Au bonheur des autres, anthropologie de l'aide humanitaire
L. Atlani-Duault, Ed. Société d'Ethnologie, Paris, 2000
L´auteur, anthropologue, a travaillé à partir de 1994 dans une organisation internationale de
développement (OID), au siège à New York et en Asie Centrale et Transcaucasie post soviétiques.
Elle a mené dans le même temps une enquête anthropologique sur les acteurs de cette organisation,
en étudiant notamment comment ceux-ci construisent (par étape et en partant d´une notion qui leur
est floue, la bonne gouvernance) l´idéologie institutionnelle à l´œuvre pendant la conception puis la
réalisation de leur action.
Le projet de l´équipe de l´OID consistera à soutenir la création et le renforcement d´ONG locales
(dans le cadre de la lutte contre le VIH/SIDA) en Asie Centrale et Transcaucasie post soviétiques.
L´émergence et le renforcement de la société civile étant considéré comme l´élément garantissant la
bonne gouvernance.
L´anthropologue à la fin de l´étude mettra en lumière les enjeux politiques sous-jacents à cette
double notion de bonne gouvernance et de société civile dans les programmes de l´OID.
Introduction
L´étude intervient après le démantèlement du bloc soviétique
Avant, l´URSS = « Second Monde » avec son modèle de développement au même titre que le
« Premier Monde » des pays occidentaux face au pays Tiers Monde dits en voie de développement.
Membres d'une grande puissance ces Républiques sont devenues indépendantes et considérées
dorénavant comme des pays en voie de développement.
Pas d'ONG locale au sens occidental du terme en Asie centrale et en Transcaucasie car tout
groupement indépendant des structures officielles était interdit pendant la période soviétique.
Présence néanmoins d´un grand nombre d'organisations mais l'activité devait obligatoirement
suivre la ligne du Parti et du gouvernement, sinon risque d´une répression sévère.
Avec la disparition URSS, est l´arrivée de aide massive des agences internationales de
développement dont le but est la création et le renforcement des ONG locales.
Aide internationale va s'articuler autour de 2 axes
- la promotion d´un cadre législatif et social favorable à la création d'ONG
- l´assistance financière et technique offerte aux membres des ONG
Le but étant d´assurer un contexte favorable à « l'émergence et au renforcement des ONG locales »,
et à « l'éclosion de la société civile ».
10 ans plus tard, ces pays vont connaître des révolutions (couleurs du printemps !) qui vont
renverser les gouvernements en place, héritiers de l´époque soviétique. Ces révolutions sont portées
par ces même ONG locales soutenues par les organisations internationales de développement.
L'interrogation porte sur les raisons qui ont animé une telle volonté de soutien à la création et au
renforcement des ONG locales?
Volonté partagée par toutes les OID depuis les années 90 qui consiste à faire émerger un contre-
pouvoir fort à l'Etat afin de lui substituer un autre modèle politique et ce dans une période de
transition, bouleversement politique post guerre froide.
Le 1er chapitre = présentation et analyse des outils théoriques et méthodologiques utilisés
Les suivants = une ethnographie par étapes de la construction de l'idéologie institutionnelle étudiée
dont on suit interrogations, détours et remodelages.
L´auteur a souhaité préserver l´anonymat des acteurs en présence, pour des raisons de sécurité, car
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l´étude n´était pas sans danger. De même, avec le temps s´est instauré familiarité et parfois certaine
intimité avec certains acteurs.
Les questions d´éthique :
Choix d´exposer les différentes réalités de terrain (c'est-à-dire présenter tous les aspects même la
laideur, ainsi les « vulnérables ne sont pas toujours présentables » (Philippe Bourgeois) sans céder
au voyeurisme, ni basculer dans les stéréotypes.
Chapitre I
*La bonne gouvernance
Depuis le début des années 90, notion de bonne gouvernance devenue une référence majeure des
OID dans pays du Sud.
Non seulement une théorie mais devenu un phénomène social de grande ampleur. Un personnel
nombreux et beaucoup d´argent sont mis sur la table pour transformer des réalités locales et
internationales.
Assistance aux ONG locales qui sont les garantes d´une bonne gouvernance est défendue par les
acteurs des organisations bilatérales et multilatérales
Il s´agit de la nouvelle éthique du développement.
Un paradoxe apparaît : soutien d´ONG locales contre l´Etat par des agences multilatérales d'aide au
développement alors que ces dernières sont l'émanation des gouvernements et lesquelles ont besoin
de l´accord des gouvernements des pays pour s'implanter et mener leur action.
Cet appui aux ONG locales est du à une préoccupation plus ancienne : appropriation des projets par
les populations =démarche participative des acteurs locaux et respect de leur tradition.
Sens et pratiques autour de la notion de bonne gouvernance relève d'une nouvelle figure de
l' « idéologie humanitaire » (Bernard Hours) née sur les ruines de l'idéologie tiers mondiste.
Choix du domaine d´action : prévention du VIH pour 2 raisons
- épidémie = révélateur et facteur de changement social pour les sociétés contemporaines
- implication des ONG en Amérique du Nord et en Europe dans lutte contre épidémie VIH/SIDA a
montré que la lutte s'est étendue à plusieurs autres domaines et a pris un caractère politique.
Ce phénomène pris comme modèle d´implication des ONG locales correspond à ce qui est attendu
par les agences multilatérales de l'aide au développement en matière de politique de bonne
gouvernance.
L'objet ici n'est pas de dénoncer mais d'analyser le processus en cours des ONG locales, mettre en
avant certains enjeux de l'action politique dans le monde du développement. Ces enjeux ont un
impact dans le discours et l'action.
Les études sur le sujet viennent des sciences politiques et de l'étude des textes rédigés par les
experts du développement.
= permettent de saisir caractéristiques des discours d'experts dans le monde du développement, leur
évolution et contradictions.
Mais approche limitée car considère discours d'experts comme seulement des textes.
Et ne permet pas de saisir les modalités des processus de construction par le discours et la pratique
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des acteurs de développement, d'un monde significatif partagé avec ses propres codes, traditions et
mouvements de déséquilibres organisés.
I- Filiations théoriques
A/ Anthropologie du développement
- Anthropologie « appliquée » au développement = fournir une expertise directement utilisable et
efficace aux agences de développement pour améliorer mise en oeuvre de leur projet sur le terrain.
L'anthropologue ici n'est pas là pour étudier le monde des « développeurs ».
- Anthropologie critique des projets de développement mis en oeuvre par les organisations d'aide =
3 courants
type populiste (cf travail de Robert Chambert)
valorisation systématique et souvent assez simpliste des savoirs du « peuple », entité idéalisée.
Déconstruction du « discours du développement »
s'appuie en partie sur les travaux de Michel Foucault sur les dynamiques du discours et du pouvoir
et sur mise au jour des mécanismes par lesquels un certain ordre de discours produit des façons
d'être et de penser « acceptable » ou « inacceptables » par l'institution. Etudes ont influencé les
études sur la « colonisation » de la alité (via projets de développement), lesquelles démontrent
comment certaines représentations du monde sont devenues dominantes et modèlent les façons dont
la réalité est imaginée et prise en compte.
Les grandes figures de ce courant en Amérique du Nord : Mark Hobart (1993) et Arturo Escobar
(1996) le développement agit comme outil idéologique du Nord sur le Sud, à des fins d'expansion
du capitalisme moderne. Il invite les anthropologues à la déconstruction du discours du
développement.
3ème courant s'intéresse à « l'enchevêtrement des logiques sociales et à l'hétérogénéité des acteurs
qui s'affrontent autour des opérations de développement » (Jean Pierre Olivier de Sardan, 2001).
Cette approche se veut « non normative » c'est-à-dire non spéculative, fondée sur l'enquête, et
« fondamentale » soit en amont de l'anthropologie appliquée.
Littérature anglophone plus abondante : Norman Long, Ferguson, Gardner et Lewis, Crew et
Harrison.
Cf The Anti-Politics Machine (1990)de Ferguson au sujet de projets de développement agricole de
la banque mondiale au Lesotho
B/ Anthropologie politique de la sanpublique française et l'anthropologie médicale critique
anglo-saxonne
Elles correspondent selon les écoles à l´« anthropologie médicale » ou à l´« anthropologie de la
maladie ». Controverse porte sur délimitation du sujet d'étude et la méthode d'enquête :
« Ou bien le champ médical peut être cerné et isolé du reste du système social
Ou bien les représentations de la maladie et les pratiques de la guérison sont indissociables de
l'ensemble des représentations et des pratiques dans la société ». (Fassin 1992).
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Les ethnologues anglo-saxons (filiation avec Rivers) ont tendance à délimiter champ de recherche
autour de la définition bio-médicale d'une maladie.
Les Français (filiation Mauss) ne considèrent pas ce découpage pertinent et appellent à
« l'anthropologie comme discipline holiste ».
2 sous-champs disciplinaires
En France, Didier Fassin et Jean Pierre Dozon proposent un dépassement de l'anthropologie de la
maladie vers une anthropologie politique de la santé publique.
« C'est donc parce que les manières de gérer les maladies et la place de la santé dans la société ont
changé que le regard des anthropologues sur ces phénomènes doit à son tour évoluer. La
constitution d'un espace politique de la santé rend nécessaire une anthropologie politique de la
santé » (Fassin 1996).
Côté anglo-saxon, la présente recherche s'inscrit dans le courant de l'anthropologie médiacle
critique : Veena Das, Paul Farmer, Donald Joralemon, Arthur Kleinman, Shirley Lindenbaum,
Margaret Lock, Nancy Scheper-Hughes et Alan Young. Ils analysent « ce qui relie entre eux, à
l'intérieur d'une communauté donnée, les idiomes de la souffrance et de la maladie, leur
signification et leur médicalisation, ainsi que le contexte politique et social dans lequel ils
surgissent ». (Lock 2004)
.
II- Outils théoriques et méthodologiques de l'anthropologie
Anthropologie critique du développement
=Les « développeurs » comme sujets valides de travail de terrain
= problématisation de la notion même de développement c'est-à-dire comment le monde du
développement est socialement construit et comment il construit ses sujets.
= des formes de savoirs mouvantes, fluides et fragmentées selon contextes, temps et acteurs
Anthropologie politique de la santé publique française et l'anthropologie médicale critique anglo-
saxonne
= les acteurs de la santé comme les acteurs du développement présentent leurs discours et leurs
pratiques comme relevant d'une technicité scientifique qui serait historiquement, culturellement et
politiquement neutre.
Une double ethnographie en réseau (durée 8 ans en Asie Centrale, New York, Genève)
Elle comprend 2 enquêtes : une ethnographie au sein d'une agence de développement (une des plus
importantes des organisations multilatérales d'aide au développement) et une ethnographie parmi les
bénéficiaires des projets d'aide de cette même agence.
Les concepts de la socio anthropologie du développement (JP. Olivier de Sardan)
Caractère « en réseau » de cette étude
« Configuration développementaliste »
« interfaces » « l'arène »
« interactionnisme méthodologique »
= transnationnalisme des personnes (personnels de l´OID), des programmes
- répartition entre le siège New York et les bureaux locaux situés dans les pays en voie de
développement = grande mobilité dans le travail, cooptations des populations pour le travail etc...
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L. Atlani-Duault, Ed. Société d'Ethnologie, Paris, 2000
- La particularité de l'éclatement du bloc soviétique = des nationalités multiples
Il n´est pas possible de penser acteurs appartiennent à certaines catégories avec caractéristiques
connues et fixes déterminés uniquement par leur nationalité ou leur appartenance à une institution
particulière à un moment donné.
La dichotomie entre locaux et internationaux, entre ONG et agences internationales de
développement pas pertinente pour compréhension discours et pratiques du monde du
développement sur le terrain.
Posture double =Position du chercheur impliqué et chercheur observateur sur le terrain = double
statut acteur et témoin
(rejoint un peu la posture du praticien de développement)
Assumer cette double posture :
C´est revendiquer du pouvoir sur la réalité et la capacité de critiquer fondamentalement cette même
réalité
C´est affirmer indissociabilité entre savoir et action entre savoir et faire.
Un autre outil méthodologique tiré de l'étude de la notion de PTSD (Post Traumatic Stress Disorder)
par l'anthropologue américain Allan Young (1995) sur la classification psychiatrique.
Celui-ci parle d'une « idéologie institutionnelle » tout en indiquant que toute institution n'a pas
nécessairement une idéologie.
« Je parle de l'idéologie d'une institution, et non pas d'un ensemble vague d'idées... Je qualifie
d' « idéologiques » les croyances et les pratiques que certaines institutions produisent, et ce pour
trois raisons: elles servent à convaincre (les gens) à faire des choses qu'ils pourraient-sans elles-ne
pas avoir envie de faire, elles détournent et dévaluent les jugements critiques qui pourraient
conduire (les gens) à se comporter autrement, et elles sont au service d'intérêts importants,
identifiés par la direction de l'Institution, et servent à transformer ou surmonter toute résistance
possible à la bonne marche de l'Institution ». (Young 1996)
Dans les OID, une idéologie est nécessaire car il n'y a pas de véritable contrôle des membres des
agences de développement répartis dans PVD et besoin constant de justifier l'idéologie au sein
même de l'institution et à l'extérieur.
Difficulté à suivre la construction idéologique institutionnelle de l'OID sur la bonne gouvernance,
car se construit en fonction des humains, leurs relations, leur réalité quotidienne, et est issue à la
fois du discours et de la pratique
= une étude sur du long terme pour saisir tous les aspects de cette construction. De plus, diversité
des lieux et moyens de communication, et l'institution ne garde jamais une mémoire institutionnelle
précise.
CHAPITRE II
OID (siège est à New York) une des plus grandes organisations multilatérales d'aide au
développement du monde.
Son but : « aider les PVD à lutter contre la pauvreté, préserver et régénérer l'environnement, et
renforcer les capacités des personnes et des institution ».
Milieu des années 90, insiste sur renforcement des capacités nationales dans le cadre général du
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