérité mais donner un enseignement salvifique
pour aider chacun à sortir des souffrances de
son esprit, inhérentes à la vie. Le bouddhisme
ne contient pas de dogmes, c’est une pratique de
vie, une expérience profonde de soi-même. Dans
le zen, il n’y a pas de vérité révélée ni de livre
sacré comme dans les religions monothéistes.
C’est une tradition spirituelle humaine transmise
de façon objective par des maîtres, certifiés à leur
tour par leurs prédécesseurs. La transmission ne
passe ni par les livres, ni par les mots, mais par
la communion des esprits.
Maître Deshimaru décrit l’essence du zen ainsi :
« Le zen de Dogen n’est pas le souhait de devenir
plus qu’humain, un être spécial, Bouddha ou
Dieu. Ce n’est pas non plus l’espoir d’avoir la
vision de la vacuité, ni de faire des miracles. C’est
revenir à la condition normale de l’être humain, la
plus haute, la plus grande, la plus pure dimension
du corps et de l’esprit de l’homme. La pratique
de zazen apporte la paix intérieure. »
Notre existence se trouve ici et maintenant. Il s’agit
de dépasser le raisonnement de notre esprit par
l’authenticité de la vie sur le moment. Pour perpé-
tuer cet éveil de l’instant, deux lignées distinctes
ont survécu jusqu’à aujourd’hui : le zen sôtô qui
porte l’accent sur l’assise en silence face au mur –
le zazen – et le zen rinzaï focalisé sur l’étude de
paradoxes (koans) dans lesquels l’esprit dépasse
ses contradictions pour s’éveiller au présent.
La méditation zazen
Le zen sôtô est essentiellement zazen: une médi-
tation assise, les jambes croisées. L’expérience
du corps et de l’esprit intimement mélangés – on
parle de corps-esprit – en concentration dans
l’instant présent est au-delà des religions et des
philosophies. La véritable révolution est orien-
tée vers l’intérieur : c’est celle de notre esprit,
engendrée par la pratique d’une posture noble
dont nous ne pouvons atteindre l’essence par la
pensée logique et qui permet de rencontrer notre
plus haute dimension humaine. Dans le zen, on
ne se pose pas le problème de l’existence ou de
la non-existence mais plutôt ces questions-là :
que faire ? Comment exister ici et maintenant ?
Comment être présent dans notre vie réelle ?
C’est une philosophie de l’action, de la réalité.
Les trois éléments principaux de sa pratique sont
La méditation zen :
à la découverte de notre être intérieur
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« L’enseignement des maîtres zen provient à la fois de
leur expérience de vie, de leur pratique spirituelle conti-
nue et de la transmission historique de Bouddha jusqu’à
eux-mêmes. »
la posture du corps, la respiration et l’attitude de
l’esprit. Toute attitude du corps est reliée à notre
esprit, et celui-ci est relié à notre corps. Vous
devez en faire l’expérience vous-même, car le
zen ne se rencontre qu’au travers de sa pratique.
Etre ici et maintenant, en silence
Pour atteindre cette réalisation de soi-même, il est
nécessaire de pratiquer la méditation silencieuse
zazen, et ce de façon soutenue, car rien n’est
jamais acquis. La posture du dos bien droite et en
équilibre, à partir de l’assise des reins, favorise
la noblesse, la droiture et l’énergie. La relaxation
du ventre et des organes favorise le laisser aller,
l’abandon, la souplesse de l’esprit et la compas-
sion, l’ouverture au monde et à tous les êtres. La
respiration est tranquille, induisant un sentiment
profond de paix, de calme et de non-peur. Quant
à l’attitude de l’esprit, elle consiste à ne plus
s’accrocher à ses pensées, ses opinions, mais
à abandonner ses catégories mentales pour se
retrouver normal, libre de tout attachement. Dans
la vie de tous les jours, on regarde vers l’extérieur.
En zazen, on regarde à l’intérieur de soi-même.
Chacun s’adresse à soi-même, ce qui favorise la
confiance, développe la foi en soi et permet de
retrouver une véritable intimité avec soi-même,
avec notre vie et le monde. En silence.
La pratique du silence est très importante. Si-
lence et immobilité, renouvelés à chaque respi-
ration, sont propices au recueillement. Ainsi les
souffrances de notre esprit, pensées négatives,
réflexions anxieuses vont s’évanouir et nous nous
retrouvons dans notre existence ici et maintenant.
Mais elles reviennent constamment, aussi s’agit-il
de continuer cette pratique pendant toute sa vie.
Une expérience incarnée
Le mieux est de pratiquer le zazen dans un dojo
zen dirigé par un maître authentique de la trans-
mission zen. Ceci permet au pratiquant d’obtenir
des conseils sur la posture correcte du corps et
l’état d’esprit calme et attentif, et aussi de suivre
un enseignement oral pendant la méditation. Ce-
lui-ci n’est pas un cours mais consiste en des indi-
cations du maître qui proviennent directement de
son expérience spirituelle de nombreuses années
et de celles des maîtres historiques. Ces indica-
tions, au fur et à mesure des séances de zazen,
pénètrent profondément l’esprit du pratiquant et
finissent par transparaître dans tous les actes de
sa vie quotidienne. Cette pratique se développe
sans but personnel, sans rechercher quoi que
ce soit mais consiste en un développement de
toute la personne, naturel, inconscient même, qui
amènera ultimement au pratiquant une véritable
confiance en lui et une tranquillité intérieure qui
le rempliront d’une profonde satisfaction.
La vie quotidienne est faite d’énergie et d’ac-
tion. Il faut faire face à l’impermanence de toutes
choses, alors même que nous désirons nous y
accrocher. Le monde de la souffrance revient
chaque jour au galop. La longue répétition de
cette pratique d’attention sur le corps et l’esprit
finit par passer dans la vie quotidienne et aide
quiconque à être présent à chaque instant dans
ce qu’il fait au lieu de passer son temps en vain.
Comment apprendre le zazen ?
Pour un pratiquant de zazen débutant, un certain
apprentissage de la posture du corps, de la respi-
ration et de la capacité à ne pas s’accrocher à ses
concrétions mentales est nécessaire. En cela, il
est important de pratiquer sous la conduite d’un
maître. Par la suite, tout cela devient automa-
tique et un calme global de la personne s’instaure
naturellement. Pour les aspects corporels de la
pratique, chacun s’adresse alors à lui-même, en
maintenant cet équilibre du corps et de l’esprit fa-
vorable à un bon état de tout son système physique
et spirituel. Sous l’enseignement d’un maître, qui
lui-même a parcouru tout ce chemin initiatique,
un pratiquant peut comprendre profondément
toute la philosophie de vie qui sous-tend la vision
du zen : philosophie humaniste dominée par l’em-
pathie, la compassion, le non-attachement à tout
aspect nuisible à une haute dimension humaine
et à vivre de façon éveillée, consciente et libre.
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Qu’est-ce qu’un maître zen ?
Un maître zen doit être reconnu comme tel par un
maître zen confirmé. Cette chaîne de transmission
d’esprit à esprit ininterrompue provient directe-
ment de Bouddha. Cette transmission du dharma –
l’enseignement de Bouddha – doit être réelle
et non pas imaginaire, de façon à éviter toute
dérive qui serait amenée par des charlatans auto-
proclamés. C’est la raison pour laquelle il existe
dans le zen plusieurs ordinations formelles, de
moines et de maîtres, au cours desquelles un
maître irréprochable certifie par sa signature et
ses tampons officiels le nouvel état de son dis-
ciple. C’est la partie objective essentielle pour
garder une ligne pure.
Qu’est-ce qui habilite à enseigner le zen ?
Mais cela suffit-il à donner des capacités pour
enseigner quoi que ce soit ? D’abord, un maître
zen est simplement maître de lui-même et non
des autres. Il doit également se passer une ren-
contre fusionnelle d’esprits face à face, inexpri-
mable, qui assure la continuité de Bouddha. En
ce sens, les maîtres du zen sont les passeurs de
cette dimension spirituelle. Leur enseignement
provient à la fois de leur expérience de vie, de
leur pratique spirituelle continue et de cette
transmission historique de Bouddha jusqu’à
eux-mêmes. Ils doivent porter la plus grande
attention à ne pas mélanger leurs considérations
personnelles à leur enseignement. Pour cela ils
sont seuls juges, car aucune autorité extérieure
n’est là pour les contenir, excepté les conseils du
maître qui les a confirmés. Les pratiquants eux-
mêmes peuvent alors profiter de cet enseignement
qu’ils mélangent intimement avec l’expérience
de leur propre vie.
Dans le bouddhisme et le zen existe la question
importante de l’éveil ou de l’illumination. Ce
fut l’expérience de Bouddha. Chacun dans sa
vie peut s’éveiller au monde, se sentir partie de
toutes choses et de l’humanité. C’est un phéno-
mène qui est à la fois immédiat et qui demande
d’atteindre un état de sagesse dans lequel il peut
se manifester spontanément. Ceci est à nouveau
l’expérience de chacun. S’ouvrir à la réalité de
sa vie, de soi-même, est un bonheur très grand.
Tout le monde peut l’atteindre et la pratique régu-
lière de zazen, pratique du corps-esprit, favorise
cette approche. Elle est en fait en elle-même une
découverte continue de notre être. n
« Le bouddhisme ne contient pas de dogmes, c’est une
pratique de vie, une expérience profonde de soi-même. »
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