Article sur Charles Gave dans le Point.fr
Sources:
http://www.lepoint.fr/economie/economie-des-lions-menes-par-des-anes-03-12-2013-1764247_28.
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Il aurait pu être professeur d’économie ou haut fonctionnaire. Il s’est finalement contenté de
réussir brillamment dans la gestion et la finance internationale. Charles Gave est un cas. Un vrai
libéral qui a fait fortune hors de France, à Londres comme analyste financier, puis à Hong-Kong
comme stratégiste de marché. Il s’est efforcé de comprendre les phénomènes sous-jacents, les
plaques tectoniques de la mondialisation en étudiant de près les interconnexions entre la finance,
l’économie et la politique. Pour mieux comprendre les batailles, on y voit toujours plus clair du
haut de la colline que du bas de la tranchée.
Évidemment, il a fait de belles études : DESS d’économie à Toulouse, Sciences Po à Paris et un
MBA à New York. Il a surtout été proche, pendant une vingtaine d’années, de Milton Friedman, le
célèbre Prix Nobel d’économie en 1976, fondateur de l’École de Chicago, critique pugnace de
l’intervention étatique et des politiques keynésiennes, grand défenseur du libéralisme.
L’État et les technocrates sont toujours les gagnants
Charles Gave a attendu ses 60 ans pour publier son premier livre en 2003. Des lions menés par
des ânes, essai sur le crash économique (à venir mais très évitable) de l’Euroland en général et
de la France en particulier (Éd. Robert Laffont) s’est écoulé à 20 000 exemplaires. Un premier
succès d’estime. Que nous dit-il dans son ouvrage ? Que les entrepreneurs français sont des
« lions », que les fonctionnaires et une bonne partie de la classe politique sont des « ânes ». Que
nos « élites » ont passé leur temps à chercher des solutions à des problèmes qui n’existaient pas
et fait beaucoup d’efforts pour éviter les vrais défis que la France avait affrontés et allait encore
devoir affronter. Que les politiques économiques, monétaires et sociales de ces élites entravent
toutes les libertés en freinant la croissance. Les seuls gagnants de cette dérive perpétuelle sont
toujours les mêmes : l’État et ses technocrates, jamais l’emploi ni les profits, ces derniers étant la
condition des emplois de demain.
Des lions menés par des ânes est original à plus d’un titre, avec cette approche pragmatique de
l’économie qui consiste à utiliser des graphiques simples et explicites, faciles à comprendre,
comme le ferait un Que sais-je ? intelligent. Ce livre possède également de l’humour, ce qui est
rare dans ce genre d’exercice, avec des citations bien senties. « Si on paie ceux qui ne travaillent
pas et si on impose ceux qui travaillent, il ne faut pas s’étonner si le chômage augmente » (Milton
Friedman), ou encore : « Lorsque les riches s’appauvrissent, les pauvres crèvent de faim »
(proverbe chinois).
Il faut toucher le fond pour remonter à la surface
Vers la fin de l’ouvrage, après une implacable démonstration sur les dérives du « tout-État »,
Charles Gave enfonce le clou : en France, « le citoyen ordinaire est abruti par une propagande
(étatique) incessante » et « la police des pensées veille », cette « pensée unique » qui est « une
invention typiquement française. » En vérité, écrit-il, « la France n’est plus aujourd’hui en
démocratie, mais un pays en coupe réglée sous le joug d’une écrasante technocratie ». Et il
ajoute : « Les technocrates au pouvoir et leur idéologie SONT le problème, et attendre d’eux la
solution est hilarant. Cela revient à confier la clé de sa cave à vins à un sommelier alcoolique. »
L’intérêt porté par le public à son livre a fini par convaincre Charles Gave de continuer ses
recherches sur le « social-clientélisme » à la française et sur ceux « qui ont dépensé toute
l’épargne accumulée par les générations précédentes, puis emprunté l’épargne future de leurs
enfants et maintenant de leurs petits-enfants ». Ainsi, vont naître par la suite plusieurs essais,
dont Un libéral nommé Jésus (2005),Libéral, mais non coupable (2009) et L’État est mort, vive
l’État ! (2010), ce dernier ouvrage sous-titréPourquoi la faillite étatique qui s’annonce est une
bonne nouvelle. Autrement dit : quand on est en train de se noyer dans la piscine, il faut d’abord
toucher le fond, pour pouvoir, ensuite, mieux remonter à la surface… Aurait-on fini par atteindre,
dix ans après Des lions menés par des ânes, le bas de cette échelle ?
Un pilote d’avion aux commandes d’une locomotive
Entre-temps, Charles Gave est entré au conseil de la SCOR, un réassureur français de classe
mondiale, présidée par Denis Kessler. Il a aussi fondé un think tank libéral, l’Institut des libertés.
En 2013, il fête à la City de Londres, avec des amis, son 70e anniversaire et ses 50 ans de
recherches en économie depuis ses études supérieures à Toulouse. Et que constate-t-il ? Que les
choses continuent de s’aggraver : « L’État n’est bon à créer ni richesse, ni liberté, ni emploi, ni
croissance. Tout au plus des fonctionnaires. » Si le taux de croissance de l’économie française ne
cesse de baisser structurellement, c’est à cause de cette « évidence accablante : plus la part de
l’État dans l’économie est forte, plus la croissance est faible. Plus la croissance est faible, plus le
taux de chômage monte. Plus le taux de chômage monte, plus les dépenses de l’État
augmentent. Et plus la croissance est faible… Un cercle vicieux dans toute son horreur. »
Pire encore quand Tartuffe s’en mêle : « Comme Tartuffe, les socialistes se servent de la morale,
qui est utilisée par eux comme un instrument de domination sur les autres et non comme quelque
chose qui doit être vécu intérieurement. » Résultat : « Cette hypocrisie qui autorise une captation
illégitime des biens [des autres aboutit] toujours et partout à un appauvrissement général. »
Charles Gave va encore plus loin dans l’une de ses interventions récentes à l’Institut des libertés :
« Einstein disait que la définition de la folie, c’était de faire la même chose toujours et encore, en
espérant à chaque fois des résultats différents. Nous y sommes. Nous sommes gouvernés non par
des incompétents mais par des fous. »
Pour en revenir à nos « lions » et nos « ânes », le premier livre de Charles Gave, il se concluait sur
cette phrase : « Attachez vos ceintures, la météo annonce de considérables trous d’air, le pilote
de l’avion est fou et pense qu’il est aux commandes d’une locomotive. » Prémonitoire, n’est-ce
pas ?
Par JEAN NOUAILHAC
Marchés: « Il y aura des pleurs et des
grincements de dents »
Par Vincent Strauss,
Membre du conseil de L’Institut des Libertés
Article Original Publié dans les Echos du 3 septembre 2013
Les places boursières ont enchaîné les records cet été avant de replonger…
Que faut-il penser des actions des banques centrales, notamment la Fed et
la BCE ?
Les banques centrales ont fait leur travail en injectant massivement des liquidités pour
contrecarrer les effets déflationnistes de la crise. Elles l’ont fait parce que les gouvernements,
notamment en France, n’ont pas fait les réformes nécessaires. Ils n’ont pas remis en ordre leurs
finances publiques et ils n’ont pas fait les réformes structurelles sans cesse différées. Seul le
secteur privé crée de la richesse et cela n’est pas vraiment compris ni des gouvernements de
gauche ni de droite. La crise a démarré en juillet-août 2007, il y a six ans. Et qu’a-t-on fait depuis
en termes de réformes ? Rien. On a laissé filer la dépense publique, on a déplacé tous les
problèmes sur les bilans des banques centrales. Et on a permis aux banques de continuer à
fonctionner comme avant, au lieu de lier l’accès aux liquidités à bon compte au maintien des
concours à l’économie, comme l’a fait la Banque d’Angleterre. Les origines de la crise se trouvent
dans une orgie de dettes et, depuis 2008, les ratios de dettes rapportés aux PIB ont explosé dans
les pays développés.
La crise peut-elle repartir ?
Cela fait trente-cinq ans que je suis sur les marchés et je peux vous dire qu’il est impossible de
prédire quel est le déclencheur d’une crise. Une partie des encours de dettes ne sera jamais
remboursée et on doit craindre des défauts : défauts souverains, de banques ou de débiteurs
privés surendettés ? L’action des banques centrales a seulement permis aux gouvernements de
gagner du temps.
C’est-à-dire ?
Les marchés sont devenus « addict » aux liquidités et aux taux bas. Ben Bernanke a cent fois
raison de commencer à dire, en hissant le drapeau orange, que sa politique monétaire ultra-
accommodante aura une fin. Rappelons cependant que les systèmes bancaires domestiques et
les banques centrales ne sont pas les seuls créateurs de liquidités sur le plan mondial. Du fait du
rôle très spécifique du dollar monnaie de réserve du monde, quand les Etats-Unis ont un déficit de
leur balance des paiements, ils créent des dollars ex nihilo. A leur tour, les banques centrales de
la Chine, des grands pays émergents et surtout du Japon, pour endiguer la progression de leurs
monnaies face au dollar, achètent ces mêmes dollars et vendent des renminbis, des roubles et
des yens : c’est une création monétaire forcée ! Depuis 2007, c’est même la principale création
monétaire, mais ce mouvement a atteint des limites puisque aujourd’hui les déficits américains
vont être fortement réduits : effondrement des importations d’énergie du fait de l’impact des
huiles et gaz de schiste, et du rapatriement d’activités industrielles sur le territoire américain. Le
problème majeur est que nous n’avons aucune expérience en matière de sortie de politiques
monétaires non conventionnelles : à l’arrivée, il y aura des pleurs et des grincements de dents sur
les marchés, de dettes en particulier.
Êtes-vous aussi pessimiste pour l’Europe ?
Rien n’est réglé en Europe. L’Europe est en train de suivre pas à pas la trajectoire du Japon, qui
sort de vingt ans de croissance faible ou nulle. Les Japonais ont réussi à traverser ces deux
décennies perdues grâce à une cohésion sociale extraordinaire. Je ne crois pas que les Européens
puissent en faire autant. Et, comme au Japon, qui avait tardé à restructurer les banques, on n’a
absolument pas réglé le problème des banques européennes. Il aurait fallu responsabiliser bien
davantage les dirigeants des grandes institutions financières. Je suis même d’avis qu’on aurait dû
nationaliser toutes les banques en 2008, les nettoyer de fond en comble et éradiquer le cancer
des banques casinos. Le but aurait été de les remettre sur le marché deux ans après avec des
bilans et des effectifs largement dégraissés. Or, on a fait tout le contraire. On a demandé à des
banques zombies de continuer à financer des Etats en quasi-faillite : c’est du Madoff à grande
échelle !
Les banques semblent pourtant aller mieux, l’union bancaire devrait aussi
permettre de réaliser des progrès importants…
L’union bancaire ne pourra fonctionner que si l’on met en place une union fiscale. Il est en effet
nécessaire d’harmoniser les ressources des différents Etats pour une plus grande efficacité. Mais
on ne semble pas en prendre le chemin. La vérité, c’est que les épargnants, les fonds de
pension et les assureurs-vie continuent à payer pour le sauvetage du système bancaire. Les
banques centrales maintiennent les taux à des niveaux proches de zéro, c’est une mauvaise
politique car elle ne fait que différer l’ajustement bilanciel indispensable du système bancaire.
Combien de temps croyez-vous que les fonds de pension et les assureurs-vie vont pouvoir tenir
dans ce contexte ? Ces investisseurs ont des engagements auprès de leurs ayants droit à 3 %,
4 % ou plus alors qu’ils ne trouvent plus que des rendements entre 1 % et 2 %. En clair, les
épargnants paient un impôt forcé pour sauver les banques. C’est le plus grand détournement de
fonds depuis Jésus-Christ !
Comment les marchés réagiront-ils en cas de remontée des taux ?
Si les taux d’intérêt augmentent demain, beaucoup de banques européennes vont risquer
l’asphyxie ou l’implosion. Parce que beaucoup d’entre elles ont massivement investi dans des
instruments de dettes souveraines supposées être sans risque de défaut… mais non exemptes de
pertes liées aux remontées de taux. Il est insensé que les marchés de produits dérivés échappent
encore largement à tout contrôle, ce qui peut permettre à certains établissements de publier des
résultats qui ne reposent sur aucune base économique réelle. Nous ne sommes pas encore sortis
de la crise bancaire, qui va coûter encore plusieurs points de PIB à l’Europe. Mon pronostic est
que, dans moins de deux ans, la question d’une nationalisation massive des banques se posera
de nouveau en Europe, notamment en France. Mais a-t-on les moyens d’attendre deux ans ?
La France est-elle à la merci d’une attaque des marchés ?
Le cas de la France est particulièrement inquiétant. D’abord, les effets de la mondialisation y sont
supportés par le secteur privé, le seul à créer des richesses. Le secteur public et assimilé est
protégé des effets de la mondialisation : c’est dans mon esprit une profonde injustice… mais nos
dirigeants politiques et économiques sont largement issus de la fonction publique ! Depuis des
années, le Trésor a fort bien manoeuvré pour vendre la dette française à des investisseurs
étrangers. Un jour, les créanciers vont se réveiller et comprendre que, si l’on intègre à la dette
publique tous les déficits cachés, et en particulier les régimes de retraite du public non
provisionnés, le ratio dette sur PIB est proche, voire supérieur aux 120 % de pays comme l’Italie.
On peut craindre alors des ajustements douloureux !
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