militaires, mais aussi par un effort d'investissement en hausse ainsi que la multiplication des
activités sous-traitées à des sociétés de services privées (comme Halliburton). Un tel surcroît
de revenus stimule indéniablement la consommation, du moins à court terme. Les États-Unis
auraient-ils trouvé la formule magique permettant d'allier la puissance militaire à la prospérité
économique ?
Il est parfois nécessaire d'aller au-delà des premières impressions pour saisir les paramètres
fondamentaux d'un pays. Le regard que porte Emmanuel Todd dans son ouvrage Après
l'Empire (3) est, de ce point de vue, très éclairant. Face à l'apparente réussite américaine, une
analyse plus fouillée révèle en effet certaines tendances pour le moins surprenantes.
De fait, les États-Unis semblent dépendre de plus en plus du reste du monde pour leurs
besoins économiques tout en lui apportant un soutien de plus en plus faible. En effet, le déficit
commercial américain apparaissait acceptable tant que le reste du monde devait trouver des
débouchés et placer ses capitaux. Or, d'autres moteurs de la croissance économique mondiale
ont émergé – en particulier la Chine (4) – et viennent concurrencer les États-Unis. Ceux-ci
apparaissent de ce fait moins indispensables pour le reste du monde en termes de débouchés.
Par ailleurs, la rentabilité réelle des capitaux placés aux États-Unis apparaît faible, ce qui
entraîne un moindre intérêt pour les pays accumulant les excédents commerciaux (5). Ceci se
produit à un moment où d'autres régions du monde deviennent fortement consommatrices de
capitaux et offrent un retour sur investissement plus intéressant. Or, l'entrée de capitaux est
essentielle pour contrebalancer le déficit commercial américain.
Emmanuel Todd développe alors une thèse intéressante. Les États-Unis voient leur place dans
l'économie mondiale diminuer alors qu'ils deviennent de plus en plus dépendants du reste du
monde pour préserver/améliorer leur niveau de vie. A côté de cela, les États-Unis souhaitent
garder le leadership mondial, comme le montre leur politique internationale et militaire depuis
2000. Comment conjuguer ces deux tendances ? Pour Emmanuel Todd, la solution est claire :
les États-Unis doivent démontrer au reste du monde que celui-ci a besoin de la puissance
militaire américaine pour préserver l'ordre mondial.
Si la thèse d'Emmanuel Todd peut sembler osée, voire grandiloquente, elle a le mérite de nous
amener à nous interroger sur la place des États-Unis et les relations que nous entretenons avec
eux. Son livre n'est pas sans évoquer, dans son esprit, l'Empire et les nouveaux barbares de
Jean-Christophe Rufin (6). Ces deux ouvrages conduisent à remettre en question quelques
idées reçues tout en nous incitant à réfléchir sur les tendances émergentes. Dans le cas de
l'ouvrage d'Emmanuel Todd, la notion de "burden sharing" avancée par les États-Unis au sein
de l'OTAN prend une dimension nouvelle.
Les États-Unis évoquent depuis de nombreuses années un partage plus équitable du fardeau
des dépenses militaires entre pays de l'OTAN. Si ce souhait ne s'est pas matérialisé au niveau
de l'effort de défense (bien au contraire), il apparaît que les pays européens financent de facto
une part du déficit commercial américain, notamment au travers de leurs politiques d'austérité
budgétaire et de recherche d'un excédent commercial structurel. L'accroissement du déficit
commercial américain démontre, quant à lui, que les États-Unis ont découplé leur
consommation de leur capacité à créer des richesses – signe, s'il en est, de leur position
dominante dans le monde.
Page 2 sur 3