Dynamique d`une économie dont la monnaie repose sur l`émission

Dynamique d’une économie dont la monnaie repose sur l’émission de
crédits bancaires
Edouard Cottin-Euziol
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Version préliminaire
Résumé :
Nous nous posons dans cet article la question de la validité de la loi de Say pour
différents niveaux d’intégration de la monnaie aux modèles macroéconomiques. Nous
montrons que la loi de Say n’est pas vérifiée dans une économie dont la monnaie repose sur
l’émission de crédits bancaires pour au moins trois raisons : les entreprises n’injectent pas
automatiquement dans le circuit les sommes nécessaires à la monétisation de leurs profits, les
ménages thésaurisent une partie de leurs revenus et le remboursement des crédits bancaires
passés représente, au même titre que l’épargne, une fuite hors du circuit économique. Nous
montrons ensuite qu’il est de plus en plus difficile, dans une économie reposant sur une
monnaie bancaire, de faire progresser les revenus au même rythme que la production. Nous en
concluons que les mécanismes de création et destruction monétaires actuels ne permettent pas
d’assurer un financement pleinement satisfaisant des économies. Ce résultat pose la question
de la pertinence des ces mécanismes, et en appelle une réforme.
1
Cottin-Euziol Edouard, Université de Limoges, 5 rue Félix Eboué, BP3127, 87031 Limoges Cedex 1, France.
Tel.: +33 (0)5 55 14 92 51, E-mail address : edouard.cottin-euziol@unilim.fr
Nous nous posons dans cet article la question de la validité de loi de Say pour
différents niveaux d’intégration de la monnaie à des modèles macroéconomiques. Nous
distinguons pour cela trois niveaux d’intégration de la monnaie. Le premier consiste à ne pas
l’y intégrer du tout. L’économie décrite fonctionne alors sur la base du troc. Le travail et le
capital sont rémunérés en nature. Dans le second, les entreprises rémunèrent leurs salariés en
monnaie, et espèrent réaliser des profits monétaires. La monnaie est le support de l’ensemble
des transactions économiques, l’économie est en ce sens monétaire, mais la question de
l’origine de la monnaie n’est pas posée. Le troisième niveau reprend le second, mais intègre la
monnaie via ses véritables mécanismes de création et destruction. L’intégralité de la monnaie
repose alors sur l’émission de crédits bancaires.
Il apparaît extrêmement difficile de concevoir une futation de la loi de Say dans une
économie de troc. Ceci est en revanche beaucoup moins vrai dans le cadre d’une économie
monétaire et d’une économie dont la monnaie repose sur l’émission de crédits bancaires.
Nous revenons successivement sur la question de la réfutation de la loi de Say dans ces deux
derniers cas.
La réfutation de la loi de Say dans une économie monétaire
De nombreux auteurs, en particulier Marx (1885), Keynes (1930, 1936) et Kalecki
(1947), ont montré que l’intégration de la monnaie à un modèle macroéconomique en
modifiait la plupart des propriétés. Deux de ces propriétés sont d’une importance primordiale
pour l’économie politique.
La première est que les principes qui gouvernent la répartition de la richesse dans une
économie monétaire peuvent être radicalement différents de ceux qui la gouvernent dans une
économie de troc. En effet, dans une économie de troc, la rémunération du capital correspond
à la part de la production qui n’est pas allouée au travail au moment de la production ; tandis
que dans une économie monétaire, les entreprises rémunèrent les détenteurs de capitaux si les
sommes perçues lors de la vente de la production sont supérieures à celles dépensées pour
financer les coûts de production. Une injection monétaire, qui s’ajoute à celle permettant le
paiement des facteurs de production, est donc nécessaire pour expliquer les profits dans une
économie monétaire. Cette injection monétaire supplémentaire peut avoir pour origine la
consommation des capitalistes, l’existence de revenus extérieurs au processus de production,
l’investissement, l’endettement de l’Etat ou des ménages.
La seconde est que la loi de Say n’est pas vérifiée dans une économie monétaire. Elle
n’est pas vérifiée pour deux raisons. D’une part, une partie du revenu des ménages peut être
thésaurisée et donc ne pas refluer vers les entreprises, empêchant l’écoulement de l’ensemble
des marchandises produites. D’autre part, les sources d’injection monétaire à l’origine des
profits peuvent être insuffisantes pour permettre aux détenteurs de capitaux de réaliser les
profits anticipés. Dans le premier cas, les revenus générés par la production (que nous
appelons E) sont suffisants pour acheter la production (dont la valeur est appelée Y) mais la
consommation issue de ces revenus (que nous appelons D) est insuffisante :
E Y
D E
=
<
Cette réfutation de la loi de Say a notamment été proposée par Marx et Keynes, comme le
rappelle Renaud :
« Marx and Keynes do not question the equivalence between Y
0
and [E]
2
even if they question
explicitly (Marx) or implicitly (Keynes) the possibility of realizing profits given the existence
of hoarding. Their criticism of Say’s law is based on disputing the equivalence of [E] and D. »
(Renaud, 2000, p. 290)
Dans le second, ce sont les revenus issus de la production qui sont insuffisants pour
acheter la production. Il peut donc y avoir surproduction, même si l’intégralité des revenus est
consommée :
E Y
E Y
D E
<
<
=
Cette situation a notamment été envisagée par Sismondi (1819) et Malthus (1820).
Pour Malthus, le capitalisme ne peut par conséquent fonctionner que grâce à l’existence de
revenus extérieurs au processus de production. Pour Sismondi, cet écart entre Y et E implique
une sous-consommation chronique des biens produits.
2
Renaud utilise la lettre R pour les revenus. Dans notre article, cette lettre fera référence au remboursement des
crédits bancaires ayant financé les investissements passés. Nous utilisons donc la lettre E pour parler des
revenus.
Une crise de surproduction généralisée est donc possible dans une économie
monétaire, alors qu’elle ne l’était pas dans une économie de troc. Toutefois, dès que l’on
s’intéresse à la dynamique d’une économie monétaire, on s’aperçoit que cette surproduction
ne peut apparaître que dans des conditions très précises.
Considérons pour cela une économie fermée dans laquelle les profits constatés à la fin
d’une période sont dépensés au cours de la période suivante. Dans cette économie, en
supposant tout d’abord l’absence d’épargne, la consommation des profits passés est la source
de nouveaux profits et permet aux entreprises de réaliser des profits identiques d’une période
sur l’autre. Cela n’est toutefois pas suffisant dans une économie connaissant une croissance
régulière. Dans ce cas en effet, les profits qu’anticipent de aliser les entreprises augmentent
également et la seule consommation des profits passés ne peut permettre aux entreprises de
réaliser les profits anticipés. Les revenus générés par les entreprises en produisant sont donc
insuffisants pour leur permettre de vendre leur production avec la même marge qu’au cours de
la période précédente. Une source d’injection monétaire supplémentaire, d’un montant (Y
E), est alors nécessaire pour permettre aux entreprises de réaliser des profits croissants d’une
période sur l’autre.
L’écart entre les revenus générés par la production et la valeur de la production ne
représente cependant, pour une marge donnée, qu’une portion minime de la valeur de la
production. Nous pouvons l’illustrer en prenant l’exemple d’une économie dont la production
augmente en valeur de 5% par période et les entreprises réalisent une marge de 20% sur la
vente de leur production. Dans ce cas, l’augmentation des profits que les entreprises anticipent
de réaliser entre deux périodes représente uniquement 0,8% de la valeur de la production
3
. Il
suffirait donc d’une injection monétaire représentant 0,8% de la valeur de la production au
sein de chaque période pour que les revenus soient égaux à la valeur de la production.
En intégrant l’existence d’une épargne détenue sous forme monétaire à notre
raisonnement, la demande issue des revenus générés par la production est alors inférieure à la
valeur de la production (D < E). Une injection monétaire supplémentaire, d’un montant (E
D) sera par conséquent requise pour contrebalancer ce flux d’épargne.
3
1 1
0,2 0,2
0,008
(1 ) 1,2 1,2*1,05
t t t t t t
t t t
Y E mW mW
Y Y m W
π π
− −
− −
= = = − =
+
En supposant que les ménages souhaitent maintenir un rapport constant entre leur
stock d’épargne et leurs revenus, nous pouvons calculer les flux nets d’épargne des ménages
au sein de chaque période, relativement à la valeur de la production. Nous reprenons pour cela
l’exemple précédent et supposons que les ménages souhaitent maintenir un rapport de 1 entre
leur stock d’épargne et leurs revenus. Dans ce cas, une injection monétaire supplémentaire
représentant 4,7% de la valeur de la production
4
serait nécessaire pour que la demande issue
des revenus générés par la production soit égale à la valeur de la production.
Une injection monétaire représentant 5,5%
5
de la valeur de la production serait alors
nécessaire afin de contrebalancer les flux nets d’épargne et de permettre aux entreprises de
réaliser les profits anticipés.
Une surproduction généralisée, c’est-à-dire ici l’incapacité des entreprises dans leur
ensemble à vendre leur production avec une même marge d’une période sur l’autre,
surviendrait donc si cette injection monétaire supplémentaire était inférieure à (Y D), donc
si elle représentait dans notre exemple moins de 5,5% de la valeur de la production.
La surproduction est désormais possible parce que l’économie est monétaire.
Néanmoins, la surproduction ne s’explique pas nécessairement par des causes monétaires. En
effet, dans une économie connaissant une croissance gulière et dans laquelle les ménages
souhaitent maintenir un ratio constant entre leur épargne détenue sous forme monétaire et
leurs revenus, l’écart entre la demande et la valeur de la production représente une part
constante de la valeur de la production. Une injection de monnaie proportionnelle à la valeur
de la production est donc requise au sein de chaque période pour égaliser la demande et la
valeur de la production. Par conséquent, si une crise de surproduction se développe au sein
d’une période, elle ne peut s’expliquer par la variation des injections monétaires requises,
puisque celles-ci sont constantes. Seule une modification du comportement des agents
économiques, se traduisant par exemple par une hausse de l’épargne ou une baisse des
investissements et de la consommation des capitalistes, peut expliquer que les injections
4
(
1 1 2
1
0,047
t t t t
t t t t t
t t t t t
W W
E D S E E
Y Y Y W
π π
π
− −
+ − +
− ∆
= = = =
+
5
0,008 0,047 0,055
t t t t t t
t t t
Y D Y E E D
Y Y Y
− −
= + = + =
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