20 Économie et Solidarités, volume 33, numéro 2, 2002
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Tiré de:
Économie et Solidarités
, vol. 33, no 2, Jacques L. Boucher,
responsable
reconnaissance étatique, ou plus largement institutionnelle, et l’accessibilité aux
ressources. Mais des contradictions par rapport à l’économie sociale se sont
glissées entre mouvements sociaux et même entre fractions de ces mouvements.
Nous connaissons les tensions qui existent entre une partie des syndicats
et les organisations communautaires à ce sujet. Même à l’intérieur d’une
organisation syndicale comme la Confédération des syndicats nationaux, qui
soutient le développement des activités d’économie sociale (Aubry et Charest,
1995), la Fédération de la santé et des services sociaux n’a jamais caché ses
réticences à son égard. Si la concurrence sur le plan des emplois a une certaine
influence dans cette position, il reste que pour cette importante fédération
syndicale, comme pour d’autres syndicats du secteur public d’ailleurs, le
développement social passe essentiellement par l’État (Boucher et Jetté, 1998).
Il est également clair qu’il n’y a pas unanimité sur ce plan à l’intérieur du
mouvement communautaire non plus. Certaines organisations communautaires
tiennent à se définir comme des entreprises d’économie sociale et font pression
sur les pouvoirs publics pour obtenir reconnaissance et appui. D’autres, par
contre, rejettent cette identité, même si elles produisent des services. À cet égard,
il est même surprenant de voir à quel point, comme le rapporte Jacques
Caillouette dans ce dossier, des porte-parole d’une même organisation commu-
nautaire défendent l’appartenance à deux identités tout en produisant les mêmes
services. La seule différence, ce sont les clientèles, l’une étant solvable, l’autre
pas, la première passant par le marché, l’autre par une forme de redistribution
autre qu’étatique, ou du moins pas exclusivement étatique. Dans ce cas, les
activités d’économie sociale sont considérées comme instrumentales par rapport
au mouvement social. Enfin, les organisations communautaires qui s’inscrivent
dans la tradition de la défense des droits sociaux ou encore de l’éducation popu-
laire refusent habituellement l’étiquette d’économie sociale et s’en méfient même.
Pourtant, ce qui traverse l’ensemble des définitions et des descriptions de
l’économie sociale repose sur deux composantes: l’association3 et l’entreprise4.
La première assure la libre participation, l’égalité, la démocratie, la portée plus
sociale de l’économie. La deuxième garantit la production et la distribution de
services comme de biens, la dimension plus économique du social. Un des
problèmes d’arrimage entre les deux, c’est que des acteurs n’arriveraient pas,
ou ne chercheraient pas à le faire pour des raisons de stratégies et d’intérêts, à
concevoir l’entreprise et l’activité économique en dehors d’un marché effecti-
vement ou potentiellement rentable, le champ d’action par excellence du capi-
talisme. De la sorte, des organisations de mouvements sociaux craignent de se
faire contaminer et même littéralement aspirer par l’économie capitaliste domi-
nante. Il est vraisemblable aussi qu’elles appréhendent de compromettre leur
mission sociale, le cœur du mouvement social selon elles, en allant sur le terrain
de l’économique. De la sorte, l’«encastrement» (Granovetter, 2000) de l’éco-
nomie dans le social ne s’opère pas automatiquement dans les représentations
des groupes sociaux impliqués dans le développement social. Or, cette difficulté