« Quant à la médecine […] je dis que l’objet est en général d’écarter les souffrances des
malades et de diminuer la violence des maladies, tout en s’abstenant de toucher à ceux
chez qui le mal est le plus fort ; cas placé, comme on doit le savoir, au-delà des ressources
de l’art […]
Je commence par un point que tous m’accorderont, c’est que, parmi les malades traités
par la médecine, quelques-uns guérissent ; non pas tous ; et c’est justement le reproche
qu’on lui adresse […]
Ici, l’adversaire objectera que bien des malades ont guéri sans l’intervention du
médecin. Je n’en disconviens pas ; mais il se peut, ce me semble, que, même sans
médecin, ils aient usé de la médecine. »
Hippocrate de Cos (Vesiècle av. J.-C.), De l’art. Fondements.
In : De l’art médical, traduction d’Émile Littré,
Le Livre de poche, 1994.
Définitions
Nous devons, avant d’entreprendre une discussion polémique concernant ce sujet,
définir quelques termes étant utiles à l’argumentation qui suit.
Indications
Cas où une médication, un traitement est utile, indiqué. Il s’agit du troisième sens
du mot (sens médical) dans la dernière édition du Grand Robert qui cite également
Ambroise Paré accordant historiquement à ce terme un sens sémiologique syno-
nyme de symptôme et non une orientation thérapeutique (1). La confusion persiste
peut-être encore de nos jours entre « candidats » à un traitement néo-adjuvant et
« bénéficiaires », d’où l’intérêt de cette définition.
Les indications « standards »
et « non standards » des traitements
néo-adjuvants
J. Gligorov, P. Debourdeau, O. Arsovski, V. Todorovic, S. Uzan
et J.-P. Lotz
Standards
Le même Grand Robert nous apprend que l’étymologie probable de ce mot est le
francique « standhard », qui pourrait donc signifier « tenir solidement », apportant
à ce terme une notion d’inébranlable (1). Logiquement, cette racine a également
donné naissance au mot étendard. C’est la première notion que nous reprendrons
dans l’exposé au sens « d’acquis indiscutables » permettant de mieux s’attacher aux
« non-standards » ou acquis futurs potentiels. Les « non-standards » ne seront pas
non plus envisagés dans cet exposé comme une option, une recommandation ou
une contre-indication au sens de la méthodologie de la Fédération nationale des
centres de lutte contre le cancer (2), mais comme, soit une mauvaise indication de
traitement, soit une voie de recherche clinique d’intérêt.
Néo-adjuvant
Il s’agit d’un néologisme issu du mot adjuvant. Or ce dernier se définit par rapport
au geste loco-régional anti-tumoral incluant donc la chirurgie et la radiothérapie.
Le préfixe néo- peut être ici interprété, comme ce fut le cas historiquement (3, 4)
comme une nouvelle forme de traitement adjuvant excluant le geste chirurgical
loco-régional qui fut remplacé par une radiothérapie exclusive quasi systématique-
ment. Cette approche était justifiée par le fait que ce traitement s’adressait à des
tumeurs considérées pour la majorité d’entre elles comme localement avancées,
inopérables et probablement déjà métastatiques (5, 6).
En ce qui concerne l’évolution « clinique » du concept de traitement néo-adju-
vant, le préfixe néo- pourrait être remplacé par pré-, afin de bien définir cet acte
thérapeutique systémique comme indissociable du traitement loco-régional
optimal comportant la chirurgie et souvent la radiothérapie et n’excluant pas donc
la possibilité d’un traitement adjuvant éventuellement différent (au sens classique
de sa définition). Il est d’ailleurs intéressant de constater que, dans la plupart des
essais thérapeutiques actuels, le néo-adjuvant a effacé l’adjuvant tout court. Les
Anglo-Saxons préfèrent au terme de néo-adjuvant le terme de traitement systé-
mique pré-opératoire ou premier, afin de bien définir ce geste par rapport au temps
chirurgical essentiel (7, 8).
Traitements
Nous considérerons ici l’ensemble des médications systémiques mises en œuvre,
incluant donc par ordre de fréquence et de niveau de preuve d’intérêt clinique dans
le traitement du cancer du sein : la chimiothérapie, les traitements anti-hormonaux
et les traitements ciblés non hormonaux et non chimiothérapiques.
278 Cancer du sein
Indications standards des traitements néo-adjuvants
Les indications standards des traitements néo-adjuvants correspondent historique-
ment aux cancers non opérables carcinologiquement d’emblée (cancers du sein
localement avancés et cancers inflammatoires), puis, dans un second temps, aux
cancers opérables d’emblée, mais nécessitant une mastectomie. Dans ces deux cas,
l’objectif du traitement néo-adjuvant est différent :
– objectif carcinologique, en rendant un cancer du sein « opérable » et permettant
un meilleur contrôle local et général, avec un impact espéré positif sur la survie ;
objectif esthétique, en réduisant la taille tumorale et permettant une chirurgie
conservatrice pour de grosses tumeurs sans impact négatif sur la survie.
Les tumeurs inopérables carcinologiquement d’emblée
Cancers du sein localement avancés
Chimiothérapie
La définition de ces cancers correspond aux lésions de plus de 5 cm ou atteignant la
peau ou la paroi, ou avec un envahissement ganglionnaire axillaire fixé ou sus/sous
claviculaire, soit les lésions T3-T4 et/ou N2-N3 (9). Deux arguments essentiels ont
amené l’approche néo-adjuvante dans ce type de lésions :
le traitement chirurgical local est techniquement possible, mais 80 % des patientes
ayant eu historiquement une intervention chirurgicale première dans cette indi-
cation étaient décédées à dix ans (5, 10) ;
– la chimiothérapie adjuvante amène une réduction du taux de récidive et de mor-
talité liée au cancer du sein identique dans tous les sous-groupes pronostiques
(degré d’envahissement ganglionnaire et taille tumorale) (11).
Même si l’intérêt de la chimiothérapie adjuvante dans les formes avancées de cancer
du sein n’a été démontrée que tardivement (12), les premiers résultats des traite-
ments néo-adjuvants de ces cancers ont été publiées par l’équipe de Milan il y a
maintenant plus de vingt-cinq ans (13), témoignant de la logique de cette approche.
Les patientes porteuses de maladie localement avancée bénéficient d’un traitement
systémique par chimiothérapie et, de ce fait, l’approche néo-adjuvante est justifiée
afin également d’améliorer la qualité de la prise en charge locale. Toutefois, on note
que la stadification initiale de la maladie ne pourra dans ce cas qu’être clinique et,
par conséquent, nécessite une preuve diagnostique anatomo-pathologique.
Les résultats des premiers essais thérapeutiques à base d’anthracyclines ont
retrouvé des taux de réponse clinique dans 60 à 80 % des cas, avec des réponses la
plupart du temps similaires dans la tumeur primitive et les ganglions. Le taux de
réponse clinique complète était estimé entre 10 et 20 % dans ces essais, et les taux
de réponses anatomo-pathologiques complètes de 8 à 33 % (pour des effectifs éva-
lués réduits) (14). Le problème des modalités optimales de ce traitement reste tou-
tefois entier (nature des agents utilisés, nature du traitement loco-régional, durée
Les indications « standards » et « non standards » des traitements… 279
280 Cancer du sein
« optimale » du traitement d’induction, intérêt d’un traitement « adjuvant » post-
chirurgical). On note uniquement dans l’étude de Lippman (ne portant que sur
51 patientes !), que la durée médiane de traitement avant obtention d’une réponse
complète clinique était de cinq cycles et la durée moyenne avant obtention d’une
réponse partielle de quatre cycles (15). Il s’agit d’une notion importante car si la chi-
miothérapie néo-adjuvante est indiquée dans les formes localement avancées de
cancer du sein, elle ne doit pas retarder le traitement loco-régional en cas de non-
réponse et, surtout, de progression. Poursuivre au-delà de trois mois un traitement
qui ne marche pas n’est pas justifié et ne pas envisager le traitement loco-régional
en cas de progression non plus. L’objectif d’un traitement néo-adjuvant est de per-
mettre au mieux l’expression des bénéfices apportés par le traitement loco-régional
(amélioration du contrôle local pré-opératoire et action sur les micro-métastases).
L’évaluation de la réponse complète histologique, tant au niveau du site tumoral
que du site ganglionnaire, est apparue comme un élément de comparaison essentiel
entre les différents régimes de chimiothérapie. L’obtention d’une réponse complète
histologique après traitement néo-adjuvant est un facteur de meilleur pronostic et
est statistiquement, fortement corrélé à la survie (16-18).
L’intérêt des taxanes a également été évalué, soit dans des essais de phase 2
(monothérapie, ou association avec anthracyclines), soit dans des essais de phase 3
(comparaison de schémas à base d’anthracyclines avec ou sans taxanes).
Ces essais sont hétérogènes quant aux critères d’inclusion (stade de la maladie et
caractères biologiques de la tumeur). Il semble toutefois que :
l’adjonction de taxanes améliore le taux de réponse cliniques et histologiques
complètes (17-19) ;
le schéma séquentiel (à pleine dose toutes les trois semaines) semble préférable
(taux de réponse complète histologique pouvant atteindre 30 %) (17, 18, 20, 21) ;
le schéma hebdomadaire semble préférable en cas d’utilisation du paclitaxel (taux
de réponse complète histologique de l’ordre de 30 %) (22).
Tout concourt en fait vers la validation d’un schéma permettant l’administration
optimale de la dose, de la fréquence et de la séquence de chimiothérapie.
Traitements anti-hormonaux
En ce qui concerne le traitement systémique anti-hormonal, il est indiqué chez
toutes les patientes porteuses de cancer ayant des récepteurs hormonaux positifs.
Toutes les patientes avec un cancer du sein localement avancé sont également can-
didates à une chimiothérapie, et de ce fait la question posée n’est pas de savoir s’il
faut choisir entre chimiothérapie et/ou traitement anti-hormonal, mais selon quelle
séquence. Les comparaisons indirectes de ces deux méthodes semblent indiquer une
nette supériorité de la chimiothérapie en terme de taux de réponse clinique et his-
tologique sans toutefois prendre en considération des critères de non-réponse à la
chimiothérapie adjuvante et des critères forts de réponse aux traitements anti-hor-
monaux (14). On rappellera, dans l’étude de l’institut Bergonié ayant évalué le
tamoxifène en situation néo-adjuvante, que parmi les 200 patientes traitées, la
moitié de la population avait initialement une tumeur T4. Avec un recul médian de
Les indications « standards » et « non standards » des traitements… 281
quatre-vingt-trois mois, 50 % de cette population est en vie sans récidive métasta-
tique, ce qui témoigne de l’intérêt du traitement anti-hormonal dans cette popula-
tion, mais ne permet pas, bien évidemment, de conclure quant à son intérêt
exclusif (23).
Cancers du sein inflammatoires
Le cancer du sein inflammatoire a été décrit initialement en 1814 (24) ; cent ans plus
tard, la première « série » décrite de cancer du sein inflammatoire retrouvait chez
45 patientes opérées une seule survivante sans maladie à cinq ans (25), posant déjà
le principal problème pronostique de cette forme : la maladie métastatique.
L’utilisation de la chimiothérapie est de ce fait apparue évidente aux yeux des cli-
niciens et, là encore, l’équipe de Milan a été l’une des premières (26).
Les expériences publiées sont paradoxalement peu nombreuses, du fait proba-
blement de l’incidence limitée de la maladie, mais également des modifications suc-
cessives de régime rendant l’exploitation des résultats difficiles. Les équipes fran-
çaises ont exploré des schémas classiques et des schémas d’intensité de dose avec
support de cellules souches hématopoïétiques (tableau 1).
Les taux de réponses cliniques et histologiques obtenues, ainsi que l’améliora-
tion indiscutable de la survie par rapport aux séries historiques de patientes traitées
uniquement avec un traitement loco-régional, témoignent de l’intérêt indiscutable
de cette approche dans cette indication. Elle paraît si évidente qu’aucun essai n’est
envisageable, comparant une approche néo-adjuvante à une approche adjuvante
dans cette indication.
Tableau 1 - Expériences françaises publiées dans la prise en charge des cancers inflamma-
toires par chimiothérapie néo-adjuvante.
Auteurs Nombre Traitement Taux RC Réponse anatomo- Survie
de patientes (complète) pathologique
Rouesse J 91 AVM et RT, 68 % (41 %) Non opérées 44 % à 4 ans
et al. (27) puis VCF
79 AVCMF et RT, 80 % (54 %) Non opérées 66 % à 4 ans
puis VCF
Jacquillat C 67 AVeMTFP NA NA 62 % à 4 ans
et al. (4)
Chevallier B 45 FEC-HD 95 % (29 %) 25,6 % NA
et al. (28) (/39 patientes)
Palangie T 223 3 régimes successifs NA NA 41 % à 5 ans
et al. (29)
Viens P 95 AC, C, ACF x 2 90 % 32 % NA
et al. (30) HD avec SH (/86 patientes)
RT : radiothérapie ; A : adriamycine ; V : vincristine ; M : méthotrexate ; C : cyclophosphamide ; F : 5-fluoro-uracile ;
Ve : vinblastine ; T : thiotepa ; P : prednisone ; E : epirubicine ; HD : haute dose ; SH : support hématopoïétique.
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