La crise des finances publiques et le recul de la réforme budgétaire

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Mstislav AFANASIEV1
Professeur, Docteur ès économie,
L’Université nationale des recherches
L’école supérieure d’économie (Moscou, Russie),
Chercheur au CEMI-EHESS (Paris, France).
mstafan@hse.ru
La crise des finances publiques et le recul de la réforme budgétaire
(Les années 2011-2015 en Russie)
Le présent article se fixe pour objectif de présenter l’état actuel de la crise des finances
publiques russes et le recul de la réforme budgétaire depuis les années 2011-2015 en Russie sous
la pression, notamment, de la militarisation de l’économie nationale et du budget fédéral. Le
phénomène de la bureaucratisation de la gestion publique a contribué à la dégradation des
performances budgétaires.
Introduction
Dans notre article nous allons aborder des questions suivantes :
(1) la dégradation des indicateurs macroéconomiques et budgétaires russes dans les
quatre dernières années ;
(2) le laxisme de la programmation budgétaire et la budgétisation axée sur les résultats (la
BAR) dans la même période ;
(3) la baisse importante de l'efficacité et de l’efficience des indicateurs budgétaires et des
programmes budgétaires aux niveaux fédéral, régional et municipal.
En règle générale, le gouvernement devait mieux contrôler la hausse des dépenses
publiques en rendant compte de l’utilisation des ressources financières qui mène à la révision de
l’approche globale budgétaire à long terme. Malgré cet impératif d’ordre national on observe
aujourd’hui l’échec de la politique budgétaire axée sur l’efficacité budgétaire qui a été lancée au
début des années 2000 en Russie. Il en résulte la crise budgétaire actuelle en Russie.
1. Les tendances vers la nouvelle budgétisation efficace dans le monde entier.
La dernière décennie a été marquée par le débat sur l’Etat plus performent. Les
contribuables, à juste titre, s’interrogent sur l’utilisation de leur argent. C’est pourquoi, en
particulier, la performance budgétaire et la programmation budgétaire plus efficace sont très
populaires dans le monde entier. Les pays de G7 et, notamment, les Etats Unis et la France sont
les leaders dans la sphère de la budgétisation axée sur les résultats, y compris son application
dans les domaines différents de l’activité économique de la société moderne postindustrielle.
Sous l’impulsion d’Alexeï Koudrine, ministre des finances publiques entre 2000 et 2011,
la Russie a entamé la réflexion intellectuelle sur la politique budgétaire tournée vers une plus
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1 Mes remercîments sont adressés au professeur Alexeï Koudrine et mes collègues Anna Belentchuk et Julia
Abramova, ainsi qu’à mes étudiants en thèse : Andrei Tchoudine et Alexeï Mastrakov.
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grande efficacité budgétaire et a procédé à la mise en œuvre administrative de ces préceptes.
Alexeï Koudrine n’était pas à même de régler tous les problèmes économiques et financiers qui
existaient dans le pays à cette époque.
Néanmoins, son mérite est d’avoir pris l’initiative de lancement de la réforme budgétaire
qui a porté des résultats positifs et évidents. A posteriori, on peut constater que des erreurs ont
été commises dues, en particulier, à l’analyse insuffisante et superficielle des problèmes
existants, ainsi qu’au manque de support politique de la part de l’élite politique russe et au
sabotage de la bureaucratie. De plus, il faut mentionner la fable expérience de participation dans
les jeux bureaucratique de la haute administration russe. Mais comme dit le proverbe « celui ne
fait pas de fautes qui ne fait rien ».
Il est clair que la crise actuelle des finances publiques est étroitement liée à celle des
finances corporatives. Les budgets publics à l’échelle mondiale sont instables. Les tensions
budgétaires se développent de façon permanente. Les recherches lancées dans le domaine des
problèmes budgétaires n’apportent pas de solutions efficaces et productives. Les données
statistiques récentes démontrent que l’état des finances publiques continues de s’aggraver. C’est
pourquoi la mise en œuvre de la BAR est d’une importance vitale pour le monde entier et,
d’abord, pour les Etats bien développés du fait de leur possibilité d’accumulations et allocations
des recours financiers très élevés.
La question principale pour n’importe quel Etat est toujours l’efficacité des dépenses
publiques. Les économistes américains se sont penchés sur ce problème juste après la deuxième
guerre mondiale. Ils ont proposé la conception de la budgétisation axée sur les résultats aux
Etats-Unis (US Results-based budgeting)2. Depuis 1993, le Government Performance and
Results Act (Loi sur les performances et les résultats de la gouvernance) a été approuvé,
obligeant les autorités à élaborer des plans stratégiques, des plans de performance et des rapports
de performance liés au document budgétaire.
Parallèlement, les idées de l’incrémentalisme proposées par Aaron Wildavsky et ses
disciples ainsi que sa critique sont toujours au centre de la discussion budgétaire mondiale3. Ils
ont créé la nouvelle théorie de l’interprétation de la budgétisation. L’élaboration des budgets est
censée contribuer à la continuité (pour la planification), au changement (pour l’évaluation de la
politique), à la flexibilité (pour l’économie) et apporter de la rigueur (pour la limitation des
dépenses).
En France la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) a été adoptée en 2001 et
mise en application en 2006 avec les résultats très encourageants.4 Cette loi précise les modalités
"""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""
2"Voir, par exemple, Kelly J., Rivenbark W.C. Performance Budgeting for State and Local Government, 2nd ed., -
New York, Sharpe, 2011; Miller, G., Hildreth, W. B., Rabin, J. Performance-Based Budgeting. An ASPA Classic. -
Colorado: Westview Press, 2010; Novick D. (ed.) Program Budgeting, Second edition. - Cambridge, HUP, 1975;
Performance Budgeting in OECD Countries, - Paris, OECD, 2007, etc."
3 Voir, par example, Wildavsky A. Budgeting: a comparative theory of budgeting processes, 2nd ed., - New
Brunswick, Transaction publishing, 2002; Wildavsky, A., Caiden, N. The new politics of the budgetary process.
5nd ed. - N.Y.: Longman, 2003; Wildavsky A. Budgeting and Governing, - New Brunswick, Transaction
publishing, 2007.
4"Voir, Akhoune F. La réforme de la gestion budgétaire et comptabilipublique, Paris, LGDJ, 2013 ; Alventosa J.-
R. Management public et gestion des ressources, Paris, LGDJ, 2012 ; Barilari, A., Bouvier, M. La LOLF et la
nouvelle gouvernance financière de L’Etat. 3 éd. Paris, LGDJ, 2010 ; Camby J.-P. (éd) La réforme du budget de
l’Etat, Paris, L.G.D.J. 2002 ; Catteau D. Droit budgétaire. Contabilité publique LOLF et GBCP, Paris, Hachette,
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de préparation, de vote, d’exécution et de contrôle du budget de l’État et introduit une
présentation du budget en missions, programmes et actions. Sa nouvelle modalisation a été
adoptée en 2012, la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances
publiques complète les normes nationales par des dispositions procédurales sur la
programmation et la gouvernance des finances publiques qui s’imposent aux lois de finances.
L’élaboration et l’application de la budgétisation axée sur les résultats par la République
française servent d’exemple au pour le monde entier. Actuellement, la France est évaluée par la
communauté des experts comme le « numéro un » dans le domaine de la programmation
budgétaire. Les autre pays du monde, y compris la Russie, suivent cet exemple de la France.
2. La réforme budgétaire russe comme une reforme de rattrapage.
Les problèmes d’efficacité budgétaire sont extrêmement importants pour l’économie
russe et, notamment, pour le régime politique actuel. Il est évident que ses ambitions politiques
et militaires exigent beaucoup de ressources financières. Les recettes fiscales provenant du
secteur privé i se détériorent. Actuellement, l’étatisation, la bureaucratisation et l’expansion du
secteur publique s’accélèrent par rapport au quinquennat précédent. Les revenues des grandes
entreprises publiques russes diminuent régulièrement. C’est pourquoi l’efficacité des dépenses
du budget fédéral est devenue prioritaire.
En Russie le premier document l sur la programmation budgétaire a paru en 2004.5 Tous
les ministères étaient invités à composer leurs programmes budgétaires. Les programmes
budgétaires mettent en place les crédits ciblés pour mettre en œuvre une action ou un ensemble
cohérent d'actions relevant d'un même ministère et auquel sont associés des objectifs précis ainsi
que des résultats attendus et faisant l'objet d'une évaluation. Les crédits sont votés mission par
mission. Au cours des débats au Parlement russe, les députés n’ont pas la possibilité d’accroître
le montant global des crédits d'une mission, mais ils peuvent en modifier la répartition entre
programmes au sein d'une même mission.
L’évaluation des programmes est reconnue comme une source d’information clé sur
l’efficacité des programmes. Cette information est essentielle pour permettre au gouvernement
de fonder leurs décisions à l’égard des programmes et du financement sur des preuves
d’efficacité des programmes.
Néanmoins, la première tentative a été avortée. Le nouveau programme d’amélioration
d’efficacité des dépenses publiques a été adopté en 2008 et prévoyait une introduction de la
programmation budgétaire. Après la démission du Ministre des finances Alexeï Koudrine en
2011, les axes principaux de la politique budgétaire était bien changés. Les tentatives
d’introduction budgétaires ont été torpillées par le gouvernement actuel russe.
Il faut noter la spécificité de la budgétisation habituelle en Russie. Les raisonnements
traditionnels qui expliquent l’exigence d’efficacité sont basés sur les arguments de l’Etat de
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2014 ; Cliche P. Budget public et performance. Introduction à la budgétisation axée sur les résultats, Québec, PUQ,
2015 ; Mordacq F. La LOLF : un nouveau cadre budgétaire pour réformer l'Etat, - Paris, LGDJ, 2006, etc.
5 www.minfin.ru (2004) Voir, L’Arrêté du gouvernement de la Fédération de Russie du 22 mai 2004 249 «Sur les
mesures pour améliorer l'efficacité des dépenses budgétaires», y compris : « Concept de la réforme du processus
budgétaire dans la Fédération de Russie en 2004-2006 », « Le règlement sur les rapports des résultats et les
principales activités des sujets de la planification budgétaire ».
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droit. Les citoyens réclament le bilan des comptes publics.6 Tous les contribuables (les personnes
morales et physiques) veulent connaitre comment les prélèvements obligatoires de l’état sont
utilisées. Cependant, ce n’est pas le cas de la Russie contemporaine les gens ne cherchent pas
à comprendre comment les ressources financières prélevées par l’Etat sont utilisées. Les gens
veulent préserver une certaine distance entre eux et l’Etat russe sous le contrôle de la
bureaucratie nationale. La bureaucratie se développe et prospère aujourd’hui en Russie encore
mieux que sous le régime soviétique. Cette bureaucratie cherche toujours à remplacer par sa
réglementation et sa régulation les mécanismes du marché des facteurs de production7.
Il faut énumérer les résultats principaux de la politique budgétaire actuelle en Russie. Ils
sont les suivants :
(1) l’exonération de la budgétisation axée sur les résultats ;
(2) le rejet en terme réel de la programmation budgétaire ;
(3) le retour vers au budget annuel du budget pour trois ans ;
(4) le changement et l’abdication de « la règle budgétaire » ;
(5) l’augmentation du nombre des articles secrets budgétaires et du volume des fonds ;
(6) la différence importante entre le budget prévu et le budget exécuté ;
(7) les critères d'efficacité des dépenses du budget n'ont pas encore été mis au point ;
(8) l’absence des critères pour le contrôle d’efficacité des programmes budgétaires.
On va aborder tous ces problèmes et leurs conséquences après avoir donné un descriptif
des indicateurs macroéconomiques et budgétaires de Russie. Il est absolument nécessaire de
prendre en compte le fait que la qualité du pronostic macroéconomique en glissement annuel
devient de moins en moins fiable et crédible. La faiblesse de la préparation du projet de budget
fédéral russe se manifeste au niveau de la différence considérable entre le budget prévu et adopte
et le budget exécuté de facto.
3. La dégradation des indicateurs macroéconomiques et budgétaires
Dans le contexte actuel, la dégradation des indicateurs macroéconomiques se s’accélère
depuis quatre dernières années (voir le tableau 1). Le PNB baisse en chiffres réels. L’inflation
augmente et s’accélère. La prévision actuelle de l’inflation est 15,7% pour la fin de l’année 2015.
C’est-à-dire que l’inflation a augmenté de 2,5 fois depuis quatre ans. Le taux de croissance de
l’économie nationale est devenu négatif (- 3,8% pour 2015).
L’état du budget fédéral russe est encore pire. Le budget perd rapidement les recettes
fiscales. C’est plus que 3% de PIB entre 2016 et 2011. En même temps, les dépenses fédérales
augmentent et il en résulte le déficit budgétaire grimpant jusqu’à 3,1% de PIB en 2015. Même
sans tenir compte des problèmes économiques liés à la crise mondiale de 2008-2009 on constate
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6"Voir, par exemple, Art. 15. La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration //
Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 - http://www.conseil-constitutionnel.fr
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7 Weber M. Economy and Society, - Berkley, UCP, 1978 P. 991-992.
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que la Russie actuelle est rejetée vers les années de 1996-1997 dans le domaine de déficit
budgétaire au plan stratégique.
A noter que les pertes réels du budget fédéral sont compensés plus ou moins par la
dévaluation de la devise nationale le rouble russe. De façon macroéconomique cette
dévaluation sponsorise l’industrie russe mais elle affaiblit le pouvoir d’achat des produits
alimentaires importés qui jouent toujours un rôle très important pour les ménages russes.
La structure des recettes fiscales du budget fédéral de Russie montre que le rôle de TVA
diminue lentement et en continu (voir le tableau 2). La TVA est la taxe pivot du système fiscal
russe, les autres impôts étant basés -dessus. Mais la part de TVA baisse dans le contexte de
l’échec de la réforme budgétaire de 5,8% à 5,5% de PIB. Périodiquement, il y a des initiatives au
niveau du gouvernement pour remplacer la TVA par une taxe corporative comme aux Etats Unis.
On peut constater que les efforts d’amélioration de fonctionnement de TVA sont minimes.
Tableau 1. Les principaux indicateurs macroéconomiques russes
Indicateurs
2011
2012
2013
2014
2015
2016
1
PNB, mlrd. Rub.
55967,2
62176,5
66190,1
71406,4
73514,8
78673,1
2
Inflation, %
6,1
6,6
6,5
11,4
12,2
6,4
3
Recettes fédérales, mlrd. Rub.
11367,7
12855,5
13019,9
14496,8
13251,3
13570,1
4
Recettes fédérales, % PNB
20,3
20,7
19,7
20,3
18,0
17,2
5
Dépenses fédérales, mlrd. Rub.
10925
12895
13342,9
14830,6
15513,1
15941,1
6
Dépenses fédérales, % PNB
19,5
20,7
20,2
20,8
21,1
20,3
7
Déficit budgétaire (surplus), %
PNB
0,8
-0,1
-0,5
-0,5
-3,1
-3,0
8
Taux d'échange vers la fin de
l'année, Rub/Euro
41,7
40,2
45
68,3
75,5
90
Source : www.audit.gov.ru; www.rosstat.ru (2011-2014 l’exécution, 2015 l’estimation d’exécution, 2016 le
plan adopté)
L’importance des revenus pétro-gaziers est vraiment significative pour l’économie
nationale russe en général et pour les recettes fiscales en particulier. L’impôt sur l’extraction des
ressources naturelles est autour de 3,8% de PIB. Cette taxe était conçue en 2002 pour le
prélèvement de la rente naturelle du secteur des hydrocarbures en faveur de l’Etat. Cet impôt est
un des plus «jeunes» et plus discutables en Russie. Mais les revenus du budget fédéral sont
stables pour cet impôt.
Les principaux contributeurs sont le secteur des hydrocarbures (l’extraction et la vente du
gaz et du pétrole) et métallurgique (notamment, la fabrication des gazoducs et oléoducs pour
l’exportation des hydrocarbures). D’après le Service fédéral des impôts, en 2015 les premiers
contributeurs au budget fédéral sont (1) Gazprom, (2) Lukoil, (3) Transneft, (4) Rosneft, (5)
NLMK, (6) Severstal, (7) Sourgoutneftegaz, (8) Novatek, (9) Tatneft, (10) EVRAZ8. Ces
entreprises donnent presque un tiers de leurs revenus au budget fédéral. Cependant, les chiffres
exacts, ayant le statut de secret commercial, ne sont pas divulgués au grand public et aux
chercheurs.
"""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""
8 Pour comparer, en 2014, les 10 premières plus grandes entreprises russes d’après leur flux brut de trésorerie (cash
flow brut) sont (1) Gazprom, (2) Lukoil, (3) Rosneft, (4) Sberbank Rossiji, (5) Chemins de fer russes, (6) Banque
VTB, (7) Sourgoutneftefaz, (8) Grand distributeur «Magnit», (9) Réseaux électriques russes, (10) Inter RAO
électricité (www.rbc.ru, 2015).
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