PERSPECTIVES
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Les investisseurs face au sudoku des économies chinoise et mondiale Novembre 2015
Dans un célèbre discours de 2010 intitulé Sudoku for economists, Mervyn King, qui était
alors gouverneur de la Banque d’Angleterre, soulignait le lien entre la crise financière de
2008, due à une distribution excessive de crédit au secteur privé, et la croissance rapide
des pays émergents. Il expliquait que le processus de désendettement dans le monde
développé nécessiterait une adaptation des modèles économiques des pays émergents.
Le banquier central s’était ainsi montré particulièrement visionnaire.
Depuis 2008, les moteurs de la croissance économique ont changé. Ce phénomène a eu
pour principale conséquence un ralentissement prononcé des échanges mondiaux. Ce
nouveau contexte a fortement affecté la Chine.
Le sudoku est un jeu qui repose sur l’interdépendance des chiffres : si l’on modifie l’un
d’entre eux, les autres doivent également changer. Il en va quasiment de même pour la
Chine et l’économie mondiale. C’est cette relation d’interdépendance que nous nous
proposons d’éclairer dans cet article.
Gaël Combes
Analyste de risque
fundamental
Actions
Guilhem Savry
Gérant
Cross Asset Solutions
Le modèle de croissance précédent
Entre 2000 et 2007, la croissance mondiale reposait essentiellement sur le dynamisme de
l’activité de crédit dans le monde développé et l’investissement massif dans les pays
émergents, en Chine principalement. Grâce au crédit, les pays développés consommaient des
produits fabriqués par les marchés émergents, qui enregistraient ainsi une forte croissance
économique.
Ce modèle économique mondial avait deux conséquences :
1. Les flux internationaux de capitaux et d’épargne ont augmenté. Les excédents
commerciaux des pays émergents finançaient les déficits des pays développés, en
particulier celui des Etats-Unis.
2. La demande de matières premières s’est accrue : les pays et les secteurs liés aux
matières premières ont profité de cette tendance et investi fortement pour satisfaire la
demande croissante.
Avant la crise, le monde se caractérisait donc par une interdépendance financière entre les
pays disposant d’un excès d’épargne et ceux accusant un déficit d’épargne.
Le monde a changé
La crise financière mondiale a largement rebattu les cartes. Depuis 2008, le secteur privé,
dans les économies développées, s’est désendetté au travers de deux grands processus :
un net ralentissement de la croissance du crédit. La masse monétaire augmente plus
lentement, tant dans les pays développés que dans les économies émergentes
(graphique1)
Synthèse
1. Depuis 2008, les moteurs
de la croissance
mondiale ont changé
2. La Chine semble appee
à connaître une
croissance durablement
plus lente
3. Nous avons identifié un
lien étroit entre la
sensibili des pays au
commerce chinois et les
performances de leur
marc d’actions
4. Nous pensons que les
investisseurs devraient
tenir compte de cette
relation dans leur
allocation géographique.
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Graphique 1 : Evolution de la masse monétaire (croissance moyenne en glissement annuel,
pondérée en fonction du PIB)
Source : statistiques nationales
une réduction des déficits commerciaux et budgétaires. Ainsi, le déficit courant des Etats-
Unis est passé de 5,8 % du PIB en 2006 à 2,5 % en 2014.
Dans ce contexte, le commerce mondial a ralenti et les pays émergents ont pâti d’une
décélération de la croissance des exportations, couplée à une baisse des entrées de capitaux :
d’après le FMI, les pays émergents ont enregistré une croissance annuelle de 6,2 % entre
2004 et 2007, mais de 3,9 % seulement après 2010. En outre, leur balance commerciale,
excédentaire de 0,6 % auparavant, est devenue déficitaire (-0,9 %).
Graphique 2 : Evolution de la balance courante de cinq pays (en milliards USD)
Source : FMI
L’économie mondiale n’a donc plus du tout le même profil en 2015 qu’en 2007 : les
déséquilibres commerciaux et financiers ont été réduits, mais le développement du commerce
mondial a ralenti et les marchés émergents ne tirent plus la croissance aussi vigoureusement
qu’avant.
Cette évolution est particulièrement frappante en Chine.
«La réduction des déficits a
entraîné un ralentissement
du commerce
international »
« La Chine poursuit deux
objectifs contradictoires »
6.4%
15.4%
4.4%
11.6%
0.00
2.00
4.00
6.00
8.00
10.00
12.00
14.00
16.00
18.00
G10 Marchés émergents
2000-2007
2014-2015
-1000
-800
-600
-400
-200
0
200
400
600
800
2000 2002 2004 2006 2008 2010 2012 2014
Etats-Unis Royaume-Uni Suisse Allemagne Chine
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La Chine en transition vers une nouvelle norme
La croissance chinoise a nettement ralenti au cours des dix dernières années : après avoir
atteint 12 % par an entre 2000 et 2010, elle est désormais inférieure à 7 %. Les trois causes
de ce ralentissement sont :
des facteurs structurels : vieillissement de la population, baisse de la rentabilité du
capital et du travail, surinvestissement.
la transition économique : la China abandonne son modèle fondé sur l’investissement au
profit d’une économie tirée par la consommation. Cette transition, qui s’accompagne
d’une réaffectation des ressources humaines et capitalistiques, a un impact négatif sur
l’activité en Chine.
des facteurs cycliques comme le ralentissement économique de la zone euro et
l’appréciation du dollar américain (le renminbi est arrimé au dollar), avec pour
conséquence une baisse de la compétitivité des exportations chinoises et, partant, une
diminution de son activité manufacturière. Si le dollar s’apprécie davantage, la Chine
pourrait devoir dévaluer le renminbi.
En conséquence, la Chine a son propre sudoku à résoudre et poursuit deux objectifs
contradictoires:
1. elle doit s’assurer une croissance économique suffisamment solide pour créer les
emplois nécessaires au maintien de la stabilité sociale, tout en
2. rééquilibrant son économie pour passer d’un modèle de croissance essentiellement
fondé sur l’investissement à un modèle reposant sur la consommation et les services - le
tout dans un contexte de politiques contraintes, de taux de change fixe et de dette
publique élevée.
Ce processus de rééquilibrage augmente le risque d’une récession en Chine en 2016. Nous
pensons toutefois que ce risque est surestimé moins d’un choc externe sur la demande ou
d’une erreur politique majeure), pour trois raisons :
la structure des exportations chinoises s’est améliorée (la Chine est désormais un
exportateur majeur de biens à valeur ajoutée)
le secteur des services est en plein essor (signe que le processus de rééquilibrage
progresse graphique 3)
Graphique 3 : Valeur ajoutée en Chine (en % du PIB)
Source FMI
«Nous n’anticipons pas de
récession en Chine »
«Ces dernières années, les
pays ont adapté leurs
économies pour répondre à
la demande chinoise ;
aujourd’hui, ils sont
confrontés à une baisse de
cette demande »
0
10
20
30
40
50
60
1960 1970 1980 1990 2000 2010
Agriculture, valeur ajoutée (en % du PIB)
Industrie, valeur ajoutée (en % du PIB)
Services, valeur ajoutée (en % du PIB)
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malgré la nécessité de réformer de manière urgente les entreprises publiques, les
entreprises privées, qui représentent une part élevée de l’économie, affichent de bonnes
performances. La réforme des entreprises publiques réduira le potentiel de croissance de
l’économie chinoise, c’est pourquoi nous pensons qu’elle sera mise en œuvre lentement.
Pour résumer, nous n’attendons pas de récession en Chine, mais plutôt une croissance
durablement plus lente.
Autre incertitude : la possibilité d’une dévaluation du renminbi. Celle-ci dépend selon nous de
fondamentaux dépassants la seule économie chinoise. De fait, les mesures prises par la
Banque populaire de Chine (PBOC) et la Réserve fédérale sont liées d’une manière qui
rappelle l’initiative prise par la Banque nationale suisse pour devancer la BCE en rompant le
lien entre l’euro et le franc suisse.
D’après nous, la Chine ne vise pas une forte dépréciation du renminbi ; elle souhaite plutôt
que, peu à peu, l’orientation de sa monnaie soit davantage guidée par le marché. Une
dépréciation soudaine et de grande ampleur saperait la confiance des investisseurs,
augmenterait la volatilité du marché et amplifierait les sorties de capitaux. Cependant,
comme le renminbi conserve une forme d’arrimage au dollar, une forte hausse du billet vert
entraînerait une nouvelle appréciation de la monnaie chinoise par rapport à celles des
partenaires commerciaux du pays (le premier étant l’Europe) et de ses concurrents (par
exemple, la Turquie dans l’électroménager). Un tel scénario contraindrait la PBOC à intervenir
pour dévaluer la monnaie.
Les effets du ralentissement de la croissance chinoise sur l’économie mondiale
Le ralentissement de la croissance chinoise aura des conséquences considérables pour
l’équilibre économique mondial. Entre 2010 et 2015, de nombreux pays ont adapté leur
structure économique afin de tirer parti de l’augmentation du commerce mondial. Ces pays
ont des profils très différents : producteurs de matières premières et fabricants de produits
électroniques, pays développés, marchés émergents. Tous ont un point commun : ils sont
devenus beaucoup plus dépendants de la Chine, directement ou indirectement.
Prenons l’exemple de l’Australie. Entre 2000 et 2013, la part des exportations australiennes
destinées à la Chine est passée de 4 à 35 % (graphique 4).
Graphique 4 : Pays destinataires des exportations australiennes (en % des exportations
totales du pays)
Source : Banque mondiale
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Les exportations représentant 21 % du PIB australien, la sensibilité directe de l’économie
australienne à la Chine a été multipliée par 10 sur cette période, passant de 0,7 % à 7,3 %.
Cette augmentation tient largement au fait que l’industrie australienne s’est concentrée sur
l’extraction de minéraux : de 2000 à 2013, la part des minéraux dans le total des exportations
australiennes est passée de 7,5 % à 31,5 % (graphique 5).
Graphique 5 : Exportations australiennes par catégorie (en % des exportations totales)
Source : Banque mondiale
Cette exposition de l’économie australienne à la Chine et aux exportations de minéraux a
conduit à des investissements massifs et à une segmentation de la main d’œuvre locale. Par
conséquent, un ralentissement en Chine a non seulement des effets directs au travers de la
baisse des exportations, mais aussi des effets indirects, comme une médiocre allocation des
ressources humaines et capitalistiques.
L’exemple de l’Australie montre à quel point la baisse du potentiel de croissance chinois
modifie la structure de l’économie mondiale par le biais des liens financiers et de la chaîne
d’approvisionnement. Le sendettement des pays développés, qui affecte ces liens
financiers, est un processus à long terme, tout comme le passage d’un modèle reposant sur
l’investissement à une croissance fondée sur la demande intérieure dans les économies
émergentes. Nous sommes convaincus que ces processus conduisent le monde vers une «
nouvelle norme ».
Vulnérabilité au commerce mondial et performance des marchés d’actions sont liées
Bien sûr, tous les pays ne sont pas affectés de la même manière par le ralentissement
chinois. C’est pourquoi nous avons conçu un Indice de vulnérabilité au commerce mondial, qui
vise à identifier les pays à risque et ceux qui sont les mieux placés pour faire face à ce nouvel
environnement.
Notre indice ne prend pas seulement en compte la part des exportations dans le PIB d’un pays
: la nature des produits exportés et la diversité des pays destinataires sont tout aussi
importantes. Ainsi, l’Allemagne est très dépendante de la demande extérieure (les
exportations contribuent à hauteur de 45 % à son PIB), mais la nature de ses exportations et
la diversité des destinataires de celles-ci devraient permettre au pays de bien résister. Le
premier marché de l’Allemagne – la France ne représente que 9 % de ses exportations.
Pour évaluer la sensibilité de chaque pays à l’évolution du commerce mondial, notre Indice de
«Nous avons identifié un
lien étroit entre les
performances des marchés
d’actions et la sensibilité à
la baisse de l’activité
chinoise et du commerce
mondial »
0%
5%
10%
15%
20%
25%
30%
35% 2000 2013
1 / 8 100%
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