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DOSSIER THÉMATIQUE
Sexualité et cancers féminins
Chirurgie cancérologique
gynécologique :
conséquences sur la sexualité
Surgery in gynecologic oncology: impact on sexuality
V. Fourchotte 1
L
a chirurgie gynécologique a des conséquences
anatomiques “directes” sur certains des
organes de la sexualité. La chirurgie s’associe
souvent à la radiothérapie et/ou à la chimiothérapie, qui ont également des conséquences sur les
tissus pelviens.
Le problème de la sexualité est rarement abordé
avant la chirurgie, le pronostic de la maladie étant
au premier plan.
Contexte en fonction du cancer
gynécologique
Service de chirurgie, Institut Curie,
Paris.
1
Cancer de l’ovaire
Il concerne les femmes de tous âges. Il est le plus
souvent diagnostiqué à un stade avancé, et met en
jeu le pronostic vital. Le problème de la sexualité
n’est que rarement abordé au début de la prise en
charge. La chirurgie est lourde, ses suites peuvent
l’être également. La chirurgie a des conséquences
sur l’image corporelle (cicatrice xiphopubienne,
éventuelles stomies digestives), la chimiothérapie
également (prise de poids, perte des cheveux, bouffissure du visage, etc.).
Cancer du col de l’utérus
Cancer de l’endomètre
Les femmes prises en charge pour un cancer du col
sont jeunes (âge médian de 50 ans) et sont sexuellement actives. La chirurgie s’associe le plus souvent
à la radiothérapie.
Les conséquences des techniques chirurgicales
actuelles ne se “voient pas forcément à l’extérieur”,
la cœlioscopie étant largement utilisée dans ces
cancers.
La chirurgie (et/ou l’irradiation) induit de plus le
plus souvent une ménopause brutale, s’ajoutant aux
conséquences anatomiques de la chirurgie.
Dans le col de l’utérus, le problème de la sexualité
est souvent abordé avant la chirurgie ; le plus souvent
les patientes, jeunes, sont très concernées.
Les conséquences anatomiques de la chirurgie sont
plus ou moins lourdes selon la radicalité du geste,
qui va de la conisation à la pelvectomie.
Il concerne des femmes plus âgées (âge médian
65 ans), le plus souvent ménopausées. Les patientes
veuves sont plus nombreuses. Les facteurs de comorbidité sont fréquents (HTA, diabète, pathologies
cardiaques, prothèse de hanche bilatérale) et plus
ou moins graves, ce qui relègue souvent la question
de la sexualité au second plan, bien que celle-ci reste
un problème pour de nombreuses patientes.
La voie d’abord cœlioscopique est privilégiée, car
elle diminue la rançon cicatricielle.
402 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 8 - octobre 2009
Cancer de la vulve
Il concerne le plus souvent des femmes âgées mais
peut survenir chez des femmes jeunes. La vulve est
un organe sexuel visible directement impliqué dans
Résumé
Les thérapeutiques des cancers gynécologiques, en particulier chirurgicales, ont des conséquences directes
ou indirectes (hormonales, psychologiques) sur la sexualité des femmes. La chirurgie est autant que possible
de plus en plus conservatrice et de plus en plus esthétique, aidant à diminuer les séquelles sexuelles. Dans
la plupart des cas, on peut aider les femmes à retrouver une sexualité satisfaisante, en expliquant que les
troubles post-thérapeutiques sont rarement définitifs. Des thérapeutiques spécifiques comme la kinésithérapie, la consultation de sexologie, la consultation de psychologie sont également utiles.
le plaisir. La chirurgie vulvaire peut comporter une
ablation du clitoris. L’image corporelle est extrêmement altérée. Les suites chirurgicales sont le plus
souvent compliquées et longues. Le geste chirurgical
doit être le plus conservateur possible. On privilégie la vulvectomie partielle et le prélèvement du
ganglion sentinelle.
Chirurgie gynécologique prophylactique
(annexectomie bilatérale)
Généralement, les patientes sont jeunes et
non ménopausées. La chirurgie prophylactique
mammaire peut être associée à la chirurgie gynécologique prophylactique. La chirurgie a le plus souvent
lieu par cœlioscopie, et n’entraîne pas directement
de cicatrices visibles ; ce qui ne veut pas dire qu’il
n’y a pas de conséquences sur l’image corporelle
(surtout en cas de mastectomie prophylactique
associée). Elle entraîne une ménopause brutale.
L’acte chirurgical
a-t-il des conséquences
sur la sexualité ?
Signes cliniques rapportés
par les patientes après chirurgie utérine
cancérologique
Après chirurgie utérine cancérologique, les patientes
rapportent les signes cliniques suivants :
➤➤ une absence ou une baisse de désir, probablement multifactorielle, et également influencée par
les traitements associés (radiothérapie, chimio­
thérapie) et la ménopause brutale éventuelle ;
➤➤ une sécheresse vaginale, liée à la ménopause
et aggravée par la curiethérapie et/ou l’irradiation
externe ;
➤➤ un rétrécissement et/ou un raccourcissement du
vagin, directement liés à la chirurgie, et aggravés par
la curiethérapie et/ou l’irradiation externe ;
➤➤ une dyspareunie profonde ou superficielle,
aggravée par la curiethérapie et/ou l’irradiation
externe ;
➤➤ une diminution de la sensibilité vulvaire, aggravée
par la curiethérapie et/ou l’irradiation externe ;
➤➤ une insatisfaction sexuelle.
Hystérectomie totale versus subtotale :
y a-t-il une différence ?
Dans la littérature scientifique, on ne retrouve pas
de différence selon que lors de l’acte chirurgical l’on
garde ou non le col (1-3).
Les magazines féminins vont bon train sur le sujet :
n’allant pas toujours dans le même sens, ils influencent les idées des médecins et des femmes.
On peut conclure qu’il n’y pas d’intérêt, sur le plan
sexuel, à garder le col dans les hystérectomies.
Satisfaction sexuelle
après hystérectomie (3)
Dans cette étude portant sur 319 femmes, on n’observe pas de différence en ce qui concerne le désir,
la fréquence des rapports, celle des orgasmes, la
satisfaction éprouvée à l’égard de sa vie sexuelle et
la dyspareunie.
Les facteurs influençant la satisfaction sexuelle après
la chirurgie sont la satisfaction sexuelle avant l’opération, une bonne relation de couple, le bien-être
physique général, la prise ou non d’un traitement
hormonal substitutif (THS). Certains facteurs s’améliorent avec le temps, comme la dyspareunie. A priori,
la chirurgie “non élargie” n’altère pas la sexualité.
Mots-clés
Chirurgie
Oncologie
gynécologique
Sexualité
Highlights
Surgical treatment in gynecolgic oncology have direct
consequences on sexuality.
They have also indirect consequences like hormonal effects
and psychologic effects. Surgery
is more and more conservative,
and less and less invasive (less
visible scar), and may improve
sexual sequelae. In most of the
cases, women recover a satisfaying sexuality. Doctors may
explain to the patients that
troubles are usually reversible. Sometimes physiotherapy,
sexology, and psychology
advices are useful.
Keywords
Surgery
Gynecologic oncology
Sexuality
Satisfaction sexuelle
après hystérectomie élargie (4)
L’état de 94 femmes après opération a été comparé à
l’état de ces mêmes femmes avant chirurgie et à celui
de 224 femmes contrôles. Il s’agissait de stades I et IIA.
Les femmes ayant eu une chirurgie élargie décrivaient plus de sécheresse vaginale, plus de sensation de vagin court ou rétréci, plus de diminution
de la sensibilité vulvaire, plus de dyspareunie, plus
de non-satisfaction sexuelle. On peut donc penser
que la chirurgie “élargie” altère la sexualité.
La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 8 - octobre 2009 | 403
DOSSIER THÉMATIQUE
Sexualité et cancers féminins
Chirurgie cancérologique gynécologique : conséquences sur la sexualité
Satisfaction sexuelle après vulvectomie
Il s’agit de l’ablation d’un organe externe directement
impliqué dans le plaisir féminin. L’image corporelle
est extrêmement altérée. Une étude rapporte que,
pour un tiers des femmes ayant eu une vulvectomie,
les troubles sexuels sont un problème majeur. Dans
tous les cas, il s’agissait de femmes de moins de
65 ans (5). La chirurgie vulvaire altère donc directement la sexualité.
Satisfaction sexuelle
après annexectomie bilatérale
L’annexectomie bilatérale n’a pas de conséquence
sur la statique pelvienne ni sur l’image externe du
corps. Mais elle entraîne une ménopause brutale.
Les patientes expriment des angoisses avant la
chirurgie. Elles ont peur d’être asexuées, castrées, diminuées, et de perdre leur féminité : “Je ne serai plus une
femme”. Elles expriment également des sentiments de
culpabilité : “sexe” versus “intervention qui sauve la vie”.
Dans cette intervention prophylactique, la chirurgie
altère la sexualité en raison ce de qu’elle représente
symboliquement et de la ménopause.
Satisfaction sexuelle après pelvectomie
et chirurgies avec stomies
L’image corporelle est très altérée dans ces chirurgies
supraradicales. Les études sur la présence de stomies
retrouvent 50 % de non-satisfaction sexuelle. Il n’y
a pas d’études spécifiques portant sur les pelvectomies et les stomies dans les cancers gynécologiques. Les autres problèmes de premier plan sont
le pronostic vital, la qualité de vie professionnelle
et quotidienne, etc.
Cette intervention prophylactique altère elle aussi
la sexualité étant donné ce qu’elle symbolise et du
fait de la ménopause qu’elle entraîne.
Autres conséquences délétères
de la chirurgie : les cicatrices
Une étude a comparé “cicatrice médiane xiphopubienne” versus pas de cicatrice visible (6) chez
84 femmes ayant un cancer de l’endomètre de stade
précoce randomisées entre cœlioscopie et laparotomie. La qualité de vie (y compris sexuelle) est en
faveur de la cœlioscopie.
404 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 8 - octobre 2009
Autres conséquences délétères
de la chirurgie : les complications
Certaines complications peuvent avoir des conséquences sur la vie sexuelle des femmes et de leur
partenaire, comme le lâchage de suture vaginale
après un rapport, des saignements vaginaux importants après une hystérectomie, une conisation ou
un lâchage de suture vulvaire.
Un lymphœdème des membres inférieurs ou des
cicatrices disgracieuses peuvent altérer l’image
corporelle des femmes et leur sexualité.
Autres conséquences délétères
de la chirurgie
La chirurgie peut d’autant plus altérer la sexualité
qu’elle est large. Certaines interventions n’ont pas
de conséquences directes, comme la conisation ou
l’hystérectomie simple (totale ou subtotale) ; en
revanche, d’autres interventions ont des conséquences directes sur la sexualité, comme la colpohystérectomie élargie, les exentérations pelviennes,
et les vulvectomies, ainsi que la présence de stomies.
Les conséquences indirectes, comme la ménopause
chirurgicale, altèrent également la sexualité. Mais
d’autres éléments entrent en jeu.
La radiothérapie entraîne également des troubles
sexuels. M. Frumovitz a comparé 37 femmes traitées
par chirurgie seule à 37 femmes traitées par radiothérapie seule et à 40 contrôles (7). La qualité de
vie sexuelle était moins bonne dans le groupe radiothérapie seule. Les femmes ayant eu une chirurgie
seule avaient une qualité de vie sexuelle identique
à celles du groupe contrôle.
La chimiothérapie peut entraîner des changements
physiques, une prise de poids, une neuropathie ;
etc. La présence d’une chambre implantable a des
conséquences esthétiques et psychologiques non
négligeables. Les facteurs personnels sont très
importants : partenaire, type de sexualité, vie de
couple antérieure ; les facteurs psychologiques tels
que l’image de soi ou le sentiment d’avoir perdu sa
féminité sont au premier plan.
Quid du partenaire ?
La chirurgie chez la femme altère-t-elle la vie
sexuelle du (de la) partenaire ?
Chez le (la) partenaire, on retrouve la peur de faire
mal, ou de faire saigner. Nous n’avons pas de données
DOSSIER THÉMATIQUE
relatives aux sensations, chez le (la) partenaire, après
les traitements chirurgicaux. Il peut exister une perte
du désir pour une femme devenue “moins attirante”.
Il n’y a pas d’études concernant la sexualité du(de
la) partenaire.
Que proposer ?
Sur le plan chirurgical
Les techniques évoluent vers des chirurgies de plus
en plus respectueuses de l’anatomie fonctionnelle,
qui laissent de moins en moins de cicatrices visibles.
Le chirurgien doit s’attacher à expliquer l’anatomie
fonctionnelle aux patientes. La notion de troubles
“non définitifs” est importante, et le chirurgien doit
l’exposer à la patiente.
Pour les patientes porteuses de stomies, des conseils
vestimentaires et techniques (vider les poches de
stomie, adopter des positions adaptées) sont utiles.
Dans tous les cas, le but est d’aider les femmes à se
réapproprier leur nouveau corps.
Lutte contre les symptômes
Il existe des traitements locaux efficaces contre
la sécheresse vaginale. On utilisera les gels lubri-
fiants et les ovules, en alternance. Le THS peut
être prescrit en cas d’absence de contre-indication carcinologique. Le traitement de la douleur
et de la dyspareunie est essentiel. La dyspareunie,
multifactorielle, est notamment liée à la fibrose,
au changement d’axe et de taille du vagin et à la
sécheresse vaginale. La kinésithérapie pelvienne
et périnéale, l’ostéopathie et l’utilisation de dilatateurs vaginaux sont efficaces.
L’existence d’un vaginisme post-thérapeutique
peut nécessiter une thérapie par un sexologue. La
dépression post-thérapeutique devra être traitée.
La prise de poids devra être prise en charge. Il
faut également aider la femme à retrouver son
pouvoir de séduction (soins esthétiques, vêtements
adaptés).
La chirurgie carcinologique gynécologique altère la
sexualité, encore plus si elle est associée à d’autres
traitements.
Il faut rassurer les patientes et leur partenaire
avant et après la chirurgie, expliquer, répondre
aux questions.
La prise en charge est multidisciplinaire, mettant
en jeu la consultation et l’hospitalisation, les intervenants à l’hôpital et en ville. Elle fait intervenir
des médecins, des paramédicaux et également
des non-médicaux. Elle peut nécessiter une prise
en charge spécifique par des spécialistes de la
sexualité.
■
Références bibliographiques
1. Gimbel H. Total or subtotal hysterectomy for benign
uterine diseases? A meta-analysis. Acta Obstet Gynecol
Scand 2007;86(2):133-44.
2. Lethaby A, Ivanova V, Johnson NP. Total versus subtotal
hysterectomy for benign gynaecological conditions.
Cochrane Database Syst Rev 2006;(2):CD004993.
3. Zobbe V, Gimbel H, Andersen BM et al. Sexuality after
total vs. subtotal hysterectomy. Acta Obstet Gynecol Scand
2004;83(2):191-6.
4. Pieterse QD, Maas CP, ter Kuile MM et al. An observational
longitudinal study to evaluate miction, defecation, and sexual
function after radical hysterectomy with pelvic lymphadenectomy for early-stage cervical cancer. Int J Gynecol
Cancer 2006;16(3):1119-29.
6. Zullo F, Palomba S, Russo T et al. A prospective randomized comparison between laparoscopic and laparotomic approaches in women with early stage endometrial
cancer: a focus on the quality of life. Am J Obstet Gynecol
2005;193(4):1344-52.
5. Janda M, Obermair A, Cella D et al. Vulvar cancer patients’
quality of life: a qualitative assessment. Int J Gynecol Cancer
2004;14(5):875-81.
7. Frumovitz M, Sun CC, Schover LR et al. Quality of life and
sexual functioning in cervical cancer survivors. J Clin Oncol
2005;23(30):7428-36.
La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 8 - octobre 2009 | 405
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