Pour estimer les possibilités de prise en compte de l’altérité dans le cadre de l’éducation et de la
formation dans l’Europe au début du 21e siècle, il faut d’abord analyser les trois causes importantes
qui ont, dans le courant de l’histoire, si souvent empêché les systèmes d’éducation et de formation
de s’ouvrir à l’altérité des autres hommes et cultures et de dialoguer avec eux. Ces causes sont
l’égocentrisme, le logocentrisme etl’ethnocentrisme européens et par là les réductions
psychologiques, épistémologiques et culturelles qui rendent difficile la compréhension de l’Autre.
Dans le processus d’une approche pacifique à l’Autre il s’agit d’éviter d’ontologiser l’altérité et en
faire un objet fixé. Par contre, l’altérité doit se comprendre comme une relation qui se constitue
dans le processus de l’encontre avec des gens d’autres cultures dans des contextes historiquement
et culturellement différents.
Dans les processus de construction du sujet moderne, l’égocentrisme joue un rôle central. Des
« technologies du soi » sont utilisées pour former des sujets. Beaucoup de ces stratégies se réfèrent
à des représentations d'un soi clos sur lui-même, le sujet étant au centre de l'agir, susceptible de
mener une vie et élaborer une biographie autonome. Les effets secondaires - et involontaires - de
ces tendances à la construction d'un sujet autarcique sont multiples. Il n'est pas rare qu'en œuvrant à
s'instaurer de lui-même le sujet échoue dans cet acte même. L'autodétermination et le bonheur
escomptés d'un agir autonome sont contrés par d'autres forces, rebelles à ces exigences.
L'ambivalence de la construction du sujet se manifeste au niveau de l'égocentrisme qui lui est
inhérent : il lui sert, à la fois, de stratégie de survie, d'appropriation, de pouvoir, de stratégie de
réduction, et de nivellement. Centrée sur les forces du moi, la tentative de réduire l'Autre à
l'utilitaire, à sa fonctionnalité et sa pure disponibilité semble avoir, à la fois, réussi et échoué. Pour
les relations à l'Autre, il en résulte un nouvel horizon, un nouveau champ d'investigation.
Le logocentrisme a poussé à percevoir et réélaborer dans l'Autre uniquement ce qui est adéquat à la
raison. Ce qui n'est pas susceptible de raison et n'en épouse pas les formes, n'est pas pris en compte,
se trouve exclu et dévalorisé. A raison le "comparse" de la raison. C'est également le cas pour la
raison restreinte des rationalités fonctionnelles. Les adultes ont raison par rapport aux enfants, les
civilisés aux primitifs, les bien-portants aux malades. En possession de la raison, ils revendiquent
leur supériorité sur ceux qui, selon eux, disposent de protoformes ou de formes aberrantes de la
raison. Lorsque l'Autre se distingue du caractère universel de leur langue et de leur raison, il
devient beaucoup plus difficile de l'approcher et de le comprendre. Nietzsche, Freud, Adorno et
bien d'autres ont soumis à la critique cette suffisance de la raison, et montré que les hommes et les
femmes vivent aussi dans des contextes auxquels la raison n'a qu'un accès insuffisant.
L'ethnocentrisme a aussi contribué à pratiquer durablement l'asservissement de l'Autre. Beaucoup
d’auteurs ont analysé les processus de destruction de cultures étrangères. Parmi eux : la
colonisation de l'Amérique latine au nom du Christ et des rois chrétiens. L'anéantissement de ces
cultures se confond avec la conquête du continent. Dès les premiers contacts, l'exigence leur est
intimée de s'adapter et de s'assimiler avec l'esclavage ou l'anéantissement comme alternatives. Dans
un geste de dominateur, c'est l'identité du soi qui est imposée. Un entendement fondé sur une
stratégie de pouvoir rend possible la destruction des peuples indigènes. Les indios ne saisissent pas
que les Espagnols se comportent sans scrupules et dans un esprit calculateur ; qu'ils ne parlent que
pour leurrer : les manifestations amicales n'expriment pas ce qu'elles donnent à croire ; les
promesses ne sont pas destinées à arrêter quelque engagement, mais à abuser l'Autre. Chaque
action sert d'autres objectifs que ceux affichés. Une manière de traiter l'autre légitimée par les
intérêts de la couronne, le mandat de « missionnarisme » de la chrétienté et l'infériorité des
indigènes. La soif de l'or et les motifs économiques sont passés sous silence, évacués de l'image de
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