Jean-Baptiste Say et les obstacles à l`industrialisation

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Jean-Baptiste Say et les obstacles à l’industrialisation
José M. Menudo
Universidad Pablo de Olavide
(Espagne)
Résumé
Jean-Baptiste Say emploie l’idée de progrès comme un vecteur unique de
croissance qui termine dans les pays qui y ont « participés aux progrès de
l’industrie qui ont surtout caractérisé les quarante dernières années qui se sont
écoulées ». Bien que la question du développement économique soit traitée dans
différentes parties de son œuvre, Say va dédier les chapitres sur la population à
présenter sa particulière « échelle de civilisation ». Ce travail étudie les causes qui
empêchent l’apparition d’une société industrielle chez Say et spécifiquement le
cas de l’Espagne. Les politiques d'industrialisation proposées par Say seront aussi
examinées. La convergence économique entre les nations ne survient pas de
façon spontanée. C’est au moyen d’un système d'instruction publique qui
englobe toute la population que la civilisation industrielle est construite. L’exemple
espagnol lui permet de souline la faiblesse d’obtenir l’industrialisation avec une
classe sociale éclairée et non nombreuse.
1
Introduction
L'émergence de l'Économie comme discipline universitaire ouvre « l'âge de Jean-Baptiste
Say» dans le continent européen. Quand Jérôme-Adolphe Blanqui points à Jean-Baptiste Say
comme le principal protagoniste de l'Économie classique en Europe et l'un des auteurs le
plus traduits dans la littérature économique, il renvoie non seulement à une influence
académique. Depuis l’année 1814, Say est impliqué dans le projet de construction d'une
Europe des producteurs ; la convergence de l’action individuelle des citoyens est possible
grâce à un langage commun appelé Économie politique (Démier, 2002). La démarche utilisée
par Say ouvre la voie à une diffusion plus large de l’Économie politique ver le monde du
travail, de l’académie et de la politique1. Tandis que la littérature secondaire sur le projet de
la civilisation industrielle de Say est importante, la question des obstacles qui entravent le
progrès dans les différents pays, régions ou provinces ne réveille de l’intérêt. Sauf les travaux
sur le sous-développement dans la pensée économique classique de Platteau (1978), la
recherche est étendues aux sujets collatéraux comme l'esclavage (Steiner, 1996b; Plassart,
2009), la population (Fréry, 2014) ou la perfectibilité (Legris & Ragni, 2002).
Cet article s’inscrire dans l'analyse que Jean-Baptiste Say fait sur les pays retardé, c’est-àdire, sur ceux qui n'ont pas encore industriels. Nous proposons comme point de départ la
théorie du développement économique présentées par Say dans les pages dédiées à la
population. En particulier nous y allons discuter le cas de l'Espagne parce que la question des
causes de leur déclin devient un thème central dans l’exposé de Say. La question est
particulièrement pertinente parce que, étant donné la prééminence de l'ouvrage de Say en
Espagne, c’est l’explicitions du déclin donné aux étudiants d’Économie politique pendant la
première moitié du XIX siècle.
Ce travail est divisé en trois parties. La première présente la théorie du progrès de J-B. Say.
Entouré d'un institutionnalisme qui projette l'expérience européenne comme le modèle
universel à d'autres domaines, Say étudie pourquoi les « nation mal civilisées » n'ont pas
l'ensemble des institutions compatibles avec le progrès2. Deuxièmement, nous présentons la
politique de développement proposé par Say. L'auteur ne croit pas que la génération
spontanée des institutions permettra un état de prospérité. L'autorité instruite est une
condition nécessaire pour la création d'une culture industrielle, tandis que l'administrateur «
vicieux » se trompe dans sa politique de prospérité. C’est au moyen d’un système
d'instruction publique qui englobe toute la population que la civilisation industrielle est
construite. La troisième partie examine la place assignée à l'Espagne dans cette échelle de
civilisation. Say s’aventure dans le débat sur les causes du déclin espagnol avec une mesure
universelle du développement et une image changeante de la nation espagnole. Les résultats
sont modifiés et Espagne abandonne le groupe retardé pour rejoindre temporairement
l'industrialisation. La brève aventure espagnole lui permet de souline la faiblesse d’avoir une
classe éclairée et non nombreuse.
1
L’influence directe de Say s’étendre à l’Allemagne, la Suisse, l’Espagne, le Portugal, L’Italie et aux États-Unis
(Steiner, 1996a). Castro-Valdivia (2013) a trouvé des traduction en douce langages (anglais, espagnol, italien,
allemand, portugais, polonais, suédois, grec, danois, chinois, russe et turc) et la plupart des éditions
appartiennent dans la première moitié du XIXe siècle.
2
Sur les différentes approches institutionnelles au développement économique, voir López Castellano (2012).
2
La théorie du progrès économique chez J.-B. Say
Le progrès d’une nation, selon J.-B. Say, est lié à la satisfaction des besoins de la
population et non seulement à la quantité des denrées alimentaires3. Les nations plus
civilisées son celles qui satisfait le mieux et de la meilleur façon des besoins de ses membres.
Mais le critère pour définir le degré de civilisation n’est pas uniquement la mesure de la
satisfaction. Il faut avoir des besoins nombreux pour pouvoir d’être considéré une nation
civilisés. Pour J-B. Say, produire c’est créer une utilité susceptible de satisfaire une besoin et
alors il n’y a pas une grande production sans nombreux besoins. Ainsi, pour mesurer le degré
de civilisation Say adopte un étalon précis qui n’est autre que la production ou la
consommation par tête4.
« Nous avons pu produire et consommer d’autant plus que nous étions plus civilisés ; et nous nous
sommes trouvés d’autant plus civilisés que nous sommes parvenus à produire et à consommer
davantage. C’est le trait le plus saillant de la civilisation. Qu’avons-nous en effet par-dessus les
Kalmoucks, si ce n’est que nous produisons et consommons plus qu’eux ? Si la civilisation est plus
avancée à Paris que dans la basse Bretagne, en Angleterre qu’en Irlande, c’est parce qu’on sait y
produire et y consommer des produits plus nombreux et plus variés proportionnellement au
nombre des hommes »5.
Jean-Baptiste Say emploie l’idée de progrès des Lumières comme un vecteur unique de
croissance qui termine dans les pays de l’Europe occidentale6. Même si la question est placé
dans plusieurs lieus depuis la première édition du Traité d’économie politique (désormais Traité),
les chapitres dédiés à la population ― onzième chapitre du deuxième livre du Traité, dès
chapitres I jusqu’au XVIII de la sixième partie du Cours complet d’économie politique pratique
(désormais Cours complet), la septième session du Cours à l’Athénée et les articles “Cours
d’économie politique” de la Gazette littéraire et “De l'influence des futurs progrès des
connaissances économiques sur le sort des nations” de la Revue Encyclopédique― présentent sa
particulière « échelle de civilisation ».
Le niveau le plus bas est formé par les peuples sauvages, c’est-à-dire les individus qui ne
vivent pas dans « l’état de société ». Say présente un tableau chaotique d’individus qui ne
cherchent que leur propre subsistance. Le premier pas consiste à établir des relations sociales
― par exemple à travers la construction des villes ou l’encerclement de terrains ― pour que la
civilisation soit possible7. Le second groupe est qualifié comme des nations inférieurement
civilisées. L’Inde ou la Chine n’ont pas seulement un problème de retard économique. Il
existe une discontinuité fondamentale avec l’Europe provoquée par la participation nulle des
3
Malthus et Say distinguent deux bornes à la croissance démographique: les biens de subsistance que limite la
croissance de la classe inferieur et les biens d’existence que limite la croissance de la classe supérieure. Voir Fréry
(2014).
4
Say (1840), p. 232.
5
Say (1840), p. 232.
6
Sur la théorie du développement économique de Say, voir Platteau (1978).
7
Ce stade du progrès est uniquement exposé dans le Cours complet. Voir Say (1840), pp. 379s.
3
profits du commerce international8. L’Europe a une responsabilité civilisatrice qui implique
l’élimination des monopoles commerciaux pour permettre à ces nations de rivaliser dans les
marchés internationaux. Le troisième groupe se compose des pays économiquement retardés.
La Syrie, l’Égypte, la Russie, l’Irlande ou l’Espagne sont des pays « mal civilisés ».
« Que feraient un actif manufacturier, un habile négociant dans une ville mal peuplée et mal
civilisée de certaines portions de l'Espagne ou de la Pologne ? Quoiqu' il n'y rencontrât aucun
concurrent, il y vendrait peu, parce qu'on y produit peu ; tandis qu'à Paris, à Amsterdam, à
Londres, malgré la concurrence de cent marchands comme lui, il pourra faire d'immenses
affaires »9.
Say fait la différence entre une période momentané de décroissance économique ― en cas
de mouvais récoltes, par exemple ― et le déclin durable de ces nations. Ce dernier cas a son
origine dans l’existence des institutions qui empêchent le fond productif appelés l’industrie de
l’homme de s’étendre10. Chez Say, l’industrie de l’homme apparaît comme un fond cumulable
de capacités et implique la transformation du concept de production et de distribution11.
Premièrement, le capital humain affleure de façon primordiale dans la littérature
économique et, plus particulièrement, dans le processus de production12. Say considère
même que les parents qui ont investi dans la formation de leurs enfants doivent récupérer cet
investissement par des transferts monétaires quand le capital incorporel porte ses fruits.
Deuxièmement, Say propose ces capacités comme argument explicatif des différences
salariales présentes dans le prix de l’équilibre des marchés des facteurs. Ainsi, l’absence de
certains talents, en relation avec les besoins des services productifs, augmente la
rémunération de ceux qui les possèdent. Troisièmement, l’étude des capacités lui permet
d’étendre le domaine théorique de l’activité entrepreneuriale à la perspective de l’offre d’un
recours rare et nécessaire. Concrètement, il existe trois raisons principales qui expliquent
l’insuffisance d’entrepreneurs : (i) l’accès au crédit, (ii) les capacités entrepreneuriales et (iii) le
risque de la production13. L’activité entrepreneuriale passe par une combinaison peu
fréquente des conditions précédentes. Sa capacité pour créer de l’utilité et, par conséquent,
8
Il faut ajouter les institutions et les mœurs qui génèrent le comportement opposé à la croissance économique.
Voir Say (1840), p. 141.
9
Say (1841), p. 144.
10
Say discrimine explicitement l’industrie de l’homme du travail afin de reconstruire la triade d’Adam Smith
(travail, terre et capital) à partir de sa propre théorie de la production : « J’appelle travail l’action suivie à laquelle
on se livre pour exécuter une des opérations de l’industrie, ou seulement une partie de ces opérations. » (Say,
1803, I, p. 38). La question des capacités et de la connaissance donne lieu à une critique de Say envers Adam
Smith parce que l’auteur écossais résume tout ce qui a été dit précédemment au concept de travail, en éludant
l’ensemble des opérations et les qualités industrielles (Say, 1840, p. 47).
11
« J’appelle travail l’action suivie à laquelle on se livre pour exécuter une des opérations de l’industrie, ou
seulement une partie de ces opérations » (Say, 1803, I, p. 38). La question des capacités et de la connaissance
donne lieu à une critique de Say envers Adam Smith parce que l’auteur écossais résume tout ce qui a été dit
précédemment au concept de travail, en éludant l’ensemble des opérations et les qualités industrielles (Say,
1840, p. 47).
12
Say (1840), p. 330.
13
Say (1840), p. 327.
4
pour joigne une valeur permet que les productions soient marchandises. Si l'activité
entrepreneuriale nécessite une rare combinaison de conditions, la structure institutionnelle
des nations mal civilisées ajoute plus de difficultés en limitant l’industrie de l'homme.
Ces institutions archaïques présentent deux types de problèmes. D’un côté, il y a un
gaspillage de ressources productifs parce ils découragent l'activité productive. Plus
précisément, la population ne fait pas partie du circuit de production–distribution–dépense
exposé dans sa théorie. Say fait référence à la paresse provoquée par les petites rentes
provenant de certains privilèges ou de fonds. Ni la motivation du profit, ni la nécessité, ni le
goût pour des biens superflus n’ont d’influence sur la décision individuelle de
l’incorporation au système industriel14. D’un autre côté, le problème réside dans les erreurs
provoquées par la pénurie de capacités productives dans la population. L’entrepreneur mal
formé se trompe au moment de prendre des décisions car ses raisonnements sont basés sur
des préjugés et non sur les capacités. Say rejette l’expérience comme mode d’apprentissage
parce qu’elle implique l’ignorance et débouche sur la routine. Les conséquences
économiques sont particulièrement néfastes:
« Les entrepreneurs des diverses branches d'industrie ont coutume de dire que la difficulté n'est pas
de produire, mais de vendre ; qu'on produirait toujours assez de marchandises, si l'on pouvait
facilement en trouver le débit. Lorsque le placement de leurs produits est lent, pénible, peu
avantageux, ils disent que l'argent est rare ; l'objet de leurs désirs est une consommation active qui
multiplie les ventes et soutienne les prix. Mais si on leur demande quelles circonstances, quelles
causes sont favorables au placement de leurs produits, on s'aperçoit que le plus grand nombre n'a
que des idées confuses sur ces matières, observe mal les faits et les explique plus mal encore, tient
pour constant ce qui est douteux, souhaite ce qui est directement contraire à ses intérêts, et
cherche à obtenir de l'autorité une protection féconde en mauvais résultats »15.
L’activité des entreprises est le résultat de facultés industrielles, qui peuvent être morales
ou personnelles: « la manière dont les entreprises industrielles y sont conduites, contribue à
leur succès beaucoup plus que leurs connaissances techniques et les bons procédés
d’exécution dont on y fait usage, tout important qu’ils sont »16. Les qualités morales
possèdent ce qualificatif car elles proviennent du processus de socialisation de l’individu
selon lequel le sujet acquiert les compétences, par le moyen de l’éducation industrielle et de
la famille, pour exercer une bonne conduite. Le jugement est la qualité morale la plus
importante et il permet à l’entrepreneur d’entrevoir les risques qu’implique n’importe quel
projet que nous pourrons façonner en le confrontant à la réalité. L’entrepreneur réalise une
organisation particulière de l’activité de production en fonction d’un modèle préétablit et
élaboré basé sur son jugement et sur ses connaissances. À l’envers, l’absence de jugement
chez les entrepreneurs à des conséquences sur la façon d’affronter l’incertitude. Cette
incapacité conduit les entreprises à être trop négatives face au risque et par conséquent à
produire de faibles quantités. Dans ce cas-là, « la loi du marché » ne fonctionne pas parce que
14
Say (1819a), II, pp. 200-1.
15
Say (1841), p. 138.
16
Say (1828a), p. 158. Sur les capacités entrepreneuriales chez Jean-Baptiste Say, voir Goglio (2002) et Menudo
(2014).
5
l’offre ne crée pas sa propre demande. L’entrepreneur ayant une bonne capacité de jugement:
(i) décide des quantités à produire basées sur les besoins et non pas en fonction de
l’incertitude des ventes, (ii) il ne lésine pas sur le salaire des employés, conscient du fait que
les revenus des familles sont la clé de sa consommation et (iii) il évite d’accepter les privilèges
offerts par le politicien parce qu’il sait que les monopoles sont contraires au bien général.
En bref, les restrictions sur les sources de la production ou l’absence de capacité
conduisent vers une industrie peu active et une rare quantité des denrées que,
progressivement, mine la population. Alors, une faible demande intérieure ou le problème
démographique ne sont pas des obstacles à l’industrialisation mais leurs conséquences.
« Ce qui encourage véritablement la population, c'est une industrie active qui donne beaucoup de
produits. Elle pullule dans tous les cantons industrieux ; et quand un sol vierge conspire avec
l'activité d'une nation entière qui n'admet point de désœuvrés, ses progrès sont étonnants [sic],
comme aux États-Unis, où elle double tous les vingt ans »17.
La politique de développement industriel
Dans la structure institutionnelle des nations mal civilisées, Say fait la différence entre les
mœurs et la politique, bien que Say utilise finalement le terme « institutions politiques » afin
de souligner la responsabilité unique du gouvernement en matière de progrès18. À la
différence des lumières écossaises, les institutions civilisées n'apparaissent pas de manière
spontanée et à la suite du comportement des individus guidés par des intérêts personnels19.
Les sociétés politiques sont un corps vivant qui nécessite des moyens ― la morale, la
législation, la politique et surtout l’Économie politique ― pour assurer l'harmonie des
intérêts individuels. Sur la question de la prospérité ou le déclin, les institutions et la
politique sont des instruments du souverain. L'autorité instruite est une condition nécessaire
pour la création d'une culture industrielle, tandis que l'administrateur « vicieux » se trompe
dans sa politique de prospérité ou bien il emploie les institutions à d'autres fins. L’exercice de
l'autorité conforme aux principes d'impartialité (application non uniforme de la loi) et
arbitraire (désir de changement), l'absence d'éducation, l'insécurité juridique, les pratiques
superstitieuses, les systèmes politiques non représentatifs, la fiscalité où seulement les
producteurs sont imposés, le système des guildes ou le droit de progéniture sont des exemples
d’institutions politiques néfastes.
Comment peuvent-ils devenir une nation industrieuse? L'objectif décrit par Say est une
société où la prospérité et le bonheur reposent sur l’activité des gouvernés et non sur celle des
gouvernants20. Dans les pays prospères, les capacités productives englobe l'ensemble de la
population et donc les moyens de la prospérité sont multipliés.
17
Say (1841), p. 424.
18
Say (1819b), p. 183.
19
Sur la relation entre le législateur et l'harmonie des intérêts chez Adam Smith et J-B. Say, voir Forget (2001).
20
Pour Steiner (1990), cet idée de Say exprime parfaitement qu’il commence la réforme sociale par une
économie politique et non pas par une morale ou une politique. Au sujet de la réforme sociale pour fonder la
morale du peuple proposée par Say en Olbie, voir Frick (1987).
6
« … aussi un pays où il y a beaucoup de négociants, de manufacturiers et d’agriculteurs habiles, a
plus de moyens de prospérité que celui qui se distingue principalement par la culture des arts et de
l’esprit. À l’époque de la renaissance des lettrés en Italie, les sciences étaient à Bologne, les
richesses étaient à Florence, à Gênes, à Venise. L’Angleterre de nos jours doit ses immenses
richesses moins aux lumières de ses savans, quoiqu’elle en possède de très recommandables, qu’au
talent remarquable de ses entrepreneurs pour les applications utiles et de ses ouvriers pour la
bonne et prompte exécution »21.
Mais J.-B. Say considère que les capacités industrielles ne remplacent pas les institutions
archaïques de manière spontanée. Il rejette la convergence entre les économies à court terme,
vu que la diffusion des qualités entrepreneuriales est très lente, beaucoup plus que le savoir
scientifique : « J’ai déjà, dans mon Traité d’Économie politique, remarqué que les connaissances
scientifiques circulent d’un pays dans un autre plus aisément que les qualités qui font les
bons entrepreneurs. » (Say, 1840, p. 48). C’est pourquoi la seule façon d’obtenir des qualités
industrielles et un degré de nation civilisée plus vite c’est par le biais de l’éducation
industrielle.
Tout d’abord, Il faut distinguer entre les modèles d’éducation et d’instruction publique.
L'élimination des privilèges et règlements des institutions archaïques sont une condition
nécessaire mais pas suffisante parce que la croissance économique élargirait les inégalités
jusque risquer l'harmonie sociale que la prospérité exige. Dans la pensée sensualiste, le
système d’instruction publique est essentiel pour que la population jouisse des droits naturels
et elle puis réaffirme son indépendance des élites. Au contraire du modèle d'éducation, il
permet de réduire les différences sociales en termes de capital humain, de richesses et des
intérêts ―Say considère que, malgré une apparente diversité et opposition, le véritable intérêt
des individus est fondamentalement harmonieux et l’instruction sera le moyen de éclaire
l’homme pour le reconnaître. Par conséquent, l’instruction permet à la nation d'atteindre la
stabilité sociale. Comment peut-elle augmenter les ressources pour la croissance
économique ? Say distingue entre l’enseignement afin de produire et l’enseignement afin de
dépenser22.
L’objectif de l’économie industrielle est l’incorporation de ce raisonnement que l’on
appelle jugement au moment de prendre des décisions et son remplacement par la routine,
qui n’est autre que le fruit de la tradition et de l’isolement23. Les thèmes abordés par ce
21
Say (1819a), I, p. 46-7.
22
Dans sa première édition du Cours complet d’économie politique pratique (désormais Cours complet) nous pouvons
trouver une économie industrielle, une économie privée et une économie publique, toutes différenciées de
l’économie politique. Il s’agit de la théorie de la gestion d’entreprises industrielles et non pas de la théorie
économique appliquée à la pratique industrielle ― il n’existe pas non plus d’économie pratique en tant que
discipline, mais seulement la mise en pratique de la théorie. L’économie privée ou l’économie publique vont
fournir de capacités à la population pour la gestion, respectivement, des dépenses du foyer et de
l’administration publique. Vid. Daire (1848) y Marco (1998).
23
Le savoir permet de briser la dynamique répétitive de l’expérience. Il prône un exercice pratique, basé sur la
connaissance théorique, qui permet de rompre l’automatisme. Il s’agit de relier les études scientifiques, que le
papier peut supporter, et la pratique exercée dans chacun des postes de travail qui conforment le processus de
production. Sur le concept d’individu chez J.-B. Say, vid. Legris & Ragni (2002).
7
raisonnement sont au nombre de quatre et ils sont englobés sous le terme l’ « esprit de
conduite ».
« Il faut savoir perdre à propos pour s'assurer des avantages qui dédommageront de cette perte. Il
faut se méfier des propositions trop avantageuses, parce qu'elles cachent pour l'ordinaire quelque
dommage. Il faut souvent supposer le fraude et ne jamais le laisser apercevoir; faire coïncider
l'intérêt de ses agents avec le sien propre; rendre impossibles leurs infidélités, les exposer à une
inspection inattendue; ne point confondre le travail de l'un avec le travail de l'autre, afin que
l'approbation arrive à qui elle appartient; les intéresser à une surveillance mutuelle sans
encourager l'espionnage, qui fait mépriser ceux qui l'emploient »24.
Premièrement les décisions de gestion doivent voir venir des situations futures face à la
myopie de ceux qui ne voient que le présent. Deuxièmement, une conception dynamique des
événements qui considère l’existence d’inefficacités dans toute entreprise, est nécessaire. En
troisième position apparaît, la distinction entre les intérêts des agents liés à l’organisation et
ceux de l’entrepreneur. Il s’agit de converger vers un unique intérêt pour éviter une
supervision continue dérivée du conflit. Si l’on se trouve face à un comportement guidé par
des intérêts personnels, il faut chercher des coïncidences qui évitent l’affrontement entre les
différentes parties de la firme. Finalement il est absolument nécessaire de délimiter les tâches
ainsi que les contributions de chaque partie, afin d’apprécier individuellement les apports à
l’ensemble et d’en établir ainsi les incitations25. Le Cours complet ajout un autre ensemble de
qualités morales qui sont utile dans tous les domaines de notre vie. Il existe un autre
ensemble de qualités morales, également différenciées du jugement entrepreneurial et du
talent d’administrer, car elles sont utiles dans d’autres domaines de notre vie. L’activité lui
permet d’être présent à n’importe quel moment et à n’importe quel endroit pour englober
tout ce qui l’entoure, parce qu’il a besoin de contrôler toutes les parties de l’organisation et
éviter, dans la mesure du possible, de déléguer. La constance lui donne la possibilité de
maintenir un cap fixe face aux adversités, que ce soit la possibilité d’une autre activité, un
retard du succès espéré ou encore les petits et fréquents obstacles qui surgiront. La fermeté
passe par le propre contrôle de façon à ce que la prise de décision dans l’entreprise soit
indépendante des préférences personnelles26.
Il est important de mentionner la critique faite à Adam Smith pour avoir affirmé que le
retard des pays provient d’une faible division du travail27. Pour Say, la division du travail est
24
Say (1840), p. 141.
25
Vid. Say (1840), p. 141.
26
À cela nous ajoutons la capacité de calcul. Il ne s’agit pas d’un raisonnement mais de l’obtention et de l’usage
de l’information quantitative pour comparer constamment les prix, aussi bien sur les marchés de facteurs que
sur les marchés de produits finis. Say conçoit l’organisation comme un milieu dynamique qui implique une
adaptation aux changements, ce qui oblige l’entrepreneur à en calculer constamment l’activité productive, le
produit fabriqué, la durée du processus de production. Le résultat permet d’évaluer le processus de production.
Voir Menudo (2014).
27
L’entrepreneur est également présent lors de la discussion sur l’introduction des machines dans la production
et non seulement comme moyen d’introduction de la technologie. Les machines vont contribuer de façon
positive au bien-être économique car elles permettent de réduire le prix final des biens et de libérer des
ressources pour la création de nouvelles industries. Il reconnaît aussi les dangers causés par le retard entre ces
8
un effet et non pas la cause du retard économique28. L’origine et la limite de la division du
travail sont, respectivement, l’échange et la dimension du marché. Le marché s’agrandit avec
l’augmentation de la consommation, la réduction des coûts de transports et la diffusion du
savoir. L’exercice entrepreneurial permet d’éliminer les limites imposées par le marché
lorsque la production crée sa propre demande. C’est dans l’organisation de l’entreprise que
la division du travail a ses plus grandes limites. Cette idée permet à Say de présenter l’excès
de dimension comme un problème à considérer, concrètement comme un obstacle pour le
contrôle et le calcul de la production. L’administration de l’entreprise demande une série de
facultés, parmi lesquelles nous trouvons l'esprit d'ordre et d'économie, compte tenu de la
nécessité de l’intervention de l’entrepreneur dans chacune des parties de l’entreprise ― par
exemple l’acquisition de facteurs, la relation avec les consommateurs et la localisation de la
production.
« ….il s'agit de mettre en jeu quelquefois un grand nombre d'individus il faut acheter ou faire
acheter des matières premières, réunir des ouvriers, chercher des consommateurs, avoir un esprit
d'ordre et d'économie, en un mot, le talent d'administrer. Il faut avoir une tête habituée au calcul,
qui puisse comparer les frais de production avec la valeur que le produit aura lorsqu'il sera mis en
vente »29.
L’économie privée ou l’économie publique vont fournir de capacités à la population pour
la gestion, respectivement, des dépenses du foyer et de l’administration publique.
« On a fait de l’Économie [Économie privée] une vertu et ce n’est pas sans raison : elle suppose
la force et l’empire de soi-même, comme les autres vertus, et nulle n’est plus féconde en heureuses
conséquences. C’est elle qui, dans les familles, prépare la bonne éducation physique et morale des
enfans[sic], de même que le soin des vieillards ; c’est elle qui assure à l’âge mûr cette sérénité
d’esprit nécessaire pour se bien conduire, et cette indépendance qui met un homme au-dessus des
bassesses »30.
Les citoyens éclairés ont un rôle déterminant dans la formation et reproduction du
capital. L’accumulation de ce dernier et l’investissement sont réalisés par les propriétaires de
fonds productifs, mais c’est l’entrepreneur qui l’emploie pour produire des biens qui, avec
lui, ajoute une valeur ajoutée à la dotation initiale pour que le capital engendre un surplus.
Les familles industrieuses permettent qu’une partie du surplus soit reversée au processus
productif sous forme d’un nouveau capital, ainsi que la partie détruite par la consommation
improductive soit minime. L’accélération de ce circuit vertueux et l’augmentation du surplus
dépendent de l’excellence du comportement des entreprises et du nombre d’entrepreneurs.
Mais les institutions archaïques sont aussi un obstacle pour la circulation du capital par
effets bénéfiques et le remplacement initial de la main-d’œuvre par les machines. L’entrepreneur est le diffuseur
de ses excellences et avec le capital et l’apprentissage, il peut accélérer le processus.
28
Say (1821), I, pp. 20.
29
Say (1841), p. 370)
30
Say (1819a), II, pp. 248.
9
qu’elles ferme les réseaux sociaux qui permet accéder au crédit31. Les qualités personnelles
son la réponse.
« C’est ordinairement l’entrepreneur de l’industrie qui a besoin de trouver les fonds dont elle exige
l’emploi. Je n’en tire pas la conséquence qu’il faut qu’il soit déjà riche, car il peut exercer son
industrie avec des fonds d’emprunt ; mais il faut du moins qu’il soit solvable, connu pour un
homme intelligent et prudent, rempli d’ordre et de probité ; et que, par la nature de ses relations,
il soit à portée de se procurer l’usage des capitaux qu’il ne possède pas par lui-même »32.
Conscient de l’importance de la question de l’accès au crédit, Say propose d’abandonner les
préjugés et que ce soient les capacités entrepreneuriales l’élément pris en compte par le
capitaliste au moment de prendre une décision. Avec l’honnêteté et l’intelligence naturelle,
Say ajoute deux facultés ― la prudence et l’ordre ― qui sont également cataloguées comme
des compétences de gestion obtenues grâce à la formation. Il essaye ainsi d’ouvrir les réseaux
sociaux qui limitent l’accès au crédit pour que la solvabilité de n’importe quel entrepreneur
soit ce qui fasse pencher la balance en sa faveur. L’objectif est une société basée sur les
capacités et non pas sur les préjugés « archaïques ».
« L'industrie a fourni à la masse de la population les moyens d'exister sans être dépendante des
grands propriétaires, et sans les menacer perpétuellement. Cette industrie s'est alimentée des
capitaux qu'elle-même a su accumuler. Dès-lors plus de clientèles [sic]: le plus pauvre citoyen a pu
se passer de patron, et se mettre, pour subsister, sous la protection de son talent. De là la
constitution de la société dans les temps modernes, où les nations se maintiennent par ellesmêmes, et où les gouvernements [sic] tirent de leurs sujets les secours qu'ils leur accordaient
jadis »33.
En bref, la politique de développement est l’instruction publique. L’économie
industrielle, l’économie privée et l’économie publique permettent que les facultés
industrielles bannissent les préjugés et les superstitions lors de la prise de décision. Dans ce
cas-là, le succès entrepreneurial, l’accès au crédit, l’augmentation de la production,
l’accroissement des revenus et la récupération démographique seront possibles.
Le cas de l'Espagne
Dans le schéma du progrès de Jean-Baptiste Say, l’Espagne est d'abord une nation mal
civilisée qui mérite toujours quelques lignes pour expliquer les particularités de son déclin.
Cette qualification va être modifiée à mesure que Say ajoute de nouvelles références sur les
évènements politiques survenus. Les premières éditions du Traité citent uniquement la
Théorie et Pratique du Commerce et de la Marine (1753) d’Uztáriz, les Annales du royaume de
Navarre (1674-1709) et L’Essai politique sur le royaume de la Nouvelle Espagne (1811)
d’Alexander Von Humboldt. En 1819, le Cours à l’Athénée va y inclure Histoire critique de
31
D’autres variantes permettent d’avoir une plus grande quantité de capital disponible pour l’investir:
l’incertitude, la confiance, la déflation des prix, le rythme de croissance de la production, la concentration de
l’épargne par le biais d’institutions financières et aussi la propre décision d’économiser (Say, 1841, p. 114).
32
Say (1819a), II, p. 102.
33
Say (1841), p. 382.
10
l'Inquisition d'Espagne: depuis l'époque de son établissement par Ferdinand V jusqu'au règne de
Ferdinand VII (1818) de Juan Antonio Llorente. Finalement, le Cours complet (1828-29)
complet les références avec Tableau de l'Espagne moderne (1788) de Jean-François Bourgoing,
Voyage pittoresque et historique de l’Espagne (1806-1820) de Alexandre Laborde34 et Noticias
Secretas de América, sobre el estado naval, militar y político del Perú y provincia de Quito (1826) de
Jorge Juan y Bernardo de Ulloa35.
Pour J.-B. Say, la première et constante caractéristique de l’Espagne es la manipulation du
gouvernement sur l’opinion publique. Depuis la primera édiction du Traité, les autorités
espagnoles essaient de démontrer que le retard économique est une conséquence de la perte
des Colonies: « On répète tous les jours que le nouveau monde a dépeuplé l'Espagne : ce sont
ses mauvaises institutions qui l'ont dépeuplée, et le peu de productions que fournit le pays
relativement à son étendue »36.
Say utilise Uztáriz, qui croit que la cause de la décline espagnole n'était pas l'émigration vers
les Indes, mais le balance de commerce défavorable37. Dans ce cas-là Say est intéressé en
remarquer les effets de la propagande parce que, pour lui, la lutte contre l'ignorance est liée à
la lutte pour la liberté38. L'individu doit apprendre à connaître ses véritables intérêts pour
éviter d’être la victime des intérêts privés des élites. Les gouvernements donnent des exemples
continus de l'utilisation de la puissance pour maintenir la population dans un état de
servitude39. Dans les sociétés mal civilisées Say décrit une lutte entre l'opinion publique et le
gouvernement, que va gagner la première à mesure que la population ait accès à une
formation.
La deuxième particularité est les causes du déclin espagnol. Say aussi rejette tout argument
fondé sur la dotation des facteurs naturels. Au contraire, le Cours complet décrit les avantages
découlant de la situation géographique de la péninsule ibérique et de ses ressources
naturelles40. Dans l’œuvre de J.-B. Say, la nature et l’homme sont les acteurs clés dans ce
34
Say uniquement cite le nom de l’auteur. Bien que Laborde a aussi publié un bref Itinéraire descriptif de
l’Espagne (1808), les détaillées employés par Say suggèrent qu’il utilisait le texte Voyage pittoresque.
35
Say ne connaît pas les auteurs espagnols cités dans les discours préliminaires du Traité: « Dans l'impossibilité
où je suis de juger par moi-même du mérite de ceux de ces écrivains qui n'ont pas été traduits, j'ai dû m'en
rapporter à ce qu'en dit l'un des traducteurs démon Traité en espagnol, don José Queypo, dont je n'ai fait que
copier ici les expressions » (Say, 1841, I, p. 22).
36
Say (1841), p. 424.
37
Uztáriz était aussi favorable à encourager l'industrie privée et à abolir les fabriques royales et les compagnies
de commerce. Elle préconise la politique d'infrastructure pour le commerce intérieur, la création d'académies
pour promouvoir le commerce et les sciences ainsi que la nécessité d'une Armée pour la défense du commerce
extérieur. Vid. Martín Rodríguez (1999), pp. 391-392.
38
« La vraie sauvegarde de la liberté anglaise est dans la liberté de la presse, qui est elle-même plutôt fondée sur
les habitudes et l'opinion de la nation, que sur la protection des lois : un peuple est libre, parce qu'il veut l'être ;
et le plus grand obstacle à la liberté publique, c'est de n'en pas sentir le besoin » (Say, 1841, I, p. 503n).
39
Say (1840), p. 22.
40
Say (1840), p. 20.
11
processus car tous deux produisent de la valeur41. Chaque nation peut mal administrer ses
ressources naturelles, mais le pouvoir producteur de la nature ne sera jamais un obstacle,
comme le fait l'ignorance ou de le Gouvernement. Dans le cas des nations mal civilisées, il
utilise l'image d'un gaspillage de ressources énergétiques de parte des classes sociale
inferieures.
Dans les cours d'Économie à l'Athénée de Paris, pendant 1816 et 1820, Say va dédier une
grande partie de la session sur la population à expliquer le déclin de l'Espagne. Tout d'abord,
il met en évidence le rôle de l'Inquisition dans la « destruction » des fonds que fournissent
des ressources à la production. L'expulsion des Morisques et des Juifs a provoqué une
réduction du capital humain, de capital physique qu’ils emportaient dans la fuite et des
réseaux de financement, alors que les tribunaux inquisitoires a produit une incertitude
juridique généralisée. Dans d'autres textes, il ajoute deux effets négatifs de la religion
catholique sur les capacités de production.
« C’est un des faits les mieux constatés par l’expérience, que tous les peuples dont les institutions
dépravent le jugement, ont une industrie languissante. En Irlande, la partie nord-est, qui est la
partie de l’île la moins favorisée par la nature, mais dont les habitants sont en majeure partie
protestants, est industrieuse et riche. La partie sud-ouest, dont les habitants se laissent conduire
par des prêtres et se livrent à des pratiques très-supertitieuses, a peu d’industrie, et végète dans la
plus affreuse misère. On a fait depuis longtemps la même observation sur l’Espagne »42.
Les décisions productives doivent reposer sur les compétences acquiert par le moyen de
l’éducation industrielle et de la famille. La disparition de la capacité de jugement à cause de
la religion ou de la superstition limite la production et immobilise les capacités. D’autre coté,
le célibat et à la suite l’accumulation des propriétés génèrent une oisiveté des ressources dans
les mains de l'Église que limite les capacités productives.
« On s'est beaucoup plaint du tort que les couvens font à la population, et l'on a eu raison ; mais
on s'est mépris sur les causes : ce n'est pas à cause du célibat des religieux, c'est à cause de leur
oisiveté : ils font travailler à leurs terres, dit-on-, voilà une belle avance ! Les terres resteraient-elles
en friche si les moines venaient à disparaître ? Bien au contraire ; partout où les moines ont été
remplacés par des ateliers d'industrie, comme nous en avons vu plusieurs exemples dans la
révolution française, le pays a gagné tous les mêmes produits agricoles, et de plus ceux de son
industrie manufacturière et le total des valeurs produites étant par-là plus considérable, la
population de ces cantons s'est accrue »43.
La deuxième cause du déclin est une politique économique erronée. Encore une fois, Say
prenant comme référence à Uztáriz à fin de souligner, d'une part, que les règlements et les
interdictions ne contribuent pas au progrès car elles limitent la production — un exemple est
41
La relation économique entre la nature et l’homme a trois domaines de gestion : (i) l’usage que l’homme peut
en faire pour la modifier, (ii) la législation pour délimiter la propriété privée de la nature et (iii) la considération
de la nature comme un puissant moteur pour le bien-être de la société. Voir Steiner (2000).
42
Say (1840), p. 141.
43
Say (1841), II, p. 427.
12
la longue durée du système de l'apprentissage44. Il fait également ajouter une fiscalité que, soit
pour une augmentation et pour une mauvaise sélection des taxes (cas de l'Alcabala et le
cientos), prennent les ressources des producteurs en détruisant les manufactures et alors la
base de l’impôt45. En bref, le cas de l'Espagne représente parfaitement l’origine de la situation
des nations mal civilisées, c'est-à-dire, l’action direct du législateur ignorant à travers des
politiques peu judicieuses et indirectes à travers des institutions : « Pendant ce temps
l’autorité royale (qui favorisait le despotisme des prêtres par qu’il accoutume à la soumission
et à l’obéissance passive) avait fait assez de progrès pour pouvoir établir partout le régime
réglementaire et prohibitif et des impôts graduellement croissants »46.
La situation change considérablement dans le Cours complet (1828-29). Say déplace
l’Espagne du groupe des pays décadents (l’Égypte, la Syrie ou la Grèce) aux pays qui participé
aux progrès de l’industrie depuis la fin du XVIIIe siècle. Bien que les avantages soient encore
minimes, les effets sur l'accroissement de la population sont évidents.
« L’Espagne, quoique plus faiblement, a néanmoins participé aux progrès de l’industrie qui ont
surtout caractérisé les quarante dernières années qui se sont écoulées ; aussi ne suis-je pas surpris
de trouver, dans un nos journaux, des notes statistiques qui portent sa population, en nombres
ronds : en 1768 à 9,300,000 ; en 1787 à 10,400,000 ; en 1797 à 10,500,000 ; en 1807 à
10,560,000 ; et en 1817 à 11,100,000 »47.
Say explique ce changement par deux circonstances. Tout d'abord, la crise générée par les
guerres récentes ont stimulé, comme jamais auparavant, l'activité de la population.
Deuxièmement, l'augmentation des relations avec les pays industrialisés a bénéficié
l’Espagne48. Mais Say croit que cette aventure vers la prospérité est éphémère. Say insert une
note dans le Cours complet pour expliquer les conséquences désastreuses du retour de
Fernando VII. Le progrès espagnol n'est pas supporté dans une population industrielle
nombreuse. Il existe seulement un groupe « instruit et industrieuse » que le monarque va
remplacer par un collectif de « ignorants et fanatiques ». Le résultat est un affaiblissement
évident de l’activité industrielle que permet à Say prédire une augmentation de la pauvreté et
une nouvelle réduction de la population. Dans un article publié dans la Gazette Littéraire
(1831), Say maintient ses prévisions.
« Mais comme le décline des arts fait décliner les populations, il se pourrait que’en Espagne
depuis 1823, depuis la rupture de tous ses rapports avec la civilisation européenne, la progression
44
« Si les apprentissages étaient un moyen d’obtenir des produits plus parfaits, les produits de l’Espagne
vaudraient ceux de l’Angleterre. N’est-ce pas depuis l’abolition des maîtrises et des apprentissages forcés, que la
France a réussi à atteindre des perfectionnemens dont elle était bien loin avant cette époque ? » (Say 1819a, I, p.
243).
45
Say (1840), p. 502. Sur la question des entreprises publiques, Say met en évidence les problèmes d'une
politique budgétaire qui va dédier les recettes fiscales à unes manufactures royales ruineuses (Say 1840, p. 463).
46
Say (1819b), p. 187.
47
Say (1840), p. 381.
48
Say reconnues quelque bonnes décisions politiques comme l'ouverture modérée du commerce des Indes.
13
fût descendante et la population fût diminuée. Sous Philippe II, même politique que sous
Ferdinand VII, le décroissement fut rapide »49.
Réflexions finales
Say présent les causes du déclin espagnol a partir du texte de Uztariz et de l'image projetée
par les philosophes. Mais Say met à jour son analyse avec des nouvelles littératures, de
l'information et une implacable volonté d'accumulation statistique. Depuis 1828, Say
présenté l’Espagne comme un pays rejoint le processus d'industrialisation, bien que les causes
de ces progrès ne correspondent pas à leurs arguments théoriques. Un renouveau de
l'effervescence de la population, causée par la situation limite atteinte après les conflits armés,
ainsi que l'accroissement des relations avec les voisins industrialisés ont générés une classe
sociale instruite et industrieux. Say célèbre la création de la Chaire d'Économie politique de
la Cámara de comercio de Barcelone, mais il s’aperçoit que la politique d’instruction publique
― encourage par Pedro Rodríguez de Campomanes avec la Junta general, las sociedades
económicas de amigos del pais ou los Consulados de comercio ― n’avait pas englobée l’ensemble de
la population. Say ne vois pas une société industrielle et en conséquence, il souline la
faiblesse d’avoir une classe sociale éclairée et non nombreuse.
Le développement fondé sur les capacités industrielles avait peu de partisans parmi la
littérature économique espagnole de la première moitié du XIXe siècle. Dans la plupart des
cas, la politique de développement proposé par les auteurs nationaux cherché un modèle
sectoriel ― agricole, industriel ou un équilibre entre les deux ― avec une politique
commerciale50. Il est possible qu'ils n'avaient pas aussi de la foi dans l'éducation que Say ou
qu'ils ne voient pas la possibilité d'implanter un système de formation pour l'ensemble de la
population ― Jean-Jean-Baptiste Say n'explique pas comment ils sont les nouvelles
institutions sont construites sur la base de l'enseignement industriel. Les auteurs espagnols
sont plus intéressés par des résultats immédiats que la politique éducative n’en procurait pas.
Mais Say ne s’intéresse pas sur les délais parce qu’il n’y a las d’autre politiques de
développement; une nouvelle organisation de la société nécessite un individu né de
l'enseignement industriel. Et les autres alternatives pour atteindre une prospérité permanente
sont inutiles.
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49
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50
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industrialisme protectionnistes », voir Almenar (1980).
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