866 Revue Médicale Suisse
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18 avril 2012
actualité, info
Dr Georges Conne
Avenue de la Gare 4
1030 Bussigny
Le retour en grâce du toucher rectal ?
avancée thérapeutique
Une étape majeure dans la lutte
collective contre le cancer de la
prostate vient, en France, d’être
franchie. Il s’agit de la publication
d’un rapport (on ne peut plus)
documenté par la Haute Autorité
de Santé (HAS).1 Cette jeune ins-
titution (destinée à éclairer, autant
que faire se peut, la puissance
publi que) conclut que rien ne
justi fie plus la poursuite de la
pratique (très répandue) consis-
tant à dépister de manière récur-
rente cette lésion cancéreuse à
partir d’un test sanguin. C’est là,
du moins peut-on l’imaginer, la
fin d’une méthode qui avait fait
naître de nombreux espoirs. C’est
aussi la prise en compte raisonnée
des limites (et des conséquences)
inhérentes à certaines approches
fondées sur la seule dimension
biologique du dépistage. C’est
enfi n le possible retour en grâce
d’une approche clinicienne et, en
l’espèce, celui d’un geste que l’on
pouvait tenir hier encore pour
défi nitivement obsolète. En atten-
dant de nouvelles et futures
décou vertes issues des cornues de
la biologie moléculaire, il semble
donc bien que le prostate-specific
antigen n’aura pas, en définitive,
eu la peau du toucher rectal.
Sans doute convient-il de moduler
ce qui pourra apparaître comme
trop abrupt. Et, pour mieux situer,
rappeler le contexte général. Dans
de nombreux pays, le cancer de la
prostate se situe au premier rang
des cancers incidents chez l’hom-
me et constitue une cause fré-
quente de décès par tumeurs. En
France, 71 220 cas incidents et
8685 décès par cancer de la pros-
tate ont été estimés pour 2011. «A
ce jour, il n’y a pas de démonstra-
tion robuste du bénéfice d’un
dépis tage du cancer de la prostate
par dosage de l’antigène spéci-
fique de la prostate (PSA) en
popu lation générale, que ce soit
en termes de diminution de la
mortalité ou d’amélioration de la
qualité de vie, rappelle la HAS.
Ainsi, aucun programme de dé-
pistage du cancer de la prostate
n’est recommandé en population
générale, en France comme aux
Etats-Unis, en Nouvelle-Zélande
ou au Royaume-Uni.»
En juin 2010, la HAS avait déjà
émis un avis sur le dépistage du
cancer de la prostate. Elle avait
alors indiqué qu’aucun élément
scientifique nouveau ne justifiait
de remettre en cause la position
actuelle de la France, comme des
autres pays, de ne pas recomman-
der la mise en place d’un dépistage
organisé en population générale
du cancer de la prostate par dosa ge
du PSA. Ceci n’interdit pas que
près de cinq millions de ces tests
soient pratiqués (et remboursés)
chaque année. Le ministère fran-
çais de la Santé avait toutefois
souhaité que soit conduite «une
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18 avril 2012 867
1 Ce document est accessible à l’adresse
suivante : www.datapressepremium.com/
RMDIFF/2005618/Rapport_orientation_
cancer_prostate_hommes_a_risque.pdf
2 Le chlordécone est un produit antipara-
sitaire qui a été longtemps utilisé en
Martinique et en Guadeloupe. Cette subs-
tance très stable a été détectée dans les
sols et peut contaminer certaines den-
rées d’origine végétale ou animale ainsi
que les eaux de certains captages. Des
hypothèses ont été émises quant au rôle
qu’il pourrait jouer dans la forte incidence
de cancer de la prostate dans ces deux
départements français.
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analyse de la situation particu-
lière posée par le cancer de la
prostate chez les hommes présen-
tant un "risque aggravé"». On sait
que l’on entend par là des «anté-
cédents familiaux», une origine
«ethnique», voire une exposition
à des agents cancérigènes parmi
lesquels le chlordécone.2 Ques-
tion : dans ces «sous-groupes»
une stratégie particulière de
dépis tage pourrait-elle présenter
un intérêt ?
On peut le dire autrement : y
aurai t-il un intérêt à dépister via
le dosage régulier du PSA des
hommes présentant un risque
aggra ? La HAS a notamment
pris en compte «les difficultés
atten dues à définir et à repérer des
popu lations à plus haut risque de
survenue de cancer de la prostate,
en raison de la connaissance
insuf fisante des interactions entre
ces facteurs de risque». «Les incer-
titudes scientifiques sur l’évolu-
tion clinique des différentes
formes d’atteinte tumorale de la
prostate» ainsi que «les limites
des examens de dépistage actuel-
lement disponibles, dosage san-
guin de l’antigène spécifique de
la prostate total couplé au toucher
rectal» font partie des éléments de
réflexion de même que «l’absence
à ce jour de marqueurs et d’exa-
men de dépistage ou de diagnostic
permettant d’identifier précoce-
ment les formes de cancer de la
prostate qui ont un risque d’évo-
luer de manière défavorable et de
les distinguer de celles dont la
lente évolution n’aura pas d’im-
pact sur la vie des patients».
Mais la HAS est allée plus loin
encore. Elle a pris en compte
«l’insuffisance des données pro-
bantes pour évaluer la balance
béné fice/risque d’un dépistage
des hommes plus à risque de
déve lopper un cancer de la pros-
tate, par exemple ceux avec un
antécédent familial de ce cancer» ;
ou encore, signe des temps, «le
fait que la prescription d’un dosa ge
sanguin du PSA est souvent plus
simple et plus rapide que l’expli-
citation des arguments pour ou
contre un dépistage compte tenu
du contexte de soins, de la norme
sociale, des positions de certains
professionnels de santé, de la
deman de de certains patients». Il
faut relire cette phrase ; une
phrase qui, à elle seule, vaudrait
bien des soirées de formation
médi cale continue (et, à la
réflexio n, également bien des
heures matina les de formation
médicale initiale…).
Au final, la HAS rappelle que,
conformément à ses précédents
avis, les connaissances actuelles
ne permettent pas de recomman-
der un dépistage systématique en
population générale du cancer de
la prostate par dosage du PSA. Et
il en va de même selon elle pour
les populations d’hommes à haut
risque. «En l’état actuel des
connaissances, des difficultés sont
identifiées pour définir et repérer
des populations masculines à
plus haut risque de développer
un cancer de la prostate» sou-
ligne-t-elle. Qui plus est «l’identi-
fication des groupes d’hommes
plus à risque de développer un
cancer de la prostate ne suffit pas,
à elle seule, à justifier un dépis-
tage» et «il n’a pas été retrouvé
d’éléments scientifiques permet-
tant de justifier un dépistage du
cancer de la prostate par dosage
du PSA dans des populations
masculines considérées comme
plus à risque de cancer de la
prosta te».
On ajoutera bien évidemment les
risques de résultats faussement
positifs, ceux inhérents aux biop-
sies de confirmation diagnostique
(risque d’infections, de rétention
urinaire, possibilité de faux néga-
tifs) et enfin les conséquences
physiques et psychologiques liées
aux traitements (impuissance
sexuelle, incontinence urinaire,
troubles digestifs). La HAS n’en
souligne pas moins l’importance
de la recherche sur de futurs tests
de dépistage plus performants
que ceux actuellement utilisés
ainsi que sur des marqueurs per-
mettant à l’avenir de distinguer (à
coup sûr) les formes agressives
des formes indolentes de cancer
de la prostate.
Plus important encore peut-être,
la HAS insiste, dans de telles
conditions, sur «l’importance de
l’information à apporter aux
hommes envisageant la réalisa-
tion d’un dépistage individuel du
cancer de la prostate». Où l’on
revie nt aux étroites limites des
seuls résultats chiffrés, à la nécessité
d’échanges autres que superficiels
entre le médecin et son patient ;
de même qu’à la nécessité réaffir-
mée de la pratique du toucher
rectal ?
Jean-Yves Nau
jeanyves.nau@gmail.com
Sourec : Wikimedia Commons/LDD
Structure 3D de l’antigène scifique
de la prostate avec son substrat
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