ŒKONOMIA
Analyse du 25 octobre 2013
La hausse des taux aura--
-elle lieu ?
Depuis le mois de juin 2013, il est question de
réduire progressivement les injections monétaires
massives qui ont permis jusque là de maintenir
sous contrôle l’inlassable croissance de la dette des
pays développés, et de redonner à la croissance
économique quelques couleurs. Cette réduction
fera-t-elle ressurgir les problèmes d’endettement
dans certaines zones du monde ?
À la fin du mois de mai 2013, Ben Bernanke, président de la Federal
Reserve, constate que les effets négatifs de la création monétaire
commencent à l’emporter sur ses effets positifs. Il déclare alors que
cette politique d’injection monétaire pourrait cesser à mesure que la
reprise économique américaine se confirme, et s’arrêter totalement par
exemple à l’horizon de l’été 2014.
Cette déclaration marque un tournant dans la gestion de la crise de la
dette que nous traversons depuis 2008. Si elle est suivie des faits, le
niveau de liquidité mondiale devrait ralentir sa progression – autrement
dit, il y aura moins d’argent en circulation dans le monde, alors que les
besoins de financement des dettes publiques de nombreux pays
continuent d’augmenter.
Le drôle de crash de juin 2013…
La réaction des marchés a été brutale. Dans les 20 premiers jours de
juin, nous avons assisté à un phénomène inédit : une baisse généralisée
de tous les actifs dans le monde. Lorsqu’il y a moins d’argent dans le
monde, le prix des actifs risqués est naturellement impacté. Aussi, les
actions du monde entier ont très fortement baissé à cette période.
D’ordinaire en de telles circonstances, des actifs refuges profitent des
afflux de capitaux qui quittent les actions, et les obligations d’État, le
dollar, l’or etc. remontent. La décorrélation en actifs risqués et actifs
refuges permet à un portefeuille structuré de diminuer son exposition au
risque.
Or ici, aucune protection du capital n’a fonctionné : le dollar américain,
l’or, les emprunts d’États américains, européens (le Bund allemand aussi
Christophe Brochard
Conseil en investissements financiers agréé
Conseil en gestion de patrimoine certifié CGPC
14 rue Silbermann
67000 Strasbourg
+33 (0) 3 88 15 96 60
Analyse extraite du site
www.brochardfinance.fr
bien que l’OAT 10 ans français, italien, espagnol…) ont très fortement
baissé au même moment. Les taux d’emprunt à 10 ans de l’État français
ont doublé en un mois, passant de 1,40% environ à 2,90% en juillet – ce
qui correspond à une très forte baisse de la valeur des emprunts d’Etats.
En réaction à l’idée d’une baisse généralisée de la liquidité mondiale,
l’ensemble des actifs a baissé de concert.
Coup d’éclat de la banque centrale chinoise
En outre, les marchés émergents ont subi une double peine : en plein
milieu de la tempête de ces vingt premiers jours du mois de juin, dans la
nuit du 10 juin, une importante banque chinoise s’est vue refuser un
financement de court terme parfaitement habituel par la PBOC (Popular
Bank Of China, la banque centrale chinoise). À cet instant, en l’espace
de 48h, les taux interbancaires chinois ont explosé, dépassant les 12%
et faisant craindre pour le système bancaire chinois dans son ensemble.
Nous avons assisté à compter de ce jour à une fuite massive de capitaux
au départ des pays émergents : et là plus qu’ailleurs, les marchés ont
corrigé – sans épargner aucune classe d’actif. Les actions, les
obligations et les devises émergentes se sont effondrées de concert. Par
exemple, la roupie indienne a perdu près de 20% en l’espace d’un mois,
sans information nouvelle sur la situation du pays.
Ce sont environ 25 milliards de dollars qui ont quitté les marchés
émergents en l’espace d’une quinzaine de jours. Ce rapatriement de
capitaux sans raison fondamentale vers les marchés des pays
développés a permis à ces derniers d’effacer quasiment les traces des
vingt premiers jours de juin sur leurs marchés actions – mais pas sur des
marchés obligataires en forte souffrance.
En tout état de cause, les acteurs de marché ont passé l’été les yeux
tournés vers le communiqué très attendu de la Fed à la fin du mois de
septembre, dans lequel Ben Bernanke devait annoncer le début du
ralentissement des injections monétaires. La spéculation allait bon train,
pour connaître le rythme de cette diminution et en anticiper les
conséquences.
… et le contrepied de la Fed
À la surprise générale, le même Ben Bernanke, dont les déclarations
avaient déclenché les foudres des marchés en juin, a annoncé la
poursuite « jusqu’à une date ultérieure » des injections monétaires. La
Banque centrale américaine va donc continuer à injecter pas moins que
les 85 milliards d’USD tous les mois.
La Fed va-t-elle durcir sa politique monétaire ultra-
accomodante ?
Alors qu’en est-il ? La Fed va-t-elle réduire ses injections de liquidités ?
Au-delà des remous créés par cette annonce en mai, quels en seront les
impacts sur l’économie, les dettes d’État et les pays émergents ?
La décision surprise de poursuivre pour l’instant l’assouplissement
monétaire en cours (appelé QE3) a plusieurs raisons, et s’explique pour
une part par des facteurs conjoncturels.
Ben Bernanke ne pouvait ignorer l’état des troupes préparant les
négociations entre Démocrates et Républicains quant au budget fédéral
et surtout au relèvement du plafond constitutionnel de la dette
américaine. Et effectivement, les négociations ont été extrêmement
dures, amenant l’État fédéral américain à la limite du défaut de
paiement le 17 octobre 2013, et contraignant ce dernier à déclencher un
shutdown pendant presque trois semaines (i.e. la mise à au chômage de
plusieurs millions de fonctionnaires non nécessaires au fonctionnement
élémentaire de l’État. Même la NSA a mis 400 000 de ses collaborateurs
à l’arrêt). Bref, Ben Bernanke n’allait pas ajouter pour le moment à ces
tensions prévisibles le début d’un durcissement progressif de sa
politique monétaire.
Par ailleurs, le mandat du patron de la Fed prendra fin vers la fin de
cette année : en septembre, l’établissement le plus puissant au monde
était au beau milieu d’une guerre de succession. La nomination à la tête
de l’institution de Janet Yellen par Barack Obama a mis un terme aux
incertitudes sur la politique envisagée. Yellen était la candidate la plus
favorable à une politique « souple » de la Fed, issue du camp des «
colombes » dressé face aux partisans de la rigueur monétaire, les «
faucons » dans le jargon des gouverneurs de la Fed. Sa nomination
présage une transition en douceur de la politique de la Fed.
De notre point de vue, sauf si nous faisons face à une reprise de la
croissance mondiale véritablement puissante (scénario que nous
n’écartons pas complètement pour les USA et l’Asie notamment, mais
auquel nous croyons guère : la très faible croissance à laquelle est
condamnée la zone euro pèsera sur la reprise économique mondiale),
nous n’anticipons pas de durcissement brutal de la politique monétaire
américaine. Nous voyons plutôt un arrêt progressif des mesures non
conventionnelles de la Fed, qui ne débuterait que… plus tard ! De
nombreux analystes parlent de 2014, cela pourra être plus tard encore.
Au début du mois d’octobre, nous avons assisté à Chantilly à une
conférence de Pipa Malmgren, conseillère spéciale de Barack Obama à
la Maison Blanche : son analyse l’amenait à dire en substance que le
durcissement monétaire, avec Janet Yellen, ce n’est pas réellement pour
demain…
Néanmoins, même si sortir de ces politiques ultra-accommodantes sera
extrêmement compliqué, dangereux et sans doute long, cette
perspective est à long terme celle dans laquelle s’inscrivent les
marchés, et conduit donc notre stratégie d’investissement.
Nos portefeuilles
LES OBLIGATIONS
La bulle obligataire commence à se dégonfler
La très importante hausse des taux d’intérêts sur les emprunts d’État
européens ne s’est pas résorbée avec l’annonce surprise, en septembre,
de la continuation pour le moment de la politique monétaire américaine.
Pour nous, cette hausse des taux d’intérêts est durable, et nous restons
à l’écart de ces titres en particulier. La construction européenne est en
panne, l’euro est la variable d’ajustement des politiques monétaires des
banques centrales actives (USA, Japon, UK, Australie…), et, ajouté à
l’incapacité des politiques à réformer les économies, il continue de
pénaliser toute reprise économique réelle dans cette zone.
Cependant, la hausse des taux (et donc le dégonflement de la bulle
obligataire) s’étend entre autres aux emprunts américains. La hausse
des taux longs US est assurément aussi une des raisons – peut-être la
principale – qui a amené Ben Bernanke à ne rien faire en septembre : en
effet, la hausse brutale des taux en juin risquait d’entraîner la hausse
des taux d’emprunt, et donc d’entraver la reprise économique en cours
outre-atlantique. Il nous semble que, si la tendance est durablement à la
hausse des taux d’intérêts, certains excès de court terme peuvent
permettre de se positionner sur ces titres de manière tactique.
Nous privilégions dans nos portefeuille les gérants capable de profiter de
la baisse comme de la hausse des obligations : nous n’avons plus de
positionnement durable sur des obligations à taux fixes. Nos
portefeuilles peuvent afficher une sensibilité négative aux obligations.
LES ACTIONS
L’heure de la décorrelation
Depuis l’annonce de Ben Bernanke du mois de mai, nous remarquons
une très forte décorrelation entre les titres des sociétés. Contrairement
à ce que nous connaissions depuis la faillite de Lehmann Brothers, où
l’ensemble des titres était emmené à la hausse ou à la baisse selon les
nouvelles macro-économiques, sans distinction des qualités diverses des
entreprises, il apparaît clairement depuis cet été que la micro-économie
fait son grand retour. Ainsi, il redevient possible de pratiquer du bon
stock-picking, en se décorrelant des indices boursiers. Nous revenons
donc sur des sociétés leader dans leurs domaines à l’échelle mondiale,
ou sur des sociétés travaillant des marchés de niche, en position très
forte, non dépendantes de l’emprunt, et ayant une très bonne visibilité
sur leurs cash flow futurs.
Par ailleurs, s’agissant des actions, nous nous méfions d’hypothèses de
croissance anticipées qui nous semblent trop élevées en ce moment : la
reprise mondiale des pays développés ne peut être très forte à notre
avis, tant que les problématiques du désendettement public et privé
pèseront sur elle. Aux États-Unis toutefois, les gains de compétitivité
donné par l’exploitation industrielle des gaz et huiles de schistes,
permettant aux entreprises américaines de se fournir à très bas prix en
énergie, et les effets sur la balance commerciale américaine d’une telle
industrie, pourraient stimuler l’économie plus que dans d’autres pays
développés.
Le Japon à l’heure de la TVA sociale
Nous demeurons exposés aux actions japonaises, où le gouvernement
de Shinzo Abe met en œuvre ses « Abenomics », c’est à dire « son
remède de cheval » à l’économie japonaise, soutenu par une implication
très forte de la banque centrale nippone. Avec succès jusqu’ici, car la
déflation s’est déjà retournée en faible inflation. La demande intérieure
se renforce, certaines charges fiscales sont transférées des entreprises
vers la TVA, permettant à son économie intérieure de renforcer sa
compétitivité, et contraignant les importations à participer au
financement de l’État. Abe fera ainsi passer dans les prochaines années
la TVA de 5 à 10% sans freiner l’économie japonaise.
Certains marchés émergents historiquement
sous évalués
Là comme ailleurs, il s’agit de distinguer, parmi les événements du mois
de juin, ce qui est durable de ce qui ne l’est pas. Les actions, les
obligations comme les devises émergentes ont été très fortement
attaquées. La perspective d’un durcissement monétaire, ainsi que la
constitution d’opportunités alternatives de placements aux États-Unis
suite à la hausse des taux du mois de juin, a poussé de très nombreux
investisseurs à sortir des marchés émergents sans distinction aucune.
Mais également, l’annonce surprise de la banque centrale chinoise, le 10
juin 2013, qu’elle ne financera plus les actifs douteux des banques
chinoises par de la création monétaire, a ajouté de la panique à la
panique, et renforcé ce mouvement de retrait de capitaux.
Ici, nous n’avons plus la même analyse : il faut se rappeler qu’en 2008-
2009, le gouvernement chinois a lutté contre les effets de la crise par
des investissements publics très importants. Cette politique a porté ses
fruits très évidemment, mais elle a également connu certains ratés : en
particulier, l’accumulation de créances douteuses par les banques que
sont les prêts aux investissements peu judicieux, ou inspirés par la
corruption.
Aujourd’hui, le nouveau président chinois, Xi Jinping, en activité depuis
la fin de l’année 2012, fait de la lutte contre la corruption l’un des fers
de lance de son mandat. En outre, il considère à juste titre qu’on ne peut
continuer à tirer la croissance chinoise par de l’investissement public et
l’accroissement toujours aussi rapide du crédit. Ajoutant l’acte à la
parole, un beau matin, la PBOC refuse un prêt à 48h pour une
importante banque, mettant celle-ci en risque de faillite.
Ce faisant, le message est qu’il n’est pas question de continuer
d’accroître le crédit en Chine, ni le niveau général de liquidité lié à
l’investissement public : au contraire, c’est par une meilleure allocation
des ressources des banques, et par la hausse des salaires et de la
consommation que la croissance chinoise doit être soutenue. À leur
habitude, les chinois ont passé le message brutalement, en l’occurrence
par un refus brutal de prêt.
Cependant, il s’agit d’une excellente politique financière, d’une volonté
ferme de maîtriser l’inflation et d’éviter les créances douteuses par la
responsabilisation des banques. En outre, le fait de choisir ce moment
de pleine tourmente, suite aux déclarations américaines, pour faire cet
avertissement, constituent évidemment un geste politique fort de la
Chine, visant à montrer aux États-Unis d’Amérique que la Chine ne
dépend pas de l’approvisionnement en USD par la banque centrale
américaine… Depuis, les conditions bancaires se sont parfaitement
normalisées, les grands procès pour les hauts fonctionnaires confondus
de corruption continuent de façon très médiatisée, et les banques sont
vraisemblablement en train de faire le tri entre le bon grain et l’ivraie
dans leurs engagements de financement.
En guise de comparaison, en Europe, on préfère mettre les banques en
difficulté sous perfusion de subventions publiques, au risque de mettre
les Etats en faillite ; outre-Atlantique, les Etats-Unis ne parviennent
toujours pas à se passer des injections monétaires de la Fed. Sur ces
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