Du nouveau pour le cancer de la thyroïde ! dossier thématique Les thérapies ciblées par inhibiteurs de l’oncogène B-Raf pour les cancers thyroïdiens réfractaires B-Raf inhibitors in refractory thyroid carcinomas »»La découverte des mutations activatrices de l’oncogène B-Raf dans les cancers thyroïdiens a ouvert des perspectives thérapeutiques pour les cancers réfractaires. »»Les études in vitro ainsi que les premiers essais thérapeutiques avec des inhibiteurs de B-Raf ont montré des résultats prometteurs. »»Les inhibiteurs spécifiques de la forme mutée de l’oncogène B-Raf restent à évaluer dans le cancer de la thyroïde. Highlights P o i nt s f o rt s Lionel Groussin* Mots-clés : Thérapie ciblée - Oncogène B-Raf - Cancer thyroïdien réfractaire. L a voie des Mitogen Activated Protein Kinase (MAPK) est très fréquemment impliquée dans la survenue des cancers thyroïdiens de type papillaire. On considère à l’heure actuelle qu’une anomalie moléculaire impliquant un acteur de cette voie peut être identifiée dans 70 à 80 % des cancers papillaires. Ces anomalies sont le plus souvent mutuellement exclusives (une seule anomalie est présente au sein d’un cancer donné). Elles ont pour conséquence commune l’activation constitutive de cette voie de signalisation, importante pour la prolifération tumorale. Ce caractère exclusif des anomalies autorise le ciblage spécifique par un inhibiteur pharmacologique de l’anomalie présente dans le cancer (1). Rôle clé de la voie des MAPK dans les cancers thyroïdiens Les 3 anomalies de la voie identifiables sont soit des réarrangements chromosomiques radio-induits (RET/ The discovery of B-Raf activating mutations in thyroid carcinomas could open up new therapeutic solutions. In vitro studies and early clinical trials with B-Raf inhibitors has shown promising results. Specific mutated B-Raf inhibitors should now enter clinical trials for refractory thyroid carcinomas. Keywords: Targeted therapy - B-Raf oncogene - Refractory thyroid carcinoma. PTC pour la plupart), soit des mutations ponctuelles activatrices des oncogènes Ras (H-Ras, K-Ras ou N-Ras) ou B-Raf (2). L’oncogène B-Raf est impliqué dans environ la moitié des cancers papillaires. Il s’agit de l’anomalie la plus fréquente. Les mutations de B-Raf sont spécifiques des cancers papillaires (non observées dans les tumeurs bénignes ou les autres types histologiques de cancer de la thyroïde). Environ 25 % des cancers anaplasiques sont porteurs d’une mutation de B-Raf. Il existe une mutation dite “hot spot” (la mutation V600E) correspondant à plus de 98 % des mutations identifiées. Cette mutation est située dans le domaine catalytique et, par un changement de conformation, est responsable d’une activité constitutive. En termes de comportement tumoral, il est établi qu’une tumeur porteuse d’une mutation de B-Raf, par rapport à une tumeur porteuse d’une autre anomalie de la voie des MAPK, présente un plus grand risque de dissémination ganglionnaire et d’invasion locale (3). Ces données sur l’implication fréquente de la voie des MAPK et en particulier de B-Raf dans les cancers papil- Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVI - n° 7 - septembre 2012 * Service d’endocrinologie et maladies métaboliques, hôpital Cochin, Paris. 195 Du nouveau pour le cancer de la thyroïde ! dossier thématique laires ont conduit à vouloir tester l’efficacité thérapeutique d’inhibiteurs pharmacologiques de cette voie. Validation des inhibiteurs de l’oncogène B-Raf in vitro et sur des modèles animaux Avant d’envisager des essais thérapeutiques chez l’homme, il est nécessaire de valider ces stratégies sur des modèles de culture cellulaire in vitro et des modèles animaux. Plusieurs équipes ayant mené des études sur des lignées cellulaires dérivant de cancers thyroïdiens ont mis en évidence l’efficacité d’un inhibiteur de la voie des MAPK ciblant la protéine kinase MEK (kinase cible de B-Raf : Ras BRaf MEK ERK) dans la diminution de la prolifération cellulaire (4). De façon intéressante, il a été mis en évidence que les lignées néoplasiques porteuses d’une mutation de B-Raf étaient les plus sensibles à ce type d’inhibiteur (5-7). Cela suggère que la prolifération tumorale en cas de mutation de B-Raf est sous une forte dépendance de la voie des MAPK, par opposition à d’autres voies impliquées classiquement en cancérogenèse. Dans un second temps, plusieurs études in vitro à partir de lignées cellulaires dérivant de cancers thyroïdiens ont montré l’efficacité d’inhibiteurs ciblant l’oncogène B-Raf (8). Un inhibiteur non spécifique de B-Raf, le sorafénib, avait montré son efficacité antitumorale sur des lignées humaines de cancers de la thyroïde (9, 10). Cet effet antiprolifératif du sorafénib a été confirmé sur des modèles murins de xénogreffes de lignées cellulaires dérivant de carcinomes anaplasiques (11). Un inhibiteur spécifique de l’oncogène B-Raf dans sa forme mutée, le vémurafénib (PLX4032, ou RG7204), a également prouvé qu’il est capable d’inhiber spécifiquement la prolifération de lignées porteuses d’une mutation de B-Raf (12-14). D’autres inhibiteurs spécifiques de la forme mutée de l’oncogène B-Raf sont en cours de développement, comme par exemple le CEP-32496 (15). Pour ce qui est des modèles animaux, les données sont détaillées dans l’article de Camille Buffet (lire p. 190). Il faut simplement souligner que, dans un modèle récent de souris transgénique, il a été suggéré qu’un inhibiteur spécifique de B-Raf muté pouvait permettre aux cellules néoplasiques de capter à nouveau l’iode radioactif (16). Ces études semblent valider le concept d’addiction oncogénique pour les tumeurs papillaires porteuses d’une mutation de B-Raf : un cancer porteur d’une mutation de cet oncogène reste sous la dépendance de cette anomalie moléculaire, même à un stade tardif après la survenue d’événements moléculaires secondaires. 196 Les essais cliniques Parmi les inhibiteurs de B-Raf étudiés sur des modèles in vitro, le sorafénib (inhibiteur non spécifique de B-Raf, capable d’inhiber également le récepteur du VEGF) a pu être testé chez 41 patients ayant un cancer réfractaire de la thyroïde en progression lors d’un essai de phase II (17). Selon les critères RECIST (Response Evaluation Criteria in Solid Tumors), une réponse partielle a été observée chez 15 % des patients et une stabilisation de la maladie de plus de 6 mois chez 56 %. Ces données ont conduit à la réalisation d’un essai de phase III contre placebo avec crossover (étude DECISION), ayant fini d’inclure 380 patients atteints d’un cancer réfractaire en progression. Les résultats sont attendus en 2012 (18). Concernant le vémurafénib, un essai de phase II est en cours aux États-Unis ; il inclut des patients ayant un cancer réfractaire, pour lesquels la mutation de l’oncogène B-Raf a pu être identiée sur du matériel tumoral (essai NCT01286753). Les phénomènes de résistance aux thérapies ciblées Pour comprendre les stratégies d’inhibition ciblée de l’oncogène B-Raf, il est nécessaire de garder à l’esprit les similitudes entre le cancer thyroïdien et le mélanome malin. En effet, ce dernier présente également des mutations activatrices de B-Raf mutuellement exclusives dans environ 50 % des cas. Le vémurafénib a déjà été étudié chez des patients porteurs d’un mélanome métastatique lors d’un essai de phase II, avec des résultats prometteurs (19). Au cours des essais thérapeutiques, 2 situations peuvent être observées : la première est un phénomène de résistance primaire, c’est-à-dire une inefficacité de la molécule ; la seconde situation est une période où l’on observe une réponse objective ou une stabilisation suivie d’un phénomène d’échappement. Les études d’intervention thérapeutique chez les patients avec mélanome ont déjà permis d’aborder la problématique des résistances (20). L’amplification génique de l’oncogène B-Raf muté semble pouvoir être l’un des mécanismes de la résistance (21). Dans d’autres cas, il pourrait s’agir de la présence de variants d’épissage de B-Raf muté (22). L’activation de MEK puis d’ERK par d’autres kinases ne nécessitant pas Raf est un autre mécanisme de la résistance aux inhibiteurs de B-Raf (23). Un autre mécanisme possible est la survenue de mutations activatrices de MEK situées en aval sur la cascade de signalisation (24, 25). Ces mécanismes décrits Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVI - n° 7 - septembre 2012 Les thérapies ciblées par inhibiteurs de l’oncogène B-Raf pour les cancers thyroïdiens réfractaires ne sont probablement pas les seuls, et l’on peut prévoir que d’autres études devraient permettre d’éclaircir cette problématique fondamentale pour la prise en charge des patients ayant une maladie métastatique. Implications pour la prise en charge des patients Ces données illustrent l’importance de l’identification des anomalies moléculaires responsables de la cancérogenèse thyroïdienne. Cela permet, dans une perspective thérapeutique, de développer de nouvelles molécules devant cibler idéalement de façon spécifique la forme mutée de l’oncogène d’intérêt, afin d’en limiter les effets indésirables. Par ailleurs, le suivi des patients et l’accès au matériel tumoral primitif ou métastatique doivent permettre de comprendre les mécanismes à l’origine des phénomènes de résistance, que celle-ci soit primaire ou secondaire après une période transitoire de contrôle de la maladie métastatique. Il ne faut pas oublier de prendre en compte, dans le choix d’une thérapie ciblée, l’existence d’effets indésirables, parfois invalidants, et la possibilité d’effets paradoxaux avec certaines molécules lorsque l’oncogène ciblé n’est pas porteur lui-même d’une mutation activatrice. Ce phénomène a été bien décrit de façon simultanée par différentes équipes (26, 27). La connaissance des anomalies moléculaires présentes au sein d’un cancer donné pourrait être indispensable au bon choix d’une thérapie ciblée. ■ Références 1. Knauf JA, Fagin JA. Role of MAPK pathway oncoproteins in thyroid cancer pathogenesis and as drug targets. Curr Opin Cell Biol 2009;21:296-303. 2. Fagin JA, Mitsiades N. 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