O Olho da História, n. 14, Salvador (BA), junho de 2010. Robert Rollinat La crise du capitalisme d´aujourd´hui : une analyse marxiste Robert Rollinat La fin de l’année 2008 a été marquée par le déferlement brutal d’une crise bancaire et financière exceptionnelle. Partie des Etats-Unis, avec les « subprimes » (des crédits immobiliers souscrits par des ménages désormais insolvables), cette crise s’est étendue, comme une traînée de poudre, à la planète toute entière. Par-delà les manifestations financières de la crise se sont très vite révélées ses origines économiques, industrielles et sociales : surproduction de marchandises, programmes entiers de logements et de bureaux invendables, explosion des fermetures d’entreprises et des licenciements, dans tous les secteurs d’activité. Les économistes s’accordent pour considérer que le pire reste à venir. Ce qui est en question c’est la nature même du capitalisme et d’un système d’accumulation prédateur fondé sur la recherche exclusive du profit et de la spéculation. Il ne s’agit pas de simples dérives ou de manquements éthiques qui pourraient être résolus par de nouvelles règles du jeu ou normes régulatrices : c’est la logique même des marchés mondialisés qui se sont développés sans contrôle depuis plusieurs décennies qui est remise en cause. Cette situation historique exceptionnelle appelle immédiatement la comparaison avec la grande crise des années 1930 qui a conduit au fascisme et à la guerre. Il nous faut, dès à présent, tenter d’en saisir le déroulement car elle conditionne déjà la vie au quotidien de milliers d’hommes et de femmes, dans tous les pays du monde. Ces derniers temps, le discours économique et politique des adeptes fanatiques du libre marché et de la mondialisation sans entraves s’est quelque peu modifié. En contradiction totale avec les préceptes antérieurement énoncés et considérés comme incontournables, il est demandé à l’Etat, c’est-à-dire aux citoyens, de venir à la rescousse des banques et des capitaines d’industrie en difficulté. Il est nécessaire d’évaluer la signification de ces tentatives dans le cadre d’une compréhension globale de l’ensemble du système et des rapports de classes sous-jacents. De ce point de vue, les analyses et les concepts hérités du marxisme, les explications fournies par Marx sur les crises industrielles et bancaires du XIXème siècle, sur les crises de surproduction conservent non seulement toute leur pertinence mais constituent aujourd’hui la seule référence théorique permettant de comprendre les évènements. Sans nul doute, une nouvelle période historique s’est ouverte. Elle sera chaotique, marquée de nombreux conflits, avec des conséquences politiques et sociales incalculables. Il convient, par-delà les faits eux-mêmes et le déferlement médiatique des « mauvaises nouvelles », de tenter de comprendre les origines et les causes de cette crise, ses enjeux et ses conséquences pour le futur. A quelle étape de la crise sommes-nous parvenus ? Que va t’il se passer maintenant ? Quels seront les effets pour les travailleurs et les salariés, pour la jeunesse, déjà largement précarisée et menacée de paupérisation ? Quels mots d’ordre, adaptés à la nouvelle situation, faut-il avancer pour leur permettre d’organiser la résistance et la mobilisation ? O Olho da História, n. 14, Salvador (BA), junho de 2010. Robert Rollinat Au coeur de la crise: l´antagonisme capital-travail et la realisation du profit Depuis plusieurs mois maintenant, la crise est d’abord apparue comme crise financière et bancaire mais très vite on en a constaté les conséquences au niveau de la production et de l’emploi. La crise est donc la crise d’un mode de production global et pour nous, d’un point de vue marxiste, elle doit être considérée d’abord comme crise de la mise en valeur du capital. Pour une compréhension correcte des processus actuellement en cours, il faut la considérer, à une étape historique donnée de l’évolution du système capitaliste, comme une crise de réalisation, de valorisation du capital considéré dans sa globalité. C’est cette démarche que nous voudrions expliciter ci-après. Rappelons tout d’abord que, pour Marx, un des impératifs permanents du capital, sa « raison d’être » pourrait-on dire, c’est non seulement de produire pour réaliser la valeur (et donc de dégager à cette occasion la plus-value, source du profit), c’est aussi de se reproduire comme capital. Sur ce point, la phrase bien connue du « Capital » de Marx, doit servir de base pour l’analyse : La véritable barrière de la production capitaliste, c’est LE CAPITAL lui-même : le capital et sa mise en valeur par lui-même apparaissent comme point de départ et point final, moteur et fin de la production ; la production n’est qu’une production pour le capital et non l’inverse…Les limites qui servent de cadre infranchissable à la conservation et à la mise en valeur de la valeur-capital reposent sur l’expropriation et l’appauvrissement de la grande masse des producteurs…Le moyen, développement inconditionné de la production sociale, entre perpétuellement en conflit avec la fin limitée : mise en valeur du capital existant. [« Le Capital », Livre 3, chap.15, p.263]. 1 Ces dernières années, sous la constante pression d’une mondialisation sauvage et d’une dérégulation sans limites, avec l’émergence de nouveaux marchés, suite notamment à « l’ouverture » vers les pays de l’Est et la Chine, la concurrence inter-impérialiste s’est considérablement accentuée. Les conditions de la mise en valeur du capital sont progressivement devenues plus difficiles. Il a fallu trouver de nouveaux espaces, aussi bien dans les principaux pays capitalistes qu’à la « périphérie », pour, vaille que vaille, continuer à dégager un surplus de valeur, de plus-value, fondement même du profit. Dans le capitalisme, régime fondé sur la propriété privée des moyens de production, cette quête insatiable du profit est la raison première de la course effrénée à l’accumulation du capital, condition même de sa mise en valeur, en fait de sa survie. De manière générale, dans la mesure où les lois générales de la concurrence tendent à aiguiser la lutte entre les producteurs et les différents capitalismes , la tendance du capital va être de chercher à réduire la part du travail payé dans la production afin de maintenir les conditions d’extorsion de la plus-value, donc la réalisation du profit. Un des moyens « classiques » de satisfaire cette tendance, c’est d’augmenter la productivité du travail, notamment par des investissements en machines, en équipements afin d’économiser de la main d’œuvre et donc les salaires. Autre moyen, largement utilisé ces dernières années et permettant d’aboutir au même résultat : les délocalisations 1 productives, permettant, elles Les éditions de MARX utilisées ici sont : pour « Le Capital », (Cap.) Editions Sociales, Paris, 8 tomes [1959-1960] ; pour les « Théories sur la plus-value », TPV, (Livre IV du « Capital »), Editions Sociales, Paris, 3 tomes [1974-1976] ; pour les « Fondements de la critique de l’économie politique », ( « Grundrisse »), Editions Anthropos, 2 vol., Paris, 1969. O Olho da História, n. 14, Salvador (BA), junho de 2010. Robert Rollinat aussi, d’abaisser le coût du travail. Dans le cadre du capitalisme, la tendance de fond, c’est bien de réduire, dans la production, la part revenant au salaire (le « travail vivant ») comparativement au capital accumulé sous forme de biens d’équipement (le « travail mort » selon la terminologie adoptée par Marx. A un moment donné, la plus-value « réalisable » ne peut donc venir que de l’exploitation de la force de travail, du travail vivant. Au plan global, c’est donc le procès d’ensemble des rapports entre capital et travail qu’il convient d’analyser. Ce rapport est évidemment complexe car il intègre des éléments à la fois économiques (ceux qui touchent à la rentabilité « physique » du capital investi) mais aussi les rapports de classe. Cependant, pour Marx, un des éléments essentiels de l’explication des crises concerne la « loi de la baisse tendancielle du taux de profit ». Lorsque, dans le Livre III du « Capital », Marx analyse les fondements théoriques et les mécanismes de cette « loi », il considère qu’elle est essentielle pour la compréhension du capitalisme et de son évolution de longue période. Elle doit donc être considérée comme un élément incontournable de l’explication des crises, « le mystère, dit Marx, dont la solution préoccupe toute l’économie politique depuis Adam SMITH » [Marx, Cap., L. 3, chap.18, p.227]. Sa présentation est relativement simple, triviale diraient même certains. Si l’on raisonne d’un point de vue global, on doit considérer les deux composantes du capital : d’un côté, le capital fixe ou constant (ou encore circulant) : C qui représente tous les équipements nécessaires à la production et d’un autre côté, le capital variable, V qui représente la force de travail engagée dans la production (les salariés). C’est la combinaison des deux qui permettra au capitaliste de produire les marchandises et de dégager le surplus, la « plus-value ». Cependant, à un moment donné, dès l’instant où les machines ont déjà été acquises à un certain prix, MARX considère qu ‘elles ne peuvent plus dégager de « valeur » supplémentaire. Elles représentent, certes, du travail mais c’est du travail « cristallisé » en machines, du travail « mort » qui doit être combiné, à nouveau, avec du travail « vivant » pour produire. La plus-value, le profit ne pourront alors être pris que sur ce travail « vivant », c’est-à-dire sur les travailleurs réellement engagés dans la production. Si l’on accepte ces prémisses, on conçoit que l’évolution même du mode de production capitaliste conduise le capital à se substituer au travail. Le capital variable V tend donc à diminuer au bénéfice de du capital constant C (c’est aussi une façon de constater la hausse de la productivité sociale moyenne du travail : la même force de travail a tendance à « mobiliser » un capital de plus en plus important). La « base d’extorsion » de la plusvalue qui, à un moment donné, ne peut être que le « travail vivant » se restreint donc inéluctablement par rapport au capital total investi et donc, avec elle, le profit lui-même. La tendance historique, « naturelle », du système est donc de développer la force productive du travail en mettant en action une masse croissante de moyens de production (Mp) par une masse relativement décroissante de travail (T). Cette tendance se traduit, selon la formule de Marx, par « la hausse de la composition organique du capital », fondement de la baisse tendancielle du taux de profit : O Olho da História, n. 14, Salvador (BA), junho de 2010. Robert Rollinat A mesure que diminue progressivement le capital variable relativement au capital constant, s’élève de plus en plus la composition organique de l’ensemble du capital et la conséquence immédiate de cette tendance c’est que le taux de plus-value se traduit par un taux de profit général en baisse continuelle, le degré d’exploitation du travail restant sans changement ou même augmentant. [MARX, Capital, L.3, t.6, chap.XIII, p.227]. La baisse tendancielle du taux de profit: verifications empiriques ou confirmation historique? Pour bon nombre d’économistes, l’argument principal pour rejeter la théorie marxiste des crises consiste à invoquer la « non-vérification » empirique de la « loi » de la baisse tendancielle du taux de profit. Il est certes difficile, au plan global, d’appréhender de manière précise la masse des profits réalisés (qui dépend directement de la plus-value extraite) ainsi que le taux de ce profit (par rapport au capital investi), ne serait-ce que parce que les catégories économiques de Marx ne correspondent pas avec les indicateurs macroéconomiques officiels 2 . Que l’on songe aussi aux différents moyens utilisés par les grands dirigeants des banques et des entreprises pour masquer leurs rémunérations ou encore à la difficulté de « répartir », pour des sociétés multinationales, les bénéfices réalisés dans le pays d’origine et dans les pays étrangers. Le scandale Enron aux Etats-Unis avait mis au jour les fraudes financières ( avalisées par les agences de notation et les comptables) utilisées pour cacher les bénéfices réels et déjouer les contrôles fiscaux. Mais l’essentiel n’est pas là. Marx, dans les 50 pages consacrées dans la troisième section du Livre III du Capital à la question, met l’accent sur les mécanismes généraux de la concurrence qui conduisent à la « loi générale » de la baisse du taux de profit. Mais il admet que la loi générale d’accumulation du capital, la tendance historique générale à la baisse du taux de profit puisse être, momentanément ou plus ou moins durablement, remise en question par des contre-tendances « qui contrecarrent » cette loi ou l’empêchent de se manifester (Chapitre XIV de la 3ème section). Quelles sont ces contre-tendances, ces influences contraires qui confèrent à la loi le caractère d’une tendance historique qu’il faut donc considérer sur une longue période ? Ce sont en fait tous les obstacles à la mise en valeur du capital, à la réalisation du profit : la concurrence entre capitalistes et les diverses formes du capitaux, les différentes formes de résistance du salariat. On pourrait presque considérer que les « contre-tendances » bien connues évoquées par Marx ne sont en fait logiquement des analyses classiques l’extorsion là que « pour mémoire » car elles découlent effectuées par ailleurs sur le rapport salarial et de la plus-value. En effet, on comprend que « l’augmentation du degré d’exploitation du travail », « la réduction du salaire au-dessous de sa valeur », la surexploitation puissent « contrecarrer » la baisse taux de profit 3 . De la même manière, « la 2 Beaucoup de malentendus découlent des définitions du capital (et du profit qui en découle). Chez Marx, le capital, une des formes de la valeur, est l’expression d’un rapport de production historiquement déterminé. Pour les économistes « orthodoxes », il n’est qu’un instrument de production, ayant, indépendamment du travail, sa propre « productivité ». Voir sur ce point, l’ouvrage déjà ancien de : Jean BENARD [1952] : « La conception marxiste du capital ». SEDES. Paris. 3 Marx note bien le caractère contradictoire du processus : « ..les mêmes causes qui élèvent qui élèvent le taux de la plus-value .. tendent à réduire la force de travail employée par un capital O Olho da História, n. 14, Salvador (BA), junho de 2010. Robert Rollinat baisse du prix des éléments du capital constant » (due par exemple à un accroissement de la productivité ou à la dépréciation du capital investi suite à une crise) peut, dans certains secteurs, conduire, à taux de plus-value constant, à un relèvement du profit. Marx évoque également « la surpopulation relative » (de main d’œuvre), « inséparable du développement de la productivité du travail » et qui se manifestera d’autant plus fortement que le mode de production capitaliste sera développé [Marx, L.3, T.6, p.249]. C’est une manière de rappeler le rôle essentiel de cette « armée industrielle de réserve » qui, en pesant sur les salaires, permet, pour un temps, de maintenir ou d’améliorer la rentabilité du capital investi, donc le taux de profit. Enfin, une des causes permettant de contrecarrer la baisse du taux de profit c’est bien entendu « le commerce extérieur ». Marx se situe ici dans le contexte du XIXème siècle, celui des « capitalismes nationaux » déjà contraints de dépasser les limites de leur propre marché mais cette expansion est inhérente à la nature même du capital, à la dynamique même de l’accumulation. Rosa Luxembourg fera de cette expansion un des fondements des traits parasitaires permanents du capitalisme : l’impérialisme et le militarisme. Donc, chez Marx, « les mêmes causes qui provoquent la baisse du taux de profit général suscitent des effets contraires qui freinent, ralentissent et paralysent partiellement cette baisse. Ils ne suppriment pas la loi mais en affaiblissent l’effet ». Sinon, continue t’il, « ce n’est pas la baisse du taux de profit général qui serait incompréhensible, mais inversement la lenteur relative de cette baisse » [Cap., L.3, t.6, p.251]. Par delà ces contradictions, et en considérant l’élévation de la composition organique du capital (qui restreint la base d’extorsion de la plus-value), on peut considérer qu’il est dans la nature même du mode de production capitaliste et aussi des nécessités de l’accumulation et de la reproduction du capital, d’aboutir à une situation où la pénurie de plus-value devient la règle et conduit « mécaniquement » à la baisse tendancielle du taux de profit4 . Il faut donc tenter de resituer le fonctionnement de la loi dans son contexte historique car « elle n’agit que sous forme de tendance dont l’effet n’apparaît d’une façon frappante que dans des circonstances déterminées et sur de longues périodes de temps [Cap., L.3, t.6, p.251]. Nous verrons plus loin que la crise de surproduction est précisément une des occasions où elle se manifeste de façon la plus brutale. donné, elles tendent à la fois à diminuer le taux de profit et à ralentir le mouvement de cette baisse » [Le Capital, L.3 , tome 6, p. 247]. 4 Cette citation de Marx ( et la précédente) nous semble mettre un terme à la controverse engagée entre F. Chesnais et A. Bihr à propos de « l’excès » ou de « l’insuffisance » de plus-value. La « loi » de la baisse tendancielle du taux de profit découle du mouvement même du capital et de la difficulté à réaliser la plus-value à long terme (loi « historique » selon Marx). Il y a donc bien, « structurellement », une pénurie de plus-value. Bien entendu, dans certains secteurs et avec des temporalités conjoncturelles plus courtes, on pourra constater des « excédents » de plus-value en quête de valorisation, mais cela ne saurait invalider la loi générale de l’accumulation du capital. Voir : A. BIHR : « Le triomphe catastrophique du néo-libéralisme », 1er Nov. 2008 ; F. CHESNAIS : « A propos d’un excès de plus-value », Janvier 2009 sur le site : www.alencontre.org O Olho da História, n. 14, Salvador (BA), junho de 2010. Robert Rollinat Dans la mesure où la loi de la baisse tendancielle du taux de profit reste bien, chez MARX, au cœur de l’explication de la crise, il est normal qu’elle ait été l’objet de controverses, y compris entre marxistes. Dans un débat engagé en 2008 sur le site Internet anglais « Workers’Liberty », à partir d’un article déjà ancien sur l’analyse des crises chez Marx 5 , la question est à nouveau débattue. Ainsi, Martin THOMAS considère t’il que, chez Marx, si l’on s’en tient au seul changement technologique, les « contre-tendances » de la loi seront généralement plus fortes que la tendance elle-même. Il n’y aurait donc pas de « loi d’airain » du changement technique conduisant mécaniquement à la baisse du taux de profit. Ce n’est donc pas là qu’il faudrait rechercher l’origine des crises mais plutôt dans les rapports entre la production et les marchés. Selon Thomas, la « loi » de baisse tendancielle du taux de profit aurait été abusivement érigée en statut de « théorie » marxiste par le stalinisme dans les années 1930, pendant la « troisième période » sectaire de l’Internationale Communiste et correspondrait à une vision « catastrophiste » de la période. Il estime en conséquence que la crise ne peut, chez Marx, être seulement enracinée dans la production mais doit être analysée à partir de l’interaction entre la production et la circulation, du côté de l’argent aussi bien que du côté de la marchandise, ce qui tendrait à invalider la conception « orthodoxe » de la loi de baisse tendancielle du taux de profit. Nous retrouvons ici les termes d’un débat initié en Allemagne par Henryk Grossman à la veille de la crise de 1929 6 . Selon lui, la théorie marxiste de l’accumulation ne porte pas sur les déséquilibres production-circulation ou production-consommation. Elle ne porte pas sur « l’harmonie ou la désharmonie des proportions échangées dans le schéma de reproduction, mais sur la tendance à la baisse du taux de profit à la baisse », compte tenu de l’élévation de la composition organique du capital inhérente à l’accumulation 7 . Grossman considère donc que l’insuffisance de plus-value due à la hausse de la composition organique doit conduire à un arrêt de l’accumulation, à « l’écroulement » du système capitaliste, la masse de plus-value extraite ne pouvant à la fois permettre de renouveler le capital constant, de payer les salaires et aussi de satisfaire la « consommation » des capitalistes. Il admet cependant que pour un capitalisme désormais intégré dans l’économie mondiale, la « tendance à l’écroulement » peut être affaiblie en raison notamment de l’exportation du capital. Cette exportation de capital est la conséquence de la « surracumulation » dans les pays les plus développés et doit se traduire par la ponction d’une plus-value « extra » supplémentaire à la périphérie. C’est la raison pour laquelle, selon Grossman, la vigueur de l’expansion impérialiste est particulièrement forte dans la phase ultime de l’accumulation du capital. 5 Martin THOMAS : «Marx on capitalist crisis », Août 2008. Critique de Phil FERGUSON et réponse de THOMAS : « An exchange on crisis and the « Tendancy of the Rate of Profit to Fall » , Novembre 2008, dans: www.workersliberty.org 6 Henryk GROSSMAN : « La loi de l’accumulation et de l’effondrement du système capitaliste », publié en Allemagne en 1929. Nous n’avons pu consulter directement cet ouvrage apparemment épuisé. Cité ici d’après Paul MATTICK : « Crises et théories des crises » [1976]. Champ Libre. Paris et Jean DURET : [1933] : « Le marxisme et les crises ». Gallimard. NRF. 7 L’apport des schémas de reproduction développement spécifique. à l’analyse de la crise fera plus loin l’objet d’un O Olho da História, n. 14, Salvador (BA), junho de 2010. Robert Rollinat Crise d´accumulation du capital ou desequilibre production-consommation? Dans bon nombre de présentations se réclamant de Marx, l’explication des crises n’a donc pas pour point de départ les mécanismes de l’accumulation et la baisse tendancielle du taux de profit mais, comme il a été évoqué ci-dessus, l’analyse, dans la société capitaliste, de la contradiction production-consommation. Cette deuxième approche est souvent opposée à la première, notamment dans l’analyse des causes des crises de surproduction 8 . Elle s’appuie implicitement, pour une bonne part, sur les « fameux » schémas de la reproduction du Livre II du « Capital » de Marx. Certains auteurs ont tendance à privilégier cette démarche et à « oublier » la première 9 . En fait, cette approche n’est pas, selon nous, contradictoire avec la première, elle la complète sur plusieurs points. La « contradiction » production-consommation est inhérente au fonctionnement du capitalisme lui-même, elle découle logiquement des mécanismes de l’échange et du décalage entre l’achat et la vente de la marchandise, du double caractère même de cette marchandise comme valeur d’échange et comme valeur d’usage. Ce décalage productionconsommation provient aussi du fait qu’il ne s’agit pas seulement de « produire » la plusvalue (le procès de production immédiat), encore faut-il la « réaliser », c’est-à-dire vendre les marchandises à un prix si possible supérieur au prix de production. C’est la raison pour laquelle, « les conditions de l’exploitation immédiate et celles de sa réalisation ne sont pas identiques…Les unes n’ont pour limite que la force productive de la société, les autres les proportions respectives des diverses branches de la production et la capacité de consommation de la société » [Cap., L.III, tome 6, p.257]. Quelle peut donc être, dans une situation historique donnée, la « capacité de consommation » de la société ? Elle ne peut être déterminée, dit Marx, « ni par la force productive absolue, ni par la capacité absolue de consommation, mais par la capacité de consommation sur la base de rapports de distribution antagoniques qui réduit la consommation de la grande masse de la société à un minimum susceptible de varier seulement à l’intérieur de limites plus ou moins étroites » [Cap. L.3, t.6, p.257]. La consommation est donc « structurellement » limitée par les lois de l’accumulation et de reproduction de la plus-value, la nécessité d’élargir, sous la pression de la concurrence, la masse de capital investi : « plus la force productive se développe, plus elle entre en conflit avec la base étroite sur laquelle sont fondés les rapports de consommation » [Cap. L. 3, t.6, p.258] Mais cette « sous-consommation » n’est pas la cause première de la crise, elle n’a qu’une place « secondaire », « subordonnée ». Marx insiste sur ce point, notamment lorsqu’il critique les positions de l’économiste « classique » Sismondi et de ses épigones. Il rappelle que, sans méconnaître l’importance de la contradiction entre production et 8 Une bonne présentation de cette problématique est faite, à partir des textes de Marx, par Gilles RASSELET : « L’analyse marxienne des crises de surproduction par la contradiction productionconsommation ». Revue ACTUEL MARX [1996], « Actualiser l’économie de Marx », pages 9 à 30. 9 Par exemple dans l’ouvrage de MATTICK ci-dessus référencé : « Crises et théories des crises ». Voir notamment le 3ème chapitre, pp. 67-117 où le problème de l’accumulation chez Marx est analysé, de manière très réductrice, comme celui du déséquilibre entre production et consommation. O Olho da História, n. 14, Salvador (BA), junho de 2010. Robert Rollinat consommation, « ce fait ne peut expliquer les crises qui sont provoquées par une autre contradiction plus profonde, la contradiction fondamentale du système économique moderne : celle qui existe entre le caractère social de la production et le caractère privé de l’appropriation ». De ce point de vue, ce qui explique les crises, ce n’est pas la « sousconsommation », mais « l’anarchie de la production » [Marx, Cap. Livre II, t.2, p. 176]. La crise est n’est donc pas, dans ses déterminants, une crise de « sous- consommation » mais bien une crise de « surraccumulation » (ce qui ne veut évidemment pas dire que la consommation des masses soit suffisante pour satisfaire ses besoins). « Il n’est pas produit trop de richesse. Mais, périodiquement il est produit trop de richesse sous ses formes capitalistes opposées les unes aux autres » selon la formule de Marx. Même si elle prend cette apparence, la crise n’est donc pas un problème de « répartition ». Il est dans la nature même du système que les fabricants soient amenés à « surproduire » même s’ils ne peuvent ignorer la demande des produits sur le marché. De même, il est logique, qu’aiguillonnés par le profit, ils ne versent pas des salaires suffisants aux producteurs pour leur permettre « d’acheter » la masse des biens produits. Marx le souligne ironiquement : « C’est pure tautologie que de dire : les crises proviennent de ce que la consommation solvable ou les consommateurs capables de payer font défaut. Le système capitaliste ne connaît d’autres modes de consommation que payants à l’exception de ceux de l’indigent ou du filou » [Cap., L.2, t.5, p. 63]. Le capital, nous l’avons dit, n’a pas comme objectif de produire pour satisfaire « les besoins de consommation » de la population, il n’existe que face au travail salarié. Mais, selon le distinguo de Marx, ce travail nécessaire n’a de sens que s’il produit, dans le même mouvement, un surtravail , seul susceptible de générer une plus-value. Ce rapport entre travail nécessaire et surtravail est essentiel pour la mise en valeur du capital 10 . C’est ce rapport qui offre la possibilité de poursuivre l’accumulation dans des conditions de rentabilité satisfaisantes. S’il est, temporairement ou durablement remis en question, la crise ne pourra qu’éclater. Le point de départ et d’arrivée, c’est bien le mouvement du capital et de sa mise en valeur. C’est ce mouvement , fondé sur l’extorsion du profit, qui détermine tous les autres. C’est ce processus qui, historiquement resitué, permet de saisir les fondements même de la crise et de son déclenchement. Les schémas de la reproduction ont d’abord pour objectif d’analyser les mécanismes de l’accumulation, en « statique » (reproduction simple), en « dynamique », dans le temps (reproduction élargie). Ils sont exposés, dans un certain désordre, dans le Livre II du « Capital » mais ils permettent aussi de définir et de préciser l’affectation de la production sociale 11 . Ils complètent la compréhension des mécanismes généraux de l’accumulation 10 Cette question est bien explicitée dans un texte récent de Louis GILL : « A l’origine des crises : surproduction ou sous-consommation ? », Revue CARRE ROUGE, n°40, Avril 2009, pp. 44-46. 11 Marx précise que « la reproduction simple apparaît comme une abstraction » car elle suppose implicitement l’absence d’accumulation, « hypothèse étrange » [Capital, L. 2, t. 5, p.48]. Il analyse donc ensuite la « reproduction élargie ». Cependant les schémas de la reproduction simple suffisent pour expliciter les mécanismes de « répartition » du surproduit social. O Olho da História, n. 14, Salvador (BA), junho de 2010. Robert Rollinat mais aussi de certains processus et comportements de la crise, en particulier en opérant la distinction entre biens de consommation nécessaires et biens de luxe. Le « produit total de la société » se décompose en deux grandes sections : celle des moyens de production , marchandises qui entrent dans la consommation productive (section I) , celle des moyens de consommation qui entrent dans la consommation individuelle de la classe capitaliste et de la classe ouvrière (section II) [MARX, Capital, Livre II, tome 5, p. 49]. Nous nous attacherons ici à discuter les échanges à l’intérieur de cette dernière section, celle des moyens de consommation, car c’est elle qui constitue le « débouché final » des biens produits. L’apport des schémas de reproduction et notamment la décomposition de la consommation finale dans la section II (différente de la consommation « intermédiaire » qui concerne le renouvellement des moyens de production de la section I) est de mettre en évidence la destination des profits non réinvestis dans la production. La pression constante à la baisse des revenus salariaux (résultat « naturel » de la hausse de la composition organique du capital) conduit, de fait, à un excédent de marchandises « invendables », celles qui ne rencontrent pas un pouvoir d’achat suffisant, en particulier du côté de la « classe ouvrière » (le salariat au sens large). Ce sont donc d’abord des biens de consommation « nécessaires » 12 (dont une part peut être également consommée par la classe capitaliste et les titulaires de profit) qui verront leur production se réduire. Le capital devra donc trouver d’autres champs de valorisation susceptibles de rapporter le profit nécessaire. Un des secteurs privilégiés de cette valorisation sera la production de biens de 13 luxe , c’est-à-dire la production de biens encore capables de satisfaire une demande solvable, celle des titulaires de profit et aussi de certaines couches supérieures de rémunération 14 . Cette « production de luxe », très diversifiée (produits haut de gamme, « consommation » de services à la personne, biens d’équipement, voitures de luxe et immobilier de prestige, etc) s’est développée fortement ces dernières années, servant de support « alternatif » à la valorisation du capital. Elle semble échapper, pour un temps, aux contraintes d’austérité de l’économie globale. En fait, elle représente un transfert gigantesque de richesse des classes productives de la société vers des classes « parasitaires » car une part croissante de la richesse produite et des profits réalisés ne contribue plus au renouvellement du capital productif mais vient alimenter une 12 Marx parle aussi de « biens de consommation pilotes », « articles qui ne peuvent être produits qu’en masse et industriellement » [TPV, tome 2, p.631]. Aujourd’hui on pense évidemment aux biens de consommation courante : outre les biens alimentaires, l’automobile, le textile, l’équipement du logement, etc. 13 Moyens de consommation de luxe : ceux dit MARX « qui n’entrent que dans la consommation de la classe capitaliste et ne peuvent donc être échangés que contre de la plus-value qui n’échoit jamais à l’ouvrier » [Capital, L. II, tome 5, p. 56]. 14 Bien entendu cette catégorie s’est diversifiée ces dernières années. Il y a toujours des fortunes « entrepreneuriales » qui mobilisent capitaux et main d’œuvre mais aussi les bénéficiaires de la Finance et de la Rente, sous leurs différentes formes (stock options, bonus, etc) . Les « working rich » ne doivent, eux , leur succès qu’à leur seul patrimoine « humain » : le talent des sportifs, chanteurs, top-models et autres traders. O Olho da História, n. 14, Salvador (BA), junho de 2010. Robert Rollinat consommation ostentatoire et improductive. Cette « consommation » n’est seulement possible que pour une minorité réduite de la population. Elle est un élément qui conduit à une spectaculaire aggravation des inégalités sociales. L’extension de la consommation de biens de luxe, le « gaspillage consumériste » de certaines élites (ainsi ces nouveaux milliardaires cosmopolites dont certains ont bénéficié, en Russie et ailleurs des privatisations) a été spectaculaire à partir des années 1990. Fondée, pour une bonne part sur la spéculation financière, foncière et immobilière, elle était déjà la marque de ce « capitalisme drogué » qui sera à l’origine de la crise. La production de luxe est, pour un temps, un moyen d’ élargir la base d’extorsion de la plus-value. Son extension incontrôlée constitue la base de certaines « bulles » spéculatives et préfigure déjà la crise de surproduction. Il y a là, venant à côté d’autres formes (en particulier celle liées à la spéculation boursière et financière et à l’endettement des ménages) une base pour constituer une forme spécifique de capital, celle du capital fictif. Nous y reviendrons plus loin plus en détail. Le capitalisme, nous l’avons dit, doit donc en permanence s’adapter à la logique de la rentabilité et trouver les moyens de préserver le taux de profit, nécessité absolue pour la poursuite de l ‘accumulation et la reproduction du capital. En ce sens, les « contretendances » à la baisse du taux de profit ne peuvent constituer qu’un palliatif provisoire. Tôt ou tard, la loi de la valeur finit par l’emporter : la poursuite de l’accumulation à tout prix, l’extorsion de la plus-value et du profit rencontrent leurs propres limites : le capital luimême. C’est alors que la crise devient la seule manière de continuer, sur d’autres bases, l’accumulation 15 . Comme nous le verrons plus loin, elle se manifeste brutalement par une surproduction de marchandises qui est aussi, dit Marx, une surproduction de capital. Pour rétablir le rapport entre travail nécessaire et surtravail, il faut opérer une « purge » en profondeur, dévaloriser le capital déjà accumulé (en fait en détruire la valeur), réduire drastiquement le coût et l’importance de la force de travail. C’est la condition nécessaire, en l’absence de changement radical de système productif, pour relancer l’accumulation sur de nouvelles bases. Les contradictions de la reconstruction et de la mondialisation capitaliste La crise actuelle n’est, de ce point de vue, analysable que sur une longue période. Fred MOSELEY a étudié empiriquement, sur toute la période de l’après-guerre aux EtatsUnis, les données statistiques disponibles permettant d’évaluer l’évolution du taux de profit 16 . De 1950 au milieu des années 1970, il constate, pour l’économie américaine dans son ensemble, une baisse de près de moitié de ce taux, passant de 22 à 12%. Tous les pays 15 Issac JOHSUA le dit d’une autre manière : « Pour Marx, il est clair qu’une théorie du capital est par le même acte une théorie de sa crise..Chez lui, le capital n’est analysé qu’au rythme de ses contradictions.. », dans « La grande crise du XXIème siècle », 2009, La Découverte, Paris, p. 60. 16 MOSELEY Fred [1991] : « The Falling Rate of Profit in the Postwar United States Economy »; “ The Long Trends of Profits”, www.workersliberty.org, Mars 2008. O Olho da História, n. 14, Salvador (BA), junho de 2010. Robert Rollinat capitalistes auraient eu, pendant cette période une évolution semblable. Entre 1974 et le début des années 1980 (1982-1983), le taux de profit reste à des niveaux relativement bas pour ensuite opérer un redressement assez net jusqu’au début des années 2000 (crise américaine de 2001). Il est ensuite, jusqu’au déclenchement ouvert de la crise de fin 2008, resté à un niveau relativement stable (avec un maximum en 2006) mais toutefois inférieur aux niveaux historiques de l’après-guerre. Moseley précise bien que ces estimations ne valent que pour l’économie intérieure des Etats-Unis et n’incluent pas les profits réalisés à l’étranger, non intégrés dans les données officielles (ces profits sont pourtant devenus une part croissante des profits d’entreprise puisque passés depuis les années 1970 de 10 à 30 % du total). Les données disponibles pour les autres pays capitalistes sont beaucoup moins convaincantes. Robert BRENNER analyse, dans le désormais classique « Economics of Global Turbulence » publié en 2006, l’évolution de l’indice du taux de profit net du secteur manufacturier américain entre 1978 et 2001 (page 274, graphique 15.2). L’indice atteint son maximum en 1980-82 pour ensuite décliner jusqu’à la fin de la période étudiée. Il parle, pour ce secteur, d’une « pression universelle et permanente de sur-capacité, contractant le taux de profit à des niveaux incapables d’attirer des investissements et d’accroître la productivité suffisamment pour restaurer la profitabilité » Il s’ensuit, selon lui, une détérioration marquée de la place du travail dans la production, détérioration plus marquée dans les pays anglo-saxons. Il semble évident que les contre-tendances évoquées plus haut ont joué à plein pour enrayer cette baisse du taux de profit, pour faire face, à chaque étape, à la pénurie de plusvalue. Le processus n’est appréhendable et compréhensible que sur la longue période de l’après-guerre. Il est particulièrement marqué pour les pays européens et la France. Une manière d’aborder, de façon indirecte, la question centrale du taux de profit et de son évolution consiste à examiner l’évolution fonctionnelle de la valeur ajoutée 17 et de son « partage » entre salaires et profits. Si l’on admet que les profits des entreprises proviennent exclusivement de la mise au travail des salariés, on peut mesurer la part de valeur ajoutée qui leur revient sous forme de salaires. Les données INSEE permettent, pour la France de l’après-guerre, d’effectuer ce calcul. Jusqu’à la crise de 1973-74, pour les sociétés non financières, la part salariale varie entre 70 et 72% du total. Elle varie entre 72 et 76% de 1975 à 1985, pour ensuite se stabiliser, à la baisse, entre 66 et 68% depuis 1988 jusqu’en 2007. La part du salaire dans la production n’aurait donc que faiblement diminué en longue période puisque se situant à des niveaux proches de ceux de « l’âge d’or » du fordisme de l’avant 1973, époque du « compromis salarial » où les salariés, capables d’imposer un rapport de forces, pouvaient prétendre recueillir une part des gains de 17 La somme des valeurs ajoutées (production nette de chaque branche) correspond, rappelons-le, au Produit Intérieur Brut (PIB) d’un pays. L’inconvénient, pour nous, de cet indicateur est qu’il intègre des éléments très différents : l’apport net des secteurs « productifs », celle des activités de Banque et de Finance mais aussi, pour ce qui est de l’activité « publique » par exemple, les rémunérations des fonctionnaires ou des militaires. On prend donc généralement en compte la valeur ajoutée des entreprises de l’industrie, des services et du commerce. Une commission, nommée par N. Sarkozy et présidée par J. Stiglitz, vient d’ailleurs de proposer la « réforme » de cet indicateur. O Olho da História, n. 14, Salvador (BA), junho de 2010. Robert Rollinat productivité. La presse, une partie de la classe politique, le patronat, les « réformateurs » de tout acabit se sont emparés de la question 18 . Après tout, si la part du salaire dans la valeur ajoutée ne s’est pas trop dégradée, la crise pas n’est si grave et pourrait donc être surmontée avec une plus « juste » répartition. Ce que montrent en fait plusieurs études, c’est que le relatif maintien du salaire moyen dans certains pays capitalistes, et nous retrouvons-là une « contre-tendance » évoquée par Marx, a été rendu possible par une importante augmentation de la productivité du travail. Ainsi, en France, entre 1992 et 2004, dans l’industrie, le coût horaire du travail a augmenté de 1,7% par an alors la productivité horaire s’accroissait de 4,1% par an (dans les transports et communications, les évolutions sont respectivement de 1,5% et 4,4%, dans les activités financières de 2% et 2,3%) 19 . Dans un pays comme les Etats-Unis, dans de nombreux secteurs, le salaire moyen n’a pu être maintenu qu’au prix de l’allongement de la durée du travail ou en « cumulant » plusieurs emplois précarisés. En fait, le « partage » de la valeur ajoutée salaires-profits ne rend que très mal compte de l’aggravation de l’inégalité des revenus parmi les salariés eux-mêmes. Ainsi, aux Etats-Unis, si l’on considère, non pas le revenu moyen (« augmenté » par les salaires les plus élevés) mais le revenu du salarié médian, on constate que le premier s’est accru d’environ 2,5% entre 2000 et 2007 alors que ce dernier n’a progressé que 0,1%. Le revenu réel du ménage médian a quant à lui baissé durant cette période, alors que le coût des assurances de santé a fortement augmenté (+68% de 2000 à 2007) ainsi que celui des frais d’éducation (+46%). La proportion des habitants sans couverture pour les frais de santé est passée de 13,9% à 15,6% entre 2000 et 2007 20 . Les indicateurs de salaire moyen ne concernent que les salariés à temps complet. Il serait nécessaire de prendre en compte les salariés à temps partiel dont l’importance n’a cessé d’augmenter (en France ils sont passés de 8,2% du total en 1982 à 17,9% en 2005). Le développement de multiples formes d’emploi précaire ou temporaire a aussi amplifié les écarts de salaires. A l’autre extrémité de l’échelle des salaires , on constate qu’en haut de la hiérarchie, une minorité dont le statut peut-être considéré comme plus proche du capitaliste que du salarié 21 a vu ses rémunérations augmenter nettement dans les années 1990. En 18 En particulier la revue « Alternatives Economiques », le quotidien « Libération », Madame Parisot, Présidente du MEDEF. Dans son discours sur la prétendue « refondation du capitalisme » le Président de la République s’est invité au débat en préconisant une « répartition plus juste des profits » : un tiers pour les salariés, un tiers pour les actionnaires, un tiers pour les investissements. 19 REMOND A. : « Ecarts de salaires et de rémunérations : quelles évolutions ? » Document de travail. Février 2009. Groupe ALPHA. 20 Une statistique plus récente encore indique que de 2000 à 2008, le coût de la police d’assurance médicale privée de base a augmenté aux Etats-Unis de 87% alors que le revenu familial médian reculait de 1%. Lors de l’entrée de G. Bush à la Maison Blanche le nombre d’Américains sans aucune protection médicale était de 38 millions, à la fin de son mandat, il était monté à 46 millions : « B.Obama souhaite une couverture médicale universelle aux Etats-Unis ». LE MONDE, 14 mai 2009, p.7. 21 Ainsi, certains salariés de la finance et les « traders » qui cumulent souvent salaires élevés, épargne salariale et « bonus ». Voir l’excellent ouvrage de Olivier GODECHOT [2007] : « Working rich. Salaires, bonus et appropriation du profit dans l’industrie financière ». La Découverte. Paris. O Olho da História, n. 14, Salvador (BA), junho de 2010. Robert Rollinat France ce sont certains hauts salariés de la Banque et de la Finance, notamment les « traders » au contact des marchés financiers, qui ont été les premiers bénéficiaires de cette évolution. Ce n’est donc pas seulement le rapport salaire-profit qui est concerné mais les inégalités dans leur ensemble au sein même des sociétés capitalistes, en premier lieu aux Etats-Unis. Paul Krugman a estimé que, dans ce pays, la « révolution conservatrice » initiée avec le reaganisme et présentée comme le nouveau paradigme de la création de richesse, a conduit les USA à régresser en 20 ans à un niveau d’inégalité comparable à celui du 19ème siècle 22 . Même l’Angleterre thatchérienne n’est pas allée, selon lui, aussi loin dans la rupture du « contrat social ». Les Etats-Unis ne sont plus une société de classes moyennes, dans laquelle les bénéfices de la croissance économique ont pu être, pendant un temps, partagés car, entre 1979 et 2005, le revenu réel médian des ménages n’a été augmenté que de 13% alors que celui des 0,1% les plus riches a augmenté de 296%. La discussion autour du « partage » de la valeur ajoutée et du rapport « profitsalaire », nécessairement appréhendée dans le cadre des économies « nationales », ne rend donc que très partiellement compte des contradictions globales du processus d’accumulation du capital dans un contexte de mondialisation accélérée, surtout à partir des années 1980. La « distribution » des revenus ne peut être considérée dans le seul cadre national car le processus d’extraction de la plus-value et de réalisation du profit est d’emblée conçu dans une perspective globale de mise en valeur du capital où les stratégies de délocalisation et d’exploitation, à l’extérieur, de main d’œuvre à bas coût jouent un rôle essentiel (que l’on songe simplement à l’importance de la Chine comme « atelier du monde » et fournisseur de produits à bas coûts dans les stratégies des firmes américaines). L’approche par le partage de la « valeur ajoutée », en décalage avec l’explication de la crise fondée sur les contradictions de l’accumulation du capital, tend à centrer l’analyse sur la « distribution » du revenu, en particulier sur « l’insuffisance » de la demande due à des salaires réduits. Implicitement, on admet qu’une « autre répartition » du revenu serait concevable, grâce à des « réformes » appropriées. On entre alors dans toutes les stratégies qui, dans une optique keynésienne, contribueraient, via des plans de « relance » de la consommation, à résoudre les problèmes fondamentaux de mise en valeur posés par la crise. Ce sont les lois de l’accumulation du capital et l’impératif permanent d’extorsion et de réalisation du profit qui détermine le « partage » de la valeur ajoutée. Ce « partage » dépend du rapport de forces entre les classes sociales et il n’y a pas « partage » des profits ou « plus juste répartition » concevable dans un régime fondé sur l’exploitation du travail salarié 23 . 22 Paul KRUGMAN : « De la révolution inégalitaire en Amérique ». New York Times, 18 et 22 Septembre 2007. 23 Michel HUSSON dénonce la « proposition baroque » de la règle des « trois tiers » du Président Sarkozy mais semble succomber dans les pires illusions quand il propose de lui substituer « un schéma de sortie de crise fondé sur une augmentation de la part salariale qui pourrait obéir à une autre règle des trois tiers : 1/ revalorisation des salaires ; 2/ ressources nouvelles pour la protection O Olho da História, n. 14, Salvador (BA), junho de 2010. Robert Rollinat En outre, la comparaison avec la période de l’après-guerre et les heures « glorieuses » du fordisme doit être maniée avec la plus grande précaution. La reconstruction de l’après-guerre s’était faite non pas tant conformément aux principes théoriques du keynésianisme que grâce à l’intervention massive de l’Etat dans l’économie. Les grandes lignes de cet interventionnisme, rendu nécessaire par le contexte politique de la période et la forte poussée sociale et salariale de l’immédiat après-guerre, sont bien connues : mise en place d’un système monétaire international basé sur le dollar pour rétablir les échanges internationaux et favoriser la reconstruction (Système de Bretton Woods), économie « dirigée » pour relancer l’investissement productif et consolider, notamment pour les salariés, les fondements d’une nouvelle protection sociale et d’un nouveau modèle salarial 24 . La reconstruction en Europe a été facilitée par l’énorme dévalorisation du capital et les destructions subies pendant la guerre. Même si ce modèle « fordiste » des « Trente glorieuses » n’a pas eu pour les salariés les vertus redistributrices qu’on lui a parfois prêtées (il reste marqué par de très durs conflits sociaux et les évènements de Mai 1968), il n’en constitue pas moins une rupture avec l’économie du « laisser faire » qui avait conduit à la crise mondiale des années 1930. La période de reconstruction va être marquée par une forte inflation (on parle « d’inflation de reconstruction »). C’est en fait la hausse continue des prix qui permet de différer, pour un temps, les revendications sociales et de limiter, en termes réels, la croissance des salaires. Cela étant, dans la phase ascendante du cycle de reconstruction (se traduisant en Europe par une forte accumulation de « nouveaux » capitaux et une augmentation spectaculaire du salariat au détriment des autres catégories sociales), l’augmentation de la masse des profits va de pair avec une lente augmentation des salaires réels et une certaine amélioration des conditions de vie de la grande masse des travailleurs. La puissance relative du salariat lui permet de préserver, en termes de salaires, une position de force face aux exigences (en termes de profit et de rentabilité) du capital investi dans la production. La crise de 1973-74 va, de ce point de vue, constituer la première grande « rupture » de l’après-guerre. Mais, le premier choc pétrolier ne fait que révéler les faiblesses de la période antérieure. En France, par exemple, on constate une baisse de la productivité moyenne du capital à partir de 1973. Mais, jusqu’au second choc pétrolier (1980), les impératifs de l’ouverture à la concurrence internationale (on ne parle pas encore de mondialisation) pèsent fortement sur la rentabilité de l’économie et la réalisation des profits. Pour tenter de rétablir cette rentabilité, le taux d’endettement des entreprises sociale ; 3/ nouveaux emplois créés par la réduction du temps de travail. La viabilité d’un tel programme serait assurée par la baisse des dividendes et un recours accru au crédit pour le financement des entreprises, sans toucher aux capacités d’investissement, ni même à la sacro-sainte compétitivité ». Dans le contexte actuel de la crise, on voit mal comment ce « programme » pourrait être mis en œuvre sauf à rompre totalement avec la logique du capital [ « Sur la compression salariale en France », Note HUSSONET, n°6, 28 Février 2009]. 24 Pour plus de détails, notamment pour la France, voir : ROLLINAT R. [1987,1988] : « La société française depuis 1945. De la modernisation pervertie à la crise (1945-1974) ; « De la crise au krach de 1987 » . Revue « EPOQUE », n° 4 et n°5. O Olho da História, n. 14, Salvador (BA), junho de 2010. Robert Rollinat augmente fortement (de 1960 à 1976, en 15 ans, ce taux passe de 28 à 45 % de l’investissement réalisé). La répartition de la plus-value, grossièrement appréhendable à travers le « partage » profit-salaires, découle indirectement des rapports de force politiques dans le pays. L’incapacité d’adapter (à la baisse) le niveau des salaires et de l’emploi aux nouvelles conditions de la reproduction du capital va se traduire par le gonflement de la masse monétaire en circulation et une inflation accrue. Cette période, jusqu’au début des années 1980, est donc marquée à la fois par la récession économique et l’inflation à deux chiffres : les économistes doivent forger à la hâte un nouveau concept : celui de la stagflation. La contre-tendance prend ici la forme d’une intervention indirecte de l’Etat à travers la hausse des prix (inflation) et un déficit budgétaire orienté, pour partie, vers la gestion « sociale » d’un chômage qui a fortement augmenté : financement de plans « sociaux », de pré-retraites, plans « emplois jeunes », etc. Cette phase de keynésianisme « bâtard » (bâtard car négligeant un élément essentiel du point de vue de l’accumulation : l’investissement productif) ne pouvait être que transitoire 25 . Les « relances » de 1975 (relance « Chirac ») , puis celle de 1981-82 (consécutive à l’arrivée de F. Mitterand au pouvoir), sous la pression sociale et politique, devaient, par l’action budgétaire, relancer la demande mais il faut très vite s’adapter au nouveau contexte international et opérer le « tournant de la rigueur ». A partir de l’Angleterre et des EtatsUnis, c’est maintenant « l’économie de l’offre » qui sert de référence (en fait le retour doctrinal et dans les faits aux lois brutales du marché et à la dénonciation de « l’Etat- providence »). Ce tournant radical du début des années 1980 qui initie l’évolution qui nous conduit à la crise d’aujourd’hui n’a rien de pacifique. Il prend appui sur des victoires politiques sur le salariat : celles du thatchérisme en Grande-Bretagne et du reaganisme aux Etats-Unis. La défaite des grandes grèves en Angleterre contre les dénationalisations, celle, en 1981, des contrôleurs aériens aux Etats-Unis (une profession entière liquidée et remplacée par des militaires) marquent les étapes identifiables de l’entrée dans la désinflation, une désinflation qui est d’abord une désinflation salariale. En « décrochant » l’évolution les salaires par rapport à celle des prix, la désindexation des salaires a pour but de modifier radicalement le partage salaires-profits au profit de ces derniers. L’entrée dans la désinflation salariale, nouvelle depuis la guerre, est un fait déterminant, trop sous-estimé par les économistes. Elle signifie que les différentes politiques macro-économiques inspirées du keynésianisme (dépenses de l’Etat, politiques fiscales et monétaires expansionnistes, baisse des taux d’intérêt) utilisés jusque là ont perdu de leur apparente efficacité 26 . Il faut désormais envisager une « purge » du système productif, en fait une destruction-dévalorisation partielle du capital accumulé afin de tenter de rétablir le 25 ROLLINAT, op.cit., “EPOQUE“, n°5, pp.19-35. 26 Petrino DILEO rappelle comment l’efficacité supposée des politiques keynésiennes est phagocitée par les mécanismes même du marché et comment ces politiques , notamment lors du New Deal et pendant la seconde guerre mondiale, ont d’abord été conçues pour permettre de sauver le système capitaliste. Une question qui n’a jamais paru aussi actuelle. P. DILEO : « The return of Keynes ? » International Socialist Review, N°63, Janvier-Février 2009. O Olho da História, n. 14, Salvador (BA), junho de 2010. Robert Rollinat taux de profit et la rentabilité, par tous les moyens, et en premier lieu par la réduction des salaires et la hausse du chômage. Le retour au monétarisme doctrinal s’affirme : respect des « équilibres » budgétaires, réduction de l’action de l’Etat dans le domaine social, priorité donnée à la « stabilité des prix » et à la lutte contre l’inflation (avec, pour ce faire, la proclamation de « l’indépendance » des banques centrales, échappant désormais à tout contrôle politique). Au niveau de la production, les années 1980 sont marquées par la désindustrialisation rapide de secteurs entiers de l’économie, notamment aux Etats-Unis (réduction des effectifs, « down sizing »), d’abord délocalisations « internes » (aux EtatsUnis par exemple, certaines industries du Nord sont réimplantées au Sud avec des coûts de main d’œuvre abaissés) 27 . Mais, mondialisation oblige, c’est le processus de délocalisation « externe » qui, tout au long des années 1990, va désormais prévaloir. Les économistes et les sociologues d’entreprise décrivent une nouvelle réalité économique: celle des « entreprises réseau » où les fonctions de « management », de conception, de produit, de marketing et de gestion financière restent assurées au « centre » du réseau mais où toutes les autres fonctions, notamment celles de production et de commercialisation sont effectuées à la « périphérie », à moindre coût. On décrit le fonctionnement de la « hollow corporation », l’entreprise « coquille vide », celle qui peut générer de la valeur et du profit, simplement en coordonnant, par la sous-traitance interne et externe, les différentes activités. C’est le modèle « Nike » : faire produire à l’extérieur, donc se débarrasser des usines, sous-traiter les autres fonctions de l’entreprise (comptabilité, informatique, marketing, commercialisation), conserver la conception et les fonctions de contrôle essentielles (et bien sûr le drainage des bénéfices). L’avantage principal pour le capital : une main d’œuvre souple et « ajustable » en fonction des besoins, une réduction considérable du coût du travail. Dans la « hollow corporation », toutes les tâches non essentielles peuvent être « externalisées », effectuées par une main d’œuvre à bas coût ou à statut précaire. Ce système préfigure celui des « hedge funds », système où la logique financière en vient à dominer totalement la logique productive. Il n’est pas surprenant de constater que les effets combinés de ces mesures vont contribuer, pour un temps, en Europe et aux Etats-Unis, au rétablissement des taux de profit. Ce n’est pas seulement le niveau de salaire qui est concerné mais l’ensemble de ses compléments : les cotisations sociales en Europe, le montant des cotisations privées d’assurance maladie et de retraite aux Etats-Unis. La hausse de la productivité du travail, les licenciements dans l’industrie (aux Etats-Unis, les politiques de «down sizing », réduction des effectifs au travail se multiplient dans les années 1980, dans toutes les branches d’industrie). 27 Aux Etats-Unis, une des stratégies a été d’utiliser la loi sur les faillites (le fameux chapitre 11). Cette loi permet aux entreprises de continuer à fonctionner tout en renégociant leurs dettes. Elle leur permet surtout de dénoncer les contrats salariaux avec les syndicats. Initiée, dans les années 1990, dans l’industrie de l’acier, cette politique a été étendue aux compagnies aériennes (après 2001, la moitié d’entre elles ont été placées sous le Chapitre 11). Il a ainsi été possible de réduire de 25% et plus, non seulement les salaires mais aussi les « benefits » : prestations sociales et retraites. En mai 2009, cette loi semble devoir être à nouveau utilisée pour « sauver », avec l’aide de l’Etat une partie de la firme automobile General Motors. O Olho da História, n. 14, Salvador (BA), junho de 2010. Robert Rollinat Le capitalisme comme systeme global: la mondialisation destructrice Mais ce n’est pas seulement à partir des pays des pays du « centre » qu’il est possible de comprendre l’évolution du capitalisme mondial à partir des années 1970, il faut aussi prendre en compte les nécessités pour lui de conquérir de nouveaux champs d’accumulation afin de faire face aux difficultés de réalisation de la plus-value. Il est difficile de recenser ici les différentes formes que va prendre, vers la « périphérie », ce nouvel expansionnisme mais l’objectif, en particulier pour le capitalisme américain, est toujours le même : renforcer la logique de l’économie de marché, tenter d’en étendre les fondements et les principes sur tous les continents 28 . Derrière le terme aseptisé de « mondialisation » se cachent les impératifs de la mise en valeur du capital et de la rentabilité. Au plan international, un « néo-libéralisme » militant et doctrinaire va, systématiquement, chercher à imposer cette vision fondée sur la primauté du marché et du laisser-faire, sur la remise en question radicale du rôle de l’Etat en matière fiscale et sociale. L’Ecole de Chicago de Milton Friedman aux Etats-Unis a été un des vecteurs les plus puissants de la propagation du nouveau « modèle » qui n’est, en fait, que l’affirmation doctrinale du capitalisme de marché. Logiquement, le « monétarisme » friedmanien combat donc toute forme d’intervention de l’Etat dans l’économie. Comme application d’économie « pratique », il faut en finir avec tout relent de keynésianisme ou de développement industriel endogène expériences et d’abord s’en prendre aux « développementistes » du Sud du continent, obstacle à l’implantation des multinationales et à la libre circulation des capitaux. A l’issue de la guerre, dans certains pays du « Tiers Monde », notamment en Amérique Latine, ces conceptions développementistes avaient commencé, sous l’égide de gouvernements nationalistes, à être mis en œuvre. Ainsi, en Amérique latine, sous l’influence de la CEPAL, était mise en avant la nécessité, pour l’Etat, d’aider à la mise en place d’un modèle « industriel » national adapté afin de tenter d’échapper aux importations de l’extérieur et à l’ancienne domination coloniale. Mais ce modèle « substitutif » d’importations est, dès son origine, contesté par les théories fondées la philosophie du « libre marché ». Les « Chicago Boys » latino-américains de Friedman vont, au CHILI, expérimenter, en 1973, le nouveau modèle. Mais, dans un pays où un gouvernement socialiste a pu, par les urnes, accéder au pouvoir, il faut une « thérapie de choc » et mettre en place, un « laboratoire » où la société aura été expurgée de toute forme de résistance sociale organisée. Le modèle radical du néo-libéralisme n’est pas conciliable avec la démocratie politique, il lui faut un coup d’Etat et la dictature 29 . Du point de vue politique, dès le début des années 1970, le CHILI servira de banc d’essai à toutes les réformes économiques et monétaires que le FMI et la Banque mondiale chercheront par la suite à implanter en 28 L’Europe est évidemment aussi concernée par cette évolution : voir ROLLINAT R. « Globalization and Social Europe to-day. Welfare State, Capital and Politics ». First Conference of the International Association for Political Economy”, Shanghaï, Avril 2006. 29 KLEIN N. [2008] : « La stratégie du choc. La montée d’un capitalisme du désastre ». Actes Sud. Paris. Voir aussi : GUNDER FRANK A. [1976] : « Economic Genocide in Chile. Monetarist Theory vs Humanity”. Spokesman Books. O Olho da História, n. 14, Salvador (BA), junho de 2010. Robert Rollinat Amérique latine mais aussi en Asie, en Afrique au cours des années 1980 et 1990. Dans un contexte politique évidemment différent, le thatchérisme en Angleterre, le reaganisme aux Etats-Unis s’inspireront directement de l’orthodoxie friedmanienne. Aux Etats-Unis, la première « victoire » de ce néo-libéralisme a été, après l’accession de Reagan au pouvoir, l’échec de la grande grève des contrôleurs aériens américains en 1980. En dix ans, le transport aérien a été militarisé, totalement dérégulé et dérèglementé. Le secteur est devenu une référence pour d’autres branches de l’économie publique qu’il faut aussi tenter de privatiser. C’est aussi le modèle libéral impulsé par Milton Friedman et ses émules qui va servir de référence au moment de « l’ouverture » des anciens pays communistes à l’Est de l’Europe mais aussi en Chine. L’effondrement du mur de Berlin en 1989 va évidemment accélérer considérablement le processus. Un des exemples les plus révélateurs des méthodes utilisées par les « Chicago Boys » est peut-être celui de la Pologne. Au moment de la victoire électorale de « Solidarité » en 1988 et l’entrée dans la démocratie politique, le régime économique du pays est en pleine crise avec une dette de 40 milliards de dollars et un taux d’inflation de 600%. Les Etats-Unis et le FMI vont , au nom de « l’aide » à la stabilisation et d’un prêt en dollars proposer la « thérapie de choc » de la libéralisation : suppression des contrôles de prix et des subventions, vente au secteur privé des mines, des chantiers navals et des entreprises d’Etat, création d’une Bourse des valeurs et mise en place d’une devise convertible 30 . Les conséquences, outre la répression syndicale, furent une flambée des prix, une désindustrialisation complète du pays, en totale rupture avec les objectifs initiaux du gouvernement élu. Les investisseurs étrangers pouvaient désormais souscrire à bon prix à la privatisation des ressources du pays et imposer la loi du marché. C’était une parfaite illustration de la théorie du désordre selon Friedman : exploiter la situation de crise pour imposer les mesures radicales permettant d’entrer, de manière brutale, dans l’économie de marché. L’exemple de la Russie mériterait ici un développement beaucoup plus long. Mais il montre aussi comment, suite à l’effondrement de la bureaucratie, le chaos et la crise politique qui ont suivi ont permis à des firmes et des banques multinationales de s’implanter dans le pays, de supprimer tous les obstacles politiques à l’exploitation de ses richesses. Il s’en est suivi une politique de bradage à outrance et de privatisation des secteurs encore rentables de la production et de ceux liés à l’exploitation des matières premières. Les richesses publiques russes ont pu êtres ainsi acquises à des conditions sans précédent, notamment sous le gouvernement Elstine 31 . Les anciens bureaucrates s’allient sans 30 Naomi KLEIN rappelle le rôle essentiel dans ce processus de l’économiste Jeffrey Sachs, adepte de Friedman, et du spéculateur et milliardaire Georges SOROS [KLEIN, 2008, pp.217-220]. Le même Sachs avait fait ses premières armes en 1985 en Bolivie. Pour mettre fin à l’hyperinflation, l’aide américaine avait été conditionnée à un coup de force politique contre les syndicats, à la suppression du contrôle des prix, à l’ouverture complète des frontières et à la privatisation des sociétés d’Etat. 31 L’ouvrage le mieux documenté sur cette politique : REDDAWAY Peter, GLINSKI Dmitri : [2001] « The Tragedy of Russia’s Reforms. Market Bolschevism against Democracy ».US Institute for Peace Press. Washington. Voir aussi dans KLEIN et POMER, dir. [1998], The New Russia : FREELAND O Olho da História, n. 14, Salvador (BA), junho de 2010. Robert Rollinat vergogne aux partisans du libre marché. Les plus habiles constitueront, sur les dépouilles de l’économie russe, une nouvelle classe de milliardaires en dollars. Les origines de la crise asiatique qui a culminé en 1997-1998 doivent, elles aussi, être recherchées, dans la mise en œuvre de la « mondialisation libérale ». Pourquoi les « tigres asiatiques », présentés dans les années 1990 comme « modèles » d’une industrialisation nouvelle dans le Sud-Est asiatique sont-ils brutalement entrés en crise en 1997-1998 ? En fait, ces « nouveaux pays émergents » ont été, eux aussi, victimes de la logique des marchés mondialisés et d’une « ouverture » sans entraves aux capitaux internationaux en quête de placements spéculatifs. Ce qui avait fait la richesse (relative) de la Malaisie, de la Corée du Sud, de la Thaïlande, de l’Indonésie, législation protectionniste qui interdisait aux c’est, à l’origine, une étrangers d’acheter des entreprises ou des terres. Le rôle de l’Etat (qui était loin d’être un modèle de démocratie politique), conduisait cependant à mettre en place des segments de production efficaces, grâce à de bas coûts de main d’œuvre (exemple des conglomérats coréens comme Daewo, Hyundai, Samsung). Cependant, sous la pression du FMI et de la nouvelle Organisation Mondiale du Commerce, on commença à libéraliser le secteur le secteur financier et bancaire, favorisant l’entrée massive de capitaux et la spéculation sur les devises, ébranlant les modèles locaux d’économie dirigée. Les pays asiatiques, désormais fortement endettés et à court de devises connaissent une grave crise financière et doivent recourir aux prêts du FMI. Les fameux « programmes de stabilisation » du FMI excluent tout retour à un contrôle des mouvements de capitaux mais ils conduisent à des milliers de licenciements (24 millions estimés pour la zone, triplement du chômage en Corée du Sud et en Indonésie entre 1997 et 1999). Le coût humain de la « purge » asiatique et de « l’ajustement structurel » a été considérable. C’est pourtant désormais le « modèle » de référence du capital mondialisé et de ses principes : ouverture à la concurrence et aux capitaux extérieurs, libre échange et « libéralisation » du secteur bancaire et financier, endettement gigantesque des pays en devises fortes suite généralement à la mise en place de la convertibilité forcée. Pour sortir de la crise, « l’aide » du FMI et des pays du « centre » est conditionnée à la restructuration de la production, à la réduction brutale des dépenses de l’Etat en matière sociale, concurrence internationale, à la privatisation et à la à l’ouverture totale à la mise aux enchères des actifs et des sources de matières premières encore négociables. La crise asiatique, considérée par certains comme « la chute d’un deuxième mur de Berlin » est une étape décisive dans la mondialisation sauvage du capital international, de ses contraintes de valorisation. Elle anticipe sur l’aggravation des contradictions dans la mise en valeur du capital aux Etats-Unis et en Europe tout au long des années 1990 et 2000. Maurice ALLAIS, un économiste français, devenu prix Nobel d’Economie et peu suspect de sympathies marxistes, avait en 1998 dénoncé cette doctrine « laissez-fairiste mondialiste » dont les experts et les consultants du FMI et de la Banque mondiale s’étaient Chrystia [2000] “Sale of the Century. Wild Ride from Communism to Capitalism”. Crown; New York ; N. KLEIN [2008], op.cit., chap.11: « Le feu de joie d’une jeune démocratie »,. pp.266-293. O Olho da História, n. 14, Salvador (BA), junho de 2010. Robert Rollinat fait les ardents propagandistes dans les pays du Tiers-Monde. La doctrine du libre échange mondialiste impliquait la disparition de tout obstacle à la libre circulation des marchandises, des services et des capitaux. Selon les experts internationaux du FMI et de la Banque mondiale, c’était la condition à la fois nécessaire et suffisante d’une allocation optimale des ressources à l’échelle mondiale. Ce nouvel « intégrisme » du marché, c’était la doctrine universelle qui devait s’imposer au monde entier, ouvrant, à l’aube du XXIème siècle un nouvel âge d’or. Il a été le credo indiscuté de toutes les grandes organisations internationales pendant deux décennies, qu’il s’agisse de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international, de l’Organisation mondiale du commerce ou de la Commission Européenne. Il a servi de base, en Amérique latine et ailleurs, à la doctrine du « Washington Consensus ». Mais ces certitudes ont fini par être balayées par la crise profonde qui s’est développée à partir de 1997 en Asie du Sud-Est, puis en l’Amérique latine, pour culminer en Russie en août 1998. La crise argentine, avec la fin chaotique de la convertibilité en 20012002 a encore ébranlé les dogmes. Partout, mais plus particulièrement en Asie et en Russie, un chômage massif et des difficultés sociales majeures sont apparues. L’instabilité du système financier et monétaire mondial s’est, au début du nouveau millénaire, considérablement aggravée. La crise de surproduction d´aujourd´hui: devalorisation et destruction du capital La « mondialisation » ce sont donc ces tentatives continues d’étendre, au plan mondial, le champ d’action du capital pour en poursuivre, vaille que vaille, la mise en valeur. Elle rencontre partout des résistances et conduit à une crise mondiale larvée dont les guerres, notamment celle d’Irak, sont une des expressions les plus brutales. Après l’entrée chaotique des anciens pays de l’Est européen dans l’orbite de l’économie mondiale de marché, l’adhésion de la Chine à l’Organisation Mondiale du Commerce en 2001, son affirmation comme premier « manufacturier » du monde grâce à une main d’œuvre à bas coût est un fait politique et économique déterminant. Il va signifier une exacerbation considérable de la concurrence au niveau mondial en contribuant à révéler, dans tous les pays du « centre », dans de nombreux secteurs, d’importantes surcapacités de production. Rien ne serait peut-être arrivé sans une alliance qu’on peut estimer contre-nature entre le parti communiste chinois et le Big business américain. Cette alliance remontait à 1978 quand les dirigeants chinois ont décidé de faire entrer la Chine dans l’économie de marché. Cela s’est fait en partie avec la complicité des Chinois de l’étranger mais surtout en établissant une parité yuan-dollar telle que les multinationales, d’abord japonaises et américaines, puis européennes tiraient un bénéfice immédiat de la délocalisation de leur production en Chine compte tenu du gain obtenu en termes de coûts de production. Suite à ces délocalisations, on assiste donc, au début des années 2000, à une explosion du commerce mondial et des exportations chinoises et aussi, logiquement, à un énorme gonflement des déficits commerciaux américains, britanniques et des autres pays O Olho da História, n. 14, Salvador (BA), junho de 2010. Robert Rollinat européens (l’Allemagne qui continue à fournir une partie des biens d’équipement nécessaires étant, pour un temps, épargnée). Ces déficits ont contribué à affaiblir la position du salariat et de la classe moyenne, en particulier aux Etats-Unis. Le palliatif a été la hausse considérable du taux d’endettement de ces catégories grâce à des taux d’intérêt très bas et à la politique de la Fed. Crédits à la consommation, prêts massifs au logement (y compris aux moins solvables), tout a contribué au gonflement d’une « bulle » énorme, les déficits américains étant compensés par les excédents chinois et japonais (et les pétrodollars). C’est cette bulle qui a commencé à se dégonfler depuis maintenant plusieurs mois. Sans pouvoir décrire ici en détail les étapes de ce processus (voir 2ème partie), il est évident qu’il a contribué au déclenchement de la crise de surproduction mondiale que nous subissons aujourd’hui et dont il faut maintenant reprendre la théorie. L’apport de la théorie marxiste à l’analyse des crises du capitalisme débouche en effet sur l’analyse des crises de surproduction, phénomène récurrent des contradictions de ce système. On l’a déjà évoqué : il y a deux façons d’appréhender l’origine des crises de surproduction chez Marx : soit en la reliant à la contradiction consommation-production (la masse des marchandises produites ne peut être absorbée par un une consommation « insuffisante »), soit en la rattachant à l’analyse de la baisse tendancielle du taux de profit. Pour nous, c’est cette dernière approche, nous l’avons dit, qui nous semble la plus pertinente car elle intègre, dans sa démarche même, les résultats de la première. De manière élémentaire, la possibilité de la crise découle de la «disjonction » entre le procès de production immédiat et le procès de circulation des marchandises. Ce sont deux procès qui peuvent « s’autonomiser » relativement dans la mesure où la valeur d’usage et la valeur d’échange de ces marchandises ne coïncident pas. Pour être vendues, les marchandises doivent « passer » par le prix (échangées contre de l’argent, M-A). Cette « métamorphose » sépare les processus d’achat et de vente et contient, dans sa nature même, la crise si les deux processus ne se recoupent pas (différence avec le troc) : « La difficulté de transformer la marchandise en argent, de vendre provient simplement de ce que la marchandise doit nécessairement être transformée en argent alors que l’argent ne doit pas nécessairement être transformé en marchandise, que vente et achat peuvent donc être disjoints » [Marx, TPV, t.2, p.607]. Nous avons précédemment insisté sur l’impérieuse nécessité pour le capital, non seulement de dégager de la plus-value, du profit, mais aussi de se reproduire comme capital. Il ne s’agit généralement pas de simplement remplacer ce capital « à l’identique » mais de remplacer le capital avancé avec le taux de profit, le taux de plus-value habituels. Les signes avant-coureurs de la crise c’est que cette reproduction va se trouver « contrariée » ou remise en question. La cause la plus courante de cette situation c’est que, dans un contexte de concurrence exacerbée, le prix de marché des marchandises produites (ou de certaines d’entre elles) tombe en dessous de leur prix de production. La « plus-value » accumulée sous forme d’argent ne peut donc transformée en capital qu’avec perte. plus être « Il se produit un arrêt dans la reproduction, par conséquent dans le flux de la circulation. Achat et vente se figent réciproquement et du O Olho da História, n. 14, Salvador (BA), junho de 2010. capital inemployé apparaît sous forme d’argent inutilisé .. Robert Rollinat ou encore sous forme de trésor dans le coffre des banques » [Marx, TPV, tome 2, p.590]. Au début de la crise, c’est sous forme de capital de prêt pléthorique que se manifeste la dévalorisation du capital investi. Il faut donc tenter de trouver, dans une conjoncture de plus en plus difficile, de nouveaux « supports » pour réinvestir la plus-value inutilisée. La Finance, la spéculation immobilière, les dépenses de luxe ont été , surtout à partir des années 1990 dans les pays capitalistes, des « débouchés de substitution » à cette crise de valorisation (voir plus loin). On peut donc considérer que, de manière structurelle, le rythme d’accumulation (l’investissement dans la production) va diverger du taux de profit réalisé La crise marchandises 33 de surproduction apparaît d’emblée comme 32 du capital . surproduction de (augmentation considérable des stocks de biens et marchandises invendus) mais elle est aussi, nécessairement, surproduction de capital. Des capitaux ont été investis, dans de nombreux secteurs de production, mais ces capitaux sont désormais « en jachère », partiellement occupés ou inoccupés. Leur mise en valeur comme capital ne se réalise plus car n’étant plus en mesure de produire des marchandises « vendables » sur le marché 34 . La surproduction se manifeste tout d’abord par une destruction de capital. Marx décrit le processus que l’on peut constater aujourd’hui dans de nombreux secteurs, partout dans le monde : « Le procès de travail se ralentit ou est, par endroits, complètement 32 M. HUSSON, s’appuyant sur des données européennes, établit, qu’à partir du début des années 1980, pour les pays de la Triade (Etats-Unis, Japon, Union Européenne) le taux de profit (rendement net sur stock de capital net) aurait nettement augmenté alors que, dans le même temps, le taux d’accumulation (taux de croissance du capital net investi) aurait stagné, voire baissé. Il voit logiquement dans ce découplage la conséquence d’une surexploitation accrue du travail et de la baisse de la part des salaires dans la production, ce qui aurait permis de générer des profits supplémentaires qui ne se seraient pas investis. Mais la conclusion qu’il tire de ce constat nous semble totalement erronée : « A partir du moment où le taux de profit augmente grâce au recul salarial sans reproduire des occasions d’accumulation rentable, la finance se met à jouer un rôle fonctionnel dans la reproduction en procurant des débouchés alternatifs à la demande salariale.. » [ « Un pur capitalisme » , 2008, p.20, Editions Page Deux, Lausanne]. On voit mal comment la « demande salariale », en baisse relative (et même absolue), compte tenu des processus décrits ci-desssus, pourrait constituer un « débouché » de la finance. . Cette vision se rapproche en fait de celle développée pendant un temps par Michel AGLIETTA et d’autres sur le « capitalisme patrimonial » (on parlait aussi de « capitalisme actionnarial » : les salariés pourraient accéder, eux aussi, en achetant des actions, au marché boursier et donc participer au « partage du gâteau »). Mauvais prophète, D. PLIHON insistait alors sur la « résilience » du capitalisme: « Notre hypothèse est donc que, en dépit de la crise profonde qui le frappe au début des années 2000, le nouveau régime de croissance qualifié de « capitalisme actionnarial » qui se met progressivement en place ne sera pas remis en cause » [PLIHON D. [2006], : «Le nouveau capitalisme». La Découverte, p.112]. 33 C’est surtout la surproduction de marchandises que constate et décrit , à partir de 1810, lors des crises successives du XIXème siècle et jusqu’en 1929, l’économiste libéral français Jean LESCURE dans le 1er tome du classique : « Des crises générales et périodiques de surproduction », [1932], 4ème éd., Domat-Montchrestien. Paris. Dans le tome II, « Causes et remèdes », il rejette aussi bien les explications « monétaires » de ces crises (rôle de l’or, du papier-monnaie ou du crédit) que les théories dites « organiques », celles qui se réfèrent à Marx et à ses épigones (p.420 et suiv.). Il préconise finalement d’utiliser une «méthode historique complexe», assez éclectique , pour comprendre la nature de ces crises. Le livre de LESCURE vaut surtout pour la description détaillée qu’il donne des crises « d’ancien type », notamment celles de la fin du XIXème siècle. 34 Le sens du mot par rapport aux besoins est bien précisé : « Le terme overproduction en soi induit en erreur. Tant que les besoins les plus pressants d’une grande partie de la société ne sont pas satisfaits ou tant que ne sont satisfaits que ses besoins les plus immédiats, on ne peut naturellement pas parler d’une surproduction de produits, en entendant par là que la masse des produits serait excédentaire par rapport aux besoins de ces produits »,( MARX, TPV, tome 2, p..628). O Olho da História, n. 14, Salvador (BA), junho de 2010. Robert Rollinat paralysé, c’est du capital réel qui est détruit. Le travail qui n’est pas exploité est autant dire de la production perdue. Des matières premières qui restent inemployées ne sont plus du capital » [T.P.V. , tome II, p. 591]. Des bâtiments, des bureaux ou des entrepôts qui ne sont plus occupés, des stocks de marchandises produites mais devenues invendables, des machines et des chaînes de production qui ne produisent plus, autant de moyens de « détruire » le capital investi. Concernant les machines et les équipements, la destruction de valeur, de capital est d’autant plus importante que ces biens de production sont récents, qu’ils n’ont accompli qu’une partie de leur cycle productif. Ils sont le fruit du travail mais ils ne valent plus rien, « leur valeur d’usage et leur valeur d’échange s’en vont au diable » [op.cit., p. 591]. Dans la crise actuelle, les exemples abondent, dans tous les secteurs de production, d’équipements récents, voire de haute technologie, devenus brutalement inopérants, obsolescents. Mais la destruction du capital dans la crise signifie encore dit Marx, « la dépréciation de masses de valeur qui les empêche de renouveler ultérieurement leur procès de reproduction comme capital à la même échelle...Des masses de marchandises faisant fonction de capital ne peuvent pas se renouveler comme capital entre les mêmes mains. Les anciens capitalistes font faillite [Marx, T.P.V., tome 2, p.592]. Pour toutes ces raisons, il faut considérer que la crise actuelle, d’un point de vue fondamental, est bien une crise « classique » du capitalisme, une crise de surproduction. Certes, on ne brûle plus, comme en 1929, le café dans les chaudières des locomotives, les entrepôts ne débordent pas toujours de marchandises invendues (on a amélioré depuis lors la gestion des stocks..) mais le problème fondamental demeure : dans le capitalisme, la contradiction Capital-Travail s’exprime dans le fait que « la limite de la production, c’est le profit du capitaliste, nullement le besoin du producteur » [Marx, TPV, t.2, p.629]. La surproduction n’est évidemment que relative . Il y a surproduction par rapport aux capacités d’absorption du marché, par rapport à la demande « solvable » et cela ne veut évidemment pas dire que les besoins sociaux des individus sont satisfaits. La crise de surproduction «générale» (ou absolue) n’a évidemment rien à voir avec les besoins de la population, « elle n’ a affaire qu’avec les besoins solvables » [Marx, TPV, tome 2, p.604]. Mais, dans les faits, les impératifs de la mise en valeur et de la réalisation du profit font que « ..la production ne s’effectue pas en tenant compte des limites existantes de la consommation, mais n’est limitée que pour le capital lui-même » [TPV, op.cit. , tome 2, p.620]. A la base de la compréhension des crises, il faut donc revenir au point de départ de l’analyse marxiste, développée dans « Le Capital » selon laquelle la relation entre le travail salarié et le capital détermine entièrement le caractère du mode de production capitaliste. C’est cette problématique de la mise en valeur du capital et de ses contradictions qui, par delà les mécanismes du crédit et toutes les « ruptures » monétaires et financières », nous permet d’en comprendre l’origine et les formes d’apparition. C’est la seule démarche qui permette d’en historiciser le développement et d’en comprendre l’irruption souvent brutale à un moment donné. O Olho da História, n. 14, Salvador (BA), junho de 2010. Robert Rollinat Ernest MANDEL avait déjà signalé, à l’occasion de la crise de 1973-1974, que le « déclencheur » de la crise de surproduction ne doit pas être confondu avec les raisons de fond qui ont amené cette crise, ni avec sa forme d’apparition 35 . Mais, ce qui est tout à fait caractéristique de ce type de crise, c’est la brutalité et la rapidité de son déclenchement. Les Etats-Unis se sont ainsi fin 2008 rapidement retrouvés dans une situation de chômage de masse : 2,6 millions d’emplois détruits en cours d’année mais avec une brutale accélération en Novembre (585 000 emplois perdus) et Décembre (524 000 emplois perdus). Si l’on examine la France et l’Europe, la détérioration est tout aussi spectaculaire. Dans la zone euro, ce sont les pronostics les plus pessimistes qui se sont réalisés. En Angleterre, après la fermeture de la chaîne de magasins Woolworth (800 magasins fermés, près de 30 000 licenciements), d’autres distributeurs sont à leur tour touchés ainsi que les usines Nissan (1200 postes supprimés) et tous les secteurs d’activité économique. 3000 emplois sont, au début de l ‘année 2009, journellement perdus en Angleterre. En Allemagne, le chômage est reparti brutalement à la hausse 36 . Depuis lors, les principaux indicateurs, notamment ceux de la production et de l’emploi ont été revus plusieurs fois à la baisse. Du point de vue de la brutalité du processus de crise engagé depuis quelques mois, la comparaison avec 1a crise des années 1929-30 37 s’impose d’emblée, en particulier quant au rythme de sa diffusion. Une récente étude de deux historiens économistes américains, B.Eichengreen et K.H. O’Rourke montre que, si l’on considère l’ensemble de la production industrielle mondiale, le recul sur neuf mois (à partir de deux « pics », juin 1929 d’une part et avril 2008, d’autre part) est plus important aujourd’hui qu’alors. Il en va de même, à partir des mêmes dates de référence, pour l’indicateur de volume du commerce mondial et l’indicateur des marchés mondiaux d’actions (même si ces derniers se sont depuis mars 2009 légèrement redressés). Un autre indicateur tout aussi inquiétant est celui, mesuré pour 24 pays, des déficits fiscaux (mesurés par rapport au PIB) en 1929-30 et aujourd’hui. Ces déficits ont déjà atteint aujourd’hui des niveaux beaucoup plus importants qu’en 19291930 38 . Si l’on admet que le « détonateur » de la crise d’aujourd’hui a été constitué par la 35 « L’événement détonateur qui précipite les crises de surproduction est à distinguer de leur forme d’apparition. Celui-ci peut être un scandale financier, une brusque panique bancaire, la banqueroute d’une grande firme comme il peut être simplement le retournement de la conjoncture (mévente généralisée) dans un secteur clef du marché mondial...mais le premier phénomène à saisir est bien la rupture brutale de l’équilibre entre offre et demande de marchandises.. » [MANDEL E. [1982] : « La crise 1974-1982. Les faits. Leur interprétation marxiste ». Flammarion, page 261 ]. 36 Un exemple parmi d’autres, celui du n°1 mondial de l’acier ArcelorMittal. A l’issue du 1er trimestre 2009, ses ventes avaient été divisées par deux par rapport au 1er trim. 2008. Victime des difficultés des principaux clients de la sidérurgie, de l'automobile et de la construction, le groupe a vu son chiffre d'affaires tomber, dans le même temps de 29,80 à 15,10 milliards de dollars. La perte nette atteint 1,1 milliard de dollars, presque deux fois plus que les prévisions des analystes. ArcelorMittal, qui fait actuellement tourner ses usines à seulement la moitié de leurs capacités, estime que la réduction "temporaire" de la production correspond au niveau de baisse de la demande. Ses effectifs mondiaux ont été réduits depuis fin décembre de 4.000 employés. 37 Pour une contribution récente en ce sens, voir : Chris HARMAN : « La grande dépression et la crise présente », Revue « LA BRECHE », N°5, janvier-mars 2009, Lausanne., pp. 5-20. 38 EICHENGREEN B. , 0’ROURKE K.H. [2009] : « A tale of two depressions ». Travail en cours, cité ici d’après le site web espagnol www.sinpermiso.org : « Una comparacion historicoestadistica de la Gran Depresion con la crisis presente », 12 Avril 2009. O Olho da História, n. 14, Salvador (BA), junho de 2010. Robert Rollinat crise des sub-prime et les faillites bancaires aux Etats-Unis, il faut constater que le rythme de diffusion de la crise a été très rapide et ce, en raison de la mondialisation de la production, des réseaux commerciaux et de la finance. Une des autres manifestations les plus évidentes de cette crise, c’est aussi la dépréciation, dévalorisation brutale, du capital déjà installé. La dépréciation périodique du capital existant a toujours été considérée par Marx comme un moyen de tenter de résoudre les contradictions du système et, en premier lieu, la baisse tendancielle du taux de profit : La dépréciation périodique du capital existant qui est un moyen immanent au mode de production capitaliste d’arrêter la baisse du taux de profit et d’accélérer l’accumulation de valeur-capital par la formation d’un capital neuf perturbe les procès de procès de circulation et de reproduction du capital et, par suite, s’accompagne de brusques interruptions et de crises du procès de production. [Le Capital, op.cit. Livre 3, p.262]. Mais, au moment de la crise elle-même, la dépréciation-dévalorisation prend des proportions gigantesques, des pans entiers d’équipements, sans même achever leur cycle (non amortis) deviennent caducs. Il y a bien destruction massive de valeur avec toutes les conséquences sociales qui en découlent. Depuis quelques mois, il y a déjà eu une énorme destruction de ce capital accumulé. La première forme de destruction est celle qui s’opère en Bourse. Aux Etats-Unis, en un seul jour, le 15 octobre 2008, la baisse des cours a conduit à la perte de 1,1 trillion de dollars. On estime qu’à cette date, les marchés boursiers avaient déjà perdu, au niveau mondial, 27 trillions de dollars, que la perte de valeur des seuls logements américains pouvait être évaluée à 5 trillions de dollars, celle des fonds de pension 2,5 trillions de dollars 39 . La faillite des banques qui les conduit à disparaître doit aussi être considérée comme une destruction de capital et de valeur (ainsi celle de la banque Lehman Brothers capitalisée avant sa chute entre 30 et 40 billions de dollars et celle de l’assureur AIG qui, quelques mois avant l’effondrement était encore estimée entre 150 et 200 billions de dollars). Et comment mesurer la valeur énorme du capital productif détruit par la réduction de la production et les fermetures d’usines, sans évidemment oublier la destruction de la force de travail ellemême ? Le credit, le capital porteur d´interet : composantes de la speculation finaciere Pour appréhender les développements brutaux de la crise actuelle, il fallait donc d’abord repartir des « fondamentaux » que sont, pour la théorie marxiste, la mise en valeur du capital et les contraintes de réalisation du profit et resituer ces impératifs de valorisation du capital dans le contexte historique de l’évolution du capitalisme, en particulier depuis la « reconstruction » de l’après-guerre. Les violentes « contradictions » dans la finance, les banques et les monnaies qui sont apparues au grand jour à la fin de 2008 ne sont en effet compréhensibles que comme expression de la crise globale de ce 39 Chiffres cités par Joel GEIER : « Capitalism’s worst crisis since the 1930 s ». International Socialist Review , N°62, Nov.Dec. 2008. Voir aussi « Le Monde », 26-27 Octobre 2008, page 1, « 25000 milliards de dollars évanouis » (perte évaluée à cette date de la seule capitalisation boursière mondiale depuis le début de l’année 2008). O Olho da História, n. 14, Salvador (BA), junho de 2010. Robert Rollinat mode de production capitaliste. Mais comment formaliser le lien entre ces deux niveaux, la crise de la production d’une part, les faillites de banques et la crise boursière d’autre part ? Une réponse cohérente et logique nous est proposée par Marx lorsqu’il met en évidence le rôle du crédit dans la production capitaliste et quand il analyse les rapports généraux entre la marchandise et la monnaie. Pour ce faire, il étudie d’abord l’argent dans son rôle « purement technique » lié à la circulation et à l’échange des marchandises, puis sa fonction dans le procès de circulation du capital commercial et industriel. Mais l’argent n’est pas seulement une forme, une « représentation » de la valeur, c’est aussi la possibilité de développer le crédit. Historiquement, le système de crédit a accéléré le développement matériel des forces productives et la constitution d’un marché mondial. Mais il « capitaliste particulier ou à celui qui passe pour tel », d’avoir permet également au «la disposition absolue, à l’intérieur de certaines limites, du capital d’autrui, de propriété d’autrui et, par conséquent, de travail d’autrui » [ Cap., L.III, t.7, op.cit., p.104]. Cela est rendu possible par la centralisation des « petites épargnes » au sein des banques mais aussi grâce à tous ceux qui, disposant de capitaux disponibles, vont chercher à les mettre en valeur. Le système de crédit est un moyen pour élargir la production par delà les capacités d’absorption du marché (voir aujourd’hui la surproduction de logements et d’automobiles), de favoriser la spéculation commerciale. Le crédit accélère donc le procès de reproduction en général. Il sert de base à la spéculation parce qu’il permet d’abord, de manière élémentaire, de garder plus longtemps séparés les actes d’achat et de vente. Ce que MARX analysait dans le contexte du capitalisme industriel du XIXème siècle s’est trouvé largement amplifié dans le capitalisme d’aujourd’hui fortement bancarisé et où la promotion et l’usage du crédit ont été pris en charge, à des taux élevés, parfois usuraires, par une multitude d’organismes et d’institutions spécialisées, y compris des officines chargées de « refinancer » les dettes des ménages les plus endettés. Certaines appréciations de Marx sur le rôle de la spéculation sont très actuelles : Si le système de crédit peut faire figure de levier principal de la surproduction et de la surspéculation commerciale, c’est seulement parce que le procès de reproduction, par nature élastique, se trouve tendu ici jusqu’à l’extrême limite, étant donné qu’une grande partie du capital social est utilisée par ceux qui ne le possèdent pas... [Marx, Cap., L.3, T.7, p. 106]. Mais surtout dit MARX, le crédit va permettre, pour un temps, de surmonter « la barrière du capital » précédemment évoquée (l’investissement nouveau se heurtant au capital déjà accumulé) en lui permettant d’ investir d’autres secteurs d’activité à la rentabilité jugée meilleure. Le développement du système de crédit va rencontrer le premier ses propres limites car le prêt implique toujours, après un certain délai, le remboursement. Cela se traduit généralement par de violentes crises de crédit et des faillites (d’individus ou d’entreprises). C’est là qu’il faut trouver l’origine de l’ économie de surendettement. L’endettement est rendu nécessaire par l’insuffisance de l’épargne due elle-même à la dégradation du revenu (voir la crise des sub-primes aux Etats-Unis). O Olho da História, n. 14, Salvador (BA), junho de 2010. Robert Rollinat L’analyse du crédit nous conduit assez naturellement à considérer le taux d’intérêt. Du point de vue de la loi de la valeur, l’intérêt ne peut être pris que sur le « profit d’entreprise » : c’est ce que le « capitaliste-investisseur » doit prendre sur la plus-value réalisée, base du profit, pour rémunérer l’apporteur de capitaux, notamment le banquier 40 . On conçoit également qu’à travers les opérations de prêt, les capitaux en quête de placement et de rentabilité se « détachent », du moins en apparence, des processus immédiats de la production et de la mise en valeur. MARX considère le capital porteur d’intérêt comme « forme aliénée du rapport capitaliste » : « Avec le capital porteur d’intérêt, le rapport capitaliste atteint sa forme la plus extérieure, la plus fétichisée. Nous avons ici A-A’, de l’argent produisant de l’argent, une valeur se mettant en valeur elle-même, sans aucun procès qui serve de médiation aux deux extrêmes » [Cap., L.3, section V, p.55]. A la différence du capital de production ou encore du capital marchand (A-M-A’) qui, dit MARX, « représente encore un procès » (celui de la sphère de la circulation des marchandises), la formule A-A’ (où A’ est nécessairement supérieur à A) suppose que l’argent acquière la propriété de créer de la valeur et, selon la fameuse formule, « de rapporter de l’intérêt tout aussi naturellement que le poirier porte des poires » [Cap, L.3,. op. cit. p.56]. L’argent devient ainsi un « fétiche automate » et la valeur d’usage de l’argent, comme pour la forme travail, sera « de créer de la valeur, une valeur supérieure à celle que l’argent lui-même contient ». Les « illusions monétaires » entretenues aujourd’hui par les mécanismes de la spéculation financière et boursière trouvent là une explication. L’intérêt (ou le dividende) apparaissent comme une composante du profit (c’est-à-dire de la plus-value prise au salarié) mais aussi, contradictoirement, comme le fruit proprement dit du capital , comme « la chose première », le profit « d’entreprise » apparaissant alors comme une forme dérivée, seconde, accessoire du procès de reproduction. Si l’on admet les principes sous-jacents à la loi de valeur, le fait que cette valeur puisse se « révéler » à travers différentes formes (en particulier sous la forme argent- monnaie, sous la forme marchandise, sous la forme capital) et que ces différents maillons constituent autant de formes spécifiques dans la circulation générale du capital, il faut alors considérer que le capital financier n’est pas un « nouveau » capitalisme ou une perversion d’un capitalisme « pur » dont la base pourrait, par exemple, être industrielle. Il s’agit bien d’un seul un même système, le secteur financier n’étant qu’une « excroissance » naturelle du capitalisme global dont les fins restent les mêmes, l’extorsion du profit) 41 . Ce point sera développé ultérieurement. 40 MARX analyse en détail ce partage du profit en intérêt et « profit d’entreprise » dans le Livre 3 du « Capital ». Il établit en particulier, contre la position de certains économistes de son époque, qu’il ne peut exister un « taux naturel » de l’intérêt « indépendant » du taux de profit (et donc des conditions générales de réalisation de la plus-value). 41 R. BRENNER va encore plus loin. Questionné sur le paradigme de la « financiarisation » ou du « capitalisme financier » qui aurait, à partir des années 1980, provoqué une « résurgence » du capital, il considère que l’idée même de « capitalisme financier » est une contradiction dans les termes car, dit-il, « en dehors d’exceptions significatives comme le prêt au consommateur, le profit financier O Olho da História, n. 14, Salvador (BA), junho de 2010. Robert Rollinat Il n’y a donc pas d’un côté « le réel », de l’autre « le financier », il y a le problème permanent de la mise en valeur, de la valorisation du capital. MARX considère, que ce qui distingue les capitalistes « modernes » des anciennes classes dirigeantes, c’est qu’il leur faut utiliser leur argent pour accumuler du capital et non le dépenser : « Sans accumulation, le capital ne peut constituer les bases de la production.. Si la plus-value était simplement consommée, alors le capital ne pourrait se réaliser lui-même comme capital, ne pourrait se reproduire lui-même comme capital, c’est-à-dire comme valeur qui produit une valeur plus grande.. » [Marx, Grundrisse, Chap.8, p.56] . Nous retrouvons là cette « barrière » incontournable du capital : le capital lui-même. Capital reel et capital fictif: la bourse, la finance, la rente fonciere Ne fois considérée la fonction du crédit en général, sa « capacité » à anticiper les ventes (crédit commercial) et à favoriser l’investissement dans la production (crédit productif), après avoir montré l’importance des relations entre « capital productif » et « capital porteur d’intérêt », il nous faut examiner maintenant un maillon essentiel de la théorie marxiste des crises qui nous permet plus concrètement d’étudier les mécanismes de création et d’éclatement des fameuses « bulles financières », d’en comprendre les ravages destructeurs sur les banques, les épargnants et les salariés. Cet apport qui distingue l’approche marxiste de toutes les autres consiste à prendre en compte, à côté du « capital en général » et des autres formes du capital, la notion de capital fictif 42 . Premier constat : dans sa nature même, parce qu’il suppose l’existence de la banque, le mécanisme du crédit aboutit à une création de moyens de paiement ex nihilo. En effet, le propriétaire d’un dépôt auprès d’une banque va le considérer comme une encaisse disponible, alors que, dans le même temps, la banque peut utiliser le même dépôt à d’autres fins (à faire du crédit par exemple à un autre client). A chaque opération de crédit il y a ainsi duplication monétaire. Une banque peut donc financer des investissements à long terme avec des fonds empruntés à court terme (ceux des dépôts à vue ou à court terme de ses déposants). Au total, le mécanisme du crédit aboutit à une création de monnaie par de simples jeux d’écriture. Il est donc fondamentalement instable. Le mécanisme du crédit permet donc la création (ou la destruction) monétaire par la voie bancaire. Pour les bénéficiaires du crédit, on a pu parler de « miracle du crédit », puisqu’il permet de créer ex nihilo un pouvoir d’achat effectif qui s’exerce sur le marché, sans que ce pouvoir d’achat puisse être considéré comme la rémunération d’une quelconque activité de production. Autant la mobilisation d’« épargnes réelles » par les banques peut durable dépend de l’obtention de profits durables dans l’économie réélle » . Interview du 22 Février 2009. En espagnol sur le site www.sinpermiso.info. 42 En France, c’est François CHESNAIS qui a contribué, notamment à partir d’une analyse détaillée et rigoureuse de la 5ème section du Livre III du « Capital », à réhabiliter, de manière convaincante, la notion de « capital fictif » , CHESNAIS, 2006, dans « La Finance capitaliste » , Actuel Marx, Puf ]. O Olho da História, n. 14, Salvador (BA), junho de 2010. Robert Rollinat leur permettre de financer des investissements productifs, autant la création de « faux droits » par la création monétaire mène directement à la spéculation. Analysant les premières grandes crises bancaires mondiales du XIXème siècle, notamment celles de 1847 et de 1857-58, Marx précise : « Pour qu’un système de crédit fictif puisse naître, il faut toujours deux parties, débiteurs et créanciers et que les premiers aient toujours tendance à faire des affaires avec le capital d’autrui et à s’enrichir à ses dépens… De quelle nature sont donc les rapports sociaux qui suscitent presque régulièrement ces « périodes d’auto-mystification, de surspéculation, de crédit fictif ? » [Marx, New York Tribune, 4 oct.1858] 43 . La notion même de capital fictif englobe celle de crédit fictif. Et le capital fictif découle des comportements spéculatifs qui sont immanents à la société capitaliste ellemême. Ils sont étroitement liés aux conditions générales de mise en valeur du capital avec, comme objectif incontournable, la recherche du profit. Marx se réfère à Sismondi et à sa notion de « capital imaginaire » (imaginary capital) pour préciser la définition du terme. Le capital fictif concerne donc tous les instruments monétaires ou financiers susceptibles de rapporter de l’argent à partir de l’argent (le cycle « court » A-A’) sans repasser par la production ou l’échange de marchandises. Ces instruments se sont fortement développés ces dernières années (voir 2ème partie) constituant ce capital fictif qui, dans la phase de montée spéculative, va s’émanciper pour un temps des contraintes de la loi de valeur. Selon la formule de Marx, « le capital fictif est fictif dans le sens où sa valeur capital comptable est purement illusoire ». Mais cette illusion n’est pas étrangère au mode de production capitaliste (elle ne découle pas par exemple d’une mauvaise « psychologie » des marchés ), elle en est un sous-produit naturel. Michael capital Perelman rappelle que dans les économies modernes, la croissance du fictif creuse l’écart entre les prix et les valeurs. Plus les signaux de prix vont être faussés (suite à la spéculation), plus l’information sur la valeur, sur l’économie réelle, va se réduire et même disparaître 44 . Pendant la crise, l’élimination des valeurs fictives contribue au relèvement du taux de profit, au moins tant que ces valeurs fictives (avec la charge qu’elles font peser sur les producteurs) sont éliminées à un rythme qui dépasse la baisse générale des prix. La destruction du capital fictif est donc étroitement liée avec le processus de dévalorisation du capital. On a là un schéma théorique qui, autour de cette notion de capital fictif, nous permet de comprendre la naissance et l’éclatement des bulles financières, leur articulation « souterraine » avec le monde réel. On comprend aussi pourquoi c’est souvent dans la sphère financière, notamment sur les marchés boursiers, que le déclenchement de la crise se produira. C’est là où l’écart entre valeurs et prix de marché est devenu le plus important que la correction va se faire la plus soudaine et brutale. 43 Cité d’après le recueil de textes de Marx et Engels : « La crise » [1978] , préface de R. Dangeville, UGE, Paris, pp. 201-204. 44 PERELMAN Michael [1987] : « Marx’crisis Theory, Scarcity, Labor and Finance » Praeger , New York., Voir surtout le Chapitre 6: “Fictitious Capital and Crisis Theory”, pp. 170-217. O Olho da História, n. 14, Salvador (BA), junho de 2010. Robert Rollinat La crise actuelle dont le déclencheur a été la crise des « subprime » aux Etats-Unis a eu pour origine un secteur bien spécifique : celui de la construction et de l’immobilier. Cet aspect doit être considéré comme tel car il concerne une catégorie économique particulière, trop souvent évacuée dans le débat marxiste : la rente foncière. Qu’est-ce qui a permis les prêts à risque de la part des banques sinon la valorisation artificielle du support que constitue l’immobilier, valorisation de ce que l’on pourrait qualifier, en termes marxistes, de rente absolue ? Lorsque l’on se penche sur la théorie de la rente dans le « Capital », on est confronté à un problème : Marx traite essentiellement de la rente en agriculture (à l’exception d’un court développement sur la rente des terrains à bâtir et sur les mines). Il y a bien sûr, Ricardo l’avait montré, la rente différencielle (expression de la localisation et de la fertilité comparée des sols) mais il y a surtout la rente absolue, composante, forme, support du profit. Et, tout comme l’intérêt, dit Marx, la rente doit être prélevée sur le profit global 45 . Qu’est-ce qui contribue aujourd’hui à redonner une place essentielle à la rente ? C’est le fait qu’elle ne concerne plus seulement la terre agricole comme au XIXème siècle mais une multitude d’activités économiques dépendantes qui ont généré, pendant un temps, de nombreux emplois de « services » dans de nombreux secteurs : l’immobilier urbain, l’exploitation des richesses naturelles énergétiques, les centres commerciaux, de loisirs, de vacances, etc. Ces activités nécessitent un « support » foncier qui peut, comme tel, servir de base à la spéculation. On peut considérer, ces dernières années, que la rente foncière et sa valorisation (artificielle car déconnectée du processus productif) a constitué un support privilégié de 46 « création » et d’extension du capital fictif . En effet, qu’est-ce qui permet d’opérer le lien entre le crédit immobilier et la rente foncière ? Tout simplement les hypothèques sur les terrains et les logements concernés. Lorsque la courbe de prix des biens immobiliers s’est retournée, et avec elle la valeur des hypothèques, la « bulle immobilière » fictive s’est dégonflée. Comme on le sait, depuis le début de la crise, le prix des logements et des terrains n’a pas seulement baissé dans la plupart des pays, il s’est effondré dans certains ( Irlande, Espagne mais aussi Etats-Unis). Et la correction est loin d’être terminée. Derrière la rente, il y a le rapport d’appropriation, le droit de propriété. Ce droit n’est pas celui de l’entrepreneur actif mais du rentier-spéculateur. C’est un support du parasitisme. Marx le dit à sa manière: «.. ce qui, dans la mise en valeur de la propriété foncière et le développement de la rente apparaît, du point de vue économique, comme particulièrement caractéristique est que leur montant n’est nullement déterminé par 45 Chez MARX, les développements sur la rente foncière se situent à la fin du Livre III du « Capital » dans une section VI intitulée, de manière significative, « Conversion du surprofit en rente foncière ». 46 PERELMAN précise à ce sujet : « La capitalisation des biens capitaux réels est très importante car ces valeurs capitalisées sont un déterminant majeur des prix de marché » . La terre (cultivable ou à bâtir) est un bien-capital réel qui n’échappe donc pas à la spéculation, avec un prix de marché qui peut se « détacher » plus ou moins durablement de sa valeur [PERELMAN, op.cit., pp. 197198] O Olho da História, n. 14, Salvador (BA), junho de 2010. Robert Rollinat l’intervention du bénéficiaire mais par le développement du travail social auquel il n’a aucune part et qui ne dépend nullement de son action » [MARX, Cap. , L .3 , t.6, p. 28]. Or, les politiques néo-libérales de crise ont élargi, ces dernières années, la dimension « propriétaire », rentière, on pourrait dire « parasitaire » du capitalisme. Tout d’abord, par les privatisations à outrance du « foncier » dans certains pays européens mais aussi en Amérique latine, en Europe de l’Est et ailleurs. En Argentine, suite à la crise de 2002, un quart de la pampa a été rachetée par des intérêts étrangers, de même qu’une partie de l’Amazonie brésilienne par des firmes agro-alimentaires américaines. La vente par l’Etat anglais de son parc de logements sociaux procède de la même logique. Partout, l’espace « public » a été réduit.. Le champ d’accumulation du capital dans le foncier, les biens touristiques, les ressources énergétiques en a été élargi d’autant. Cet élargissement a été considérable après la chute du mur de Berlin et l’effondrement des régimes soviétiques. Cette politique organisée du capital mondial, en premier lieu américain, de « reconquérir » les terres libres, les sources d’énergie et de matières premières, dans de nombreuses parties du monde, s’est non seulement traduite par des guerres mais aussi, plus simplement, par le démantèlement des lois et règlements existants en matière foncière. Elle a conduit à privatiser une partie des actifs publics, de « réinvestir » tout ce qui, jusque là, n’était, jusque là, « pas à vendre ». L’Etat, c’est dit N. Klein, le « nouveau territoire colonial » que l’entreprise conquistador doit piller en recherchant sans relâche de nouvelles sources de profit dans le domaine public [Klein, op.cit, p. 294]. Pour ce faire, un rôle essentiel est dévolu à la corruption car il est nécessaire d’obtenir l’appui du Politique pour investir , dans les meilleures conditions, ces nouveaux champs d’accumulation. Le capitalisme en crise engendre donc un nouveau « parasitisme » propriété foncière et la rentiers malveillants basé sur la rente. Il ne s’agit pas là d’ une perversion supplémentaire de mais bien d’un mécanisme inhérent à la nature même du système 47 économique . La crise d’aujourd’hui concerne donc aussi tous ces secteurs. Elle est d’autant plus brutale que le développement de ces activités « rentières » n’avaient obéi à aucune règle particulière, sauf celle du profit maximum. L´economie permanente d´armement, la privatisation securitaire Les nécessités de la valorisation du capital ont aussi trouvé un champ, trop souvent sous-estimé, dans l’économie d’armement. Compte tenu des contradictions mondiales de la mise en valeur évoquées plus haut, l’armement, le « marché de la guerre » constituent un 47 On pourrait ici établir un parallèle avec l’évolution du pouvoir mafieux tel qu’il été analysé, à propos de l’Italie, par Lebert et Vercellone . Les activités de la mafia n’ont plus rien à voir avec la « mafia-entreprise » de l’industrie du crime et de la protection. Elles n’apparaissent plus comme violation du marché mais comme forme endogène de l’accumulation du capital. Il y a interpénétration des activités formelles (la finance, l’investissement immobilier, les concessions de services publics) avec l’informel (l’intimidation et la violence). Au plan politique, la mafia n’apparaît donc plus comme un anti-Etat mais comme une composante des classes dirigeantes [LEBERT, VERCELLONE, 2006]. O Olho da História, n. 14, Salvador (BA), junho de 2010. Robert Rollinat « débouché » pour la production même si les marchandises produites, les armes, n’ont qu’une « valeur d’usage » qui est celle de la destruction. Ernest Mandel, suivant Rosa Luxembourg, analysait déjà la fonction spécifique de « l’économie de réarmement permanente » dans son ouvrage « Le troisième âge du capitalisme », indiquant « que le capital excédentaire n’est réinvesti de manière productive que dans le cas où un débouché rentable lui est garanti ». Ce débouché rentable étant de plus en plus difficile à trouver dans la production « normale » des biens et services, une « demande supplémentaire » était créée par l’Etat, en partie grâce aux impôts, en partie par les emprunts émis [Mandel, 1997, pp.219-246]. La crise de 1929 qui a débouché sur la seconde guerre mondiale et la préparation à la guerre a été, surtout à partir de 1939 aux Etats-Unis, l’élément qui, bien plus que le New Deal , a contribué, avec un coût social très élevé, à la reprise de l’accumulation du capital 48 . Or, il est évident qu’aujourd’hui, les guerres en cours, notamment celles d’Irak et d’Afghanistan, s’appuient déjà sur un complexe militaro-industriel bien supérieur à celui des années 1930. Il faut donc considérer que, dans le processus même de la crise et de la manière dont elle pourra se dénouer ( en l’absence d’une véritable solution socialiste) la question du financement de la guerre jouera un rôle déterminant. Pour s’en tenir ici aux plus récentes données budgétaires sur la question, rappelons que fin Septembre 2008, en pleine controverse sur les milliards de dollars que les contribuables américains allaient devoir octroyer aux banques (notamment ceux du Plan Paulson), le Sénat américain a voté les 612 milliards du budget de la défense pour 2009. Mais, en réalité, les dépenses annuelles pour la « sécurité nationale » - c’est à dire le budget de la défense augmenté de toutes les dépenses militaires dissimulées dans les budgets des administrations de l’énergie, de l’État, du Trésor, des Anciens Combattants, de la CIA, et de nombreux autres services de l’état - dépasse d’ores et déjà les 1000 milliards de dollars, montant supérieur au total de tous les autres budgets de la défense nationale dans le monde 49 . Cette comptabilité n’est pourtant encore que très partielle car elle n’inclut pas tous les coûts macro-économiques induits par la guerre qui, additionnés dans le temps, par exemple pour la seule guerre en Irak, aboutissent aujourd’hui selon Bilmes et Stiglitz à 3000 milliards de dollars 50 . 48 Voir l’ouvrage de B. WADDELL [2001] : « The war against the New Deal. World War II and American Democracy” . Northern University Press. 49 Ainsi, pour les dépenses militaires américaines de 2007, à côté des 552 milliards de dépenses « officielles » de « défense nationale », il faudrait prendre en compte, plus de 9 milliards pour l’espace, 29 milliards pour des subventions (à 80% militaires) à des gouvernements étrangers, 40 milliards pour les prestations sociales aux vétérans, 12 milliards pour les dépenses médicales, 250 milliards pour la dette militaire proprement dite, soit une somme globale équivalente à 7,3 % du PNB. Sources: National Income and Product Accounts; Office of Management and Budget, Budget for Fiscal Year 2009 et James M. Cypher, “From Military Keynesianism to Global-Neoliberal Militarism,” Monthly Review 59, no. 2 (Juin 2007). Voir aussi, Ch. JOHNSON : «Le gouffre financier du Pentagone », Tom Dispatch, 28 Sept. 2008. 50 C’est notamment la démarche de L.J. BILMES et J. STIGLITZ dans leur ouvrage « The Three Trillion Dollar War : the True Cost of the Irak Conflict », , Traduction Fayard, mars 2008. O Olho da História, n. 14, Salvador (BA), junho de 2010. Robert Rollinat Il faut aussi considérer le fait qu’aux Etats-Unis, surtout après 2001, le secteur de la sécurité intérieure, complémentaire du premier, a lui aussi été un secteur privilégié de mise en valeur du capital, avec des profits considérables. Suite au 11 septembre 2001, la « guerre contre le terrorisme » a été conçue, dès le départ pour être financée par des intérêts privés. Les membres de l’administration Bush, dont le Secrétaire d’Etat à la Défense D. Rumsfeld qui avait siégé dans les Conseils d’Administration de grandes firmes comme Halliburton ou Blackwater vont permettre à ces firmes de profiter directement de la manne des contrats de guerre et de fournitures qui ne feront, le plus souvent, pas même l’objet d’une adjudication. Le complexe militaro-industriel apparaît organiquement lié et dépendant du pouvoir politique et est devenu selon l’heureuse expression de N. KLEIN , « la porte à tambour entre le gouvernement et l’industrie » [Klein, op.cit, p.378]. Du point de vue de l ‘analyse de la crise, on peut considérer cette politique a favorisé l’émergence d’une « bulle » de financement sécuritaire 51 , largement spéculative, qui contribuera, à son niveau, à la crise bancaire américaine ouverte commencée au début de 2008. 51 « De la même façon qu’Internet avait lancé la bulle « point com », les attentats du 11 Septembre lancèrent celle du capitalisme du désastre…Désormais l’Etat, au lieu d’assurer la sécurité, l’achèterait au prix du marché...[KLEIN, 2008, op. cit., pp.360-61].