La crise du capitalisme d`aujourd`hui : une analyse

O Olho da História, n. 14, Salvador (BA), junho de 2010. Robert Rollinat
La crise du capitalisme d´aujourd´hui : une analyse marxiste
Robert Rollinat
La fin de l’année 2008 a été marquée par le déferlement brutal d’une crise bancaire
et financière exceptionnelle. Partie des Etats-Unis, avec les « subprimes » (des crédits
immobiliers souscrits par des ménages désormais insolvables), cette crise s’est étendue,
comme une traînée de poudre, à la planète toute entière. Par-delà les manifestations
financières de la crise se sont très vite révélées ses origines économiques, industrielles et
sociales : surproduction de marchandises, programmes entiers de logements et de bureaux
invendables, explosion des fermetures d’entreprises et des licenciements, dans tous les
secteurs d’activité. Les économistes s’accordent pour considérer que le pire reste à venir.
Ce qui est en question c’est la nature même du capitalisme et d’un système
d’accumulation prédateur fondé sur la recherche exclusive du profit et de la spéculation. Il
ne s’agit pas de simples dérives ou de manquements éthiques qui pourraient être résolus
par de nouvelles règles du jeu ou normes régulatrices : c’est la logique même des marchés
mondialisés qui se sont développés sans contrôle depuis plusieurs décennies qui est remise
en cause.
Cette situation historique exceptionnelle appelle immédiatement la comparaison
avec la grande crise des années 1930 qui a conduit au fascisme et à la guerre. Il nous faut,
dès à présent, tenter d’en saisir le déroulement car elle conditionne déjà la vie au quotidien
de milliers d’hommes et de femmes, dans tous les pays du monde.
Ces derniers temps, le discours économique et politique des adeptes fanatiques du
libre marché et de la mondialisation sans entraves s’est quelque peu modifié. En
contradiction totale avec les préceptes antérieurement énoncés et considérés comme
incontournables, il est demandé à l’Etat, c’est-à-dire aux citoyens, de venir à la rescousse
des banques et des capitaines d’industrie en difficulté. Il est nécessaire d’évaluer la
signification de ces tentatives dans le cadre d’une compréhension globale de l’ensemble du
système et des rapports de classes sous-jacents. De ce point de vue, les analyses et les
concepts hérités du marxisme, les explications fournies par Marx sur les crises industrielles
et bancaires du XIXème siècle, sur les crises de surproduction conservent non seulement
toute leur pertinence mais constituent aujourd’hui la seule référence théorique permettant
de comprendre les évènements.
Sans nul doute, une nouvelle période historique s’est ouverte. Elle sera chaotique,
marquée de nombreux conflits, avec des conséquences politiques et sociales incalculables.
Il convient, par-delà les faits eux-mêmes et le déferlement médiatique des « mauvaises
nouvelles », de tenter de comprendre les origines et les causes de cette crise, ses enjeux et
ses conséquences pour le futur. A quelle étape de la crise sommes-nous parvenus ? Que va
t’il se passer maintenant ? Quels seront les effets pour les travailleurs et les salariés, pour
la jeunesse, déjà largement précarisée et menacée de paupérisation ? Quels mots d’ordre,
adaptés à la nouvelle situation, faut-il avancer pour leur permettre d’organiser la
résistance et la mobilisation ?
O Olho da História, n. 14, Salvador (BA), junho de 2010. Robert Rollinat
Au coeur de la crise: l´antagonisme capital-travail et la realisation du profit
Depuis plusieurs mois maintenant, la crise est d’abord apparue comme crise
financière et bancaire mais très vite on en a constaté les conséquences au niveau de la
production et de l’emploi. La crise est donc la crise d’un mode de production global et pour
nous, d’un point de vue marxiste, elle doit être considérée d’abord comme crise de la mise
en valeur du capital. Pour une compréhension correcte des processus actuellement en cours,
il faut la considérer, à une étape historique donnée de l’évolution du système capitaliste,
comme une crise de réalisation, de valorisation du capital considéré dans sa globalité. C’est
cette démarche que nous voudrions expliciter ci-après.
Rappelons tout d’abord que, pour Marx, un des impératifs permanents du capital, sa
« raison d’être » pourrait-on dire, c’est non seulement de produire pour réaliser la valeur (et
donc de dégager à cette occasion la plus-value, source du profit), c’est aussi de se
reproduire comme capital. Sur ce point, la phrase bien connue du « Capital » de Marx, doit
servir de base pour l’analyse :
La véritable barrière de la production capitaliste, c’est LE CAPITAL lui-même : le capital et sa
mise en valeur par lui-même apparaissent comme point de départ et point final, moteur et fin
de la production ; la production n’est qu’une production pour le capital et non l’inverse…Les
limites qui servent de cadre infranchissable à la conservation et à la mise en valeur de la
valeur-capital reposent sur l’expropriation et l’appauvrissement de la grande masse des
producteurs…Le moyen, développement inconditionné de la production sociale, entre
perpétuellement en conflit avec la fin limitée : mise en valeur du capital existant.Le
Capital », Livre 3, chap.15, p.263].1
Ces dernières années, sous la constante pression d’une mondialisation sauvage et
d’une dérégulation sans limites, avec l’émergence de nouveaux marchés, suite notamment à
« l’ouverture » vers les pays de l’Est et la Chine, la concurrence inter-impérialiste s’est
considérablement accentuée. Les conditions de la mise en valeur du capital sont
progressivement devenues plus difficiles. Il a fallu trouver de nouveaux espaces, aussi bien
dans les principaux pays capitalistes qu’à la « périphérie », pour, vaille que vaille, continuer
à dégager un surplus de valeur, de plus-value, fondement même du profit. Dans le
capitalisme, régime fondé sur la propriété privée des moyens de production, cette quête
insatiable du profit est la raison première de la course effrénée à l’accumulation du capital,
condition même de sa mise en valeur, en fait de sa survie.
De manière générale, dans la mesure où les lois générales de la concurrence tendent
à aiguiser la lutte entre les producteurs et les différents capitalismes , la tendance du capital
va être de chercher à réduire la part du travail payé dans la production afin de maintenir les
conditions d’extorsion de la plus-value, donc la réalisation du profit. Un des moyens
« classiques » de satisfaire cette tendance, c’est d’augmenter la productivité du travail,
notamment par des investissements en machines, en équipements afin d’économiser de la
main d’œuvre et donc les salaires. Autre moyen, largement utilisé ces dernières années et
permettant d’aboutir au même résultat : les délocalisations productives, permettant, elles
1 Les éditions de MARX utilisées ici sont : pour « Le Capital », (Cap.) Editions Sociales, Paris, 8
tomes [1959-1960] ; pour les « Théories sur la plus-value », TPV, (Livre IV du « Capital »), Editions
Sociales, Paris, 3 tomes [1974-1976] ; pour les « Fondements de la critique de l’économie politique », (
« Grundrisse »), Editions Anthropos, 2 vol., Paris, 1969.
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aussi, d’abaisser le coût du travail. Dans le cadre du capitalisme, la tendance de fond, c’est
bien de réduire, dans la production, la part revenant au salaire (le « travail vivant »)
comparativement au capital accumulé sous forme de biens d’équipement (le « travail
mort » selon la terminologie adoptée par Marx.
A un moment donné, la plus-value « alisable » ne peut donc venir que de
l’exploitation de la force de travail, du travail vivant. Au plan global, c’est donc le procès
d’ensemble des rapports entre capital et travail qu’il convient d’analyser. Ce rapport est
évidemment complexe car il intègre des éléments à la fois économiques (ceux qui
touchent à la rentabilité « physique » du capital investi) mais aussi les rapports de classe.
Cependant, pour Marx, un des éléments essentiels de l’explication des crises concerne la
« loi de la baisse tendancielle du taux de profit ».
Lorsque, dans le Livre III du « Capital », Marx analyse les fondements théoriques et
les mécanismes de cette « loi », il considère qu’elle est essentielle pour la compréhension
du capitalisme et de son évolution de longue période. Elle doit donc être considérée comme
un élément incontournable de l’explication des crises, « le mystère, dit Marx, dont la solution
préoccupe toute l’économie politique depuis Adam SMITH » [Marx, Cap., L. 3, chap.18,
p.227].
Sa présentation est relativement simple, triviale diraient même certains. Si l’on
raisonne d’un point de vue global, on doit considérer les deux composantes du capital : d’un
côté, le capital fixe ou constant (ou encore circulant) : C qui représente tous les
équipements nécessaires à la production et d’un autre côté, le capital variable, V qui
représente la force de travail engagée dans la production (les salariés). C’est la combinaison
des deux qui permettra au capitaliste de produire les marchandises et de dégager le surplus,
la « plus-value ». Cependant, à un moment donné, dès l’instant où les machines ont déjà
été acquises à un certain prix, MARX considère qu ‘elles ne peuvent plus dégager de
« valeur » supplémentaire. Elles représentent, certes, du travail mais c’est du travail
« cristallisé » en machines, du travail « mort » qui doit être combiné, à nouveau, avec du
travail « vivant » pour produire. La plus-value, le profit ne pourront alors être pris que sur
ce travail « vivant », c’est-à-dire sur les travailleurs réellement engagés dans la production.
Si l’on accepte ces prémisses, on conçoit que l’évolution même du mode de
production capitaliste conduise le capital à se substituer au travail. Le capital variable V tend
donc à diminuer au bénéfice de du capital constant C (c’est aussi une façon de constater la
hausse de la productivité sociale moyenne du travail : la même force de travail a tendance
à « mobiliser » un capital de plus en plus important). La « base d’extorsion » de la plus-
value qui, à un moment donné, ne peut être que le « travail vivant » se restreint donc
inéluctablement par rapport au capital total investi et donc, avec elle, le profit lui-même.
La tendance historique, « naturelle », du système est donc de développer la force
productive du travail en mettant en action une masse croissante de moyens de production
(Mp) par une masse relativement décroissante de travail (T). Cette tendance se traduit,
selon la formule de Marx, par « la hausse de la composition organique du capital »,
fondement de la baisse tendancielle du taux de profit :
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A mesure que diminue progressivement le capital variable relativement au capital constant,
s’élève de plus en plus la composition organique de l’ensemble du capital et la conséquence
immédiate de cette tendance c’est que le taux de plus-value se traduit par un taux de profit
général en baisse continuelle, le degré d’exploitation du travail restant sans changement ou
même augmentant. [MARX, Capital, L.3, t.6, chap.XIII, p.227].
La baisse tendancielle du taux de profit:
verifications empiriques ou confirmation historique?
Pour bon nombre d’économistes, l’argument principal pour rejeter la théorie
marxiste des crises consiste à invoquer la « non-vérification » empirique de la « loi » de la
baisse tendancielle du taux de profit. Il est certes difficile, au plan global, d’appréhender de
manière précise la masse des profits réalisés (qui dépend directement de la plus-value
extraite) ainsi que le taux de ce profit (par rapport au capital investi), ne serait-ce que parce
que les catégories économiques de Marx ne correspondent pas avec les indicateurs macro-
économiques officiels2. Que l’on songe aussi aux différents moyens utilisés par les grands
dirigeants des banques et des entreprises pour masquer leurs rémunérations ou encore à la
difficulté de « répartir », pour des sociétés multinationales, les bénéfices réalisés dans le
pays d’origine et dans les pays étrangers. Le scandale Enron aux Etats-Unis avait mis au
jour les fraudes financières ( avalisées par les agences de notation et les comptables)
utilisées pour cacher les bénéfices réels et déjouer les contrôles fiscaux.
Mais l’essentiel n’est pas là. Marx, dans les 50 pages consacrées dans la troisième
section du Livre III du Capital à la question, met l’accent sur les mécanismes généraux de la
concurrence qui conduisent à la « loi générale » de la baisse du taux de profit. Mais il admet
que la loi générale d’accumulation du capital, la tendance historique générale à la baisse du
taux de profit puisse être, momentanément ou plus ou moins durablement, remise en
question par des contre-tendances « qui contrecarrent » cette loi ou l’empêchent de se
manifester (Chapitre XIV de la 3ème section). Quelles sont ces contre-tendances, ces
influences contraires qui confèrent à la loi le caractère d’une tendance historique qu’il faut
donc considérer sur une longue période ? Ce sont en fait tous les obstacles à la mise en
valeur du capital, à la réalisation du profit : la concurrence entre capitalistes et les diverses
formes du capitaux, les différentes formes de résistance du salariat.
On pourrait presque considérer que les « contre-tendances » bien connues
évoquées par Marx ne sont en fait là que « pour mémoire » car elles découlent
logiquement des analyses classiques effectuées par ailleurs sur le rapport salarial et
l’extorsion de la plus-value. En effet, on comprend que « l’augmentation du degré
d’exploitation du travail », « la réduction du salaire au-dessous de sa valeur », la
surexploitation puissent « contrecarrer » la baisse taux de profit3. De la même manière, « la
2 Beaucoup de malentendus découlent des définitions du capital (et du profit qui en découle).
Chez Marx, le capital, une des formes de la valeur, est l’expression d’un rapport de production
historiquement déterminé. Pour les économistes « orthodoxes », il n’est qu’un instrument de
production, ayant, indépendamment du travail, sa propre « productivité ». Voir sur ce point, l’ouvrage
déjà ancien de : Jean BENARD [1952] : « La conception marxiste du capital ». SEDES. Paris.
3 Marx note bien le caractère contradictoire du processus : « ..les mêmes causes qui élèvent
qui élèvent le taux de la plus-value .. tendent à réduire la force de travail employée par un capital
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baisse du prix des éléments du capital constant » (due par exemple à un accroissement de
la productivité ou à la dépréciation du capital investi suite à une crise) peut, dans certains
secteurs, conduire, à taux de plus-value constant, à un relèvement du profit. Marx évoque
également « la surpopulation relative » (de main d’œuvre), « inséparable du développement
de la productivité du travail » et qui se manifestera d’autant plus fortement que le mode de
production capitaliste sera développé [Marx, L.3, T.6, p.249]. C’est une manière de rappeler
le rôle essentiel de cette « armée industrielle de réserve » qui, en pesant sur les salaires,
permet, pour un temps, de maintenir ou d’améliorer la rentabilité du capital investi, donc le
taux de profit.
Enfin, une des causes permettant de contrecarrer la baisse du taux de profit c’est
bien entendu « le commerce extérieur ». Marx se situe ici dans le contexte du XIXème
siècle, celui des « capitalismes nationaux » déjà contraints de dépasser les limites de leur
propre marché mais cette expansion est inhérente à la nature même du capital, à la
dynamique même de l’accumulation. Rosa Luxembourg fera de cette expansion un des
fondements des traits parasitaires permanents du capitalisme : l’impérialisme et le
militarisme.
Donc, chez Marx, « les mêmes causes qui provoquent la baisse du taux de profit
général suscitent des effets contraires qui freinent, ralentissent et paralysent partiellement
cette baisse. Ils ne suppriment pas la loi mais en affaiblissent l’effet ». Sinon, continue t’il,
« ce n’est pas la baisse du taux de profit général qui serait incompréhensible, mais
inversement la lenteur relative de cette baisse » [Cap., L.3, t.6, p.251]. Par delà ces
contradictions, et en considérant l’élévation de la composition organique du capital (qui
restreint la base d’extorsion de la plus-value), on peut considérer qu’il est dans la nature
même du mode de production capitaliste et aussi des nécessités de l’accumulation et de la
reproduction du capital, d’aboutir à une situation où la pénurie de plus-value devient la
règle et conduit « mécaniquement » à la baisse tendancielle du taux de profit4.
Il faut donc tenter de resituer le fonctionnement de la loi dans son contexte
historique car « elle n’agit que sous forme de tendance dont l’effet n’apparaît d’une façon
frappante que dans des circonstances déterminées et sur de longues périodes de temps
[Cap., L.3, t.6, p.251]. Nous verrons plus loin que la crise de surproduction est précisément
une des occasions où elle se manifeste de façon la plus brutale.
donné, elles tendent à la fois à diminuer le taux de profit et à ralentir le mouvement de cette baisse »
[Le Capital, L.3 , tome 6, p. 247].
4 Cette citation de Marx ( et la précédente) nous semble mettre un terme à la controverse
engagée entre F. Chesnais et A. Bihr à propos de « l’excès » ou de « l’insuffisance » de plus-value. La
« loi » de la baisse tendancielle du taux de profit découle du mouvement même du capital et de la
difficulté à réaliser la plus-value à long terme (loi « historique » selon Marx). Il y a donc bien,
« structurellement », une pénurie de plus-value. Bien entendu, dans certains secteurs et avec des
temporalités conjoncturelles plus courtes, on pourra constater des « excédents » de plus-value en quête
de valorisation, mais cela ne saurait invalider la loi générale de l’accumulation du capital. Voir : A. BIHR
: « Le triomphe catastrophique du néo-libéralisme », 1er Nov. 2008 ; F. CHESNAIS : « A propos d’un
excès de plus-value », Janvier 2009 sur le site : www.alencontre.org
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